M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Lozach, Kanner, Antiste et Assouline, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Magner et Manable, Mmes Monier et S. Robert, M. Roux et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire (n° 625, 2017-2018).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Claudine Lepage, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs socialistes ont déposé une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges, car ils estiment qu’il n’y a pas lieu de légiférer sur ce sujet. N’imaginez pas que le dépôt de cette motion traduise de notre part un excès d’angélisme : nous ne connaissons que trop les dérives, et les ravages, qu’entraîne chez les jeunes, donc chez les élèves, l’utilisation des téléphones portables. Pour la plupart des jeunes, vivre sans cet appareil est devenu impossible ; son usage immodéré constitue désormais une menace à l’ordre public scolaire.
Il apparaît néanmoins que ni le législateur ni les responsables des établissements scolaires n’ont attendu cette proposition de loi pour se saisir de la question et pour la régler, généralement de façon simple et efficace.
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !
Mme Claudine Lepage. Le code de l’éducation, dans son actuel article L. 511-5, dispose que, « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ».
Ainsi, toute personne, au fait ou non du droit, constatera-t-elle aisément que le législateur a déjà réglé la question de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire hors lycées, encadrant la réglementation et laissant aux établissements et à leurs conseils d’administration la marge d’autonomie légale pour en régler les détails via leur règlement intérieur. Il s’agit d’une solution pragmatique et équilibrée.
Quiconque a déjà participé à la vie d’un établissement scolaire, notamment en siégeant dans un conseil d’administration ou dans une commission permanente préparant ces conseils, a eu à se prononcer, à l’occasion de la modification, généralement annuelle, du règlement intérieur, sur la limitation de l’usage des téléphones portables s’appliquant aux élèves au sein de l’établissement concerné.
Dans le règlement intérieur des établissements d’enseignement secondaire, on trouve toujours plusieurs lignes prévoyant les lieux et moments auxquels s’applique l’interdiction d’usage de ces appareils et les sanctions dont est passible tout contrevenant. J’ai ainsi sous les yeux deux extraits de règlements intérieurs, dont je vais vous donner lecture.
Le premier exemple s’applique à l’ensemble d’une cité scolaire parisienne, collège et lycée. Dans la partie III, intitulée « Obligations des élèves », au chapitre 4, « Comportement », on lit ce qui suit : « Les téléphones portables doivent être éteints dans l’établissement ; leur usage est cependant toléré dans la cour. La prise de photos et de films est strictement interdite. »
Le deuxième exemple d’un règlement intérieur s’applique, cette fois, uniquement dans un collège. Dans la partie « Vivre ensemble », au chapitre consacré aux objets personnels, on lit : « L’utilisation d’un téléphone et de tout type d’appareil audio-vidéo est interdite au sein des bâtiments et durant tous les enseignements : les téléphones sont éteints dans les bâtiments. En cas d’utilisation d’un de ces appareils, celui-ci sera retiré à l’élève et sera remis à son responsable légal. »
Je précise que, dans ce deuxième cas, le règlement intérieur date de 2013. Deux ans auparavant, en 2011, dans ce même collège, le règlement intérieur portait seulement la mention suivante : « Le matériel non nécessaire aux études est déconseillé (téléphone portable, lecteur de musique, appareil photographique, etc.) et son utilisation interdite. »
Je crois avoir apporté la preuve que les établissements savent parfaitement s’organiser et, surtout, qu’ils ont modifié leur règlement intérieur en fonction de l’évolution de l’accès aux technologies et des pratiques des élèves. Les conseils d’école ont également pris des dispositions, généralement fermes, d’interdiction de l’usage des téléphones portables.
Depuis 2010 et l’introduction de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, les chefs d’établissement ont pris conscience des dangers liés à l’usage des téléphones. Ils ont fait voter des mesures de réglementation, voire d’interdiction, de leur usage, dans le cadre des débats qui se déroulent au sein des conseils d’administration et des commissions permanentes, et auxquels participent des représentants de toutes les composantes de la communauté éducative.
Je crois donc vous avoir démontré qu’un texte visant à interdire l’utilisation des téléphones au sein des écoles et des collèges et, sur l’initiative de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, à renvoyer aux règlements intérieurs des lycées le soin d’en interdire éventuellement l’usage, ne sert à rien, sinon à entamer l’autonomie des établissements voulue par les lois de décentralisation, ainsi que le pouvoir délibératif des organes internes des établissements et l’autorité des chefs d’établissement.
Semblant ignorer ces évidences, les auteurs de la proposition de loi nous proposent une interdiction pure et simple de l’usage des téléphones « à l’exception des lieux et des circonstances dans lesquels le règlement intérieur l’autorise expressément ».
M. Jacques Grosperrin. C’est pragmatique !
Mme Claudine Lepage. Loin de simplifier la tâche des établissements, ce nouveau dispositif inverse la logique qui prévalait pour fonder les interdictions et va complexifier la mise en place de règles claires : l’utilisation du téléphone ne sera plus interdite où et quand le règlement le prévoira mais sera, au contraire, permise où et quand le règlement le prévoira. Il est toujours beaucoup plus compliqué de prévoir des exceptions in extenso que d’établir une interdiction claire !
Je suis d’autant plus étonnée par cette proposition de loi que, à ma connaissance – j’ai entendu nombre de représentants des membres de la communauté éducative –, ni le syndicat majoritaire des personnels de direction ni les représentants des parents d’élèves n’étaient demandeurs d’une telle modification législative… Seule l’extension aux lycées de l’actuel dispositif de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, et non la mise en œuvre du raisonnement inversé qui sous-tend le dispositif de l’article 1er, pouvait se justifier. Je ne vous ai lu qu’un seul extrait de règlement intérieur de lycée, mais, dans leur grande majorité, ils ont anticipé sur la législation.
On demande une fois de plus au Parlement de servir de caution à la communication du Gouvernement et à sa majorité ! (M. André Gattolin s’esclaffe.) Le message transmis est incomplet, et donc malhonnête.
Je m’étonne également de la démagogie dont a fait preuve la majorité de l’Assemblée nationale. Sans doute conscients que le dispositif de la proposition de loi était fort contestable, les députés ont souhaité compléter le texte par plusieurs articles additionnels pour – prétendument – renforcer l’éducation à l’utilisation d’internet et des outils numériques.
Néanmoins, l’un des articles du code de l’éducation que les députés se proposaient de compléter au travers de l’article 2 était de portée bien trop générale pour qu’il y soit fait mention de l’éducation à « l’utilisation d’internet et des services de communication au public en ligne ». Sur proposition de notre rapporteur, il a fort heureusement été supprimé en commission.
Les deux autres articles ajoutés ne bouleversent en rien l’arsenal déjà prévu par le code de l’éducation pour sensibiliser les élèves et les étudiants aux dangers de l’internet.
Modifier, au travers de l’article 3, le dispositif actuel du code de l’éducation, qui prévoit déjà une formation à l’utilisation des outils numériques et de leurs contenus, ainsi qu’une sensibilisation au respect de la vie privée, aux règles relatives aux données personnelles et aux droits d’auteur et voisins, pour indiquer qu’il s’agira désormais d’une utilisation « responsable » de ces outils ou substituer à la « sensibilisation » une « éducation » aux droits et devoirs liés à l’usage d’internet et des réseaux ne révolutionnera en rien l’éducation à l’utilisation des outils d’internet et aux droits et devoirs de l’internaute. De telles modifications prêteraient presque à sourire si elles ne figuraient pas dans le texte…
On ne pourra également que s’étonner de la précision figurant à l’article 4, selon laquelle les projets d’école et d’établissement pourront prévoir des expérimentations sur « l’utilisation des outils et ressources numériques » : la nature législative d’une telle disposition n’est pas avérée et, dans la pratique, les projets d’école et d’établissement sont déjà très souvent axés autour de cette utilisation.
Ces articles introduits par l’Assemblée nationale, de portée normative extrêmement limitée, permettront vraisemblablement au législateur de se donner bonne conscience : il estimera sans doute avoir agi de façon préventive, et pas seulement de manière coercitive, par le biais du seul dispositif de l’article 1er.
Ce n’est pas ainsi que nous envisageons notre rôle de législateur ! Rien ne justifiait de demander au Parlement de travailler sur un problème certes très important, mais dont les solutions résident non pas dans la mise en œuvre d’une nouvelle loi, mais dans une application plus stricte de la loi actuelle et dans un renforcement de l’éducation parentale et de la pédagogie scolaire.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Claudine Lepage. Toutes ces raisons nous conduisent à considérer qu’il n’y a pas lieu de débattre sur la proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges, et à demander au Sénat de bien vouloir adopter notre motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Stéphane Piednoir, rapporteur. Madame Lepage, je conçois que vous manifestiez un enthousiasme mesuré pour cette proposition de loi. Lors de la discussion générale, j’ai moi-même exprimé quelques réserves.
J’observe cependant que la discussion de votre motion ne fait qu’allonger un peu plus les débats alors que notre ordre du jour est déjà quelque peu chargé et que son adoption aurait pour conséquence de supprimer les apports de notre commission. Jacques Grosperrin parlait tout à l’heure de pragmatisme : c’est vraiment dans cet esprit que nous avons souhaité travailler. De mon point de vue, les améliorations permises par le travail de la commission ne sont pas insignifiantes. Le texte me paraît plus précis, plus concis aussi : nous avons ainsi supprimé une partie du dispositif des articles 3 et 4, notamment.
Je m’étonne également de la position de M. Lozach, qui a pourtant participé à certaines des auditions que j’ai conduites et qui a, comme moi, entendu les chefs d’établissement nous dire qu’ils étaient demandeurs d’une sécurisation juridique de leurs règlements intérieurs. Pour l’heure, madame Lepage, ceux-ci ne sont pas entièrement sécurisés ; les services juridiques des rectorats l’expriment ainsi !
Simplification, clarté, sécurité : telles ont été les lignes directrices de notre travail. Vous avez employé plusieurs fois le verbe « démontrer », madame Lepage : une démonstration ne peut être tout à fait correcte quand certains éléments sont omis. Vous avez ainsi oublié d’indiquer qu’il était impossible, en l’état actuel de la législation, d’interdire l’utilisation du téléphone portable dans l’intégralité de l’enceinte d’un établissement.
La commission émet évidemment un avis défavorable sur la motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Sans surprise, j’émettrai un avis défavorable sur cette motion. Pour justifier cet avis défavorable, je m’appuierai tout simplement sur vos propos.
Vous avez d’abord dit que l’utilisation des téléphones portables était un phénomène de société inquiétant, très préjudiciable, établissant ainsi vous-même l’exposé des motifs du texte : soyez-en remerciée !
Ensuite, vous avez affirmé qu’il s’agissait d’une opération de communication du Gouvernement. Or la moitié de votre intervention a consisté à déclarer que cette proposition de loi était néfaste substantiellement, et notamment qu’elle portait atteinte à l’autonomie des établissements. Si ce texte est substantiel, il ne peut être réduit à une pure opération de communication : il a un contenu, et son adoption changera l’ordre des choses !
Au demeurant, s’il s’agissait d’une simple opération de communication – c’est un procès qui nous a également été fait à l’Assemblée nationale –, elle serait peu réussie : je ne pense pas que nous ne ferons pas l’actualité grâce à ce texte. Il aurait été beaucoup plus simple pour moi de prendre un décret. (M. André Gattolin approuve.) Si je suis aujourd’hui devant vous, ce n’est pas par masochisme, mais pour faire suite à une analyse juridique des services du ministère. J’ai exposé tout à l’heure les raisons pour lesquelles l’intervention d’une loi est nécessaire.
Il s’agit de raisons juridiques, mais qui renvoient à des questions de fond, que vous avez vous-même abordées, de sorte que vos propos appuient là encore mon argumentation. Vous avez en effet expliqué que, avec ce texte, l’on passait d’une logique où l’utilisation des téléphones était permise, sauf interdiction expresse, à une logique d’interdiction, hors exceptions qualitatives et ciblées.
Dans votre argumentation, vous avez bien montré l’hétérogénéité des situations. Or c’est justement de cette hétérogénéité que nous ne voulons plus. Certains collèges ont en effet mis en place de bonnes pratiques : on constate que l’interdiction de l’usage des téléphones y a amené une amélioration de la vie scolaire. Nous voulons que tous les collèges de France et, bien entendu, toutes les écoles primaires bénéficient de pratiques qui ne sont aujourd’hui en vigueur que dans certains établissements. C’est aussi simple que cela !
Tout cela justifie amplement que ce texte vous soit soumis aujourd’hui. Nous serons peut-être conduits à évoquer, dans la suite de la discussion, des éléments de nature à prouver davantage encore, s’il en était besoin, le caractère substantiel de cette proposition de loi. Je pense en particulier à la sécurité juridique qu’elle apportera aux établissements sur la question de la confiscation des téléphones. Elle n’est donc nullement anodine. On peut bien sûr la discuter sur le fond et être en désaccord, mais si l’on pense que l’utilisation des téléphones à l’école constitue bel et bien un phénomène de société néfaste, ce serait un fort mauvais service à rendre à l’intérêt général de nos établissements que de s’opposer la mise en œuvre de cette innovation législative ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a maintenant plus d’un demi-siècle, les récepteurs de télévision entraient progressivement dans les foyers français. Ils allaient bien souvent y bouleverser les habitudes.
Ces profonds changements semblent aujourd’hui pourtant bien modestes à côté de celui que représente, depuis plus d’une décennie, l’omniprésence, tant au sein du foyer qu’en dehors, d’internet et des supports d’utilisation mobiles qui l’accompagnent. Qui n’a jamais eu l’occasion de constater, dans une rame de train ou de métro à l’heure des migrations pendulaires, que la quasi-totalité des voyageurs ont désormais les yeux rivés sur un écran ?
Mme Éliane Assassi. Comme au Sénat ! (Sourires.)
Mme Mireille Jouve. Au-delà de son aspect utile et ludique, cette pratique est clairement addictive et, comme pour toute pratique addictive, nous avons un devoir de vigilance tout particulier à l’égard de nos enfants.
Dans le cadre scolaire, le taux massif d’équipement des élèves en téléphones portables multifonctions – près de 86 % des enfants de douze à dix-sept ans en possèdent un – ne va pas sans poser des difficultés notables.
Tout d’abord, l’usage de ces appareils est source de repli sur soi à un âge où nos adolescents ont déjà une tendance à l’isolement. Certains jeunes s’enferment de fait dans un espace où la parole des adultes, habituellement source de modération, est exclue et où seule la parole adolescente a droit de cité. Par le biais des réseaux sociaux, ils se trouvent ainsi exposés à des formes de harcèlement particulièrement dévastatrices. Alors que le temps scolaire devrait justement permettre de rompre cet isolement et de porter le plus efficacement possible la parole des adultes, l’usage du smartphone vient contrarier ce nécessaire dialogue intergénérationnel.
En outre, par leurs fonctionnalités multiples, les téléphones intelligents favorisent la fraude. Enfin, leur prix croissant suscite de la violence et des vols.
Si elle aboutit à dégrader la qualité du climat scolaire, la présence du téléphone portable dans nos écoles, collèges et lycées soulève aussi un enjeu pédagogique. Incontestable facteur de dispersion, leur utilisation récurrente en classe conduit les enseignants à consacrer à la discipline un temps qui ne profite pas à l’instruction. On constate aisément que l’interdiction des téléphones portables au sein des enceintes scolaires s’accompagne généralement d’un regain de concentration et d’une amélioration des résultats, notamment chez les élèves les plus en difficulté.
Cette nécessité d’agir, la communauté éducative en a pris conscience depuis longtemps. Un grand nombre de collèges interdisent déjà via leur règlement intérieur l’usage d’un téléphone mobile en classe. Toutefois, si elle a déjà cours, cette interdiction se pratique aujourd’hui dans un cadre juridique incertain.
En effet, les dispositions introduites en 2010 au sein du code de l’éducation par la loi dite « Grenelle II » posaient un impératif de santé publique : il s’agissait de limiter l’exposition des élèves aux ondes électromagnétiques.
La rédaction actuelle de l’article L. 511-5 du code de l’éducation ne permet pas une interdiction générale et absolue du téléphone portable. En effet, en dehors de la classe, la libre utilisation demeure la règle, et les interdictions étendues à l’ensemble des enceintes scolaires présentent une fragilité juridique.
En outre, la confiscation fait également aujourd’hui l’objet d’interprétations diverses. Les circulaires ministérielles n’en font mention que dans le cas d’objets toxiques ou dangereux.
Enfin, les dispositions actuelles ne permettent pas l’utilisation des téléphones portables multifonctions dans un cadre pédagogique en classe. Or, après avoir procédé à l’équipement des élèves en outils numériques, avec des résultats mitigés, nos collectivités territoriales privilégient aujourd’hui l’utilisation d’un matériel appartenant déjà aux élèves.
Le texte présenté par notre rapporteur nous semble apporter des réponses à même de remédier à cette insécurité juridique. Dans un souci de cohérence et d’exhaustivité, il nous est proposé d’élargir son champ aux lycées, avec toutefois un régime d’encadrement spécifique.
Sur le fond de cette réforme, le groupe du RDSE rejoint la volonté du rapporteur de doter notre pays d’outils plus adaptés, s’agissant d’un enjeu éducatif et de santé publique majeur.
Si nous partageons également la volonté de nos collègues de préserver l’autonomie de la communauté éducative, qui demeure la mieux à même d’évaluer et de faire évoluer ses règles de fonctionnement, nous sommes convaincus que celle-ci est aujourd’hui dans l’attente d’un cadre plus sécurisant.
Sur la forme, comme beaucoup de nos collègues, nous nous montrerons beaucoup plus réservés.
Le Gouvernement et sa majorité ont choisi la voie législative pour mener à bien cette réforme. D’autres démarches auraient sans doute pu permettre de parvenir à un résultat identique, même s’il faut bien reconnaître les lacunes de l’article L. 511-5 du code de l’éducation.
Le calendrier retenu pour l’examen de la présente proposition de loi prête aussi à interrogations, alors que les textes d’envergure se succèdent. Nous sommes nombreux à penser que le temps parlementaire pourrait être mieux utilisé. La semaine passée encore, le Parlement a été réuni en congrès à Versailles pour entendre le Président de la République prononcer un discours dont le contenu relève davantage de l’entretien journalistique…
En dépit de ces réserves sur la forme, nous adhérons aux propositions qui nous sont faites par la commission de la culture du Sénat.
L’éducation dans le cadre scolaire suppose aussi d’apprendre à nos enfants à vivre sans écran. L’univers numérique évoluant vite, il est fort probable que de nouvelles adaptations seront prochainement à envisager, sans que celles-ci aient d’ailleurs nécessairement à faire de nouveau l’objet d’une loi.
Au-delà de la discussion du présent texte, nous ne devrons pas, à l’avenir, faire l’économie d’une réflexion, la plus large possible, sur le rapport de chacun d’entre nous au numérique et aux écrans.
Cette réflexion, le Sénat s’emploie déjà à la mener à travers les travaux de Mme la présidente de la commission de la culture, qui a récemment produit un rapport rappelant l’impérieuse nécessité de la formation pour prendre en main notre destin numérique. Sachons bâtir un rapport équilibré au progrès, comme cela a déjà été le cas par le passé ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à encadrer l’utilisation du téléphone portable dans les établissements scolaires.
À l’Assemblée nationale comme dans au sein de notre commission de la culture, le changement de paradigme proposé par les auteurs de ce texte, substituant au régime actuel d’autorisation un régime d’interdiction assorti d’exceptions, a suscité un certain scepticisme quant à l’utilité de légiférer.
Nous devons pourtant bien admettre deux réalités.
La première, c’est que nous sommes tous d’accord ici sur le fond, à savoir le bien-fondé de l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable par les élèves dans les établissements scolaires. Je crois même que certaines divergences proviennent d’une vive inquiétude unanimement partagée, mais exprimée de manière différente. En effet, au-delà du cas de nos enfants, ce texte pousse chacun d’entre nous à s’interroger sur l’usage des téléphones portables dans notre vie quotidienne, sur leur omniprésence dans nos sphères professionnelle, personnelle et familiale.
Nous qui avons tous grandi sans téléphone portable avons vu les écrans connectés prendre dans nos vies respectives une place grandissante, voire inquiétante, surtout lorsque nous voyons nos enfants et nos petits-enfants s’emparer de cette technologie avec une aisance déconcertante, parfois abusivement, souvent sans précautions.
Dans ces conditions, lorsqu’il est question d’encadrer l’utilisation des téléphones portables dans l’enceinte de l’école, pilier sacré de notre pacte républicain, le sujet devient encore plus sensible, tant nous savons qu’il est de notre responsabilité d’apprendre à nos enfants à maîtriser l’usage de cet outil exceptionnel.
La seconde réalité, c’est que le cadre juridique actuel est défaillant. S’il a permis la mise en place de bonnes pratiques dans certains établissements, nous ne pouvons pas nier qu’il en existe aussi de très mauvaises. Très concrètement, la loi ne permet pas aujourd’hui d’interdire le téléphone portable dans l’ensemble de l’enceinte de l’établissement, le principe de liberté d’utilisation en dehors de la classe demeurant la règle.
Or nous savons que le téléphone induit des risques qui vont bien au-delà de la triche ou du déficit de concentration en classe, depuis les vols ou le racket jusqu’au cyberharcèlement et au visionnage de contenus violents ou inadaptés : autant de risques dont l’école doit protéger nos enfants lorsqu’ils sont dans ses murs.
Je ne m’étendrai pas sur les effets bénéfiques d’un meilleur encadrement.
Le premier enjeu est évidemment celui de l’assiduité des élèves et son corollaire, le climat scolaire.
Le second enjeu est de santé publique, tant on sait qu’un usage intensif des téléphones portables, et plus largement des écrans, peut engendrer des problèmes relationnels et émotionnels, des troubles du sommeil ou encore des phénomènes de dépendance et d’addiction.
Cela étant dit, j’entends naturellement, sans vraiment les comprendre, les voix qui s’élèvent pour dénoncer une mesure de communication, inutile pour certains, inopérante pour d’autres.
Nous savons bien que ce texte ne répondra pas à la grande complexité d’un tel sujet de société, mais devons-nous, pour autant, le balayer d’un revers de main ? Pourquoi ne pas y voir au contraire une occasion d’apporter une pierre supplémentaire, aussi modeste soit-elle, à l’édifice de notre école républicaine, de manière à la rendre plus forte, plus protectrice ?
À mon sens, la situation de défaillance que j’ai décrite impose non seulement de faire évoluer les dispositions actuelles, mais de le faire par la loi, avec ses vertus tant juridiques que symboliques. En encadrant l’usage du portable dans les écoles et les établissements, c’est aussi un signal que nous enverrons : cela montrera que nous légiférons dans le concret pour mieux sensibiliser les élèves et les familles aux usages raisonnés des écrans.
À cet égard, je tiens à saluer le travail engagé par notre rapporteur, qui a d’abord compris la nécessité de clarifier un cadre juridique incertain, avant d’apporter des améliorations que je considère comme essentielles, comme l’extension de l’interdiction des téléphones portables aux lycées ou la définition des modalités de la confiscation.
Je partage également son attachement aux dispositions prévoyant la formation à l’utilisation responsable des outils et des ressources numériques et le développement de l’esprit critique, ainsi qu’une véritable éducation aux droits et devoirs liés à l’usage d’internet.
Dans cet esprit, je proposerai de rétablir, à l’article 1er, la précision selon laquelle l’interdiction ne s’applique pas aux usages pédagogiques. S’il est sous-entendu que chaque établissement prendra en compte cet aspect dans son règlement intérieur, je considère qu’il est important que la loi l’assume explicitement.
Ayant enseigné pendant de très longues années, j’ai souvent entendu le refrain selon lequel les livres, le papier resteraient de meilleurs supports d’enseignement que les nouvelles technologies. Je réfute cette vision binaire qui tend à percevoir le numérique sous un seul jour. Il nous faut renforcer l’usage des outils numériques dans nos pratiques pédagogiques, tout en transmettant aux élèves un socle de compétences numériques.
Apprendre aux jeunes à utiliser ces outils avec discernement, c’est-à-dire encourager les bons usages et empêcher les mauvais, c’est bien la manière la plus volontariste, pour l’école, de relever les défis de la révolution numérique en cours.
Fort de ces réflexions et bien conscient que ces dispositions ne prendront leur pleine mesure qu’à l’épreuve du terrain, notre groupe votera en faveur de l’adoption de cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mme Colette Mélot applaudit également.)