M. Bruno Retailleau. Le compte n’y est pas !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il n’y a pas de changement sur ce sujet, monsieur Retailleau.
Les régions pourront influencer fortement la localisation des CFA, mutualiser les plateaux techniques avec les lycées professionnels, ce qu’elles font de plus en plus, et établir des contrats d’objectifs et de moyens avec les branches.
C’est aussi le sens de l’élaboration par les régions d’une stratégie pluriannuelle des formations en alternance, que vous avez introduite en commission, mais dont le caractère prescriptif pose question au regard de son articulation avec les autres dispositions du projet de loi, alors que nous souhaitons développer une culture du partenariat et de l’initiative chez tous les acteurs.
L’égalité des chances passe par la mutualisation du système de formation, qui permettra de rééquilibrer l’écart dans l’accès aux compétences, notamment en faveur des TPE-PME. Une majoration de l’abondement annuel du CPF, le compte personnel de formation, des salariés en situation de handicap est également prévue.
Cette disposition s’inscrit dans notre vision d’une société plus inclusive. Nous devons mobiliser tous les dispositifs de droit commun et faire en sorte que l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés soit le vrai levier pour l’emploi direct de ces personnes.
Grâce à ces mesures, je suis persuadée que nous pouvons changer d’échelle en la matière et donner ainsi tout leur sens à nos valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, alors que la situation actuelle tend à exclure de l’emploi un trop grand nombre de personnes en situation de handicap : quelque 500 000 d’entre elles sont inscrites à Pôle emploi, alors que beaucoup peuvent, et souhaitent, travailler.
C’est le sens des mesures qui ont été introduites dans le projet de loi. Elles résultent d’une concertation avec les partenaires sociaux et les associations, que nous avons menée avec ma collègue Sophie Cluzel, et s’appuient sur les missions conduites par votre collègue député Adrien Taquet et par Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées, le CNDPH.
Toutefois, sans préjuger de la discussion sur les amendements à venir concernant les entreprises adaptées – sujet sur lequel nous souhaitons avancer fortement, avec le soutien de l’Union nationale des entreprises adaptées –, je ne puis que regretter que vous ayez préféré différer l’entrée en vigueur des dispositions résultant de la deuxième phase de concertation, en supprimant l’habilitation à légiférer par ordonnance sur le financement de l’insertion et du maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés.
Le projet de loi traite de la question des droits ; les partenaires sociaux et le Gouvernement ont prévu d’aborder le sujet de l’offre dans un deuxième temps, et l’habilitation permet de ne pas différer la mise en œuvre des réponses qui seront apportées à ce problème. (M. Bruno Retailleau s’exclame.)
Rétablir l’égalité des chances, c’est aussi agir efficacement et résolument en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Conformément à ce que le Gouvernement a annoncé dès le 7 mars dernier, le projet de loi comporte des avancées majeures, issues d’une concertation intense et constructive avec les partenaires sociaux, tant sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail que sur l’égalité professionnelle. Ces mesures s’inscrivent dans l’engagement présidentiel de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat.
Notre but est simple : passer d’une obligation de moyens, qui depuis quarante-cinq ans ne produit pas les résultats escomptés, à une obligation de résultat quant à l’égalité salariale à travail de valeur égale.
S’agissant de la prévention du harcèlement, vous avez adopté des mesures de formation, de sensibilisation et de responsabilité pour l’ensemble des acteurs.
Établir l’égalité des chances, c’est évidemment lutter contre le travail précaire, que subit, là aussi, un grand nombre de femmes. À cette fin, nous avons laissé aux partenaires sociaux des branches professionnelles le soin de négocier des objectifs de réduction du nombre de contrats précaires.
Aussi, je regrette profondément la suppression de l’article 29, qui permettait de mettre en place un système de bonus-malus, dont l’Assemblée nationale avait précisé qu’il pouvait prendre en considération le secteur d’activité pour moduler le taux des contributions patronales d’assurance chômage et, s’agissant du secteur de l’intérim, imputer les missions d’intérim aux entreprises utilisatrices pour les responsabiliser dans la lutte contre la précarité excessive.
C’est parce qu’elle constitue un outil efficace contre la précarisation des travailleurs que le Gouvernement vous proposera de pérenniser l’expérimentation, engagée en 2015, du contrat de travail à durée indéterminée intérimaire. Les acteurs du secteur en ont fait une utilisation importante, qui a permis une intégration durable dans l’emploi de travailleurs temporaires et qui apporte de la flexibilité pour l’entreprise et de la sécurité aux travailleurs concernés.
Notre objectif à tous est de développer l’emploi durable et de qualité. Comme plusieurs d’entre vous l’ont recommandé, la lutte contre le travail précaire réclame d’adopter une réforme globale et cohérente de notre système d’assurance chômage, qui incite trop souvent employeurs et demandeurs d’emploi, certes de manière involontaire, à multiplier les contrats courts. Cela nécessite d’impliquer les partenaires sociaux dans la refonte des règles, qui favorisent aujourd’hui la précarité.
Compte tenu des discussions avec les partenaires sociaux et des remarques qui ont été formulées à l’Assemblée nationale et ici en commission, le Gouvernement estime nécessaire d’aller plus loin sur la réforme de l’assurance chômage.
C’est pourquoi le Gouvernement vous proposera d’introduire, dans le titre II du projet de loi, une disposition permettant aux partenaires sociaux d’ouvrir une négociation dès septembre prochain, dans le nouveau cadre de gouvernance permis par l’article 32 de ce projet de loi.
M. Bruno Retailleau. Tout à coup !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Les conventions d’assurance chômage ont leur rythme, et nous ne pouvons demander aux partenaires sociaux de s’inscrire dans un nouveau cadre sans une modification législative. C’est le sens de l’amendement que nous vous proposerons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, « de tous les actes, le plus complet est celui de construire », écrivait Paul Valéry.
Il est un acte encore plus complet, me semble-t-il : c’est celui de donner à chacun de nos concitoyens, en particulier aux plus vulnérables, les moyens de construire librement leur propre voie de réussite professionnelle grâce à des protections collectives, c’est-à-dire de choisir l’espace dans lequel ils peuvent se projeter, d’oser s’engager dans des projets, d’exprimer tout leur talent, de le transmettre et de contribuer ainsi à la société tout entière.
Finalement, le projet de loi s’appuie sur la confiance dans le potentiel de nos concitoyens, en leur donnant la capacité de se projeter dans un avenir professionnel, grâce à l’environnement collectif.
Cette confiance dans les acteurs de terrain – les entreprises, les actifs… –, je sais que nous l’avons partagée pendant nos discussions sur les ordonnances. Il nous faut aujourd’hui lui donner un second souffle pour remporter, ce qui est essentiel pour l’avenir, la bataille mondiale des compétences, gages de performance économique, de progrès social collectif et d’attractivité de nos territoires.
Par conséquent, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose de nous mobiliser, ensemble, pour créer cet espace d’émancipation sociale par le travail, en ouvrant largement, par ce projet de loi, le champ des possibles. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
(M. Thani Mohamed Soilihi remplace M. David Assouline au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
Rappels au règlement
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’estime que le Sénat n’a pas été complètement éclairé sur les intentions du Gouvernement.
Il n’est pas question de commencer la discussion générale si nous n’avons pas le texte de l’amendement que vous venez d’évoquer, madame la ministre. Ne pas disposer de ce texte pose un problème de forme et de fond.
Sur la forme, j’ai cru comprendre que la révision constitutionnelle que l’on exige de nous vise notamment à « mieux faire la loi », ce qui passerait par la mise en place de mesures renforcées de recevabilité des amendements. Or, vous le savez, le Sénat est la seconde assemblée saisie de ce projet de loi, si bien que, en vertu de la règle de l’entonnoir, tout amendement devrait avoir un lien direct avec le texte, sous peine de ne pas être recevable. Voilà pour le problème de forme.
Sur le fond, si le Gouvernement dépose, à ce stade de nos débats, un amendement visant à modifier l’écosystème de sa propre réforme de l’assurance chômage, permettez-nous de douter du sérieux de la préparation de ce projet de loi !
Dans ces conditions, monsieur le président, je sollicite une suspension de séance, afin que nous puissions délibérer entre nous de la suite qu’il convient de donner à cette absence, au moins provisoire, de réponse précise de la part du Gouvernement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. Madame la ministre, vous venez de terminer votre discours en évoquant le champ des possibles, mais, là, nous sommes dans le champ de l’incroyable ! (Sourires.) Vous passez par pertes et profits les centaines d’heures de travail que l’Assemblée nationale, d’abord, et la commission des affaires sociales du Sénat, ensuite, ont consacré à ce texte.
Je ne savais pas que la fonction jupitérienne permettait de passer par ce type de procédure. Sachez, madame la ministre, que nous sommes non pas un corps intermédiaire, mais le Parlement de la France ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
La Haute Assemblée vous demande de respecter son travail. Nous sommes scandalisés par votre propos. Certes, vous le glissez au travers de quelques mots sympathiques et sur le ton aimable qui est le vôtre, mais nous ne pouvons accepter de tels procédés !
C’est pourquoi je m’associe naturellement à la demande de suspension de séance, qui a été présentée par le président Retailleau. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme Laurence Cohen. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste apporte son soutien aux rappels au règlement qui viennent d’être faits. À un moment où le rôle des parlementaires est remis en cause et où l’on entend souvent, dans les médias, que le Sénat n’est pas une chambre très utile, la démonstration que vient d’apporter le Gouvernement est assez terrible.
Madame la ministre, votre silence constitue un certain mépris de la représentation nationale, pour ne pas dire plus ! La moindre des choses est d’informer correctement les parlementaires avant que ne débute l’examen d’un texte. C’est en ce sens que je m’associe aux propos qui ont été tenus. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Henno. Dans le texte que j’avais préparé pour la discussion générale, j’avais prévu de saluer, madame la ministre, la clarté des propos que vous avez tenus devant la commission des affaires sociales. Force est de constater que les conditions ont changé !
Les partenaires sociaux ont abouti, le 22 février dernier, à un accord. Pourquoi les discussions devraient-elles être à nouveau ouvertes ? L’État est-il gêné par cet accord ? Il serait tout de même intéressant de connaître, avant d’entamer la discussion générale sur ce texte, les raisons du revirement du Gouvernement, ainsi que ses intentions. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Acte est donné de vos rappels au règlement, mes chers collègues.
Monsieur Retailleau, quelle durée de suspension sollicitez-vous ?
M. Michel Savin. Trois jours ! (Sourires.)
M. Bruno Retailleau. Tout dépend du Gouvernement ! Je souhaite qu’il nous fournisse le plus rapidement possible le texte de l’amendement que Mme la ministre n’a fait qu’annoncer.
Vous le comprendrez, le Sénat ne peut continuer sereinement ses travaux sans être pleinement informé sur un point aussi important, et je remercie les représentants des groupes politiques qui ont conforté notre demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Nous allons alors suspendre nos travaux pour dix minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quinze, est reprise à quinze heures vingt-cinq.)
(M. David Assouline remplace M. Thani Mohamed Soilihi au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
vice-président
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous, je suis attachée au bon fonctionnement des institutions et à la manière dont se déroulent les débats parlementaires. Le présent projet de loi est le troisième texte que j’ai l’honneur de présenter devant vous, après le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances des mesures pour le renforcement du dialogue social et le projet de loi qui tendait à la ratification de ces ordonnances.
Je souhaite vous expliquer le contexte de cet amendement, qui sera déposé – je m’y engage – avant la fin de la discussion générale.
Comme vous le savez, le paysage social s’est modifié durant les dernières semaines. Plus exactement, il s’est stabilisé pour un certain nombre d’années. Trois des principales organisations patronales et syndicales ont élu de nouveaux dirigeants ou ont conforté ceux qui étaient en place.
Dans ce contexte, plusieurs partenaires sociaux ont exprimé le souhait de discuter d’un agenda social élargi, permettant d’avancer sur plusieurs sujets d’importance. Le Président de la République a proposé une réunion, le mardi 17 juillet 2018, pour discuter du champ de ce nouvel agenda.
Le Président de la République a évoqué hier, devant le Congrès, plusieurs de ces sujets, par exemple la santé au travail ou l’assurance chômage.
Or, vous le savez, le présent projet de loi n’engageait pas, dans sa version initiale, une réforme systémique, holistique, de l’assurance chômage ; il contenait des dispositions concernant les indépendants, les démissionnaires ou encore le contrôle de la recherche d’emploi.
Dès lors que nous souhaitons ouvrir au maximum le champ de l’agenda social, l’assurance chômage ne peut qu’être au cœur des discussions des partenaires sociaux, mais déroger au calendrier d’une convention d’assurance chômage nécessite une disposition législative, qui doit fixer de nouvelles règles.
C’est pour rendre possibles les discussions entre les partenaires sociaux sur ce sujet que le Gouvernement entend déposer un amendement au présent projet de loi, dont l’examen a déjà commencé, mais qui, je le rappelle, en est encore au stade de la première lecture.
Sur le fond, cet amendement, qui sera déposé avant la fin de la discussion générale – je m’y engage de nouveau –, sera bref et contiendra deux dispositions
Une première disposition permettra aux partenaires sociaux d’explorer la possibilité, dans le cadre de la convention, de mettre en place une allocation chômage de longue durée, c’est-à-dire s’étendant au-delà des deux ans actuellement fixés. En effet, alors même que les perspectives de créations d’emplois sont bonnes, le chômage de longue durée persiste. Il peut donc être intéressant pour les partenaires sociaux d’adapter les dispositions actuelles.
La seconde disposition contenue dans cet amendement permet aux partenaires sociaux d’ouvrir un cycle de négociations sur la base d’un document de cadrage établi par le Gouvernement. C’est une mesure du présent projet de loi qui ne devait entrer en vigueur qu’à l’expiration de l’actuelle convention d’assurance chômage. Ainsi, les négociations pourront s’ouvrir très vite, dès le mois de septembre ou d’ici au début de l’année prochaine.
L’amendement que nous allons déposer vise donc à offrir la possibilité aux partenaires sociaux de négocier une nouvelle convention d’assurance chômage et à l’État de préparer dès maintenant un document de cadrage.
Je conçois parfaitement la difficulté de l’exercice pour les parlementaires. (Exclamations.)
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas un exercice !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Néanmoins, j’en appelle à l’intérêt général. Il nous faut respecter les procédures. Si je pensais déposer cet amendement au moment où le Sénat entamerait l’examen du titre II du projet de loi, nous allons le faire plus tôt, afin que vous ayez le texte entre les mains et que vous puissiez en discuter.
Au moment où l’agenda social s’élargit, ce qui est important, c’est de donner aux partenaires sociaux la possibilité de revoir la convention d’assurance chômage, en anticipant les dispositions qu’il était prévu initialement d’appliquer plus tard. Tel est le sens, finalement, de cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Rappel au règlement
M. le président. Monsieur Retailleau, il s’agit de votre troisième rappel au règlement. Toutefois, comme je suis assez laxiste (Sourires.), je vous donne la parole.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, rassurez-vous, nous ne remettons pas en cause votre goût pour la discipline. (Rires.)
Je donne acte à Mme la ministre de son engagement à déposer l’amendement pendant la discussion générale, pour que le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, Mme la rapporteur, Frédérique Puissat, et, sans doute, la commission dans son ensemble puissent l’étudier. C’est absolument fondamental.
Par ailleurs, madame la ministre, ne prenez pas ce recadrage à titre personnel. Ce n’est pas après vous que nous en avons. Nous sommes simplement stupéfaits de cette méthode de travail. Vous êtes d’ailleurs la première victime de cette manière de faire du Gouvernement. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la ministre le conteste.)
M. Michel Savin. Victime de Jupiter…
M. Bruno Retailleau. Le Sénat est l’autre victime. Jamais, ou très rarement, nous n’avons vu un calendrier parlementaire s’annoncer de cette façon. L’amendement est sans doute bref, mais il vise à changer substantiellement l’équilibre du titre II du projet de loi. Enfin, je vous rappelle que, le 22 février dernier, un accord a été conclu par les partenaires sociaux, accord qui est lui aussi mis à mal.
Nous allons désormais attendre avec impatience le texte de l’amendement, pour pouvoir l’étudier.
M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a adopté, le mercredi 27 juin dernier, le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, modifié par 215 amendements, dont 161 émanant de vos rapporteurs.
Je voudrais à cette occasion remercier chaleureusement mes trois collègues rapporteurs sur ce texte, Catherine Fournier, Frédérique Puissat et Philippe Mouiller, de leur implication et de la qualité de leur travail, ainsi que le président Alain Milon de sa disponibilité et les membres de la commission de leur participation.
À l’issue d’une soixantaine d’auditions et de plusieurs tables rondes, nous avons acquis la conviction qu’il fallait nettement améliorer le texte, qui reprend de nombreuses dispositions préparées par le Sénat dans le cadre de nos travaux relatifs à l’apprentissage. Il n’est pas question pour nous de bouleverser ses grands équilibres, mais de lui apporter plusieurs modifications substantielles, que je voudrais vous présenter.
Le premier objectif de la commission a été de renforcer le rôle des régions en matière d’apprentissage, sans revenir sur les nouvelles missions confiées aux branches professionnelles. C’est pourquoi les régions élaboreront une stratégie pluriannuelle des formations en alternance ; elles pourront également conclure des conventions d’objectifs et de moyens avec les centres de formation d’apprentis qu’elles soutiendront au titre de l’aménagement du territoire.
Elles disposeront en outre d’au moins vingt heures par an prises sur le temps scolaire pour réaliser des actions d’information sur les professions et les formations dans toutes les classes de quatrième et de troisième.
Concernant l’orientation, les enseignants pourront être formés aux professions, aux métiers et au monde économique dans le cadre de leur formation initiale et continue.
La commission a également valorisé la fonction de maître d’apprentissage et a modernisé le statut de l’apprenti, en supprimant le critère d’âge pour déterminer sa rémunération et en prévoyant l’intervention du médiateur consulaire en cas de rupture du contrat par l’employeur.
Lors de votre audition devant la commission, le 20 juin dernier, nous vous avons demandé, madame la ministre, d’apporter des garanties sur quatre sujets pendant l’examen du projet de loi en séance publique au Sénat : l’approfondissement de la réforme de l’orientation des jeunes ; le renforcement de la place des régions en matière d’apprentissage ; la revalorisation du montant de l’enveloppe financière qui leur sera accordée en matière d’aménagement du territoire ; enfin, la clarification des modalités de calcul du coût au contrat.
Nous attendons des précisions et des annonces de votre part pendant nos débats, afin de rassurer nos collègues, les régions et les CFA. Pour notre part, nous estimons avoir rempli notre mission, compte tenu, notamment, des contraintes liées à la recevabilité financière des amendements parlementaires.
Le deuxième objectif visé par la commission a été de préserver le rôle des partenaires sociaux et des régions en matière de formation professionnelle et de prévenir les effets délétères de la monétisation du CPF.
Nous avons en effet noté que les partenaires sociaux étaient hostiles à cette monétisation et que les paramètres envisagés par le Gouvernement pourraient entraîner une baisse des droits à la formation pour les salariés.
C’est pour ces raisons que la commission a créé une période de transition pour la conversion en euros et a prévu des règles d’actualisation régulière des droits acquis. Elle a également veillé à permettre une réelle coconstruction des parcours de formation en permettant à un accord d’entreprise de définir les formations pour lesquelles l’employeur s’engage à abonder le CPF de ses salariés.
La commission a également précisé la composition du conseil d’administration de France compétences, pour que cette agence ne devienne pas qu’un opérateur de l’État. Nous avons relevé avec mesure de quinze membres à vingt-cinq membres l’effectif de son conseil d’administration, afin de garantir le respect du quadripartisme. Nous avons par ailleurs prévu l’élection d’un président en plus du directeur général nommé par décret.
Nous avons également prévu que la région désignerait elle-même l’opérateur du conseil en évolution professionnelle compétent pour les actifs de la sphère privée.
Enfin, la commission a allongé les délais accordés aux partenaires sociaux dans les branches pour définir le périmètre d’intervention des futurs opérateurs de compétences, afin d’éviter qu’il ne soit imposé par l’État.
J’en viens au troisième objectif de la commission, qui est de renforcer la logique des droits et des devoirs du demandeur d’emploi. S’agissant de ses droits, il devra être informé dès son inscription à Pôle emploi des sanctions encourues en cas de manquement à ses obligations et des recours qui lui sont offerts s’il entend les contester.
En cas de projet de radiation, le demandeur d’emploi devra être en mesure de présenter ses observations préalables. La radiation ne pourra dépasser un mois en cas de premier manquement, et Pôle emploi devra fixer sa durée en tenant compte des circonstances et de la gravité du manquement, du comportement du demandeur d’emploi, ainsi que de ses ressources, en particulier s’il bénéficie d’une allocation de solidarité, et de ses charges.
S’agissant des devoirs du demandeur d’emploi, la commission a indiqué que le projet personnalisé d’accès à l’emploi, le PPAE, devra tenir compte de la difficulté de recrutement pour certains métiers. Elle a prévu une refonte systématique du PPAE à l’issue d’un an d’inscription à Pôle emploi, afin d’éviter le risque d’enfermement dans le chômage de longue durée.
Le demandeur d’emploi aura la possibilité, pendant les deux premières années de chômage, de refuser légitimement une offre raisonnable d’emploi, si le salaire proposé est manifestement inférieur à celui qui est proposé habituellement dans la région pour la profession concernée.
Au-delà de cette période, il ne pourra pas refuser une offre d’emploi qui lui procurerait un salaire supérieur à son revenu de remplacement. La convention d’assurance chômage pourra toutefois adapter cette période pour tenir compte des spécificités de certains demandeurs d’emploi.
Le revenu de remplacement sera supprimé pendant une période comprise entre un mois et six mois en cas de manquement répété. En cas de fraude, le plafond de la pénalité administrative sera relevé de 3 000 euros à 10 000 euros.
La commission a en outre veillé à garantir la soutenabilité financière pour l’assurance chômage. Elle a en effet prévu que seuls les salariés ayant cotisé au moins sept ans au régime d’assurance chômage pourront bénéficier de la nouvelle allocation ouverte aux démissionnaires et elle a indiqué que la future allocation des travailleurs indépendants devra être exclusivement financée par l’impôt.
La commission a aussi supprimé la possibilité pour le Gouvernement d’imposer un bonus-malus pour moduler la contribution des employeurs à l’assurance chômage, considérant que ce dispositif était complexe et peu efficace pour lutter contre le recours excessif aux contrats courts.
Enfin, nous avons souhaité renforcer la place du Parlement dans le pilotage de l’assurance chômage. Le Gouvernement devra en effet lui communiquer le projet de document de cadrage de la négociation de la convention d’assurance chômage au plus tard quatre mois avant sa fin de validité.
Le quatrième objectif que s’est assigné la commission était de rendre plus fluides les parcours professionnels des travailleurs handicapés, afin d’encourager leur passage du milieu protégé vers le milieu adapté ou le milieu ordinaire.
Concernant l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, la commission a soutenu la révision de son mode de calcul, afin d’inciter les employeurs à davantage recourir à l’emploi direct, plutôt qu’à des formes de mise en œuvre très partielle.
S’agissant des entreprises adaptées, la commission a accueilli favorablement les modifications apportées à leur statut et à leurs modalités de recrutement. Elle a néanmoins inséré plusieurs dispositifs de protection additionnels, afin de garantir la pérennité de leur modèle.
La commission a par ailleurs supprimé l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance sur la réforme du financement de l’insertion et du maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés.
Nous regrettons toutefois que la concertation avec les acteurs compétents en matière d’emploi des travailleurs handicapés ait commencé si tardivement, car le Parlement n’est pas en mesure d’avoir une approche globale de la réforme proposée par le Gouvernement.
Enfin, la commission a souhaité recentrer le projet de loi sur ses objectifs initiaux. C’est pourquoi elle a rejeté l’article qui renforce la responsabilité sociale des plateformes électroniques à l’égard de leurs collaborateurs, ainsi que tous les articles relatifs à la réforme du régime de la disponibilité des fonctionnaires et à l’élargissement des recrutements par voie directe.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission est convaincue que la compétitivité de notre économie dépendra en partie de notre capacité collective à améliorer la formation initiale et continue de nos concitoyens.
Nous espérons que le débat qui commence au Sénat permettra au Gouvernement de préciser ses intentions – c’est souhaitable, notamment au regard des derniers développements de ce jour… –, et d’apporter des réponses à nos interrogations sur son objectif ambitieux pour l’intérêt de nos concitoyens et l’avenir de notre jeunesse, à savoir permettre à chacun de construire son avenir professionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit également.)