M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente du groupe de travail, chers collègues, connaissant très bien le pastoralisme, puisque le métier de berger a été le mien pendant plus de vingt ans, j’aurais pu m’exprimer en fin technicien, mais d’autres collègues l’ont très bien fait. Mon intervention sera donc plus générale et rapide.
Depuis un siècle, la société a beaucoup évolué et le pastoralisme s’est considérablement transformé. Aujourd’hui ce système fait partie intégrante du développement rural et assure ainsi une multifonctionnalité qui n’est plus à remettre en cause.
C’est une source d’emplois diversifiés, permanents ou saisonniers, qui renforce un ancrage territorial, vecteur de lien social. Ce système est reconnu pour favoriser des pratiques d’élevage qui permettent de maintenir des paysages ouverts et accueillants, favorables à la biodiversité.
Le pastoralisme est reconnu également parmi les systèmes productifs les mieux-disants en termes de multiperformance écosystémique et de développement durable parmi toutes les autres productions agricoles.
Face au changement global et irréversible du climat, et selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’UICN, « les pelouses d’attitude sont un des écosystèmes français stockant le plus de carbone ». Par ailleurs, les prairies permanentes gérées de manière extensive « présentent en général un bilan global beaucoup plus intéressant que les surfaces cultivées puisqu’elles constituent des puits nets en termes de captage de CO2 ».
De même, la contribution du pastoralisme à la limitation du risque d’incendie et d’avalanche n’est plus à démontrer. L’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, précédemment évoquée par l’un de mes collègues, des paysages culturels de l’agropastoralisme des Causses et des Cévennes démontre la valeur universelle du pastoralisme.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui souligne largement ces points forts, mais aussi les difficultés rencontrées par le pastoralisme et ses acteurs. L’un des enjeux forts auxquels nous devons répondre est celui du revenu de ces agriculteurs, structurellement inférieur à la moyenne de la profession.
C’est pourquoi il est primordial de prendre en compte et de soutenir les dynamiques collectives – les mesures agroenvironnementales, ou MAE, et les systèmes herbagers pastoraux – avec un mécanisme de plafonnement adapté, en privilégiant par exemple l’emploi.
Il est également largement question dans cette proposition de résolution de la difficile cohabitation, évoquée par tous les orateurs, entre le loup, l’ours et le berger ou le pastoralisme.
Ce constat n’est pas issu d’une idéologie. Il n’y a pas, d’un côté, des défenseurs des animaux et, de l’autre, des agriculteurs peu soucieux de leur environnement. Les bergers sont aussi préoccupés par le bien-être de leurs animaux. Ils ne nous parlent pas que de rendement, mais aussi de moutons voués au grand air, mais parfois malheureusement enfermés pour leur propre protection, et de brebis chez qui – je peux en témoigner – la peur permanente des prédateurs entraîne entre autres des avortements.
Caricaturer le débat ne peut en aucun cas permettre d’y apporter les bonnes réponses. Au contraire, il nous faut favoriser les temps de concertation, les diagnostics, les équipements qui permettront de concilier activité pastorale et autres activités.
Les attentes sont grandes et les enjeux importants. Il est à espérer que cette proposition de résolution pourra servir de base à un renforcement de la politique nationale de soutien au pastoralisme et à sa meilleure prise en compte dans le cadre de la future PAC.
Pour conclure, je m’associe aux propos de mon collègue Alain Duran concernant la position de mon groupe pour le vote de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens en tant que signataire de la proposition de résolution sur le pastoralisme.
En effet, je souscris pleinement aux objectifs de préservation des écosystèmes pastoraux qui y sont énoncés, et m’associe en particulier aux alertes répétées concernant le loup rappelées par notre collègue Patricia Morhet-Richaud.
Le plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage repose sur un principe d’équilibre entre la conservation des espèces et la prise en compte de la détresse des éleveurs. Or cet équilibre n’existe pas, mes chers collègues. La seule chose qui subsiste, c’est la détresse des bergers qui pleurent leur travail et qui assistent impuissants à la mort de leurs animaux.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que ce plan était censé assurer une coexistence pacifique. Pourtant, les attaques de loup se multiplient. Dans mon département, au 28 septembre, 378 attaques et 1 208 victimes sont à déplorer, soit une hausse de 13 % des attaques et de 28 % des victimes ; sur les 198 communes que comptent les Alpes-de-Haute-Provence, 90 sont touchées. Il faut souligner que seuls les animaux mordus figurent parmi les victimes, alors que des moutons meurent en sautant des barres rocheuses pour échapper aux canidés et que nombre de brebis avortent, stressées par les attaques, ce qui augmente le nombre réel de victimes.
De même, cette coexistence n’est plus pacifique parce que les loups eux-mêmes ont changé. Un travail d’enquête publié dans mon département, en janvier 2017, par l’INRA et le Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée démontrait déjà que les loups franchissaient la lisière des forêts et se rapprochaient de plus en plus des habitations humaines. Ces animaux « s’adaptent, évoluent en fonction de nous », expliquait le chercheur Michel Meuret.
Mes chers collègues, la vocation des bergers n’est ni de tuer des loups ni de se transformer en éleveurs professionnels de chiens d’Anatolie ou de patous, non plus que de monter des dossiers pour solliciter des subventions destinées à compenser la perte de leurs bêtes.
Que des bergers désertent certains espaces parce qu’il est impossible de préserver leur troupeau, voilà une très mauvaise nouvelle pour l’environnement montagnard, qu’ils ne pourront plus entretenir. Voulons-nous que nos montagnes deviennent à court terme des déserts, dévastées qu’elles seront par des impacts de foudre accélérés par le réchauffement climatique ? Voulons-nous des montagnes fragilisées par des feux, faute de bergers présents ? Voulons-nous pleurer des zones entières carbonisées, comme en Californie ?
Enfin, il faut aussi prendre en compte le désarroi profond des élus concernés, qui vivent dans la crainte permanente, non seulement d’accidents liés à la présence de loups jusque dans les villages et de chiens dans les chemins de randonnée, mais aussi d’accidents de chasse.
Monsieur le ministre, il est nécessaire, à mes yeux, que chacun retrouve sa place. J’ai plaidé en faveur de la conservation d’une brigade loup ; je suis aujourd’hui convaincu qu’il faut soutenir les bergers et embaucher, si nécessaire dans le cadre de contrats aidés, des personnes dédiées à la sécurité.
De plus, je crois nécessaire d’adapter la législation et, en particulier, les dispositions du code rural ayant pour objet la responsabilité des maires quant aux chiens de berger.
À titre personnel, je suis enfin favorable à un autre mode de régulation de la présence lupine. Quiconque s’est trouvé face à un loup sait que le tir de prélèvement négocié n’est pas réaliste. Je plaide très clairement pour que le loup puisse – dans un cadre très réglementé, et lorsque la situation l’impose – être classé comme nuisible.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jean-Yves Roux. Mes chers collègues, je souhaite vivement que cette proposition de résolution débouche sur des solutions pragmatiques, humaines et soucieuses de la préservation à court terme de nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’être l’origine de la carte postale traditionnelle de la montagne, le pastoralisme est une activité économique. Il représente une agriculture vertueuse que pratiquent des femmes et des hommes passionnés, gardiens vigilants de l’équilibre entre la nature, l’homme et l’animal, et ce depuis des siècles.
Je remercie les présidents Sophie Primas et Hervé Maurey, ainsi que nos collègues Patricia Morhet-Richaud, Jean-Noël Cardoux et Cyril Pellevat, d’avoir élaboré la présente proposition de résolution. Elle vise à lancer l’alerte sur les menaces qui pèsent aujourd’hui sur le pastoralisme et traduit le soutien de notre Haute Assemblée aux éleveurs sur cette question importante.
Il s’agit bien de préserver, au travers de produits reconnus, un maillon de la chaîne agroalimentaire dont les atouts touristiques et écologiques sont incontestables.
L’entretien régulier de vastes étendues d’alpages par des troupeaux est indispensable à la lutte contre l’enfrichement comme à la protection contre les risques naturels. Aussi l’intérêt de cette pratique est-il de faire fructifier des ressources difficilement valorisables par l’homme et d’utiliser les espaces non cultivables comme support pour la production de produits laitiers et artisanaux. Le pastoralisme est en cela un élément majeur de la protection et de la gestion des espaces naturels.
Partout, les espaces pastoraux sont reconnus parmi ceux qui connaissent la biodiversité la plus forte. Au cœur de nos parcs naturels, de nos réserves naturelles et de nos espaces protégés, ils constituent un enjeu de biodiversité majeur pour les écosystèmes.
Lors du comité interministériel de la biodiversité, le 4 juillet dernier, M. le Premier ministre a indiqué vouloir rémunérer les agriculteurs pour ce service qu’ils rendent à la nature. Eh bien, cette proposition de résolution vise à défendre une plus juste rémunération pour le pastoralisme qui tienne encore mieux compte des contraintes pesant sur cette forme d’agriculture.
Ce serait une juste reconnaissance des contraintes spécifiques, liées aux conditions naturelles, à la saisonnalité et à l’isolement, auxquelles sont soumis les acteurs du pastoralisme. Évidemment, la question a été largement ouverte.
Cette proposition de résolution met également en débat le soutien au retour de certains prédateurs, à l’image du loup ou, plus récemment, de l’ours, dont une nouvelle réintroduction dans les Pyrénées vient d’être annoncée.
Si l’on peut concevoir aisément qu’il soit nécessaire de protéger des espèces relevant de la convention de Berne, la remise en cause de la viabilité économique d’exploitations agricoles en montagne ne saurait être la conséquence de cette protection. Malheureusement, c’est bien la situation que nous connaissons aujourd’hui.
Le cri d’alarme est réel, et ce débat est porté cet après-midi dans notre enceinte. Je tiens à saluer les très nombreux collègues qui l’ont rappelé, exemples à l’appui : il faut entendre, monsieur le ministre, ce cri d’alarme !
Il me semble donc nécessaire qu’un arbitrage et un suivi fassent l’objet de discussions au sein de l’Union européenne. Il est tout aussi impératif que cette question trouve enfin, au sein du plan national évoqué, des solutions pérennes offrant aux acteurs du pastoralisme toutes les sécurités nécessaires à la poursuite de leur activité économique.
La compatibilité du pastoralisme avec la présence du loup est en question ; un équilibre doit donc être recherché, sans jamais perdre de vue que les acteurs du pastoralisme sont les pionniers de la biodiversité et des garants de la qualité.
Le groupe Union Centriste votera donc en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Michel Savin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Michel Savin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu remercier nos collègues pour leur travail complet et ambitieux sur le pastoralisme.
Pour ma part, je concentrerai mon intervention sur l’exaspération et la détresse des éleveurs du département de l’Isère. Comme d’autres éleveurs français, ils sont confrontés depuis de nombreuses années à des attaques de loup de plus en plus nombreuses ; les réponses qui leur sont apportées ne sont pas satisfaisantes.
Monsieur le ministre, il est certain que parler de loup, d’ours, de prédateurs et de pastoralisme au sein de notre hémicycle parisien peut faire sourire. Je me souviens encore du mépris d’un ancien ministre de l’agriculture lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement - les agriculteurs n’ont pas oublié !
Nous savons par avance que nombre d’observateurs s’interrogeront sur l’utilité de notre démarche. Pour certains d’entre eux, le problème de l’articulation entre pastoralisme et prédateurs se résume à une ou deux brebis tuées par an… Pourquoi donc débattre d’un tel sujet ? Mais cela est bien loin de la vérité ! Il est plus que jamais nécessaire et urgent de le rappeler et de porter ici, au cœur de notre représentation nationale, au Parlement, le cri de désespoir des éleveurs qui, chaque jour, pratiquent leur activité la boule au ventre.
Oui, la défense du pastoralisme est d’une importance majeure ! Depuis des siècles, ces pratiques sont présentes en France ; elles façonnent le territoire et le protègent.
Cependant, cette activité est aujourd’hui en danger. Avec plus de 12 000 attaques de loup par an, dont 40 % se déroulent désormais en plein jour et, parfois, à proximité des habitations, les bergers, mais également les élus locaux ne peuvent plus faire face.
Avec un taux de croissance annuel de près de 20 %, près de 500 loups adultes seraient présents en France.
Face à ces chiffres, le montant des indemnisations, plus que jamais nécessaires, explose, jusqu’à atteindre désormais plus de 20 millions d’euros par an.
Dans le même temps, les inquiétudes sont toujours plus nombreuses sur le terrain.
Du fait du développement des activités sportives et de loisirs en montagne, nous constatons des incidents, dont le nombre risque de s’accroître, entre les randonneurs et les chiens de protection, que la présence du loup soumet à une pression continue. Cela aboutit à des drames humains face auxquels les élus locaux n’ont pas de moyens de réponse. Aussi, certains d’entre eux décident de fermer l’accès aux chemins de randonnée pour éviter de subir de telles tragédies.
L’activité économique du pastoralisme étant elle-même menacée, de nombreux éleveurs décident de mettre fin à leur activité.
Cette situation démontre finalement trois choses : le loup gagne la bataille géographique, en avançant sur les terres ; le loup gagne la bataille économique, car la détresse des éleveurs est telle qu’ils sont nombreux à vouloir arrêter leur activité ; le loup, enfin, est en train de gagner la bataille politique face à l’absence de propositions des pouvoirs publics.
Nous connaissons d’ores et déjà les réponses qui nous seront faites.
La convention de Berne et la directive Habitats nous empêchent de mettre en place des politiques plus fermes sur le sujet. Mais peut-on encore considérer le loup comme une espèce en voie de disparition ?
Monsieur le ministre, comment peut-on le prétendre, quand l’ambition du Gouvernement est de réformer et de faire avancer l’Europe ? La détermination de chacun devrait permettre de revenir sur ces textes, alors qu’une majorité de pays européens est désormais affectée par la question des prédateurs.
Le Gouvernement aurait présenté un plan Loup 2018-2023 ambitieux. Toutefois, pour les éleveurs, les mesures prises ne paraissent pas à la hauteur face aux réalités du terrain et aux attentes des acteurs du pastoralisme.
Ce plan illustre parfaitement le peu de considération qu’a le Gouvernement pour les territoires. Face à une telle indifférence, j’espère que la proposition de résolution que nous adopterons permettra au Gouvernement de réaliser des avancées, d’amender le plan Loup et d’ouvrir des négociations sur le sujet au niveau européen afin de revoir à la hausse le nombre de prélèvements par rapport au nombre de loups présents sur les territoires ; c’est une question de bon équilibre de la biodiversité.
En conclusion, je citerai le Président de la République : le 25 janvier 2018, il annonçait vouloir remettre « l’éleveur au milieu de la montagne » ; or, aujourd’hui, nous constatons que ce sont toujours les loups qui sont au milieu de la bergerie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Patricia Morhet-Richaud, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour votre engagement et pour la qualité des travaux que vous avez menés ensemble au sein de la mission d’information relative à la gestion des loups sur le territoire français et au pastoralisme, dont vous étiez le rapporteur, monsieur Pellevat.
Je veux par ailleurs, sans ambages, saluer votre volonté de prolonger ces réflexions, tout au long de la session parlementaire qui s’ouvre, par le biais d’un groupe de travail consacré au pastoralisme, que pilotera Mme Morhet-Richaud.
Vos nombreuses auditions d’élus locaux et d’éleveurs, ainsi que la diversité des acteurs impliqués, nous fournissent une matière bien précieuse pour continuer à travailler.
Je n’ignore rien des difficultés que subissent les éleveurs du fait de la prédation, principalement en raison de la présence du loup.
Vous avez été plusieurs à le rappeler, les chiffres, aujourd’hui, parlent d’eux-mêmes : on estime à 430, en sortie d’hiver 2017-2018, le nombre de loups présents sur le territoire national, et ce dans plus de 74 zones de présence permanentes, dont 57 comprennent des meutes.
M. Michel Savin. Plus que ça !
M. Stéphane Travert, ministre. L’aire géographique d’implantation du loup s’étend. Or la prédation fait près de 12 000 victimes, majoritairement ovines.
Les éleveurs ont mis en place des mesures de protection, financées à hauteur de plus de 23 millions d’euros par an par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation et le FEADER, le Fonds européen agricole pour le développement rural. L’indemnisation est quant à elle assurée par le ministère de la transition écologique et solidaire, à hauteur de 3,5 millions d’euros par an. Bien sûr, ces montants ne couvrent qu’une partie des dépenses nécessaires à la cohabitation du loup et de l’élevage sur ces espaces d’agropastoralisme.
La détresse et l’angoisse des éleveurs sont réelles et compréhensibles ; je veux particulièrement leur dire que l’État est à leurs côtés, que je suis à leurs côtés. J’ai rencontré un certain nombre d’entre eux et j’ai pu lire maintes fois sur leur visage l’angoisse et la fatigue ; j’ai perçu les conséquences de cette situation sur leur santé et sur leur vie de famille. Le Gouvernement et moi-même y sommes particulièrement sensibles.
C’est pourquoi nous avons mené de larges consultations sur le nouveau plan national d’actions : il s’agissait de comprendre toutes les contraintes, d’évaluer tous les enjeux, d’entendre toutes les positions.
Ce plan, finalisé en février dernier, guidera l’action du Gouvernement sur les six prochaines années. Il offre plus de moyens aux éleveurs et les remet au centre de la montagne, tout en offrant au loup un cadre protecteur.
Ce plan – j’y reviendrai – pourra être révisé une fois le seuil de viabilité de 500 loups atteint.
Mme Marie-Pierre Monier. On y est déjà !
M. Stéphane Travert, ministre. Même si j’ai conscience de ses limites au regard des attentes des acteurs agricoles, ce plan comporte de réelles avancées.
En effet, il inscrit le principe d’une gestion adaptée aux impacts sur l’élevage et aux réalités des territoires.
En outre, l’État poursuit son appui financier au déploiement des mesures de protection des troupeaux en fonction de l’expansion du loup.
Vous le savez, l’un des éléments clefs de cette protection est le gardiennage par l’activité des bergers. C’est pourquoi le Gouvernement s’engage à négocier avec la Commission européenne la prise en charge à 100 % du coût du berger salarié, contre 80 % dans le plan précédent.
Par ailleurs, la prédation sera abordée dans la formation des bergers ; l’attractivité du métier sera renforcée et le recrutement ainsi facilité.
Un réseau de référents techniques, déjà opérationnel, permettra de diffuser les savoir-faire et de sécuriser l’utilisation des chiens de protection, sous forme de formations collectives ou de conseils individuels.
Par ailleurs, une expérimentation menée dans les parcs nationaux de la Vanoise et du Mercantour vise à mobiliser une brigade de bergers mobiles expérimentés pour venir en aide aux éleveurs dans les foyers d’attaque les plus importants.
Au-delà de la protection des troupeaux, le soutien au pastoralisme constitue un élément très important de ce plan. Des plans de soutien à l’économie de montagne, sur le modèle pyrénéen, vont voir le jour sous la houlette des préfets coordonnateurs des Alpes et du Massif central.
La conditionnalité de l’indemnisation des dommages, c’est-à-dire l’obligation, pour un éleveur souhaitant être indemnisé, d’avoir, au préalable, mis en place des moyens de protection suscite des incompréhensions, je le sais. Cette obligation, qui résulte de l’application des lignes directrices agricoles européennes, vise à assurer la sécurité juridique et financière du dispositif d’indemnisation. Conscient des contraintes qu’il impose, le Gouvernement veillera à un déploiement progressif de ce principe.
Par exemple, il ne s’appliquera ni aux nouvelles zones de présence du loup ni à la première attaque. Des dérogations seront possibles sur les fronts de colonisation où la mise en œuvre de mesures de protection est difficile, ainsi que pour les troupeaux considérés comme non protégeables.
M. Alain Marc. C’est trop techno !
M. Stéphane Travert, ministre. Une concertation avec les représentants de la filière va définir des critères pertinents.
M. Vincent Segouin. Une usine à gaz !
M. Stéphane Travert, ministre. Il n’y a là rien de « techno », ce sont des mesures simples et rapides à mettre en œuvre.
J’ajoute que la révision de ce régime d’indemnisation des dommages liés à la prédation intègre également une revalorisation des barèmes et la prise en compte des pertes indirectes telles que la baisse de lactation, ou encore le stress des animaux. Ces modalités, qui doivent encore être validées par la Commission, devraient aujourd’hui être en mesure de rassurer les éleveurs.
Cela dit, il faut également agir pour la maîtrise du développement de la population de loups.
Cette année, la destruction de 10 % de la population de loups, soit 43 animaux, a été autorisée. Ce taux pourra être porté à 12 % en cas de nécessité. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Que c’est techno !...
M. Stéphane Travert, ministre. De plus, pour protéger les troupeaux toute l’année, la nouvelle réglementation donne le droit aux éleveurs de continuer à pratiquer des tirs de défense au-delà du plafond annuel de loups pouvant être tués.
Le plan prévoit également une libéralisation des modes de tir, notamment du tir de défense simple avec une arme à canon rayé, et un accès plus rapide au tir de défense renforcée.
M. Bruno Sido. Le tir à l’arc ! (Sourires.)
M. Stéphane Travert, ministre. La possibilité de procéder à des tirs d’effarouchement sans autorisation administrative est également accordée. Le renforcement des pouvoirs des préfets pour une gestion adaptative et de proximité améliorera l’efficacité de ce dispositif.
Pour le suivi des populations de loups, il est indispensable de se fonder sur des données solides et des méthodes de collecte rigoureuses. Ce travail est mené par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, seul organisme en mesure de délivrer des informations fiables. Les données sur les constats de dommages sont disponibles sur la base de données Géoloup.
Le plan Loup prévoit le regroupement de l’ensemble des informations dans une base de données nationale réactive, partagée et multifonctionnelle, qui comportera un suivi des dommages, des cartes, et un certain nombre de graphiques très utiles pour l’ensemble des éleveurs.
Comme vous le savez, les engagements de la France en matière de préservation de l’espèce nous obligent à respecter l’objectif de viabilité de 500 loups. (MM. Alain Marc et Joël Guerriau s’exclament.) Une fois cet objectif atteint, il conviendra de revoir ensemble les modalités de gestion de l’espèce.
Par ailleurs, un axe fort du plan Loup vise à adapter l’intervention publique à l’évolution des connaissances scientifiques, en particulier pour l’amélioration des techniques de protection des élevages et d’effarouchement du loup. Des travaux seront menés avec l’appui du conseil scientifique permanent du plan. Ce conseil, en cours de mise en place, constituera une instance experte en matière d’éthologie, de systèmes agropastoraux, d’effets des tirs de loups sur la prédation et la population, ou encore de techniques d’effarouchement.
Enfin, une étude prospective pluridisciplinaire sur le pastoralisme à l’horizon de 2035 est lancée afin de mieux mesurer la capacité du pastoralisme à se maintenir, voire à se développer en présence du loup. (Mme Françoise Laborde s’exclame.) Ses conclusions auront vocation à éclairer les choix politiques futurs.
Le plan Loup fait l’objet d’un suivi, d’informations et d’échanges dans le cadre du groupe national Loup, réuni trois fois l’an, présidé par le préfet coordonnateur et regroupant les acteurs concernés : organisations nationales socioprofessionnelles et associatives, administrations et établissements publics. Cet espace de dialogue doit permettre un traitement équilibré du sujet au regard des différents enjeux.
Ce plan ouvre une nouvelle page des relations du pastoralisme avec le loup, ce qui – je l’espère – permettra une cohabitation plus apaisée.
Je comprends l’urgence, je comprends aussi les craintes. (Exclamations sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) Alors, sachez que je serai particulièrement attentif à la mise en œuvre rapide et efficace des actions prévues. Nous évaluerons d’ailleurs ce plan à mi-parcours, avant le déploiement de la deuxième phase, pour adapter si nécessaire ses actions.
Comme pour le loup, le plan d’actions Ours brun 2018-2028 vise à concilier la présence de l’ours avec le pastoralisme et à diminuer la prédation sur le bétail. Des accompagnements sont également prévus. Vous avez été nombreux à en faire état.
Nous faisons confiance aux acteurs et aux élus locaux pour dépassionner le débat et construire ensemble cette coexistence sur le long terme.
Je terminerai mon propos par une note optimiste sur le pastoralisme, sans occulter pour autant les difficultés rencontrées sur nos territoires.
Comme le souligne parfaitement votre proposition de résolution, le pastoralisme est une pratique ancestrale et collective qui a modelé profondément les milieux montagnards français et leurs paysages. Nous y sommes attachés, car des femmes et des hommes participent chaque jour à la conservation et à l’utilisation durable de la biodiversité sauvage, à la variété de la flore des prairies de montagne et de la faune associée, mais aussi à la conservation de la biodiversité domestique, de nos races de vaches et de brebis adaptées à ces milieux spécifiques et difficiles, une forme de biodiversité elle aussi à préserver et à mettre en valeur.
Nous le savons : sans pastoralisme, pas de milieux ouverts,…