M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Moi aussi, j’aime les choses simples et claires. Pour tout dire, notre amendement a été inspiré par des professionnels de la petite enfance et des médecins qui viennent de cosigner une tribune dans L’Express, dans laquelle ils soulignent que seulement 2 % des signalements sont le fait de médecins.
Pour ma part, je voudrais simplement rappeler que la Haute Autorité de santé a publié dès 2011 une fiche mémo intitulée « Maltraitance chez l’enfant, repérage et conduite à tenir », réactualisée en octobre 2014 et mise à jour en juillet 2017. Ce document, dont on ne saurait surestimer l’intérêt pour les professionnels de santé, indique la marche à suivre par le médecin lorsqu’il est amené à constater des indices significatifs de maltraitance. Il n’a pas à être certain que l’enfant a subi des sévices ni à le prouver ; il lui appartient seulement d’effectuer un signalement, et c’est ensuite au procureur de la République de faire son travail.
Je maintiens mon amendement.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Ces amendements vont tous dans le sens de la protection de l’enfance maltraitée. J’estime cependant que ceux d’Alain Milon et de Michelle Meunier sont plus précis et plus satisfaisants, dans la mesure où ils visent à rendre le signalement obligatoire.
Comme le disait René-Paul Savary, il n’est pas facile, quand on est un professionnel de santé, d’évoquer des sévices physiques ou des faits de maltraitance psychique et morale. Je le sais en tant qu’orthophoniste. Il est également difficile de parvenir à cerner les raisons des troubles que l’on constate.
Le dispositif de ces amendements, tels qu’ils sont rédigés, me semble de nature à bien cadrer les choses. Il aidera les professionnels de santé à effectuer des signalements. Ils sont encore trop peu nombreux à le faire aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Je ne suis ni juriste ni médecin, mais, comme d’autres ici, j’ai travaillé sur ce texte. Je reconnais qu’il y a une part de subjectivité quand il s’agit de décider ou non de faire un signalement. En tant que professionnelle de l’éducation, je sais que, en milieu scolaire, on hésite parfois à effectuer un signalement, par peur de se tromper.
M. le président de la commission a sans doute raison de dire que les amendements de M. Milon et de Mme Meunier ne sont pas tout à fait aboutis, mais nous les voterons, quitte à travailler à améliorer leur rédaction d’ici à la commission mixte paritaire.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour explication de vote.
M. Yannick Vaugrenard. Sur ce sujet extrêmement sensible, je me bornerai à citer un extrait du serment d’Hippocrate qui, je le crois, appuie les amendements déposés par Michelle Meunier et Alain Milon : « J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. » Tout est dit !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Mme la rapporteur a indiqué que le code de la santé publique impose déjà aux médecins une obligation de signalement. Toutefois, néanmoins et cependant (Sourires.), je suis très sensible à l’argumentation développée par M. Milon et Mme Meunier. Un proverbe africain dit qu’il faut un village pour élever un enfant. Pour ma part, je pense qu’il faut une société pour protéger les enfants. Madame la secrétaire d’État, vous voulez faciliter la parole et permettre sa libération, mais il y a des enfants qui restent muets parce que les violences qu’ils subissent sont commises par des membres de la famille ou par des proches. Nous devons rompre cette chape de silence et encercler les prédateurs, tout en protégeant les médecins.
Monsieur le président de la commission, vous avez raison, la rédaction des amendements de M. Milon et de Mme Meunier n’est sans doute pas parfaite, mais, pour ma part, à ce stade, je les voterai, en conscience.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié quater et 13 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 2 bis C, et les amendements nos 141 et 27 rectifié n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 rectifié quater et 14 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 2 bis C.
Article 2 bis D
(Non modifié)
Le dernier alinéa de l’article 706-53-7 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après le mot : « maires », sont insérés les mots : « , les présidents d’établissements publics de coopération intercommunale » ;
2° Le mot : « général » est remplacé par le mot : « départemental ».
M. le président. L’amendement n° 142, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme le rapporteur.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 2 bis D, modifié.
(L’article 2 bis D est adopté.)
Articles additionnels après l’article 2 bis D
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par Mme L. Darcos, MM. Milon et Cambon, Mme Lavarde, MM. Hugonet, Kennel, Paul, Lefèvre et Bascher, Mmes Gruny et Garriaud-Maylam, MM. Paccaud, B. Fournier et Vogel, Mme Duranton, M. Mayet, Mme de Cidrac, MM. Brisson, Gilles, Bonhomme, Rapin, Revet et Charon, Mme Dumas, MM. Sido et Mandelli, Mme Boulay-Espéronnier, M. Le Gleut et Mmes Bonfanti-Dossat et Keller, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis D
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au 3° de l’article 222-24 et à l’article 222-29 du code pénal, après les mots : « physiques ou psychiques », sont insérés les mots : «, à sa situation économique ».
La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Qui n’a pas été ému par le témoignage d’Anne Lorient, ancienne SDF, qui raconte, dans son livre Mes années barbares, publié en 2016, le calvaire des femmes vivant dans la rue ?
Violée soixante-dix fois en dix-sept ans passés dans la rue, elle décrit l’invisibilité de ces femmes en marge de la société et l’ignominie de leurs agresseurs, qui pensent que leur corps est à leur disposition.
D’après une étude de l’INSEE datant de 2012, 38 % des sans-abri seraient des femmes. Leur situation d’errance, l’absence de domicile fixe les placent dans une situation de particulière vulnérabilité, qui les expose malheureusement très fortement aux agressions sexuelles et aux viols.
L’amendement que je vous propose d’adopter vise à aggraver les peines encourues par les auteurs de crimes ou d’agressions sexuelles sur des personnes en détresse économique, notamment les personnes sans domicile fixe. Il s’appuie, à cette fin, sur le critère de « la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique » d’une personne, créé par la loi n° 2016-832 du 24 juin 2016 visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, je vous remercie de cet amendement, qui tend utilement à préciser que les personnes précaires sur le plan économique sont également des personnes vulnérables. La circonstance aggravante prévue lorsque la victime d’un viol ou d’une autre agression sexuelle est une personne vulnérable pourrait donc s’appliquer dans leur cas. Nous émettons un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 2 bis D.
L’amendement n° 31 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, de la Gontrie, Lepage, Blondin et Cartron, M. Courteau, Mmes M. Filleul, Jasmin, Monier, Meunier, Conway-Mouret et Lubin, MM. J. Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour, Temal et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis D
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le second alinéa de l’article 55 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lorsque sont constatées des violences sexuelles, le médecin est habilité à mettre sous scellé les preuves desdites violences sexuelles. »
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement s’inspire des préconisations du groupe de travail sur l’amélioration et la simplification de la procédure pénale mis en place dans le cadre des chantiers de la justice. Il vise à habiliter les médecins légistes formés à cet effet à la mise sous scellés de preuves d’infractions sexuelles hors réquisition judiciaire et sans qu’un officier de police judiciaire soit présent.
Chacun sait à quel point le processus de dépôt de plainte est compliqué, psychologiquement difficile et variable d’une personne à l’autre pour les victimes de violences sexuelles : il n’y a pas de procès type en la matière. L’objectif est donc de permettre que les preuves puissent être recueillies et sauvegardées pour pouvoir être utilisées ultérieurement si la victime de violences sexuelles change d’avis après n’avoir d’abord pas voulu déposer plainte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise à ajouter, à l’article 55 du code pénal, une disposition permettant aux médecins légistes de mettre sous scellés les preuves de violences sexuelles constatées.
Nous comprenons l’intention des auteurs de cet amendement. Toutefois, une disposition similaire, mais plus large – elle concernerait toutes les infractions, et pas seulement les violences sexuelles – est déjà prévue à l’article 33 du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
C’est la raison pour laquelle la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Le Gouvernement sollicite lui aussi le retrait de l’amendement, pour le motif évoqué par Mme la rapporteur.
M. le président. Madame Rossignol, l’amendement n° 31 rectifié est-il maintenu ?
Mme Laurence Rossignol. Dans la mesure où le texte évoqué par Mme la rapporteur ne sera examiné que dans plusieurs mois, je maintiens mon amendement. Si nous l’adoptons dès maintenant, ce sera un acquis en vue de la discussion du projet de loi en question.
M. le président. L’amendement n° 30 rectifié, présenté par Mmes Jasmin, de la Gontrie, Rossignol, Lepage, Blondin et Cartron, M. Courteau, Mmes M. Filleul, Monier, Lubin, Meunier et Conway-Mouret, MM. J. Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour, Temal et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis D
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 1434-2 du code de santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …° D’un programme régional relatif à la prévention des violences sexuelles et à l’accès aux soins des victimes de ces violences. »
La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous dire, en préambule, que le tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes devrait aussi concerner les outre-mer. À ce jour, aucun de nos territoires n’a reçu votre visite, pourtant souvent annoncée.
La loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la loi HPST, a institué des projets régionaux de santé, déclinés en contrats locaux de santé.
Le projet régional de santé est un outil important, sous-utilisé jusqu’à présent. Il pourrait à mon avis intégrer, de manière obligatoire, un volet relatif à l’éducation sexuelle et à la prévention des violences sexuelles. Cela permettrait une prise en charge protéiforme et dynamique, avec les territoires, les agences régionales de santé, les services déconcentrés de l’État, les associations et l’éducation nationale, au plus près des usagers et de toutes les victimes.
Tel est l’objet du présent amendement, qui s’inscrit dans l’approche intégrée de l’égalité prévue par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, vous avez parfaitement raison. Nous émettons un avis favorable sur votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, vous avez tout à fait raison de m’interpeller sur la situation des territoires d’outre-mer. Il est vrai que je ne me suis pas encore rendue outre-mer, mais un déplacement est prévu à la rentrée. Le tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes a également concerné de nombreux territoires d’outre-mer, grâce à l’organisation d’un certain nombre d’ateliers par des associations et les délégués régionaux et territoriaux que j’ai évoqués tout à l’heure. L’outre-mer n’a donc pas été laissé de côté.
Sur le fond, nous sommes bien évidemment d’accord avec votre proposition. Néanmoins, nous pensons que le sujet a vocation à être traité non pas dans le cadre du présent projet de loi, mais dans le code de la santé publique.
Je me permets de rappeler un certain nombre de dispositions présentées par le Président de la République le 25 novembre dernier, lors du lancement de la grande cause du quinquennat : formation de l’ensemble des professionnels de santé et de toute la fonction publique, questionnement systématique sur les violences subies, ouverture de dix centres de psychotraumatologie pour les victimes, développement de la plainte dans les structures d’accueil des CHU, avec recueil des preuves à l’hôpital, présence de référents de la police dans les structures d’aide aux victimes et généralisation de la présence d’intervenants sociaux dans les commissariats.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 2 bis D.
L’amendement n° 32 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, de la Gontrie, Lepage, Blondin et Cartron, M. Courteau, Mmes M. Filleul, Jasmin, Monier, Meunier, Conway-Mouret et Lubin, MM. J. Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour, Temal et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis D
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport évaluant la part de responsabilité des violences sexuelles ou sexistes (viols et autres agressions sexuelles, violences conjugales et intrafamiliales, harcèlement sexuel et sexiste, violences sexuelles et sexistes commises dans l’espace numérique) sur la commission d’un suicide, ou d’une ou plusieurs tentatives de suicides, par les victimes desdites violences.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement visant à demander la remise d’un rapport, je m’attends à ce que Mme la secrétaire d’État, Mme la rapporteur et M. le président de la commission des lois m’expliquent de concert que les rapports ne servent à rien, que le Gouvernement n’est pas obligé de les remettre ou encore qu’ils n’ont aucune valeur contraignante…
Néanmoins, il s’agit ici d’un rapport qui mérite que l’on fasse une exception à cette opposition habituelle : il permettrait de mieux dénombrer les décès liés aux violences faites aux femmes.
Chaque année, environ 120 femmes meurent sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon. J’ai la conviction que, en réalité, le nombre des décès provoqués par les violences au sein du couple est bien supérieur à ce chiffre. En particulier, je suis convaincue que des femmes se suicident pour échapper à la violence physique et psychologique qu’elles subissent de la part de leur compagnon ou ex-compagnon. Nous ne disposons, à ce jour, d’aucune statistique sur ce phénomène. Il est temps d’essayer d’en savoir plus.
Pour ce faire, nous demandons que le Gouvernement engage une enquête dans quelques départements, en y associant les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, et les parquets, par voie de convention. En cas d’intervention des pompiers à la suite du suicide d’une femme, il serait recherché si celle-ci avait auparavant déposé une main courante ou une plainte ou entrepris des démarches quelconques pour dénoncer des faits de violence et s’il y a, dans son entourage, des personnes pouvant témoigner de l’existence de violences.
Bref, nous demandons que l’on fasse la lumière sur le nombre réel des décès liés aux violences faites aux femmes, au-delà des meurtres constatés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ma chère collègue, encore une fois, nous n’avons pas besoin du Gouvernement pour évaluer les politiques publiques conduites par celui-ci.
Mme Laurence Rossignol. Il ne s’agit pas d’une politique publique !
Mme Marie Mercier, rapporteur. Le Parlement dispose de moyens de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques qui lui permettent de ne pas avoir à s’en remettre à un rapport gouvernemental. Il peut lui aussi procéder à de telles études : nous sommes assez grands pour nous saisir nous-mêmes ! (Mme Laurence Rossignol proteste.) Nous ne nous en sommes d’ailleurs pas privés lorsque nous avons élaboré notre rapport d’information. Pourquoi ne pas créer une mission sur le sujet que vous soulevez ? Nous n’avons absolument pas besoin d’un rapport du Gouvernement.
Je vous rappelle qu’aucun des rapports qui devaient être remis lors de la session 2017-2018 ne l’a été dans les temps impartis, ce qui prouve, là encore, l’inanité des demandes de rapport au Gouvernement. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, vous connaissez notre position de principe sur les demandes de rapport. Elle rejoint celle de Mme la rapporteur.
Néanmoins, je partage pleinement votre conviction sur l’existence de liens entre les violences sexistes et sexuelles et les suicides. L’impact psychologique des violences sexistes et sexuelles ne peut pas être négligé. Il n’est d’ailleurs plus contesté. C’est aussi pour cette raison que nous développons l’expérimentation, avec Agnès Buzyn, de dix centres de psychotraumatologie, et que nous mettons en place la plateforme de signalement des policiers ou encore la formation de toute la fonction publique au repérage et à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
En ce qui concerne plus particulièrement les liens entre violences sexistes et sexuelles et suicides, j’ai reçu, comme vous, me semble-t-il, Yaël Mellul, qui mène un travail important sur ce sujet. Ensemble, nous sommes convenues de lancer un travail d’étude, notamment de quantification, afin de pouvoir disposer d’une analyse plus fine.
D’un côté, nous sommes opposés, par principe, aux demandes de rapport ; de l’autre, nous avons déjà entamé un travail sur ce sujet, selon une méthode qui se rapproche de celle que vous décrivez.
Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Madame la rapporteur, on ne saurait opposer toujours la même réponse de principe aux demandes de rapport, quel que soit le sujet !
J’adorerais que le Sénat soit en mesure de mener l’enquête que je demande, mais nous n’en avons pas les moyens ! Nous ne pouvons pas passer de conventions avec les parquets ou avec les SDIS.
Nous pouvons évaluer les politiques publiques, mais, en l’occurrence, je demande que les pouvoirs publics commencent à s’intéresser à un sujet qui, jusqu’à présent, n’a pas encore été abordé.
Nous ne pouvons donc pas élaborer le rapport que je demande, madame la rapporteur. Croyez bien que si cela était possible, je me porterais volontaire pour le rédiger !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. En tant que président de la commission pour le contrôle de l’application des lois, j’ai été le premier, me semble-t-il, à déplorer avec force que le Gouvernement ne donne suite à quasiment aucune demande de rapport.
En réalité, des parlementaires demandent souvent un rapport afin de pouvoir évoquer un sujet sans tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution. Ce fait n’exonère cependant pas le Gouvernement de remettre les rapports qui lui sont demandés.
Monsieur le président Bas, si l’opposition aux demandes de rapport doit devenir une doctrine, il ne faudrait pas que son application soit à géométrie variable ! Je constate qu’il arrive à la commission elle-même de demander des rapports, parce qu’elle le juge utile.
En l’occurrence, cette demande de rapport ne vise pas du tout à soulever un sujet « par la bande ». Il s’agit de demander au Gouvernement des informations que lui seul peut fournir.
Madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, le refus des demandes de rapport ne doit pas relever d’une position de principe. C’est à une certaine forme d’utilisation perverse des demandes de rapport que vous devez vous opposer.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Mme la secrétaire d’État vient d’indiquer que l’enquête demandée par Mme Rossignol est déjà conduite, à peu près selon la méthode que notre collègue préconise. C’est d’ailleurs pourquoi elle a émis un avis de sagesse.
Dans ces conditions, je ne comprends pas pourquoi Mme la rapporteur s’oppose à cette demande de rapport, sinon pour des raisons de principe qui n’ont pas vraiment de sens.
Madame la rapporteur, n’accepteriez-vous pas de revoir votre position, compte tenu de l’engagement de Mme la secrétaire d’État ?
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Je veux remercier Mme la secrétaire d’État de son avis de sagesse.
Nous voterons cet amendement. Certes, d’une manière générale, on peut s’interroger sur l’utilité de demander des rapports, mais il s’agit ici d’établir des statistiques sur un sujet important.
À Toulouse, une femme s’est suicidée en présence de son mari, qui a simplement été condamné pour non-assistance à personne en danger. On ne saura jamais s’il a aidé son épouse à se suicider… Nous connaissons toutes et tous de tels cas.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur. À titre personnel, j’émets un avis de sagesse.
M. Jacques Bigot. Ah !
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour explication de vote.
Mme Marta de Cidrac. Je comprends parfaitement la demande de Mme Rossignol, ainsi que l’avis de sagesse du Gouvernement, notre délégation aux droits des femmes ayant déjà eu l’occasion de débattre de ce sujet, mais je pense que le temps de l’action est venu.
Nous connaissons tous, dans nos territoires, des cas similaires à celui que vient d’évoquer Françoise Laborde. Je suivrai l’avis de la commission des lois et de notre rapporteur.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Elle a finalement émis un avis de sagesse !
Mme Marta de Cidrac. Savoir s’il y a 120 ou 200 femmes qui meurent chaque année du fait des violences de leur compagnon n’est pas la question essentielle : ce qui importe, c’est d’agir ; ne perdons donc pas de temps à débattre de demandes de rapport. Focalisons-nous sur l’action et sur les moyens ! Nous connaissons les chiffres dans nos territoires.
Mme Laurence Rossignol. Non, justement, on ne les connaît pas !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 2 bis D.
L’amendement n° 48 rectifié, présenté par Mmes Lepage, de la Gontrie, Rossignol, Blondin et Cartron, M. Courteau, Mmes M. Filleul, Jasmin, Monier, Meunier, Conway-Mouret et Lubin, MM. J. Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour, Temal et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis D
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport évaluant la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire, à l’école primaire, au collège et au lycée.
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Je vais moi aussi demander un rapport. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Excusez-moi, madame de Cidrac, de vous faire perdre votre temps !
Cet amendement vise à prévoir la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport sur la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire. Ce rapport devra être remis dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi.
Selon le site internet du ministère de l’éducation nationale, l’éducation à la sexualité vise des objectifs distincts et pluriels : apporter aux élèves des connaissances scientifiques ; identifier les différentes dimensions – biologique, affective, culturelle, éthique, sociale, juridique – de la sexualité ; développer l’exercice de l’esprit critique ; favoriser des comportements individuels et collectifs responsables – prévention, protection de soi et des autres ; faire connaître les ressources spécifiques d’information, d’aide et de soutien dans l’établissement et en dehors. Elle s’inscrit donc dans la politique nationale de prévention et de réduction des risques –infections sexuellement transmissibles, sida, grossesses précoces –, de lutte contre les comportements homophobes et sexistes et contre les violences sexuelles et de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Ces actions sont essentielles pour prévenir dès le plus jeune âge des comportements potentiellement sexistes ou des violences sexuelles. Un rapport de 2016 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a pourtant révélé qu’une école primaire sur quatre ne mettait pas en place les séances d’éducation sexuelle, malgré l’obligation légale. De plus, il a mis en lumière que les violences sexistes et sexuelles étaient le sujet le moins abordé durant ces séances.
Dans le même esprit, la recommandation n° 23 du groupe de travail sur la verbalisation du harcèlement de rue, composé de cinq députés, préconise d’« établir un rapport sur l’évaluation de l’éducation sexuelle apportée aux élèves durant leur scolarité ».
Élaborer un rapport sur l’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire permettrait de faire un bilan de la mise en œuvre de cette politique, afin d’en adapter les ressources et les méthodes.
Enfin, nous soutenons que la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ne peut se limiter au seul volet répressif.