Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si vous me le permettez, je reprendrai les premiers mots de mon intervention lors de la première discussion générale sur ce texte.
Le destin collectif de la France et les destins individuels des Français sont étroitement liés. Pour redonner du dynamisme à la France et aux Français, il faut investir massivement dans la formation et les compétences, pour être collectivement capables d’impulser les changements de l’économie de la connaissance plutôt que de les subir ; donner à chacun la liberté de choisir son avenir professionnel et la capacité de construire son parcours, pour créer ou saisir les différentes opportunités professionnelles qui se présentent ; protéger les plus vulnérables contre le manque ou l’obsolescence rapide des compétences et vaincre, ainsi, le chômage de masse.
Le texte initial du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel était bien pensé.
Lors de nos débats, 215 amendements ont été votés, la plupart ont modifié la philosophie même du texte.
Les sénateurs ont notamment voté des amendements introduisant les régions dans le copilotage du nouveau système d’organisation de l’apprentissage, prévoyant que les régions aient un regard sur les besoins des CFA de leurs territoires en décidant que, chaque année avant le 30 juin, l’ensemble des CFA, y compris ceux qui ne demandaient aucune aide, transmettrait à la région leurs documents comptables et financiers – quel paradoxe de parler de décentralisation quand on veut contrôler même ceux qui ne dépendent pas de nous ! –, modulant l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, supprimant le bonus-malus sur les cotisations employeur mis en place par le Gouvernement, rejetant l’amendement n° 750 du Gouvernement qui prévoit que, à compter de la promulgation de la présente loi, ce dernier demandera aux partenaires sociaux de négocier une nouvelle convention d’assurance chômage, afin de mieux lutter contre la précarité et d’inciter les demandeurs d’emploi au retour à l’emploi, sur la base d’un document de cadrage qui fera l’objet d’une concertation préalable.
Face à ce texte qui ne respectait plus les équilibres initiaux, la commission mixte paritaire réunie le lundi 16 juillet ne pouvait qu’échouer.
Nous nous retrouvons donc aujourd’hui pour examiner en nouvelle lecture le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le nouveau texte étant similaire à celui qui a été proposé lors de nos premiers débats, il ne me paraît pas utile d’en redonner tous les points positifs, puisqu’il revient aux principes initiaux. En revanche, lors de son examen en commission des affaires sociales, a été votée une motion tendant à opposer la question préalable, choix cohérent, puisque la majorité du Sénat ne veut pas accepter la philosophie retrouvée de ce texte.
Malheureusement, de nombreux arguments tendant à vouloir faire croire que l’impossibilité de l’accord provenait du Gouvernement et de l’Assemblée nationale sont inappropriés. Je citerai deux exemples.
Le premier touche au texte : l’amendement de la discorde annoncé par le Président de la République devant le Congrès à Versailles le 9 juillet demande aux partenaires sociaux – organisations syndicales et patronales – de renégocier dès la rentrée les règles de l’assurance chômage, et donc, de facto, les règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi. S’il est vrai que la forme manquait de délicatesse, le fond aurait dû être partagé par tous, notamment par ceux qui exigent moins de verticalité, ceux-là mêmes qui demandent à contrôler les centres de formation d’apprentis, les CFA.
Le second exemple est une utilisation politique de ce débat. Comment oser dire que le bicamérisme est en cause lorsque les deux chambres n’arrivent pas à se mettre d’accord ? Les lignes rouges étaient connues dès l’origine. Les franchir empêche un travail commun, mais ne remet pas en cause le bicamérisme.
Ce n’est pas parce que les idées du Sénat n’ont pas été retenues que l’on peut dire que le Gouvernement et l’Assemblée nationale sont illégitimes. Le bicamérisme doit rester l’art de la controverse et non celui d’un consensus mou qui conduit à des politiques fades et qui ne résolvent en rien l’état d’urgence dans lequel se trouve la France.
Deux philosophies s’affrontaient. Elles n’étaient pas compatibles, la controverse l’a montré. Il me paraît donc logique qu’en commission ait été votée une motion tendant à opposer la question préalable qui, si elle est votée ici, bloquera une nouvelle discussion. C’est pourquoi sur cette motion, je le précise dès à présent, nous nous abstiendrons. (MM. Didier Rambaud et Jean-Claude Requier applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 13 juin dernier, à l’occasion du congrès de la Mutualité Française de Montpellier, Emmanuel Macron a présenté les grandes lignes de son modèle social. Il a affirmé vouloir mener une « révolution profonde », reposant sur trois principes : la prévention, afin « d’attaquer les inégalités avant qu’il ne soit trop tard » de manière « plus efficace et plus juste » ; l’universalité, « qui donne les mêmes droits à chacun, de manière transparente » ; le travail comme « clef de l’émancipation pour toutes celles et ceux qui peuvent y avoir accès ».
Ces principes, nous les partageons. Pourtant, nous ne les retrouvons pas, ni dans ce texte sur l’avenir professionnel ni dans les précédentes réformes menées par ce gouvernement. En effet, les ordonnances Travail de septembre 2017 ont attaqué le code du travail et détruit les droits des salariés, tandis que la loi Pacte donne les pleins pouvoirs aux chefs d’entreprise et aux actionnaires. Ce projet de loi « pour la liberté de choisir un avenir professionnel » s’attaque, lui, à la formation professionnelle et à la sécurité sociale.
Ce projet de loi est bien loin, madame la ministre, de lutter contre les inégalités d’accès à la formation, initiale comme continue.
En effet, l’apprentissage est généralisé dès le plus jeune âge, puisque le dispositif est ouvert à partir de quinze ans, voire de quatorze ans s’agissant des prépas-métiers. Cette mesure fait donc sortir les adolescents de l’enseignement public, au détriment des lycées professionnels notamment. Ces mêmes adolescents sont également privés du service public de l’orientation, puisque vous avez décidé de faire disparaître les centres d’information et d’orientation, les CIO. Il est difficile de prétendre que ces mesures, qui empêchent une bonne information des élèves et des étudiants et qui les privent de l’enseignement public, ont pour ambition de combler les inégalités d’accès à l’éducation.
Concernant la formation continue, le constat est le même : la monétisation du compte personnel de formation, le CPF, et la division par deux des droits à formation aggravent les inégalités. En effet, comme l’a montré une étude de l’INSEE, les personnes qui se forment le plus sont les salariés qui sont déjà les mieux formés, typiquement les cadres en CDI. La monétisation va obliger les actifs à participer au financement de leur propre formation.
J’ai également rencontré des difficultés à voir en quoi la réforme de l’assurance chômage visait l’universalité des droits.
Les contrôles exercés sur les demandeurs d’emploi sont augmentés et les conditions pour bénéficier de l’allocation sont durcies. On peut citer l’exemple du carnet de bord, qui conditionne les droits au chômage à la preuve de l’échec des actions de recherche d’emploi.
Ensuite, le chômage a été ouvert aux démissionnaires et aux indépendants de façon très limitée, bien loin, là encore, de l’universalité. Par exemple, on estime que les nouvelles mesures sur le chômage ne bénéficieront qu’à 2,3 % des 1 million de salariés qui démissionnent tous les ans.
La situation est similaire s’agissant du chômage des indépendants. En effet, ce projet de loi prévoit que seuls les travailleurs en redressement ou en liquidation judiciaire pourront bénéficier de l’allocation chômage. Autrement dit, les travailleurs en faillite devront passer par une procédure longue et coûteuse devant les tribunaux avant de pouvoir prétendre à leur allocation, alors même qu’ils se trouvent bien souvent en situation de grande précarité.
Enfin, ce projet de loi réduit les obligations des employeurs concernant la formation professionnelle. Ces obligations sont transférées vers les salariés, faisant peser sur eux la responsabilité non seulement de se former, mais aussi d’être employable. La formation professionnelle perd son rôle principal, celui de permettre aux actifs de réaliser leurs projets professionnels et d’acquérir des qualifications. La formation devient alors une obligation pesant sur les actifs. Ils doivent se former, afin de correspondre aux attentes des entreprises. Je vois mal comment le fait de soumettre les salariés aux besoins du marché leur donne les moyens de s’émanciper par le travail.
Ce projet de loi ne reflète pas du tout les valeurs de lutte contre les inégalités, d’universalité des droits et d’émancipation par le travail que M. Macron prétend défendre. Tout au long des débats, nous avons proposé notre projet alternatif.
Nous demandons la création d’un véritable service public de l’emploi et de l’orientation. La formation professionnelle doit rester dans le cadre national pour permettre un égal accès à l’information sur les parcours professionnels et à la formation initiale et continue.
Nous pensons qu’il faut permettre à tous les jeunes d’acquérir une qualification. Les considérations économiques ne devraient pas être un frein à la réalisation de leurs projets professionnels et à l’acquisition de qualifications. Afin de réaliser cette ambition, nous militons pour la création d’une allocation autonomie pour les jeunes.
Il nous semble également essentiel de rendre la sécurité sociale réellement universelle. Cela permettrait d’offrir une sécurité à tous actifs. Il faut protéger chacun des aléas économiques pour leur permettre de réaliser leurs projets professionnels indépendamment des considérations d’employabilité.
Nous avons défendu cette vision devant le Sénat et nous nous sommes inquiétés des graves reculs en matière de droits des salariés que ce projet de loi introduit. Nous n’avons reçu que peu de réponses de votre part, madame la ministre. Nous le déplorons !
Vous avez souhaité que votre projet aille vite : il a été fait dans la précipitation, sans respect des parlementaires. Vous avez décidé par avance de ce que vous vouliez. Finalement votre projet n’est qu’une régression pour les salariés et les apprentis, mais nous pensons que c’est ce que vous vouliez. (M. Pascal Savoldelli applaudit. – Mme la ministre sourit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Fournier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Fournier. Madame la présidente, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous sommes saisis en nouvelle lecture du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
À ce stade, le texte que vient de nous transmettre l’Assemblée nationale est quasi identique au texte sur lequel le Sénat a déjà livré son interprétation. Il fait suite à la commission mixte paritaire non conclusive qui s’est tenue seulement quelques heures après son vote au Sénat le soir du 16 juillet. C’était un signe avant-coureur de la conclusion que nous lui connaissons.
Je tiens toutefois à revenir sur les travaux conduits par le Sénat. Soulignons que soixante-dix heures d’auditions ont été menées par les rapporteurs ici présents. Cela nous a permis d’appréhender les attentes des professionnels du secteur, des régions, des partenaires sociaux et des différents organismes intéressés.
Madame la ministre, ces entretiens ont fait émerger des arbitrages pragmatiques dans le but d’assurer une bonne mise en œuvre de la réforme que vous portez.
D’ailleurs, le travail de la commission des affaires sociales a été construit en toute clarté avec vos services, en bonne intelligence, afin d’arriver à une proposition raisonnable, proposition qui sera soutenue lors de la séance publique ici même.
Ce texte était porteur de remarques utiles pour une application plus efficiente, tout en poursuivant l’esprit de votre projet. Malheureusement, la commission mixte paritaire n’est pas parvenue à un accord. Plusieurs facteurs expliquent cet échec qui incombe au Gouvernement et aux députés de la majorité.
D’abord, il me semble que le projet de loi initial souffrait d’imprécisions, pour ne pas dire de substance parfois. Reportons-nous à l’article 17 dont la rédaction a été totalement revue, à l’absence de contenu sur les volets égalité homme-femme et handicap, ou encore aux dispositions concernant le travail détaché dans un texte qui a été nourri par des amendements successifs en première lecture à l’Assemblée nationale.
La décision d’examiner ce texte en procédure accélérée prise par le Gouvernement sur une réforme majeure – pour mémoire : 66 articles dans le projet de loi initial, 126 à l’issue de la navette – a rendu d’autant plus difficile la convergence de nos deux chambres. C’est ainsi que de trop nombreux amendements gouvernementaux ont échappé, comme l’ont rappelé nos collègues, à toute étude d’impact, à l’avis du Conseil d’État et à la règle de l’entonnoir.
Enfin, pour parachever cela, j’insisterai sur l’amendement gouvernemental, qui a été déposé in extremis et sans égard pour notre Haute Assemblée. Il a fait l’objet de plusieurs rappels au règlement pour en obtenir le dépôt pendant la discussion générale le 10 juillet dernier.
Chez nous, comme ailleurs je pense, on dirait que vous avez confondu vitesse et précipitation. La sagesse et l’exigence du travail des sénateurs sont reconnues. Comme à l’habitude, nous avons amendé ce texte qui nous était adressé, afin d’en parfaire les contours, d’en assurer sa viabilité, et d’en permettre une mise en œuvre rapide, sans heurt et dans un souci d’optimisation.
Madame la ministre, notre exigence a été mal considérée, y compris par vous-même. Permettez-moi d’exprimer ma réserve face aux propos que vous avez tenus à l’occasion de la discussion générale de ce texte en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale.
Vous avez déclaré concernant la commission mixte paritaire : « Je déplore cet échec, mais aurait-il pu en être autrement quand les alternatives qui vous ont été proposées auraient conduit au statu quo ? » Vous continuez sur l’assurance chômage : « [….] quant aux objectifs de réforme que nous poursuivons concernant l’assurance chômage, le Sénat l’a rejetée. Mais parce que le chômage ne peut pas et ne doit pas être le seul horizon de millions de Français, cette possibilité, vous l’avez saisie et résolument actée en commission en nouvelle lecture, ce que je salue. »
Votre première remarque est erronée : si nous avions voulu le statu quo, nous aurions détricoté votre projet de loi ; il n’en a rien été.
Votre seconde remarque est désobligeante à notre égard, et surtout malvenue lorsqu’on se rappelle les conditions dans lesquelles vous avez déposé l’amendement n° 750.
Peut-on imaginer que le chômage ne soit pas, pour nous élus des territoires, une préoccupation essentielle ? Bien évidemment, il ne peut s’agir d’un horizon pour quiconque, mais votre commentaire s’apparente à un procès d’intention par lequel vous sous-entendez que seul le Gouvernement saurait s’arroger la détresse induite du chômage et qu’il aurait seul et sans partage la connaissance de la situation et de la solution !
M. Gérard Dériot. Bravo !
Mme Catherine Fournier. Bien légiférer, ce n’est pas légiférer dans l’urgence, c’est légiférer dans la recherche de l’intérêt général. Je suis convaincue que des voies de convergence auraient été possibles si nous avions eu le temps d’une deuxième lecture.
Notre opposition – si on peut la qualifier ainsi – n’était ni pleine ni entière, elle était celle d’un Sénat exigeant, bienveillant et désireux de travailler dans l’intérêt de nos concitoyens.
M. Philippe Mouiller. Très bien !
Mme Catherine Fournier. En effet, nous n’avons pas supprimé la monétisation du CPF, ni la nouvelle rédaction relative à l’état des lieux récapitulatif de l’évolution professionnelle tous les six ans à l’article 6, ni l’essentiel de la rénovation du régime contractuel de l’apprentissage aux articles 7 à 9, ni la régulation rénovée de l’offre de certification professionnelle prévue par l’article 14, pas plus que nous n’avons remis en cause les grandes lignes de la réforme des modalités de financement aux articles 17 à 19.
L’âme de la réforme était donc bien présente dans le texte adopté par le Sénat, et nous en sommes malheureusement à entamer une nouvelle lecture.
Je relève toutefois que l’Assemblée nationale a conservé certaines mesures adoptées par le Sénat : la coconstruction de l’abondement du CPF par accord collectif ; la clarification du cadre juridique de l’enseignement à distance dans les établissements d’enseignement supérieur privés, adopté sur l’initiative de notre groupe Union Centriste ; l’application du régime juridique de la mobilité en alternance applicable à l’Union européenne et à l’ensemble des pays étrangers ; le volet relatif au détachement et à la lutte contre le travail illégal au titre III ; le régime juridique pérenne du contrat à durée déterminée intérimaire.
Cela reste cependant bien maigre et, à mon sens, quelque peu déséquilibré. Je constate que le rapport n° 1177 de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale évoque dans son avant-propos « le manque d’équilibre du texte consécutif au travail du Sénat. »
Permettez-moi de remarquer que l’Assemblée nationale se satisfait et revendique l’équilibre qu’elle trouve avec elle-même.
M. Gérard Dériot. Très bien !
Mme Catherine Fournier. Quid de l’opinion du Sénat sur la place des régions ? Quid de l’opinion du Sénat sur le titre II, sur le bonus-malus ou le cumul entre revenus d’activité et allocation chômage ? Quid de l’avis du Sénat sur la disponibilité des fonctionnaires et l’accès à certains postes à responsabilités dans les trois fonctions publiques ?
Au travers de cela, l’Assemblée nationale estime que son texte est équilibré et répond aux différentes attentes.
C’est faire preuve d’un manque de considération de nos travaux et particulièrement des précautions que nous avions mises en place.
Si nous exprimons notre réelle déception, ce n’est pas pour nous sénateurs ou sénatrices, au regard du travail que nous avons fourni. Nous l’assumons pleinement, nous avons œuvré avec sincérité.
Là où cette déception se fait le plus sentir, c’est envers toutes les personnes, particulièrement impliquées, que nous avons auditionnées. C’est leur déception, et nous la faisons nôtre.
Or une commission mixte paritaire qui arrive quelques heures seulement après le vote du Sénat était jouée d’avance, nous l’avons compris dès l’introduction de sa présidente ce même jour.
Nous partagions pourtant un constat : la formation et l’apprentissage doivent être réformés. Nous partagions l’envie de croire en votre pari, nous vous présentions simplement un texte que nous estimions enrichi. Nos collègues députés l’ont dénaturé.
Aussi, je forme des vœux de succès pour votre réforme, parce que l’avenir professionnel des Français y est au cœur.
J’y insiste, nous avons voulu vous alerter sur les difficultés de mise en œuvre de cette réforme, vous alerter sur la fracture qui pourrait en découler entre nos territoires ruraux et urbains ou encore entre les personnes les plus averties et celles qui sont les moins attentives à leurs évolutions de carrière.
Madame la ministre, j’aurais eu plaisir à construire avec vous ; je respecte votre mission et vous me voyez vraiment navrée, avec tous mes collègues de l’Union Centriste, de cet aboutissement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller et M. Gérard Dériot. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Yves Daudigny. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture, après l’Assemblée nationale, le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le constat à cet instant est sévère : une commission mixte paritaire pour la forme, vite expédiée, aucune considération pour le travail du Sénat, absence de toute volonté de dialogue et de compromis.
Ni le renforcement de la place des régions en matière d’apprentissage et de formation professionnelle, ni la préservation du rôle des partenaires sociaux, ni les propositions faites en faveur d’une meilleure orientation, ni la modernisation des statuts du maître et de l’apprenti n’ont trouvé grâce aux yeux de la majorité gouvernementale, alors que de nombreux points avaient fait l’objet de larges accords dans notre assemblée.
Et que dire de la méthode, sorte de tourbillon des amendements, signe d’une réforme mal préparée, précipitée sinon improvisée, ou encore d’une méthode politique ne laissant que peu de place à un débat de fond posé et de bon sens ?
C’était dès le début mal engagé : big-bang et remise en cause du contenu de l’accord national interprofessionnel du 22 février ; absence d’évaluation des récentes et nombreuses réformes en la matière ; étude d’impact incomplète et absences d’avis du Conseil d’État du fait de l’introduction de plus d’une centaine d’amendements, à l’image de la gouvernance de France compétences précisée en nouvelle lecture ; une impréparation manifeste sur des points importants comme l’a illustré en première lecture en commission à l’Assemblée nationale la réécriture globale de l’article 17 relatif à la contribution unique – rien que cela ! –, qui perd d’ailleurs son unicité, à la formation professionnelle et à l’alternance.
Enfin, stupéfaction et colère atteignent leur paroxysme avec le dépôt, par le Gouvernement, de l’amendement n° 750 à l’article 33, dans la suite du discours présidentiel devant le Congrès à Versailles, amendement qui appelle, avant que ne débute la discussion sur le titre II, à renvoyer à la négociation les règles de l’assurance chômage, sans la moindre considération pour la convention d’assurance chômage signée le 14 avril 2017. Quel mépris, je ne trouve pas d’autre mot, pour le travail parlementaire ! Quelle considération pour les partenaires sociaux !
S’il est pourtant un sujet, madame la ministre, mes chers collègues, sur lequel nous aurions aimé contribuer à un consensus, c’est bien celui-là. J’ai déjà souligné l’importance centrale dans notre société du triptyque éducation-formation-culture, de la nécessité d’adaptation des femmes et des hommes à l’évolution de la société, aux mutations technologiques et aux nouveaux métiers, de l’urgence de réduire les inégalités d’accès à la formation, mais aussi de la compétitivité de nos entreprises.
Selon une étude de Bpifrance publiée lundi dernier, 41 % des entreprises de moins de 250 salariés déclarent « d’importantes difficultés de recrutement », soit dix points de plus en un an. Ces difficultés de recrutement tiennent d’abord aux manques de main-d’œuvre correspondant à la demande. Pôle emploi évalue les embauches abandonnées entre 200 000 et 330 000 en 2017. Pourtant, selon les données publiées dans le même temps, le chômage, hélas ! ne décroît toujours pas et touche 8,9 % de la population active.
En refusant toute pertinence aux contributions fondées sur de longues expériences, vous allez détruire des architectures certes perfectibles, pour les remplacer par des dispositifs imaginés sur des bases idéologiques. Des paris bien risqués ! Il en est ainsi de la privatisation du conseil en évolution professionnelle, le CEP, et de l’introduction d’un CPF monétisé, très largement sous-évalué, de la transformation du congé individuel de formation, le CIF, en CPF de transition à budgets envisagés étranglés. Il en est ainsi d’un paritarisme devenu résiduel, d’une remise en cause de la décentralisation aux dépens des régions en matière tant de formation que d’apprentissage. Il en est ainsi d’une vision hyperindividualiste de la formation que nous ne partageons pas.
L’accompagnement professionnel est un enjeu stratégique. Le texte proposé repose sur la conception d’un individu seul responsable de son employabilité, doté de ressources qu’il utilisera librement sur un marché de la formation où seront mis en concurrence des prestataires certifiés. Cette responsabilisation de l’individu conduit à considérer tout sujet social en problème individuel. L’individualisation sans l’accompagnement ne fait pas l’autonomie.
Mes chers collègues, dans l’histoire de la formation professionnelle construite dans notre pays marche après marche depuis 1970, ce texte, dont la majorité gouvernementale assumera seule la responsabilité, est, à nos yeux, un rendez-vous manqué. Le plus grave serait, sera qu’il contribue à aggraver les inégalités sociales et territoriales qui fragilisent la cohésion sociale et minent notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que cette session parlementaire va bientôt se clore, nous examinons en nouvelle lecture le texte réformant la formation et l’assurance chômage. Nous avons besoin que cette loi soit rapidement votée pour achever le second chantier social de ce quinquennat, avec ce volet « sécurité » de la réforme du travail qui succède au volet « flexibilité » des ordonnances Travail.
Ce projet de loi nous concerne tous, actifs, salariés, indépendants, créateurs d’entreprise, demandeurs d’emploi et jeunes. Je voudrais remercier les rapporteurs, qui ont effectué de nombreuses auditions et ont amélioré le texte en première lecture, mais aussi saluer le travail de Mme la ministre et des partenaires sociaux.
Les mesures proposées sont nombreuses : simplification de la formation professionnelle, renforcement des actions en faveur de l’égalité hommes-femmes, soutien à l’apprentissage et à l’insertion des personnes handicapées, aux indépendants, démissionnaires, etc.
Or, sur ces enjeux clefs de l’économie française, essentiels à la lutte contre le chômage, nos deux chambres n’ont pas su s’entendre. L’échec de la commission mixte paritaire est bien dommage ! Pourtant, il nous faut donner à l’État les moyens de labourer de son soc le sillon républicain pour recréer les conditions d’une véritable égalité sociale qu’est l’emploi. Surtout, redonnons ses lettres de noblesse à l’apprentissage.
Aujourd’hui, l’Allemagne compte trois fois plus d’apprentis que la France et son taux de chômage des jeunes est trois fois moindre. Arrêtons d’encourager une obsession du diplôme, une homogénéité des parcours. Mettons en place des passerelles entre les formations. Soyons plus proches des jeunes, écoutons leurs aspirations, donnons-leur les chances de réussir dans les métiers manuels en simplifiant le contrat d’apprentissage. Quelque 1,3 million de jeunes de moins de vingt-cinq ans sont aujourd’hui sans formation et sans emploi, alors que 70 % des apprentis trouvent du travail après une formation !
Si ce projet de loi va dans le bon sens, il faut cependant être prudent sur certains points. En première lecture, Les Indépendants ont voulu alerter le Gouvernement sur deux éléments.
Premièrement, ils ont souligné l’aspect précipité de la réforme de l’assurance chômage, annoncée par M. le Président de la République à Versailles, le 9 juillet dernier, et présentée sous la forme d’un amendement tardif. J’espère que le Gouvernement reviendra vers nous avec un texte plus travaillé et plus équilibré, avec une nouvelle convention UNEDIC proposée aux partenaires sociaux à la rentrée.
Deuxièmement, conserver les régions dans le dispositif de l’apprentissage ne doit pas faire débat. Ces dernières demeurent un maillon essentiel aux côtés des branches, qui, elles, deviennent pilotes de l’apprentissage dans la gestion et la coécriture de l’enseignement.
Je tiens d’ailleurs à saluer le fait que l’Assemblée nationale a conservé la proposition du Sénat de déployer des schémas prévisionnels de développement de l’alternance, ce qui permettra aux régions d’identifier les besoins et de définir leur politique d’apprentissage. Les régions disposeront en outre de 250 millions d’euros pour accompagner les centres de formation d’apprentis ruraux.
Je regrette toutefois que de nombreuses mesures relatives aux régions et proposées par le Sénat, portant, par exemple, sur l’information et l’orientation, ne se trouvent pas dans cette nouvelle version du texte.
Mon groupe veut souligner l’importance de la communication sur les mesures soutenues dans le cadre du présent projet de loi : il faut faire connaître l’apprentissage et la formation. Demain, le salarié pourra faire appel à un conseil, demander à être informé lors de son entretien annuel, accéder à une plateforme en ligne pour s’inscrire et payer ses formations depuis son compte numérique. Aujourd’hui encore, ce crédit de formation est sous-utilisé.
Au sommet de cette nouvelle organisation, il fallait un chef. La mise en place de l’agence France compétences, chargée de la régulation, de la formation professionnelle et de l’apprentissage, sera déterminante pour assurer la réussite de ce dispositif. L’agence sera auditionnée par le Parlement dans l’exercice de ses fonctions.
Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, je peux comprendre la déception des rapporteurs face à la non prise en compte de certaines dispositions tendant au renforcement des régions proposées par le Sénat. Pourtant, je regrette qu’il soit choisi de ne pas poursuivre le dialogue parlementaire.
Ce que veulent nos entreprises, c’est un apprentissage développé, sécurisé et soutenu tout au long de la carrière professionnelle !
Ce que veulent nos jeunes, ce sont de vraies opportunités d’emploi et d’avenir !
Ce que veulent nos concitoyens, c’est un dialogue apaisé entre Assemblée nationale et Sénat qui accouche d’un texte bon pour l’emploi et bon pour la France !
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable. (M. Martin Lévrier applaudit.)