M. Jean-Pierre Vial. L’examen de cet amendement prolonge la discussion déjà largement engagée sur l’application de la loi Littoral pour les lacs de montagne et, plus particulièrement, sur sa confrontation avec la loi Montagne.
Il s’agit d’un débat qui est maintenant ancien. Les dispositions de la loi Montagne et de la loi Littoral se sont un temps chevauchées pour les zones de montagne, jusqu’à ce que la loi Littoral s’impose, si bien que nous nous trouvons aujourd’hui dans des configurations assez difficiles à gérer. Certaines communes, qui sont d’ailleurs davantage des communes rurales de montagne que des communes du littoral, se trouvent malheureusement, du fait de leur situation, dans l’obligation d’appliquer la loi Littoral.
C’est la raison pour laquelle, sans vouloir pour autant faire la révolution, il m’a semblé que le fait de retenir la définition du hameau, extrêmement claire, qui figure dans la loi Montagne pouvait présenter un intérêt. En effet, la loi Littoral ne contient pas cette définition, qui est même remise en cause, aujourd’hui, par le présent texte.
Cela étant, mon amendement, tel qu’il est rédigé, risquant de créer finalement plus de difficultés de mise en œuvre que de simplifications, je préfère le retirer, au bénéfice des observations qui ont été faites par M. le secrétaire d’État et des avancées que nous devrions obtenir. J’ai entendu les engagements du Président de la République, ainsi que ceux de Mme Gourault.
J’espère que, au cours de l’examen du texte, ou au moment de la commission mixte paritaire, qui pourrait permettre d’affiner ce point, une réponse sera apportée aux attentes qui ont motivé le dépôt de cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 268 rectifié ter est retiré.
Article 12 sexies
L’article L. 121-10 du code de l’urbanisme est ainsi rédigé :
« Art. L. 121-10. – Par dérogation à l’article L. 121-8, les constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles, forestières ou aux cultures marines et à leur valorisation locale peuvent être autorisées avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers.
« Ces opérations ne peuvent être autorisées qu’en dehors des espaces proches du rivage, à l’exception des constructions ou installations nécessaires aux cultures marines et à leur valorisation locale.
« L’accord de l’autorité administrative est refusé si les constructions ou installations sont de nature à porter une atteinte à l’environnement ou aux paysages.
« Le changement de destination de ces constructions et installations est interdit. »
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, sur l’article.
M. Michel Vaspart. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous venons d’adopter l’article 12 quinquies. À plusieurs reprises, nous avons pris contact avec le ministère pour lui faire part des difficultés que je vais exposer.
En effet, l’article 12 quinquies exclut la densification des secteurs déjà urbanisés dans la bande des cent mètres et dans les espaces proches du rivage. S’il n’est évidemment pas question de remettre en cause ce dispositif, deux problèmes demeurent : tout d’abord, celui des îles et presqu’îles, dont le territoire est intégralement compris dans les espaces proches du rivage ; le second concerne les stations balnéaires qui se sont développées avant la loi de 1986, et les lacs de montagne, que mon collègue Jean-Pierre Vial vient d’évoquer.
L’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, dans la rédaction que nous venons de retenir, aurait pour effet de bloquer toute densification des constructions dans les stations balnéaires, îles, presqu’îles et lacs de montagne, tandis que l’article L. 121-13 du même code autorise une extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage, dans la bande des cent mètres, en fonction de la configuration des lieux.
Si le premier dispositif, tel que nous l’avons adopté, n’efface pas le second, il ne pose aucune difficulté. En revanche, si c’était le cas, il conviendrait de le modifier au cours de la commission mixte paritaire.
Monsieur le ministre, je souhaiterais que vos services puissent nous répondre, peut-être pas immédiatement, mais relativement rapidement sur le sujet.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 150 est présenté par Mme Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 740 rectifié ter est présenté par Mmes Lienemann et G. Jourda, MM. Tourenne et Duran, Mmes Meunier et Monier, MM. Tissot, Jacquin et Kerrouche et Mme de la Gontrie.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Guillaume Gontard, pour présenter l’amendement n° 150.
M. Guillaume Gontard. Si certaines dispositions adoptées par l’Assemblée nationale répondent à des spécificités territoriales, l’article 12 sexies constitue une brèche dans la loi Littoral.
En effet, il traite des exceptions actuelles au principe de l’urbanisation continue, posé à l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, et propose d’étendre ces dérogations. Actuellement, si celles-ci doivent être liées à des activités agricoles ou forestières, incompatibles avec le voisinage de zones habitées, les conditions prévues sont cumulatives : ces dérogations ne peuvent pas porter atteinte à l’environnement ou aux paysages, ne peuvent être autorisées dans les espaces proches du rivage et doivent recueillir l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites.
L’article adopté par l’Assemblée nationale permet aux constructions liées aux activités agricoles ou forestières de faire l’objet de dérogations à l’inconstructibilité de zones, qui ne se situent pas dans des espaces urbanisés, même lorsqu’elles ne sont pas incompatibles avec le voisinage de zones habitées.
On se demande pourquoi il serait nécessaire de pratiquer le mitage et l’étalement urbains pour des activités qui peuvent être poursuivies en zone urbanisée. Nous proposons donc la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour présenter l’amendement n° 740 rectifié ter.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mon propos s’inscrit dans le prolongement de l’argumentaire que j’ai développé précédemment : je ne crois absolument pas qu’il soit opportun de développer des activités agricoles et forestières et, moins encore, des fermes conchylicoles ou d’aquaculture sur ces territoires. Il existe toujours une solution alternative pour développer de telles activités. C’est vraiment la façon de concevoir notre développement économique et territorial qui est en cause ici.
J’entends parler de pragmatisme, mes chers collègues. Je vous ferai remarquer que l’être humain mobilise principalement son intelligence quand il se trouve dans l’obligation de lever des contraintes, en particulier quand celles-ci concernent l’intérêt général, l’avenir et la qualité et la beauté de nos paysages, selon l’idée qu’il s’en fait.
Je crois que l’intelligence des acteurs locaux les conduit toujours, face à ce genre de contraintes, à trouver des solutions ad hoc.
Pour ma part, je ne connais aucun exemple de développement économique ou de capacités de développement réellement bridés par la loi Littoral. C’est pourquoi je propose le maintien stricto sensu de ce texte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. La commission est défavorable à ces amendements.
Maintenir le statu quo n’est pas une solution satisfaisante. La dérogation actuelle est trop restreinte pour valoriser les zones agricoles selon leur plein potentiel. Elle impose des restrictions disproportionnées aux exploitants de cultures marines.
Un assouplissement des critères, tel que le propose la commission, qui permettrait des constructions en zone non urbanisée, est demandé sur une grande partie des travées de la Haute Assemblée.
J’ajoute qu’il faut faire attention quand on utilise le mot « mitage » et l’expression « étalement urbain ». Je ne pense pas qu’ils soient appropriés en l’espèce : nous travaillons sur ce texte de façon équilibrée, pragmatique et réaliste pour répondre à des problèmes bien précis et identifiés.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jacques Mézard, ministre. J’émets, au nom du Gouvernement, un avis défavorable sur ces amendements. Je vais en expliquer les raisons.
Ces amendements tendent à supprimer l’article 12 sexies, qui permet l’implantation, en discontinuité de l’urbanisation, des constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles ou forestières qui ne sont pas incompatibles avec le voisinage des zones habitées, en dehors des espaces proches du rivage, et avec l’accord du préfet après avis des commissions compétentes
J’ai rappelé notre attachement au principe de la loi Littoral. À l’Assemblée nationale, pour répondre à des difficultés localement identifiées, les parlementaires ont proposé des évolutions qui ne remettent pas en cause la philosophie de cette loi, raison pour laquelle le Gouvernement les a soutenues.
L’article 12 sexies, dans la version adoptée par les députés, va dans ce sens. En revanche, tel que modifié par le Sénat, il pose une difficulté. Si j’émets un avis défavorable sur ces amendements, ce n’est pas parce que je suis pour la suppression de l’intégralité de l’article – nous avions initialement accepté l’introduction de cette disposition –, mais parce que le Sénat a ajouté la notion de « valorisation locale », qui peut constituer une porte ouverte à de nombreuses dérives.
Je défendrai dans quelques instants un amendement ayant pour objet de supprimer cette mention, qui me paraît ouvrir une brèche dans le dispositif actuel.
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Je ne comprends pas bien la motivation de ceux qui demandent la suppression de cet article, car, à mon sens, celui-ci est pleinement justifié.
Sur le plan maritime, d’abord, si l’on veut affirmer l’ambition maritime de notre pays, il faut des endroits où exercer effectivement ces activités maritimes.
Aujourd’hui, on sait bien qu’il existe un gros problème halieutique, puisque nous ne sommes plus capables de pêcher suffisamment de poissons frais pour nourrir nos compatriotes. Nous sommes obligés d’importer l’essentiel du poisson consommé. Or, si nous ne nous sommes pas capables de développer des cultures marines, cette proportion de poissons importés ne fera que s’accroître. Cette situation est donc particulièrement dommageable pour notre économie.
Sur le plan agricole, ensuite, il faut que le bon sens revienne ! Dans les zones littorales, les agriculteurs ont aussi le droit de mener des projets ! Par exemple, actuellement, dans la commune de Plouénan, située dans le Finistère, un projet de production de légumes en serre est tout simplement bloqué à cause de la loi Littoral. Et il ne s’agit pas de construire cette serre à quelques mètres du littoral, mais à quinze kilomètres de la côte ! On voit bien que l’on en est arrivé à certaines aberrations.
Alors que nous souhaitons tous le développement de notre production d’énergie renouvelable notamment, les communes du littoral rencontrent les pires difficultés pour construire des projets de méthanisation.
Cet article est empreint de bon sens, parce qu’il tient compte de la nécessité de réaliser de tels projets. Il comporte aussi tous les garde-fous nécessaires : contrairement à ce que j’ai entendu, la loi Littoral ne sera pas remise en cause. Ces garde-fous – consultation de diverses commissions départementales ou nécessaire accord du préfet – éviteront que l’on fasse n’importe quoi.
Il est temps que le bon sens revienne dans l’esprit de certains de mes collègues, afin que tout le monde comprenne bien que les modifications proposées à la loi Littoral vont justement dans le bon sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. En ajoutant les termes « valorisation locale », on sait très bien que l’on risque de voir apparaître des projets de restaurant qui s’inventeront une activité ostréicole ou agricole pour justifier leur installation. (Protestations sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Michel Canevet. Mais non !
M. Ronan Dantec. C’est toujours ainsi que cela fonctionne ! On le sait très bien ! L’amendement du Gouvernement me semble donc intéressant de ce point de vue.
M. Michel Canevet. Ce sont des détails !
M. Ronan Dantec. Quand il est question de la loi Littoral, tout est toujours dans les détails !
L’amendement du Gouvernement pourrait rassurer tout le monde, et j’espère que l’on trouvera un consensus sur le sujet.
Monsieur Canevet, un problème de serre à quinze kilomètres du littoral doit se traiter de manière dérogatoire, et pas en supprimant la loi elle-même. Sinon, on aura bientôt des serres partout !
Tel que la loi Littoral est rédigée, vous ne trouverez pas de solutions à tous les exemples que vous citez. Même si l’on adoptait ce nouveau dispositif, auquel je ne suis pas forcément opposé d’ailleurs, la jurisprudence se montrera peut-être aussi restrictive que précédemment. On verra ce qu’il en est, puisqu’il y aura nécessairement une phase de contentieux à un moment donné.
Pour reprendre votre exemple, l’ajout de critères, comme l’avis conforme des deux commissions visées, signifie que le projet ne sera accepté que si tous les acteurs du territoire sont d’accord. Cela change la démarche. Cela étant, il faudra faire le choix, à un moment donné, entre la mise en place d’un dispositif dérogatoire reposant sur le consensus, et le système actuel, qui est fondé sur le contentieux, et dans lequel on cherche en permanence des assouplissements qui vont au-delà du cas que l’on essaie de traiter. C’est la difficulté typique : on ne réglera pas la question de l’implantation de serres ainsi !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 150 et 740 rectifié ter.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 785, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Supprimer les mots :
et à leur valorisation locale
La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Mézard, ministre. Comme je viens de l’indiquer, l’amendement du Gouvernement a pour objet de supprimer la mention « valorisation locale », qui a été introduite par la commission.
Cet ajout constitue une porte très largement ouverte à l’installation de toute une série d’établissements. La valorisation locale, s’agissant des cultures marines, peut conduire à la mise en œuvre de pas mal d’opérations. Et c’est un euphémisme !
Cela revient à franchir une ligne rouge, en tout cas par rapport à ce que le Gouvernement voulait faire, c’est-à-dire débloquer des situations qui posaient problème à nombre de collectivités locales, de communes du littoral, mais sans aller jusqu’à la remise en cause de l’essence même de la loi Littoral.
L’article 12 sexies tel qu’il est rédigé ouvre une véritable brèche. Je suis toujours très respectueux du travail réalisé par les commissions permanentes du Sénat et par le Sénat lui-même, mais attention, mesdames, messieurs les sénateurs ! Le flou dans lequel nous sommes entraînera des conflits et des procédures et peut remettre en cause un principe fondamental. Je rappelle, en effet, que, avec une telle rédaction, on autorise des installations proches du rivage. Il y a là une vraie difficulté, qui justifie que je me permette d’attirer l’attention de la Haute Assemblée sur cette notion de « valorisation locale » qui, je le crois, peut être dangereuse.
M. le président. L’amendement n° 638, présenté par Mme Tocqueville, MM. Bérit-Débat et J. Bigot, Mmes Bonnefoy et Cartron, M. Dagbert, Mme M. Filleul, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Préville, MM. Madrelle et Daunis, Mme Guillemot, MM. Iacovelli et Kanner, Mme Artigalas, MM. M. Bourquin et Cabanel, Mme Conconne, MM. Courteau, Duran, Montaugé, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
à l’exception des constructions ou installations nécessaires aux cultures marines et à leur valorisation locale
La parole est à Mme Nelly Tocqueville.
Mme Nelly Tocqueville. Depuis le début des débats sur la loi Littoral, nous voyons combien celle-ci est essentielle. Nous en avons déjà beaucoup parlé et nombre d’amendements témoignent des inquiétudes et des questions que cette loi peut soulever.
Comme l’a rappelé M. le ministre, le projet de loi initial du Gouvernement ne prévoyait aucune disposition sur la loi Littoral, qui, je le rappelle, concerne quand même 1 212 communes, 975 communes situées aux abords de la mer ou de l’océan, et 237 autres communes, que l’on oublie peut-être un peu, riveraines d’un lac, d’un estuaire ou d’un delta.
Face aux débordements de l’Assemblée nationale, le Gouvernement a proposé un compromis pour répondre à la question particulière des dents creuses. Le SCOT définira les zones où les dents creuses pourront être comblées. Seuls des logements et des équipements de service public pourront y être construits, mais l’autorisation sera refusée en cas d’atteinte à l’environnement et au paysage.
Le Sénat a ensuite introduit une procédure de modification simplifiée du SCOT pour l’identification et l’urbanisation des dents creuses qui peut être activée jusqu’au 31 décembre 2021.
Mes chers collègues, je pense qu’il faut en rester là !
Nous avons débattu plusieurs fois du sujet au cours des derniers mois ; les nouvelles propositions avancées constituent une remise en cause des dispositifs fondamentaux de la loi Littoral.
Or nous savons – cela a été rappelé – que cette loi est indispensable à la préservation des milieux naturels, qu’elle constitue la seule possibilité de prévenir les risques et de protéger les biens et les personnes. Le dossier du bâtiment Le Signal nous rappelle, malheureusement, que la question peut devenir dramatique. Nous connaissons aussi l’appréciation des touristes étrangers qui, lorsqu’ils viennent sur nos côtes, expriment le regret de ne pas pouvoir bénéficier d’un tel dispositif.
Le travail en commission a permis d’autoriser les constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles, forestières ou aux cultures marines en dehors des espaces proches du rivage. Cette autorisation est très encadrée et tout changement de destination de ces constructions est interdit.
Toutefois, une exception spécifique a été introduite en commission pour les installations nécessaires aux activités liées aux cultures marines et conchylicoles qui, elles, peuvent être réalisées dans les espaces proches du rivage, avec les considérations tout juste rappelées par M. le ministre.
Cette exception, selon nous, entrave et menace trop fortement la loi Littoral. Cet amendement tend donc à supprimer la dérogation au profit des installations nécessaires aux cultures marines.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. L’avis est défavorable sur les deux amendements.
Je m’attarderai un peu plus sur l’amendement n° 785, au travers duquel le Gouvernement nous demande de retirer la mention « valorisation locale » que nous avons introduite en commission.
Nous parlons ici de valorisation de cultures marines, des activités qui sont souvent attachées à de petits locaux d’exploitation : ateliers conchylicoles accueillant du public, points de vente réduits de produits de la mer, etc.
Mais j’évoquerai aussi les engagements que Michel Vaspart – il en a fait part lors d’une intervention – a obtenus du Président de la République. Michel Canevet les a également rappelés, puisque, notons-le, ces échanges ont eu lieu avec des élus des Côtes-d’Armor et du Finistère.
Ce sont des engagements très précis que le Président de la République a pris sur quatre points bien identifiés, soulevés par nos collègues sénateurs bretons, et ce même si la loi Littoral dépasse de beaucoup la seule Bretagne.
Nous voulions donc faire en sorte qu’il y ait une certaine cohérence entre les propos tenus par le Président de la République à nos collègues et la réponse du Gouvernement qui, à ce jour, ne semble pas être la même. Je laisserai Michel Vaspart, qui interviendra certainement en explication de vote, développer ce point.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Mézard, ministre. Permettez-moi de répondre à Mme la rapporteur, monsieur le président : ce n’est pas le Président de la République qui est au banc du Gouvernement ; c’est moi !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, pour explication de vote.
M. Michel Vaspart. Lors de l’examen de la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux, que nous avons votée à une large majorité en janvier dernier, un amendement n° 27 rectifié a été déposé, signé par tous nos collègues socialistes, y compris par Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je me suis fait avoir ! (Sourires.)
M. Michel Vaspart. Quel est son objet ? Il tend à rédiger l’alinéa 5 de l’article 9 du texte comme suit : « les constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles, forestières ou aux cultures marines, et à leur valorisation locale »…
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.
M. Michel Canevet. Les reproches formulés par la plupart des collègues élus à l’encontre de la loi Littoral portent sur son niveau insuffisant de précision, qui ouvre la voie à des procédures contentieuses posant des difficultés et empêche quasiment tout projet de se monter. On le sait bien, la jurisprudence est de plus en plus restrictive, de sorte que le bon sens n’est plus de mise et que les interdictions prévalent sur la quasi-totalité du territoire. Il convient donc de préciser les choses.
Je l’ai dit précédemment et M. le Président de la République l’a rappelé à Quimper, dans son discours du 21 juin, notre pays a une ambition maritime affirmée. Il est absolument indispensable que nous puissions mettre en œuvre des politiques permettant de concrétiser cette ambition et, en particulier, de développer des projets de cultures marines ou conchylicoles sur le littoral.
Nous avons récemment examiné, dans cette même enceinte, le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dit ÉGALIM. Ce texte vise, entre autres, à promouvoir les circuits courts. Or ceux-ci ne se restreignent pas au domaine strictement agricole ; il faut aussi les encourager et les soutenir dans le secteur des cultures marines.
Quoi de plus normal qu’un producteur conchylicole veuille pouvoir vendre une partie de sa production aux visiteurs de son site de production, ce qui permet à la population, d’ailleurs, de mieux appréhender les modes de production de ces produits conchylicoles ou issus de cultures marines !
Il est donc tout à fait souhaitable d’avancer sur la rédaction de cet article, étant précisé que des garde-fous, là aussi, ont été prévus. L’interdiction absolue de tout changement de destination permet de s’assurer que la destination précise initialement retenue sera bien conservée.
M. le président. La parole est à M. Marc Daunis, pour explication de vote.
M. Marc Daunis. Rassurez-vous, mon cher collègue Vaspart, je n’aurai ni la cruauté ni le temps de reprendre les déclarations et travaux des uns et des autres et de mettre en avant, avec délectation ou colère, les évolutions et changements de position, comme vous l’avez fait avec une extrême courtoisie. Avec la même courtoisie, j’en resterai là !
Nous avons pu commettre une erreur. Eh oui ! Peut-être certains, dans cet hémicycle, sont-ils infaillibles… Je les admire ! Mais, nous, il peut nous arriver, y compris quand l’intelligence est collective, de commettre des erreurs. En revanche, si l’on s’en aperçoit, je ne dirai pas que persévérer est diabolique, mais c’est en tout cas une grave erreur.
À ce premier élément, j’en ajoute un second, à destination de Mme la rapporteur. Je constate avec un certain étonnement, eu égard à l’attention très scrupuleuse portée à la terminologie, qui doit être en tout point normative et ne laisser aucun espace, que les expressions « petites installations » ou « valorisation locale » ne sont pas sans poser des questions d’interprétation.
Je vois difficilement comment on peut maintenir dans la loi cette terminologie, dont, a contrario, je perçois bien les effets et les dangers. J’imagine sur nos côtes, le long des deltas, en Corse ou ailleurs – la République française a tout de même une petite histoire dans ce domaine –, ce qui pourra être fait au nom de cette fameuse valorisation.
Que chacune et chacun en prenne conscience ! Soit nous pensons que nous sommes ici dans un théâtre d’ombres, soit nous pensons que ce que nous votons a une importance, une force et une valeur. Dans ce cas, je crois qu’il serait sage que nous adoptions, au moins, l’amendement proposé par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, je plaide coupable pour excès de discipline, ce qui n’est pas, en général, mon défaut principal ! (Sourires.)
C’était l’exception qui confirme la règle ! J’ai toujours été hostile à toute remise en cause de la loi Littoral ; cette affaire était momentanément passée hors de mes écrans radars.
M. Philippe Dallier. Ce doit être cela !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela étant, je soutiens l’amendement du Gouvernement qui, je crois, évite les dérives. J’aurais souhaité plus de rigueur, mais le cadre ainsi proposé, sans être celui que j’appelais de mes vœux, est moins dangereux que le cadre envisagé par la commission.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Monsieur le ministre, j’ai entendu la réponse que vous avez formulée lorsque plusieurs collègues ont rappelé les engagements du Président de la République. Cette réponse, je dois le dire, vous a permis de marquer un point : effectivement, c’est bien vous qui représentez l’exécutif et le Président de la République, qui n’est pas responsable devant le Parlement, ne peut représenter l’exécutif devant lui. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous sommes d’accord avec cette interprétation, qui émane, d’ailleurs, d’un ancien collègue parlementaire particulièrement chevronné et respecté, singulièrement au Sénat.
Mais j’avais cru comprendre que, sous le régime de la Ve République, qui a plus tendance à s’« hystériser » qu’à s’adoucir, il arrivait au Président de la République de donner des instructions au Gouvernement.
Peut-être est-ce une interprétation un peu naïve. Mais, pour moi, quand le Président de la République s’exprime devant les députés et sénateurs d’un département, devant le maire de Saint-Brieuc, devant le président du conseil départemental des Côtes-d’Armor, devant le président du groupe La République En Marche de l’Assemblée nationale (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) – le principal parti de la majorité présidentielle – et qu’il annonce sa volonté de régler ce qu’il avait qualifié, un peu moins d’un an plus tôt, d’aberration – il visait non pas la loi Littoral, mais son application –, cela devrait valoir instruction aux membres du Gouvernement, et ce même si seuls les ministres peuvent s’exprimer au nom de l’exécutif devant nous !
Il y a là, je crois, un problème dans le fonctionnement de l’État. Je veux le relever, afin d’inciter le Gouvernement à renoncer à son amendement. Il vaudrait mieux, en effet, que nous puissions respecter ici la parole présidentielle, laquelle devrait tout de même avoir une certaine importance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)