M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. J’aimerais, après beaucoup d’autres, m’émouvoir, non seulement de la philosophie de cet article, mais de la philosophie générale de ce texte. Cet article est emblématique de ce que nous avons tant de mal à accepter et même, allais-je dire, à vivre.
On nous propose là un monstre froid, qui va tout centraliser, contraire aux engagements pris pendant une belle campagne électorale et à un livre intitulé Révolution. On transforme les régions en supplétifs de l’État : elles deviennent de simples antennes de diffusion d’informations, placées sous les fourches caudines de l’État – ce dernier pourra même créer des agences en matière d’orientation professionnelle !
L’ancien président de région que je suis a bien de mal à comprendre cette captation de la gouvernance, pour ne pas dire du pouvoir, en matière de gestion de l’apprentissage. C’est assez étonnant et à contre-courant de ce qu’il convient de faire.
J’ajoute que l’on va confier cette gestion aux filières, en particulier aux branches. Je suis originaire des outre-mer ; je sais ce qui s’y passe, singulièrement chez moi : les branches ne sont pas structurées. Et, au moment où je vous parle, une partie de la représentation socio-professionnelle, en particulier le patronat, refuse de signer des conventions ou laisse les conventions actuellement en vigueur, notamment les conventions de branche, arriver à leur terme sans signer de nouvel accord.
Nous allons donc nous trouver très bientôt – beaucoup s’en font l’écho en Guadeloupe – dans un désert social, où le dialogue social n’existe pas. Et vous voudriez, madame la ministre, que nous discutions de la formation avec ces mêmes partenaires qui refusent de négocier, mais n’hésitent pas, ensuite, à tendre la sébile à la région pour obtenir davantage que les financements prévus ?
Je suis assez curieux de savoir quelle efficacité on peut attendre de cette architecture. On spécule sur une possible efficacité dont je doute très fortement.
Madame la ministre, je vous ai entendue lorsque vous avez plaidé pour le renvoi de tous ces arbitrages à des décrets et à des ordonnances. Nous sommes familiers des ordonnances : nous venons d’en examiner une d’une espèce particulière, que nombre de nos collègues gagneraient à connaître,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Victorin Lurel. … une ordonnance prise sur le fondement de l’article 74-1 de la Constitution, en vertu duquel le Gouvernement peut légiférer sans habilitation du Parlement.
Nous allons donc être dessaisis, même si vous avez pris des engagements auprès de tous les élus. J’avoue que je suis assez sceptique et assez dépité devant ce qui nous est proposé.
M. le président. Mes chers collègues, si vous commencez à dépasser le temps de parole qui vous est imparti, nous sommes très mal partis !
La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.
M. Yves Daudigny. L’article 16 prévoit la création de France compétences, institution nationale publique dotée de la personnalité morale chargée notamment de répartir les financements, d’assurer la veille, l’observation et la transparence des coûts, de contribuer au suivi et à l’évaluation de la qualité des actions de formation dispensées, d’établir le répertoire national des certifications professionelles, d’émettre des recommandations et de mettre en œuvre toutes autres actions en matière de formation professionnelle continue et d’apprentissage.
Cette variété de missions s’explique par le fait que France compétences résultera d’une large fusion entre le CNEFP, ou Conseil national d’évaluations de la formation professionnelle, dont une partie des missions seront confiées à la Commission nationale de la négociation collective, le COPANEF, ou Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation, la Commission nationale de la certification professionnelle et le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels.
Si certains estiment que cette fusion ira dans le sens d’une simplification, tel n’est pas notre avis. Cette multitude de missions confiées à France compétences montre au contraire, à nos yeux, que lesdites missions ne sauraient relever d’un même opérateur ; il est légitime de craindre que l’une, ou plusieurs, de ces missions ne prenne le pas sur les autres.
Madame la ministre, je vous ai beaucoup écoutée, aujourd’hui et les jours précédents. Nous ne partageons pas l’analyse que vous avez présentée. Votre vision est verticale, centralisatrice et étatique ; elle risque de mener à la création de ce que mon collègue a nommé un « monstre froid », et que je me contenterai pour ma part d’appeler un monstre administratif, impersonnel et déconnecté des besoins des territoires.
Encore plus grave, peut-être, cette vision est le signe d’une défiance envers les corps intermédiaires, notamment les partenaires sociaux ; il s’agit là d’une rupture forte dans l’histoire de la formation professionnelle, la première loi dans ce domaine datant d’il y a quarante-sept ans.
La perte de pouvoir de ces corps intermédiaires est évidente lorsque disparaissent des organismes paritaires. À défaut de la mise en place d’une organisation plus paritaire, donc, le groupe socialiste et républicain a déposé des amendements visant à assurer la réalité de ce quadripartisme et à empêcher qu’un acteur ne puisse prendre le pas sur les autres dans les décisions de France compétences.
Nous proposons de rétablir un équilibre dans les modalités de désignation du président et des vice-présidents du conseil d’administration ; nous souhaitons en outre que le directeur général soit nommé sur proposition du conseil d’administration.
Je souligne enfin que la procédure choisie n’a pas permis au Conseil d’État de se prononcer sur le texte, en particulier sur la présente proposition, dans le cadre d’une étude d’impact. Nous le regrettons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Antoine Lefèvre. C’est bien dommage !
M. le président. L’amendement n° 176 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Capus, Guerriau, Decool, A. Marc, Lagourgue et Fouché, Mme Mélot, MM. Wattebled et Longeot, Mme Goy-Chavent, M. L. Hervé, Mme Vullien et M. Moga, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Rétablir le b dans la rédaction suivante :
b) Au deuxième alinéa, remplacer les mots : « et des chambres consulaires, ainsi que, avec voix consultative, des représentants » par les mots : « ainsi que, avec voix consultative, des représentants des chambres consulaires, » ;
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Cet amendement tend à modifier la composition du comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, en y associant des représentants des chambres consulaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales. L’adoption de cet amendement aurait l’effet contraire de celui qui semble être recherché par ses auteurs : elle conduirait non pas à intégrer les chambres consulaires au sein du CREFOP, mais à leur retirer la voix délibérative dont elles disposent actuellement au profit d’une voix seulement consultative.
Je vous conseille donc, mon cher collègue, de retirer votre amendement, au plus vite. (Sourires.) À défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Le Gouvernement émet un avis défavorable, pour la raison qui vient d’être exposée par M. le rapporteur.
M. Daniel Chasseing. Je retire mon amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 176 rectifié est retiré.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 468, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Cukierman et Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 30, 31, 40, seconde phrase, 53, 54, 67, 68, première phrase, 69, première et dernière phrases, 71, 77, première phrase, 80, 81, première phrase, 83, 84 et 86, première phrase
Remplacer les mots :
France compétences
par les mots :
France qualifications
II. – Alinéa 31, première phrase
Remplacer les mots :
une institution nationale publique dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière
par les mots :
un établissement public de l’État à caractère administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de la formation professionnelle
III. – Alinéa 33
Compléter cet alinéa par les mots et une phrase ainsi rédigée :
lequel prendra notamment en compte les critères portant sur la population, le nombre d’apprentis, la densité de population, le nombre de centres de formation d’apprentis et de sections de formation dans chacun de ces centres. Ce décret peut prévoir des fonds spéciaux dédiés à des domaines de formation spécifiques comme l’apprentissage agricole public.
IV. – Alinéa 53
Remplacer le mot :
administrée
par le mot :
administré
V. – Alinéa 59
Compléter cet alinéa par les mots :
après avis conforme du conseil d’administration
VI. – Après l’alinéa 60
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les qualités de président et vice-présidents du conseil d’administration sont déterminés de manière équilibrée entre les représentants des collèges mentionnés aux 1° , 2° , 3° , 4° et 5°. »
VII. – Alinéas 63 et 86, premières phrases
Remplacer les mots :
de l’institution
par les mots :
de l’établissement
VIII. – Alinéas 65 et 66
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. La création d’un organisme national chargé de la régulation de la formation professionnelle continue et de l’apprentissage est une bonne idée. En effet, alors que 97 % des organismes de formation sont à but lucratif, il est légitime que l’État veille à ce que les formations proposées ne répondent pas à la seule logique de la rentabilité et du moindre coût, au détriment de la qualité.
Toutefois, plusieurs doutes persistent sur la forme que devra prendre cette instance.
Premièrement, la disparition du Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation, du Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles et du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels pose la question de la participation des organisations syndicales.
En effet, le rôle central que les partenaires sociaux jouent actuellement dans ces structures témoigne d’une particularité de notre modèle social : c’est le plus souvent le courant syndical qui a été à l’initiative en matière de formation tout au long de la vie, via une lutte victorieuse des salariés.
Dans ce cadre, si la structure nationale se veut quadripartite, réunissant les représentants des salariés, ceux des employeurs, l’État et les collectivités territoriales, il est essentiel d’assurer à cette multitude d’acteurs une place importante. C’est l’un des enjeux de cet amendement : assurer un équilibre des pouvoirs au sein de l’équipe statutaire et renforcer les pouvoirs du conseil d’administration. En effet, la nomination des personnalités qualifiées sur la seule initiative du ministère ne peut conduire qu’à donner une majorité à l’État au sein de ce conseil d’administration.
Autre enjeu majeur, le Gouvernement a fait adopter par amendement un changement de forme de l’instance. Cette modification, sur laquelle nous comptons revenir, vise à donner à la nouvelle structure une personnalité morale de droit privé. L’argument avancé par le Gouvernement, qui est qu’une telle modification favoriserait les transferts de personnels en soumettant lesdits personnels au code du travail, nous interpelle.
D’un point de vue purement juridique, on peut s’interroger sur le système dérogatoire que compte mettre en place le Gouvernement, puisque, selon la jurisprudence, tout service public est présumé avoir un caractère administratif et confère donc un statut d’établissement public administratif à sa structure organisatrice.
M. le président. L’amendement n° 571 rectifié, présenté par M. Gremillet, Mme Garriaud-Maylam, MM. Sido, Laménie, Bonhomme, Longuet, Cambon, Brisson, Pierre, Poniatowski et Cuypers, Mmes Morhet-Richaud et Bruguière et MM. Magras, Panunzi, Paul, Paccaud, Piednoir, Pellevat, Babary, Revet et de Nicolaÿ, est ainsi libellé :
Alinéa 33
Compléter cet alinéa par les mots :
qui prennent en compte les critères portant sur la population, le nombre d’apprentis, la densité de population, le nombre de centres de formation d’apprentis et de sections de formation dans chacun de ces centres
La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. France compétences est chargée de verser aux régions les fonds de la péréquation territoriale, selon des modalités qui seront fixées par décret. Il importe donc de déterminer les éléments qui seront pris en compte dans la répartition des fonds alloués aux régions : nombre d’apprentis, de CFA et de sections d’apprentissage, information sur la population.
En effet, il apparaît d’ores et déjà que les fonds alloués aux régions au titre de la péréquation seront insuffisants pour leur permettre de remplir leur mission : ils seront, est-il annoncé, de 250 millions d’euros, quand l’enveloppe que les régions consacrent aux territoires, hors fonds dédiés à la qualité des formations et à la mobilité européenne, est actuellement estimée à 380 millions d’euros.
Nul doute que la prise en compte de critères précis dans le décret conduira à rééquilibrer le montant de l’enveloppe versée par France compétences en fonction des besoins réels des CFA qui maillent ainsi l’ensemble du territoire, proposant aux jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans une offre de formation variée.
Il s’agit d’éviter de donner l’avantage aux centres de formation déjà suffisamment dotés, là où la démographie est forte, et d’assurer un rééquilibrage en direction des territoires ruraux et semi-ruraux, afin d’éviter que les établissements accueillant moins d’élèves ne soient condamnés, renforçant ainsi la fracture territoriale.
M. le président. L’amendement n° 516 rectifié, présenté par MM. P. Dominati, Babary, Bonhomme, Longuet, Laménie et Bizet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Daubresse et Pierre, Mmes Delmont-Koropoulis, Garriaud-Maylam et Deromedi et M. Pellevat, est ainsi libellé :
Alinéa 53
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Le projet de loi prévoit la disparition de la Commission nationale de la certification professionnelle et son remplacement par une commission de la certification professionnelle intégrée à France compétences.
La disparition de la procédure indépendante et transparente de certification met en danger la crédibilité des titres enregistrés sur demande, notamment par les organismes privés d’enseignement et de formation professionnels : elle remet en cause le principe même de l’indépendance des décisions prises par la CNCP depuis 2002, indépendance qui a conduit à la reconnaissance de cette institution par les entreprises, les salariés, les étudiants, les alternants, leurs familles et les pouvoirs publics.
Cette reconnaissance est de surcroît internationale : la CNCP est reconnue en Europe, en Afrique et dans la francophonie, ainsi qu’en Asie.
En conséquence, nous proposons le maintien de la CNCP, qui est responsable de l’établissement du répertoire national des certifications professionnelles, de l’inventaire et du cadre national des certifications, sans tutelle de France compétences sur ses décisions d’enregistrement ; nous souhaitons en outre la doter des moyens juridiques de son indépendance et de son fonctionnement.
M. le président. L’amendement n° 47 rectifié quater, présenté par MM. Vial, Paccaud, Danesi, Joyandet, Revet, Cambon et Carle et Mme Deroche, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 65
Compléter cet alinéa par les mots et une phrase ainsi rédigés :
dans les conditions particulières prévues par un accord collectif soumis à la validation des ministres chargés de l’emploi et du budget. Cet accord collectif comporte des stipulations, notamment en matière de stabilité de l’emploi et de protection à l’égard des influences extérieures, nécessaires à l’accomplissement de cette mission.
II. – Alinéa 66, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, sous réserve des garanties justifiées par la situation particulière de ceux qui restent contractuels de droit public
La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Le Gouvernement, à l’Assemblée nationale, a pris l’exemple de Pôle emploi pour défendre l’amendement n° 1592, visant à modifier les dispositions relatives au statut du personnel de France compétences.
Or l’article L. 5312-9 du code du travail dispose que les agents de Pôle emploi sont régis par le code du travail dans des conditions particulières. Il est donc proposé de reprendre la rédaction de ce texte, en l’adaptant au personnel de France compétences.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Forissier, rapporteur. L’adoption de l’amendement n° 468 conduirait à mettre France compétences sous la tutelle de l’État ; nous souhaitons au contraire que cette institution soit un lieu d’expression du quadripartisme. Cette seule raison suffirait à motiver une demande de retrait et, à défaut, l’avis défavorable de la commission sur cet amendement.
La commission n’est pas non plus favorable à ce que les agents de cette agence relèvent du droit public, et considère qu’il n’est pas logique de prévoir un avis conforme du conseil d’administration sur la désignation d’une partie de ses membres.
Pour ce qui concerne l’amendement n° 571 rectifié, le projet de loi renvoie la définition des critères de péréquation à un décret. Il ne me semble pas opportun de définir ces critères de manière limitative. Or la rédaction proposée fait obstacle à ce que d’autres critères soient ajoutés à ceux qui sont cités, par exemple des critères relatifs aux ressources des conseils régionaux, à l’économie régionale et à ses besoins. J’invite néanmoins Mme la ministre à nous confirmer que ces dimensions seront bien prises en compte.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
Quant à l’amendement n° 516 rectifié, sa rédaction est manifestement erronée. Les auteurs de cet amendement plaident pour le maintien de la Commission nationale de la certification professionnelle. Toutefois, l’alinéa qu’ils proposent de supprimer se borne à mentionner que France compétences est administrée par un conseil d’administration et dirigée par un directeur général.
La suppression de cet alinéa ne satisferait pas l’objectif des auteurs de cet amendement et créerait un vide juridique s’agissant de la gouvernance de France compétences. À moins qu’il ne soit retiré, la commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
S’agissant enfin de l’amendement n° 47 rectifié quater, le projet de loi prévoit que les agents de France compétences seront régis pas les dispositions du code du travail, y compris en ce qui concerne les relations collectives de travail. Des accords collectifs pourront donc être conclus sans qu’il soit nécessaire de le préciser explicitement dans la loi.
De plus, à l’inverse des agents de Pôle emploi, dont une partie est concernée par la convention n° 88 de l’Organisation internationale du travail, l’OIT, il ne me semble pas nécessaire de prévoir un statut spécifique pour les agents de France compétences. La commission demande le retrait de cet amendement.
Au total, la commission sollicite le retrait de tous ces amendements, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Comme c’est la première fois que l’on parle de France compétences, je voudrais expliquer de nouveau ce qui justifie sa création.
Cela fait des décennies que nous disons tous et partout que le système de formation professionnelle est extrêmement compliqué, qu’il compte beaucoup d’acteurs et qu’il ne fait l’objet d’aucune régulation globale partagée.
France compétences sera constitué par le regroupement de quatre organismes paritaires ou quadripartites – le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle, ou CNEFOP, le Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation, ou COPANEF, le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, ou FPSPP, et la CNCP – qui, bien qu’ils soient acteurs de la formation, s’ignorent ou se chevauchent en permanence.
J’attire votre attention sur un sujet que nous avons sans cesse évoqué depuis le début de nos travaux, celui de la gestion des compétences. Nous partageons tous le sentiment que le traitement de cette question est une urgence stratégique.
Notre pays n’est pas le plus en avance en matière de gestion prévisionnelle des emplois et les compétences, tant s’en faut. Les plus petits pays ou les plus grands y arrivent mieux, parce que les acteurs ne sont pas dispersés. D’autres pays assurent une meilleure régulation, parce que les acteurs ne sont pas dispersés.
Certains proposent le statu quo. Nous devrions continuer avec nos quatre organismes nationaux – ce n’est pas d’une recentralisation qu’il s’agit –, pour assurer une meilleure gouvernance publique et une meilleure régulation entre l’État, les régions et les partenaires sociaux – syndicats et patronat –, qui ont une responsabilité dans le champ de la formation soit des demandeurs d’emploi, soit des salariés, soit des jeunes, soit de l’ensemble des publics.
Quelles sont les conséquences de l’absence de toute régulation commune, à ce jour ? Eh bien, quarante-sept ans après la loi sur la formation permanente, aucun contrôle n’est exercé sur la qualité des formations dispensées dans notre pays ! De fait, on rencontre régulièrement des problèmes, et même dans le cas de financements par des fonds mutualisés ou des fonds publics, les organismes de formation ne sont pas certifiés et il n’y a pas de régulation.
Voulez-vous que l’État assume seul cette responsabilité, sachant qu’elle ne peut revenir aux seules régions, aux seuls partenaires sociaux ? La solution, c’est une gouvernance partagée entre tous ces acteurs.
J’en viens aux missions de France compétences. Parmi celles-ci, bien évidemment, la répartition de la collecte. Au travers de l’URSSAF, on est passé de 57 collectes possibles à une seule, mais cette dernière n’a pas un rôle de répartiteur, elle est juste un collecteur, tout comme Pôle emploi : elle rétrocède le produit de la collecte à l’organisme répartiteur. France compétences assurera ce rôle de répartiteur, dans le respect de la loi, c’est-à-dire en respectant les règles de la répartition quadripartite, notamment entre les demandeurs d’emploi, l’alternance et les salariés des TPE-PME.
France compétences aura également un rôle d’observation des coûts et des règles de prise en charge en matière de formation professionnelle. Demain, grâce à cette instance, il sera possible d’avoir une vue d’ensemble sur l’utilisation qui est faite des fonds mutualisés et des fonds publics, qui financent une large part du marché de la formation. Avoir connaissance du coût de ces contrats permettra aux branches professionnelles, de façon paritaire, de proposer à France compétences de réguler les éventuelles incohérences.
Cette vue d’ensemble permettra de faire de la régulation, de formuler des recommandations, d’éclairer les débats et les travaux du Parlement – le dépôt d’un rapport annuel au Parlement est prévu. Certes, le ministère conduit des études, mais celles-ci ne sont pas exclusives du travail préalable que conduiront les quatre parties pour éclairer les propositions.
S’agissant de la qualité des actions de formation, nous mettons pour la première fois en place une certification obligatoire de tous les organismes de formation en France qui travaillent sur fonds mutualisés et fonds publics, que ceux-ci émanent de l’État, des régions, des départements et des autres collectivités locales.
C’est très important, parce que l’on compte aujourd’hui 80 000 organismes de formation ; pour 8 000 d’entre eux, la formation est l’activité principale. Les uns et les autres, nous n’avons aucun moyen d’exercer un contrôle systématique de ces organismes travaillant grâce à des fonds publics ou des fonds mutualisés. Or la certification sera une garantie de qualité et permettra de beaucoup mieux cibler les contrôles.
Aujourd’hui, le répertoire national des qualifications, en gros, est établi par l’État après consultation des partenaires sociaux – c’est ce qui se passe dans les commissions professionnelles consultatives. Désormais, pour établir le RNCP, nous aurons une vue d’ensemble.
Les régions, qui n’ont pas leur mot à dire aujourd’hui, gagnent en visibilité puisqu’elles seront autour de la table. Cela permettra aussi une gestion dynamique du répertoire national des qualifications : à ce jour, on compte quelque 12 000 qualifications ; comment peut-on envisager qu’elles soient toutes à jour et utiles, avec les diplômes et titres correspondants ? Bien évidemment qu’elles ne sont pas à jour ! C’est impossible à une telle échelle, sauf à ce que l’État devienne le seul régulateur. Or, pour ma part, je suis pour la régulation partagée.
En moyenne, deux à quatre ans sont nécessaires pour se rendre compte qu’un diplôme est plus ou moins obsolète, cinq ans en moyenne pour le rénover et ensuite deux ou trois ans avant qu’une cohorte de jeunes ne sortent de formation…
Par conséquent, les premiers diplômés le sont dix ans après que la conception de leur diplôme. Compte tenu de la vitesse à laquelle se produisent les mutations technologiques, comment voulez-vous que ces formations soient adaptées ? C’est un sujet dont devra s’occuper France compétences. Comme on le voit, il y a beaucoup à faire dans le cadre du quadripartisme.
La commission a supprimé une mission importante de France compétences, à savoir l’animation des travaux des observatoires prospectifs – ceux de France Stratégie, les travaux analytiques de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques de mon ministère, ceux des observatoires de branche.
Nous trouvons qu’il est important d’avoir une vue d’ensemble des travaux de tous ces acteurs, de manière à assurer une synergie et, surtout, à permettre cette gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui n’existe pas à ce jour et dont nous avons tant besoin. Personne n’a cette vue d’ensemble, sauf certains experts du ministère, ce qui empêche toute régulation au sens strict.
La création de France compétences nous permettra de faire un bond en avant sur la régulation, la qualité, l’offre, la prévisibilité et le pilotage des formations. Il n’y a pas une seule compétence régionale qui irait à cette instance, ce qui infirme le procès permanent en recentralisation. Ce qui est certain, c’est que l’État est aujourd’hui, sur une partie de ces sujets, plutôt seul à bord, tandis que, demain, leur gestion sera quadripartite, ce qui me paraît le gage d’une gouvernance moderne.
En ce qui concerne à présent la péréquation territoriale, qui a fait l’objet d’une question, je précise qu’il n’est pas prévu dans le projet de loi de critères de répartition. D’abord, il paraît normal que la péréquation entre régions se fasse selon des critères dont elles discuteront entre elles, notamment au sein de l’Association des régions de France, l’ARF.
Est concernée la dotation de fonctionnement pour le complément du coût au contrat, notamment en zone rurale et dans les quartiers prioritaires de la ville. En ce qui concerne la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, ressource dynamique, nous n’avons pas prévu de modifier sa règle de répartition.
S’agissant des montants, le projet de loi n’en fixe aucun : comme ceux-ci sont évolutifs dans le temps, ils seront fixés par décret. Pour le moment, nous prévoyons une enveloppe de 250 millions d’euros pour soutenir les CFA.
Dans le cadre des discussions que nous avons avec les régions, j’ai proposé à cinq d’entre elles que mon ministère mène une mission flash pour évaluer les besoins supplémentaires en fonction des coûts au contrat. Je me suis engagée à ce que ces évaluations se fassent en toute sincérité de part et d’autre. Le seul but, c’est que cela fonctionne, donc il n’y aurait aucun intérêt à minorer ou majorer ces montants de la part de l’État.
Les estimations de l’ARF ont changé au fil du temps. Nous avons eu un débat sur les deux méthodes possibles d’évaluation.
Une région a ouvert ses comptes, ce qui nous a permis d’aboutir. Pour les quatre autres régions, nous avons jusqu’à mars 2019, même si j’espère aboutir très rapidement, à la rentrée prochaine – cet exercice nécessite de la sérénité, et j’aurais voulu aller plus vite, mais cela implique de partager les comptes. Aussi, la région des Hauts-de-France estime, selon la méthode de calcul retenue, entre 12 millions d’euros et 18 millions d’euros les fonds nécessaires pour couvrir l’ensemble des déficits et lui permettre de cibler ses interventions sur les CFA des zones rurales et des quartiers prioritaires de la ville, en complément du coût au contrat.
À partir de là, nous avons fait une extrapolation, pour aboutir à un montant compris entre 180 millions d’euros et 260 millions d’euros. Il s’agit d’un ordre de grandeur. Je ne doute pas que nous nous accorderons sur un juste montant ; l’important est que l’on aboutisse en toute sincérité, notre but commun, je le répète, étant que le dispositif fonctionne.
Cette première tentative menée jusqu’à son terme dans cette région montre que nous avions retenu le bon ordre de grandeur dans nos hypothèses de départ. Des ajustements à la marge se feront si cela est nécessaire.
Évidemment, je suis défavorable au maintien de la CNCP, sans tutelle de France compétences sur ses décisions d’enregistrement. Nous avons besoin, au sein de cette instance, de cette commission indépendante compétente sur les titres et diplômes et en matière de certification.
Par ailleurs, j’indique que France compétences sera un établissement public administratif, régi selon les règles qui leur sont applicables, donc qu’elle disposera d’une comptabilité privée. Elle pourra employer des personnels détachés de l’administration, tandis que d’autres pourront être embauchés sous statut de droit privé, ce qui est assez classique dans ce type d’organisme – Pôle emploi et d’autres établissements publics administratifs. De même, elle pourra signer un accord collectif.
Aussi, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces quatre amendements.