M. Roger Karoutchi. C’est sûr !
M. Jacques Mézard, ministre. Le président du Sénat, avec sa sagesse légendaire – vous savez l’estime que je lui porte –, a certainement raison lorsqu’il dit qu’« il faut toucher à la Constitution d’une main tremblante ». Je crois sincèrement qu’il en va de même pour la loi SRU.
M. Bruno Retailleau. Ce n’est peut-être pas la même chose…
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur pour avis de la commission des lois. Ce ne sont pas les mêmes tremblements !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. Oh, comme vous y allez !
M. Jacques Mézard, ministre. Il y a des cas où le bon sens nous pousse à voir qu’il y a des communes, nouvellement entrées, qui se trouvent dans des situations mathématiquement impossibles à supporter. Il faut que nous trouvions des solutions équilibrées.
Pour faire simple et clair, il y a une architecture globale de la loi SRU. Depuis des années, cette loi a permis de développer la construction de logements sociaux sur l’ensemble de nos territoires. En outre, les quelques modifications adoptées dans le cadre de la loi Égalité et citoyenneté ont permis de multiplier par quatre les exemptions. Cela signifie qu’il a déjà été tenu compte, au moins en partie, d’un certain nombre de difficultés réelles constatées sur le terrain.
Des amendements ont été déposés par la commission saisie au fond et par la commission des lois, saisie pour avis. Nous travaillerons du mieux que nous pourrons pour atteindre l’objectif, mais, je le redis, il est hors de question de remettre en cause l’architecture, la colonne vertébrale de la loi SRU.
Enfin, dernière ambition de ce texte : améliorer le cadre de vie de nos concitoyens. Ce dernier axe est au cœur de nos projets en faveur de la cohésion des territoires et va bien au-delà du seul domaine du logement.
Les mesures du projet de loi ÉLAN visent aussi à accélérer la rénovation des centres-villes à travers un contrat intégrateur unique : l’opération de revitalisation des territoires, l’ORT. C’est l’un des objectifs du programme « Action cœur de ville », que j’ai lancé voilà quelques mois pour 222 villes et intercommunalités réparties sur tout le territoire hexagonal et outre-mer, et dont les conventions commencent à être signées par l’ensemble des acteurs – elles seront toutes signées d’ici au 30 septembre.
Je souhaiterais préciser que, contrairement à ce que j’ai pu entendre, l’ORT est un dispositif qui s’adresse non seulement aux collectivités s’inscrivant dans le plan « Action cœur de ville », mais plus largement à toutes les collectivités qui souhaitent s’emparer d’un outil opérationnel de revitalisation de leur centre-ville. Ce point doit être bien intégré. La liste n’est donc pas bloquée à 222 villes.
Je suis également ouvert à la discussion sur la question de l’aménagement commercial dans les villes moyennes, qui fait l’objet d’un certain nombre d’amendements. Comme je vous l’avais dit à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sénatoriale adoptée récemment sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs, l’examen du présent projet de loi doit permettre de répondre à certaines de vos interrogations et satisfaire nombre de vos préoccupations. Je citerai à cet égard un sujet qui n’est pas neutre, à savoir le financement de ces opérations, même si quelques propositions ont été validées par la commission des finances de la Haute Assemblée ; nous aurons l’occasion d’y revenir au cours du débat.
L’une des mesures fortes qui me tient particulièrement à cœur est la lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil. Le texte initial a été largement amendé, et jamais un texte de loi n’a été aussi loin, ce dont je me réjouis.
Nous nous attaquons frontalement à la racine de ce fléau. Il est ainsi prévu d’instituer une présomption de revenus pour les marchands de sommeil comme pour les trafiquants de drogue ; ils seront soumis au même traitement. Le projet de loi systématise aussi les astreintes administratives en cas de travaux prescrits, pour accentuer la pression sur les propriétaires.
De plus, en cas d’expropriation, l’indemnité liée sera saisie dans le cas où une enquête pénale a été ouverte. Il était en effet choquant, pour ne pas dire davantage, que, dans le cadre de mesures d’expropriation, des marchands de sommeil encaissent l’indemnité maximale après avoir profité de nos concitoyens les plus fragiles.
Ont été ensuite rendues obligatoires les peines complémentaires de confiscation des biens des marchands de sommeil et d’interdiction d’acquisition de nouveaux biens immobiliers pour une durée de dix ans, sauf décision contraire motivée du juge.
À la suite de la discussion de la proposition de loi qu’avaient déposée les membres du groupe communiste à l’Assemblée nationale – nous avons travaillé en concertation avec eux –, les députés ont adopté une mesure prévoyant que les marchands de sommeil condamnés ne pourront notamment pas acquérir de biens immobiliers en cas de vente par adjudication.
Par ailleurs, et nous aurons un débat sur ce point, nous prévoyons de moderniser et de simplifier le droit des copropriétés. C’est une vraie urgence ! Je sais que d’aucuns, ici, ont déposé nombre d’amendements pour que ces copropriétés puissent sortir plus rapidement de l’ornière. Ce sujet est très lourd, car il peut concerner des dizaines de milliers de logements dans certaines villes.
Je vous le dis pour être totalement transparent, nous lancerons dans les jours prochains une initiative « copropriétés » pour accélérer le processus. Nous n’aurons pas forcément besoin dans l’immédiat de ces dispositions législatives, tant l’urgence est grande d’agir efficacement contre les copropriétés dégradées. J’ai demandé aux préfets de nous transmettre, ville par ville, la situation des copropriétés les plus dégradées, puis, en deuxième rideau, de celles qui vont le devenir, afin que nous puissions agir notamment avec l’Agence nationale de l’habitat et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine le plus rapidement possible.
Les amendements adoptés par votre commission sont intéressants. Dans l’esprit de coconstruction qui est le nôtre, ils sont directement versés aux travaux en cours, animés par la Chancellerie et le Gouvernement.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Ah !
M. Jacques Mézard, ministre. C’est un sujet sur lequel il est difficile de ne pas procéder à une telle coordination avec la Chancellerie, car il relève en grande partie du droit civil.
Quoi qu’il en soit, j’ai la volonté que nous aboutissions, et je sais que l’objectif est commun. La question est de trouver le moyen d’y parvenir. Si le Gouvernement maintient sa position initiale, je prendrai devant vous des engagements sur la méthode que nous pourrons adopter pour que le Sénat soit directement et constamment associé à cette évolution.
Nous aurons également des discussions autour de la question majeure du traitement des copropriétés dégradées par les collectivités locales. J’étais vendredi à Marseille, et j’ai pu échanger sur ce sujet particulièrement important avec les différents acteurs.
Je conclurai sur le numérique, sujet qu’a particulièrement porté, avec talent et conviction, M. le secrétaire d’État Julien Denormandie.
Le projet de loi comporte un volet lié aux simplifications dans le déploiement du numérique au profit de tous les territoires. Vous le savez, l’accès à la téléphonie mobile et à une connexion internet de qualité est une attente forte de nos concitoyens et nécessite le déploiement de nouvelles infrastructures. Or le délai moyen d’installation d’un pylône ou d’une antenne est en France de vingt-quatre mois, très supérieur à tout ce que l’on constate chez nos voisins européens. Une partie de ces délais est imputable à la réglementation et aux procédures imposées aux opérateurs. Nous avons obtenu d’eux un effort d’accélération inédit, puisque chaque opérateur s’est engagé, sous peine de sanctions, à déployer des milliers de pylônes supplémentaires à ses frais, dont 5 000 pour apporter la téléphonie mobile là où elle est actuellement absente ou insuffisante.
S’agissant des mesures de simplification qui vous sont proposées, nous avons veillé à ce qu’elles permettent l’accélération de ces installations, parfois pour une durée limitée à celle de l’accord, tout en respectant le droit légitime à l’information des maires et des habitants des communes concernées. Je ne doute pas, là encore, que nos débats viendront enrichir le texte actuel en veillant à préserver cet équilibre indispensable entre le désenclavement numérique de nos territoires, qui est vivement demandé sur tous ces territoires en retard – ce n’est pas leur faute –, et le respect des prérogatives des élus dans l’aménagement de leur territoire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà quels sont les objectifs du Gouvernement dans le cadre du projet de loi ÉLAN.
L’objectif principal, je l’ai dit au début de mon intervention, est de simplifier, d’accélérer un certain nombre de procédures et de tenir compte des évolutions sociétales pour faciliter la construction dans ce pays. C’est le changement le plus évident par rapport à un certain nombre de dispositions législatives antérieures. Je le redis, je ne fais aucunement le procès de ce qui a pu être voté et mis en application sous les précédents gouvernements. Nous avons essayé de tirer le bilan de ce qui fonctionnait, de ce qui pouvait être accéléré et de ce qui devait correspondre aux évolutions sociétales qui impactent le quotidien des Français. Le véritable sens de ce texte, qui s’adresse à nos concitoyens, c’est de leur rendre la vie plus facile. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. André Gattolin et Mme Colette Mélot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, construire plus, mieux et moins cher, améliorer le cadre de vie, répondre aux besoins de chacun et favoriser la mixité sociale : difficile de faire moins consensuel.
Si le diagnostic posé sur la crise du logement est bon, le texte n’apporte pas toutes les réponses appropriées, qui plus est dans un contexte qui voit toute la chaîne de production du logement neuf ralentir : ventes, mises en vente et mises en chantier sont en net retrait au premier trimestre de 2018 par rapport à la même période en 2017. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, le choc de l’offre a disparu de vos éléments de langage !
Le projet de loi est clairement travaillé par une valse-hésitation constante entre décentralisation et recentralisation. Deux visions antagonistes le portent, au risque de conduire à un produit hybride fait de compromis multiples et d’incohérences absolues.
Monsieur le secrétaire d’État, lorsque vous êtes venu devant la commission des affaires économiques, vous nous aviez assurés de votre engagement de coconstruction du texte et que vous étiez ouvert, avec M. le ministre, à toute modification ou tout autre aménagement. Mais il faut croire que votre volonté s’est sérieusement émoussée au regard des amendements déposés par le Gouvernement sur le texte qui reviennent sur les apports du Sénat. Pourtant, la commission des affaires économiques s’est attachée à en corriger les imperfections et à l’enrichir de dispositifs qu’elle a jugés essentiels à la mise en œuvre d’une politique en matière d’habitat, en s’appuyant notamment sur les conclusions de la conférence de consensus sur le logement. Elle a été particulièrement attentive à la place des collectivités territoriales dans la mise en œuvre des politiques locales de l’habitat et, plus spécialement, au rôle des maires. Elle s’est opposée à la recentralisation des dispositifs au profit de l’État, car il existe encore trop souvent des injonctions nationales et des pratiques descendantes très éloignées des préoccupations et des besoins des territoires.
Les opérations d’aménagement d’ampleur ne peuvent se réaliser sans les communes. Dans les périmètres des grandes opérations d’urbanisme prévues par des projets partenariaux d’aménagement, la commission a réintroduit l’accord des maires.
Mme Victoire Jasmin. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Pour lutter contre le phénomène de vacance de locaux, la commission s’est attachée à encourager les initiatives locales. Ainsi, elle a prolongé jusqu’en 2023 le dispositif volontaire et contractuel de mise à disposition de locaux vacants par leurs propriétaires en vue de la création de places de logement temporaire. La priorité doit rester le logement ! Dans cette optique, la commission a mieux encadré les conditions de réquisition des locaux à des fins d’hébergement d’urgence, dans le respect du droit de propriété.
En ce qui concerne la procédure d’avis des architectes des Bâtiments de France, la commission a considéré que le texte issu de l’Assemblée nationale offrait un consensus équilibré au service de la couverture numérique du territoire et de lutte contre l’habitat indigne.
Le Sénat, vous le savez, se fait depuis longtemps le relais du besoin d’adaptation des règles de constructibilité en zones littorale et agricole. Dans la lignée de la proposition de loi de Michel Vaspart relative au développement durable des territoires littoraux et de celle de Jacques Genest visant à relancer la construction en milieu rural, la commission a poursuivi la territorialisation des prescriptions de la loi Littoral et l’assouplissement de la règle d’inconstructibilité des zones non urbanisées. Ces mesures faciliteront notamment l’implantation d’annexes, d’équipements collectifs et d’activités de cultures marines. Ce sont des enjeux d’une importance centrale pour le développement démographique, touristique et économique de nos territoires ruraux et littoraux.
Le volet relatif à la réorganisation du secteur social n’est que la conséquence des mesures budgétaires de l’automne dernier prises brutalement et unilatéralement, qui ont mis plus qu’à la diète le secteur HLM. Nombre de mesures ne sont que de l’habillage ouvrant à terme la porte à des capitaux privés avec le risque d’une hausse des loyers et l’éviction des plus modestes.
M. Marc Daunis. Absolument !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Pour autant, la commission n’a pas souhaité remettre en cause les dispositions relatives à la restructuration du secteur social, dont chacun a admis la nécessité. En revanche, elle a apporté des modifications dans sa mise en œuvre en abaissant les seuils en deçà desquels le regroupement de bailleurs sociaux est obligatoire à 10 000 logements gérés et à 25 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ces seuils nous ont paru plus en adéquation avec la situation des bailleurs. Elle a également clarifié les règles d’appartenance à un groupe de logement social, interdisant la double appartenance simultanée à deux groupes d’organismes de logement social. Il nous a paru incohérent de placer les organismes dans des situations insolubles où ils devraient choisir entre les orientations incompatibles de leurs groupes de rattachement.
La vente de 40 000 logements sociaux voulue par le Gouvernement est quasi impossible à atteindre, tout le monde, sauf le Gouvernement, le reconnaît. La commission n’est pas opposée à la vente des logements sociaux, mais pas à n’importe quelles conditions. Le maire ne peut pas être laissé de côté. On ne peut pas lui demander de construire plus de logements sociaux dans le cadre de la loi SRU et, dans le même temps, ne pas lui donner les moyens d’atteindre cet objectif. Nous avons donc prévu son vote conforme sur la vente de logements sociaux.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. La loi SRU est effectivement la grande absente du projet de loi, puisque seul l’article 46 prévoit d’allonger le décompte des logements sociaux vendus de cinq à dix ans. La commission a adopté plusieurs mesures pour faciliter l’atteinte des objectifs de construction de logements sociaux.
Le calendrier actuel est intenable. Si les obligations de la loi SRU ont bien impulsé la dynamique recherchée, l’application uniforme de ce dispositif centralisé apparaît aujourd’hui comme un frein.
Combien de temps, messieurs les ministres, allez-vous fermer les yeux sur cette réalité ? La commission a décidé de prolonger les obligations de réalisation de logements sociaux de 2025 à 2031, ce desserrement devant permettre aux communes de réaliser la construction de logements sociaux à un rythme plus soutenable tout en maintenant l’objectif de 25 %. Un calendrier de rattrapage spécifique a été instauré pour les communes « entrantes », les communes nouvelles, qui bénéficieront ainsi de la même durée que les communes actuelles pour réaliser leurs objectifs de construction de logements sociaux.
Une expérimentation a été proposée avec la mise en place d’un contrat d’objectifs et de moyens. La liste des logements sociaux décomptés a été complétée de façon restreinte par l’ajout des logements occupés par un titulaire d’un PSLA, un prêt social location-accession, des logements objets d’un bail réel solidaire et des places d’hébergement d’urgence. Ces mesures pragmatiques et réalistes permettront aux maires de respecter leurs obligations de construction de logements sociaux dans de bonnes conditions, sans les décourager, ni démolir la loi SRU, monsieur le ministre.
Autre sujet oublié du texte : les relations entre bailleurs et locataires. La commission a souhaité rééquilibrer ces relations, notamment en facilitant la délivrance du congé en cas d’acquisition d’un logement occupé, ou encore en unifiant à deux mois le délai de préavis donné par un locataire, sauf lorsque l’état de santé ou la situation économique du locataire le justifie.
La copropriété est un sujet qui touche au quotidien de nos concitoyens. Il ne peut être traité via une habilitation à légiférer par ordonnances. La commission a donc adopté plusieurs mesures modifiant les règles de copropriété qui permettront une première amélioration de son fonctionnement.
Les squats de logements se développent, vous le savez. Nous ne pouvons rester indifférents. C’est pourquoi nous avons renforcé de nouveau le dispositif de lutte contre les squatteurs, trois ans après l’examen de la proposition de loi sénatoriale tendant à préciser l’infraction de violation de domicile, en prévoyant que les locaux à usage d’habitation bénéficieront des mêmes mesures de protection que le domicile des personnes.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. La commission a également contribué au renforcement de l’efficacité du dispositif de lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil. Nous avons rendu plus efficaces les permis de louer et de diviser en donnant au maire l’accès au casier judiciaire des demandeurs. Nous avons étendu aux agents immobiliers l’obligation de déclarer au procureur de la République les suspicions d’activités de « marchands de sommeil ». Considérant qu’une ligne rouge avait été franchie, la commission a enfin supprimé deux points de l’ordonnance relative aux polices de lutte contre l’habitat indigne.
S’agissant des dispositions destinées à assurer la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, nous avons repris la quasi-intégralité des mesures non fiscales adoptées dans le cadre de la proposition de loi présentée par Rémy Pointereau et Martial Bourquin.
M. Rémy Pointereau. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Enfin, s’agissant du volet relatif au déploiement des réseaux numériques, la commission a souhaité, avec la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, aller plus loin que le projet de loi issu de l’Assemblée nationale afin de répondre aux attentes de nos concitoyens en la matière, sans pour autant priver les maires de leurs prérogatives. Elle a notamment répondu à une forte demande des élus de montagne comme des opérateurs, en insérant explicitement dans la loi une dérogation au principe de construction en continuité d’urbanisme en zone de montagne. Elle a également entendu crédibiliser les engagements des opérateurs en renforçant les sanctions encourues en cas de manquement à ces engagements et en étendant leur champ d’application.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter le texte tel que la commission l’a modifié. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Je viens effectivement à cette tribune, monsieur le ministre, défendre une cause.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est dans le but de créer un choc de l’offre et de libérer les contraintes pesant sur le secteur de la construction que le projet de loi ÉLAN comporte un certain nombre de dispositions visant à simplifier les normes et les procédures d’urbanisme. Parmi ces règles auxquelles le projet de loi apporte des modifications, ou qu’il prévoit d’assouplir, figurent plusieurs dispositions destinées à favoriser la création architecturale et la protection du patrimoine. Sur certaines d’entre elles, le Parlement s’est prononcé voilà moins de deux ans au travers de la loi LCAP, la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
Face à l’ampleur de la crise du logement que connaît notre pays, je comprends parfaitement le souhait de vouloir donner aux entreprises et aux acteurs les capacités d’inventer des solutions nouvelles, de réduire les délais de production de logements, de construire et de rénover davantage. Faut-il pour autant prendre le risque de remettre en cause la qualité architecturale et la mise en valeur du patrimoine, deux éléments pourtant indispensables à l’attractivité de nos territoires et à la qualité de vie ?
Je suis conscient que le sujet est sensible, tant nous sommes tiraillés entre plusieurs objectifs d’intérêt général, aussi louables les uns que les autres, mais qui entrent en contradiction entre eux. Le débat n’est pas nouveau. En 1962, lorsqu’il a présenté devant le Parlement le projet de loi qui allait porter son nom, André Malraux pointait déjà du doigt ce paradoxe, évoquant la nécessité « de concilier deux impératifs qui peuvent paraître opposés : conserver notre patrimoine architectural et historique et améliorer les conditions de vie […] des Français ».
Mme Maryvonne Blondin. Exactement !
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Alors même que la situation en matière de logement était plus tendue encore à l’époque qu’aujourd’hui, c’était la volonté de trouver le point d’équilibre entre ces différents principes apparemment contraires qui animait André Malraux. Tel n’est malheureusement pas l’objectif du projet de loi ÉLAN, qui semble davantage faire primer la construction de logements sur toute autre considération d’intérêt général, comme le laisse à penser l’étude d’impact.
Mme Cécile Cukierman. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Or le risque de cette orientation, c’est de nous faire répéter les erreurs d’urbanisme d’après-guerre, dont nous payons encore aujourd’hui le prix.
C’est pour mettre un terme aux errements de cette période que la loi Malraux de 1962 dans le domaine du patrimoine, la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture ou la loi MOP, la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, du 12 juillet 1985 ont été votées. Ce sont ces mêmes lois que le projet de loi ÉLAN prévoit aujourd’hui de remettre en cause.
L’instabilité juridique que le projet de loi pourrait générer soulève d’autant plus d’inquiétudes qu’elle intervient dans des domaines où la stabilité des normes est particulièrement importante. La préservation du patrimoine est une action qui s’inscrit dans la durée et s’accommode mal des règles mouvantes.
Transformer l’avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France en avis simple, quand bien même cette transformation resterait circonscrite à quelques cas clairement identifiés, n’est pas une décision sans conséquence. Je sais que l’ABF cristallise les crispations d’un grand nombre d’élus locaux. Je sais qu’il souffre d’une image de fonctionnaire parfois « buté » en dépit du faible nombre de refus qu’il oppose chaque année et des possibilités de recours qui existent contre ses décisions, à l’occasion desquelles les commissions régionales du patrimoine et de l’architecture, présidées par des élus, sont désormais consultées.
Le but de l’avis conforme – dois-je le rappeler ? – est de garantir que les enjeux patrimoniaux puissent aussi être pris en compte, au même titre que d’autres enjeux. Ne nous y trompons pas, les quatre cas qui nous sont soumis aujourd’hui sont loin d’être anodins et pourraient entraîner des atteintes irréversibles à notre patrimoine.
Renoncer à l’avis conforme privera certes l’ABF de sa capacité d’empêcher un projet, mais lui retirera également toute possibilité d’établir un dialogue pour permettre qu’un projet évolue dans le sens d’une meilleure conciliation de tous les intérêts en présence.
La commission de la culture vous proposera quelques amendements allant dans le sens d’une plus grande coconstruction des projets entre les élus et les ABF et d’une meilleure prévisibilité des avis de ces derniers.
Voulons-nous vraiment prendre le risque que le maire soit désormais seul et sans protection face à la pression des promoteurs de projet pour décider ? Voulons-nous vraiment ouvrir une brèche au principe de l’avis conforme pour que la liste des exceptions ne fasse que s’allonger au fil des années, au point de le vider de son sens ? Compte tenu de l’atout que représente le patrimoine pour notre pays et ses territoires, ce serait, aux yeux de la commission de la culture, une erreur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable s’est saisie pour avis de vingt-sept articles du projet de loi que nous examinons aujourd’hui : onze sont relatifs à l’aménagement numérique du territoire, trois ont trait au littoral, qui prolongent les travaux effectués par la commission sur ce sujet depuis plus de cinq ans, et treize touchent à des sujets plus ponctuels concernant l’évaluation environnementale, la participation du public, la qualité de l’air intérieur ou encore l’eau et l’assainissement.
Avec ce périmètre de saisine large et des délais d’examen très contraints du texte au Sénat, la commission a fait le choix de concentrer son avis sur deux sujets au cœur de ses compétences : le volet « numérique », vous vous en doutiez, et, sur l’initiative de notre collègue Michel Vaspart, président du groupe d’études Mer et littoral, les dispositions relatives, non pas à la loi Littoral, mais à des mesures pragmatiques concernant le littoral.
Au-delà de ces éléments liminaires, je souhaite partager avec vous un constat sur la méthode : le projet de loi ÉLAN est devenu un monstre législatif.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je considère que la diversité des sujets abordés, sans réelle cohérence d’ensemble, ne permet pas aux commissions permanentes compétentes du Parlement de travailler correctement. Au-delà de l’objectif de simplification, qui devrait d’ailleurs être considéré davantage comme un moyen que comme une fin en soi, l’objet du projet de loi ÉLAN est devenu difficile à cerner, ce qui nuit à la qualité du travail parlementaire.
En outre, si l’ambition affichée par le Gouvernement est grande, elle ne concerne pas tous les aspects du texte dans la même mesure. Je tiens, à cet égard, à vous témoigner ma déception à propos de la pauvreté de la partie « N » du projet de loi consacrée au numérique, qui comportait seulement quatre articles dans le projet de loi initial, sur soixante-cinq. Les discussions qui ont eu lieu sur le sujet à l’Assemblée nationale n’ont pas permis de rééquilibrer cette asymétrie, et les mesures proposées me paraissent très en deçà des besoins des acteurs du secteur.
De nombreuses lacunes demeurent, que ce soit sur la mutualisation des réseaux, le contrôle des obligations de déploiement des opérateurs ou encore sur l’évaluation de la qualité de la couverture mobile proposée à nos concitoyens. Ces sujets étaient d’ailleurs traités dans la proposition de loi tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit, que j’ai déposée et qui a été adoptée, ici, au Sénat, le 6 mars 2018 sur le rapport de notre collègue Marta de Cidrac. Nous abordions aussi ces thèmes dans le rapport d’information sur le très haut débit pour tous en 2022, adopté par la commission en 2017 et que nous avons élaboré avec le président Hervé Maurey.
Pour toutes ces raisons, je me réjouis, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que nous puissions évoquer ici, au Sénat, ces sujets avec vous. Vous connaissez l’attente des citoyens et des élus en la matière.
J’en viens à la présentation des travaux de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur ce texte.
La commission a adopté dix-huit amendements, dont seize sont intégrés au texte que nous examinons aujourd’hui.
Sur l’initiative de notre collègue Michel Vaspart, nous avons souhaité rendre plus opérationnelles les dispositions votées à l’Assemblée nationale concernant le littoral, en particulier sur le sujet des dents creuses dans les communes littorales, avec, comme je l’ai déjà dit, des propositions équilibrées et pragmatiques.
La commission a également souhaité renforcer le volet relatif à l’aménagement numérique du territoire avec deux objectifs : d’une part, l’accélération des déploiements des réseaux en fibre optique ; d’autre part, l’amélioration de la couverture mobile. Il faut mieux associer les collectivités territoriales pour assurer le respect des engagements souscrits par les opérateurs, que ce soit à l’échelle nationale ou locale, améliorer la transparence de l’information nécessaire au déploiement et organiser efficacement le marché des services de communications électroniques.
Nous l’avons vu encore hier, c’est en jouant collectivement que l’on peut gagner. C’est le sens des modifications apportées au texte de l’Assemblée nationale et des cinq articles additionnels insérés sur l’initiative de notre commission au sein du chapitre VI du titre IV portant sur l’amélioration du cadre de vie, qui doit contribuer à apporter à tous les Français un accès de qualité aux techniques et aux usages numériques. C’est, je crois, un élément central de la cohésion territoriale et une nécessité économique.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission vous propose, mes chers collègues, d’adopter les articles dont elle est saisie. Prolongeons la victoire des Bleus pour que, dans le numérique aussi, la France soit demain championne du monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)