Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Nous en arrivons à un article sensible de ce projet de loi, celui qui organise les regroupements d’organismes d’HLM.
Nous sommes face à une volonté cohérente et généralisée d’aller vers la constitution de structures géantes, partout sur le territoire, et ce en dépit des exigences de proximité. Ces mégastructures seront déconnectées des besoins des territoires et des habitants.
Après le regroupement à marche forcée des intercommunalités, voici donc le regroupement à marche forcée des organismes d’HLM.
Déjà, la loi ALUR obligeait les organismes d’HLM à passer au niveau intercommunal. Déjà, nous avions voté contre cette disposition. Mais l’obligation de regroupement va aujourd’hui beaucoup plus loin encore : dans la rédaction du texte issue des travaux de la commission, le plancher est fixé à 10 000 logements. Certes, c’est mieux que 15 000, mais c’est encore beaucoup !
Une étude commandée par le ministère du logement en 2016 indiquait que la bonne taille, pour une structure HLM, se situe entre 3 000 et 6 000 logements, du point de vue du niveau de loyers, des coûts de gestion ou des frais de personnels.
Cette démesure n’a donc aucun fondement et aucune justification. Comme l’a expliqué mon collègue député Stéphane Peu, l’efficacité d’un office ne se mesure pas au nombre de logements qu’il gère. Il existe de très petits offices très performants et de très gros offices complètement déconnectés des besoins. En revanche, le lien territorial de proximité est essentiel pour garantir l’humanité du traitement des demandes.
Nous restons pour notre part opposés, quel que soit le seuil défini, à ces mariages forcés qui n’augurent rien de bon pour les locataires ou pour l’aménagement du territoire. Le seul enjeu est bien celui de la mutualisation des fonds propres et des moyens de faire remonter cet argent. Le Président de la République l’a dit lui-même : il s’agit d’aller chercher cet argent qui dort.
Je renouvelle la question que nous vous avions posée à l’époque, monsieur le secrétaire d’État : où sont ces fameux bas de laine ? De quel argent parlez-vous ? Les offices d’HLM sont essorés par les prélèvements de l’État ou, récemment, la réduction de loyer de solidarité, la RLS.
Voici le vrai sujet que nous aurions dû traiter au travers de ce projet de loi : comment donner au secteur HLM de nouvelles marges de manœuvre par des aides à la pierre renforcées, par un recentrage sur ses missions essentielles. À l’inverse, vous engagez une course folle au gigantisme. Nous demanderons donc la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Le Gouvernement n’a pas caché sa volonté de réduire le nombre d’organismes d’HLM, ce qui se traduit ici par un regroupement forcé. L’organisme créé sera alors le seul à pouvoir prétendre aux prêts bonifiés de la Caisse des dépôts et consignations. En procédant de la sorte, le Gouvernement favorise une centralisation qui risque de nuire à la proximité et au lien avec les territoires.
En effet, au-delà des seuils fixés, une telle démarche n’a pas les mêmes conséquences en tout point du territoire. Le nouvel organisme pourra couvrir des territoires très différents, qui présentent de véritables spécificités. Les mariages forcés engendrent rarement des relations harmonieuses ! Sans réel projet de territoire qui motiverait une fusion, le risque est de perdre en efficacité, à rebours de l’objectif affiché.
À la place de ces regroupements obligatoires, nous proposons des rapprochements sur la base du volontariat, qui s’opéreraient en raison de réelles similitudes, de réels besoins ou de projets coconstruits.
Ces rapprochements forcés risquent également de créer de véritables usines à gaz et de causer une déconnexion des besoins de proximité, d’une rupture avec l’échelle humaine. Or, derrière la question des logements sociaux, il y a bien évidemment cette dimension humaine, et parfois des situations de grande précarité. Pour certains, se rendre à un rendez-vous au siège du nouvel organisme pourra engendrer des déplacements complexes. Je citerai un exemple que je connais bien, celui de la Seine-Saint-Denis : l’état des transports dans ce département pourrait rendre ces déplacements parfois très difficiles.
Nous ne souhaitons pas qu’une organisation proche des territoires, garante d’un certain équilibre et d’une proximité, disparaisse au bénéfice d’une recherche de profit ou de rationalisation par la fixation de seuils arbitraires, sans lien avec nos territoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est une vieille lune des services de Bercy que d’expliquer que l’on va réussir, en regroupant les organismes d’HLM, à « rationaliser » l’utilisation de l’argent dédié au logement social. Il faut dire que, à Bercy, ils aiment bien ce qui leur ressemble, comme si jamais ils ne s’étaient trompés ! (Sourires.)
M. Antoine Lefèvre. Ça se saurait !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Leur stratégie est double : fermer les robinets – plus d’aide publique directe à la pierre, ponctions sur les organismes – et imposer par la loi le regroupement des organismes d’HLM, en le justifiant par le manque d’argent… Cela est censé permettre de produire plus de logements et d’améliorer le système. Évidemment, tel n’est pas le cas !
Des études ont montré l’absence totale de corrélation entre, d’une part, la qualité de la gestion, y compris financière, et le volume de construction, et, d’autre part, la taille de l’organisme. De petits organismes construisent beaucoup et sont bien gérés ; de gros organismes sont mal gérés et construisent peu.
J’observe que c’est le seul sujet à propos duquel le Gouvernement ne nous dit pas : vive les PME, vive l’agilité, les gazelles et les start-up ! (Sourires.) En matière de logement social, il faut du lourd, du centralisé, du regroupé !
On nous affirme que nous sommes en complet décalage avec les autres États européens, qui font toujours tout mieux que nous ! Eh bien, mes chers collègues, figurez-vous que telle n’est pas la réalité. Il existe en France 750 bailleurs sociaux pour 4,3 millions de logements. En Allemagne, il y a 3 000 bailleurs sociaux, soit quatre fois plus, pour 6 millions de logements, une fois et demie plus. En Grande-Bretagne, on compte 1 200 bailleurs pour seulement 2,5 millions de logements sociaux. Quant au Danemark, il a autant de bailleurs que nous, pour seulement 540 000 logements. Il n’est donc pas vrai que nous avons un trop grand nombre de bailleurs par rapport à nos voisins !
Le véritable objectif est d’opérer des transferts financiers de régions plutôt pauvres, qui ont pourtant bien besoin de cet argent, sinon pour construire, du moins pour rénover leur parc et baisser les loyers, vers les régions les plus riches, où il y a certes des besoins, mais aussi des ressources et des moyens mobilisables. Ce transfert financier va à l’encontre de la justice sociale et territoriale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Ronan Dantec applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, sur l’article.
M. Michel Canevet. Les besoins en logement sont extrêmement forts dans notre pays ; il faut parvenir à les satisfaire. Or, dans Les Échos, la semaine dernière, les acteurs du bâtiment nous prévenaient que le marché se retourne ! Il faut donc veiller à ne pas donner de nouveaux signaux négatifs, après la substitution de l’impôt sur la fortune immobilière à l’impôt de solidarité sur la fortune, la concentration du dispositif Pinel sur certaines zones ou la restriction de l’accès au prêt à taux zéro, qui freine l’accession à la propriété, alors que devenir propriétaire est souvent un but dans l’existence.
Monsieur le secrétaire d’État, l’approche gouvernementale de la question du logement interpelle particulièrement les membres du groupe de l’Union Centriste, qui sont attachés à la prise en compte de la diversité des situations des territoires. Vouloir instaurer une règle uniforme sur l’ensemble du territoire national n’a aucun sens ! Il est nécessaire, selon nous, de partir des besoins des territoires. Par exemple, avec 168 000 logements locatifs, trente-sept offices et quarante-sept programmes locaux de l’habitat, ou PLH, la Bretagne ne connaît pas vraiment de problème de logement. Le système fonctionne bien.
Il faut faire attention à ce que le regroupement n’aboutisse pas, par la multiplication de sociétés aux objets divers, à l’émergence d’un plus grand nombre d’opérateurs qu’auparavant, au rebours de l’objectif annoncé.
Surtout, je le redis, il faut prendre en compte la réalité de la situation des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile, sur l’article.
M. Dominique Théophile. Mes chers collègues, nous abordons un sujet sensible. Ce projet de loi part d’un constat que nous savons tous irréfutable : celui de l’échec, depuis des décennies, de la politique du logement social dans notre pays.
En ce sens, le renforcement de la capacité de production et de rénovation de logements sociaux qu’organise le titre II et les gains en matière d’efficacité de gestion du secteur que la mise en œuvre de ses dispositions permettra témoignent indéniablement de la volonté d’action et de réforme profonde qui inspire ce projet de loi.
De la même manière, la restructuration, étalée sur trois ans, des organismes de logement social donnera demain à ces derniers la possibilité de se rassembler pour agir avec plus d’efficacité.
J’entends les craintes qu’expriment certains, Michel Canevet par exemple, quant au lien avec le territoire, que ce texte risquerait selon eux d’abîmer. Bien au contraire, mes chers collègues, ce projet de loi a été conçu de manière à atteindre un bon équilibre entre la nécessaire proximité et la mutualisation.
Ainsi, un organisme locatif social qui n’aurait pas une taille suffisante, mais qui serait situé dans un territoire où les bailleurs sont peu nombreux et le parc réduit, ne serait en aucun cas soumis à l’obligation de regroupement.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Heureusement !
M. Dominique Théophile. Les modifications apportées au texte par la commission des affaires économiques du Sénat, notamment l’abaissement du seuil de regroupement, tendent à entraver la démarche d’efficacité qui sous-tend ce projet de loi. Il faut le regretter.
Pourtant, l’amélioration de l’efficacité de la gestion, de la production et de la rénovation de logements sociaux représente un devoir moral de l’État à l’égard des citoyens, notamment des plus modestes d’entre eux, à qui ce projet de loi est dédié.
Il faut avoir ces éléments à l’esprit pour que notre débat puisse être serein et constructif.
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Le Sénat, par les décisions qu’il a prises et les modifications qu’il a apportées lors de l’examen du texte en commission, a voulu réaffirmer trois éléments qui ont été évoqués par différents intervenants.
Premièrement, la taille des bailleurs sociaux n’a rien à voir avec leur efficacité. Cela a été particulièrement souligné du côté gauche de cet hémicycle. Je confirme qu’il existe, sur notre territoire, des organismes sociaux de petite taille extrêmement agiles, qui ne sont pas très coûteux et sont dirigés par des conseils d’administration d’élus non rémunérés, s’appuyant sur des équipes techniques efficaces, qui agissent au plus près du terrain.
Deuxièmement, nous payons des organisations gigantesques. Je suis bien placée pour savoir que les grandes communautés urbaines, les grandes communautés d’agglomération, les grandes métropoles coûtent très cher, en structure et en organisation, et je ne sais pas encore si elles sont efficaces. Je pense que nous devons faire attention à la proximité : les grands offices d’HLM projetés n’auront probablement pas l’efficacité que nous en attendons.
Troisièmement, nous ne parlons pas seulement de bâtiments, d’investissements, d’argent : nous parlons de locataires, de personnes souvent modestes qui ont besoin d’une relation de proximité pour être accompagnées, d’une relation qui ne se réduise pas aux rapports entre locataire et bailleur.
C’est pourquoi le Sénat a apporté au texte quelques modifications visant à promouvoir l’efficacité et la proximité.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État. Je partage les propos de Mme la présidente de la commission.
Je vais tenter de tuer certaines convictions, même si je ne suis pas sûr de parvenir à vous convaincre, madame Lienemann. (Sourires.) C’est sans doute la première fois que je vous entends soutenir avec ferveur les modèles allemand et britannique… (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) Je ne crois pourtant pas souhaitable, objectivement, que nous nous en rapprochions !
Madame Cukierman, monsieur Gay, il ne s’agit en aucun cas de procéder à des fusions, à des mariages forcés. Vous avez mille fois raison : il n’existe pas de mariage forcé qui soit heureux.
Il s’agit de proposer des regroupements.
M. Fabien Gay. De proposer ? D’imposer, plutôt !
Mme Cécile Cukierman. Proposer un mariage ou l’imposer, ce n’est pas la même chose !
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État. Laissez-moi aller au bout de mon propos !
Les regroupements existent déjà sur le terrain, et vous êtes très nombreux à en connaître dans vos territoires : beaucoup de bailleurs sociaux se sont déjà regroupés.
M. Xavier Iacovelli. C’est leur liberté !
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État. Au regard de toutes ces expériences de terrain et du travail que nous avons accompli avec l’Union sociale de l’habitat, nous considérons que favoriser ces regroupements apportera beaucoup de valeur ajoutée. Par conséquent, oui, c’est un choix politique avec lequel on peut ne pas être d’accord, mais que j’assume, nous imposons ces regroupements,…
M. Fabien Gay. Donc, on impose !
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas pareil !
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État. … avec un seuil de 15 000 logements. Le Gouvernement considère que de tels regroupements sont bénéfiques.
Mme la présidente de la commission a raison : un regroupement ne permet pas, en soi, de réaliser des économies ; ce n’est pas le sujet.
Mme Cécile Cukierman. C’est quoi, alors ?
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État. Il permet de renforcer les bailleurs et de faire circuler l’argent entre eux. C’est là un élément essentiel ! Cela peut paraître anodin, mais, au travers de ce projet de loi, nous cassons le monopole bancaire – cela arrive très rarement – pour permettre aux bailleurs sociaux de se prêter de l’argent entre eux. En effet, il existe des « dodus dormants » parmi les bailleurs, même si ce n’est pas généralisé.
Je préfère nettement faire circuler l’argent entre les bailleurs sociaux plutôt qu’aller ponctionner les « dodus dormants ».
Mme Cécile Cukierman. En zones détendues où il y a des pauvres, il n’y a pas d’argent qui circule.
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État. J’en viens à la notion de territoire, autre élément qui me paraît très important.
Fixer un seuil de déclenchement des regroupements est-il la meilleure solution ? C’est du moins la moins mauvaise des solutions pour obliger à une dynamique.
M. Michel Canevet. C’est vachement techno…
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État. La vraie question est de savoir comment préserver l’ancrage territorial. C’est fondamentalement ce à quoi nous nous sommes attachés. Peut-être ne sommes-nous pas allés suffisamment loin dans cette direction ; ce débat permettra alors d’enrichir notre réflexion. Reste que nous avons fait en sorte de toujours maintenir un centre de décision des bailleurs sociaux à l’échelon départemental. Les débats à l’Assemblée nationale ont été l’occasion d’introduire énormément de modifications, notamment pour un département comme les Hauts-de-Seine, où l’on s’est rendu compte que le dispositif ne fonctionnait pas pour les établissements publics territoriaux.
Mme Cécile Cukierman. Cela ne marche pas non plus pour les zones détendues !
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État. D’autres amendements permettront d’affiner le texte dans le détail.
Nous créons en quelque sorte un nouveau type de contrat de mariage : la SAC, la société anonyme coopérative. Avec ce dispositif, les bailleurs sociaux prennent une participation dans leur mère, et non pas l’inverse. Tout est fondé en partant des territoires : les conventions d’utilité sociale, les CUS, les plans stratégiques pluriannuels des bailleurs sociaux à l’échelon des territoires continueront à prévaloir.
Telle est la démarche que nous avons suivie. On peut ne pas être d’accord, et je pense que nous allons avoir un beau débat, mais nous avons été guidés par le souci du lien au territoire et par la volonté d’imposer non des fusions, mais des regroupements, au regard des expériences de terrain.
Mme la présidente. L’amendement n° 161, présenté par Mme Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Autant vous le dire tout de suite, monsieur le secrétaire d’État, vous ne nous avez pas convaincus. Je doute que vous puissiez y parvenir, quels que soient vos efforts…
En effet, nous avons des visions différentes de ce que doit être le logement social. Comment enclenche-t-on une dynamique, pour reprendre vos propres termes, et comment permettre à ceux qui le souhaitent de se regrouper pour faire plus et mieux à partir d’un projet partagé ?
M. Marc Daunis. On oblige !
Mme Cécile Cukierman. Pour le logement social comme pour les intercommunalités, je fais partie de ceux qui pensent qu’imposer des seuils et contraindre n’est jamais la bonne solution.
Vous obtiendrez un effet d’aubaine, des organismes se regrouperont très certainement à marche forcée, mais nous savons par avance que le résultat sera catastrophique pour nos territoires, surtout si, in fine, le seuil de 15 000 logements est retenu.
J’en viens aux transferts financiers que vous avez évoqués. Dans les zones détendues où les bailleurs sociaux n’ont pas d’argent, il n’y aura rien à transférer ! Cela me conforte dans l’idée qu’il s’agit de répondre aux besoins et aux impératifs de quelques-uns, à savoir les plus riches et les plus gros : pour ce faire, on casse le modèle du logement social dans notre pays et on le déstructure à l’échelle de l’ensemble de nos territoires. Nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. La commission émet bien évidemment un avis défavorable sur cet amendement visant à supprimer l’article 25.
Je rappelle que la réorganisation du secteur du logement social dont il est ici question n’est que la conséquence de ce que nous avons vécu et très largement dénoncé à l’automne dernier, lors de la discussion budgétaire.
M. Philippe Dallier. C’est sûr !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Nous vous avions alors dit qu’il aurait été plus pertinent de débattre de cette réorganisation avant de prendre les mesures budgétaires nécessaires. À l’automne dernier, vous avez choisi de procéder autrement, de manière brutale et unilatérale, et nous avons été un certain nombre, sur toutes les travées, à le déplorer.
Par la baisse des APL, la réduction de loyer de solidarité, vous avez imposé aux bailleurs sociaux une économie budgétaire de 1,5 milliard d’euros, ce qui se traduit malheureusement sur le terrain, on le constate déjà aujourd’hui, par une perte d’autofinancement importante pour un grand nombre d’organismes d’HLM. Un grand nombre de bailleurs sociaux, après avoir d’abord été dans l’attentisme, ne font plus rien ou sont en tout cas amenés à faire un choix entre construire encore un peu ou finir d’accompagner des opérations sur lesquelles ils s’étaient déjà engagés et réhabiliter leur patrimoine, sans savoir s’ils parviendront même à assurer l’entretien courant de leur parc pour garantir la qualité de service à leurs locataires.
Pour autant, monsieur le secrétaire d’État, nous ne sommes pas opposés à la réorganisation du secteur du logement social. Elle est d’ailleurs déjà à l’œuvre dans un certain nombre de territoires, non pas de façon brusque et forcée, mais sur la base du volontariat, de véritables échanges, en apprenant à se connaître. C’est ainsi que des regroupements, voire des fusions, ont pu se faire.
Encore une fois, nous regrettons le caractère brutal et unilatéral de cette démarche, qui plonge les bailleurs sociaux dans des difficultés budgétaires lourdes. Se lancer aujourd’hui dans ce mouvement de réorganisation et de regroupement complique encore les choses, même si, je le répète, nous ne sommes pas opposés à la réorganisation du secteur du logement social.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
Je remercie Mme la rapporteur de sa conclusion. La commission a beaucoup travaillé pour aller dans le sens des regroupements et essayer de trouver des solutions. On ne va pas refaire le débat sur le volet budgétaire. Notre ambition était à la fois de lancer une réforme de structure, avec le présent projet de loi, et de réaliser des économies budgétaires au travers de la dernière loi de finances. Mener de front ces deux démarches est forcément plus difficile.
M. Mézard et moi-même gardons un souvenir particulier du dernier congrès des organismes d’HLM… (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Attendez le prochain ! (Sourires.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Aucun ministre ne s’y est jamais fait applaudir !
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État. C’est à cette occasion que j’ai compris ce qu’était la sagesse sénatoriale : le vote de la loi de finances devant intervenir entre l’ouverture et la conclusion, Jacques Mézard a choisi de prononcer le discours d’introduction et a laissé à son secrétaire d’État le soin de conclure ! (Rires.)
M. Philippe Dallier. Super timing !
M. Marc-Philippe Daubresse. Il a du métier !
M. Alain Richard. C’est pour cela qu’il est ministre !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Évidemment, des regroupements d’organismes ont toujours eu lieu. Il y en a eu récemment encore, et il n’y avait pas besoin d’introduire un dispositif législatif pour que ce mouvement continue : rien n’empêche aujourd’hui le regroupement d’organismes.
M. Antoine Lefèvre. Librement !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En effet.
Vous dites que vous ne forcez pas les bailleurs sociaux à se regrouper, alors même que la loi le leur imposera ! C’est la stratégie du nœud coulant, qui se resserre petit à petit, jusqu’à ce que le plus faible soit contraint de demander de l’air au plus riche, qui l’accueille sous son aile bienveillante… Cela aboutit à un mariage déséquilibré entre celui qui a des moyens et celui qui n’en a pas, fût-ce via une SAC, dont j’admets que c’est beaucoup mieux qu’un groupe intégré.
Par ailleurs, il n’est pas vrai que le mouvement HLM ne s’était pas attaqué aux prétendus « dodus dormants ». Il a en effet mis en place une mutualisation financière.
M. Philippe Dallier. Non sans mal !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est vrai. J’étais alors la présidente intérimaire, et j’ai poussé au maximum en ce sens, car je crois qu’aucun argent ne doit dormir quand on a besoin de financer la construction et la rénovation de logements.
La circulation de l’argent ne me gêne donc pas. Ce qui me gêne, c’est la spoliation de l’argent.
M. Xavier Iacovelli. C’est ça !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La mutualisation est très différente du transfert financier, qui commence par une ponction massive de l’État, suivie d’une affectation des moyens à d’autres territoires, jugés plus prioritaires.
Or, comme je l’ai dit tout à l’heure, en réalité, il n’y a pas un territoire où l’on n’a pas besoin d’argent pour le logement social ! Là où l’on n’a pas besoin de construire, c’est souvent là où les gens sont pauvres et où il faudrait des politiques de loyer offensives. Dans ces territoires, il faut massivement engager la rénovation thermique pour baisser le montant des charges pour les locataires et améliorer l’habitat.
Avec ce projet de loi, nous sommes en train de faire l’inverse. En tant qu’élue de Paris, je pourrais me réjouir de cette réforme, puisque ma ville a des besoins en matière de logement, mais il faut tout de même reconnaître que Paris est plus riche que Charleville-Mézières ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. C’est sûr ! Et plus riche que la Seine-Saint-Denis !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Étant une femme lucide de gauche, je ne pense pas que la région d’Île-de-France, l’une des plus riches d’Europe, ait besoin de voir son budget pour le logement social abondé par les fonds de l’office d’HLM de Charleville-Mézières !
Pour conclure (Marques d’impatience au banc des commissions.), je souligne que ce projet de loi a été fait en fonction de la loi de finances, pour aboutir à ce que la puissance publique ne consacre plus d’argent au logement social. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. De toute façon, nous n’avons pas d’autre choix que d’aller vers cette réorganisation, que cela nous plaise ou non, pour la simple et bonne raison qu’un grand nombre de bailleurs vont se retrouver la tête sous l’eau, avec un autofinancement négatif, du fait de la mise en œuvre de la loi de finances et de la RLS ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Fabien Gay. Bien sûr !
M. Philippe Dallier. C’est pourquoi nous n’allons pas adopter cet amendement de suppression, car cela nous plongerait dans une situation intenable.
La territorialisation est bien évidemment un sujet important, mais la vraie question est d’avoir la garantie que les regroupements que nous allons organiser sur la base de critères que nous allons préciser dans la loi auront les moyens d’entretenir leur patrimoine, de construire plus et de participer à l’ANRU. Or ce n’est pas ainsi que l’on aborde le problème, parce que le Gouvernement met la charrue devant les bœufs. On commence par inscrire un certain nombre de critères dans la loi, puis, sur le terrain, on verra quels bailleurs sociaux regrouper pour respecter ces critères… Quelles garanties a-t-on que le résultat sera viable ? Il y a là un problème de méthode. Quels que soient les amendements que nous adopterons, nous n’aurons aucune garantie que la réorganisation globale donnera des résultats satisfaisants partout en termes de moyens disponibles.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, combien rapportera cette réorganisation, en euros sonnants et trébuchants ? Vous retirez au logement social 1,5 milliard ou 1,6 milliard d’euros ; il y a les mesures de contrepartie, les prêts, etc., mais on sait maintenant que le résultat n’est pas bien glorieux et que cela ne compense que dans une très faible mesure la ponction que vous avez opérée. Certes, les regroupements conduiront à des économies d’échelle, mais combien en attendez-vous ? Au bout du compte, quelle part des 1,5 milliard d’euros prélevés en loi de finances pouvons-nous espérer retrouver ? Ce n’est que quand nous aurons la réponse à cette question que nous saurons combien de logements sociaux nous pourrons construire l’année prochaine et l’année suivante. Je pense que ce sera beaucoup moins que durant les deux dernières années… (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)