Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’instar des intervenants précédents, je veux exprimer une déception quant au résultat final.
J’ai le sentiment d’avoir vécu un examen de projet de loi bien atypique.
Le travail sénatorial s’est effectivement heurté à l’engagement de la procédure accélérée empêchant un examen approfondi, entrecoupé par le dépôt d’amendements gouvernementaux à tous les stades et s’accompagnant de délais très contraints ; au désintérêt des députés de la majorité, qui n’ont pas même discuté des dispositions adoptées par le Sénat lors de la réunion de la commission mixte paritaire, pour finalement les rejeter de manière expéditive en nouvelle lecture ; à la volonté du chef de l’État, supplantant d’ailleurs celle du Gouvernement, par son annonce devant le Congrès de Versailles d’une renégociation de la convention d’assurance chômage, concrétisée par le dépôt d’un amendement tardif au moment de l’examen du texte par le Sénat.
Mais je suis aussi habitée d’un sentiment d’absence de respect du débat démocratique, vis-à-vis de nous, parlementaires, mais également des partenaires sociaux.
Cette absence de respect est en germe dans le projet de loi, avec la recentralisation de l’assurance chômage, le Gouvernement imposant un document de cadrage aux partenaires sociaux et prévoyant, en cas d’échec de leurs négociations sur la question du bonus-malus, de reprendre la main par décret.
Mais elle s’exprime aussi avec l’amendement en question qui a remis en cause le travail du Gouvernement à l’origine du texte initial, le travail des députés, notre propre travail, et dont les motifs, avancés par vous-même, madame la ministre, et destinés à justifier la remise en cause de la convention d’assurance chômage, sont loin de constituer le motif d’intérêt général qui pourrait permettre la rupture de l’accord conventionnel. Nous contesterons donc la constitutionnalité de cette disposition.
Madame la ministre, vous ayant écoutée avec attention, je me permets de vous signaler qu’il ne faut pas inverser les choses… Le Sénat est plus que favorable aux échanges avec les partenaires sociaux ; tout dépend, simplement, du calendrier et de la méthode proposés, calendrier et méthode dont vous avez la responsabilité !
Sur le contenu final du projet de loi, et sans vouloir revenir en cet instant sur tous les points, je formulerai quelques remarques.
Les dispositions phares annoncées lors de la campagne présidentielle sont, avant tout, des mesures d’affichage non financées. Il en est ainsi de l’ouverture de l’assurance chômage aux démissionnaires, mais sous des conditions strictes – cette ouverture aurait pu, du reste, être inscrite comme la seizième démission légitime existante – et de l’encadrement encore plus strict des droits des indépendants. D’ailleurs, ceux-ci nous ont eux-mêmes affirmé, lors des auditions, se sentir humiliés par un tel dispositif, que, au passage, ils n’avaient pas demandé.
La remise en cause de la nature du régime, jusqu’alors clairement assurantiel et contributif, avec un basculement vers une fiscalité d’État est le signe d’un changement très profond de modèle social. Il est grave que le débat n’ait pas lieu dans le cadre de l’examen d’un projet de loi de finances, mais prenne appui sur ce projet de loi.
S’y ajoute l’imprécision entourant la révision des critères de l’offre raisonnable d’emploi, qui dépendra maintenant de la seule appréciation du conseiller référent de Pôle emploi, alors que nous avions prévu, au moins, un cadre pour les délais de révision.
Les nombreux apports du Sénat renforçant les droits et devoirs du demandeur d’emploi, notamment en matière de garanties procédurales, ont été supprimés.
Une incertitude complète demeure concernant les mesures envisagées par le Gouvernement pour restreindre l’usage des contrats courts, et nous savons que le dispositif du bonus-malus ne fonctionne pas, pis, qu’il pourrait tuer l’emploi.
En définitive, ce sont de nouvelles sources d’incertitude que nous voyons naître, alors que notre pays ne s’extrait toujours pas du chômage, et, surtout, nous avons l’impression d’une belle occasion manquée d’un travail partagé et construit dans un seul et même intérêt : notre économie, la France et sa capacité à rayonner en Europe et dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme la majorité des orateurs m’ayant précédé, je commencerai mon intervention par regretter la tournure prise par l’examen de ce projet de loi, extrêmement important pour les Français.
Malgré le caractère majeur de ce dernier pour le Gouvernement, on ne peut que déplorer le manque d’anticipation, les changements d’orientation soudains et le mépris opposé au travail du Sénat.
Je ne reviendrai pas sur les nombreux dysfonctionnements ayant conduit à une CMP bâclée ni sur les nombreux amendements gouvernementaux déposés à la dernière minute, faisant fi du travail constructif que nous avions déjà engagé avec vous, madame la ministre, ni sur notre volonté de faire aboutir positivement le présent texte.
Votre gouvernement porte la responsabilité pleine et entière du résultat législatif auquel nous sommes arrivés aujourd’hui.
J’espère que ce « pari », comme vous le répétez, sera réellement bénéfique pour l’apprentissage, la formation professionnelle, les demandeurs d’emploi et les travailleurs handicapés, dans un contexte où tous les acteurs sont inquiets.
Concernant le volet des travailleurs handicapés, sur lequel j’ai eu l’occasion de travailler, un certain nombre de mesures introduites par le Sénat ont toutefois été conservées dans le texte final.
Rappelons que le sujet du travail des personnes handicapées est important, car celles-ci connaissent un taux de chômage de 19 %, lorsque la moyenne nationale est d’environ 9 %.
Nous partageons un point de vue commun : la priorité donnée à l’emploi direct, le travail étant synonyme de lien social, d’intégration, et le signe d’une vie normale.
Je tiens à saluer deux mesures importantes introduites par le Sénat.
La première est la possibilité pour une personne au handicap irréversible de se voir attribuer, de façon pérenne, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, afin de lui éviter des formalités inutiles.
La seconde est la sécurisation du parcours de la personne, afin de le rendre le plus transversal possible entre les différents milieux – je pense notamment aux entreprises adaptées et au milieu ordinaire.
Cependant, comme pour les autres volets de ce projet de loi, je regrette la mauvaise organisation des débats, avec des mesures introduites par le Gouvernement au fil de l’eau, à l’Assemblée nationale et au Sénat, privées d’étude préalable et de l’avis du Conseil d’État.
Je regrette aussi la suppression de dispositions, pourtant importantes, prévues par le Sénat, comme la possibilité pour une entreprise de s’acquitter de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés par un accord agréé, alors que tous les avis et les rapports réalisés par l’administration sont favorables à cette mesure.
Enfin, je ne peux comprendre votre volonté d’écarter des priorités les personnes les plus lourdement handicapées, qui sont, de ce fait, les plus éloignées de l’emploi.
Le sujet du handicap figure, en définitive, dans un projet de loi « fourre-tout ». Il aurait dû faire l’objet d’un texte séparé. Il appelait d’autres mesures, et une réflexion plus approfondie sur certains points, notamment sur la situation financière de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des handicapés – l’AGEFIPH – et du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique – le FIPHFP –, que vous souhaitez traiter dans un second temps.
Je tiens toutefois à saluer le travail et l’implication de Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, tout en regrettant que son action soit diluée dans des textes mal appropriés, ayant parfois des effets contraires aux intérêts des personnes handicapées.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable.
Comme vous, madame la ministre, je citerai Goethe pour conclure mes propos, et cette citation illustre nos relations actuelles avec le Gouvernement : « Parler est un besoin, écouter est un art. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous vivons une période formidablement surréaliste !
Le Président de la République et ses collaborateurs rivalisent de déclarations pour s’accuser de tout, après avoir affirmé n’être responsables de rien.
Le texte sur l’avenir professionnel revient devant nous dans son état initial, comme si le Sénat n’existait pas. Il est débarrassé, certes, des coercitions plus dures pour les chômeurs, décidées par la droite sénatoriale, mais il était des améliorations que le Gouvernement aurait dû utilement conserver.
Le plus ubuesque, le plus inconvenant est atteint avec le renvoi de l’examen des modalités de l’assurance chômage à la négociation des partenaires sociaux.
Quatre termes, madame la ministre, me semblent caractériser votre texte : supercherie, régression, autoritarisme et amateurisme.
Commençons par la supercherie.
Les titres retenus apparaissent comme autant de slogans publicitaires destinés à mystifier : Choisir son avenir professionnel ; Favoriser l’entreprise inclusive ; Moderniser la gouvernance ; Une indemnisation […] plus universelle et plus juste. C’est « beau comme du Verlaine » et nous aurions aimé y croire… Hélas, c’est parfaitement illusoire !
La réalité est effectivement moins reluisante. Nous sommes face à un texte de vraie régression sociale, et quelques exemples le montrent.
Malgré les grandes envolées du candidat Macron, l’universalité de l’assurance chômage ne concernera qu’une infime minorité de démissionnaires et de travailleurs indépendants. Un nouvel oxymore vient d’être inventé : l’universalité sélective…
Le transfert des cotisations salariales sur la contribution sociale généralisée – la CSG – introduit une rupture grave. Au droit acquis par ses propres cotisations, se substituent le devoir et la soumission qu’implique le bénéfice de la solidarité fiscalisée.
C’est la fin du paritarisme, qui élevait les partenaires sociaux au rang d’acteurs de leur avenir collectif, nourrissait le dialogue et assurait une gestion sérieuse et responsable. Il n’en restera qu’une apparence, une coquille vide, un alibi enfermé dans une lettre annuelle de cadrage.
La différence entre nous, madame la ministre, ne réside pas, comme vous le caricaturez parfois, entre ceux qui veulent bouger et ceux que l’idée même révulse. Changer, oui, mais pour adapter, pour améliorer, ce que nous avons montré et dont vous profitez aujourd’hui ! Pas le changement qui relève de l’agitation, qui est destructeur des fondements mêmes de notre cohésion sociale et qui s’oppose à la croissance et à la réduction du chômage !
À tout cela s’ajoutent des atteintes répétées aux droits et aux revenus des travailleurs, ce que relève, d’ailleurs, le New York Times.
Je citerai l’article 33 et la remise en cause du cumul entre travail réduit et allocation. Sont concernées 800 000 personnes, en majorité des femmes.
Les crédits en faveur de l’égalité entre femmes et hommes sont squelettiques, loin des déclarations sur la « grande cause nationale ».
La prime d’activité est supprimée aux travailleurs titulaires d’une pension d’invalidité, après la réduction du revenu des ménages bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH.
L’obligation d’emploi de 6 % de personnes handicapées n’est pas modifiée, mais vous en facilitez l’atteinte par quelques artifices, notamment l’intégration dans le calcul des stages et des périodes de mise en situation.
Voilà, enfin, le pantouflage encouragé, récompensé pour favoriser, dit-on, l’enrichissement personnel. Je ne sais dans quel sens il faut l’entendre… Vive les futurs conflits d’intérêts !
J’en viens à l’autoritarisme et au mépris des engagements.
Le texte a trahi l’accord des syndicats signataires conclu au mois de février. Pas étonnant qu’un sondage réalisé par le Centre de recherches politiques de Sciences Po, le CEVIPOF, relève que 90 % des salariés hors cadres considèrent que le dialogue social n’existe pas. C’est le nouvel effet « nouveau monde » !
Il s’accompagne du fait du prince, l’abandon du projet relatif à l’assurance chômage ! Une déclaration un lundi après-midi, et le mardi, un amendement flou, juste avant la discussion générale, vient anéantir tous nos travaux. Quelle désinvolture et quel mépris pour le travail du Parlement !
Enfin, notons l’amateurisme et l’impréparation.
Ainsi le Gouvernement a-t-il déposé moult amendements sur son propre texte, signe d’une grande précipitation.
Ainsi l’article 66 prévoit-il de procéder par ordonnance pour corriger toutes les imprécisions, les approximations du projet actuel. Quel aveu !
Ainsi l’élargissement de l’assurance chômage coûtera-t-il aux alentours de 500 millions d’euros, mais vous ne savez pas où trouver le premier euro, alors que votre budget pour 2019 baissera de 2 milliards d’euros. Pourtant, Bruxelles réclame des précisions et de la sincérité sur la trajectoire budgétaire de la France…
N’auriez-vous pas, par hasard, le secret espoir que le renvoi de la négociation devant les partenaires sociaux puisse les conduire à accepter de porter l’impopularité de la baisse des prestations ? Quel soulagement ce serait !
Un proverbe chinois dit : « Quand le sage montre la Lune, l’imbécile regarde le doigt ». Vous avez évoqué la Lune comme un objectif, madame la ministre ; j’espère que vous n’avez pas considéré que nous avons regardé le doigt !
Nous avons là le concentré d’une attitude qu’un nombre croissant de nos concitoyens rejettent : pouvoir personnel, mépris du Parlement et des corps intermédiaires, arrogance et suffisance qu’adopte, par contagion, une cour faisant écran à la réalité.
Vous comprendrez, dès lors, qu’il nous soit impossible d’apporter le moindre soutien à votre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Forissier, Mme C. Fournier, M. Mouiller et Mme Puissat, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (n° 692, 2017-2018).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole est à M. le président de la commission, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen au Sénat d’un projet de loi sur lequel la navette parlementaire aurait tout à fait pu aboutir.
Nous en partageons les objectifs ; nous en approuvons les grandes lignes ; nous avons souhaité en améliorer les modalités.
Les rapporteurs et moi-même nous sommes fortement engagés dans ce sens, tentant de rapprocher les points de vue et de faire œuvre utile.
Pourtant, lors de sa réunion du 26 juillet dernier, notre commission a approuvé, sur proposition de ses quatre rapporteurs, le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable.
L’utilisation de cette procédure n’est jamais anodine, mais le comportement de l’Assemblée nationale et de l’exécutif, autant que le calendrier parlementaire, ne nous donne d’autre choix.
Compte tenu de la méthode retenue par le Gouvernement et par vous-même, madame la ministre, pour l’élaboration du texte, son examen n’était pas placé sous les meilleurs auspices.
Je pense à cette annonce, déjà évoquée, d’un big-bang réformant le financement et la gouvernance de la formation professionnelle le jour même de la signature par les partenaires sociaux de deux accords nationaux interprofessionnels. Ces décisions unilatérales ont heurté la sensibilité des partenaires sociaux et la conception que nous nous faisons, au Sénat, du dialogue social.
Le dépôt d’un grand nombre d’amendements gouvernementaux issus de concertations menées parallèlement à l’examen du projet de loi, sur l’emploi des travailleurs handicapés, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou la fonction publique, n’a pas contribué à la clarté des débats. Il aurait fallu mener ces concertations bien avant l’adoption du projet de loi en conseil des ministres, afin que le Parlement puisse disposer d’un texte stabilisé.
En dépit de ces difficultés, le Sénat a examiné ce projet de loi de manière approfondie, grâce au travail conduit très en amont par ses rapporteurs, auxquels je souhaite en cet instant rendre hommage. La commission s’est réunie le 27 juin, soit une semaine seulement après l’adoption de ce texte par l’Assemblée nationale, et elle a adopté un texte assorti de 215 amendements. Nous avons ensuite examiné 771 amendements en séance publique, pendant quatre jours et demi de travaux, au cours desquels 169 amendements ont été adoptés.
Les débats ont été à la fois sereins et efficaces sur l’ensemble des sujets. Chacun a pu s’exprimer, et pas seulement, à la différence de ce que nous avons observé à l’Assemblée nationale, sur le titre Ier.
Je ne reviendrai pas en détail sur les apports du Sénat, rappelés par le rapporteur. J’indiquerai seulement que notre assemblée a rééquilibré le texte sans remettre en cause sa philosophie générale : rééquilibrage en matière d’apprentissage, afin que les régions conservent plusieurs prérogatives découlant de leur compétence en matière économique et d’aménagement du territoire ; rééquilibrage en matière de formation professionnelle, pour que les régions, encore, et les partenaires sociaux disposent d’une juste représentation au sein de France compétences ; rééquilibrage en matière d’assurance chômage, afin que le renforcement des prérogatives du Gouvernement s’accompagne d’un nouveau rôle du Parlement dans l’élaboration du document de cadrage qui sera remis aux partenaires sociaux.
Je pourrais ainsi continuer l’énumération des apports du Sénat qui témoignent, une fois encore, que notre assemblée a travaillé dans un état d’esprit de tempérance, afin de corriger, comme c’est son rôle, les excès du texte adopté par l’Assemblée nationale.
L’annonce intempestive du Président de la République, le 9 juillet dernier, devant le Congrès, de la renégociation de la convention d’assurance a suffi à vouer à l’échec la CMP organisée le 16 juillet. Une demi-heure, seulement, pour constater le désaccord entre nos deux assemblées, sans examen au fond des dispositifs !
Le texte adopté en nouvelle lecture par les députés s’inscrit dans la lignée de la CMP : il rétablit quasiment à l’identique la version adoptée en première lecture, ne retenant que quelques amendements issus du Sénat.
Presque tous les apports du Sénat ont de fait été rejetés d’un revers de main par les députés en nouvelle lecture, avec parfois des justifications lapidaires, erronées, voire biaisées.
Alors que le Président de la République a été élu sur un programme de rassemblement, dans lequel le dialogue, le respect, le travail étaient promus au rang de vertus cardinales, force est de constater que la pratique n’est pas au rendez-vous de ces valeurs. Le Président de la République décide, l’Assemblée nationale vote et le Sénat n’est pas entendu !
Pour l’avenir des jeunes de ce pays, bien maltraités alors qu’ils sont notre richesse, nous avons besoin de la mobilisation de tous, des entreprises, des régions, des partenaires sociaux. Tous doivent être embarqués dans les réformes.
Madame la ministre, vous comprendrez aisément les raisons qui nous conduisent à ne pas soumettre ce projet de loi à une nouvelle lecture : la position du Sénat a été largement développée en première lecture, et nous ne sommes pas en mesure de faire évoluer davantage un texte auquel l’Assemblée nationale a opposé une fin de non-recevoir.
Le Conseil constitutionnel sera amené à se prononcer, tant sur la procédure que sur le fond.
Je constate avec regret que, en nous imposant un amendement de dernière minute, le Gouvernement a bousculé, sur sa propre initiative, la relation de confiance que nous avions tissée depuis un an, à l’occasion des ordonnances réformant le code du travail. Nous devrons en tirer les conséquences dans les mois à venir, lorsque le Sénat examinera la réforme constitutionnelle, afin de défendre les vertus du bicamérisme et, plus globalement, les prérogatives d’un Parlement rénové et renforcé.
Goethe a été cité à deux reprises. Permettez-moi de citer René Char qui écrivait dans les Feuillets d’Hypnos : « Ne t’attarde pas à l’ornière des résultats. » Nous faisons nôtre cette injonction, afin de conserver, par-delà les vicissitudes de l’actualité politique, l’indépendance et la liberté d’esprit du Sénat.
Dans cet esprit, mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous demande de bien vouloir adopter la motion tendant à opposer la question préalable, prenant acte qu’il n’y a plus lieu de poursuivre la discussion de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Dans le respect de vos travaux, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe du RDSE votera contre la motion tendant à opposer la question préalable.
Nous ne refusons pas les échanges, même si les débats se sont succédé au mois de juillet à un rythme effréné – soixante-huit heures de débat pour le seul projet de loi ÉLAN, auxquelles il faut ajouter les discussions du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous et du présent projet de loi – et que nous arrivons un peu à saturation. Il est temps que les vacances arrivent !
Mon groupe est par principe hostile à toute motion tendant à opposer la question préalable et vote contre, quelle qu’en soit l’origine, car il est pour le débat, pour la discussion, voire quelquefois pour la confrontation.
Les débats sont d’une qualité assez exceptionnelle au Sénat. Nous ne sommes pas toujours d’accord, mais nous sommes capables de défendre des points de vue différents et d’en discuter. La discussion renforce à nos yeux le rôle du Sénat et le bicamérisme, mais nous aurons ce débat lors, peut-être, de l’examen du projet de loi constitutionnelle.
Pour l’heure, je le répète, mon groupe votera contre la présente motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales propose au Sénat d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Les arguments en faveur de cette motion sont clairs : les interventions lors de la discussion générale, notamment celle de notre collègue Catherine Fournier, rapporteur et membre de mon groupe, ont été limpides et sans appel.
Madame la ministre, puisque le projet de loi aborde l’apprentissage et la formation professionnelle, je souhaite vous poser une question en lien avec la pédagogie. Comment faire en sorte que les messages clefs soient entendus et compris ? De nombreux pédagogues répondent que, parmi les multiples méthodes, outils et techniques disponibles, la répétition peut favoriser ces ancrages. C’est donc avec espoir, mais sans illusion, mes chers collègues, que je vais répéter au Gouvernement ce qui a déjà été dit tant de fois.
Le projet de loi initial manquait singulièrement de précision. Il a été complété au fil de l’eau par des amendements gouvernementaux substantiels qui ont échappé aux études d’impact. L’amendement n° 750 a été préparé tardivement et déposé encore plus tardivement, si bien que vous-même, madame la ministre, sembliez en ignorer le contenu lorsque nous vous avons interrogée à son sujet avant d’entamer nos travaux.
Par ailleurs, le calendrier a empêché les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat de préparer la commission mixte paritaire. En effet, le Gouvernement a convoqué cette dernière quelques heures après la fin de l’examen du projet de loi au Sénat.
Bref, la forme ne permettait pas au Parlement de coconstruire ce texte.
J’ajoute que cela pose une question plus profonde, et inquiétante, concernant la politique menée par le Gouvernement vis-à-vis du Parlement au moment de la discussion de la révision constitutionnelle.
Sur le fond, madame la ministre, la Haute Assemblée a travaillé avec la rigueur qui lui est reconnue. Nous avons apporté des modifications à votre projet de loi sans jamais porter atteinte ni à sa philosophie ni à aucun de ses éléments fondamentaux – je pense notamment à la monétisation du CPF et au coût du contrat en matière d’apprentissage. Nous avons même enrichi votre texte, afin de garantir une mise en œuvre efficace.
Avec votre majorité, vous vous êtes toutefois opposée à notre rédaction, notamment à la réintégration d’une dose de pilotage régional dans le dispositif de la formation et de l’apprentissage. Madame la ministre, je vous rappelle que la région est responsable de la définition des orientations en matière de développement économique dans les territoires. Ce seul argument justifiait à nos yeux qu’elle demeure un acteur de la formation professionnelle et de l’apprentissage.
Mes chers collègues, en conclusion, nous ne pouvons que constater le rejet de l’action contributive du Sénat. Nous ne pouvons que constater que la méthode retenue par le Gouvernement ne favorise pas le dialogue entre les assemblées. Nous ne pouvons que constater le refus d’écoute, de partage et d’entente des députés de la majorité gouvernementale.
Dans ces conditions, le groupe Union Centriste votera en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)