Sommaire
Présidence de M. Philippe Dallier
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel, M. Michel Raison.
2. Ouverture de la session ordinaire de 2018-2019
3. Communication relative à des commissions mixtes paritaires
4. Candidatures à une commission mixte paritaire
5. Pastoralisme. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
Mme Patricia Morhet-Richaud, auteur de la proposition de résolution
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption, par scrutin public n° 1, de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
6. Questions d’actualité au Gouvernement
différenciation fiscale pour l’outre-mer
M. Jean-Louis Lagourgue ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
M. Jean-Noël Cardoux ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement ; M. Jean-Noël Cardoux.
corridor mer du nord-méditerranée
Mme Catherine Fournier ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Françoise Cartron ; Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
financement des transports en île-de-france
M. Olivier Léonhardt ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
avenir des ports français face au projet européen
Mme Cathy Apourceau-Poly ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; Mme Cathy Apourceau-Poly.
nomination du procureur de paris
M. Jérôme Durain ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Jérôme Durain.
M. Jacques Genest ; M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires ; M. Jacques Genest.
routes nationales non concédées
M. Jean-Pierre Corbisez ; Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
M. Bernard Jomier ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Bernard Jomier.
M. Jean Louis Masson ; M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; M. Jean Louis Masson.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
7. Comités de protection des personnes. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte de la proposition de loi
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances
M. Jean Sol, rapporteur de la commission des affaires sociales
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.
8. Politique énergétique. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire
M. Didier Rambaud ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Fabien Gay ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Fabien Gay.
M. Roland Courteau ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Roland Courteau.
M. Jean-Claude Requier ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Luche ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jérôme Bignon ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jérôme Bignon.
M. Jean-François Husson ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-François Husson.
Mme Martine Filleul ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Claude Kern ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Guillaume Chevrollier ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jean-Claude Tissot ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Agnès Canayer ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Pierre Cuypers ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jacques Genest, M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire
M. Michel Savin ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Michel Savin.
Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Philippe Dallier
vice-président
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mardi 25 septembre 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Ouverture de la session ordinaire de 2018-2019
M. le président. En application de l’article 28 de la Constitution, la session ordinaire 2018-2019 est ouverte depuis le 1er octobre.
3
Communication relative à des commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées de proposer des textes sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi et de la proposition de loi organique relatives à la lutte contre la manipulation de l’information ne sont pas parvenues à l’adoption de textes communs.
4
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Pastoralisme
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution sur le pastoralisme présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues (proposition n° 723, [2017-2018]).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Didier Guillaume et Michel Amiel, Mme Maryse Carrère applaudissent également.)
Mme Patricia Morhet-Richaud, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le pastoralisme est en danger.
Croulant sous une avalanche de contraintes et exposé à une concurrence déloyale venue d’autres pays, l’élevage français pris globalement est en crise. Les éleveurs pastoraux ne sont pas épargnés par ces temps difficiles.
Comme si leur métier n’était pas assez exigeant, leurs conditions de travail sont rendues toujours plus délicates par une succession de décisions défavorables, au premier rang desquelles celles qui favorisent la recrudescence des actes de prédation !
Les éleveurs pastoraux en ressentent dès lors un légitime sentiment d’abandon. Je crois que le Sénat entend leur détresse. C’est la raison pour laquelle il veut leur envoyer un signal fort.
Un signal fort dont témoigne l’inscription de ce débat sur le pastoralisme en ouverture des débats de la session ordinaire.
Un signal rendu encore plus fort par le fait que la proposition de résolution que nous examinons, déposée par Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, a été cosignée par plus de cent sénateurs venant de la quasi-totalité des groupes politiques, représentant tous les territoires.
Cette prise de position sénatoriale transpartisane s’inscrit dans la continuité de travaux déjà engagés sur nos travées, tant au sein du groupe d’études Montagne, présidé par Cyril Pellevat, et du groupe d’études Chasse, présidé par Jean-Noël Cardoux, que du groupe de travail sur le pastoralisme dont j’assure la présidence et qui est rattaché à la commission des affaires économiques. Ces travaux ont vocation à se poursuivre, c’est essentiel pour nos éleveurs.
La proposition de résolution qui nous est soumise est donc un coup d’envoi et non pas un coup de sifflet final.
Elle vise à revenir à l’essentiel et résume avant tout une idée qui, je le crois, nous tient tous à cœur : le pastoralisme, dont les qualités sont trop souvent tues, est la vitrine de l’agriculture de demain.
Dans la nuit du 24 au 25 septembre dernier, une vingtaine de brebis ont été tuées dans le massif du Dévoluy. Jean-Claude Michel, président du groupe pastoral, est à bout, il n’en peut plus, la pression est vraiment trop forte, et surtout en ce mois de septembre !
Imaginez : 239 attaques dans les Hautes-Alpes depuis le début de l’année ! En ce 275e jour de l’année, je vous laisse faire le calcul : 36 jours sans attaque, alors que mon département a connu un hiver particulièrement rigoureux.
C’est pour rappeler cette vérité qu’il était nécessaire que le Sénat prenne officiellement position sur le pastoralisme en rappelant toute l’importance qu’il a pour nos territoires. Car le pastoralisme est d’abord une question géographique.
La question pastorale concerne très majoritairement les territoires montagneux, tant les Alpes, les Pyrénées, le Massif central, les Vosges, le Jura que les massifs corses.
Elle se pose aussi pour des littoraux du Nord, dans la baie d’Authie, pour les côtes normandes du Cotentin ou le delta camarguais au Sud. Elle concerne aussi l’estuaire de la Loire, les marais poitevins, ainsi que les prairies inondables de la Loire et de l’Adour. Elle s’invite même en zone périurbaine !
Presque tous les territoires sont concernés et le pastoralisme joue, du reste, un rôle primordial dans l’aménagement de nos territoires. Il suffit de songer à la contribution des producteurs à l’activité touristique, par exemple, grâce à la conservation des pistes de ski en montagne.
Le pastoralisme exerce également un rôle en matière de prévention des risques naturels. En montagne, il permet de restreindre les risques d’avalanche, d’incendie ou de glissement de terrain.
Le pastoralisme est aussi une question économique. C’est une pratique d’élevage qui concerne 14 000 fermes en France et près de 5 % du cheptel français. Dans les massifs montagneux, les pâturages collectifs utilisent parfois plus de 50 % des surfaces. C’est une réalité que les politiques publiques doivent mieux appréhender, car les conditions d’exercice de ces métiers sont très particulières.
C’est aussi une question agricole. Aux carrefours de toutes les attentes citoyennes, le pastoralisme promeut une agriculture extensive de qualité, à forte composante artisanale, souvent valorisée par le recours à des signes officiels de qualité.
La question pastorale, c’est aussi une réponse aux défis environnementaux que nous avons à régler. L’élevage pastoral contribue au maintien des conditions essentielles à la préservation de la biodiversité, à la valorisation des ressources naturelles de nos territoires et à leur aménagement durable. C’est aussi une forme d’élevage qui prend en compte le bien-être animal puisque le cheptel est en semi-liberté et qu’il passe plusieurs jours dans les alpages durant l’estive, comme dans les Alpes.
C’est enfin une question culturelle, puisque le pastoralisme s’exerce en France depuis des siècles et appartient au patrimoine français. Les images des grandes transhumances sont profondément ancrées dans l’esprit de nos concitoyens et sont, le plus souvent, au cœur de l’animation de la vie de nos régions rurales.
Au fond, il s’agit de montrer que ces pratiques ancestrales sont très souvent modernes. En témoigne d’ailleurs l’attractivité du pastoralisme sur les jeunes agriculteurs.
La résolution a pour objectif de rappeler tous ces éléments essentiels et de montrer aux producteurs concernés que les parlementaires considèrent la question pastorale dans son ensemble.
Le pastoralisme ne se résume pas à la seule problématique de la prédation. Le champ est bien plus large.
Au contraire, l’enjeu du débat est d’élargir l’horizon, de rappeler combien le pastoralisme est bénéfique à nos territoires, à l’environnement, à notre économie pour que le travail des éleveurs concernés soit reconnu à sa juste valeur.
Toutefois, les auteurs de la proposition de résolution regrettent que les politiques publiques ne prennent pas en compte toutes ces spécificités de la question pastorale et toutes les externalités positives que le pastoralisme apporte à nos territoires et à notre économie.
Ces effets positifs ne sont pas évalués à leur juste valeur. Un seul fait le démontre : les agriculteurs pastoraux ont un revenu trop faible au regard des conditions particulièrement difficiles de leur métier. À cet égard, il faut vivement regretter que les négociations relatives à la politique agricole commune, la PAC, puissent menacer encore leurs revenus à l’avenir.
Ils sont également confrontés à des problématiques foncières et au renchérissement du prix des terres tendant à réduire les surfaces agricoles pastorales. La forêt s’étend, participant à ce rognage toujours plus inquiétant des surfaces pastorales.
Dans ces conditions, et la résolution le rappelle, les éleveurs pastoraux se sentent laissés pour compte.
C’est dans ce contexte déjà difficile que vient s’ajouter la problématique de la prédation.
Pour les agriculteurs, la prédation a différentes formes – ours, loup, lynx –, mais elle concerne de plus en plus de territoires, compte tenu de l’expansion des zones de présence des loups.
La détresse des éleveurs face à la multiplication des actes de prédation est immense et leur solitude dans ces épreuves, qui sont autant des drames économiques pour l’équilibre des exploitations que des drames humains, est profonde.
Toutefois, les mesures déployées par l’État, notamment par le plan national d’actions Loup, ne sont pas à la hauteur de cette détresse.
Quant aux élus locaux, ils sont confrontés aux conflits d’usage avec, par exemple, la problématique des chiens de protection qui attaquent les promeneurs, notamment dans les zones touristiques, le long des chemins de grande randonnée.
Forte de cette série de considérations, la résolution émet deux séries de propositions.
D’une part, elle appelle à valoriser à leur juste valeur les externalités positives induites par le pastoralisme. C’est une position conforme, je le crois, à une conviction profonde du Sénat, qu’il a exprimée à d’autres moments de manière unanime. Ce serait une grande avancée structurelle pour les agriculteurs concernés.
La résolution invite également, à plus court terme, à sanctuariser les moyens accordés à l’agriculture pastorale, notamment dans les négociations en cours sur la PAC. Les éleveurs pastoraux ne sauraient être les grands oubliés du second pilier !
D’autre part, la résolution demande la rénovation urgente de la politique relative au retour des grands prédateurs sur nos territoires.
Sur la problématique de l’ours, elle appelle à ce que toute réintroduction d’ours ne se décide pas unilatéralement dans un bureau parisien, mais soit bien précédée d’une étude d’impact exhaustive et d’une concertation préalable avec les éleveurs et les élus locaux.
Concernant les loups, elle appelle à suivre trois axes de travail, reprenant en cela les travaux du groupe d’études Montagne sur le loup réalisés il y a quelques mois.
Premièrement, il faut améliorer la connaissance de la situation actuelle en fiabilisant les données sur le nombre de loups à destination des élus locaux et en renforçant les connaissances scientifiques sur l’hybridation et le comportement des loups.
Deuxièmement, il convient de réapprendre aux loups à se tenir à l’écart des hommes et des troupeaux par le recours à des méthodes alternatives complémentaires aux tirs de prélèvement.
Troisièmement, la résolution précise que le système d’indemnisation des éleveurs est insuffisant aujourd’hui. Les paiements doivent être accélérés et mieux prendre en charge les chiens de protection. Le choix du Gouvernement de conditionner les indemnisations à la mise en place de mesures de protection doit être questionné, tout comme doivent être mieux reconnus les troupeaux non protégeables.
Pour conclure, il me semble que cette résolution permet d’envoyer un message fort à tous les agriculteurs pastoraux français. Elle témoigne du soutien qu’ils trouveront toujours chez les parlementaires représentant les territoires. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants – République et Territoires et de l’Union centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Canis lupus est une espèce « strictement protégée », inscrite à l’annexe II de la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, signée en 1979 et ratifiée par la France en 1990, mais aussi aux annexes II et IV de la directive européenne de 1992 dite « Habitats-faune-flore », où il est classé « prioritaire d’intérêt communautaire ».
Cette politique a entraîné une réintroduction du loup sur le continent européen.
Depuis le milieu des années 2000, la filière de l’élevage est confrontée à une forte augmentation des attaques de loups sur les troupeaux. En dix ans, le nombre de bêtes tuées en France est passé de 2 500 en 2007 à 12 000 en 2017. Le nombre d’exploitations ovines est, en revanche, passé de 95 000 en 2010 à 70 000 en 2016.
Les éleveurs d’ovins saisissent de plus en plus fréquemment les élus et les services de l’État de la multiplication des attaques et des prédations. Selon les professionnels, le préjudice s’élèverait à 26 millions d’euros.
Si le nombre de meutes de loups est difficile à estimer, il paraît avoir augmenté de manière significative compte tenu des témoignages et de l’accroissement du nombre d’attaques.
De même, le comportement du loup envers les humains est potentiellement modifié par son hybridation avec des chiens, fait insuffisamment pris en compte à l’heure actuelle.
Cet accroissement des attaques de troupeaux ne paraît pas maîtrisé et menace l’activité des bergers et éleveurs qui entretiennent avec passion des centaines de milliers d’hectares de biodiversité. Dans les zones de montagne, les éleveurs participent à la richesse écologique et économique des territoires.
Le pastoralisme et l’élevage extensif sont des piliers de la biodiversité et de la vie rurale qui sont les derniers remparts contre la déprise, l’embroussaillement et les incendies ravageurs.
En Aveyron, sur le plateau du Larzac – et un petit peu dans les départements de la Lozère, du Gard et de l’Hérault –, l’agropastoralisme s’est beaucoup développé, permettant d’assurer une biodiversité remarquable, qui justifie que cette petite région soit classée à ce titre au patrimoine mondial de l’UNESCO. Des milliers de brebis y entretiennent des centaines de milliers d’hectares de biodiversité.
La présence du loup et les attaques répétées découragent nos éleveurs de sortir avec les animaux. Ainsi, si rien n’est fait, si aucune solution n’est trouvée, nos paysages vont s’embroussailler et mettre fin à cette biodiversité qui voit actuellement de nombreux touristes d’Europe du Nord venir, aux mois de mai et juin, photographier nos orchidées et nos plantes rares.
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Alain Marc. Aujourd’hui, les éleveurs demandent la révision de la convention de Berne pour deux raisons. D’une part, le loup n’est, au vu des chiffres, plus menacé en Europe : on en compterait 20 000 sur le continent. D’autre part, il semble que les loups « hybrides » soient à l’origine de la plupart des attaques de troupeaux. Or la convention de Berne ne distingue pas les « vrais » loups des « hybrides ».
Partout au sein de l’Union européenne – nous étions à Bruxelles voilà deux ou trois mois –, le bilan est le même : la réintroduction du loup depuis le début des années 1990 a des conséquences dramatiques sur l’élevage et la ruralité.
Nous ne pouvons plus l’ignorer, que ce soit en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Autriche, en Pologne ou en Roumanie !
La position de l’Union européenne consiste à considérer que la cohabitation entre loups et élevages fonctionne convenablement, que les outils techniques comme les portails électriques sont efficaces. Il ne resterait qu’à convaincre des éleveurs !
Franchement, à Bruxelles, c’était assez marrant de voir le commissaire européen à l’écologie s’étonner de nous entendre dire que, avec les surfaces que nous avions, qui s’étendent sur plusieurs centaines d’hectares, nous sommes parfaitement incapables d’assurer la protection des animaux contre les loups !
M. Didier Guillaume. Il n’a jamais vu un territoire rural !
M. Alain Marc. Je suis tout à fait d’accord avec vous ! Il n’a jamais dû en voir beaucoup en effet ! D’ailleurs, il a été vraiment très ébranlé sur le coup. Nous espérons qu’ainsi averti, il modifiera quelque peu sa position dans les semaines et les mois à venir.
Quoi qu’il en soit, la position de l’Union européenne témoigne d’une totale méconnaissance de la réalité. J’en veux pour preuve que 90 % des troupeaux attaqués sont protégés !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la cohabitation « heureuse » – puisque c’est un terme qu’on emploie souvent ! – avec le loup n’existe pas, c’est un mythe ! Elle provoque le désarroi et se fait au prix d’un fort recul de l’élevage et d’une diminution de la biodiversité.
La réglementation européenne relative au statut de protection des loups doit évoluer pour que le pastoralisme que nous défendons ne disparaisse pas au profit de l’élevage industriel hors-sol qui, lui, n’a rien à craindre des loups !
Les prélèvements de loups doivent s’effectuer en fonction des dégâts aux troupeaux et non dans un cadre de gestion de l’espèce contraint par la directive Habitats et la convention de Berne.
M. Didier Guillaume. Bien sûr !
M. Alain Marc. En outre, on peut s’interroger sur l’efficacité et la capacité réelle de la brigade loup ! Comment une seule brigade d’intervention de douze personnes basée dans le Sud-Est peut-elle couvrir les presque vingt-cinq départements concernés ?
Particulièrement attentifs et soucieux de la vitalité de nos territoires ruraux, la plupart des membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront bien sûr en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’actualité ne cesse de nous rappeler la vulnérabilité du monde pastoral. Il y a quelques jours, la brigade loup a d’ailleurs été dépêchée dans les Pyrénées-Atlantiques, en vallée d’Ossau, pour protéger les éleveurs face à la prédation du loup.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et le groupe d’études Développement économique de la montagne, que j’ai l’honneur de présider, sont particulièrement attachés à la défense du pastoralisme et des éleveurs.
Face aux inquiétudes suscitées par le plan Loup présenté par le Gouvernement le 19 février dernier, la commission m’a confié, et j’en remercie son président Hervé Maurey, la mission d’établir rapidement un diagnostic et des préconisations pour répondre au malaise grandissant du monde pastoral.
Le rapport adopté en avril par notre commission formule ainsi quinze propositions, reprises très largement dans la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui.
Ces propositions ne constituent pas une remise en cause de la présence du loup dans notre pays. J’insiste : il s’agit avant tout d’apporter une vision apaisée sur ce sujet, où les passions s’expriment parfois de façon vigoureuse et pas suffisamment rationnelle. Aussi ce rapport invite-t-il l’ensemble des services concernés de l’État à renforcer la fiabilité et la fluidité de l’information concernant le nombre de loups, à mieux protéger et accompagner les éleveurs face à la prédation et à revoir globalement la gestion des loups, en améliorant la connaissance de leurs comportements et les mesures alternatives aux tirs de prélèvement, par exemple.
Dans le prolongement de ces travaux, je souhaiterais saluer l’initiative de notre collègue Patricia Morhet-Richaud, qui a souhaité nous associer, Jean-Noël Cardoux et moi-même, à l’écriture de cette proposition de résolution sur le pastoralisme, déposée par la présidente Sophie Primas, à la suite du vœu que le président Gérard Larcher a exprimé.
Au-delà, je souhaite vous remercier, mes chers collègues, d’avoir très largement répondu à l’appel en cosignant cette proposition de résolution ou en lui apportant votre soutien. Cette initiative prolonge d’ailleurs la mobilisation de nombre de nos collègues, alertés depuis longtemps par les élus, les éleveurs et la population et je me réjouis du caractère transpartisan de nos travaux sur le sujet.
S’agissant du texte de la proposition de résolution dont nous avons à connaître, je souhaiterais insister sur deux points.
D’abord, Patricia Morhet-Richaud l’a rappelé, si le pastoralisme contribue largement au maintien de la biodiversité dans notre pays, il est exposé à des dangers mortels, près de cinquante ans après l’adoption de la loi pastorale de 1972. Alors que nous parlons de transition écologique, de biodiversité, de meilleurs usages alimentaires, nous sommes précisément en présence d’une activité qui répond à ces objectifs.
Les éleveurs sont davantage que des gardiens des montagnes et des plaines, ce sont les premiers écologistes ! Ils ne consomment pas – ou peu – de produits chimiques et l’élevage extensif assure à la fois la protection du sol, de l’eau et contribue à l’entretien des paysages. Il figure, à ce titre, parmi les bonnes pratiques pour la gestion des sites Natura 2000. Aussi, au regard de la relative passivité des pouvoirs publics face à la disparition progressive des oiseaux ou d’autres espèces animales comme les abeilles, leur attitude concernant les prédateurs et le pastoralisme apparaît-elle excessive et déséquilibrée.
Ensuite, il est aujourd’hui clair que l’équilibre entre la protection des prédateurs – en particulier celle du loup au titre de la convention de Berne et du code de l’environnement – et le maintien de l’agropastoralisme est défavorable aux éleveurs.
Les chiffres sont éloquents : 11 000 victimes animales du loup en 2017, en augmentation de 60 % depuis 2013 et une dépense publique consacrée à la prédation du loup qui est passée de 4 millions d’euros en 2006 à 26 millions d’euros en 2017, sans compter les moyens humains et le temps consacrés à la gestion des dégâts causés par le loup ! Nous assistons donc à la faillite du modèle de cohabitation entre le loup et l’élevage tel qu’il est pensé depuis vingt ans en France. Qui plus est, nous sommes en train de perdre la bataille de la communication face à une pensée urbaine de la ruralité qui empêche d’apporter des solutions concrètes et pragmatiques.
Monsieur le ministre, pour avoir rencontré à de nombreuses reprises des membres de votre cabinet, je sais que vous êtes attentif à ce sujet et nous serons à vos côtés, comme à ceux des éleveurs.
Aussi, je vous invite, mes chers collègues, à voter cette proposition de résolution pour envoyer un message clair à l’ensemble des acteurs directement concernés par l’avenir du pastoralisme. Les éleveurs et les territoires pastoraux ne peuvent attendre davantage ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’économie pastorale constitue un élément incontournable du modèle agricole français. Le modèle d’élevage extensif appartient à notre patrimoine et il est de notre devoir, en tant que sénateurs et représentants des territoires, de nous mobiliser afin de sauvegarder cette tradition culturelle ancestrale.
Nous le savons, les gains résultant pour les milieux naturels de la pratique du pastoralisme sont considérables et bénéficient à toute la société.
Je citerai, à titre d’exemple, l’aménagement des territoires et le façonnement de nos paysages profitant particulièrement au secteur du tourisme, ainsi que la protection de la biodiversité – le pastoralisme constitue depuis toujours un véritable mode de gestion restauratoire utilisé pour l’entretien et la restauration des milieux naturels. Enfin, l’agriculture pastorale, caractérisée par une forte composante artisanale, favorise la production de denrées alimentaires de qualité, souvent valorisées par le recours à des signes officiels de qualité et aux circuits courts.
Depuis une vingtaine d’années, nous observons une augmentation substantielle du nombre de loups qui colonisent les espaces pastoraux, engendrant une préoccupation légitime de la part du monde pastoral.
Il est certain qu’une refonte du modèle de gestion du loup est nécessaire pour accompagner et moderniser le pastoralisme. Elle offrira aux éleveurs des perspectives d’avenir crédibles pour leurs métiers, pour leurs produits et pour leurs partenaires territoriaux.
C’est ce à quoi s’est attaché le Gouvernement par l’établissement du plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage.
Mes chers collègues, deux objectifs doivent nous animer tout au long de ce débat et, je le crois, ils ne sont en rien incompatibles : d’une part, le maintien de nos écosystèmes par la protection des différentes espèces de prédateurs ; d’autre part, la pérennisation du modèle agricole pastoral.
La préservation de la biodiversité dans nos territoires ne doit certainement pas négliger la contribution du pastoralisme au maintien des écosystèmes floristique et faunistique, mais elle ne peut se faire au détriment du soutien au retour de certains grands prédateurs.
Venons-en à la proposition de résolution : je tiens à saluer le travail effectué en amont de ce texte par notre collègue Cyril Pellevat l’année dernière.
Toutefois, par cette proposition de résolution, mes chers collègues, vous tendez à opposer la refonte du dispositif de gestion du loup à la défense des intérêts des éleveurs du monde pastoral. Pourtant, il me semble que l’action du Gouvernement propose des solutions visant à assurer la viabilité de l’espèce en France tout en protégeant mieux les troupeaux et les éleveurs. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gilbert Bouchet. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !
Mme Noëlle Rauscent. Le plan ne constitue pas, comme j’ai pu le lire, une succession de mesures antipastorales.
M. Gilbert Bouchet. C’est incroyable !
Mme Noëlle Rauscent. Il est le fruit d’une consultation riche en enseignements et élabore une nouvelle méthode de gestion du loup fondée, d’une part, sur une meilleure connaissance de l’espèce (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Certains sénateurs imitent le hurlement du loup.)…
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prise !
Mme Noëlle Rauscent. … et, d’autre part, sur une nouvelle approche territoriale, par la responsabilisation des préfets de département, ainsi que par l’intégration d’élus locaux dans la gouvernance du plan.
M. Gilbert Bouchet. On est en marche arrière !
Mme Noëlle Rauscent. La menace que fait peser l’augmentation des effectifs des grands prédateurs sur le milieu pastoral a été bien et pleinement prise en compte par le Gouvernement.
M. Laurent Duplomb. Hou là là !
Mme Noëlle Rauscent. De nouvelles mesures significatives sont mises en œuvre pour la protection des troupeaux face aux attaques et pour mieux aider les éleveurs à se défendre.
Je citerai ainsi un meilleur financement des bergers pour le gardiennage,…
M. Alain Marc. Gardiennage de quoi ? des loups ou des brebis ?
Mme Noëlle Rauscent. … la mise en place d’un réseau structuré de chiens de protection pour sécuriser leur utilisation et renforcer leur efficacité, un encadrement plus efficace des modalités de gestion des tirs d’effarouchement, de défense et de prélèvement.
De la même manière, le plan prévoit de soutenir l’élevage et le pastoralisme dans les zones de présence du loup par une meilleure aide à l’emploi, un soutien important aux filières de produits agricoles de qualité et par de réelles mesures d’amélioration des conditions de vie des bergers.
Ce plan national d’actions adopte le principe d’une gestion adaptée aux impacts sur l’élevage et aux réalités du territoire. (Mêmes mouvements.)
M. le président. Mes chers collègues, s’il vous plaît, un peu de calme !
Mme Noëlle Rauscent. Les effets des mesures mises en œuvre seront pris en compte afin de réaliser des actions pertinentes sur le terrain.
Par ailleurs, certains d’entre vous ont manifesté leur inquiétude concernant la tournure des négociations en cours de la politique agricole commune. Mes chers collègues, faisons confiance au ministre de l’agriculture (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) pour défendre les intérêts de nos éleveurs !
Au regard des solutions apportées par le plan Loup de l’année dernière, dont l’évaluation à mi-parcours conditionnera la mise en place de la deuxième phase, le groupe La République En Marche votera contre cette proposition de résolution. (M. Arnaud de Belenet applaudit. – Des sénateurs du groupe Les Républicains imitent le hurlement du loup.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente du groupe de travail, la proposition de résolution que nous examinons est une initiative bienvenue tant les difficultés auxquelles le pastoralisme doit faire face sont grandissantes.
Ce mode d’élevage respectueux des animaux prévient des risques naturels, protège les écosystèmes et accompagne les autres activités humaines. Il est tout simplement indispensable à la vie de nos montagnes, et nous devons tout faire pour le préserver.
Malheureusement, sa situation se dégrade de manière structurelle, et cela pour plusieurs raisons : la rudesse du métier, une crise des vocations, les difficultés économiques du monde agricole et, comme cela a été rappelé, la concurrence déloyale à travers les traités de libre-échange, la raréfaction du foncier, une forte dépendance aux fragiles subventions européennes, le réchauffement climatique et la sécheresse.
Le retour des grands prédateurs, particulièrement du loup, est venu noircir ce tableau déjà alarmant. La détresse et le sentiment d’impuissance des éleveurs grandissent, et il nous faut y répondre impérativement. Mais, comme tentent de le faire cette proposition de résolution et le plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage, c’est de manière globale qu’il faut appréhender le problème.
Aussi, nous partageons les constats, les considérants et la plupart des invitations au Gouvernement que formule cette proposition de résolution, en particulier la nécessité de sanctuariser les zones de pâturage de type garrigue ou maquis dans le périmètre des aides de la PAC et la nécessité d’améliorer la connaissance scientifique de l’éthologie du loup pour proposer des modes de protection des troupeaux mieux adaptés.
Monsieur le ministre, le plan Loup porte les germes d’une véritable politique pastorale que nous appelons de nos vœux. Le Gouvernement doit maintenant s’engager sur des moyens financiers suffisants pour développer les brigades loup, recruter des aides-bergers, accompagner le dressage des chiens de protection, indemniser promptement et justement les éleveurs, les accompagner après le traumatisme d’une attaque et conduire les recherches nécessaires sur le prédateur. À ce jour, les moyens annoncés nous semblent insuffisants.
Je m’inscris d’ailleurs en faux contre le discours trop souvent entendu – notamment sur les travées de la majorité sénatoriale – bien qu’il soit absent de ce texte, selon lequel le loup coûterait trop cher. C’est trop vite oublier qu’entre la moitié et les trois quarts des 26 millions d’euros du plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage sont directement attribués aux activités d’élevage comme l’embauche, notamment d’aides-bergers.
On ne peut pas, dans le même temps, dénoncer des moyens insuffisants et reprocher à l’État de trop dépenser. À titre de comparaison, on rappellera que les seules indemnisations des agriculteurs victimes des sangliers s’élèvent à environ 50 millions d’euros par an. L’heure est pourtant grave et appelle une mobilisation générale pour la préservation du pastoralisme et de la biodiversité.
Pour cette raison, nous voterons en faveur de cette proposition de résolution que nous avons pu amender quelque peu. Nous émettons toutefois une réserve importante. Si une réflexion à l’échelle européenne est indispensable, l’invitation à réviser le niveau de protection des grands prédateurs à l’échelle européenne et internationale n’est pas acceptable et ne peut représenter une solution viable.
Entendons-nous bien : nous comprenons tout à fait la nécessité d’abattre un animal pour protéger un troupeau et prenons la pleine mesure de la nécessaire régulation à mettre en place, mais ce n’est pas faire justice au pastoralisme que de considérer, comme le font certains, que son salut passera par l’extermination des prédateurs. C’est un miroir aux alouettes, un message facile que l’on propose aux éleveurs. Un tel combat international mobiliserait une énergie et un temps considérables sans aucune garantie de réussite. C’est autant de temps et d’énergie qu’on ne consacrera pas à travailler à l’inévitable et nécessaire cohabitation entre prédateurs et troupeaux.
Même dans le cas, improbable, où la chose serait autorisée, exterminer les prédateurs sur notre sol ne serait pas une mince affaire. Durant des siècles, nous avons tenté de chasser le loup. Nous avons pour ce faire mobilisé des milliers d’hommes – y compris l’armée sous l’Empire –, et nous avons brûlé des milliers d’hectares de forêt. Aujourd’hui encore, il est très difficile d’abattre un loup, et encore plus d’exterminer une meute. Le directeur de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, me confiait récemment qu’aux 37 prédateurs prélevés en 2017 correspondaient 1 240 autorisations de tir délivrées par le préfet.
De la même manière, nous le savons, il n’est pas beaucoup plus simple de contenir la surpopulation de sangliers, espèce pourtant non protégée qui ravage nos cultures. Comme nos voisins européens, accompagnons la cohabitation. L’enjeu consiste à la fois à mieux protéger les troupeaux et à mieux accompagner les éleveurs avant et après les attaques.
Il est également indispensable de développer des modes de protection alternatifs et de tester de nouvelles techniques d’effarouchement, telles que les tirs non létaux ou le piégeage. Dans les territoires en recherche de réponses concrètes des initiatives se mettent en place.
Je pense, par exemple, au projet d’expérimentation du parc naturel régional du Vercors, que je vous invite d’ailleurs à soutenir, monsieur le ministre. Après plusieurs mois de concertation avec tous les acteurs concernés, éleveurs, associations environnementales, élus, services de l’État, le parc a adopté à l’unanimité, le 19 septembre dernier, un plan d’action visant à mieux protéger les troupeaux, à soutenir l’activité pastorale et touristique et à permettre une cohabitation la plus raisonnable possible avec le loup.
C’est le projet le plus équilibré, le plus efficace et le plus honnête à proposer à nos éleveurs. C’est le moyen le plus sûr pour sortir des postures en agissant sans attendre pour préserver le pastoralisme.
Cette résolution formulant de nombreuses propositions dans ce sens, nous la voterons en dépit de nos réserves. Il est important de sortir de l’affrontement stérile sur le loup ou l’ours et de parler d’une seule voix pour défendre le pastoralisme et la biodiversité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Marc Daunis. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Alain Duran. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Alain Duran. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord vous faire part de ma grande satisfaction de constater que les travaux de la session ordinaire 2018-2019 s’ouvrent sur le thème du pastoralisme, donnant ainsi la parole aux territoires ruraux et de montagne. Notre Haute Assemblée assure ainsi pleinement la mission de représentation des territoires de la République que lui confère la Constitution.
Département rural s’il en est, mon département de l’Ariège est aussi un département pastoral. L’estive qui est pratiquée dans plus de 50 % des exploitations n’a pas seulement une vocation productiviste, loin de là, mais remplit surtout une mission d’entretien de la montagne par les troupeaux.
Le pastoralisme ariégeois qui s’étend sur 115 000 hectares, soit 25 % du territoire du département, a pour spécificité principale de s’exercer sur des terres ouvertes à tous. En effet, cette activité s’exerce à 90 % sur des espaces qui appartiennent soit à l’État, soit aux communes. C’est en quelque sorte l’essence même du pastoralisme, qui se matérialise par des modes d’appropriation et de gestion collectifs au sein d’espaces semi-naturels spécifiques extensifs, où règne une biodiversité incomparable.
À l’heure où la mode est au « produire local », où les Français sont prêts à consentir un effort financier parfois important pour certains foyers afin de se nourrir avec une alimentation de qualité issue de circuits courts, une production « de la fourche à la fourchette », notre devoir est d’encourager le développement de ces modes de production totalement naturels pour lesquels la traçabilité est garantie au consommateur.
Après avoir connu une démographie en baisse durant près d’un siècle, la courbe aurait tendance à s’inverser et nos territoires, entretenus par l’activité de l’homme, qu’elle soit à vocation pastorale, agricole, forestière ou touristique, redeviennent des milieux ouverts et accessibles.
Nous le savons, sans cette présence humaine, ce sont des sentiers qui se ferment, des paysages qui s’ensauvagent alors qu’ils sont si riches quand ils sont sillonnés par les troupeaux.
Aujourd’hui les bergers pyrénéens sont exaspérés et abattus, car ils sont confrontés à une augmentation sans précédent des dommages causés par des prédateurs, et plus précisément par les ours. Dans mon département, les chiffres parlent malheureusement d’eux-mêmes : en 2016, on dénombrait 96 attaques et 228 victimes ; en 2017, on est passé à 166 attaques et près de 500 victimes. Au 31 août de cette année, on dénombrait 232 attaques, soit 30 % de plus par rapport à l’année précédente, et déjà 372 victimes, alors que tous les troupeaux ne sont pas encore redescendus dans les vallées.
Pourtant une nouvelle réintroduction d’ours slovènes est annoncée pour les semaines à venir sans qu’aucune concertation ait été organisée. Un travail commun et préalable avec l’État est fondamental, monsieur le ministre, pour prévoir, d’une part, une étude d’impact approfondie et, d’autre part, des mesures efficaces de protection contre les prédations incessantes, ne serait-ce que dans un souci de respect des dispositions du code rural et de la pêche maritime, qui, dans son article L. 113-1, dispose que les autorités doivent « assurer la pérennité des exploitations agricoles et le maintien du pastoralisme, en particulier en protégeant les troupeaux des attaques du loup et de l’ours dans les territoires exposés à ce risque ».
Nous le savons, les mesures de protection traditionnelles avec les chiens de protection ou la création de parcs de nuit ne suffisent plus, car l’ours a appris à les déjouer. Il faut trouver d’autres mesures d’accompagnement afin de mieux protéger les biens des éleveurs, leurs troupeaux, mais aussi les maires qui pourraient voir leur responsabilité pénale engagée en cas d’attaque mortelle dans leur commune.
La présence humaine n’est plus un problème pour l’ours. Il est urgent de travailler sur d’autres hypothèses qui ont été envisagées, mais qui n’ont pas encore été exploitées. L’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et le Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, ont réfléchi au concept de la réciprocité avec le loup, mais pas encore avec l’ours. Il s’agit de faire comprendre à un animal qui attaque un troupeau que son comportement lui fait courir un risque.
Aujourd’hui, la pratique de l’estive est menacée dans les Pyrénées du fait de l’augmentation continue de la population ursine, de l’évolution du comportement de l’ours et de la concentration, devenue insupportable, de cette population sur certaines estives. Si nous ne réagissons pas, nous prenons le risque de voir une profession entièrement découragée et de mettre à mal, non pas l’agriculture industrielle, mais l’agriculture de qualité, cette agriculture paysanne qui se nourrit du pastoralisme dont j’ai essayé de rappeler tous les précieux services économiques, environnementaux et culturels qu’il nous rend.
Cessons d’avoir une approche romantique de l’ours pour nous tourner vers une approche pragmatique ! Nos montagnes doivent rester le théâtre d’une biodiversité que nous appelons tous de nos vœux, des montagnes vivantes, avec des hommes et des femmes qui y habitent et y travaillent au quotidien, des montagnes également profitables à ceux qui y séjournent quelques jours par an et qui m’ont inondé de SMS avant que je ne monte à cette tribune.
Pour toutes ces raisons, mon groupe soutient dans sa grande majorité cette proposition de résolution sur le pastoralisme pour éviter que, demain, monsieur le ministre, nous ne soyons obligés de réintroduire des bergers dans nos montagnes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier M. le président du Sénat ainsi que les membres du groupe de travail sur le pastoralisme et notre collègue Patricia Morhet-Richaud d’avoir aujourd’hui voulu mettre en lumière le pastoralisme, au travers de cette proposition de résolution.
Cette dernière aborde la problématique de cette pratique ancestrale avec réalisme, respect des hommes, des cultures et des modes de vie. Elle met l’accent sur les difficultés des éleveurs aux pratiques vertueuses qui, au-delà d’une économie favorisant l’excellence, protègent une vie touristique, garantissent le maintien des populations montagnardes, la lutte contre la fermeture des milieux et la préservation d’un environnement souvent soumis à des aléas climatiques violents.
Monsieur le ministre, je sais que vous connaissez bien le département des Hautes-Pyrénées. Lors de leur congrès en juin dernier, les jeunes agriculteurs vous ont expliqué les difficultés et les particularités de la pratique du pastoralisme. Vous avez entendu leur cri d’alarme.
Alors que nous travaillions sur cette proposition de résolution, l’actualité nous a rattrapés avec l’annonce, par le ministre de la transition écologique et solidaire, de la réintroduction de deux ours en Béarn et de la réactivation du plan Ours.
Comment comprendre une telle décision qui fragilise toute une profession déjà affaiblie ? Comment peut-on sacrifier toute une économie à un choix idéologique ? Quel sera l’avenir de nos montagnes ? Deviendront-elles un espace réservé aux prédateurs dont on aura chassé toute présence humaine ? Ce n’est pas notre choix.
Comment peut-on imposer aujourd’hui à des éleveurs déjà harassés de travail de monter à plus de 2 000 mètres d’altitude tous les soirs pour garder leurs troupeaux ? Comment peut-on aujourd’hui leur rajouter des contraintes et de la peur ?
Depuis les premières réintroductions d’ours dans les Pyrénées, force est de constater qu’aucune des mesures d’accompagnement mises en place n’a fonctionné. Il y a aujourd’hui une réelle incompatibilité entre la présence de grands prédateurs et celle des troupeaux.
Va-t-on persister dans ces erreurs ? Va-t-on enfin écouter la voix unanime des parlementaires de ces territoires ? Allez-vous aujourd’hui entendre cette proposition de résolution de la Haute Assemblée qui se dresse pour préserver les territoires ?
J’ai eu l’occasion de dire au ministre François de Rugy que, par ces mesures, il expose le pastoralisme à une mort certaine. Face à cette situation, nous ne pouvons nous résigner. Cette proposition de résolution est un cri d’alarme, une alerte de nombreux élus de montagne qui s’inquiètent face au désarroi de leurs éleveurs. Elle vise à replacer cette économie, son savoir-faire et ses bienfaits au centre de nos préoccupations.
Monsieur le ministre, je sais que vous n’êtes pas responsable de ces réintroductions, mais vous avez le devoir de prendre en compte cette détresse et de défendre cette profession. Vous avez le devoir de prendre en considération les demandes légitimes d’études d’impact et de concertation avec les populations concernées.
Je ne peux que vous encourager à relayer cette proposition de résolution en faveur de laquelle – vous l’aurez compris – le groupe du RDSE votera dans sa grande majorité. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant qu’élue des Pyrénées-Atlantiques où la réintroduction de l’ours est plus que jamais un sujet de préoccupation pour nos éleveurs pastoraux, j’accueille avec enthousiasme cette proposition de résolution.
Bien qu’elle n’ait pas d’effet contraignant, elle permet d’acter la prise en compte par le Sénat de la désespérance du monde pastoral et permettra, je l’espère, de donner de l’écho à son message.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire au précédent ministre de la transition écologique et solidaire, dans cet hémicycle, et au nouveau ministre, sur le terrain en période de concertation, la cohabitation entre les grands prédateurs et le pastoralisme suscite des inquiétudes légitimes pour les acteurs économiques de nos montagnes.
Il est vrai que les consultations menées donnent le sentiment que la concertation n’était qu’un déroulé en bonne et due forme et obligatoire de la procédure administrative, mais qu’au fond, la décision était déjà prise. Tout cela ne peut qu’engendrer de la défiance.
Entre sentiment d’incompréhension et d’abandon, le monde pastoral vit cette période comme un ajout supplémentaire de difficultés à un métier déjà difficile et exposé à une avalanche de contraintes : impacts du changement climatique, compétition internationale, crise des vocations, poids des normes, recrudescence des actes de prédation… La liste est longue et incomplète.
Nos débats passés sur le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ou les récentes discussions à Vienne sur la PAC ont mis en évidence l’impérieuse nécessité de s’acheminer vers une agriculture plus qualitative que quantitative.
Les éleveurs qui perpétuent cette tradition culturelle, élaborent des produits de haute qualité artisanaux et permettent des externalités positives n’ont-ils pas toute leur place dans cette vision de l’agriculture ?
Je partage bien entendu tous les constats et les objectifs de cette proposition de résolution, mais je voudrais insister sur un point particulier. Il me semble qu’il faut aller encore plus loin que la refonte du système d’indemnisation des éleveurs, qui ne constitue qu’un seul des volets du traitement de cette problématique.
Développer l’attractivité du métier d’éleveur me semble un moyen de redonner du sens et de la dimension. Nous ne voulons pas de territoire sanctuarisé, mais des territoires vivants dans lesquels l’homme a toute sa place. Pour cela l’économie de montagne doit être préservée et encouragée.
L’État doit savoir accompagner de manière spécifique les territoires dans lesquels il a décidé de réintroduire l’ours ou le loup. Je pense par exemple au suivi de ces grands prédateurs par GPS. L’État doit être performant et partager cette technologie avec les éleveurs afin de permettre la localisation de ces animaux et de prévenir les attaques des troupeaux.
Les conditions de vie des éleveurs doivent également être repensées tout en tenant compte des aspirations et des exigences de notre temps. Cela peut se traduire par des moyens de transport, comme le quad, leur permettant de rejoindre plus facilement les estives depuis la vallée.
En conclusion, mes chers collègues, au gré des réintroductions d’ours et de loups dans nos territoires, j’encourage le Gouvernement à préserver le pastoralisme et à apporter des réponses pragmatiques et respectueuses des hommes et des femmes qui vivent et qui travaillent dans les zones impactées. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui est un signal fort pour les territoires pastoraux et pour l’ensemble des éleveurs alors que la cohabitation entre le loup, l’homme et les activités d’élevage se dégrade considérablement.
Comme un berger me l’a dit récemment, l’histoire du loup a changé son métier. Dans les Alpes-Maritimes où l’élevage ovin est réalisé en estive presque toute l’année, c’est la survie du pastoralisme qui est engagée, sachant que mon département détient le record du nombre d’attaques – près de 3 000 en 2016.
Alors que les troupeaux comptaient jusqu’à 100 000 bêtes il y a vingt-cinq ans, l’effectif actuel est tombé à 30 000 avec, en parallèle, l’expansion continue du prédateur dans tout l’arc alpin depuis 1992.
Mes collègues du groupe Les Républicains et moi-même pensons, comme les bergers, que le chiffre officiel de 430 loups sur le territoire national s’avère très en deçà de la réalité, a fortiori lorsque l’on compare le nombre d’ovins attaqués en 2017 – 12 000 – et en 2007 – seulement 2 500 – et que l’on sait à quel point il est difficile de procéder à un recensement.
Contrairement à ce qu’a dit notre collègue Guillaume Gontard, nous ne voulons pas l’éradication du loup, mais nous souhaitons arriver à une plus grande régulation de la population.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Dans ce contexte, la déception vis-à-vis du plan Loup fut à la hauteur des espoirs suscités par les propos du Président de la République qui, un mois plus tôt, lors de ses vœux aux agriculteurs, avait annoncé vouloir « remettre l’éleveur au milieu de la montagne », de manière à ce que le plan Loup « soit fait et pensé dans les territoires où on le décline ».
Cette volonté était partagée par l’ensemble des éleveurs, des organisations agricoles et des élus des départements concernés qui pensaient que le Gouvernement avait enfin compris que seules des décisions pragmatiques courageuses et ambitieuses répondraient aux attentes accumulées en vingt-huit ans.
Mais, après cette occasion manquée, les éleveurs ont la sensation que leur voix ne compte pas et que l’État ne saisit pas l’ampleur du préjudice qu’ils subissent. Il s’agit, d’une part, d’un préjudice matériel – si le système d’indemnisation actuel fonctionne, l’idée de le conditionner désormais à certains équipements de protection est vouée à l’échec, alors même que sont refusés des permis de construire pour des bergeries en dur et que les chiens patous sont eux aussi massacrés par les loups – et, d’autre part, d’un préjudice moral qui est loin d’être anecdotique.
Les éleveurs les plus pessimistes pensent qu’il est déjà trop tard pour agir. Pourtant, un moyen simple serait de multiplier le nombre de brigades loup localement, afin d’en faire un véritable outil au service des collectivités qui relèvent les plus forts taux d’attaques.
À ce sujet, les interrogations sur la pérennité de la brigade loup dans le temps et la possibilité pour les collectivités locales de prendre l’initiative d’en créer reste d’actualité. En effet, si vous m’aviez confirmé, monsieur le ministre, la pérennisation des emplois, le précédent ministre de la transition écologique et solidaire avait fait naître un doute en précisant : « Toutefois, cette formation qui représente un engagement financier conséquent, ne pourra être étendue à toutes les régions où le loup est implanté. Les autorités des départements où les éleveurs émettent le souhait de bénéficier des services d’une telle brigade sont invitées à en étudier les modalités de financement et d’organisation, sous contrôle de l’ONCFS. »
À terme, pour que perdurent les activités de pastoralisme, une réflexion devra aussi être menée sur la suspension temporaire du nombre de loups à abattre, car le fameux quota annuel de destruction de loups montre toutes ses limites. D’une part, l’estimation administrative en amont ne répond pas aux besoins – ce fut le cas en 2017, au point que Nicolas Hulot avait dû augmenter en urgence le quota d’abattage, compte tenu de la menace de prédation – et, d’autre part, la méthode des tirs isolés de prélèvement semble fixer une limite à ne pas dépasser sans répondre à un objectif de préservation du pastoralisme.
Plutôt que de proposer de nouvelles mesures accessoires aux départements les plus touchés, à l’image par exemple de l’action « acquérir de meilleures connaissances sur l’éthologie du loup dans le système agropastoral » figurant dans le dernier plan Loup, le Gouvernement doit apporter des réponses concrètes aux situations déjà identifiées dans les départements.
Nous savons que les dommages pastoraux ne se répartissent pas de façon uniforme en France, mais reflètent deux phénomènes distincts : d’un côté, des attaques graves, concentrées notamment dans les villages des Alpes-Maritimes, dont certains n’ont jamais connu de répit depuis 2002, et de l’autre, des attaques sporadiques dans des territoires plus vastes où la présence du loup est récente.
Il faudra donc avoir le courage, pour assurer la survie des activités de pastoralisme, de renverser la pression qui doit viser le prédateur. En 2015, près de 75 % des victimes se concentraient dans le sud de la région PACA, dont 40 % dans les seules Alpes-Maritimes. Les éleveurs veulent simplement exercer leur métier en toute sécurité, mais face à un ensauvagement qui fait courir un risque sérieux au pastoralisme, il est utile de répéter et de rappeler que le loup n’a pas le monopole de la biodiversité, d’abord assurée par les bergers et par leurs troupeaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente du groupe de travail, chers collègues, connaissant très bien le pastoralisme, puisque le métier de berger a été le mien pendant plus de vingt ans, j’aurais pu m’exprimer en fin technicien, mais d’autres collègues l’ont très bien fait. Mon intervention sera donc plus générale et rapide.
Depuis un siècle, la société a beaucoup évolué et le pastoralisme s’est considérablement transformé. Aujourd’hui ce système fait partie intégrante du développement rural et assure ainsi une multifonctionnalité qui n’est plus à remettre en cause.
C’est une source d’emplois diversifiés, permanents ou saisonniers, qui renforce un ancrage territorial, vecteur de lien social. Ce système est reconnu pour favoriser des pratiques d’élevage qui permettent de maintenir des paysages ouverts et accueillants, favorables à la biodiversité.
Le pastoralisme est reconnu également parmi les systèmes productifs les mieux-disants en termes de multiperformance écosystémique et de développement durable parmi toutes les autres productions agricoles.
Face au changement global et irréversible du climat, et selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’UICN, « les pelouses d’attitude sont un des écosystèmes français stockant le plus de carbone ». Par ailleurs, les prairies permanentes gérées de manière extensive « présentent en général un bilan global beaucoup plus intéressant que les surfaces cultivées puisqu’elles constituent des puits nets en termes de captage de CO2 ».
De même, la contribution du pastoralisme à la limitation du risque d’incendie et d’avalanche n’est plus à démontrer. L’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, précédemment évoquée par l’un de mes collègues, des paysages culturels de l’agropastoralisme des Causses et des Cévennes démontre la valeur universelle du pastoralisme.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui souligne largement ces points forts, mais aussi les difficultés rencontrées par le pastoralisme et ses acteurs. L’un des enjeux forts auxquels nous devons répondre est celui du revenu de ces agriculteurs, structurellement inférieur à la moyenne de la profession.
C’est pourquoi il est primordial de prendre en compte et de soutenir les dynamiques collectives – les mesures agroenvironnementales, ou MAE, et les systèmes herbagers pastoraux – avec un mécanisme de plafonnement adapté, en privilégiant par exemple l’emploi.
Il est également largement question dans cette proposition de résolution de la difficile cohabitation, évoquée par tous les orateurs, entre le loup, l’ours et le berger ou le pastoralisme.
Ce constat n’est pas issu d’une idéologie. Il n’y a pas, d’un côté, des défenseurs des animaux et, de l’autre, des agriculteurs peu soucieux de leur environnement. Les bergers sont aussi préoccupés par le bien-être de leurs animaux. Ils ne nous parlent pas que de rendement, mais aussi de moutons voués au grand air, mais parfois malheureusement enfermés pour leur propre protection, et de brebis chez qui – je peux en témoigner – la peur permanente des prédateurs entraîne entre autres des avortements.
Caricaturer le débat ne peut en aucun cas permettre d’y apporter les bonnes réponses. Au contraire, il nous faut favoriser les temps de concertation, les diagnostics, les équipements qui permettront de concilier activité pastorale et autres activités.
Les attentes sont grandes et les enjeux importants. Il est à espérer que cette proposition de résolution pourra servir de base à un renforcement de la politique nationale de soutien au pastoralisme et à sa meilleure prise en compte dans le cadre de la future PAC.
Pour conclure, je m’associe aux propos de mon collègue Alain Duran concernant la position de mon groupe pour le vote de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens en tant que signataire de la proposition de résolution sur le pastoralisme.
En effet, je souscris pleinement aux objectifs de préservation des écosystèmes pastoraux qui y sont énoncés, et m’associe en particulier aux alertes répétées concernant le loup rappelées par notre collègue Patricia Morhet-Richaud.
Le plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage repose sur un principe d’équilibre entre la conservation des espèces et la prise en compte de la détresse des éleveurs. Or cet équilibre n’existe pas, mes chers collègues. La seule chose qui subsiste, c’est la détresse des bergers qui pleurent leur travail et qui assistent impuissants à la mort de leurs animaux.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que ce plan était censé assurer une coexistence pacifique. Pourtant, les attaques de loup se multiplient. Dans mon département, au 28 septembre, 378 attaques et 1 208 victimes sont à déplorer, soit une hausse de 13 % des attaques et de 28 % des victimes ; sur les 198 communes que comptent les Alpes-de-Haute-Provence, 90 sont touchées. Il faut souligner que seuls les animaux mordus figurent parmi les victimes, alors que des moutons meurent en sautant des barres rocheuses pour échapper aux canidés et que nombre de brebis avortent, stressées par les attaques, ce qui augmente le nombre réel de victimes.
De même, cette coexistence n’est plus pacifique parce que les loups eux-mêmes ont changé. Un travail d’enquête publié dans mon département, en janvier 2017, par l’INRA et le Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée démontrait déjà que les loups franchissaient la lisière des forêts et se rapprochaient de plus en plus des habitations humaines. Ces animaux « s’adaptent, évoluent en fonction de nous », expliquait le chercheur Michel Meuret.
Mes chers collègues, la vocation des bergers n’est ni de tuer des loups ni de se transformer en éleveurs professionnels de chiens d’Anatolie ou de patous, non plus que de monter des dossiers pour solliciter des subventions destinées à compenser la perte de leurs bêtes.
Que des bergers désertent certains espaces parce qu’il est impossible de préserver leur troupeau, voilà une très mauvaise nouvelle pour l’environnement montagnard, qu’ils ne pourront plus entretenir. Voulons-nous que nos montagnes deviennent à court terme des déserts, dévastées qu’elles seront par des impacts de foudre accélérés par le réchauffement climatique ? Voulons-nous des montagnes fragilisées par des feux, faute de bergers présents ? Voulons-nous pleurer des zones entières carbonisées, comme en Californie ?
Enfin, il faut aussi prendre en compte le désarroi profond des élus concernés, qui vivent dans la crainte permanente, non seulement d’accidents liés à la présence de loups jusque dans les villages et de chiens dans les chemins de randonnée, mais aussi d’accidents de chasse.
Monsieur le ministre, il est nécessaire, à mes yeux, que chacun retrouve sa place. J’ai plaidé en faveur de la conservation d’une brigade loup ; je suis aujourd’hui convaincu qu’il faut soutenir les bergers et embaucher, si nécessaire dans le cadre de contrats aidés, des personnes dédiées à la sécurité.
De plus, je crois nécessaire d’adapter la législation et, en particulier, les dispositions du code rural ayant pour objet la responsabilité des maires quant aux chiens de berger.
À titre personnel, je suis enfin favorable à un autre mode de régulation de la présence lupine. Quiconque s’est trouvé face à un loup sait que le tir de prélèvement négocié n’est pas réaliste. Je plaide très clairement pour que le loup puisse – dans un cadre très réglementé, et lorsque la situation l’impose – être classé comme nuisible.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. Mes chers collègues, je souhaite vivement que cette proposition de résolution débouche sur des solutions pragmatiques, humaines et soucieuses de la préservation à court terme de nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’être l’origine de la carte postale traditionnelle de la montagne, le pastoralisme est une activité économique. Il représente une agriculture vertueuse que pratiquent des femmes et des hommes passionnés, gardiens vigilants de l’équilibre entre la nature, l’homme et l’animal, et ce depuis des siècles.
Je remercie les présidents Sophie Primas et Hervé Maurey, ainsi que nos collègues Patricia Morhet-Richaud, Jean-Noël Cardoux et Cyril Pellevat, d’avoir élaboré la présente proposition de résolution. Elle vise à lancer l’alerte sur les menaces qui pèsent aujourd’hui sur le pastoralisme et traduit le soutien de notre Haute Assemblée aux éleveurs sur cette question importante.
Il s’agit bien de préserver, au travers de produits reconnus, un maillon de la chaîne agroalimentaire dont les atouts touristiques et écologiques sont incontestables.
L’entretien régulier de vastes étendues d’alpages par des troupeaux est indispensable à la lutte contre l’enfrichement comme à la protection contre les risques naturels. Aussi l’intérêt de cette pratique est-il de faire fructifier des ressources difficilement valorisables par l’homme et d’utiliser les espaces non cultivables comme support pour la production de produits laitiers et artisanaux. Le pastoralisme est en cela un élément majeur de la protection et de la gestion des espaces naturels.
Partout, les espaces pastoraux sont reconnus parmi ceux qui connaissent la biodiversité la plus forte. Au cœur de nos parcs naturels, de nos réserves naturelles et de nos espaces protégés, ils constituent un enjeu de biodiversité majeur pour les écosystèmes.
Lors du comité interministériel de la biodiversité, le 4 juillet dernier, M. le Premier ministre a indiqué vouloir rémunérer les agriculteurs pour ce service qu’ils rendent à la nature. Eh bien, cette proposition de résolution vise à défendre une plus juste rémunération pour le pastoralisme qui tienne encore mieux compte des contraintes pesant sur cette forme d’agriculture.
Ce serait une juste reconnaissance des contraintes spécifiques, liées aux conditions naturelles, à la saisonnalité et à l’isolement, auxquelles sont soumis les acteurs du pastoralisme. Évidemment, la question a été largement ouverte.
Cette proposition de résolution met également en débat le soutien au retour de certains prédateurs, à l’image du loup ou, plus récemment, de l’ours, dont une nouvelle réintroduction dans les Pyrénées vient d’être annoncée.
Si l’on peut concevoir aisément qu’il soit nécessaire de protéger des espèces relevant de la convention de Berne, la remise en cause de la viabilité économique d’exploitations agricoles en montagne ne saurait être la conséquence de cette protection. Malheureusement, c’est bien la situation que nous connaissons aujourd’hui.
Le cri d’alarme est réel, et ce débat est porté cet après-midi dans notre enceinte. Je tiens à saluer les très nombreux collègues qui l’ont rappelé, exemples à l’appui : il faut entendre, monsieur le ministre, ce cri d’alarme !
Il me semble donc nécessaire qu’un arbitrage et un suivi fassent l’objet de discussions au sein de l’Union européenne. Il est tout aussi impératif que cette question trouve enfin, au sein du plan national évoqué, des solutions pérennes offrant aux acteurs du pastoralisme toutes les sécurités nécessaires à la poursuite de leur activité économique.
La compatibilité du pastoralisme avec la présence du loup est en question ; un équilibre doit donc être recherché, sans jamais perdre de vue que les acteurs du pastoralisme sont les pionniers de la biodiversité et des garants de la qualité.
Le groupe Union Centriste votera donc en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Michel Savin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Michel Savin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu remercier nos collègues pour leur travail complet et ambitieux sur le pastoralisme.
Pour ma part, je concentrerai mon intervention sur l’exaspération et la détresse des éleveurs du département de l’Isère. Comme d’autres éleveurs français, ils sont confrontés depuis de nombreuses années à des attaques de loup de plus en plus nombreuses ; les réponses qui leur sont apportées ne sont pas satisfaisantes.
Monsieur le ministre, il est certain que parler de loup, d’ours, de prédateurs et de pastoralisme au sein de notre hémicycle parisien peut faire sourire. Je me souviens encore du mépris d’un ancien ministre de l’agriculture lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement - les agriculteurs n’ont pas oublié !
Nous savons par avance que nombre d’observateurs s’interrogeront sur l’utilité de notre démarche. Pour certains d’entre eux, le problème de l’articulation entre pastoralisme et prédateurs se résume à une ou deux brebis tuées par an… Pourquoi donc débattre d’un tel sujet ? Mais cela est bien loin de la vérité ! Il est plus que jamais nécessaire et urgent de le rappeler et de porter ici, au cœur de notre représentation nationale, au Parlement, le cri de désespoir des éleveurs qui, chaque jour, pratiquent leur activité la boule au ventre.
Oui, la défense du pastoralisme est d’une importance majeure ! Depuis des siècles, ces pratiques sont présentes en France ; elles façonnent le territoire et le protègent.
Cependant, cette activité est aujourd’hui en danger. Avec plus de 12 000 attaques de loup par an, dont 40 % se déroulent désormais en plein jour et, parfois, à proximité des habitations, les bergers, mais également les élus locaux ne peuvent plus faire face.
Avec un taux de croissance annuel de près de 20 %, près de 500 loups adultes seraient présents en France.
Face à ces chiffres, le montant des indemnisations, plus que jamais nécessaires, explose, jusqu’à atteindre désormais plus de 20 millions d’euros par an.
Dans le même temps, les inquiétudes sont toujours plus nombreuses sur le terrain.
Du fait du développement des activités sportives et de loisirs en montagne, nous constatons des incidents, dont le nombre risque de s’accroître, entre les randonneurs et les chiens de protection, que la présence du loup soumet à une pression continue. Cela aboutit à des drames humains face auxquels les élus locaux n’ont pas de moyens de réponse. Aussi, certains d’entre eux décident de fermer l’accès aux chemins de randonnée pour éviter de subir de telles tragédies.
L’activité économique du pastoralisme étant elle-même menacée, de nombreux éleveurs décident de mettre fin à leur activité.
Cette situation démontre finalement trois choses : le loup gagne la bataille géographique, en avançant sur les terres ; le loup gagne la bataille économique, car la détresse des éleveurs est telle qu’ils sont nombreux à vouloir arrêter leur activité ; le loup, enfin, est en train de gagner la bataille politique face à l’absence de propositions des pouvoirs publics.
Nous connaissons d’ores et déjà les réponses qui nous seront faites.
La convention de Berne et la directive Habitats nous empêchent de mettre en place des politiques plus fermes sur le sujet. Mais peut-on encore considérer le loup comme une espèce en voie de disparition ?
Monsieur le ministre, comment peut-on le prétendre, quand l’ambition du Gouvernement est de réformer et de faire avancer l’Europe ? La détermination de chacun devrait permettre de revenir sur ces textes, alors qu’une majorité de pays européens est désormais affectée par la question des prédateurs.
Le Gouvernement aurait présenté un plan Loup 2018-2023 ambitieux. Toutefois, pour les éleveurs, les mesures prises ne paraissent pas à la hauteur face aux réalités du terrain et aux attentes des acteurs du pastoralisme.
Ce plan illustre parfaitement le peu de considération qu’a le Gouvernement pour les territoires. Face à une telle indifférence, j’espère que la proposition de résolution que nous adopterons permettra au Gouvernement de réaliser des avancées, d’amender le plan Loup et d’ouvrir des négociations sur le sujet au niveau européen afin de revoir à la hausse le nombre de prélèvements par rapport au nombre de loups présents sur les territoires ; c’est une question de bon équilibre de la biodiversité.
En conclusion, je citerai le Président de la République : le 25 janvier 2018, il annonçait vouloir remettre « l’éleveur au milieu de la montagne » ; or, aujourd’hui, nous constatons que ce sont toujours les loups qui sont au milieu de la bergerie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Patricia Morhet-Richaud, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour votre engagement et pour la qualité des travaux que vous avez menés ensemble au sein de la mission d’information relative à la gestion des loups sur le territoire français et au pastoralisme, dont vous étiez le rapporteur, monsieur Pellevat.
Je veux par ailleurs, sans ambages, saluer votre volonté de prolonger ces réflexions, tout au long de la session parlementaire qui s’ouvre, par le biais d’un groupe de travail consacré au pastoralisme, que pilotera Mme Morhet-Richaud.
Vos nombreuses auditions d’élus locaux et d’éleveurs, ainsi que la diversité des acteurs impliqués, nous fournissent une matière bien précieuse pour continuer à travailler.
Je n’ignore rien des difficultés que subissent les éleveurs du fait de la prédation, principalement en raison de la présence du loup.
Vous avez été plusieurs à le rappeler, les chiffres, aujourd’hui, parlent d’eux-mêmes : on estime à 430, en sortie d’hiver 2017-2018, le nombre de loups présents sur le territoire national, et ce dans plus de 74 zones de présence permanentes, dont 57 comprennent des meutes.
M. Michel Savin. Plus que ça !
M. Stéphane Travert, ministre. L’aire géographique d’implantation du loup s’étend. Or la prédation fait près de 12 000 victimes, majoritairement ovines.
Les éleveurs ont mis en place des mesures de protection, financées à hauteur de plus de 23 millions d’euros par an par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation et le FEADER, le Fonds européen agricole pour le développement rural. L’indemnisation est quant à elle assurée par le ministère de la transition écologique et solidaire, à hauteur de 3,5 millions d’euros par an. Bien sûr, ces montants ne couvrent qu’une partie des dépenses nécessaires à la cohabitation du loup et de l’élevage sur ces espaces d’agropastoralisme.
La détresse et l’angoisse des éleveurs sont réelles et compréhensibles ; je veux particulièrement leur dire que l’État est à leurs côtés, que je suis à leurs côtés. J’ai rencontré un certain nombre d’entre eux et j’ai pu lire maintes fois sur leur visage l’angoisse et la fatigue ; j’ai perçu les conséquences de cette situation sur leur santé et sur leur vie de famille. Le Gouvernement et moi-même y sommes particulièrement sensibles.
C’est pourquoi nous avons mené de larges consultations sur le nouveau plan national d’actions : il s’agissait de comprendre toutes les contraintes, d’évaluer tous les enjeux, d’entendre toutes les positions.
Ce plan, finalisé en février dernier, guidera l’action du Gouvernement sur les six prochaines années. Il offre plus de moyens aux éleveurs et les remet au centre de la montagne, tout en offrant au loup un cadre protecteur.
Ce plan – j’y reviendrai – pourra être révisé une fois le seuil de viabilité de 500 loups atteint.
Mme Marie-Pierre Monier. On y est déjà !
M. Stéphane Travert, ministre. Même si j’ai conscience de ses limites au regard des attentes des acteurs agricoles, ce plan comporte de réelles avancées.
En effet, il inscrit le principe d’une gestion adaptée aux impacts sur l’élevage et aux réalités des territoires.
En outre, l’État poursuit son appui financier au déploiement des mesures de protection des troupeaux en fonction de l’expansion du loup.
Vous le savez, l’un des éléments clefs de cette protection est le gardiennage par l’activité des bergers. C’est pourquoi le Gouvernement s’engage à négocier avec la Commission européenne la prise en charge à 100 % du coût du berger salarié, contre 80 % dans le plan précédent.
Par ailleurs, la prédation sera abordée dans la formation des bergers ; l’attractivité du métier sera renforcée et le recrutement ainsi facilité.
Un réseau de référents techniques, déjà opérationnel, permettra de diffuser les savoir-faire et de sécuriser l’utilisation des chiens de protection, sous forme de formations collectives ou de conseils individuels.
Par ailleurs, une expérimentation menée dans les parcs nationaux de la Vanoise et du Mercantour vise à mobiliser une brigade de bergers mobiles expérimentés pour venir en aide aux éleveurs dans les foyers d’attaque les plus importants.
Au-delà de la protection des troupeaux, le soutien au pastoralisme constitue un élément très important de ce plan. Des plans de soutien à l’économie de montagne, sur le modèle pyrénéen, vont voir le jour sous la houlette des préfets coordonnateurs des Alpes et du Massif central.
La conditionnalité de l’indemnisation des dommages, c’est-à-dire l’obligation, pour un éleveur souhaitant être indemnisé, d’avoir, au préalable, mis en place des moyens de protection suscite des incompréhensions, je le sais. Cette obligation, qui résulte de l’application des lignes directrices agricoles européennes, vise à assurer la sécurité juridique et financière du dispositif d’indemnisation. Conscient des contraintes qu’il impose, le Gouvernement veillera à un déploiement progressif de ce principe.
Par exemple, il ne s’appliquera ni aux nouvelles zones de présence du loup ni à la première attaque. Des dérogations seront possibles sur les fronts de colonisation où la mise en œuvre de mesures de protection est difficile, ainsi que pour les troupeaux considérés comme non protégeables.
M. Alain Marc. C’est trop techno !
M. Stéphane Travert, ministre. Une concertation avec les représentants de la filière va définir des critères pertinents.
M. Vincent Segouin. Une usine à gaz !
M. Stéphane Travert, ministre. Il n’y a là rien de « techno », ce sont des mesures simples et rapides à mettre en œuvre.
J’ajoute que la révision de ce régime d’indemnisation des dommages liés à la prédation intègre également une revalorisation des barèmes et la prise en compte des pertes indirectes telles que la baisse de lactation, ou encore le stress des animaux. Ces modalités, qui doivent encore être validées par la Commission, devraient aujourd’hui être en mesure de rassurer les éleveurs.
Cela dit, il faut également agir pour la maîtrise du développement de la population de loups.
Cette année, la destruction de 10 % de la population de loups, soit 43 animaux, a été autorisée. Ce taux pourra être porté à 12 % en cas de nécessité. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Que c’est techno !...
M. Stéphane Travert, ministre. De plus, pour protéger les troupeaux toute l’année, la nouvelle réglementation donne le droit aux éleveurs de continuer à pratiquer des tirs de défense au-delà du plafond annuel de loups pouvant être tués.
Le plan prévoit également une libéralisation des modes de tir, notamment du tir de défense simple avec une arme à canon rayé, et un accès plus rapide au tir de défense renforcée.
M. Bruno Sido. Le tir à l’arc ! (Sourires.)
M. Stéphane Travert, ministre. La possibilité de procéder à des tirs d’effarouchement sans autorisation administrative est également accordée. Le renforcement des pouvoirs des préfets pour une gestion adaptative et de proximité améliorera l’efficacité de ce dispositif.
Pour le suivi des populations de loups, il est indispensable de se fonder sur des données solides et des méthodes de collecte rigoureuses. Ce travail est mené par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, seul organisme en mesure de délivrer des informations fiables. Les données sur les constats de dommages sont disponibles sur la base de données Géoloup.
Le plan Loup prévoit le regroupement de l’ensemble des informations dans une base de données nationale réactive, partagée et multifonctionnelle, qui comportera un suivi des dommages, des cartes, et un certain nombre de graphiques très utiles pour l’ensemble des éleveurs.
Comme vous le savez, les engagements de la France en matière de préservation de l’espèce nous obligent à respecter l’objectif de viabilité de 500 loups. (MM. Alain Marc et Joël Guerriau s’exclament.) Une fois cet objectif atteint, il conviendra de revoir ensemble les modalités de gestion de l’espèce.
Par ailleurs, un axe fort du plan Loup vise à adapter l’intervention publique à l’évolution des connaissances scientifiques, en particulier pour l’amélioration des techniques de protection des élevages et d’effarouchement du loup. Des travaux seront menés avec l’appui du conseil scientifique permanent du plan. Ce conseil, en cours de mise en place, constituera une instance experte en matière d’éthologie, de systèmes agropastoraux, d’effets des tirs de loups sur la prédation et la population, ou encore de techniques d’effarouchement.
Enfin, une étude prospective pluridisciplinaire sur le pastoralisme à l’horizon de 2035 est lancée afin de mieux mesurer la capacité du pastoralisme à se maintenir, voire à se développer en présence du loup. (Mme Françoise Laborde s’exclame.) Ses conclusions auront vocation à éclairer les choix politiques futurs.
Le plan Loup fait l’objet d’un suivi, d’informations et d’échanges dans le cadre du groupe national Loup, réuni trois fois l’an, présidé par le préfet coordonnateur et regroupant les acteurs concernés : organisations nationales socioprofessionnelles et associatives, administrations et établissements publics. Cet espace de dialogue doit permettre un traitement équilibré du sujet au regard des différents enjeux.
Ce plan ouvre une nouvelle page des relations du pastoralisme avec le loup, ce qui – je l’espère – permettra une cohabitation plus apaisée.
Je comprends l’urgence, je comprends aussi les craintes. (Exclamations sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) Alors, sachez que je serai particulièrement attentif à la mise en œuvre rapide et efficace des actions prévues. Nous évaluerons d’ailleurs ce plan à mi-parcours, avant le déploiement de la deuxième phase, pour adapter si nécessaire ses actions.
Comme pour le loup, le plan d’actions Ours brun 2018-2028 vise à concilier la présence de l’ours avec le pastoralisme et à diminuer la prédation sur le bétail. Des accompagnements sont également prévus. Vous avez été nombreux à en faire état.
Nous faisons confiance aux acteurs et aux élus locaux pour dépassionner le débat et construire ensemble cette coexistence sur le long terme.
Je terminerai mon propos par une note optimiste sur le pastoralisme, sans occulter pour autant les difficultés rencontrées sur nos territoires.
Comme le souligne parfaitement votre proposition de résolution, le pastoralisme est une pratique ancestrale et collective qui a modelé profondément les milieux montagnards français et leurs paysages. Nous y sommes attachés, car des femmes et des hommes participent chaque jour à la conservation et à l’utilisation durable de la biodiversité sauvage, à la variété de la flore des prairies de montagne et de la faune associée, mais aussi à la conservation de la biodiversité domestique, de nos races de vaches et de brebis adaptées à ces milieux spécifiques et difficiles, une forme de biodiversité elle aussi à préserver et à mettre en valeur.
Nous le savons : sans pastoralisme, pas de milieux ouverts,…
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Stéphane Travert, ministre. … pas de tourisme en été ni en hiver, pas de développement économique pour nos montagnes !
Ces femmes et ces hommes ont su tirer parti des contraintes du milieu naturel pour développer des filières remarquables et des produits de qualité qui font l’excellence du patrimoine gastronomique français et assurent à certaines filières sous signe de qualité des prix du litre de lait payés au producteur parmi les plus élevés de France. Certes, ces expériences ne sont pas reproductibles partout et des différences existent entre les territoires. Néanmoins, il est important de mettre à profit les réussites que nous avons pu constater – réussites passées, actuelles, mais aussi à venir, parce que je sais qu’il y en aura !
N’oublions pas les ressources et les capacités d’adaptation et d’innovation de ces territoires et de leurs habitants, sur lesquelles nous comptons pour redonner espoir à nos éleveurs !
Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation est pleinement mobilisé au quotidien pour accompagner les territoires et leurs filières, notamment via les plans de filière qui sont nés des États généraux de l’alimentation. Je serai particulièrement attentif à la prise en compte des enjeux du pastoralisme et à son soutien dans le cadre de la PAC d’après 2020.
Pour conclure, je ne peux que vous inviter vivement à poursuivre vos travaux (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)…
M. Bruno Sido. Merci !
M. Stéphane Travert, ministre. … et à inciter les acteurs concernés à participer à la mise en œuvre et au suivi du plan sur le terrain. Cela, à mon sens, rend encore prématurée l’adoption de votre résolution. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, et du groupe socialiste et républicain. – Des sénateurs imitent le hurlement du loup.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution sur le pastoralisme
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu le rapport d’information du Sénat sur la protection et la mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne (n° 384, 2013-2014) – 19 février 2014 – de Mme Hélène Masson-Maret et M. André Vairetto, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire,
Vu le rapport d’information du Sénat relatif au Plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage (n° 433, 2017-2018) – 17 avril 2018 – de M. Cyril Pellevat, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable,
Considérant que le pastoralisme, pratique agricole ancestrale et collective, demeure essentiel à la vie des territoires, en particulier montagneux, et que sans le pastoralisme, la montagne ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui ;
Considérant que le pastoralisme appartient au patrimoine français et bénéficie à l’ensemble de la société ;
Soulignant que le pastoralisme promeut une agriculture extensive de qualité, à forte composante artisanale, souvent valorisée par le recours à des signes officiels de qualité et aux circuits courts ;
Estimant que le pastoralisme façonne les paysages qu’il utilise au bénéfice d’autres activités économiques comme le tourisme ou les activités sportives ;
Rappelant qu’il joue un rôle essentiel en matière de prévention des risques naturels comme les incendies, les avalanches ou les glissements de terrain ;
Affirmant que le pastoralisme et le pâturage extensif sont des conditions essentielles de la préservation de la biodiversité, de la valorisation des ressources naturelles de nos territoires et de leur aménagement durable ;
Regrette que les effets positifs du pastoralisme ne soient pas valorisés à leur juste valeur et que les revenus des agriculteurs concernés soient plus faibles que la moyenne du secteur agricole compte tenu des surcoûts induits par la topographie difficile de ces zones agricoles ;
Rappelle en conséquence l’importance de valoriser les externalités positives des activités pastorales au regard des services rendus, tant à l’égard de la société que de l’environnement, ce qui devrait valoir aux éleveurs une meilleure rémunération des biens publics qu’ils produisent ;
Craint une réduction des surfaces pastorales compte tenu de la pression urbaine et du renchérissement du prix du foncier ;
Souligne que le changement climatique menace le pastoralisme en dégradant les conditions de l’élevage, notamment par la recrudescence des maladies auxquelles sont exposés les troupeaux et par la raréfaction de certaines ressources naturelles ;
Dénonce, compte tenu de ces éléments, le sentiment d’abandon légitime que les éleveurs pastoraux ressentent ;
S’inquiète des négociations en cours relatives à la politique agricole commune, qui pourraient menacer l’équilibre économique déjà précaire des exploitations pastorales ;
Souhaite une sanctuarisation des moyens mobilisés pour les activités pastorales par la politique agricole commune ;
Appelle à la reconnaissance plus large des surfaces pâturées fournissant des ressources alimentaires pour les troupeaux en tant que surfaces agricoles admissibles aux aides de la politique agricole commune ;
Estime que toute mesure de soutien au pastoralisme ne saurait atteindre ses objectifs si une protection effective des systèmes pastoraux contre les grands prédateurs n’était pas assurée ;
Juge que la prédation, en exacerbant les difficultés de l’agriculture pastorale, l’expose à un danger de mort ;
Rappelle que la prédation est polymorphe et concerne tant le loup que l’ours ou le lynx, dans toute l’Europe mais avec des enjeux particuliers en France ;
Souhaite une gestion intra-européenne coordonnée des populations de grands prédateurs, permettant d’anticiper leurs mouvements et de connaître précisément l’état de conservation des espèces concernées ;
Constate la détresse des éleveurs face à la multiplication des actes de prédation et leur solitude dans ces épreuves dont les conséquences peuvent être dramatiques et qui alimentent un cercle vicieux de souffrances, d’incompréhensions et de dépenses ;
Juge indispensable une refonte du système d’indemnisation des éleveurs afin d’assurer la célérité des paiements et la juste reconnaissance des préjudices subis ;
Appelle plus spécifiquement le Gouvernement à bien mesurer l’ampleur des dégâts liés à la présence de l’ours dans les territoires concernés ;
Considère que toute réintroduction de spécimens ursidés devrait se faire au terme d’une étude d’impact approfondie et d’une concertation préalable associant les éleveurs et les élus locaux ;
Observe également que les territoires pastoraux sont confrontés au retour du loup depuis plus de vingt-cinq ans dans le massif des Alpes et que cette colonisation, initialement circonscrite aux régions alpines, s’étend désormais à l’Ouest vers les Pyrénées, l’Aveyron, l’Hérault, l’Aude, la Lozère, le Puy-de-Dôme, le Jura ou encore les Vosges, exposant ces régions à une augmentation continue des actes de prédation ;
Relève que l’arrivée, depuis l’Europe du Nord, d’une nouvelle population de loups au Luxembourg et en Belgique constitue également une source d’inquiétude pour les territoires du Nord de la France jusque-là épargnés par la prédation lupine ;
Considère que cette extension non maîtrisée du front de la colonisation lupine fragilise l’équilibre entre les activités humaines et la protection dont fait l’objet cette espèce dans le cadre de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (dite « directive habitats ») et de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe signée à Berne le 19 septembre 1979 ;
Observe en particulier que, si le nouveau Plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage comporte des avancées pour les territoires, il demeure très en deçà des enjeux sociaux, économiques, culturels et psychologiques auxquels sont confrontés les éleveurs, les populations et leurs représentants élus ;
Juge que, face à cette évolution, les mesures déployées par l’État pour la protection des troupeaux, le financement d’études scientifiques ou la mise en œuvre de tirs de prélèvement par dérogation à la réglementation apparaissent insuffisantes pour garantir le maintien des activités économiques liées à l’élevage et, plus largement, le développement de territoires aux traditions sociales et culturelles ancestrales ;
Appelle à la rénovation urgente du cadre de la politique du loup pour apporter une réponse pérenne à un malaise social grandissant ;
Juge urgent de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires afin d’améliorer la fiabilité des données sur le nombre des loups et la transmission de ces informations par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage aux élus locaux ;
Souligne la nécessité d’améliorer la connaissance scientifique tant sur l’hybridation que sur l’éthologie du loup pour mieux adapter la réponse humaine ;
Invite instamment à développer les mesures alternatives aux tirs de prélèvement pour réapprendre aux loups à se méfier et à se tenir à l’écart des hommes ;
Estime nécessaire de revenir sur le choix de conditionner les indemnisations à la mise en place de mesures de protection, d’améliorer la prise en charge des chiens de protection et de reconnaître réellement la notion de troupeau non protégeable, pour tenir compte des caractéristiques topographiques de certaines régions pastorales ;
Encourage le Gouvernement à plaider pour une révision du niveau et des modalités de protection de certaines espèces aux niveaux européen et international ;
Appelle à trouver un équilibre plus favorable aux activités humaines entre la préservation de l’environnement et le développement des territoires.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 1 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l’adoption | 313 |
Contre | 21 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Plusieurs sénateurs imitent le hurlement du loup.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
6
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’appelle chacun de vous à observer, au cours de nos échanges, l’une des valeurs essentielles du Sénat, le respect des uns et des autres et le respect du temps. « Le temps, le temps, le temps et rien d’autre » : voilà ce qu’un chanteur disparu hier nous donne en partage, si vous me permettez ce clin d’œil très respectueux (Applaudissements).
différenciation fiscale pour l’outre-mer
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Jean-Louis Lagourgue. Ma question s’adresse à Mme la ministre des outre-mer.
Madame la ministre, vous avez placé votre projet de budget sous le signe de la récompense du travail, du soutien aux entreprises et du pouvoir d’achat. Nous ne pouvons que vous soutenir dans cette voie, qui est également celle que nous défendons.
Toutefois, si nous approuvons le fond, nous nous interrogeons sur la méthode. Quelles que soient les priorités politiques, pouvons-nous continuer à loger tout le monde à la même enseigne ? Sénateur ultramarin, je suis toujours frappé par les velléités d’uniformisation de la métropole, et ce depuis de nombreuses années.
Votre gouvernement a déjà évoqué l’encouragement à la différenciation. Laissons de l’air aux territoires. Laissons-les innover. Ils savent mieux que personne ce qui est bon pour leur population.
J’en veux pour preuve deux exemples.
Le premier exemple, c’est votre réforme de l’abattement fiscal pour les populations d’outre-mer, abattement pourtant essentiel pour les classes moyennes. Cette mesure permettait de compenser la vie chère, en partie liée à l’octroi de mer. Vous annoncez que les sommes économisées seront réallouées à l’outre-mer : je vous demande des assurances sur la pérennisation de ce dispositif.
Le second exemple, c’est la suppression de la TVA non perçue récupérable. Ce dispositif a pourtant des effets positifs sur le financement des investissements productifs dans nos territoires d’outre-mer.
Ces mesures ne sont pas des avantages indus. Elles sont le reflet des sujétions et des spécificités des outre-mer. Les supprimer ne supprime pas les différences !
Madame la ministre, dans ce budget et dans les budgets suivants, comment comptez-vous mieux respecter les différences entre les territoires, riches et pauvres, ruraux et urbains, métropolitains et ultramarins ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, le Gouvernement a choisi de placer ce budget sous le signe de la transformation et du soutien aux projets dans les territoires. Vous avez raison, il faut garder cette différenciation et, pour cela, « donner de l’air » – je reprends vos propres termes – aux territoires, aux projets et aux solutions.
Bien sûr, les dépenses fiscales que vous évoquez ne sont pas des avantages indus, mais ce sont aujourd’hui des dépenses inefficaces, inutiles, quelquefois hors d’âge, dont les produits ne bénéficient pas aux Ultramarins.
Pourquoi, en 1960, cette réduction d’impôt sur le revenu a-t-elle été mise en place ? Selon les textes officiels, il s’agissait de « permettre aux DOM de s’acclimater progressivement à la fiscalité nationale. » Pour pouvoir mieux l’évaluer, il est toujours bon d’aller voir pourquoi un dispositif a été instauré. Aujourd’hui, ce mécanisme accroît les disparités de revenus dans les territoires, qui – vous avez raison, monsieur le sénateur – sont parmi les plus inégalitaires de la République. Le plus souvent d’ailleurs, il ne bénéficie pas aux outre-mer et sert majoritairement à une épargne qui échappe complètement à ces territoires.
Soyons clairs, nous ne touchons pas au taux de cet avantage fiscal : nous allons en diminuer le plafond, ce qui concernera 4 % des foyers fiscaux. Il n’y aura donc aucun changement pour les 96 % restants. Ainsi, pour les couples avec deux enfants, seuls ceux qui gagnent plus de 84 000 euros par an seront touchés par cette mesure. Vous appelez cela les ménages « les plus modestes » ? Pas moi !
Il en est de même pour la TVA non perçue récupérable, qui est aussi un outil inefficace que l’on est en plus incapable d’évaluer aujourd’hui.
Quand on sait combien les territoires d’outre-mer ont besoin d’efficacité pour rattraper leur retard en matière d’investissements structurels, on voit bien qu’il nous faut faire autrement, avec un objectif : remettre la dépense au service du plus grand nombre.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre !
Mme Annick Girardin, ministre. Cela représente 170 millions d’euros par an, 700 millions d’euros sur les quatre prochaines années. Vous le voyez, nous cherchons d’abord l’efficacité. (M. Martin Lévrier applaudit.)
boucheries
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Noël Cardoux. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’intérieur, qui n’est pas là. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Où est-il ?
M. Jacques Grosperrin. Il est en congé !
M. Jean-Noël Cardoux. Depuis plusieurs semaines, on ne compte plus les boucheries, charcuteries, poissonneries et fromageries harcelées, attaquées, détériorées au nom d’une cause prétendument animale.
Vendredi dernier, l’abattoir de Haut-Valromey, dans l’Ain, a été la cible d’un incendie criminel, laissant 80 employés au chômage technique.
Les mêmes activistes tentent d’empêcher ou de perturber de nombreuses activités liées au monde rural, pourtant exercées légalement. Les associations à l’origine de ce vandalisme sont ultra-minoritaires, mais bénéficient de forts soutiens médiatiques et financiers.
Personne ne conteste la nécessité de prendre en compte le bien-être animal, aussi bien celui des animaux d’élevage que celui des animaux de compagnie, mais il n’est pas acceptable qu’une très faible minorité veuille imposer par la violence un mode de vie mettant en cause l’équilibre de notre société au nom d’une utopie importée des pays anglo-saxons. Si de telles actions perdurent, des affrontements sont à redouter.
Que compte faire le Gouvernement pour mettre fin à de tels agissements et protéger dans notre société civilisée ceux qui exercent pacifiquement des activités légalement autorisées ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Il est où, M. Collomb ?
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Jean-Noël Cardoux, chacun est libre de ses choix, notamment de ses choix de consommation. Évidemment, vous l’avez réaffirmé, personne ici ne menacerait cette liberté-là. Pour autant, jamais nous ne pourrons accepter que, au nom de cette liberté de choix, certains atteignent au principe même de la libre vente, de la libre exploitation, de la libre commercialisation et même de la sécurité (M. Bruno Sido s’exclame.), celle des boucheries, celle des étals, mais aussi celle des abattoirs. Je pense à l’abattoir de l’Ain qui, le 28 septembre dernier, a été la cible d’un incendie.
Il nous faut d’abord observer attentivement l’évolution des mouvements antispécistes, animalistes ou vegan. Au nom du Gouvernement, je tiens à vous dire qu’ils font l’objet d’un suivi particulier de la part des services de renseignement, compte tenu du durcissement de leur attitude. Sur ce sujet, il ne faut évidemment pas mettre tout le monde dans le même sac, mais certains comportements nécessitent une attention toute particulière.
Dans le même esprit, le Gouvernement a reçu le président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs voilà quelques semaines, pour mettre en place des observations, des surveillances et des suivis, en particulier à destination des lieux les plus menacés, compte tenu des informations que nous détenons.
De la même façon, le 5 juillet dernier, le ministre de l’intérieur a donné des instructions précises aux préfets de région pour qu’ils reçoivent les représentants de ces professions dans chacun des départements et que, au-delà de cette prise de contact, une information et une protection régulières soient fournies. À l’échelon local, des instructions fermes ont été données pour renforcer la vigilance autour des commerces de viande et rassurer la profession.
Lorsque des exactions ont lieu, il faut que des investigations judiciaires soient systématiquement menées. Ainsi, les 10 et 11 septembre, des investigations diligentées par la sûreté de Lille ont conduit à l’interpellation de six activistes à l’origine de nombreuses dégradations.
Sachez, monsieur le sénateur, que le Gouvernement restera totalement engagé et attentif pour qu’aucune situation ne dégénère. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
M. Jacques Grosperrin. Merci, monsieur Collomb ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour la réplique.
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le secrétaire d’État, je prends acte de votre engagement. Il faut aller très loin : sanctionner les associations qui incitent à l’intolérance et à la violence, rechercher si leurs modes de financement sont licites et, le cas échéant, les sanctionner.
Il faut avoir conscience que, à travers de telles actions, ce sont les terroirs et la culture rurale française qui sont menacés. C’est pourquoi il faut réagir avec force. Bien qu’il soit absent, je voudrais demander à M. le ministre de l’intérieur s’il peut imaginer que les bouchons lyonnais ne servent plus de tabliers de sapeurs ! (Ah ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
corridor mer du nord-méditerranée
M. le président. La parole est à Mme Catherine Fournier, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Catherine Fournier. Ma question s’adresse à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports, et porte sur la proposition, rendue publique le 1er août dernier, du nouveau règlement européen qui exclut tous les ports français du corridor mer du Nord-Méditerranée pour le fret maritime reliant l’Irlande à l’Europe continentale.
Jusqu’à présent, la majeure partie de ce trafic passait par les ports du Royaume-Uni. Dans la perspective du Brexit, la Commission européenne envisage le retour des barrières douanières dans les ports britanniques et anticipe ainsi la nécessité pour les Irlandais de remanier leurs itinéraires de fret maritime.
Cette situation est pour nous une opportunité à saisir. Elle peut donner un nouvel élan aux ports français et, ainsi, renforcer leur attractivité. Si elle est maintenue, cette révision fera des ports du Benelux, comme Anvers ou Rotterdam, les grands gagnants du Brexit. Madame la ministre, vous concevez bien que cette décision serait inacceptable.
En réponse aux interrogations formulées auprès de la commissaire européenne aux transports, celle-ci a déclaré que ce projet ne remettait pas en question les financements en cours sur le mécanisme pour l’interconnexion en Europe, dit MIE 1. Mais qu’en sera-t-il pour le MIE 2, qui prévoit d’allouer un financement de 30,6 milliards d’euros aux infrastructures de transports sur la période 2021-2027 ?
Nous pouvons présager qu’une telle position ne ferait qu’accentuer l’écart de développement entre nos ports et ceux de nos voisins d’ici à 2020 et aurait automatiquement une influence sur les fléchages financiers du MIE 2. Cette hypothèse ne nous convient évidemment pas.
C’est pourquoi, madame la ministre, nous aimerions connaître vos positions et propositions lors des négociations avec la Commission européenne, mais aussi les ports que vous souhaiteriez voir réintégrés au corridor, ainsi que la date d’entrée en vigueur de ce règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice Catherine Fournier, je veux être claire devant la représentation nationale :…
Mme Élisabeth Borne, ministre. … cette proposition de la Commission européenne n’était pas acceptable. J’ai eu l’occasion de le dire en ces termes à la commissaire européenne dès le mois d’août dernier. L’annonce prématurée de cette proposition était d’autant plus surprenante que nous avions d’ores et déjà engagé des échanges, notamment entre opérateurs français et irlandais.
J’ai rencontré la commissaire européenne aux transports le 18 septembre dernier et je peux vous dire que notre mobilisation commence à porter ses fruits. J’ai défendu l’inscription de l’ensemble des ports français concernés dans ces nouveaux tracés. Il en ressort que les ports qui figuraient déjà dans le corridor mer du Nord-Méditerranée, notamment le port de Calais, y resteront.
J’ai également sollicité, sans attendre la révision des corridors, la mise à disposition de moyens financiers exceptionnels par l’Union européenne pour tenir compte des effets du Brexit. Des discussions sont en cours sur ce sujet. Il est clair que les ports français doivent avoir toute leur place dans les nouvelles routes maritimes post-Brexit. C’est non seulement une évidence, mais c’est une conviction forte du Gouvernement que nous partageons avec tous les élus des territoires.
Nos ports disposent d’atouts exceptionnels, et nous allons continuer à les défendre. C’est la raison pour laquelle, outre les débats au sein du Conseil et au Parlement, nous allons travailler étroitement avec l’Irlande sur ces sujets.
Vous le voyez, la mobilisation du Gouvernement est totale. Vous pouvez compter sur ma détermination, comme je sais pouvoir compter sur votre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
parcoursup
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme Françoise Cartron. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Permettez-moi de commencer mon propos en rendant hommage à un grand scientifique français, Gérard Mourou, qui vient de se voir décerner le prix Nobel de physique. (Applaudissements.)
Madame la ministre, la plateforme Parcoursup, mise en place en janvier 2018, répond à un objectif : recueillir et gérer les vœux d’affectation des futurs étudiants de l’enseignement supérieur public français. Ce nouveau dispositif est venu remplacer APB, un système très critiqué pour n’avoir pas su gérer l’afflux de demandes, ce qui avait conduit à instaurer le tirage au sort dans les filières en tension, véritable loterie, source d’injustice. (Exclamations sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
La Fédération des associations générales étudiantes, la FAGE, syndicat représentatif des étudiants, a noté un enjeu essentiel dans cette réforme : réduire les disparités d’accès des étudiants aux filières qui leur correspondent et favoriser la mixité sociale.
L’instauration d’un quota de mobilité, par exemple, a permis à 43 % des candidats de l’académie de Créteil de se voir acceptés à Paris, contre 26 % en 2017. Dans la phase principale toujours, 65 % des bacheliers professionnels ont reçu une proposition en section de technicien supérieur, contre 53 % en 2017. Moins de 1 000 bacheliers restent aujourd’hui en accompagnement. (Exclamations sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Me confirmez-vous ces résultats, madame la ministre, notamment la meilleure prise en compte sociale dans l’orientation des étudiants ?(Mêmes mouvements.)
M. le président. Il faut conclure.
Mme Françoise Cartron. Quelles mesures entendez-vous prendre dès l’année prochaine pour raccourcir les délais d’attente dont ont souffert certains élèves, engendrant un stress bien compréhensible ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Martin Lévrier. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Madame la sénatrice, moins d’un an après l’annonce du plan Étudiants et à peine plus de six mois après la promulgation de la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, les trois engagements qui avaient été pris par le Premier ministre et moi-même ont été tenus.
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !
Mme Frédérique Vidal, ministre. Il s’agissait de n’affecter aucun étudiant par tirage au sort, de remettre de l’humain dans le système et de faire en sorte que la rentrée universitaire 2018 coûte moins cher que la rentrée universitaire 2017.
Le bilan est clair, les chiffres sont là : nous sommes très loin des légendes urbaines qui ont circulé pendant l’été.
Ce sont effectivement 23 % de boursiers de plus accueillis dans l’enseignement supérieur, en particulier 28 % de boursiers supplémentaires dans les classes préparatoires les plus sélectives de Paris. Ce sont 20 % de plus de bacheliers professionnels qui ont trouvé une place en BTS cette année par rapport à l’an dernier. Ce sont aussi près de 19 % de plus de bacheliers technologiques qui, cette année, sont inscrits en IUT.
M. Jean-Pierre Grand. Tant mieux !
Mme Frédérique Vidal, ministre. Les professeurs principaux, l’ensemble des équipes pédagogiques des établissements ont travaillé d’arrache-pied afin d’obtenir ces résultats ; c’est à eux que nous les devons. Si Parcoursup et la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants sont une réussite, c’est parce que l’immense majorité du corps enseignant soutenait l’idée qu’il était temps de changer les méthodes d’accès à l’enseignement supérieur. (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.)
Enfin, élément extrêmement concret, le passage au régime général de la sécurité sociale représente 100 millions d’euros d’économies pour les familles et les étudiants dès cette rentrée…
M. le président. Il faut conclure.
Mme Frédérique Vidal, ministre. Bien sûr, les aménagements nécessaires seront réalisés pour que les choses se passent encore mieux l’année prochaine. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Françoise Gatel et M. Daniel Dubois applaudissent également.)
financement des transports en île-de-france
M. le président. La parole est à M. Olivier Léonhardt, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Olivier Léonhardt. Ma question s’adresse à Mme la ministre chargée des transports.
Le 6 septembre dernier, M. Gilles Carrez, député du Val-de-Marne, remettait à M. le Premier ministre son rapport sur le financement du Grand Paris Express. À cette occasion, la presse a rapporté plusieurs pistes de travail à l’étude, notamment la hausse de la taxe sur les surfaces de bureaux, la hausse de la taxe de séjour et la hausse de la taxe Grand Paris.
Madame la ministre, s’il n’est pas question de remettre en cause le bien-fondé du Grand Paris Express, il faut enfin être lucide sur ce projet pharaonique qui engloutira, durant plusieurs dizaines d’années, les investissements en transport de toute la région Île-de-France, au détriment de la modernisation du réseau existant qui est au bord de l’implosion.
Pour rappel, ce projet, dont vous avez hérité, était initialement estimé à 26 milliards d’euros. Nous en sommes aujourd’hui à 35 milliards d’euros, et nous sommes nombreux à penser que la note va encore s’alourdir dans les années à venir.
Avec ses 200 kilomètres de tunnels, ce projet de transports a été conçu comme il y a trente ans, alors que d’autres solutions existaient et existent encore ; des solutions plus rapides à mettre en œuvre, plus écologiques, plus adaptées aux bassins de vie et, surtout, beaucoup moins coûteuses.
Par ailleurs, le compte n’y est pas pour les 5,5 millions d’habitants de la grande couronne ni pour les entreprises qui se battent pour se développer en périphérie de Paris et subissent la dégradation du réseau existant, notamment sur les lignes du RER.
Il y a urgence. Nous ne pourrons pas attendre quinze ans de plus. Les accidents sur les voies se multiplient et des drames ont eu lieu récemment, comme à Brétigny-sur-Orge dans mon département de l’Essonne.
Alors, madame la ministre, ma question est simple : envisagez-vous réellement d’augmenter la taxe Grand Paris, ce qui aurait pour conséquence de continuer à faire payer aux habitants et aux entreprises de grande banlieue des infrastructures de transport qui se développent quasiment uniquement dans la zone dense ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur Léonhardt, vous l’avez rappelé, le Grand Paris Express est un projet essentiel pour le développement de la région-capitale, qui va profondément transformer la vie de millions de Franciliens. C’est un projet d’une ampleur exceptionnelle, avec la construction de 200 kilomètres de lignes nouvelles, 68 gares.
Le Grand Paris Express représente un défi absolument hors normes, mais qui doit bénéficier à l’ensemble des habitants d’Île-de-France, grâce notamment aux nombreuses gares d’interconnexion, ainsi qu’aux lignes de rabattement. Il ne faut pas opposer la réalisation du métro du Grand Paris et la modernisation, l’amélioration des réseaux existants.
C’est tout le sens du plan de mobilisation pour les transports en Île-de-France qui associe la région, les collectivités et l’État. Je rappelle que 7,6 milliards d’euros sont prévus dans le cadre du contrat de plan État-région 2015–2020 au profit de projets et d’améliorations très concrètes pour les Franciliens, qu’il s’agisse du prolongement du RER E, des schémas directeurs des RER, dont le RER C que vous connaissez bien, des prolongements de lignes de métro ou de tramway, des lignes de tram-train, sans parler de l’effort exceptionnel sur la régénération ferroviaire. Je rappelle que nous allons consacrer 50 % de financement de plus dans cette décennie que ce qui a été fait au cours des dix dernières années.
C’est donc un programme extrêmement ambitieux, nécessaire, qui bénéficie à tous les territoires franciliens et qui est conforme à notre priorité : améliorer les déplacements du quotidien des Français pour donner à chacun la possibilité d’accéder aux emplois, aux services et à la formation. (MM. Martin Lévrier et Richard Yung applaudissent.)
avenir des ports français face au projet européen
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans le cadre des négociations sur le Brexit, la Commission européenne a choisi, par une décision autoritaire et technocratique, de redessiner les routes maritimes européennes. Si l’objectif est d’éviter l’isolement de l’Irlande en créant de nouveaux corridors, la solution retenue au cœur de l’été exclut les ports français de la façade nord, du Havre à Dunkerque.
Nos ports faisaient déjà face à la « concurrence libre et non faussée » des ports belges et néerlandais, en particulier Anvers et Rotterdam, dont les moyens ne sont pas les mêmes – 900 millions d’euros de fonds européens pour Rotterdam contre 174 millions d’euros pour tous les ports français.
Maintenant, la Commission change les règles, en bafouant elle-même le sacro-saint principe du libéralisme, en discriminant la France. Comme mes collègues de Seine-Maritime ou du Nord, je suis indignée par cette décision, qui aura évidemment des conséquences directes sur le port de Calais, pour lequel le commerce transmanche représente une part non négligeable du trafic.
Nos ports, malgré les désengagements successifs de l’État, ont lancé toute une série d’investissements, 600 millions d’euros pour le seul port de Calais, visant également à la modernisation de leurs équipements, qu’il s’agisse du Havre ou de l’extension en cours du port de Dunkerque.
Quel message pour les investisseurs, les salariés, les dockers et les industries ! Comment, madame la ministre, une telle décision a-t-elle pu être prise sans l’aval de la France et de son gouvernement ? Où en êtes-vous dans vos échanges avec la Commission ? Comptez-vous regarder passer les navires ou réagir ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mmes Maryvonne Blondin et Martine Filleul applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice Apourceau-Poly, je vous rassure, le Gouvernement ne regarde pas passer les navires, il agit ! Je le répète, cette proposition de la Commission européenne n’était pas acceptable – j’ai eu l’occasion de le dire à la commissaire lors de ma rencontre le 18 septembre dernier –, d’autant qu’elle fait fi de la réalité des trafics actuels, puisque la majorité des flux de marchandises entre l’Irlande et le continent passe aujourd’hui par le Royaume-Uni. L’analyse de la Commission fondée sur les échanges maritimes entre l’Irlande et la France ne peut donc pas préjuger les futurs échanges maritimes entre l’Irlande et le continent.
J’ai donc défendu l’inscription de l’ensemble des ports concernés lors de ma rencontre avec la commissaire. Il en ressort d’ores et déjà que les ports qui figuraient dans le corridor mer du Nord-Méditerranée y resteront. Je le redis, les ports français doivent avoir toute leur place dans les nouvelles routes maritimes à l’issue du Brexit. C’est non seulement une évidence, mais une conviction forte du Gouvernement. Il s’agit de permettre à nos ports de tirer parti de tous leurs atouts. Nous allons nommer prochainement un coordinateur interministériel pour le Brexit qui pourra mener ce travail, en étroite liaison avec chaque port et les collectivités concernées.
Nos ports disposent d’atouts essentiels pour ces échanges avec l’Irlande. Le port de Calais, comme vous l’avez rappelé, joue un rôle majeur dans les échanges entre le Royaume-Uni, la France et l’Europe. En termes de temps de parcours, il faut vingt heures pour assurer la liaison entre Dublin et Cherbourg, contre trente-huit heures pour rallier Zeebruges. L’enjeu est donc clair : faire en sorte que l’ensemble des ports de la façade maritime soit bien intégré dans ces futurs échanges ; je pense à Calais, à Dunkerque ou au Havre, aux ports de l’axe Seine, mais aussi à Cherbourg, ainsi qu’aux ports bretons de Brest et Roscoff. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique, en quelques secondes.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la ministre, je vous ai bien entendue. Je vous ai écrit le 13 septembre 2018 à ce sujet, en vous proposant un plan B : un accord bilatéral franco-britannique pour préserver le hub logistique exceptionnel du Calaisis. J’attends encore votre réponse à mon courrier. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Martine Filleul applaudit également.)
nomination du procureur de paris
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe socialiste et républicain. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jérôme Durain. Madame la garde des sceaux, il flotte dans l’air un parfum désagréable d’ingérence du pouvoir exécutif.
Vis-à-vis du Parlement, d’abord : le gouvernement auquel vous appartenez a tenté d’impressionner, voire d’intimider la commission d’enquête présidée par M. Philippe Bas. Malgré quelques coups de fil déplacés, notre commission a tenu bon et poursuivi ses travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Vis-à-vis du pouvoir judiciaire, ensuite : les trois candidatures présentées pour la succession de François Molins ont toutes été écartées, en dépit d’un grand oral passé devant le Premier ministre. Ce rejet sonne comme une mauvaise manière faite à ces magistrats et comme un désaveu pour vous-même.
Nous vous savons très préoccupée par le vaudeville de la place Beauvau et les portes qui claquent. Malgré tout, madame la garde des sceaux, pouvez-vous nous rassurer sur l’indépendance de la justice ? Pouvez-vous nous garantir la crédibilité du futur procureur de Paris ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Durain, je voudrais vous rassurer : je ne crois pas, comme c’est d’ailleurs le cas pour l’actuel procureur de Paris, M. François Molins, que l’on puisse mettre en doute l’indépendance des procureurs en général, celle du procureur de Paris sur lequel vous m’interrogez en particulier.
Un sénateur du groupe Les Républicains. Et du suivant ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Qu’il s’agisse des commissions d’enquête créées par le Parlement comme des nominations des procureurs, il est toujours important de rappeler les principes constitutionnels. C’est ce que je voudrais faire en quelques mots, monsieur le sénateur.
M. Jean-François Husson. Ah ! On nous fait la leçon !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le dialogue qui est naturellement entretenu entre la garde des sceaux, le Premier ministre et le Président de la République autour de la nomination d’un procureur important, celui de Paris, est un dialogue normal reposant sur un fondement constitutionnel, l’article 20 de la Constitution, qui précise que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Monsieur le sénateur Durain, quelle politique plus importante que la politique pénale de notre Nation ? Il est donc tout à fait naturel que les procureurs de la République soient situés sous mon autorité dans une chaîne hiérarchique et sous l’autorité du Premier ministre ; cela me semble tout à fait évident.
Par ailleurs, la Constitution garantit également l’indépendance de ces magistrats, d’une part parce qu’ils sont libres de l’opportunité des poursuites, d’autre part parce que strictement aucune instruction individuelle ne leur est adressée. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Et mieux, même, le projet de révision constitutionnelle que j’espère avoir le plaisir prochain de porter devant vous (Exclamations sur de nombreuses travées.) conforte ces garanties en donnant au Conseil supérieur de la magistrature un avis conforme sur la nomination des magistrats du parquet.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Pour conclure, le dialogue que j’évoquais devant vous est une question de bon sens. Comment imaginer, sur un poste aussi important, qui a en charge le plus grand parquet de France, des questions extrêmement sensibles, qu’il n’y ait pas de dialogue entre les autorités ? (MM. Arnaud de Belenet et Martin Lévrier applaudissent. – Exclamations sur de nombreuses travées.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.
M. Jérôme Durain. Madame la garde des sceaux, nous avons entendu vos arguments, nous les connaissons, mais nous ne sommes qu’imparfaitement convaincus par ces arguments.
Vous avez parlé de la réforme constitutionnelle. Il faut garantir l’indépendance de la justice, rompre le lien entre votre ministère et le parquet.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce n’est pas ce que vous avez proposé, monsieur le sénateur.
M. Jérôme Durain. Donc, quand connaîtrons-nous le calendrier de la révision constitutionnelle ?
Par ailleurs, nous souhaitons obtenir quelques garanties sur l’ambiance gouvernementale. Finalement, il y a ceux qui sont déjà partis - ils sont six -, ceux qui s’apprêtent à partir, font et défont leurs valises - y a-t-il encore un ministre de l’intérieur ? –, ceux qui regardent les prochaines municipales - quatre pour la seule ville de Paris… Nous avons besoin d’un Gouvernement concentré sur ses tâches, au travail, où règne un peu d’ordre, d’un Gouvernement respectueux des autres pouvoirs, la justice et les parlementaires. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
ruralité
M. le président. La parole est à M. Jacques Genest, pour le groupe Les Républicains.
M. Jacques Genest. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Il y a quelques années, Roger Gicquel ouvrait son journal télévisé en déclarant : « La France a peur ». Aujourd’hui, je peux vous l’affirmer, les ruraux en ont ras-le-bol. Ras-le-bol d’être oubliés, ignorés et, plus grave, méprisés.
La taxation du carburant atteint un niveau intolérable. Nos concitoyens vivant en montagne subissent donc une double peine entre la route et le coût du chauffage. Tributaires de leurs voitures, les ruraux sont donc les premiers ciblés par la limitation uniforme et aveugle de la vitesse à 80 kilomètres par heure.
Dans les territoires, les cabinets des médecins généralistes ferment, aggravant les déserts médicaux ; et ne parlons pas des spécialistes !
Le sentiment d’enclavement n’est en rien diminué par l’internet, qui constitue une nouvelle fracture. Déjà privés d’un niveau acceptable de couverture mobile, les ruraux se voient aussi régulièrement privés de téléphonie fixe sur de longues périodes : qui s’en émeut ?
Cette année, le Gouvernement a refusé de porter les pensions des agriculteurs retraités à 85 % du SMIC. Faire des cadeaux fiscaux aux super-riches et refuser une augmentation à ceux qui perçoivent 700 euros de retraite mensuelle est une bien curieuse manière de pratiquer la solidarité ! Les retraités ruraux, dans leur majorité, perdent du pouvoir d’achat. En effet, ayant pour nombre d’entre eux des revenus très faibles, ils sont déjà exonérés de la taxe d’habitation.
La colère gronde dans les campagnes. L’élément déclencheur sera certainement la taxation du transport routier, souvent le seul moyen d’approvisionnement et d’exportation des productions locales. Après la révolte dans les urnes, nous verrons, je le crains, la révolte dans les champs.
Les ruraux ne sont ni les premiers ni les derniers de cordée, mais les oubliés de la Macronie. Monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire pour redonner l’espoir aux millions de Français de la ruralité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Valérie Létard et Nadia Sollogoub applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Genest, je sais votre attachement au monde rural, que vous représentez excellemment, attachement que je partage totalement, nul ici, je crois, ne pourrait dire le contraire.
Cela étant, nous devons éviter, les uns et les autres, une sorte de poujadisme rural. Nous avons aussi, et je le dis tel que je le pense, pour porter depuis longtemps ces dossiers, la nécessité de montrer que le monde rural avance, qu’il est source d’initiatives, d’innovations. Or ce monde, vous avez raison, considère qu’il est plus éloigné des centres de décisions qu’autrefois, qu’avant même la décentralisation. Cela, nous le vivons, et je dois dire que les fusions autoritaires de régions ou d’intercommunalités n’ont pas facilité les choses… (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
Je vous le dis, au nom du Gouvernement, nous n’entendons pas changer une nouvelle fois les institutions. Nous entendons respecter les communes,…
Mme Sophie Joissains. Très bien !
M. Jacques Mézard, ministre. … car elles jouent un rôle fondamental dans nos territoires ruraux.
Néanmoins, je ne partage pas totalement votre bilan. En ce qui concerne la désertification médicale, le plan Santé de la ministre est, je le crois, excellent pour nos territoires et pour nos établissements de santé qui y sont implantés. Dans le domaine du numérique, l’action que nous menons avec plusieurs ministres représente un progrès important, et vous le savez bien puisqu’un nombre important de pylônes seront installés en Ardèche dès cette année. Enfin, vous avez raison, nous avons besoin de donner davantage de liberté aux services déconcentrés de l’État, parce qu’ils connaissent mieux le territoire que l’administration centrale.
Ce sont des voies essentielles pour progresser…
M. le président. Il faut conclure.
M. Jacques Mézard, ministre. … dans l’intérêt du monde rural, intérêt que nous partageons ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. François Grosdidier. Il faudrait renouveler le Gouvernement !
M. le président. La parole est à M. Jacques Genest, pour la réplique.
M. Jacques Genest. Monsieur le ministre, si défendre la ruralité, c’est être poujadiste, eh bien, je le suis ! En tout cas, je vous invite, avec le Premier ministre et le Président la République, à venir constater le désarroi des habitants des territoires très ruraux comme la Montagne ardéchoise. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
routes nationales non concédées
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs, mes chers collègues, « Faites une pause for me… formidable », pouvait-on lire ce matin sur les panneaux d’information de la SANEF sur l’autoroute A1.
Madame la ministre chargée des transports, ma question concerne les modalités de financement de nos infrastructures routières, un sujet d’actualité puisque le Gouvernement finalise son projet de loi sur les mobilités et que sont enfin connues, après de nombreux mois d’attente, les conclusions de l’audit externe sur l’état de notre réseau routier national.
Le constat, comme on pouvait s’y attendre, est sans appel. Il confirme la dégradation progressive de ce réseau, puisque, depuis 2007, le pourcentage de chaussées en bon état est passé de 57 % à 47 %, tandis que la proportion de chaussées nécessitant un entretien urgent, de surface ou de structure, a, elle, considérablement augmenté.
Concernant les ouvrages d’art, si le rapport établit une relative stabilité du nombre de ponts en mauvais état, il alerte sur le volume croissant de ceux qui nécessitent un entretien.
Dans ma région, 67 % du réseau routier non concédé mériteraient des travaux d’entretien. Pire encore, plus de la moitié des ponts dénombrés par la Direction interdépartementale des routes, la DIR, justifieraient des interventions préventives et une centaine présente des risques pour la sécurité, sans parler du viaduc d’Echinghen, au sud de Boulogne-sur-Mer sur l’A16, certes concédé, construit en 1997 et déjà dans un état critique.
Ces chiffres montrent la nécessité de réaliser un important effort d’investissements.
Les tragiques événements de Gênes nous obligent à la plus grande vigilance en la matière et commandent une intervention affirmée de la part du Gouvernement. Notre commission de l’aménagement du territoire a d’ailleurs décidé la mise en place d’une mission d’information sur les ouvrages d’art.
Le budget annoncé par le Gouvernement pour sa politique d’investissement, bien que considérable, reste malgré tout en deçà des attentes, notamment celles qui ont été formulées dans le cadre du Conseil d’orientation des infrastructures, le COI. Ainsi, les 13,4 milliards d’euros ne permettront pas d’atteindre le scénario 2, alors que, je le rappelle, le COI l’a bâti pour permettre la réalisation des ambitions affichées par le Président de la République.
Je souhaiterais donc connaître, madame la ministre, les modalités de l’arbitrage ainsi réalisé, à la fois sur le montant global de l’enveloppe et sur les clés de répartition entre les différents secteurs de transports. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des transports.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur Corbisez, l’entretien de notre réseau routier, sa remise en état sont la priorité des priorités. Personne ne peut transiger avec cette exigence, qui ne doit plus être une variable d’ajustement, comme cela l’a été trop longtemps. C’est une priorité que je porte depuis mon arrivée à la tête du ministère, et c’est un choix que nous avons eu le courage de faire dès l’été 2017, le drame de Gênes nous ayant rappelé cet impératif.
Mais nous n’avons pas perdu de temps pour agir et inverser la tendance à la dégradation de notre réseau routier. Dès 2018, nous avons augmenté de 100 millions d’euros le budget consacré à l’entretien et à la régénération des routes nationales.
Nous avons aussi fait le choix de la transparence, en lançant des audits sur tous nos réseaux, notamment le réseau routier, audits qui ont été rendus publics en juillet dernier. J’ai également pris la décision de publier la liste des principaux ponts et leur état, car les citoyens ont le droit de savoir.
Ce que cette liste nous montre, c’est que notre réseau n’est pas neuf et que nous avons des infrastructures qui vieillissent. Notre réseau fait toutefois l’objet d’un suivi extrêmement précis et rigoureux et, je tiens à le dire, il n’y a pas de situation d’urgence sur notre réseau. Quand des travaux sont nécessaires, ils sont entrepris. C’est notamment le cas sur le viaduc d’Echinghen que vous connaissez, sur lequel la SANEF est en train de réaliser des travaux.
La programmation des investissements de transports portera cette ambition forte. Nous atteindrons un niveau jamais atteint : 850 millions d’euros d’ici à 2022, 930 millions d’euros sur le quinquennat suivant, à savoir 70 % de plus au cours de cette décennie que ce qui a été fait au cours des années précédentes. Néanmoins, ces investissements supplémentaires représentent des besoins de financements supplémentaires. Nous devrons trouver des ressources pour financer ces besoins prioritaires, et je sais pouvoir compter sur votre sagesse pour nous en donner les moyens. (Mme Patricia Schillinger et M. Alain Richard applaudissent.)
politique générale
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Début septembre, le ministre de l’intérieur ne ménageait pas ses critiques envers le chef de l’État. Quinze jours plus tard, il annonçait sa candidature à la mairie de Lyon, passant par pertes et profits son discours sur le nécessaire renouvellement de la classe politique. Puis l’on apprenait qu’il avait présenté sa démission au Président de la République, laquelle avait été aussitôt refusée. Rebondissement aujourd’hui : on apprend qu’il maintient sa démission…
Un épisode comme celui-là, mettant en scène le Président de la République et l’un de ses ministres d’État, est inédit : nous vivons un grand moment politique ! (M. Jackie Pierre s’exclame.) Alors que l’insécurité en France atteint un niveau de moins en moins supportable pour la population, le Président de la République et le ministre de l’intérieur nous jouent une pièce de théâtre de boulevard : on sort par une porte, on entre par une autre, et le suspense sur l’issue du spectacle demeure…
Lorsqu’on est élu, lorsqu’on est ministre de l’intérieur, on ne peut bien faire son travail que si l’on s’y consacre à 100 % ! Tous les élus s’engagent, et le ministre de l’intérieur se désengage…
Comment pouvez-vous penser faire croire que le ministre de l’intérieur, après ses démêlés avec le Président de la République, est en mesure d’exercer pleinement ses fonctions ? Avez-vous conscience, monsieur le Premier ministre, que les Français ne veulent plus de ces mises en scène, mais qu’ils attendent de la sincérité et des résultats ?
Monsieur le Premier ministre, M. Collomb va-t-il oui ou non quitter le ministère de l’intérieur ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Vives exclamations.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je vous remercie de cet accueil, mesdames, messieurs les sénateurs. (Sourires.)
Vous posez, madame la sénatrice, la question de la sécurité des Français. (Marques d’ironie.)
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Non !
M. Claude Bérit-Débat. « Ce n’était pas la question, mais c’est ma réponse » ! (Sourires.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Depuis ma nomination, le 15 mai 2017, la première priorité de ce gouvernement a toujours été la sécurité des Français. C’est ce qui explique nos choix en matière de réorganisation des services de renseignement, de coordination de l’action de ces services et d’augmentation des moyens budgétaires, matériels et humains mis à la disposition du ministère de l’intérieur. Ce sont là des faits vérifiables, essentiels pour que nos concitoyens aient la certitude que nous mettons en œuvre une politique destinée à garantir leur sécurité.
Ce matin même, une opération de toute évidence préparée depuis quelque temps a été menée, là encore avec le souci constant de protéger nos concitoyens.
M. Roland Courteau. Ce n’est pas la question !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous m’interrogez sur la concentration qui doit être celle d’un ministre de l’intérieur, ce qui vaut aussi, d’ailleurs, pour tous les membres d’un gouvernement.
Je partage parfaitement votre opinion, madame la sénatrice : oui, les ministres doivent se consacrer pleinement à leur tâche. C’est la raison pour laquelle aucun des membres du gouvernement que j’ai l’honneur de conduire ne dirige un exécutif local.
Mme Laurence Rossignol. Ils y pensent très fort !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous reconnaîtrez avec moi que cela n’a pas toujours été le cas lors des deux quinquennats précédents… (Mme Sophie Primas s’exclame.)
L’implication et la concentration d’un ministre qui sert le Gouvernement, son pays et ses concitoyens doivent être entières. C’est d’ailleurs ce qu’a dit Gérard Collomb voilà deux semaines, considérant qu’il devrait quitter le Gouvernement lorsqu’il serait en campagne. Reconnaissez, madame la sénatrice, que cette attitude n’a pas toujours été celle de responsables ministériels qui étaient par ailleurs candidats à des élections. (M. André Gattolin applaudit. – Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Je me contente, sans aucun esprit polémique,…
Un sénateur du groupe Les Républicains. Aucun, en effet… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Édouard Philippe, Premier ministre. … de pointer cette différence.
Vous avez également évoqué des articles de presse parus ce jour et hier soir, madame la sénatrice.
Sur ce point, ma réponse sera d’une parfaite clarté. Aux termes de l’article 21 de la Constitution, le Premier ministre dirige toute l’action du Gouvernement. Jamais je ne laisserai le début du commencement d’une hésitation pointer à ce sujet.
Aux termes de l’article 8, il lui revient de proposer au Président de la République la nomination ou la fin de fonctions des membres du Gouvernement.
Je prendrai donc mes responsabilités et j’aurai l’occasion de faire au Président de la République les propositions que les dispositions constitutionnelles prévoient et réservent au Premier ministre ! (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. François Grosdidier. Le plus tôt sera le mieux !
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour la réplique, en quelques secondes.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le Premier ministre, ma question était très claire : M. Collomb va-t-il rester au Gouvernement ? Vous n’y avez évidemment pas répondu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
clause de conscience ivg
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Bernard Jomier. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Madame la ministre, récemment, le président d’un syndicat de gynécologues-obstétriciens a provoqué une polémique sur l’IVG et la clause de conscience.
Il doit être clair pour tout le monde que personne ne souhaite contraindre un médecin à effectuer quelque acte que ce soit. C’est un principe général qui est garanti par l’article 47 du code de déontologie médicale.
Mais nous ne pouvons plus accepter les remises en cause répétées d’un droit fondamental pour les femmes. Or le caractère superfétatoire de cette clause spécifique apparaît comme une stigmatisation du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse.
Ce droit peine en outre à être effectif, 5 000 femmes se rendant encore chaque année à l’étranger pour une IVG.
Cette double clause apparaît comme une double peine pour ces femmes. C’est la raison pour laquelle, sous l’impulsion de Laurence Rossignol, nous proposons son abrogation.
Madame la ministre, allez-vous enfin supprimer cette clause superfétatoire ? Surtout, quelles dispositions allez-vous prendre pour rendre effectif le droit à l’interruption volontaire de grossesse, par exemple en développant la place des sages-femmes et des médecins généralistes dans la pratique des IVG médicamenteuses comme instrumentales.
Il s’agit, là encore, de garantir un droit que la loi reconnaît à toutes les femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bernard Jomier, tout d’abord, j’ai condamné avec une très grande virulence les propos du président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens, tenus dans le cadre de ses responsabilités syndicales.
Nul ne doute évidemment de ma volonté de faciliter l’accès à l’IVG pour toutes les femmes qui le souhaitent.
Je relève toutefois quelques erreurs dans vos propos, monsieur le sénateur. D’abord, les femmes qui se rendent aujourd’hui à l’étranger pour pratiquer l’IVG le font généralement parce qu’elles ne sont plus dans les délais légaux français.
Par ailleurs, depuis dix ans, le nombre d’IVG réalisées en France est totalement stable. Il n’y a donc pas de difficulté pour recourir à l’IVG, et l’on pourrait même souhaiter que ce nombre diminue, car ce serait le signe d’un accès facilité à la pilule du lendemain et à la contraception.
Cela relève aussi de ma responsabilité de ministre de la santé, et c’est pourquoi j’ai créé une consultation gratuite de prévention autour de la santé sexuelle pour les jeunes filles et, désormais, les jeunes garçons de 17 ans – la mesure est inscrite dans le PLFSS.
M. Didier Guillaume. Très bien !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Selon vous, la difficulté d’accès en France justifierait que l’on supprime cette clause de conscience. Aujourd’hui, seul l’hôpital de Bailleul a connu des difficultés en raison de l’application de la clause de conscience. Nous avons trouvé immédiatement une solution et j’ai demandé à mes services de réfléchir à un moyen d’évaluer les difficultés d’accès potentiel qui pourraient survenir dans certains établissements. Ce travail est en cours avec les agences régionales de santé.
Vous pouvez compter sur mon plein et entier engagement en faveur de l’accès des femmes à l’IVG.
Par ailleurs, comme vous l’avez souligné, nul ne peut imposer un acte médical à un médecin lorsque celui-ci n’est pas vital, ce qui est le cas de l’IVG.
La clause de conscience protège aussi les femmes d’une discussion compliquée avec les médecins et sa suppression pourrait aboutir à ce que l’acte soit parfois pratiqué dans de mauvaises conditions de bienveillance, ce que nous ne souhaitons pas pour des femmes qui se trouvent en grande souffrance à ces moments-là. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour la réplique.
M. Bernard Jomier. Madame la ministre, aucun droit sociétal ne devrait être limité par une clause spécifique.
Vous allez bientôt porter une loi sur l’extension de la PMA à toutes les femmes. Si vous maintenez cette clause pour l’IVG, comment l’empêcherez-vous pour la PMA, comment ferez-vous alors pour que l’on n’avance pas à reculons ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
fiscalité
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe politique.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement pratique un véritable matraquage à l’encontre des personnes âgées.
Il a déjà augmenté de 3 % la CSG payée par les retraités, il met en cause la pension de réversion des veuves et il va maintenant geler le niveau des retraites, ce qui entraînera, au fil de l’inflation, une perte considérable de pouvoir d’achat.
Le président Macron prétend que les retraités sont des privilégiés. Il oublie que beaucoup de retraités ont commencé à travailler à 14 ans, qu’ils ont travaillé 40 heures par semaine, et qu’ils n’avaient que trois, puis quatre semaines de congés payés.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Heureusement qu’il y a eu la gauche !
M. Jean Louis Masson. Au contraire, les actifs d’aujourd’hui bénéficient du travail des générations précédentes. Ils ne commencent à travailler que très tard, ils font 35 heures par semaine, et ils ont cinq semaines de congés payés.
Il faut donc être de mauvaise foi pour prétendre que les retraités vivent aux crochets des actifs.
Les retraites ne sont pas des aides sociales ; elles sont le produit de cotisations versées tout au long d’une vie de travail.
Face aux difficultés budgétaires que chacun connaît, il faut d’abord éviter de creuser les déficits par des mesures démagogiques telles que la suppression de la taxe d’habitation ou la baisse de moitié du prix du permis de chasse.
Les retraités n’ont pas à servir de bouc émissaire pour boucher les trous.
L’Allemagne, monsieur le ministre, vient d’augmenter les retraites de 3,4 %. N’est-il pas honteux que la France fasse exactement le contraire, en laminant le pouvoir d’achat des retraités ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, je voudrais commencer par contester la philosophie qui sous-tend l’une de vos affirmations.
Vous avez présenté les retraites comme un droit acquis à la suite de cotisations. C’est en effet l’acception la plus courante. En réalité, nous savons tous que le système de répartition conduit les générations actuelles à cotiser pour financer les retraites de celles et ceux qui ont fait valoir leurs droits, de la même manière que les retraités d’aujourd’hui avaient financé les pensions servies à leurs aînés.
C’est justement parce que nous avons le souci de préserver dans le temps l’équilibre financier des régimes de retraite que nous veillons à mieux valoriser le travail et que nous avons sollicité un effort des retraités, via une augmentation de la CSG de 1,7 point.
En outre, contrairement à vos affirmations, les pensions de retraite ne sont pas gelées. Elles seront revalorisées de 0,3 %, ce qui correspond pratiquement à la moyenne de la période précédente – 0,4 %.
Comme l’ont souligné Agnès Buzyn et le Premier ministre, aucune menace ne pèse sur les pensions de réversion. Nous travaillons à une réforme des retraites que nous voulons équilibrée, durable et assurant une juste pension à celles et ceux qui font valoir leurs droits. Mais nous ne voulons pas remettre en cause cette architecture et toutes celles et tous ceux qui bénéficient aujourd’hui d’une pension de réversion continueront à en bénéficier sans aucun changement.
Je rappelle également que, même si vous ne partagez pas la réforme que nous avons annoncée, la diminution de la taxe d’habitation dès cette année compensera l’essentiel de l’augmentation de la CSG pour la plupart des retraités.
Enfin, nous avons veillé à ce que les retraités les plus fragiles soient mieux accompagnés, en augmentant de 35 euros au mois d’avril l’allocation de solidarité pour les personnes âgées, que l’on appelle parfois « le minimum vieillesse ». La même hausse sera appliquée en avril prochain et en 2020 afin que, sur trois ans, le minimum vieillesse, pour reprendre cette expression, soit revalorisé de 100 euros. (MM. Didier Guillaume et Jean-Marc Gabouty applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique, en vingt secondes.
M. Jean Louis Masson. Vos explications sont de la poudre aux yeux !
Je vais vous donner un exemple de mensonges que vous venez d’émettre. Vous avez dit qu’en bloquant les retraites, on ne diminue pas le montant touché par les retraités. Or, vous le savez bien, un franc courant n’est pas un franc constant et, si l’on n’actualise pas le montant des pensions en tenant compte de l’inflation, c’est une baisse des retraites ! C’est donc un mensonge que vous venez de formuler ! (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
M. le président. Il faut conclure.
M. Jean Louis Masson. Je conclus. Une étude économique vient de montrer qu’avec toutes ces mesures ciblées contre les personnes âgées, huit retraités sur dix vont perdre en moyenne 700 euros sur deux ans.
M. le président. Concluez !
M. Jean Louis Masson. Donc, ne venez pas dire que vous défendez les retraités, monsieur le secrétaire d’État !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le jeudi 11 octobre prochain, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Comités de protection des personnes
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes (proposition n° 489 [2017-2018], texte de la commission n° 725 [2017-2018], rapport n° 724 [2017-2018]).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
proposition de loi relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes
Article unique
(Conforme)
À la première phrase du premier alinéa du I de l’article L. 1123-6 du code de la santé publique, après le mot : « aléatoire », sont insérés les mots : « parmi les comités disponibles et disposant de la compétence nécessaire à l’examen du projet, ».
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au Gouvernement, puis au rapporteur de la commission, pour sept minutes, et enfin à un représentant par groupe, pour cinq minutes.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui est soumise au vote aujourd’hui répond à un enjeu important pour les promoteurs de recherche impliquant la personne humaine, puisqu’elle vise à renforcer l’efficacité du tirage au sort des comités de protection des personnes, les CPP.
Ce texte, auquel le Gouvernement, par la voix de Mme la ministre des solidarités et de la santé, était favorable à l’Assemblée nationale en première lecture, contribue à l’une des priorités du Gouvernement : maintenir et renforcer l’attractivité de la France en matière de recherche impliquant la personne humaine tout en assurant la sécurité des personnes qui s’y prêtent.
Cette mesure était également préconisée par le rapport sur les médicaments innovants, porté par les sénateurs Yves Daudigny, Catherine Deroche et Véronique Guillotin, que je veux ici remercier.
Notre pays figure parmi les trois États européens les plus attractifs en matière de recherche, aux côtés de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne. Toutefois, depuis quelques années, les chiffres témoignent que nous accusons un retard pour les essais cliniques de phase 1, ceux qui correspondent le plus souvent à la première administration d’un médicament à l’homme.
Aujourd’hui, nous devons non seulement rattraper ce retard pour tenir notre rang, mais aller au-delà, car notre pays a les capacités d’être un leader mondial de la recherche clinique.
À l’occasion du 8e Conseil stratégique des industries de santé, le CSIS, qui s’est tenu en juillet dernier, le Premier ministre a souhaité que le renforcement de l’attractivité de la recherche française soit l’un des axes prioritaires.
L’objectif est de faire de la France, à 5 ans, le premier pays européen en recherche clinique.
Lors de son discours, le Premier ministre a bien noté que, ces dernières années, l’allongement des délais d’autorisation a entravé l’essor des essais cliniques, ce dont tout le monde pâtit : la recherche, les patients et l’industrie.
Aussi, il a annoncé vouloir réduire drastiquement les délais, en les abaissant dès 2019 à 45 jours pour l’Agence nationale de sécurité du médicament, et à 60 jours pour les comités de protection des personnes.
Atteindre cet objectif suppose la mobilisation de chacun.
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, a d’ores et déjà adapté son organisation en mettant en place une phase pilote de fonctionnement selon les exigences du règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments.
Mais les promoteurs, les comités de protection des personnes, ou CPP, dont il est question aujourd’hui, doivent également se mobiliser.
La proposition de loi, qui a recueilli un accueil favorable de votre part lors de son examen en commission, apporte une solution à un point de cristallisation de la mise en œuvre, en novembre 2016, de la réforme des recherches impliquant la personne humaine : le dispositif d’attribution purement aléatoire par un système d’information du dossier de recherche à un CPP.
Comme l’a déjà souligné Agnès Buzyn, ce texte permet de maintenir l’exigence de déontologie forte qui était légitimement voulue lors de la mise en place de ce tirage au sort, à savoir l’absence de tout conflit d’intérêts. Aussi, il s’agit bien d’améliorer le tirage au sort, mais certainement pas de le remettre en cause par un mécanisme qui reviendrait à une spécialisation des CPP.
Cette proposition de loi répond en même temps à la volonté des personnes malades et des professionnels de santé d’accéder dans les meilleurs délais, lorsque cela est possible, à des traitements innovants.
Les travaux à l’Assemblée nationale ont ainsi conduit à ajouter de nouveaux critères afin de rendre le tirage au sort plus efficace.
Le critère de disponibilité permettra de réguler plus finement l’attribution des dossiers et leur examen dans les délais prévus par la réglementation. Ce critère permettra de prévoir un nombre de dossiers traités par les CPP, afin d’éviter l’engorgement des comités, de lisser leur activité et donc d’éviter un retard dans l’examen des dossiers.
Le critère de compétence, quant à lui, permettra de résoudre la question du défaut d’expertise de certains CPP pour l’examen de projets de recherche sur des thèmes particuliers.
Les études avaient ainsi montré que des CPP rencontraient des difficultés à recourir à certaines expertises, les conduisant parfois à rendre des avis très au-delà des délais réglementaires.
Le critère de compétence permettra à des CPP, compte tenu de leur composition et de leur capacité à recourir à l’expertise, de déclarer eux-mêmes, de façon transitoire, ne pas être en mesure d’évaluer certains types de dossiers.
L’ensemble des CPP gardera bien une compétence générale pour donner un avis sur l’ensemble des dossiers de recherche. Cela ne ralentira pas les processus d’instruction, bien au contraire.
Ces deux critères de « disponibilité » et de « compétence » contribueront à rendre plus efficient le tirage au sort. Ils sont à la fois nécessaires et suffisants pour répondre à l’enjeu de diminution drastique des délais d’autorisation des essais cliniques, dont chaque acteur pâtit, en premier lieu les patients.
Cette proposition de loi intervient alors même qu’un ensemble d’actions visant à l’amélioration du fonctionnement des CPP est mis en œuvre.
En effet, le Gouvernement s’est engagé à améliorer les conditions d’exercice des CPP. Nous travaillons par ailleurs à la clarification de l’environnement réglementaire et à la qualification des recherches, ainsi que sur une grille commune d’évaluation des dossiers.
Enfin, cette proposition de loi s’inscrit dans un cadre réglementaire européen en transition : les règlements européens portant sur les essais cliniques de médicaments et sur les dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro entreront en vigueur respectivement en 2020 et en 2022.
Or, dans ce cadre, un CPP qui ne répondrait pas dans les délais prévus par ces règlements rendrait par défaut un avis favorable. Chacun pourra convenir que cela serait préjudiciable à la sécurité des personnes se prêtant volontairement aux essais cliniques.
Aussi, il est indispensable de permettre aux CPP de rendre des avis de qualité dans les délais. C’est l’objectif de cette proposition de loi.
Le Gouvernement se réjouit de la perspective de voir les deux chambres parvenir à un accord dès la première lecture.
Et nous poursuivrons ensemble le travail pour renforcer la recherche clinique française !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Sol, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a adopté le 25 septembre, en procédure de législation en commission, la proposition de loi relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes.
Dans un contexte où la concurrence internationale s’intensifie en matière d’implantation des essais cliniques, c’est le rang de la France dans la recherche clinique mondiale qui est en jeu. Si notre pays continue de faire partie des cinq pays accueillant le plus d’essais cliniques avec les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Canada, l’Espagne et la Belgique commencent à tirer leur épingle du jeu.
Ce n’est toutefois pas par le seul prisme de l’attractivité que nous devons examiner les conditions d’évaluation scientifique et éthique des projets de recherche dans notre pays. La sécurité des volontaires doit demeurer notre première préoccupation, à l’heure où les esprits sont encore marqués par le souvenir de l’affaire Biotrial de 2016. L’indépendance et la pluridisciplinarité de l’évaluation éthique constituent l’ADN des CPP et c’est dans cette logique que notre commission a été à l’origine de l’introduction, dans la loi Jardé, du principe du tirage au sort des CPP.
Le tirage au sort a-t-il allongé les délais d’examen des projets de recherche par les CPP ? Toutes les enquêtes recensées concluent à des délais moyens supérieurs à l’objectif de délai maximal de 60 jours, oscillant entre 70 et 85 jours. En réalité, le tirage au sort a mis en lumière des inégalités entre nos trente-neuf CPP, qui préexistaient à ce mode de désignation.
D’une part, certains CPP n’étaient pas préparés à traiter un flux continu de dossiers et ont dû ajuster leur mode d’organisation à moyens constants. D’autre part, plusieurs CPP rencontrent de véritables difficultés à mobiliser des spécialistes susceptibles d’éclairer le comité dans le domaine de recherche concerné. En 2017, trois CPP ne parvenaient pas à recruter de pédiatres, sept des experts d’essais de phase 1 et onze des experts en radioprotection. L’oncologie, l’oncohématologie, la virologie et l’ophtalmologie constituent d’autres spécialités pour lesquelles des CPP peinent à mobiliser des experts.
Or, à partir de 2020 pour les essais cliniques de médicaments et 2022 pour les essais cliniques de dispositifs médicaux, le silence gardé au-delà des délais réglementaires vaudra accord, et non plus rejet. Il est parfaitement inconcevable que des projets de recherche puissent être entrepris sans validation éthique explicite. Il est d’ailleurs peu probable que les promoteurs s’y aventurent. On peut imaginer qu’ils se reporteront alors sur des pays plus réactifs que nous pour y organiser leurs essais.
Il y va de l’accès des patients aux thérapies innovantes : les essais cliniques suscitent un fort espoir chez des malades qui, après l’échec des thérapies traditionnelles, demeurent en attente d’un nouveau traitement, en particulier en oncologie et en oncohématologie, domaines dans lesquels se concentrent les essais de phase 1 en France. C’est pourquoi nos collègues Catherine Deroche, Véronique Guillotin et Yves Daudigny, dans leur rapport d’information sur l’accès précoce aux médicaments innovants, ont appelé au pragmatisme : ils ont préconisé une modulation du tirage au sort selon la compétence afin d’attribuer un dossier de recherche à un CPP capable de mobiliser des experts dans le domaine concerné.
La présente proposition de loi permet précisément de mettre en œuvre cette recommandation, en modulant le tirage au sort des CPP selon leur disponibilité et leur compétence. L’attribution des dossiers de recherche tiendrait ainsi compte de la charge de travail du CPP et de sa capacité à mobiliser, en interne ou en externe, un spécialiste pertinent pour l’analyse du projet concerné.
Au cours de l’examen de la proposition de loi en commission, Mme la ministre des solidarités et de la santé a confirmé que le critère de compétence serait apprécié souverainement par le CPP et que le système serait suffisamment évolutif pour tenir compte des nouvelles ressources en expertise identifiées par les CPP.
À cet égard, nous plaidons pour la mise en place progressive par la commission nationale de la recherche impliquant la personne humaine d’un réseau national d’experts rapidement mobilisables et pour le déploiement d’un vaste programme de formation des membres de CPP et de leur secrétariat. L’objectif est que plus aucun CPP n’ait, à terme, à se déclarer incompétent sur une spécialité.
Enfin, j’insiste sur l’impératif de prévention des conflits d’intérêts dans l’examen éthique des projets de recherche. Outre le tirage au sort et les déclarations publiques de liens d’intérêts auxquelles sont astreints les membres et experts des CPP, le fonctionnement collégial d’un comité, qui comporte des représentants tant du milieu médical que de la société civile, constitue une garantie puissante d’indépendance.
Mes chers collègues, pour l’ensemble de ces raisons, notre commission a adopté sans modification la proposition de loi. J’invite donc le Sénat à adopter ce texte afin de permettre son application dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour explication de vote.
M. Michel Amiel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, sujet technique s’il en est, la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui est simple, courte et toutefois pleine de conséquences et – oserais-je dire – d’espoir.
Cette proposition cherche à orienter l’attribution d’un dossier de demande d’essais cliniques vers des comités de protection de personnes – CPP – « disponibles et disposant de la compétence nécessaire ».
Les CPP sont chargés d’émettre un avis préalable sur les conditions de validité de toute recherche impliquant la personne humaine. Ils se prononcent sur les conditions dans lesquelles le promoteur – celui qui prend l’initiative d’une recherche, par exemple le laboratoire – assure la protection des personnes, et notamment des participants, ainsi que sur le bien-fondé du projet de recherche, sa pertinence et sa qualité méthodologique. En bref, cette formation s’assure de la qualité éthique du projet de recherche.
Dans la sélection des CPP, la randomisation – terme du jargon médical qui signifie tirage au sort – trouve sa source dans la loi Jardé de 2012.
Ainsi, afin d’éviter les conflits d’intérêts, les promoteurs de recherches sur les personnes humaines ne pouvaient plus choisir les comités validant leurs projets.
Dans son rapport, notre commission a réaffirmé son attachement au système de désignation aléatoire et la profonde conviction de la pertinence de ce système. Ce mécanisme, je cite, « réduit mécaniquement les risques de proximité entre le promoteur d’un projet de recherche et le CPP saisi de son évaluation éthique. »
Le tirage au sort constitue un élément important de prévention des conflits d’intérêts.
Toutefois, la situation et les délais actuels de traitement des dossiers par ces CPP peuvent apparaître préoccupants. En effet, comme le rappelait Mme la ministre des solidarités et de la santé, la moyenne de traitement des dossiers est actuellement de 71 jours, soit 15 jours de plus que les délais légaux, ce qui est d’autant plus préoccupant que le nombre de dossiers examinés par les CPP s’accroît.
Aussi, la proposition de loi vise à établir une répartition optimale de la charge de travail entre les trente-neuf CPP.
C’est pourquoi le groupe La République En Marche, que je représente, défend la position de la commission, qui admet que la modulation de ce tirage au sort « au moins à titre transitoire » permettra de répondre au problème et de fluidifier le traitement des dossiers de recherche.
Je défends cette mesure et voterai ce texte, d’autant plus qu’elle figurait dans le rapport d’information sur l’accès précoce aux médicaments innovants de nos collègues Yves Daudigny, Catherine Deroche et Véronique Guillotin, fait au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales.
N’oublions toutefois pas que ce rapport préconisait aussi, je cite, « un renforcement du niveau d’expertise de tous les CPP par la mise en place de formations adaptées et d’un réseau d’experts rapidement mobilisables ». M. le rapporteur vient de le rappeler.
Alors que les questions de bioéthique sont au cœur de l’actualité, nous avons ici l’opportunité d’améliorer de manière réelle et efficace la recherche médicale en France, en nous assurant que les spécialistes concernés pourront se prononcer plus rapidement sur des recherches qui, espérons-le, conduiront à des avancées thérapeutiques majeures. Mais il s’agit aussi de ne pas laisser se creuser un fossé entre l’industrie pharmaceutique française et celle d’autres pays, peut-être moins sensibilisés aux questions éthiques. (MM. Didier Rambaud et Daniel Chasseing, ainsi que Mmes Mireille Jouve et Catherine Deroche applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de loi a déjà été largement évoqué et je n’en développerai pas davantage la genèse.
Les parlementaires qui sont à l’origine de ce texte déplorent les difficultés rencontrées par les comités de protection des personnes, qui sont bien souvent dans l’incapacité d’évaluer les projets de recherche dans le délai de 45 jours qui leur est imparti. Ils affirment que ces délais trop longs obligent les promoteurs à repousser la mise en œuvre de leurs projets, parfois de plusieurs mois, ce qui nuit à la recherche médicale en France.
Nous partageons ce constat : oui, les délais d’évaluation des projets sont parfois trop longs et oui, certains comités manquent d’experts compétents.
Pour autant, la solution apportée est une fausse bonne idée, qui peut aggraver les défauts dénoncés, au lieu de les supprimer.
Il ressort des auditions que les comités manquent de moyens humains et financiers. En effet, le budget qui leur est alloué stagne, voire diminue, alors que le nombre de dossiers à examiner est en croissance constante.
En outre, l’accès aux experts est inégal, ce qui résulte non seulement de leur nombre restreint dans certains domaines complexes, mais également du manque d’attractivité, au sein des comités de protection des personnes, de la fonction de rapporteur, très faiblement indemnisée.
Or la solution préconisée par cette proposition de loi n’est pas de donner aux comités les moyens nécessaires à l’exercice effectif de leurs missions, et notamment celle, centrale, de veiller à la protection des personnes qui se prêtent à une recherche médicale.
La solution proposée consiste à réduire le nombre de comités parmi lesquels le tirage au sort est effectué. En réduisant ainsi la part de hasard, ne prend-on pas le risque de porter un coup à l’indépendance et à l’impartialité des comités ? En effet, le comité reconnu comme spécialiste de telle ou telle question pourra être facilement identifié. Cela ouvre la porte à de potentielles collusions entre lesdits comités et les promoteurs de projets, bien souvent des industriels, qui ont intérêt à ce que leur projet soit validé, et le plus vite possible, du fait d’enjeux financiers élevés.
Par ailleurs, la mise en place de ce système ne présente aucune garantie démocratique. Mme la ministre des solidarités et de la santé nous a assuré, en commission, que la mise en relation entre les comités et les promoteurs des projets s’effectuerait au moyen d’un système informatique. Mais de simples algorithmes ne présentent pas des garanties suffisantes ! On ne sait pas comment ils sont développés, ni qui s’en servira.
Enfin, on ne sait pas quelles mesures seront prises pour éviter d’éventuels conflits d’intérêts.
Pour nous, la seule façon d’assurer le bon fonctionnement des comités et de garantir le respect de l’intégrité de la personne humaine est de donner des moyens financiers suffisants à ces comités, afin qu’ils puissent fonctionner de la façon la plus efficace possible.
Vous dites vouloir renforcer l’attractivité de la France dans le domaine de la recherche, ce qui paraît légitime puisque la recherche concourt au progrès médical.
Mais le secteur de la recherche est également un marché, dans lequel les entreprises sont en concurrence et cherchent à réduire les délais et les coûts. Pour cette raison, les exigences en la matière doivent être fortes. Or cette proposition de loi donne le sentiment de céder en priorité à des considérations économiques.
Tout nous appelle aujourd’hui – je pense notamment aux différents scandales sanitaires qui ont, hélas, marqué l’actualité récente – à agir afin que les autorités publiques reprennent le contrôle sur les intérêts privés, en renforçant les moyens et les pouvoirs des comités de protection des personnes, mais également des autres organes publics amenés à intervenir sur les questions de santé.
Nous le savons toutes et tous ici : le marché du médicament est une source considérable de profits, avec un chiffre d’affaires dépassant 1 000 milliards d’euros au plan mondial ! Nous ne pouvons laisser cette logique marchande prendre le pas sur la satisfaction des besoins de santé publique. C’est une question fondamentale liée à la maîtrise publique et à la transparence de la recherche médicale.
Pensez-vous réellement que ce soit le rôle de l’industrie pharmaceutique de financer la recherche, de se charger de l’information médicale ou encore de la formation continue des médecins ?
N’est-il pas temps, madame la secrétaire d’État, de donner aux pouvoirs publics un outil qui permettrait de sortir la chaîne du médicament de la loi du marché, ce qui passe, outre la production et la distribution des médicaments, par le développement de la recherche publique ? C’est tout le sens de notre proposition de pôle public du médicament en France et en Europe.
Parce que cette proposition de loi n’est pas assez ambitieuse et qu’elle ne répond pas au diagnostic, que nous partageons par ailleurs, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne pourra pas la voter !
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi entend résoudre le problème de l’allongement des délais de réponse des comités de protection des personnes, les CPP, désignés par tirage au sort et dont l’avis positif est indispensable à la réalisation d’un projet de recherche impliquant des personnes humaines.
Si le consensus est sans équivoque quant aux difficultés auxquelles font face les CPP, les moyens d’y remédier divergent et ne portent pas en leur sein les mêmes répercussions.
Les difficultés des CPP résident dans la baisse de leur budget de fonctionnement de 200 000 euros depuis leur création et dans la mise à disposition de chacun d’entre eux d’un seul équivalent temps plein de secrétariat, qui doit gérer un flux de demandes passé de trois ou quatre dossiers mensuels avant la réforme à désormais neuf ou dix. En outre, je rappelle que leurs membres sont bénévoles, il leur est donc difficile de consacrer plus d’une journée par mois à l’étude des projets.
La réponse la plus rapide et efficace à ces enjeux est-elle de nature législative ? Le doute est d’autant plus permis que l’auteur de la proposition de loi lui-même ne se cache pas de dire qu’elle n’a pas vocation à résoudre l’ensemble des problèmes…
Et nous ne sommes pas seulement dubitatifs quant aux supposées améliorations concrètes que permettrait la modification législative, car la liste des zones d’ombre est importante et les éléments de réponse apportés en commission n’ont pas permis de les dissiper.
En premier lieu, nos doutes portent sur l’opportunité, y compris sur le plan temporel, de toucher par voie de proposition de loi, donc sans étude impact, au corpus législatif issu de la loi Jardé, fruit de longs débats parlementaires en 2012, et ce alors que nous serons saisis dans les prochains mois d’une loi de bioéthique, qui aurait sans nul doute constitué un cadre approprié pour débattre, en connaissance, de l’ensemble des éléments et peser le poids de la nécessité et des implications de cette modification législative.
En second lieu, pourquoi modifier la loi à l’approche de l’entrée en vigueur, au plus tard courant 2020, du règlement européen sur les essais cliniques de médicaments, qui instaurera de fait un cadre exigeant en matière de délais de traitement des dossiers ?
Ce cadre sera non seulement à même de satisfaire les calendriers contraints des promoteurs de recherches, académiques comme privés, mais permettra également de sortir d’une logique de compétition entre pays européens au profit de la compétitivité européenne au niveau mondial.
En France, les acteurs concernés n’ont d’ailleurs pas attendu l’entrée en vigueur de ce nouveau cadre pour se préparer à ses nouvelles exigences en matière de délai : nous avons en effet été le premier pays à lancer une phase pilote de deux ans afin de simuler le futur cadre et ainsi travailler sur la réduction des délais d’évaluation.
Il convient à cet égard de souligner la forte mobilisation des acteurs – la direction générale de la santé, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ou ANSM, les CPP et l’ensemble des promoteurs privés comme académiques qui y ont participé – et les résultats positifs ainsi obtenus, qui ont été présentés par l’ANSM à la fin de 2017. L’Agence s’est même fixé pour objectif d’instruire la moitié des demandes selon les futures exigences européennes sur l’année 2018, illustrant ainsi que les efforts à consentir sont essentiellement de nature organisationnelle et financière.
Nos préoccupations ont également trait aux implications de la proposition de loi, qui introduit une pondération du caractère aléatoire de la désignation des CPP selon deux critères : la disponibilité et la compétence pour évaluer un projet de recherche.
Premièrement, les modifications proposées renvoient à la mise en œuvre – l’opérationnalité du principe de désignation aléatoire – et relèvent par conséquent davantage du domaine réglementaire que du domaine législatif.
Pour preuve, l’article L. 1123–6 du code de la santé publique, dont il est question de modifier le premier alinéa, n’a pas d’autre objectif que de consacrer le principe de désignation aléatoire, rempart pensé par le député Jardé contre les potentiels conflits d’intérêts. L’article renvoie ainsi la détermination des conditions de la désignation aléatoire à un autre article, le L. 1123–14, qui dispose quant à lui que ces conditions sont fixées par un décret en Conseil d’État.
Je pense que nous trouverions tous ici de bon sens que la partie réglementaire du code prévoie que le tirage au sort se fasse parmi les 39 CPP, dont le plan de charge permet l’étude d’un dossier dans les délais impartis, mais c’est bien le Gouvernement qui est habilité sur ce point, il n’y a nul besoin de toucher à la loi !
L’introduction du critère de compétence dans l’article L. 1123–6 est potentiellement plus problématique et nous ne disposons pas d’éléments sur la traduction concrète d’une telle modification.
Comment s’assurer que suffisamment de CPP se déclarent compétents sur une aire thérapeutique ? Devrions-nous déterminer un seuil minimal de candidats pour sécuriser le caractère aléatoire de la désignation ? Et comment fixer ce seuil ?
Ces questions laissent à penser que l’enjeu ne réside pas dans les compétences parmi les membres permanents des CPP, mais bien dans la manière dont ces derniers pourraient, par un dispositif souple et réactif, tel qu’un réseau de spécialistes agréés, accéder rapidement à l’expertise nécessaire.
Une piste tout à fait prometteuse, soutenue par les associations de patients, est la constitution d’une liste d’experts à laquelle les CPP pourraient se référer. Or celle-ci, malgré le fait qu’elle soit inscrite parmi les missions de la commission nationale des recherches sur les personnes humaines, n’existe toujours pas.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur ce texte. (Mmes Michelle Meunier et Martine Filleul applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 6 juin dernier, je prenais la parole à cette même tribune pour apporter mon soutien à la proposition de loi du président Milon autorisant les analyses génétiques sur personnes décédées. Cette proposition de loi a un point commun avec celle que nous examinons aujourd’hui : elles portent toutes les deux l’ambition d’une politique de santé plus efficiente en termes de prise en charge précoce et d’accès à l’innovation.
Je ne peux que me réjouir, cette fois-ci, du soutien du Gouvernement. Dans son discours devant le Conseil stratégique des industries de santé, le 10 juillet, le Premier ministre a en effet présenté des mesures relatives aux essais cliniques, notamment la réduction du délai de réponse des CPP à moins de 60 jours.
Un tel engagement est à saluer. En effet, l’innovation en santé est une chance, une opportunité majeure pour les patients atteints de maladies chroniques et graves, notamment dans le domaine de l’oncologie, mais comme cela a été rappelé, c’est aussi un atout pour la vitalité économique et le rayonnement de notre pays.
Car il y a effectivement, en France, une économie de la recherche qui se porte bien, mais qui peine à conserver sa place parmi les leaders mondiaux. Face aux concurrents émergents, les trois pays les plus attractifs d’Europe – la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France – doivent être en capacité d’adapter leurs procédures au nouveau contexte international.
Dans notre pays, l’innovation s’appuie depuis de très nombreuses années sur une exigence éthique, qui doit absolument être préservée. Certains ont pu émettre des craintes quant à d’éventuelles conséquences de cette proposition de loi. Pour ma part, j’ai la conviction que l’équilibre entre exigence éthique et adaptabilité du système permettra de garantir son efficience.
J’ai surtout la conviction qu’il faut agir. Avec mes collègues Catherine Deroche et Yves Daudigny, nous avons rédigé un rapport sur l’accès précoce aux médicaments innovants, dans lequel nous rappelions que l’accélération des innovations pose de nouvelles problématiques en matière de rapidité et d’équité d’accès à ces traitements. Pour certains patients, il peut tout simplement s’agir d’une question de vie ou de mort.
Bien conscients du caractère prioritaire de l’expertise en matière d’essais cliniques, nous avions formulé, dans ce rapport, dix-huit propositions, dont celle de conforter les essais cliniques comme voie d’accès précoce aux traitements innovants, en renforçant notamment les CPP et leur expertise. Nous avons donc proposé d’adapter le système de tirage au sort, en prévoyant que celui-ci s’applique à un groupe restreint de CPP spécialisés, en fonction du domaine concerné par l’essai clinique.
Depuis 2016, l’attribution des projets de recherche aux différents CPP s’effectue par tirage au sort simple. Nous sommes tous d’accord pour considérer ce tirage au sort comme nécessaire face aux conflits d’intérêts.
Cependant, il nous faut également en mesurer les limites, notamment l’allongement des délais d’évaluation. Désignés de manière aléatoire pour l’examen d’un projet de recherche sur lequel ils n’ont pas les compétences en interne, certains CPP font appel à des avis extérieurs, ce qui allonge naturellement le délai d’évaluation. La composition des trente-neuf CPP n’étant pas homogène sur tout le territoire, il nous paraît nécessaire d’adapter ce tirage au sort pour qu’il s’applique effectivement à un groupe de comités disposant du niveau d’expertise requis pour chaque essai clinique.
Il s’agit d’une question de bon sens, qui ne remet en cause ni l’exigence éthique ni la sécurité des patients. Il s’agit notamment de s’adapter au droit européen, qui nous mettra face à nos dysfonctionnements dès 2020, en entraînant par défaut un avis favorable des CPP ne répondant pas dans les délais prévus. Sans adaptation de notre système, cette réglementation européenne fait peser un risque sur la sécurité des personnes, un risque qui nous force à agir.
Dans le même temps, il est nécessaire d’accroître le niveau d’expertise de tous les CPP grâce à des formations et à un réseau d’experts rapidement mobilisables. Comme notre rapporteur, j’insiste sur la nécessaire montée en compétences de l’ensemble des CPP. La liste de leurs expertises ne doit pas rester figée dans le temps, sous peine de voir ressurgir les risques de conflits d’intérêts. Dans notre rapport, nous avons également souligné l’importance de l’harmonisation des procédures d’évaluation et bien entendu du renforcement des moyens administratifs des comités. Sur ces différents points, nous resterons attentifs aux mesures concrètes qui seront proposées sur le terrain.
Bien que les auteurs de cette proposition de loi laissent au Gouvernement le soin de s’engager sur les moyens alloués aux CPP, ils apportent un début de réponse à la fragilisation de notre modèle.
L’engagement du Gouvernement à faire appliquer cette disposition dans les meilleurs délais nous pousse à l’optimisme. Gageons que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 et la nouvelle transformation de notre système de santé feront montre d’une même ambition en termes d’accès précoce aux innovations ! Dans cette attente, le groupe du RDSE votera en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mmes Catherine Deroche et Sylvie Vermeillet applaudissent également.)
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes saisis de l’examen de la proposition de loi relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes. Examiné selon la procédure de législation en commission, ce texte n’a fait l’objet d’aucun amendement.
Les comités de protection des personnes ont pour mission d’analyser les projets de recherche impliquant la personne humaine. Ils déterminent si les protocoles envisagés sont de nature à préserver les droits, la sécurité et le bien-être des participants. À cette dimension éthique s’ajoute une mission scientifique d’évaluation de la méthodologie et de la pertinence de la recherche envisagée.
C’est le secrétariat de la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine qui réalise le tirage au sort désignant le CPP chargé d’instruire un projet de recherche parmi les trente-neuf comités agréés par le ministère de la santé.
Or, pour les raisons développées dans l’excellent rapport de notre collègue Jean Sol et rappelées par plusieurs collègues, l’allongement des délais de traitement pourrait compromettre le déploiement en France des projets de recherche les plus innovants. Ce sera a fortiori le cas au moment de l’application du règlement européen qui s’y rapporte et qui permettra au promoteur de choisir l’État membre rapporteur sur son projet de recherche.
Dans le même temps, le Gouvernement souhaite le renforcement de l’attractivité de la recherche clinique française. Il veut d’ailleurs en faire l’un des axes prioritaires du 8e Conseil stratégique des industries de santé.
Précisément, la présente proposition de loi pourrait permettre à la France non seulement de conserver son attractivité en matière de recherche scientifique, mais aussi et surtout de garantir sa compétitivité en la matière.
Pour autant, le manque de moyens est patent. Certains CPP ont, effectivement, une charge de travail trop lourde et ne peuvent tenir les délais réglementaires. Par exemple, le secrétariat des CPP est souvent assuré par un seul équivalent temps plein et les périodes de congés et les arrêts maladie sont susceptibles de paralyser leur fonctionnement.
En outre, depuis la mise en place de la procédure du tirage au sort, les projets peuvent être adressés à des CPP ne disposant pas d’experts nécessaires à leur examen.
Notre rapporteur a noté que le concours d’experts spécialistes du champ de recherche est limité par la faible attractivité de cette fonction, indemnisée à hauteur de 67 euros bruts par dossier.
Madame la secrétaire d’État, pour toutes ces raisons, une revalorisation du programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » de la mission « Santé » correspondrait à l’objectif visé par le Gouvernement.
J’ajoute que le niveau d’expertise élevé que requièrent des projets toujours plus à la pointe épuise par voie de conséquence le vivier des spécialistes.
Enfin, la procédure actuelle ne permet pas aux CPP de se dessaisir une fois que le tirage au sort est effectué. Ainsi, même s’il est incapable techniquement de procéder à l’examen du projet, la seule issue pour le CPP est d’attendre l’extinction du délai réglementaire. Il le fait alors sans prononcer d’avis, ce qui équivaut à un rejet. Dès lors, cela relance un tirage au sort pour obtenir l’avis d’un CPP compétent. Ces lenteurs clairement identifiées finiront par disqualifier la France en la matière.
L’article unique de cette proposition de loi vise à s’assurer que le tirage au sort attribue un projet à un CPP disponible et compétent. Ce principe ne remet pas en cause la prévention des risques de proximité entre le promoteur d’un projet de recherche et le CPP saisi de son évaluation éthique.
Cette proposition de loi est susceptible de réduire le temps de traitement de l’examen des projets et elle mérite d’être soutenue. Il est toutefois urgent de doter les CPP d’aides financières et d’un appui administratif plus adéquat.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, le groupe Union Centriste considère que ce dispositif est un levier, mais qui devra être complété. C’est pourquoi j’appelle votre attention sur les recommandations faites par M. le rapporteur, tout en vous confirmant le vote favorable de notre groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée se penche aujourd’hui sur la question du régime législatif des recherches impliquant la personne humaine. La loi Jardé du 5 mars 2012 a apporté des améliorations significatives à ce régime en créant une catégorie unique de recherche et trois sous-catégories de recherche. Toute expérimentation ou tout essai organisé et pratiqué sur l’être humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales est donc aujourd’hui encadré par la loi.
Dans le fonctionnement de ce régime, les comités de protection des personnes, dits CPP, ont un rôle essentiel. Ils sont en effet chargés d’émettre un avis préalable sur les conditions de validité de toute recherche impliquant la personne humaine au regard des critères définis dans le code de la santé publique. Ils se prononcent donc sur les conditions dans lesquelles le promoteur de la recherche assure la protection des personnes impliquées, notamment des participants, ainsi que sur le bien-fondé, la pertinence du projet de recherche et sur sa qualité méthodologique.
Ces CPP sont aujourd’hui agréés par le ministère de la santé pour une durée de six ans, avec une compétence régionale. Afin d’assurer leur efficience et leur transparence, ils sont composés de manière pluridisciplinaire, avec 14 membres titulaires et 14 membres suppléants, répartis sur deux collèges et exerçant leurs fonctions de manière bénévole. Il convient d’ailleurs de rappeler, pour le saluer, le fait que ces personnes sont toutes soumises à l’obligation de déclaration publique d’intérêts afin que nul ne puisse contester la décision de ces comités.
Cet édifice juridique est cependant biaisé. En effet, la composition des CPP est très variable d’un territoire à l’autre, au point que certains de ces comités ne peuvent pas garantir l’expertise nécessaire à l’évaluation des projets de recherche. En effet, la mécanique du tirage au sort a conduit à la nomination de CPP dont aucun membre ne disposait de l’expertise suffisante pour l’examen d’un projet de recherche dont il était saisi. Cette situation absurde doit être corrigée en introduisant le principe d’un tirage au sort modulé par des critères de compétence et de disponibilité, afin de ne pas pénaliser en France l’innovation et la réalisation d’essais cliniques dans des délais raisonnables. C’est une nécessité tant pour la santé publique que pour l’économie pharmaceutique et, donc, pour l’emploi.
C’est pourquoi, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi de bon sens. (M. Michel Amiel et Mme Véronique Guillotin applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier notre groupe et son président, Bruno Retailleau, d’avoir demandé l’inscription, dans l’espace qui lui est réservé, de cette proposition de loi votée à l’Assemblée nationale en mai dernier.
En effet, il est indispensable de renforcer l’efficacité du tirage au sort des comités de protection des personnes institué par la loi dite Jardé.
Dans le rapport d’information qu’Yves Daudigny, Véronique Guillotin et moi-même avons présenté en juin dernier et intitulé Médicaments innovants : consolider le modèle français d’accès précoce, une partie est consacrée aux essais cliniques, et notamment aux CPP.
Notre attention a été attirée sur les difficultés rencontrées par les CPP pour accomplir leur mission, les 39 CPP présentant un niveau d’expertise et de réactivité inégal, voire insuffisant, en dépit de l’engagement bénévole et du dévouement de leurs membres : manque d’expertise pour les essais particulièrement complexes, en particulier ceux qui sont spécifiques aux cancers, devenus extrêmement techniques ; forte hétérogénéité des niveaux et des pratiques ; dysfonctionnements administratifs liés à un manque de moyens.
Notre proposition n° 16 vise à renforcer ces CPP et leur expertise en adaptant le tirage au sort en fonction du domaine de l’essai, en mettant en place des formations adaptées et à disposition des experts si besoin, en poursuivant l’harmonisation des procédures d’évaluation et en renforçant les moyens administratifs.
La France dispose de scientifiques de haut niveau, d’établissements d’excellence et de prises en charge de qualité. Néanmoins, on ne saurait nier une perte de vitesse de notre pays, des inégalités territoriales et, surtout, l’effet de cliquet que peut engendrer la réalisation d’un essai de phase 1 dans un autre pays que la France sur les phases suivantes.
La proposition de loi que notre commission a examinée en procédure de législation en commission la semaine passée répond à ces difficultés en mettant en place ces deux critères d’attribution d’un dossier à un CPP : la disponibilité et la compétence.
Je salue le travail de notre rapporteur, Jean Sol, qui a dressé un tableau pragmatique de la situation actuelle, mais aussi posé des exigences pour l’avenir. La ministre Mme Agnès Buzyn a pris des engagements forts ; nous serons vigilants sur la suite qui y sera donnée.
Si le tirage au sort des CPP n’est effectif que depuis novembre 2016, les équipes de recherche clinique d’excellence s’en inquiétaient bien avant. En septembre 2015, le service des essais cliniques de Gustave-Roussy s’en était fait l’écho auprès du président Larcher lors de sa visite à Villejuif.
En tant que présidente du groupe « cancer », créé en juin 2016, j’avais, dès juillet 2016, relayé auprès de Mme Marisol Touraine, alors ministre de la santé, les inquiétudes du département de recherche clinique de Gustave-Roussy et de son directeur sur le projet de décret d’application de la loi Jardé et ses conséquences sur les essais de phase 1 en oncologie pédiatrique, dont la méthodologie est très innovante. Par exemple, il faut savoir que l’essai AcSé-ESMART aurait subi un retard majeur, voire un refus, avec la procédure actuelle de tirage au sort d’un CPP n’ayant jamais évalué un tel essai de médecine de précision. Je soutenais à l’époque la proposition d’un tirage au sort parmi un nombre de CPP limité pour les essais cliniques complexes en cancérologie, afin d’avoir un système d’autorisation fluide et efficace.
C’est resté lettre morte, mais, aujourd’hui, grâce au vote conforme proposé en commission législative, un frein va être levé. Chercheurs, équipes soignantes, patients et familles de patients, laboratoires et biotechs l’attendaient. J’espère, madame la secrétaire d’État, que les délais réglementaires et opérationnels seront très courts – plus courts que ceux de la loi Jardé.
Lors du Comité stratégique des industries de santé – CSIS – de juillet dernier, le Premier ministre s’est engagé à faire de la France le premier pays européen de recherche clinique en cinq ans. À l’heure où débute l’examen du PLFSS et du PLF 2019, nous serons attentifs sur ce que prévoit le Gouvernement sur ce sujet majeur.
L’accélération des innovations est inouïe, notamment avec de nouvelles thérapies – immunothérapie, médecine personnalisée – permettant d’améliorer les taux de survie de patients atteints de cancers ou de maladies rares, ainsi que leur qualité de vie.
Soutenir l’innovation est un devoir dans un contexte budgétaire contraint, mais l’équilibre est délicat à trouver entre l’impératif de sécurité et le défi de la soutenabilité financière de notre système d’assurance maladie.
Dans notre rapport d’information figurent cinq axes de propositions. Un premier pas est fait aujourd’hui, et j’aurai une pensée particulière notamment pour les équipes de chercheurs et les associations qui étaient attachées à cette évolution. La route est encore longue, mais ils peuvent compter sur notre mobilisation. Nous formons le vœu que le Gouvernement accompagne cette route pour lever les freins et relever le défi de l’innovation en santé.
Bien entendu, notre groupe votera en faveur de ce texte. (MM. Jean-Paul Émorine et Bruno Sido, ainsi que Mme Véronique Guillotin applaudissent.)
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
8
Politique énergétique
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la politique énergétique, organisé à la demande du groupe Les Républicains.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur du débat disposera d’un temps de parole de huit minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.
Dans le débat, la parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, trois ans après l’adoption de la loi Transition énergétique, et quelques semaines avant la présentation de la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie, ou PPE, il a paru essentiel au groupe Les Républicains de revenir, à l’occasion de ce débat, sur les grandes orientations de notre politique énergétique.
Ce temps démocratique est d’autant plus nécessaire que le Parlement n’est aujourd’hui pas associé à la déclinaison des grands objectifs dans la PPE, malgré les sommes considérables qu’elle engage, qui justifieraient pleinement la discussion régulière d’une véritable loi de programmation, comme le réclame à raison notre collègue Jean-François Husson.
Un tel débat permettrait d’ailleurs de remettre un peu de cohérence et de lisibilité dans une politique dont on dissémine les mesures au gré des projets de loi, le plus souvent sans lien avec leur objet : ces derniers mois, on aura discuté des éoliennes en mer dans la loi « droit à l’erreur », du droit à l’injection du biogaz dans la loi ÉGALIM– on y reviendra encore dans la loi Mobilités –, ou encore de la suppression des tarifs réglementés dans la loi PACTE. Ce n’est ni sérieux ni à la hauteur des enjeux !
Nous disposons désormais des premiers chiffres publiés par votre ministère pour évaluer les effets des choix faits en 2015. Que révèlent-ils pour 2016 et 2017 ? Précisément ce que le Sénat n’avait cessé de dire à l’époque, c’est-à-dire que les objectifs visés étaient, au mieux irréalistes, au pire néfastes pour certains d’entre eux.
Sur ces deux années, notre taux d’indépendance énergétique aura baissé de trois points du fait de la moindre disponibilité de nos centrales nucléaires, ce qui a contribué, avec la hausse des cours internationaux, à un rebond de 23 % de la facture énergétique française l’année dernière.
En 2017, la consommation énergétique finale a aussi progressé de près de 1 % grâce à la croissance économique, ce dont on ne peut que se réjouir, mais je rappelle que la loi visait une division par deux en 2050… Et dans le même temps, en raison du recours accru aux centrales thermiques pour compenser la baisse du nucléaire, les émissions de CO2 du secteur énergétique ont augmenté en 2017 de 4 % à climat constant, ce qui est une première depuis le milieu des années 2000.
En nous donnant un avant-goût des effets d’une réduction trop brutale de la part du nucléaire, ces données démontrent que le Sénat avait eu raison de plaider pour une diversification plus progressive du mix électrique. On regrettera qu’il ait fallu plus de deux ans au Gouvernement pour admettre que la date de 2025 n’était pas tenable, sauf à augmenter nos émissions
Si nous sommes favorables au maintien d’un socle fort de nucléaire dans notre mix électrique, ce n’est pas parce que le Sénat serait une assemblée de « nucléocrates » béats, comme nous sommes trop souvent caricaturés. Nous n’ignorons pas que le nucléaire n’est pas une énergie comme les autres, et c’est pourquoi la sûreté nucléaire en France est parmi les plus exigeantes au monde. Mais nous n’ignorons pas non plus que c’est le nucléaire qui nous a permis de disposer de l’électricité la moins chère d’Europe et du mix électrique le moins carboné derrière la Suède, tout en assurant notre sécurité d’approvisionnement.
Ce qui était vrai hier l’est encore aujourd’hui avec l’essor des énergies renouvelables. Même ses adversaires, comme votre prédécesseur, monsieur le ministre d’État, l’ont reconnu : le nucléaire a l’immense avantage de faciliter la transition vers un mix énergétique plus renouvelable sans qu’il faille recourir à des moyens thermiques pour compenser l’intermittence de certaines énergies renouvelables, ni mettre en péril notre indépendance énergétique. Il est temps, comme nous l’avions plaidé à l’époque, de remettre de la raison dans ce débat où les passions aveuglent et font perdre le sens des réalités : qu’on le veuille ou non, la lutte contre le réchauffement climatique, qui est notre priorité, passe, aussi, par le nucléaire.
Or, depuis l’annonce de l’abandon de la date de 2025, la ligne gouvernementale est floue : on nous parle tantôt de 2035, tantôt de 2030 ; on ne sait pas si la loi de 2015 sera modifiée, et, si oui, quand ; nous savons encore moins ce que contiendra la prochaine PPE, alors que la précédente avait tout simplement ignoré le sujet. Monsieur le ministre d’État, vous engagez-vous à ce que la PPE comporte le nombre, voire le nom des réacteurs à fermer et leur calendrier de fermeture ?
Qu’adviendra-t-il ensuite ? Là encore, on ne sait pas où l’on va : un rapport d’experts commandé par le Gouvernement a récemment préconisé la création de six EPR à partir de 2025 pour assurer la relève et maintenir les compétences industrielles. Quelles suites y donnerez-vous ?
Remettre de la raison, c’est aussi rappeler que le « tout-nucléaire » est un mythe, car le nucléaire n’a jamais représenté, au mieux, que les trois quarts d’une énergie, l’électricité, qui ne couvre elle-même qu’un quart de notre consommation énergétique finale, dont, je le rappelle, les deux tiers sont en réalité couverts par les énergies fossiles.
C’est pourquoi nous pensons qu’au lieu de s’arc-bouter sur le nucléaire il vaut mieux s’engager résolument pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles, ce qui sera bon non seulement pour la planète, mais aussi pour notre balance commerciale. Or, sur cette question, monsieur le ministre d’État, nous partageons le même objectif, mais nous ne prônons définitivement pas la même méthode.
Là où nous souhaitons donner des solutions aux Français, vous leur donnez de nouveaux impôts ; là où nous voulons orienter les comportements, y compris par l’outil fiscal, vous voulez les contraindre, alors que nos concitoyens, en particulier dans les campagnes, n’ont souvent pas d’autre choix que de prendre leur voiture diesel pour aller travailler, ou de remplir leur cuve à fioul pour se chauffer.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Daniel Gremillet. Votre gouvernement a pourtant décidé de les assommer avec une fiscalité énergétique qui explose sous l’effet de la taxe carbone et d’une convergence des tarifs de l’essence et du diesel qui fonctionne uniquement à la hausse.
L’an dernier, nous avions calculé qu’entre 2018 et 2022 la pression fiscale augmenterait en cumulé de 46 milliards d’euros par le seul effet de la fiscalité énergétique. Vous aurez beau expliquer que la hausse sera compensée par ailleurs, les Français le constatent : le compte n’y est pas !
M. Jean-François Husson. Eh non !
M. Daniel Gremillet. Vous dites vouloir une fiscalité écologique qui soit incitative et non punitive, mais le Gouvernement ne vise en réalité qu’un objectif de rendement budgétaire.
On a beau jeu de justifier ces mesures par le soutien massif des Français à la cause environnementale, mais on ne leur explique pas que la transition a un coût, qu’il est élevé, et que ce sont eux qui la paient sur leur facture d’électricité et à la pompe.
En matière de fiscalité énergétique, il est temps d’entendre nos appels à la compensation et à la modération, sans quoi vous casserez la croissance en cassant le moral des Français.
Pour réduire la consommation d’énergies carbonées, il y a pour nous deux priorités : le bâtiment et les transports. Dans le bâtiment, les aides à la rénovation énergétique ne sont pas à la hauteur des ambitions ;…
Mme Fabienne Keller. C’est vrai !
M. Daniel Gremillet. … elles manquent surtout de lisibilité et de stabilité. Nous attendons en particulier depuis maintenant deux ans que l’engagement présidentiel de transformation du crédit d’impôt en prime, censée aider les plus modestes, soit tenu. Pour 2019, c’est raté, mais pouvez-vous au moins vous engager sur 2020 ? Nous pensons aussi qu’il faut mettre le paquet sur le verdissement du gaz, en favorisant la méthanisation et l’injection de biogaz dans les réseaux, ainsi que sur le soutien public aux énergies renouvelables thermiques, notamment au travers du fonds chaleur.
En matière de transports, enfin, il faut là aussi miser sur un bouquet de solutions : l’électricité pour les usages urbains, mais aussi l’hybridation, les biocarburants, le bioGNV et, plus tard, l’hydrogène renouvelable pour les transports longue distance.
M. le président. Il faut conclure.
M. Daniel Gremillet. J’en termine d’un mot sur un enjeu qui englobe tout : celui de la solidarité, non seulement envers les plus modestes de nos concitoyens, mais aussi entre les territoires. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il n’y aura pas de réplique possible, mon cher collègue.
La parole est à M. le ministre d’État, pour huit minutes maximum.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Merci, monsieur le président. Mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, je dois d’abord vous dire que je suis très heureux d’intervenir dans ce débat. La petite histoire retiendra que ma première intervention à la tribune du Parlement en tant que membre du Gouvernement se sera faite au Sénat. J’en suis très heureux, car, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire dans mes précédentes fonctions, je suis très attaché au bicamérisme, qui m’apparaît très utile à notre démocratie. (Marques d’approbation sur diverses travées.) J’en profite d’ailleurs pour saluer votre président, Gérard Larcher, avec qui j’ai beaucoup travaillé pendant quatorze mois en tant que président de l’Assemblée nationale.
Concrètement, je souhaite travailler avec tous les parlementaires, sénateurs et députés de tous bords, qui veulent participer à la transformation écologique de notre pays. Monsieur le sénateur Gremillet, je vous remercie d’avoir fait inscrire ce débat à l’ordre du jour. Je dois dire qu’il tombe à point nommé dans notre calendrier, puisque nous allons bientôt présenter la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui sera la traduction concrète de la loi de 2015 sur la transition énergétique.
J’ai bien entendu votre souhait qu’il y ait une loi de programmation. Je ne sais pas si vous en voulez une tous les cinq ans, comme la loi de programmation militaire, mais il se trouve que nous avons déjà un cadre législatif qui est celui de la loi de 2015. Nous avions dit avant les élections présidentielle et législatives que nous nous inscririons dans ce cadre. Nous serons amenés, bien sûr, à la modifier légèrement en ce qui concerne la date, puisque mon prédécesseur et le Gouvernement ont fait œuvre de vérité sur l’incapacité à réaliser l’objectif en 2025. En revanche, nous gardons le reste du cadre de la loi de 2015.
Vous le savez, notre politique énergétique doit traduire en actes, et non pas simplement en objectifs ou en paroles, la stratégie climat qui a été élaborée par la France, à savoir, à l’horizon 2050, une stratégie de neutralité carbone. C’est en fait la traduction en France des objectifs auxquels nous avons souscrit lors de l’Accord de Paris sur le climat de décembre 2015. À partir de là, il faut mettre en place une sorte de rétroplanning à partir de 2050 jusqu’à aujourd’hui. Évidemment, plus on se rapproche, plus on est dans un futur proche, plus il faut être précis.
Vous n’êtes pas sans savoir que notre premier objectif, c’est la maîtrise des consommations et l’efficacité énergétique. C’est le premier pilier de notre politique. En la matière, nous ne pouvons pas être flous : nous nous sommes donc fixé pour but de baisser nos consommations de 45 % sur l’ensemble des consommations énergétiques à l’horizon 2050.
C’est évidemment un effort important, mais c’est aussi pour rappeler que l’énergie la moins polluante, celle qui n’émet pas de gaz à effet de serre, l’énergie la moins chère, c’est celle que l’on ne consomme pas. Il est important de le rappeler. C’est valable aussi bien pour nos entreprises, dont beaucoup s’y sont déjà mises, que pour nos concitoyennes et nos concitoyens en tant que particuliers. La baisse des consommations, c’est en quelque sorte un bouclier contre les augmentations et les variations de prix. On peut critiquer, et j’y reviendrai, la fiscalité écologique, la fiscalité carbone, mais force est de constater que même si on ne faisait rien, on subirait les variations, qui sont quand même tendanciellement à la hausse, des prix de l’énergie sur le marché, que ce soient le pétrole, le gaz ou l’électricité. C’est à mon sens très important. Nous avons d’ailleurs présenté récemment, avec mon collègue Julien Denormandie, secrétaire d’État à la cohésion des territoires, la campagne « Faire », pour « faciliter, accompagner, informer pour la rénovation énergétique ». C’est l’outil que nous nous sommes donné pour sensibiliser les Français à l’utilité pour eux de faire des travaux de rénovation énergétique. Nous avons un objectif, vous le savez, de 500 000 logements rénovés par an.
Sur la question des véhicules, nous avons aussi la volonté, à l’échelle européenne, mais aussi à l’échelle française, de réduire la consommation des véhicules, puisque, aujourd’hui, le transport routier – véhicules particuliers, camions, bus, cars – est l’une des premières sources d’émission de gaz à effet de serre.
M. Jean-François Husson. Ce n’est pas la première !
M. François de Rugy, ministre d’État. Il se trouve que nous sommes à quelques jours du Salon de l’automobile de Paris, et le Président de la République réunissait hier soir des grands dirigeants de l’industrie automobile française, européenne et même mondiale. Je participais à cette rencontre et nous avons discuté concrètement avec eux de la façon d’atteindre des objectifs de baisse des gaz à effet de serre dans le secteur des transports individuels.
Bien sûr, vous l’avez dit vous-même, monsieur le sénateur Gremillet, il y a la voiture électrique. Nous n’allons pas non plus promettre aux Français qu’il va y avoir un basculement massif vers la voiture électrique dans les cinq ans qui viennent. Ce serait quelque chose de totalement irréaliste. En revanche, à l’échelle de 2050, c’est bien notre objectif d’avoir des transports qui soient totalement décarbonés. D’ici là, il faut diversifier les solutions, et je crois que nous sommes d’accord sur ce point. Cela passe à la fois par l’électrique, l’hybride, l’hybride électrique et même le gaz naturel, notamment pour les bus – c’est déjà le cas –, pour les cars ou les camions, pour lesquels les motorisations électriques ne sont pas adaptées aujourd’hui.
Sur la fiscalité écologique,…
M. Jean-François Husson. Ah ! Parlons-en !
M. François de Rugy, ministre d’État. Je veux en dire un mot, car j’ai entendu tout à l’heure les questions d’actualité au Gouvernement posées dans cette enceinte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut savoir ce que l’on veut. En tant que parlementaire, j’ai entendu pendant des années des discours pour en réclamer plus. On reprochait aux différents gouvernements de ne rien faire sur la fiscalité écologique. Le mot d’ordre était : on ne pourra rien faire si on ne donne pas un prix au carbone. Quand on reste sur ce genre de généralité, tout le monde est d’accord. Quand on parle plus précisément de taxe carbone, il y a déjà moins de gens d’accord. Et quand il s’agit de voter concrètement une fiscalité sur le carbone, avec une assiette, un taux, il y a encore moins de monde. Enfin, quand il s’agit de l’appliquer, il n’y a quasiment plus personne pour la défendre.
M. Bruno Sido. Effectivement.
M. François de Rugy, ministre d’État. Moi, je l’assume, c’est un choix que nous avons voulu, que nous avons fait en toute transparence. Cela n’avait jamais été fait de donner une trajectoire, avec une augmentation annuelle, pour prévenir les Français, qu’il s’agisse des particuliers, des entreprises ou même des collectivités locales et de l’État, qui sont aussi consommateurs d’énergie. Voilà quelle sera la trajectoire ! Voilà quelle sera la tendance ! Nous assumons pleinement notre préférence, qui avait été présentée dans nombre de discours, pour une baisse de la taxation du travail, de la production, et pour une augmentation de la taxation de la pollution. Il faut faire les deux en même temps. En effet, si on baisse la taxation du travail et si on ne dispose pas de recettes compensatrices, il n’est plus possible de financer le budget de l’État, des collectivités locales et de la protection sociale.
Nous insistons aussi sur les changements de comportement que cela entraîne. On le constate déjà dans beaucoup de pays. J’étais à New York à l’Assemblée générale des Nations unies et j’ai vu dans quelles voitures étaient transportées les délégations. Pourquoi les Américains roulent-ils dans de grosses cylindrées qui consomment beaucoup plus qu’en Europe, où nous avons depuis très longtemps fait le choix de voitures plus sobres, plus compactes ? C’est évidemment parce que le carburant est beaucoup moins cher aux États-Unis, comme dans d’autres pays.
On le constate de manière systématique : le signal prix est extrêmement important pour permettre des transformations. Mais nous ne nous en tenons pas là.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre d’État.
M. le président. Non, huit minutes !
M. le président. Ce fut le cas !
M. Jean-François Husson. Vous avez dépassé votre temps de parole !
Mme Fabienne Keller. De la sobriété, monsieur le ministre d’État ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François de Rugy, ministre d’État. Cela étant, je reviendrai sur ce point en répondant aux questions relatives aux énergies renouvelables.
M. Roland Courteau. Voilà !
M. le président. Il faut vraiment conclure, monsieur le ministre d’État !
M. François de Rugy, ministre d’État. En la matière, nous organisons l’accompagnement des Français, entreprises et particuliers, pour la baisse de la consommation énergétique, et avec des outils concrets, au titre du logement comme des transports.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur peut intervenir pour deux minutes maximum pour présenter sa question, et que le Gouvernement dispose de deux minutes pour répondre.
Mes chers collègues, si vous souhaitez répliquer, vous disposez alors de trente secondes supplémentaires, si et seulement si vous n’avez pas dépassé les deux minutes.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le ministre d’État, le débat que nous consacrons aujourd’hui à la politique énergétique aura sans doute le mérite de renforcer encore la promotion et l’utilisation des énergies renouvelables.
Toutefois, à mon sens, le développement de ces énergies se heurte à un obstacle majeur : l’hostilité de nombre de nos compatriotes à voir se développer, ici un projet d’éolienne, là une unité de méthanisation, à proximité de leurs lieux de vie.
Comme vous, je l’expérimente très régulièrement dans le département dont je suis issu ; en Isère, je suis régulièrement interpellé par des citoyens rassemblés en association. Alors que la très grande majorité des Français voient d’un œil extrêmement favorable l’essor de ces énergies vertes, les élus, les collectivités qui portent ou soutiennent de tels projets se retrouvent face au syndrome « partout, mais pas dans mon jardin ».
Je souhaite plus particulièrement évoquer le sujet de la méthanisation, lequel est extrêmement prometteur, notamment pour le monde agricole.
Les conclusions du groupe de travail « méthanisation », mené par Sébastien Lecornu, ont très clairement souligné tous les enjeux du développement de cette filière, pour donner aux agriculteurs les moyens de compléter leurs revenus, tout en réglant les problèmes de mise aux normes de leurs bâtiments d’élevage, et injecter une part de gaz propre, décarboné, dans le mix énergétique du pays.
Des actions importantes avaient alors été annoncées. J’en rappelle quelques-unes : la mise en place d’un complément de rémunération pour les petites installations ; la facilitation de l’accès au crédit pour la méthanisation agricole ; l’utilisation des biogaz par les engins agricoles ; ou encore la mise en place d’un soutien financier pour les méthaniseurs, qui alimentent les bus et les camions.
Ce sont là autant de mesures dont nous pouvons évidemment nous réjouir, mais qui se heurtent à l’hostilité des populations. Il semble pourtant important de faire adhérer ces dernières au procédé de méthanisation qui favorise une énergie verte promise à un bel avenir.
Aussi, monsieur le ministre d’État, pourriez-vous nous éclairer sur la manière dont votre ministère pourrait s’engager, au-delà des actions présentées en mars dernier, pour soutenir les projets développés et défendre une méthode permettant d’effacer, ou d’atténuer, les craintes des opposants en promouvant une pédagogie de grande ampleur dans cette filière ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Rambaud, vous avez tout à fait raison d’évoquer l’acceptabilité des énergies renouvelables. D’ailleurs, cette question se pose pour toute forme d’énergie : personne n’a jamais vu d’un bon œil des centrales thermiques ou des pylônes fleurir à côté de son lieu d’habitation. Il en va de même des centrales nucléaires.
Cette question se pose donc partout. Pour ce qui concerne, plus particulièrement, les énergies renouvelables, on a beaucoup progressé, notamment parce que les procédures sont devenues très transparentes. J’ajoute que, dans le même temps, elles sont devenues très longues, et qu’il a fallu revenir au sens des réalités pour que les investissements puissent se concrétiser dans des conditions correctes. Mais l’information du public reste très large, et aujourd’hui tout le monde y participe – les collectivités territoriales, les agences de l’État, dont l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, etc.
De nombreux outils permettent que tout soit clair en la matière, et, beaucoup en sont convaincus, les énergies renouvelables sont une chance pour le développement local : elles ont l’avantage de concerner l’ensemble du territoire. Comme je le dis souvent, ce sont des énergies made in France. Utilisons et valorisons les potentiels du territoire français, que ce soit dans l’Hexagone ou en outre-mer !
J’en viens à la méthanisation, ou, comme on l’appelle parfois, au biogaz. Cette voie doit être développée. Dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, nous avons d’ailleurs fixé comme objectif que ce biogaz représente 10 % du gaz produit.
Il faut le reconnaître, aujourd’hui, les coûts de production du biogaz sont plus élevés que les prix du marché. Cette énergie fait donc l’objet d’un soutien. Sans doute faut-il favoriser les filières reposant sur des circuits courts, entre la ressource – déchets agricoles, déchets urbains et, plus généralement, décrets collectés par les collectivités locales – et son utilisation. Ces circuits doivent être les plus courts possible, notamment pour les véhicules et, en particulier, pour les bus ; c’est déjà le cas dans beaucoup de réseaux de transports urbains qui ont adopté les bus roulant au gaz et qui, dès lors, ont besoin d’une ressource mobilisable localement.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. La programmation pluriannuelle de l’énergie, ou PPE, dont nous aurons à débattre, s’inscrit dans un contexte de déréglementation accélérée des secteurs de l’énergie, des transports et des systèmes productifs qui limite considérablement les leviers d’actions des pouvoirs publics ; et les propositions législatives européennes en préparation viendront encore réduire la marge de manœuvre des États. Ces derniers devront abandonner une partie de leurs prérogatives au moment même où le pilotage national semble le plus opportun.
En effet, alors que le renouveau de notre mix énergétique et le déploiement des énergies renouvelables sont des priorités aujourd’hui incontestables, le mouvement de déstructuration du secteur énergétique français se poursuit, sous l’impulsion européenne, certes, mais aussi par un entêtement à ne pas voir que la concurrence libre et non faussée ne peut être appliquée en matière énergétique.
Nous l’avons maintes fois répété : l’énergie est non pas une marchandise, mais un bien commun de l’humanité.
La privatisation de Total, le bradage de l’entreprise stratégique Alstom Énergie à General Electric, la séparation de GDF et d’EDF, le découpage d’EDF en plusieurs entités et la volonté de privatisation de l’hydroélectricité ont fragilisé le secteur énergétique français et ne permettent pas un développement cohérent des énergies renouvelables, ou ENR.
Les ENR ne peuvent continuer à apparaître comme des niches profitables à des acteurs privés aidés par des subventions et par des garanties de prix de rachat payées surtout par les ménages. Cela étant, une maîtrise publique est nécessaire pour assurer la cohérence de leur développement et leur acceptation sociale, car la transition énergétique ne se fera qu’avec les citoyens.
Il convient également d’investir massivement dans la recherche, pour trouver des solutions aux questions de consommation, de transport et de stockage, car l’énergie de demain signera – nous l’espérons – la fin des combustibles fossiles.
Dès lors, monsieur le ministre d’État, quels moyens seront mis en place afin de permettre un développement des ENR qui assure non seulement de véritables filières industrielles, pourvoyeuses d’emplois durables, des garanties collectives de haut niveau, mais aussi un prix de l’énergie accessible à toutes et tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Martine Filleul applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Gay, la question que vous soulevez est presque idéologique (M. Fabien Gay s’exclame.), et c’est tout à fait respectable : le débat idéologique fait partie du débat politique.
En l’occurrence, deux approches se font face.
Selon vous, mieux vaut un secteur étatisé, où règne le monopole, plutôt qu’un secteur présentant une diversité d’acteurs, y compris des acteurs privés – même si, en France, l’acteur public en matière d’énergie, à savoir EDF, domine encore très largement le marché : il contrôle 85 % du marché de l’électricité.
Vous l’avez compris, cette idéologie étatique et monopolistique n’est pas la mienne. Je fais le constat pragmatique que, dans le secteur de l’énergie comme dans d’autres domaines, la diversité des acteurs, donc une forme de concurrence, est bénéfique. Elle encourage, par de nouvelles technologies, de nouvelles pratiques et de nouveaux services, à maîtriser les consommations : on ne peut pas dire que l’opérateur historique ait beaucoup incité les Français à maîtriser leur consommation – c’est même un peu l’inverse… Bref, cette diversité permet d’avoir un secteur de l’énergie dynamique.
Cela signifie-t-il que l’on abandonne la programmation et le pilotage politique ? Sûrement pas ! J’ai fait référence à la loi relative à transition énergétique pour la croissance verte, votée en 2015 : c’était alors la première fois que le Parlement français examinait, puis adoptait un texte fixant clairement la stratégie en matière d’énergie.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. François de Rugy, ministre d’État. Ensuite, nous voulons mobiliser les investisseurs privés. À nos yeux, il est absolument nécessaire de procéder ainsi pour développer de nouvelles formes d’énergie.
De même – nous y reviendrons –, nous aurons à traiter de la situation d’EDF qui, compte tenu notamment de l’endettement de l’opérateur, est assez préoccupante.
En la matière, les collectivités territoriales doivent être mobilisées – beaucoup le sont déjà –, ainsi que les citoyens. Vous le savez, dans le domaine des énergies renouvelables, des coopératives de citoyens existent. En Allemagne, c’est même la moitié du secteur éolien qui est géré par des coopératives citoyennes. Ces structures doivent se développer en France.
Enfin, au sujet du made in France, j’évoquai les filières industrielles : aujourd’hui, notre filière éolienne est forte, et il faut absolument la développer.
Mme Cécile Cukierman. Et le nucléaire ?
M. François de Rugy, ministre d’État. Elle exporte chez nos voisins. Je pense en particulier à une usine, située près de Saint-Nazaire, qui exporte 100 % de sa production d’énergie éolienne.
Mme Cécile Cukierman. Heureusement qu’il y a l’opérateur historique pour lutter contre la précarité énergétique !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre d’État, c’est tout de même cocasse : quand nous parlons, nous sommes toujours empreints d’idéologie ; mais, quand vous parlez, vous n’êtes jamais empreint de l’idéologie libérale (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.), qui – votre prédécesseur l’a dit – est contraire à la transition écologique elle-même.
Nous débattrons des acteurs privés, notamment d’Engie, lors de l’examen du projet de loi PACTE et de la PPE. En effet, que s’est-il passé depuis que l’on a déréglementé le secteur du gaz ? Les consommateurs ont connu une dégradation du service – le prix du gaz a augmenté de 70 % –, les salariés ont subi une dégradation de leurs conditions de travail, et, en revanche, on a vu exploser le montant des dividendes versés aux actionnaires… Si c’est de l’idéologie, ce n’est pas la nôtre !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre d’État, face au dérèglement climatique, Nicolas Hulot s’interrogeait : « Nous faisons des petits pas, mais est-ce que les petits pas suffisent ? »
Notre regard se tourne donc vers la PPE et, plus particulièrement, vers le secteur du bâtiment qui représente 25 % des émissions de gaz à effet de serre et 45 % de la consommation d’énergie finale. Or, dans ce domaine comme dans d’autres, la France a pris du retard par rapport à ses engagements.
Tout d’abord, j’observe que, dans ce secteur, plus de 8 millions de logements consomment plus de 330 kilowattheures par mètre carré et par an, et que près de 3 millions d’entre eux sont occupés par des personnes en situation de précarité.
Ensuite, j’insiste sur le poids que la fiscalité écologique exerce sur les ménages les plus précaires, via notamment la taxe carbone et son incidence sur le pouvoir d’achat. La transition écologique doit être socialement inclusive ; or, dans ce cas précis, elle ne l’est pas.
Je pense aux personnes en situation de précarité vivant, de surcroît, dans des logements passoires, ou encore aux membres des classes moyennes qui dépendent, voire sont captifs des dépenses en énergies fossiles, par exemple pour le chauffage, ou pour qui l’automobile est incontournable pour se rendre au travail. Ces personnes ont déjà le sentiment d’être pénalisées et de supporter, plus que d’autres, le coût de la transition énergétique, d’autant que les dispositifs actuels de compensation ne sont pas à la hauteur face à la hausse de la fiscalité et du prix de l’énergie. Le chèque énergie est insuffisant, et la prime à la conversion pour les véhicules thermiques ne concerne qu’un très faible nombre de véhicules.
Que prévoyez-vous pour que la transition énergétique soit socialement inclusive, pour qu’elle n’aggrave pas la fracture sociale ? Il est question de supprimer le crédit d’impôt pour la transition énergétique, le CITE, et de le remplacer par une prime : qu’en sera-t-il dans le projet de loi de finances pour 2019 ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Courteau, la question énergétique est, bien sûr, un enjeu aussi écologique que social, économique et même humain : il faut commencer par mobiliser les êtres humains que nous sommes pour conduire un certain nombre de changements.
Il me semble que, en la matière, vous ne défendez pas le statu quo, dans un esprit de conservatisme. (M. Roland Courteau le confirme.) D’ailleurs, vous l’avez dit avec raison : malheureusement, nos objectifs ne sont pas aujourd’hui tenus, pour ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Vous avez également mentionné la question du logement et, en particulier, celle des passoires énergétiques. Le Président de la République et la majorité des députés, lorsqu’ils étaient candidats, ont pris l’engagement d’exclure du marché toutes ces passoires énergétiques d’ici à 2025.
C’est un engagement très ambitieux, qui – il faut le reconnaître – est difficile à mettre en œuvre. Mais nous allons nous donner un certain nombre de moyens d’accompagnement, assortis de mesures contraignantes : on ne peut pas se contenter de mesures d’incitation pour éradiquer les passoires énergétiques.
Il s’agit là d’un enjeu écologique et social, peut-être même d’abord social. Les locataires concernés payent des factures de chauffage qui leur sont, en quelque sorte, imposées. Outre le gaspillage d’énergie, cette dépense représente un trou dans leur porte-monnaie, dans leur budget mensuel. Il en est de même pour les propriétaires qui occupent de tels logements.
Il faut donc à la fois mobiliser l’investissement privé des propriétaires et l’amortir dans la durée, grâce aux gains de consommation d’énergie. Dans le même temps, on assurera des améliorations de confort.
Quant au chèque énergie, il est prévu – vous le savez sans doute – de l’augmenter de 50 euros au titre du prochain budget.
M. Roland Courteau. Ce n’est pas assez !
M. François de Rugy, ministre d’État. Enfin, la prime à la conversion automobile rencontre un grand succès : à la fin de l’année, ce seront peut-être, en tout, 200 000 véhicules qui auront été achetés grâce à ce mécanisme, et 70 % des bénéficiaires de ce dispositif sont des ménages non imposables.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour la réplique.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre d’État, les passoires énergétiques constituent certes un enjeu climatique ; mais elles représentent aussi une question de santé. Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, 1 euro investi dans la rénovation énergétique entraîne 0,42 euro d’économies en dépenses de santé.
Enfin, j’y insiste : il ne faut pas que la transition énergétique soit vécue comme un luxe inaccessible, ou réservée à certaines catégories sociales. Prenons garde !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. L’hydrogène, dont nous connaissons les qualités pour l’industrie, doit être regardé comme un carburant du futur et comme un moyen efficace de stockage de l’énergie, en complément à l’intermittence des énergies renouvelables. Le « power to gas » permettra ainsi de convertir l’électricité produite et d’injecter directement l’hydrogène dans le réseau de gaz.
Nous en sommes convaincus : l’hydrogène vert contribuera à l’indépendance énergétique de notre pays. Une étude publiée en avril dernier estime qu’il sera en mesure de répondre à un cinquième de la demande d’énergie finale en 2050, soit l’équivalent d’une réduction de 55 millions de tonnes de CO2.
Monsieur le ministre d’État, reprenant l’expression de votre prédécesseur, les élus de mon groupe ont toujours considéré l’hydrogène comme le « couteau suisse de la transition énergétique ».
Des initiatives jusque-là diffuses ont vu le jour et connaissent une accélération grâce à la baisse des coûts des électrolyseurs et à l’arrivée à maturité des technologies. La France doit saisir cette chance au plus vite, comme l’ont fait l’Allemagne, le Japon ou les États-Unis ; elle dispose de compétences solides et d’entreprises prêtes à relever le défi.
Il a fallu attendre le plan de déploiement présenté le 1er juin dernier par le Gouvernement pour qu’une véritable stratégie soit enfin élaborée. Il était temps ! Mais cette stratégie reste en deçà de nos attentes sur plusieurs points : faiblesse des moyens dédiés – seulement 100 millions d’euros ; manque d’ambition de l’objectif de 100 stations de distribution en 2023 – l’Allemagne en prévoit 400 à la même échéance. Tout cela n’est pas très incitatif pour les constructeurs automobiles français…
Aussi, monsieur le ministre d’État, pourriez-vous nous indiquer quelle place occupera l’hydrogène dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie et quels financements seront affectés à son développement à moyen et long termes ? Il ne peut y avoir de stratégie sans visibilité !
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison d’insister sur le rôle que peut jouer l’hydrogène. Toutefois, soyons clairs : pas plus hier qu’aujourd’hui ou demain, il n’existe d’énergie miracle.
M. Jean-Claude Requier. Certes !
M. François de Rugy, ministre d’État. Pour ma part, je crois à la diversification ; et, dans la diversification, il y a évidemment une place pour l’hydrogène. Le Gouvernement en est d’ailleurs convaincu, et il a décidé de débloquer un programme de 100 millions d’euros, destiné essentiellement au financement de recherches.
Il faut le reconnaître : aujourd’hui, l’hydrogène utilisé en France dans l’industrie, soit, tout de même, un million de tonnes, est à 95 % issu d’énergies fossiles. Il faut donc transformer complètement la production d’hydrogène et relever nos objectifs d’hydrogène propre, d’hydrogène renouvelable. (M. Jean-Claude Requier le concède.)
L’hydrogène peut servir de carburant, même s’il faut tenir compte de certaines particularités – les réservoirs d’hydrogène imposent beaucoup plus de contraintes que les réservoirs de carburants classiques. Il peut également constituer un moyen de stockage et, ainsi, se substituer aux batteries, notamment pour les énergies renouvelables. De même, l’hydroélectricité sert de stockage à certains moments. Il faut saisir tous les moyens de diversifier l’utilisation des énergies décarbonées – lorsqu’il est issu de l’électrolyse, l’hydrogène est totalement décarboné.
Hier encore, nous avons parlé de ces questions avec les constructeurs automobiles. Le Président de la République est, lui aussi, très engagé pour que l’on développe la recherche au sujet de cette énergie et les usages qui en sont faits. D’ailleurs, au-delà des laboratoires, il existe déjà des démonstrateurs, notamment dans le domaine des transports : il s’agit là de perspectives tout à fait intéressantes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le ministre d’État, vous connaissez peu notre groupe, et pour cause, vous êtes issu de l’Assemblée nationale, où le groupe du RDSE n’a pas d’équivalent ! (M. le ministre d’État sourit.) Mais vous allez nous connaître, et vous pourrez voir que, au RDSE, nous sommes très attachés au nucléaire.
M. Ronan Dantec. Pas tous ! Pas tous ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Requier. Nous sommes pro-nucléaires – en tout cas, une grande partie du groupe : l’un d’entre nous, présent derrière moi, est arrivé ensuite… (Nouveaux sourires.)
Nous sommes attachés au nucléaire (M. Ronan Dantec fait des gestes de dénégation.),…
Mme Sophie Primas. Il faut choisir son groupe, camarade ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Requier. … en majorité, mais, comme vous le voyez, nous n’en sommes pas moins très ouverts aux énergies renouvelables. (M. Daniel Chasseing applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche.
M. Jean-Claude Luche. Comme l’an dernier, le Gouvernement a décidé d’augmenter les taxes sur l’essence, et plus fortement encore sur le diesel. Cette taxation frappe directement le pouvoir d’achat des ménages périurbains et ruraux, qui, pour se déplacer, n’ont d’autre choix que la voiture : ils n’ont chez eux ni le RER ni le métro.
Monsieur le ministre d’État, cette taxation pèsera aussi sur les résultats des entreprises, notamment celles du bâtiment et des travaux publics.
Or la pollution qu’émettent les voitures des Français ne représente pas grand-chose, si on la compare au trafic des marchandises et du transport aérien. Ainsi, le plus gros porte-conteneurs français, inauguré il y a un mois par vos collègues ministres des transports et de l’économie, pollue autant que 50 millions de voitures !
M. Jean-François Husson. C’est juste !
M. Jean-Claude Luche. Pourtant, les transports maritime et aérien ne sont pas inclus dans l’accord de Paris sur le climat, et personne ne semble se soucier de ces transports extrêmement polluants.
Votre gouvernement a choisi de viser le diesel. Mais de nombreux emplois sont liés à cette filière, qui est mise en difficulté aujourd’hui. Par exemple, dans le territoire dont je suis l’élu, l’entreprise Bosch fabrique des éléments de moteurs diesel. Il s’agit de l’employeur le plus important de l’Aveyron, avec 1 600 emplois directs et 10 000 emplois indirects. Imaginez le traumatisme économique que risque de subir mon département !
Je souhaite que vous preniez conscience de cette réalité, car, aujourd’hui, du fait de cette politique, dans nos territoires, des entreprises et des emplois sont menacés soit de disparition, soit de délocalisation.
Pour pallier ces difficultés, quels moyens l’État compte-t-il engager ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Luche. Il faut assurer la reconversion de la filière diesel, laquelle est très sérieusement mise à mal.
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Luche, tout d’abord, le chiffre que vous avez donné, au sujet de la consommation énergétique du dernier porte-conteneurs, ne me paraît pas fondé.
M. Jean-François Husson. Pourtant, il l’est !
M. François de Rugy, ministre d’État. Vous affirmez que cette consommation équivaut à celle de 50 millions de voitures. Or un tel navire représente 1 million de tonnes de CO2 par an : c’est beaucoup, mais ce n’est tout de même pas du même ordre.
Nous sommes tout à fait conscients de l’enjeu que représente le transport maritime. Même si, par tonne transportée, celui-ci consomme beaucoup moins d’énergie que le transport aérien, le transport routier, ou même le transport ferroviaire, il doit faire des progrès très importants en matière de pollution. Je pense, notamment, à la pollution de l’air. Une récente étude montre au demeurant que le transport maritime est l’une des sources de pollution de la ville de Marseille. J’ajoute que nous développons, aujourd’hui, le gaz naturel comme carburant de substitution dans la marine marchande.
J’en viens aux voitures diesel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai déjà mentionné la prime à la conversion des véhicules. Nous avons souhaité qu’elle bénéficie aux ménages, non seulement pour les véhicules neufs, mais aussi pour les véhicules d’occasion, et c’est là une première.
On le sait bien, même avec des aides publiques, un ménage modeste qui possède une vieille voiture ne pourra pas acheter une voiture neuve. Or, grâce à cette prime, 80 % des véhicules envoyés à la casse sont de vieux diesel, et – je le répète – 70 % des ménages bénéficiaires de ce dispositif reçoivent une prime de 2 000 euros, étant donné qu’ils sont non imposables. Enfin – ce dernier chiffre intéressera sans doute les élus que vous êtes –, 95 % des bénéficiaires de la prime à la conversion résident en dehors de l’Île-de-France.
Pour ce qui concerne les entreprises spécialisées dans le diesel, nous avons souhaité prendre en compte cette réalité : les fabricants français n’avaient pas suffisamment anticipé la chute du marché. Tout ne dépend pas des politiques publiques : un certain nombre de facteurs, notamment le dieselgate, ont entraîné, en la matière, une chute du marché. Aujourd’hui, les véhicules diesel représentent moins de 40 % des ventes de véhicules neufs en France. Il y a dix ans à peine, leur part était de 75 %.
Cette chute n’a pas été assez anticipée ; voilà pourquoi le Gouvernement a décidé de développer un projet « innovation et diversification d’entreprises spécialisées dans le diesel », doté de 18 millions d’euros, pour accompagner les reconversions.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. Ce débat est opportunément inscrit à l’ordre du jour du Sénat quinze jours après qu’a été présenté le rapport du débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Monsieur le ministre d’État, il y a quelques instants, vous avez répondu à M. Requier que vous étiez favorable à la diversification énergétique : je m’en réjouis et, dans cette perspective, je souhaite mettre sur la table le sujet de l’énergie marémotrice.
Des entreprises privées ont évalué le potentiel de tels projets en France, et une récente étude a démontré la faisabilité de la création d’un parc de cinq lagons marémoteurs sur les côtes picardes, dans les Hauts-de-France, et sur la côte ouest de la Normandie. Ce sont là les seules zones françaises de fort marnage dans des eaux peu profondes.
La capacité potentielle d’un tel projet, évaluée à 15 gigawatts zéro carbone, permettrait de couvrir près de 5 % des besoins électriques de la France.
En outre, ce projet pourrait contribuer à développer, à l’intérieur des lagons, diverses initiatives en faveur de l’économie bleue : infrastructures portuaires, installations consacrées à l’aquaculture, aménagements pour le tourisme, etc.
Ces lagons marémoteurs permettraient également de renforcer la biodiversité, par la création et la restauration des zones humides, le développement d’habitats pour les oiseaux et les animaux marins, des récifs artificiels ou des mares d’estran.
Enfin, les digues qui ferment ces lagons pourraient fonctionner comme une barrière contre les aléas climatiques – tempêtes, grandes marées, etc. Elles protègeraient les écosystèmes côtiers, qui sont de plus en plus exposés au risque d’inondation et à l’érosion du trait de côte.
Monsieur le ministre d’État, ne serait-il pas opportun de développer une filière marémotrice en France, plus de cinquante ans après la création de l’usine de la Rance ? Quelle place souhaitez-vous donner à ce nouveau type d’énergie dans le cadre de la PPE, et comment envisagez-vous le développement des lagons marémoteurs dans le mix énergétique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Bignon, au sujet des énergies renouvelables marines, nous avons été conduits à faire des choix, avant que je n’entre au Gouvernement.
Pour ce qui concerne l’éolien offshore, nous avons obtenu des révisions de tarifs qui permettent de dégager de grosses économies : au cours des vingt prochaines années, celles-ci s’élèveront à 15 milliards d’euros. La baisse du coût des énergies renouvelables est donc bien une réalité.
Au titre du prochain projet offshore, qui devrait se développer près de Dunkerque, le coût de l’énergie produite est estimé entre 50 et 60 euros du mégawattheure, c’est-à-dire au prix de marché.
L’éolien flottant est encore une filière industrielle à construire, mais, en la matière, plusieurs industriels français disposent d’un savoir-faire, issu, d’ailleurs, des plateformes pétrolières.
S’y ajoutent les hydroliennes. Notre pays ne dispose pas, à ce titre, d’une filière industrielle à grande échelle, mais certaines niches existent d’ores et déjà : je pense à un démonstrateur, qui, à la pointe de la Bretagne, sur un site que je connais bien, entre Molène et Ouessant, poursuit son activité dans le cadre d’une PME. Il investit, et il assume lui-même le risque.
J’en viens à l’énergie marémotrice. L’usine de la Rance est, à ce jour, un cas unique. Sa puissance est de 250 mégawatts, mais elle fait face à des enjeux environnementaux assez délicats, liés à l’envasement. Pour assurer le bon fonctionnement d’une usine marémotrice, il est indispensable de contrôler ce phénomène, ce qui n’est pas facile dans l’estuaire de la Rance. Le Gouvernement, l’État, mais aussi EDF continueront d’accompagner les acteurs locaux, en particulier les collectivités territoriales, pour résoudre ces problèmes.
J’ai déjà entendu parler des projets consistant à développer, ailleurs, la technologie dont il s’agit : je ne demande qu’à les travailler. Mais il faut bien étudier leur acceptabilité : nous avons déjà mentionné cet enjeu. Vous le savez, dans la baie de Somme – c’est peut-être à ce site que vous pensez –, il n’est pas toujours facile de mener de tels chantiers.
Il faut également tenir compte de la compétitivité de telles structures, du prix de l’électricité ainsi produite. Cela étant, je suis prêt à travailler ces sujets avec vous, si vous le souhaitez.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour la réplique.
M. Jérôme Bignon. Merci, monsieur le ministre d’État, pour cette réponse que je considère comme positive. Vous ne fermez aucune porte, ce qui, je crois, est à l’honneur des responsabilités que vous exercez.
Je retiens votre suggestion et la transmettrai à ceux que ces sujets intéressent, notamment dans les Hauts-de-France et en Normandie : regardons si un groupe de travail peut être mis en place.
S’agissant de l’acceptabilité, elle pourrait être plus facile en mer qu’en matière d’éolien, d’autant qu’il y a à la clé des projets assez positifs dans le domaine de l’économie bleue. En mer, il n’y a pas d’envasement, et il est possible de créer des aménités et des activités économiques.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre d’État, l’énergie est aujourd’hui au cœur de problématiques corrélées à des enjeux majeurs, tels que la préservation de l’environnement, la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air. Les questions énergétiques sont intimement liées aux mutations de nos économies et aux questions de fiscalité environnementale et énergétique.
Aujourd’hui, le Gouvernement s’inscrit pleinement dans la lignée du quinquennat Hollande : une politique écologique et environnementale présentée comme ambitieuse, mais qui se résume, concrètement et trop souvent, aux prélèvements, à l’impôt, à une fiscalité de rendement.
Aussi est-il urgent de reconsidérer l’équation pour proposer un New Deal énergétique consistant, maintenant qu’il y a une prise de conscience environnementale, à mettre en place en France une politique ambitieuse de préservation des ressources fossiles, de développement des énergies renouvelables et de réorientation de la trajectoire nucléaire.
Pour cela, l’État doit non pas faire seul, parfois mal, mais s’associer avec tous les acteurs. Ainsi, au lieu de donner un coup d’assommoir fiscal, le Gouvernement ferait mieux d’ouvrir un dialogue avec toutes les parties prenantes, acteurs économiques et collectivités territoriales, pour en faire de véritables associés et donner enfin une bonne direction, un vrai sens, à la politique énergétique.
Monsieur le ministre d’État, mes questions sont simples. Pensez-vous que l’écologie punitive, qui consiste à prélever sans contrepartie ou presque, soit la solution ? Pourquoi n’entendez-vous pas la demande que formulent les élus dans les territoires et au Parlement, appelant à une transformation de méthode dans la définition de la politique énergétique ? Quand ferez-vous le pari d’une économie décarbonée au service d’une croissance durable ? Et quels outils comptez-vous mettre en place pour relever ce défi ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Husson, j’ai cru un moment que votre question allait se résumer à savoir si j’étais pour l’écologie punitive… Je ne vous ferai pas cet aveu.
Si l’on parle de fiscalité punitive, on pourrait aussi bien parler de solidarité punitive, puisque le financement de la protection sociale repose sur des montants de fiscalité d’un autre niveau que la fiscalité écologique.
À un moment donné, quand on veut financer un certain nombre de dépenses, il faut mettre des recettes en face… Pour ma part, je le répète : je préfère taxer la pollution que le travail ! C’est un choix, et nous l’assumons.
Ces recettes permettent de continuer à financer des services publics et de la protection sociale, ainsi que des investissements publics. Car, monsieur le sénateur, qui sans doute avez été élu local, quand vous dites « sans contrepartie », je frémis un peu… Dans les collectivités territoriales, on investit, et on investit parce qu’on a des recettes !
Ainsi, 5,5 milliards d’euros sont inscrits dans le projet de budget 2019 pour le soutien public aux énergies renouvelables. Ce soutien, il faut d’ailleurs le maîtriser, parce qu’on ne peut pas l’augmenter indéfiniment, mais il existe.
S’agissant des transports, tout le monde pense qu’il faut développer les transports en commun pour permettre le basculement d’une mobilité individuelle automobile fortement émettrice de gaz à effet de serre vers une mobilité durable. Or il y faut des investissements massifs – songez au Grand Paris, songez aux régions.
Nous aurons bientôt – c’est concret – une loi sur l’orientation des mobilités. Pour la première fois, une loi de programmation fixera les choix d’investissement, avec, en face, le financement correspondant. Si l’on dit aux Français : on veut un TGV ici, un métro là, un port ailleurs encore, le CDG Express et ainsi de suite, sans prévoir les financements en face, ce n’est pas sérieux !
M. Fabien Gay. Le CDG Express, on n’en veut pas !
M. François de Rugy, ministre d’État. Vous voyez bien que la vignette poids lourds, c’est 500 millions d’euros.
La fiscalité écologique sert, comme d’autres recettes fiscales, à financer le fonctionnement de l’État et la protection sociale, mais aussi à investir pour une transformation. Si l’on reste dans le statu quo, cela ne marchera pas ; c’est pourquoi nous voulons donner à nos concitoyens, nos entreprises et nos collectivités territoriales les moyens de réussir cette transformation !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre d’État, la contribution climat-énergie a rapporté l’année dernière 3,7 milliards d’euros, pour une contrepartie en termes d’encouragement à l’environnement de 180 millions d’euros, en chèques énergie et primes à la conversion de véhicules. Sur le quinquennat, cette contribution s’élève à 47 milliards d’euros !
À ces deux éléments concrets, j’ajouterai une observation : la pollution de l’air liée au trafic maritime est équivalente à l’échelle de la planète à celle qui est liée au trafic automobile. Remettons donc de la vérité et de la sérénité dans nos débats !
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, l’Observatoire climat-énergie a récemment publié les chiffres permettant de comparer les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone adoptés dans le cadre de l’accord de Paris pour le climat et ceux de la programmation pluriannuelle de l’énergie avec les émissions et la consommation d’énergie réelles en 2017.
Comme vous l’avez précédemment expliqué, monsieur le ministre d’État, ces chiffres démontrent non seulement que nous ne remplissons pas nos objectifs, mais que nous en sommes loin. Ainsi, la consommation nationale d’énergie a dépassé de 4,2 points les objectifs pour 2017, tirée par la consommation d’énergies fossiles. En ce qui concerne l’augmentation de la part des énergies renouvelables, nous accusons un retard de près de 12 % !
Parmi les nombreuses raisons de ces mauvais résultats figure l’absence de cohérence des politiques publiques, liée à un pilotage national insuffisant, peu efficace et peu lisible.
Le Conseil national de la transition écologique a été conçu comme une instance de discussion, notamment entre l’État et les collectivités territoriales, destinée à piloter la concertation sur la transition énergétique. Or, quand il est consulté, il peine à assurer correctement ses missions, faute de moyens humains et financiers suffisants.
Par ailleurs, aucune procédure n’est prévue à ce jour pour organiser la mise en cohérence des objectifs définis à l’échelle nationale et des différents schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, ni pour réduire les effets de concurrence entre les régions inégalement dotées et mieux répartir les énergies sur les territoires.
Aussi, monsieur le ministre d’État, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour améliorer la coordination de la politique énergétique et la déclinaison de celle-ci au niveau local ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Filleul, je partage votre constat : il faut accélérer, aller plus loin, plus fort et, pour cela, mobiliser tout le monde. Je l’ai dit dès ma prise de fonction : on ne fera pas de la transformation écologique simplement depuis le bureau du ministre de la transition écologique et solidaire. Ni le Gouvernement ni le Parlement n’y arriveront seuls.
Il faut mobiliser les entreprises, et nous le faisons, dans tous les domaines. Par exemple, nous avons prévu des adaptations au bénéfice des industries électro-intensives, qui, si on leur appliquait la taxe carbone, seraient étranglées.
Il faut mobiliser les collectivités territoriales, qui se mobilisent aussi elles-mêmes : nous le faisons déjà et nous continuerons. Ainsi, le fonds chaleur augmentera l’année prochaine passant à 300 millions d’euros, au bénéfice, pour environ les deux tiers, des collectivités territoriales, avec un effet de levier sur l’investissement, qui permet ensuite à nos concitoyens d’être protégés par rapport à leur facture de chauffage.
Il faut, évidemment, mobiliser les citoyens. Nous le faisons aussi, avec des mesures concrètes.
Dans sa réplique, à laquelle je n’ai pas pu répondre – ce qui est normal, car autrement l’échange serait sans fin –, M. le sénateur Husson a prétendu que nous ne ferions rien pour les particuliers et donné le chiffre de 180 millions d’euros. Je lui répondrai à la faveur de cette question, qui porte sur la même préoccupation. Monsieur le sénateur, le chèque énergie, qui n’est pas durablement une mesure de transformation, mais sert à passer le cap, représentera l’année prochaine 800 millions d’euros. Quant au crédit d’impôt pour la transition énergétique, le CITE, il s’élèvera à 1 milliard d’euros.
J’ai parlé il y a quelques instants des transports collectifs. J’aime à rappeler qu’ils ne sont pas autofinancés par ceux qui les utilisent, par des financements privés. Souvenez-vous du débat sur la dette de la SNCF, 35 milliards d’euros, lors de la précédente session parlementaire : tout le monde a appelé à la reprise de cette dette, mais ces 10 et 25 milliards d’euros repris en deux années consécutives, il faut bien les financer. C’est ce que nous faisons.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Monsieur le ministre d’État, dans un souci d’optimisation de la valorisation des déchets ménagers, le choix du mode de traitement de ceux-ci doit viser à tirer le meilleur parti du gisement existant.
Dans ce contexte, et dans la mesure où ses impacts environnementaux et sanitaires sont aujourd’hui maîtrisés, une incinération performante reste un outil de gestion des déchets pertinent permettant de répondre à un objectif d’élimination, en y associant une valorisation énergétique.
La démarche actuelle pousse d’ailleurs à valoriser au maximum l’énergie produite, en particulier sous forme de chaleur. Mais cela ne va pas sans raccordements aux réseaux de chaleur qui, paradoxalement, représentent encore une faible réalité au regard du potentiel de développement. Même s’ils sont en plein essor, la difficulté réside dans le fait qu’ils restent des outils capitalistiques : l’extension des réseaux nécessite une forte mobilisation financière, et l’amortissement se fait sur le long terme.
Être performant passe par l’innovation, et les aides publiques restent en la matière un corollaire essentiel.
Or, malgré l’ambition affichée des objectifs de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte – multiplier par cinq les énergies renouvelables et de récupération mobilisées par les réseaux de chaleur –, la France reste très en retard dans ce domaine. Les orientations budgétaires que vous avez privilégiées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 n’augurent pas d’un renversement de tendance.
Si cette technique a fait la preuve de sa pertinence, encore faut-il, du point de vue opérationnel, que la visibilité soit au rendez-vous des investisseurs, publics ou privés. Pour les collectivités territoriales comme pour les industriels, il est donc urgent de créer un contexte de visibilité et de constance, couvrant l’ensemble des encadrements réglementaires et fiscaux. La filière des centres de valorisation énergétique pourra ainsi continuer à bien planifier son développement à l’échelle des différents territoires.
Aussi, monsieur le ministre d’État, pouvez-vous nous éclairer sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour pérenniser et favoriser le développement de ces sites d’incinération de nouvelle génération et ainsi encourager la valorisation des déchets ménagers sous forme de chaleur ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Kern, je veux être très clair : même si elle a été présentée avant ma nomination, j’assume totalement la feuille de route pour l’économie circulaire.
Issues d’une large concertation, ces cinquante mesures visent d’abord et avant tout, en matière de déchets, à diminuer la mise en décharge, encore trop importante en France, et à augmenter le recyclage, notamment celui du plastique qui atteindra 100 % en 2025. Telles sont nos priorités en matière de déchets.
Étant pragmatique, je considère que la valorisation énergétique des déchets, qui existe et permet d’alimenter des réseaux de chaleur, peut parfois être une solution. C’est le cas avec les déchets ménagers, même si, plus on les recyclera, moins cette solution sera pertinente – il faut le dire, parce qu’on ne peut pas tout faire en même temps. Mais la biomasse, les déchets bois, différents types de déchets agricoles et d’autres encore peuvent alimenter des réseaux de chaleur renouvelable.
Il y a aussi la géothermie, qui, en Île-de-France par exemple, existe à grande échelle : 400 000 logements sont déjà raccordés et chauffés de cette façon. Le développement de cette technologie fait partie de notre politique.
Dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, une stratégie concrète pour les dix années à venir, le développement des réseaux de chaleur, le raccordement d’un plus grand nombre de logements et de bureaux aux réseaux seront une priorité. Il y aura une augmentation pluriannuelle du fonds chaleur, un des outils d’intervention que l’État accorde aux collectivités territoriales, mais aussi aux entreprises, pour développer les réseaux de chaleur.
La priorité sera évidemment donnée à la chaleur renouvelable, mais on ne pourra pas être partout à 100 %. Dans ce cadre, la valorisation énergétique pourra entrer dans la stratégie de traitement des déchets ménagers.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, aujourd’hui, deux points de pression s’exercent sur les décideurs politiques.
D’un côté, les signes visibles du changement climatique s’accélèrent partout dans le monde, y compris en France. Je pense notamment à la récurrence des inondations qui ont lourdement endommagé nos communes – je l’ai vu dans mon département, la Mayenne, en juin dernier.
De l’autre, on assiste à une mobilisation grandissante de la société civile et des associations, qui manifestent, alertent et attendent une traduction politique concrète de cette prise de conscience globale.
De nombreux espoirs sont nés à la suite de la COP21 et de la signature de l’accord de Paris, aussi bien pour la lutte contre le réchauffement climatique que pour le nouveau modèle de croissance.
L’accord de Paris a toutefois une limite : malgré l’amorce d’une réflexion sur la transition énergétique, aucune des parties prenantes n’a souhaité que cette problématique soit abordée dans l’accord. On a ainsi encouragé les États à réduire leur consommation énergétique et à décarboner leur production d’énergie, sans impulser un nouveau modèle énergétique clair.
De plus, derrière le problème du réchauffement climatique, d’autres questions fondamentales se posent, qui ne sont que rapidement effleurées dans le cadre des grandes négociations internationales : la pression exercée sur les ressources naturelles et la pression démographique.
À cet égard, je rappelle que, en 2050, nous serons presque 10 milliards d’habitants sur Terre. Dans ses vidéos devenues virales sur internet, l’astrophysicien Aurélien Barrau alerte : les réfugiés climatiques seront entre 250 millions et 1 milliard d’ici à 2030 – pas dans cinq siècles, dans trente ans ! Cela ne peut être autre chose que la guerre ; ce n’est pas un fantasme catastrophiste, mais une analyse géostratégique élémentaire qu’il va falloir penser, nous dit cet astrophysicien.
Monsieur le ministre d’État, la COP24 se tiendra en Pologne dans moins de deux mois. Alors que la France joue un rôle majeur dans la mobilisation sur le climat, quelles sont les échéances de la diplomatie française en la matière et de quels outils internationaux disposons-nous aujourd’hui pour parler de ressources naturelles, de démographie, de changement climatique et de politique énergétique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Chevrollier, nous partageons le constat sur le dérèglement climatique. Vous avez particulièrement raison de souligner que, aujourd’hui, les conséquences en sont palpables par nos concitoyennes et nos concitoyens, alors qu’on avait un moment pensé que ce phénomène aurait des répercussions chez les autres, dans des régions lointaines.
J’étais avec le Président de la République aux Antilles voilà quelques jours. Dans ces territoires, évidemment, les conséquences se voient de façon très concrète.
Nous étions auparavant à l’Assemblée générale des Nations unies, où l’on a parlé du climat, et au One Planet Summit, avec des personnes qui s’engagent en politique, dans la société civile, les associations et les entreprises pour lutter contre le dérèglement climatique.
Ce dérèglement, ce n’est pas de la théorie dans des débats : c’est du concret, du concret chez nous. D’ailleurs, comme vous le savez, les assureurs constatent la multiplication des dégâts liés à ce phénomène qui a des conséquences économiques concrètes dans un grand nombre de secteurs.
Face à cela, nous aurons à mener de front deux politiques.
La première consiste à réduire à la source les émissions de gaz à effet de serre, pour limiter le phénomène. Il s’agit évidemment d’un enjeu international, et la COP24 en Pologne va être un moment de négociations difficiles pour que les uns et les autres tiennent leurs engagements. Aux échelles européenne, nationale et locale, cette politique oblige à faire des choix.
Parallèlement, nous sommes obligés de mener une politique d’adaptation au changement climatique. Nous disposons d’ailleurs d’un plan national d’adaptation au changement climatique, que nous allons déployer.
C’est absolument nécessaire pour protéger les Français : nous avons tous vu les images de l’immeuble Le Signal, qui a dû être évacué parce que le littoral est grignoté. Songeons aussi à l’agriculture : les viticulteurs le disent, aujourd’hui déjà les vendanges sont de plus en plus précoces et le degré du vin de plus en plus élevé. Dans tous les domaines, il faut mener aussi une politique d’adaptation au changement climatique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, au-delà des thématiques attendues, ce débat fait ressortir des pistes d’amélioration de notre politique énergétique en matière de gouvernance, ainsi que le manque de lisibilité et de cohérence des politiques énergétiques aux yeux du grand public.
Ainsi, l’ouverture à la concurrence, consacrée voilà plus de dix ans, ne semble pas avoir atteint les objectifs attendus en matière de prix, de qualité de service ou d’accélération de la transition énergétique.
Je souhaite savoir si ce ressenti est corroboré par une évaluation des effets de la libération du marché de l’énergie sur ces différentes variables. Intuitivement, on peut se demander si la mise en concurrence d’une multitude d’acteurs ne participe pas du manque de cohérence dans la mise en œuvre des politiques énergétiques.
Or une meilleure coordination des acteurs serait souhaitable de l’amont à l’aval, de la production à la consommation, sans oublier la gestion de l’après : je pense au casse-tête que représente dans mon département, la Loire, la dépollution et la gestion du site de l’ancienne mine d’uranium de Saint-Priest-la-Prugne.
De la même manière, on peut légitimement se demander comment le domaine de l’énergie peut répondre, en même temps, à la logique de la compétitivité et aux impératifs de la transition énergétique. En effet, comment demander à un opérateur soumis à la concurrence de rechercher une limitation de sa production, donc de son chiffre d’affaires et de sa marge, par la promotion des économies d’énergie ?
Un nouvel étage est ajouté à la fusée, dans le cadre du projet de loi PACTE, avec l’extinction des tarifs réglementés, pourtant l’un des derniers garde-fous : ils protègent les consommateurs non seulement des fluctuations de prix, mais aussi, dans une certaine mesure, de l’anarchie de la concurrence et de ses abus, déjà régulièrement dénoncés par le médiateur de l’énergie.
Bombardé d’informations par les marchés, le consommateur devra devenir hyperactif pour pouvoir réagir de manière rationnelle, en particulier pour s’y retrouver avec le futur contrat de fourniture dynamique.
Pour répondre à ces enjeux de mise en cohérence de nos politiques et d’adaptation aux impératifs de la transition énergétique, nous avons besoin d’un plus grand volontarisme politique en matière de construction européenne de l’énergie qui ne doit pas se résumer à la construction d’un marché.
Monsieur le ministre d’État, quelles orientations seront fixées dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie pour garantir que la mise en concurrence des acteurs ne soit plus un frein à la transition énergétique ? Quelle action la France peut-elle conduire au sein de l’Union européenne pour plus de volontarisme en matière énergétique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Tissot, j’ai déjà évoqué la question de l’ouverture à la concurrence. S’agissant de ses effets sur les prix, certains avaient peut-être promis des baisses. Ce qui est sûr, c’est qu’il est difficile de distinguer les effets des changements en nombre d’opérateurs – aujourd’hui, les Français peuvent choisir entre plusieurs opérateurs pour acheter du gaz ou de l’électricité – et les évolutions des prix mondiaux.
Il ne faut pas mentir aux Français : on ne peut pas avoir, en France ou même en Europe, une oasis de prix bas pour ce qui concerne le pétrole et le gaz si partout dans le monde les prix augmentent, d’autant plus que nous ne sommes pas tellement producteurs…
Par ailleurs, nous cherchons à baisser les consommations pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. D’ailleurs, dans le cadre de la loi sur les hydrocarbures que mon prédécesseur a fait adopter, nous avons renoncé, de notre propre chef, à exploiter, par exemple, les gaz de schiste. Vous vous souvenez du débat dans notre pays voilà quelques années encore, certains prônant leur exploitation.
S’agissant de la diversification des modes de production d’énergie, il est évident que l’ouverture à la concurrence y contribue, en tout cas l’ouverture à la possibilité d’avoir différents opérateurs, différents producteurs. Souvenons-nous de l’époque où, en France, en pratique, on ne pouvait pas produire d’électricité quand on n’était pas EDF ! On pouvait certes en produire, mais pas la vendre à son voisin…
Je crois que c’est un progrès pour nos agriculteurs, pour les particuliers : les Français, pour un certain nombre d’entre eux, sont des producteurs – c’est tant mieux, et nous leur avons donné des garanties.
Quant à la coordination, c’est l’objectif de la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui est un exercice complexe, parce que nous garantissons l’alimentation électrique, notamment, des Français.
À l’échelle européenne, certains ne veulent pas de coordination – chacun pour soi, chacun fait ce qu’il veut –, d’autres, dont nous faisons partie, prônent une politique européenne coordonnée. Le Président de la République et le Gouvernement sont en pointe pour promouvoir la coordination, dans ce domaine comme dans d’autres !
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, indissociable de la souveraineté française, la politique énergétique doit concilier l’indépendance en termes d’approvisionnement, la maîtrise du coût de l’énergie et le respect de l’environnement.
Définie par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la programmation pluriannuelle de l’énergie doit s’adapter aux enjeux de société et aux évolutions technologiques. Elle doit introduire dans ses objectifs principaux l’amélioration de l’efficacité énergétique, le recours aux énergies renouvelables et la garantie de l’approvisionnement.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre d’État, la diversification des sources d’énergie est un enjeu majeur. Or un bon mix énergétique doit garantir l’équilibre entre chacune des sources d’énergie qui présentent des qualités propres. Ainsi, la production d’énergie thermique assure la réactivité essentielle en période de surconsommation d’électricité.
Les centrales thermiques répondent à cet objectif. Celle du Havre, l’une des quatre centrales françaises encore en exercice, a bénéficié de lourds investissements, près de 160 millions d’euros, pour améliorer la captation de CO2. Elle est engagée, comme celle de Cordemais, dans un processus de transition énergétique, afin de remplacer le charbon par de la biomasse et du combustible solide de récupération, ou CSR.
Fermer toutes les centrales thermiques reviendrait pour la France à perdre toutes les possibilités de produire elle-même l’énergie nécessaire lors des pics de consommation en complément des autres sources énergétiques, nucléaire et renouvelable. Nous serons obligés d’acheter à l’étranger l’énergie électrique nécessaire, notamment à l’Allemagne qui – paradoxe – a rouvert ses centrales à charbon.
Le Gouvernement entend-il prendre en compte ces éléments et ces évolutions, en particulier les efforts fournis par les centrales thermiques pour répondre aux critères de la transition énergétique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Canayer, nous avons en commun de bien connaître le problème des centrales thermiques, vous au Havre, moi à Cordemais. Nous n’ignorons pas non plus la situation à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, et à Saint-Avold, en Moselle.
Le Gouvernement a fait un choix, annoncé par mon prédécesseur : fermer les quatre centrales thermiques à charbon subsistant encore en France d’ici à 2022, alors que, auparavant, cette fermeture avait été envisagée pour 2025, et auparavant encore pour 2035.
Il est vrai que des investissements ont été consentis ; c’est le cas aussi à Cordemais. Je le dis parce qu’on nous oppose parfois cet argument à propos d’autres énergies.
Il faut être honnête : comme le charbon a une mauvaise image à l’échelle internationale et nationale, tout le monde trouve la décision prise assez logique. Sur les territoires concernés, c’est évidemment plus problématique, ce qui est normal : il y a des réalités humaines derrière les questions d’énergie, particulièrement quand on décide de fermer une centrale à charbon. Tout le monde parle de Fessenheim pour le nucléaire, mais on écrit beaucoup moins d’articles sur les centrales à charbon.
Nous assumons ce choix, parce que, si nous voulons dire à nos voisins allemands, justement, aux Polonais, à d’autres pays en Europe et dans le monde entier de fermer leurs centrales à charbon, il faut que nous soyons cohérents.
On parle souvent de l’intermittence des énergies renouvelables, comme si ces énergies clignotaient. En réalité, il y a une variabilité de la production, comme il y a une variabilité de la consommation. Pour gérer les pointes de consommation, avec le parc nucléaire, la seule solution que nous avions, vous avez eu raison de le souligner, c’était le thermique. Il faut donc anticiper la perte de cette possibilité. Nous avons quelques centrales à gaz, qui émettent beaucoup moins de CO2 que les centrales à charbon, et il y a les enjeux de stockage.
Enfin, sur un projet biomasse, j’ai déjà eu l’occasion de me pencher sur la question au sujet de Cordemais, et nous en reparlerons pour Le Havre. Il ne faut pas promettre que ce seront des centrales de même taille ni de même puissance que les centrales actuelles sur les sites concernés, mais il faut regarder concrètement ce qui peut être fait en la matière, et d’une manière plus générale sur l’implantation de sites de production d’électricité à partir de biomasse.
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers.
M. Pierre Cuypers. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, libérer la croissance verte était l’objectif poursuivi avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015. Que de retards accumulés depuis lors !
La France est le leader de la production européenne de bioéthanol, avec une production de près de 12 millions d’hectolitres par an. Cette énergie renouvelable permet de réduire de 60 % en moyenne les émissions de CO2, mais elle est fortement concurrencée par des importations croissantes de biocarburants issus d’huile de palme, qui lui ont déjà pris plus de 15 % du marché en moins de trois ans.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
L’article 60 du projet de loi de finances pour 2019 prévoit une réforme de la TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes, selon le Gouvernement. En réalité, quel changement opère-t-il ?
Pour l’instant, je constate que la modification de dénomination de la TGAP en « taxe incitative à l’incorporation de biocarburants » ne change pas grand-chose au dispositif. Le Gouvernement propose une augmentation minime du taux d’incorporation de biocarburants dans l’essence via la TGAP : 0,2 % en 2019 et 0,1 % en 2020, pour un niveau total de 7,8 %, contre 7,5 % aujourd’hui, ce qui n’est pas à la hauteur de l’effort de décarbonation prévu dans les transports. La trajectoire incitative de 2017 sera dépassée de 10 % et ne respectera pas la stratégie nationale bas-carbone.
Avec cette proposition, on sous-utilise le potentiel de bioéthanol pour décarboner les transports, en limitant l’utilisation de bioéthanol de résidus issus des productions sucrières et amidonnières. Or ce bioéthanol n’entre pas en concurrence alimentaire. Par ailleurs, la réglementation européenne confirme que ce produit n’est pas soumis au plafonnement européen de 7 % applicable aux biocarburants de première génération.
Monsieur le ministre d’État, il n’y a donc pas de frein à augmenter plus rapidement l’objectif d’incorporation d’énergies renouvelables dans l’essence. Que compte faire le Gouvernement en la matière lors de la discussion du projet de loi de finances ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Je vous remercie, monsieur le sénateur Cuypers, de votre question, qui permet d’aborder un sujet qui est moins souvent évoqué lorsque l’on parle d’énergie, celui des carburants renouvelables.
Il faut être concret. D’ailleurs, je préfère, pour ma part, parler d’agrocarburants plutôt que de biocarburants. D’abord, ils ne sont pas toujours très bio, reconnaissons-le, mais, surtout, il faut relever l’origine agricole de ces carburants. Il faut regarder le bilan énergétique global, ainsi que l’impact environnemental global. Vous avez raison de le souligner, s’il s’agit d’importer, en quelque sorte, de la déforestation, donc de créer, dans certains territoires, une perte de capacité à capter du carbone et de conduire à une agriculture intensive, qui tue la biodiversité, ce n’est pas un bon calcul. Il faut voir quelles sont nos propres ressources.
Nous avons en effet, en France, une filière, qui est aidée et soutenue. Nous comptons bien, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, fixer un certain niveau de carburants renouvelables dans les transports, qu’il s’agisse des agrocarburants, des gaz issus de la méthanisation des déchets ou de l’électricité renouvelable. Nous étudierons concrètement les différents leviers susceptibles d’être actionnés pour favoriser le développement de cette filière, tout en restant évidemment raisonnables quant à l’impact sur les cultures agricoles en général et au coût de cette filière qui, je le répète, s’est développée en France grâce à un certain nombre de subventions. Si cela pouvait être compréhensible pour amorcer la filière, il convient de voir si cela peut perdurer dans son déploiement. Quoi qu’il en soit, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, il y aura une place pour une part de carburants renouvelables.
M. le président. La parole est à M. Jacques Genest.
M. Jacques Genest. Monsieur le ministre d’État, depuis de nombreuses années, les différents gouvernements ont mis en avant la transition énergétique, en particulier le développement des énergies renouvelables.
Les territoires essaient, malgré les difficultés, de jouer le jeu. Mais que d’embûches, et près de dix ans de combats pour réaliser un parc éolien ! Tel a été le cas de figure auquel j’ai été confronté sur la montagne ardéchoise. Ces obstacles viennent souvent de l’État ou d’organismes qui en dépendent.
Tout d’abord, il faut constater que les énergies renouvelables se développent plus vite que le réseau électrique ; ainsi, la possibilité de branchement n’est pas toujours possible.
Ensuite, les gestionnaires de réseau ont des procédures de création d’ouvrages très lourdes, et donc très chronophages. Ces délais pénalisent le développement des énergies renouvelables dans la mesure où il n’est pas possible d’obtenir un raccordement dans un délai raisonnable et compatible avec la validité d’une autorisation de construire. Il faut par conséquent simplifier, afin que l’ensemble gagne en agilité et en performance.
En outre, le coût du branchement exorbitant et injustifié constitue une taxe démesurée.
Enfin, une autre anomalie existe avec la CRE, la Commission de régulation de l’énergie. Les règles d’urbanisme permettent au préfet d’autoriser une installation photovoltaïque dans le cadre du RNU, le règlement national d’urbanisme. En contradiction, la CRE impose que celle-ci soit compatible avec un document d’urbanisme. Que comptez-vous faire pour supprimer cette anomalie bloquante ?
Je veux aussi attirer votre attention, monsieur le ministre d’État, sur la position rigide de l’armée de l’air, qui s’oppose aux extensions, même dans les parcs existants, et ce malgré ses engagements. Or la zone SETBA, les secteurs d’entraînement à très basse altitude, touche la moitié de l’Ardèche, l’intégralité de la Haute-Loire, ainsi que le Cantal, le Puy-de-Dôme et la Loire, interdisant ainsi à cet immense territoire de participer au développement des énergies renouvelables.
L’exploitation des ressources naturelles représente le principal vecteur de développement économique des territoires ruraux. Ces derniers participent ainsi pleinement à la transition énergétique.
La mise en place d’un parc éolien est déjà très difficile en raison souvent d’une minorité d’opposants extrémistes, mais, si l’État maintient son lot d’obstacles, elle devient franchement impossible. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre d’État, pour réduire ou supprimer ces obstacles instaurés par l’État, afin de mettre – enfin ! – vos actes en conformité avec vos paroles ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Genest, vous avez tout à fait raison de souligner l’opportunité que représentent les énergies renouvelables pour notre territoire, notamment nos campagnes. C’est en effet là que l’on peut aujourd’hui développer l’éolien terrestre et des parcs solaires au sol, même s’il faut évidemment veiller à ce que ce ne soit pas au détriment des terres agricoles, ainsi que la méthanisation, la biomasse de proximité grâce à la ressource du bois. D’ailleurs, le défi que nous avons à relever consiste à beaucoup mieux structurer en France la filière bois-énergie et la filière bois-construction, avec une meilleure exploitation et, bien sûr, une exploitation durable de nos ressources forestières.
Concernant la question de freins divers et variés au développement de l’éolien, vous le savez comme moi – vous êtes un homme d’expérience –, nombreux sont ceux qui se sont ingéniés à en inventer de nouveaux dans différentes assemblées, celle à laquelle j’ai appartenu pendant onze ans comme celle dans laquelle je m’exprime aujourd’hui. Il n’y a pas si longtemps, certains voulaient ajouter une distance d’un kilomètre entre les éoliennes et les habitations, alors qu’une distance de 500 mètres est déjà prévue ! Autant dire que la carte se réduisait comme peau de chagrin.
La problématique que vous soulevez pour ce qui concerne l’armée de l’air est réelle. Mon prédécesseur y avait travaillé, et je vais reprendre le travail avec le ministère de la défense parce qu’il faut que l’on soit cohérent. Moi qui ai été membre de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale pendant cinq ans, j’ai personnellement un peu de mal à comprendre que l’entraînement des pilotes de l’armée de l’air doive se faire sur un terrain totalement dégagé. Si ces derniers devaient intervenir demain sur des théâtres d’opérations où se trouvent des éoliennes, il vaudrait mieux qu’ils y soient préparés. Il en est de même bien sûr pour les radars.
Pour ce qui concerne la question des frais de raccordement, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a déjà raccourci les délais. L’un de mes premiers actes importants a été de signer un arrêté relatif à toutes les mesures de simplification issues du groupe de travail, créé voilà un peu plus d’un an et qui avait été piloté par Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès de mon ministère, lequel permet de simplifier les procédures relatives au développement de l’éolien terrestre.
M. le président. La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, avec 12 à 14 % de production énergétique annuelle, l’hydroélectricité est notre première source d’énergie renouvelable.
En 2015, la Commission européenne a mis la France en demeure, considérant que l’attribution à EDF et le maintien à son bénéfice de l’essentiel des concessions hydroélectriques constituaient des mesures contraires à l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, car elles sont de nature à renforcer sa position dominante.
La France va par conséquent ouvrir à la concurrence la concession de 150 barrages hydrauliques, soit 35 % du parc national. Or nous avons l’un des seuls systèmes fonctionnant sous le régime de concession. Dans les autres pays européens, le marché hydroélectrique fonctionne via le régime des autorisations, n’entraînant donc pas d’ouverture à la concurrence, d’où une absence de réciprocité.
L’hydroélectricité, qui est, par définition, non délocalisable, joue un rôle essentiel dans l’équilibre du réseau électrique, répond à l’intérêt général au travers d’une contribution économique allant bien au-delà de l’aspect énergétique et, enfin, assure la protection contre les crues et la gestion de celles-ci.
Alors que l’État – nous l’avons constaté en Isère – n’a pas pris ses responsabilités face au démantèlement de la branche « Hydro » de General Electric à Grenoble, filière technologique de pointe, il est primordial que notre filière hydroélectrique soit défendue, alors qu’elle nous offre une indépendance et une puissance très fortes.
L’arrivée de nouveaux acteurs nous soumet à de multiples questionnements sur l’entretien de ces infrastructures, l’exigence de sécurité et les tarifs pour les consommateurs. Mais surtout, monsieur le ministre d’État, alors que la gestion actuelle concilie production énergétique et aménagement du territoire, comment sera désormais assurée la gestion des vallées, qui comportent souvent de multiples ouvrages successifs, si ces derniers ne sont pas attribués à la même entreprise ? Des risques de désorganisation et d’incohérences sont à envisager. Ainsi, qu’en sera-t-il de la sécurité des barrages et de l’approvisionnement en eau dans une situation d’éclatement des acteurs ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Savin, vous avez tout à fait raison quant à l’importance de l’hydroélectricité pour la production d’électricité en France. D’ailleurs, celle-ci constitue aujourd’hui la première source d’énergie renouvelable, avec 12 % de la production par an et 400 concessions hydroélectriques. Mais c’est une particularité française – ce n’est pas comparable avec le reste de l’Europe –, 80 % de ces concessions ont été attribuées au travers de l’histoire à EDF, le reste à la Compagnie nationale du Rhône et à la SHEM, une filiale d’Engie, autre grand groupe énergétique français. Voilà la réalité.
Vous le savez sans doute aussi bien que moi, l’histoire de ces dernières années montre que, alors que les concessions étaient arrivées à terme, les gouvernements se sont lentement hâtés, si je puis dire, de trouver des solutions. Certains ont peut-être pensé – je crois que c’est une erreur – que l’on pouvait avoir des œillères : on va aller voir la Commission européenne, on n’aura pas besoin d’appliquer les directives européennes et on pourra continuer ainsi sans rien changer. Je ne sais pas quelle est votre position personnelle sur ce sujet, mais d’autres élus, y compris de votre département, ont tendance à plaider cela.
Or le statu quo n’est pas tenable : on ne peut pas continuer avec des concessions qui sont arrivées à échéance et, donc, avec des concessionnaires qui ne savent plus s’ils peuvent investir, ignorant si leur activité va se poursuivre ou pas, avec des salariés qui sont laissés dans le doute et sont mis dans une situation d’insécurité, avec des élus locaux, souvent partenaires, qui sont, eux aussi, laissés dans le doute et sont démarchés par des opérateurs potentiels. Il faudra bien sortir de cette situation. Une négociation est en cours avec la Commission européenne, mais celle-ci a rappelé la France à ses obligations. Il faudra donc les tenir.
Bien sûr, les collectivités locales auront la possibilité d’être associées, comme cela a été inscrit dans la loi de 2015. Est prévue l’option de regrouper des concessions hydrauliquement liées pour faciliter leur exploitation et favoriser la sûreté, une question que vous avez soulevée. Est également prévue la possibilité de prolongation des concessions contre des travaux et dans le respect de la directive, ainsi que la protection du statut des personnels. C’est dans ce cadre-là que nous agissons, mais il est évident que l’on ne pourra pas rester dans le statu quo : certaines concessions auraient dû être renouvelées depuis 2011.
Dans ce domaine, comme dans d’autres, nous avons été élus pour régler les problèmes, et non pas pour les maintenir en l’état.
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. Monsieur le ministre d’État, on peut faire un constat : les règles ne sont pas identiques entre la France et les autres pays européens. Aujourd’hui, nos entreprises françaises ne peuvent pas aller sur les marchés européens, ce qui est un véritable problème. La négociation devra aussi porter sur ce point.
La France ne doit pas être la seule à s’ouvrir à la concurrence, et je ne suis pas opposé à la concurrence.
Par ailleurs, la gestion des vallées doit être non pas une option, mais bel et bien une obligation. Se pose un problème de sécurité pour les personnes qui y habitent, y travaillent. Le fait qu’il y ait plusieurs opérateurs dans la même vallée risque de conduire à de grands dysfonctionnements. C’est un véritable problème auquel sont aujourd’hui confrontés les élus locaux.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nos débats franco-français, voire européens, finissent par nous laisser penser que le principal objectif poursuivi avec la politique énergétique est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ils tiennent pour acquis le fait que nous aurons toujours assez d’énergie pour nous chauffer, nous éclairer et nous déplacer. Or satisfaire ces besoins essentiels est le véritable objet de la politique énergétique, la réduction des gaz à effet de serre étant une composante que nous devons nous imposer, mais qui a trop longtemps occulté l’essentiel.
À quelles conditions pouvons-nous nous assurer que nous aurons suffisamment de sources d’énergie dans l’avenir ?
D’une part, en favorisant bien sûr notre autonomie énergétique. Daniel Gremillet a montré, au début de notre discussion, que le souhait de réduire à tout prix la part du nucléaire dans la production d’électricité, alors que les énergies renouvelables ne sont pas encore tout à fait en mesure de prendre le relais, avait pour effet de dégrader cette autonomie. D’autre part, en diversifiant nos sources d’approvisionnement, ce qui permet à la fois de s’assurer de quantités suffisantes et des prix les plus bas. La commission des affaires économiques a conduit l’été dernier une mission en Russie, et nous en avons retiré quelques enseignements sur ce second point.
Sur un plan purement géographique, mais aussi culturel, en mettant de côté les contentieux diplomatiques qui nous opposent en ce moment, la Russie est en quelque sorte le réservoir naturel en énergie de l’Union européenne, qui a peu de ressources et a tendance, comme la France, à ne pas vouloir les exploiter. Nous, Français, avons tout intérêt à nous appuyer sur le plus grand nombre de partenaires possible : nos voisins européens – mais les gisements britanniques et norvégiens sont limités –, le Moyen-Orient, nos amis américains et canadiens – nous avons appris ce matin le projet de Shell à Kitimat en Colombie-Britannique – et les Russes.
La Russie est pour nous un partenaire stratégique en matière de fourniture de gaz. C’est le deuxième producteur mondial et le premier exportateur. Or la France et l’Europe ont intérêt à développer leur consommation de gaz non pas dans l’absolu – il faut globalement réduire la consommation d’énergie –, mais par rapport au pétrole et au charbon, et ce pour trois raisons.
Premièrement, le gaz est une énergie bon marché et elle va le rester à moyen terme, car la ressource est très abondante. Deuxièmement, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre d’État, c’est une source d’énergie beaucoup moins polluante et émettrice de gaz à effet de serre que les autres énergies fossiles. Troisièmement, les investissements nécessaires en matière d’infrastructures de transport de gaz seront demain utilisables par le biogaz, un gaz qui ne sera pas fossile. Ces infrastructures préparent donc l’avenir. Dans l’expression « transition écologique », il me semble que le gaz peut être cette énergie de transition.
Lors de notre mission, nous avons aussi constaté l’implication de nos entreprises françaises dans l’exploitation d’énergie en Russie, en particulier Total et Engie, mais aussi Air Liquide, Technip et de nombreuses autres entreprises de taille plus modeste. Engie participe au financement du projet de gazoduc Nord Stream 2 ; Total est actionnaire du premier producteur indépendant de gaz russe, Novatek, avec lequel il achève la construction d’un complexe de liquéfaction de gaz dans l’Arctique russe, sur la péninsule de Yamal. La présence en Russie de deux de nos plus grandes entreprises d’énergie est un facteur sécurisant pour notre approvisionnement, mais aussi un enjeu économique important pour notre pays.
Or un obstacle se dresse quant au développement de ces activités : je veux parler des sanctions américaines prises contre la Russie à la suite de la crise ukrainienne en 2014, sanctions qui ont été aggravées en 2017 avec la question de la Syrie. Ces sanctions ont bien sûr des objectifs politiques, qui ne sont pas le sujet de notre débat d’aujourd’hui, mais elles ont des effets économiques collatéraux sur nos entreprises que nous ne pouvons pas ignorer.
Depuis 2017, les États-Unis se réservent en particulier le droit de sanctionner toute entité qui participerait à un projet de pipeline, et ils mentionnent explicitement leur opposition au projet de gazoduc Nord Stream 2. Ils ont également décidé de placer Novatek sur la liste des entreprises sanctionnées.
Ces sanctions américaines, prises pour des raisons de contentieux politiques, visent néanmoins de façon particulièrement forte de gros producteurs d’énergie, en particulier de gaz, comme la Russie ou l’Iran. Elles ont pour effet d’entraver l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe, au moment même où les États-Unis cherchent précisément à commercialiser leur gaz naturel issu du gaz de schiste en l’exportant par le biais des méthaniers sous forme liquéfiée. Or, pour le moment, le gaz américain est plus cher que le gaz russe, surtout celui qui est acheminé par gazoduc. De là à soupçonner nos alliés américains de chercher à fausser la concurrence à leur profit sur le marché de l’énergie, il y a un pas que, naturellement, je ne franchirai pas, mais que certains de nos interlocuteurs à Moscou ont sauté.
Monsieur le ministre d’État, vous l’aurez compris, il ne s’agissait pas pour moi de dire que la France doit s’orienter vers le gaz russe, le reste du débat ayant montré que nous sommes attachés à un mix énergétique diversifié. Il s’agit surtout d’appeler à ne pas conduire une politique naïve en matière d’approvisionnement de notre énergie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je vous remercie d’avoir participé à ce débat et d’avoir à peu près respecté les temps de parole.
Nous en avons terminé avec le débat sur la politique énergétique.
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 3 octobre 2018, à quatorze heures trente :
Allocution de M. le président du Sénat sur les 60 ans de la Constitution de la Ve République.
Examen d’une demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable tendant à obtenir du Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qu’il lui confère les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour six mois, afin de mener sa mission d’information sur la sécurité des ponts ;
Rapport de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois (n° 728, 2017-2018).
Désignation des onze membres de la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne.
Débat sur la réforme du baccalauréat.
Débat sur la politique industrielle et l’avenir de notre industrie.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats établie par la commission des finances a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement, cette liste est ratifiée.
Les représentants du Sénat à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude sont :
Titulaires : MM. Vincent Éblé, Albéric de Montgolfier, Philippe Dominati et Jean-François Husson, Mmes Sylvie Vermeillet, Sophie Taillé-Polian et Nathalie Delattre ;
Suppléants : MM. Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Éric Bocquet, Thierry Carcenac, Philippe Dallier et Vincent Delahaye, Mme Christine Lavarde.
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD