M. Fabien Gay. Cet amendement part d’un constat simple : il y a moins de deux ans, les centrales d’achat étaient au nombre de quatre et le taux de concentration atteignait 80 %. Aujourd’hui, celui-ci est égal à 90 %, et on nous annonce la fusion des centrales d’achat de Casino, Auchan et Système U.
Nous sommes face à un système d’oligopole qui tue notre économie agricole en confisquant la valeur ajoutée. Malgré les textes législatifs successifs, rien n’est fait contre ce système de concentration toujours plus poussée de la grande distribution. Le pire, c’est que, en 2015, l’Autorité de la concurrence a estimé que les accords de coopération permettant cette concentration n’étaient pas susceptibles de faire l’objet d’un contrôle préalable au titre des concentrations et ne pouvaient être examinés qu’au regard du droit des ententes anti-concurrentielles.
Certes, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a institué une obligation de communication préalable à l’Autorité de la concurrence des accords de rapprochement à l’achat, mais cela n’est manifestement pas suffisant. Pourtant, c’est bien à cause de ce système que 30 % de nos agriculteurs gagnent aujourd’hui moins de 350 euros par mois !
Aussi, nous vous proposons de compléter la procédure permettant à l’Autorité de la concurrence d’évaluer l’effet anti-concurrentiel de la mise en œuvre des accords de coopération à l’achat entre enseignes de la grande distribution de produits alimentaires. Il est ainsi proposé plusieurs modifications.
En plus de permettre au Parlement de solliciter l’Autorité de la concurrence afin que celle-ci rende un avis sur les accords de coopération existants, il convient de modifier la rédaction concernant l’analyse de l’Autorité de la concurrence sur les impacts des accords. En effet, la loi ne doit pas laisser envisager que des atteintes à la concurrence soient admises. L’important réside dans la caractérisation des impacts économiques sur les différents maillons de la chaîne d’approvisionnement alimentaire.
Il faut également rendre systématique l’intervention de l’Autorité de la concurrence pour la mise en œuvre de mesures conservatoires, si elle a constaté des atteintes à la concurrence ou sur les différents maillons de la chaîne.
Il s’agit de rendre publics le bilan concurrentiel ainsi que les engagements pris par les parties et d’expliciter dans quel cas l’Autorité de la concurrence prend des mesures conservatoires.
C’est tout le sens de cet amendement auquel, j’en suis sûr, M. le ministre sera favorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 529 rectifié bis, présenté par MM. Cabanel et Montaugé, Mme Artigalas, M. M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Iacovelli, Tissot, Kanner, Botrel, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Bonnefoy, Cartron et M. Filleul, M. Jacquin, Mme Préville, M. Roux, Mmes Taillé-Polian et Tocqueville, M. Fichet, Mme Blondin et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
ou des commissions compétentes du Parlement
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Cet amendement vise à autoriser le Parlement, au même titre que le ministre de l’économie, à demander à l’Autorité de la concurrence de réaliser le bilan concurrentiel de mise en œuvre des accords de regroupement prévu à cet article. Nous estimons que les parlementaires ont un rôle de lanceur d’alerte à jouer et doivent être en mesure, lorsque des informations concordantes semblent indiquer la constitution d’un oligopole, de consulter l’Autorité de la concurrence.
À l’Assemblée nationale, vous avez indiqué, monsieur le ministre, que le Parlement ne pouvait pas saisir l’Autorité de la concurrence. Nous estimons nécessaire, dans ce cas, de modifier la loi. L’adoption de cet amendement permettra de poser la première pierre de ce changement de doctrine.
Mme la présidente. L’amendement n° 530 rectifié, présenté par MM. Cabanel et Montaugé, Mme Artigalas, M. M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Iacovelli, Tissot, Kanner, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Bonnefoy, Cartron et M. Filleul, M. Jacquin, Mme Préville, M. Roux, Mmes Taillé-Polian et Tocqueville, M. Fichet, Mme Blondin et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 9, seconde phrase
Remplacer les mots :
au progrès économique
par les mots :
aux progrès économique, social et qualitatif
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. L’alinéa 9 de l’article 10 quater A dispose que l’Autorité de la concurrence apprécie si l’accord de rapprochement apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser d’éventuelles atteintes à la concurrence.
Pour notre part, nous estimons que l’Autorité de la concurrence doit intégrer dans sa réflexion une dimension sociale et qualitative. Le seul élément économique n’est pas suffisant, et les dérives que nous connaissons actuellement en France avec la concentration des centrales d’achat en sont une illustration. Nous devons donc intégrer d’autres dimensions trop souvent oubliées dans ce type d’accords commerciaux.
Mme la présidente. L’amendement n° 531 rectifié, présenté par MM. Cabanel et Montaugé, Mme Artigalas, M. M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Iacovelli, Tissot, Kanner, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mmes Bonnefoy, Cartron et M. Filleul, M. Jacquin, Mme Préville, M. Roux, Mmes Taillé-Polian et Tocqueville, M. Fichet, Mme Blondin et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 10
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L’Autorité de la concurrence rend public le bilan concurrentiel réalisé ainsi que les engagements pris par les parties.
La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Cet amendement tend à prévoir que les bilans concurrentiels réalisés par l’Autorité de la concurrence ainsi que les engagements pris par les parties sur la base des mesures qui y sont proposées sont rendus publics.
Si nous pouvons considérer que cet article constitue une petite avancée en matière de lutte contre certains accords de coopération dommageables, nous regrettons que l’action de l’Autorité de la concurrence survienne après les rapprochements. Dans ce cadre, même si l’Autorité de la concurrence pourra demander la prise de certaines mesures en cas d’atteinte à la concurrence, nous nous interrogeons sur la réelle effectivité de son action.
Pour autant – ce fut rappelé à maintes reprises lors des débats à l’Assemblée nationale comme en commission au Sénat –, nous serions allés ici au maximum de ce qu’autorise la réglementation européenne. C’est pourquoi nous proposons a minima que les bilans concurrentiels de l’Autorité de la concurrence ainsi que ses recommandations soient rendus publics. En effet, le texte actuel prévoit que l’engagement de la procédure est rendu public, mais rien n’est indiqué quant aux conclusions. Cette transparence nous paraît nécessaire pour rendre le dispositif un peu plus dissuasif.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Raison, rapporteur. J’ai peur que Claude Bérit-Débat ne me trouve de nouveau incohérent… (Sourires)
Nous nous accordons tous sur le constat : nous sommes très surpris que des centrales d’achat puissent se regrouper aussi facilement, pendant que quelques producteurs qui essaient de s’entendre sur le prix d’une bouteille de côtes-du-Rhône sont taxés de concurrence déloyale. Malheureusement, la situation n’est pas simple.
L’amendement n° 80 a pour objet d’instituer la possibilité pour le Parlement de saisir l’Autorité de la concurrence pour qu’elle établisse un bilan concurrentiel. Il n’est pas sûr que ce soit le rôle du Parlement de solliciter une saisine dans un dossier individuel.
Cet amendement tend également à préciser que le bilan se fait au regard de la création ou du renforcement d’une position dominante. Or cela irait à l’encontre des principes du droit de la concurrence, à l’échelon tant français qu’européen, aux termes desquels c’est non la position dominante en elle-même qui est sanctionnée, mais seulement son abus par celui qui la détient. Ce dispositif serait donc assez restrictif et contre-productif en matière de concurrence. En outre, il serait contraire au droit de l’Union européenne. Mais sans doute faudrait-il le faire évoluer, car un réel problème se pose.
Cet amendement vise aussi à rendre publics le bilan concurrentiel et les engagements. Afin de respecter le secret des affaires, il ne paraît pas souhaitable de publier le bilan concurrentiel et les engagements des parties dans leur totalité. Bien évidemment, cela n’empêchera pas l’Autorité de la concurrence, par voie de communiqué de presse, comme elle le fait couramment, de faire état de ses constatations et des engagements pris par les intervenants.
En outre, il est inutile de rendre systématique la prise de mesures conservatoires. Le dispositif proposé par l’article 10 quater A semble suffisant pour permettre à l’Autorité de la concurrence d’intervenir, selon un principe de proportionnalité qui s’applique à ses décisions.
Enfin, sur le plan juridique, la référence à la notion de « maillons de la chaîne d’approvisionnement » semble trop vague pour être retenue dans le texte.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.
La commission est également défavorable à l’amendement n° 529 rectifié bis, qui, lui aussi, tend à rendre possible la saisine de l’Autorité de la concurrence par le Parlement. Le Parlement peut déjà saisir l’Autorité de la concurrence pour avis pour toute question relative à la concurrence, indépendamment d’une procédure d’examen en cours. Il est par ailleurs informé des activités de l’Autorité de la concurrence chaque année. Il n’est sans doute pas souhaitable d’aller au-delà.
La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 530 rectifié, qui aborde un sujet un peu plus complexe.
La notion de progrès économique inclut en général la création d’emplois. Ainsi, l’article L. 420-4 du code de commerce exclut l’interdiction des ententes ou des abus de position dominante lorsqu’ils se traduisent in fine par un progrès pour l’emploi. Faut-il aller plus loin et viser le « progrès social », dont la définition sera très difficile à circonscrire ? Il en va de même de la notion de « progrès qualitatif ».
L’objet de l’amendement n° 531 rectifié étant sensiblement le même que celui de l’amendement n° 80, la commission y est aussi défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Sur le plan du droit, le rapporteur vient de rappeler les quelques éléments essentiels qui conduisent le Gouvernement à émettre un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
Il est vrai que l’Autorité de la concurrence peut avoir recours aux effectifs de la DGCCRF, de même que la DGCCRF peut transmettre à l’Autorité de la concurrence des indices de pratiques anti-concurrentielles. Ce faisant, il s’agit d’accroître l’efficacité de leurs actions respectives.
Aujourd’hui, la DGCCRF compte à peu près 3 000 agents répartis sur l’ensemble du territoire, dont l’action permet notamment de déceler des indices de pratiques frauduleuses.
À l’Assemblée nationale, nous avons discuté des regroupements à l’achat et de la meilleure manière de contrôler les accords à l’achat. Nous avons également débattu de la question du contrôle a priori ou du contrôle a posteriori ; c’est l’option d’un contrôle a posteriori qui a été retenue, car elle permet de contrôler l’ensemble des accords en cours. Le contrôle, qui est mis en place, nous permettra d’aller, si nécessaire, jusqu’à l’interdiction des accords, si le bilan concurrentiel révèle des pratiques illicites.
Pour assurer les contrôles effectués par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation en matière de politique et de prévention sanitaire, 180 équivalents temps plein travaillé ont été créés entre 2015 et 2017 pour pallier la baisse drastique des effectifs intervenue entre 2006 et 2013. Aujourd’hui, on dénombre 4 715 équivalents temps plein travaillé, dont 3 965 qui travaillent à l’échelon départemental.
Dans le cadre de la loi de finances pour 2018, le Gouvernement a consenti un effort sans précédent sur les politiques sanitaires dans le but d’accentuer les contrôles.
La Direction générale de l’alimentation et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes travaillent en très bonne harmonie. Comme vous le savez, la DGAL et la DGCCRF n’exercent pas le même type de contrôle. Par exemple, dans l’affaire qu’a citée M. Gay, c’est la DGCCRF qui est chargée de contrôler la conformité des laits infantiles.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. J’ai bien entendu les arguments de la commission et du Gouvernement, mais ils ne m’ont pas convaincu sur le fond.
Nous souhaitons avoir la possibilité de jouer un rôle prépondérant en tant que lanceur d’alerte. Je ne pense pas que cela soit choquant.
En termes de transparence et d’éthique, rendre publiques des conclusions aurait à l’évidence un effet dissuasif pour que chacun se conforme à la règle.
Nous maintenons par conséquent nos amendements, même si nous savons le sort qui leur sera réservé.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.
M. Claude Bérit-Débat. Je suis surpris, comme M. Cabanel, que le rapporteur mette dans le même lot l’amendement n° 531 rectifié et les autres amendements, alors qu’il n’a rien de commun.
Nous demandons une certaine transparence. Prévoir que l’Autorité de la concurrence rende publics le bilan concurrentiel réalisé ainsi que les engagements pris par les parties permettra de mettre à la disposition de tous le travail accompli par cette instance.
Je ne comprends pas pourquoi on avance les mêmes raisons que pour les amendements précédents, alors que l’objet de cet amendement est tout à fait différent. Cela m’étonne plus que l’avis lui-même.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Travert, ministre. Je précise à l’attention de M. Cabanel que la saisine de l’Autorité de la concurrence s’inscrit dans le cadre d’une procédure contentieuse. Par conséquent, il n’est pas conforme à notre organisation institutionnelle actuelle d’étendre cette prérogative au Parlement.
En revanche, les commissions parlementaires peuvent consulter l’Autorité de la concurrence sur toute question relative à la concurrence. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez le droit de consulter l’Autorité de la concurrence, de lui écrire ; toutefois, vous ne pouvez pas la saisir, cette faculté n’existe pas dans notre droit.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 529 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 10 quater A.
(L’article 10 quater A est adopté.)
Articles additionnels après l’article 10 quater A
Mme la présidente. L’amendement n° 79, présenté par Mme Cukierman, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 10 quater A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 420-2 du code de commerce est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Une situation de dépendance économique est caractérisée, au sens du deuxième alinéa du présent article, dès lors que :
« – d’une part, la rupture des relations commerciales entre le fournisseur et le distributeur risquerait de compromettre le maintien de son activité ;
« – d’autre part, le fournisseur ne dispose pas d’une solution de remplacement auxdites relations commerciales, susceptible d’être mise en œuvre dans un délai raisonnable. »
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Par cet amendement, nous souhaitons aborder les situations de poursuite d’activité et d’absence de solution de remplacement en cas de rupture des relations commerciales. Voilà qui soulève la question de la dépendance économique des producteurs vis-à-vis des acheteurs.
Nous ne pouvons le nier : de nombreux producteurs sont aujourd’hui pieds et poings liés face à leur distributeur. Il convient une nouvelle fois de mieux protéger les plus faibles parties du contrat, à savoir les exploitants, dans la relation commerciale.
Caractériser de façon améliorative la dépendance économique, c’est faciliter les poursuites dans le contexte de création d’un groupement de grandes enseignes de la distribution, capables de faire pression sur l’ensemble des acteurs se situant en amont de la chaîne de vente et d’imposer des conditions défavorables aux agriculteurs.
Il paraît inacceptable qu’agriculteurs ou fournisseurs de la grande distribution puissent être soumis à un tel déséquilibre, qui les laisse parfois dans des situations économiques qui ne sont plus viables.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Raison, rapporteur. Je précise en préambule que les avis que donne la commission, en particulier sur des sujets sur lesquels nous faisons tous le même constat, ne sont pas pris comme ça, de façon désinvolte, au matin : la commission travaille ! Je sais que vous le savez, mais j’aime bien le redire, parce que c’est important. Avant de donner un avis, on consulte les acteurs concernés et des juristes à plusieurs reprises, même si nos administrateurs sont des spécialistes du droit. Tout cela pour dire que nous étudions les dossiers sérieusement.
Lorsqu’on auditionne tous les acteurs, on constate qu’il y a assez peu d’agriculteurs qui vendent directement à la grande distribution, mais ce n’est pas ce qui pose le plus de problèmes. En général, les négociations se passent plutôt bien, car la grande distribution a plutôt besoin d’eux – elle se sert d’ailleurs d’eux pour son image de marque – : c’est le cas pour certains fruits et légumes, des fromages ou des produits spécifiques.
M. Michel Raison, rapporteur. On peut se demander si la mesure que tend à introduire cet amendement est bien nécessaire, compte tenu de l’amélioration des dispositifs de répression des comportements abusifs et restrictifs de concurrence qui devraient résulter de l’ordonnance qui sera prise sur la base de l’article 10 de ce projet de loi.
En outre, sur le fond – cela ressort des auditions que nous avons menées –, l’élargissement de la notion d’abus de dépendance économique comporte forcément un risque d’éviction des PME. Il faudrait en effet se garder d’adopter un dispositif qui pourrait avoir un impact plus défavorable qu’aujourd’hui pour les petites et moyennes entreprises, en poussant les distributeurs à des comportements « malthusiens » qui auraient pour seul but de les protéger juridiquement contre la mise en jeu de leur responsabilité dans le cadre de relations commerciales qu’ils auraient nouées avec des fournisseurs qui sont des PME. Potentiellement, le risque est que les distributeurs privilégient des grands groupes qui n’auront pas un lien de dépendance « structurelle » avec eux, contrairement à certaines PME.
Par conséquent, l’avis est défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Des sanctions sont déjà prévues lorsqu’un coup d’arrêt est porté à un contrat qui lie un producteur à son distributeur. Le plafond de l’amende civile a été fixé à 5 millions d’euros et son montant peut être trois fois supérieur aux sommes indûment versées ou être proportionné aux avantages qui sont tirés du manquement à 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques.
Dans ces conditions, puisqu’un dispositif opérationnel existe, les dispositions que vous proposez, madame la sénatrice, ne paraissent pas avoir une utilité concrète. Elles créeraient en outre deux régimes différents pour les mêmes pratiques, ce à quoi le Gouvernement est défavorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 81, présenté par Mme Cukierman, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 10 quater A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le II de l’article L. 430-1 du code de commerce, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :
« … – Nonobstant le II, les accords de coopération à l’achat dans le secteur de la distribution de produits agricoles et alimentaires constituent une concentration au sens du présent article. »
La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Cet amendement, qui nous a notamment été proposé par le syndicat majoritaire, vise à répondre à la problématique de la concentration toujours plus importante des centrales d’achat, que nous avons déjà évoquée.
Ces rapprochements ont été permis par l’Autorité de la concurrence française, qui les considère comme des « accords de coopération », comme elle le souligne dans son avis du 31 mars 2015. Or la concentration excessive des centrales d’achat de la grande distribution met en péril l’équilibre même des négociations commerciales, créant de nombreuses situations de dépendance économique.
Il est impératif de mettre un terme à ce système qui est à bout de souffle, voire qui n’a jamais fonctionné et qui ne sert personne. Agriculteurs, PME, entreprises de taille intermédiaire, consommateurs, salariés : personne n’est épargné.
Afin d’éviter que ce type de rapprochement n’ait à nouveau lieu, il est nécessaire de prévoir que ce type d’accords soit soumis au contrôle des concentrations. Ainsi, l’Autorité de la concurrence pourra analyser et donner un avis en amont de la finalisation de l’accord : l’analyse de l’impact sur les fournisseurs doit être une priorité au même titre que l’analyse de l’impact sur le consommateur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Raison, rapporteur. Cet amendement, déjà présenté et rejeté en commission, vise à soumettre les accords de coopération à l’achat dans la distribution de produits agricoles et alimentaires au contrôle des concentrations. En 2015, la commission avait saisi l’Autorité de la concurrence sur ce sujet, qui avait refusé.
C’est précisément compte tenu de cette situation qu’a été créé l’article L. 462-10 du code de commerce, qui prévoit depuis 2015 la transmission préalable de tels accords à l’Autorité de la concurrence et qui, en vertu de l’article 10 quater A, permettra d’assurer un bilan concurrentiel permettant de sanctionner les pratiques abusives dans ce domaine.
L’extension du dispositif de contrôle des concentrations serait donc aujourd’hui inutile. Du reste, l’appliquer aux seuls produits agricoles et alimentaires créerait une différence de situation injustifiée avec des pratiques de même nature dans d’autres secteurs.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Un contrôle a priori ne permettrait pas d’appréhender les accords en cours d’exécution. C’est la mise en œuvre de ces accords qui pose ici difficulté. Un contrôle a priori, sur le seul fondement du contrat, ne permet pas d’identifier clairement les pratiques répréhensibles. En tout état de cause, prévoir un contrôle à la fois a priori et a posteriori n’apparaît pas totalement cohérent en l’occurrence.
Le Gouvernement émet donc également un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 78, présenté par Mme Cukierman, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 10 quater A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre II du titre VI du livre IV du code de commerce est complété par un article L. 462-… ainsi rédigé :
« Art. L. 462-…. – L’Autorité de la concurrence examine les pratiques supposées anticoncurrentielles dans le secteur agricole en évaluant si elles sont justifiées au regard de leur impact sur la qualité du produit agricole, de leur impact écologique et sanitaire et de leur impact en termes de maintien de l’emploi paysan sur les territoires. Elle se situe dans une perspective d’un “droit à l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous”, et pas uniquement par le seul prisme du prix payé au consommateur. »
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Cet amendement tend à prévoir que l’Autorité de la concurrence ne prenne pas le prix payé par le consommateur comme seul critère : il convient qu’elle prenne aussi en considération des aspects que je qualifierai de qualitatifs, tels l’aménagement des territoires ruraux, les dynamiques socioéconomiques dans le secteur de la production agricole, les services rendus aux consommateurs, dont le bien-être ne peut pas être évalué uniquement à travers le prisme du prix payé.
En cela, nous reprenons la revendication ancienne, largement partagée dans le monde agricole et, de plus en plus, dans la société, d’une exception agricole. Nous en avons notamment discuté lors de l’examen de l’article 1er. L’agriculture n’est pas un domaine anecdotique pouvant être abandonné à la dérégulation libérale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Raison, rapporteur. Je confirme que l’agriculture et l’alimentation sont loin d’être des sujets anecdotiques !
L’Autorité de la concurrence exerce une mission concurrentielle et économique. Elle ne peut prendre en compte des critères aussi éloignés de sa mission. Pour autant, l’article L. 420-4 du code de commerce lui impose de prendre en considération le « progrès économique » qui résulterait de l’opération et le bénéfice qu’en tireraient les consommateurs. Aller au-delà de cette dimension reviendrait à faire sortir cette autorité indépendante de sa mission. L’avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Madame la sénatrice, une telle disposition est inutile, car elle est déjà prévue par l’article L. 420-4 du code de commerce, aux termes duquel ne sont pas soumises aux dispositions de ce code les pratiques « dont les auteurs peuvent justifier qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence ».
Ces pratiques peuvent consister aujourd’hui à organiser, pour les produits agricoles ou d’origine agricole, sous une même marque ou enseigne, les volumes et la qualité de production, ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d’un prix de cession commun.
Comme M. le rapporteur, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.