Mme Esther Benbassa. Vous attendiez un texte indigne !
M. François-Noël Buffet. … un texte portant une ligne politique et une stratégie claires.
Mme Esther Benbassa. Voilà !
M. Bruno Retailleau. Laissez parler l’orateur !
M. François-Noël Buffet. Nous attendions un projet de loi qui nous aurait mis à l’abri des vingt-neuf textes votés depuis 1980 et des seize textes majeurs qui ont concerné l’asile et l’immigration. Nous aurions aussi souhaité éviter, c’est notre second regret, cette fichue procédure accélérée.
M. David Assouline. C’est juste !
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument.
M. François-Noël Buffet. Cette procédure n’a pas permis à nombre d’entre nous d’aller au fond des choses, même si nous avons essayé de redonner au texte, tout au long de la période qui nous a été accordée, de la cohérence et de l’équilibre.
Le texte que vous nous avez proposé présentait des manquements en matière d’intégration, c’est très clair ; sur la procédure d’asile, nous avions des éléments à discuter ; sur l’immigration irrégulière, il reste, malgré quelques avancées, faible. Et il y avait des absences dans ce texte : absence de problématiques concernant nos territoires ultramarins, absence, évidemment, de la problématique relative aux mineurs, qui n’a été intégrée ni dans le texte de départ ni dans celui de l’Assemblée nationale.
M. David Assouline. Donc, il n’y a rien dans ce texte…
M. François-Noël Buffet. Il y avait aussi deux grands absents, si j’ose dire : l’Union européenne et les moyens budgétaires que vous consacrerez à votre projet.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Le ministre de l’intérieur aussi était un grand absent… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. François-Noël Buffet. Dans ces conditions, le groupe Les Républicains a décidé de reconstruire ce texte, de le réécrire et de lui donner un peu de sens,…
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. François-Noël Buffet. … sur le fondement d’une stratégie politique claire, que je vais rappeler.
Tout d’abord, nous sommes favorables à une politique d’intégration digne de ce nom. Nous préférons recevoir moins, mais recevoir beaucoup mieux que ce que nous faisons depuis des années. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
En outre, nous avons souhaité que, en matière d’asile, les procédures et les efforts entrepris depuis plusieurs années se poursuivent, afin que la procédure soit la plus courte possible et que la protection que nous devons à ceux qui doivent être protégés, et que la France accorde, soit offerte dans des délais rapides. Néanmoins, cette procédure ne doit pas être pour les réseaux de passeurs le moyen absolu d’une immigration irrégulière incontrôlée.
Enfin, sur l’immigration irrégulière, oui, nous sommes pour une très grande fermeté. Il faut un équilibre absolu entre, d’une part, ce que la France accorde et les moyens qu’elle mobilise pour accueillir les étrangers, et, d’autre part, la rigueur de ses décisions lorsque la présence sur le territoire a été jugée, de manière définitive, irrégulière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons fait évoluer le texte. Il faut faire sortir de la tête de nos concitoyens que tous les migrants, tous les étrangers, sont des réfugiés. Il faut arriver à sortir de cette discussion-là, qui bloque le débat et qui entraîne des amalgames terribles et contre-productifs.
En matière d’immigration irrégulière, je le répète, le texte a progressé. Nous avons réintroduit l’interdiction de rester sur le territoire après une condamnation définitive. Nous avons remplacé l’aide médicale d’État par l’aide médicale d’urgence. Nous avons enfin obtenu que l’on ait chaque année un débat sur les politiques migratoires, débat absolument nécessaire pour assurer la transparence de nos discussions à l’égard de l’ensemble de la communauté nationale. Cacher les choses, c’est se préparer à des catastrophes, dire les choses, c’est essayer de se donner la chance de trouver des solutions ; ce débat est donc absolument nécessaire.
Nous avons tenté, bien sûr, de trouver des solutions pour Mayotte ; à la faveur d’un amendement déposé par notre collègue Thani Mohamed Soilihi, nous avons adapté une partie du droit du sol. Nous avons demandé que le Gouvernement puisse conditionner l’accord de visas de long séjour au nombre de laissez-passer consulaires. Oui, nous avons été plus durs sur ces sujets-là. Mais nos choix sont-ils si durs que cela ou sont-ils, au contraire, le reflet de notre exigence pour le pays ?
Enfin, nous avons évidemment très nettement amélioré la politique d’intégration. Nous avons d’abord réglé le problème des mineurs, en interdisant très clairement leur placement en rétention. Nous n’avons pas accepté qu’une famille avec enfants puisse être placée en rétention durant plus de cinq jours (M. Richard Yung s’exclame.) Je me permets de rappeler à tous ceux qui n’ont pas voté pour l’amendement visant à introduire cette disposition que, en se comportant ainsi, ils permettent d’aller beaucoup plus loin.
M. Rémy Pointereau. Eh oui !
M. François-Noël Buffet. On ne peut pas voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. C’est une évolution qui a été proposée par le groupe Les Républicains, j’y insiste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons demandé que les cours de français soient renforcés et que leur niveau soit contrôlé. Nous avons aussi aidé les collectivités locales à participer au débat, notamment au travers des schémas régionaux de l’habitat et de l’hébergement, mais aussi pour leur participation à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII. Nous avons travaillé en permanence avec les départements pour créer ce fameux fichier national des migrants reconnus majeurs.
Nous souhaitons continuer de travailler dans ce sens-là, afin que la France marche sur ses deux pieds. Une politique migratoire exige en effet que l’on marche sur ses deux pieds ; il ne s’agit pas simplement de dire « je serai méchant » ou, au contraire, « je serai très généreux », il s’agit de faire les deux en même temps, à condition d’en définir les critères et les conditions. C’est ce que nous avons essayé de faire.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. François-Noël Buffet. En outre, une politique migratoire doit s’inscrire dans le temps. Nous avons besoin de ce texte, tel qu’il sortira de la Haute Assemblée, pour l’inscrire dans la durée.
Je veux terminer ce propos en soulignant que les enjeux sont européens. Nous sommes peut-être à l’aube d’une dislocation européenne sur la thématique de l’immigration. Ce n’est pas faute de moins d’Europe, c’est faute de « pas assez d’Europe avec une stratégie claire ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Philippe Dallier. Absolument !
M. François-Noël Buffet. Si nous n’avons pas de stratégie claire, nous allons à des catastrophes ; j’enfonce des portes ouvertes, c’est dit partout et par tout le monde aujourd’hui. Mes chers collègues, considérez simplement que la réforme du régime dit « Dublin » a débuté en 2014 et que nous sommes en 2018 ! Les choses n’avancent pas…
Je veux saluer le travail de la diplomatie parlementaire. Cette semaine, le président du Sénat est allé, avec le président de l’Assemblée nationale, au Maroc. Ils ont fait une déclaration dans laquelle ils indiquent très clairement leur volonté de lutter contre l’immigration irrégulière et de s’inscrire dans des accords de coopération étroits, bilatéraux ou multilatéraux. Cela doit être salué et cela montre l’utilité de ces coopérations parlementaires.
Enfin, je veux remercier l’ensemble des collaborateurs et des collègues qui ont été présents à l’occasion de ce débat, qui ont soutenu le travail et qui ont permis au Sénat d’imprimer sa marque sur ce texte relatif à l’immigration et à l’asile, lequel, une fois réécrit, retrouve de la cohérence. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour le groupe La République En Marche.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre échange de cet après-midi conclut un débat intense, complet, prolongé, auquel beaucoup ont participé et qui a permis d’aboutir à des clarifications.
Le groupe La République En Marche était, pour sa part, d’accord avec les objectifs que le Gouvernement exprimait en présentant ce projet de loi : faciliter l’obtention de l’asile grâce à une procédure allégée, qui correspond aux besoins des demandeurs authentiques d’asile, renforcer l’intégration, en particulier en maintenant ouverts les mécanismes de réunion des familles, et, oui, fournir des moyens effectifs de reconduire à la frontière les personnes dont le droit au séjour n’est pas reconnu par notre loi.
Je crois en effet que le choix politique d’améliorer le contrôle du maintien sur le territoire français constitue une responsabilité régalienne que notre pays doit pleinement assumer, en tenant compte des équilibres sociaux qui sont associés à l’effort d’intégration, mais aussi des limites de la capacité d’intégration.
Bien sûr, nous avons tous le souhait que cela se réalise dans la coopération européenne, mais j’y insiste, il faut parler de coopération, car il s’agit d’une compétence souveraine de chacun des États. L’Europe ne peut être efficiente que si elle réussit à conclure un accord unanime des États souverains, qui régissent, chacun sur son territoire, l’accès à l’Union européenne.
Nous allons à cet égard traverser une période très difficile. Les oppositions entre les politiques d’accueil et de traitement des demandes d’asile des pays européens n’ont jamais été aussi élevées.
Je le disais en ouvrant ce débat la semaine dernière, le résultat probable de la rencontre de dimanche dernier est qu’il ne pourra y avoir que des accords partiels entre membres de l’Union européenne, ce qui mettra inévitablement en cause – nous le verrons dans les mois qui viennent – la simple survie de l’accord de Schengen sur la liberté de circulation à l’intérieur de l’Union européenne. Donc, ne pensons pas que nous pouvons nous libérer de nos propres responsabilités nationales en croyant à un accord européen complet, malheureusement loin de notre portée.
M. François-Noël Buffet. Bien sûr !
M. Alain Richard. Au cours de sa discussion, le projet de loi a donné lieu à beaucoup de points d’accord sur des mesures ponctuelles, et à des améliorations – j’espère, madame la ministre, que le Gouvernement en tiendra compte dans la suite du débat, dans le respect du bicamérisme. Je veux à cet égard remercier François-Noël Buffet et saluer son travail comme rapporteur ; il a fait un travail très important dans un état d’esprit de rapprochement et de compréhension – je parle du rapporteur et non de l’orateur qui m’a précédé… (Sourires.)
Toutefois, des points de clivage très fort sont apparus avec des groupes de l’opposition de la Haute Assemblée, qui ont refusé tous les instruments concrets d’application du droit au séjour en France, alors que nous savons que ce droit doit être respecté ; c’est préoccupant.
Cela dit, notre vote sera déterminé par les choix des groupes de la majorité politique du Sénat, qui ont tenu à rappeler, à cette occasion, leur opposition au Gouvernement, au travers d’ajouts « de démonstration ». J’en cite simplement quelques-uns : le remplacement de l’aide médicale d’État par un système inconnu à ce jour, et qui rappelle d’ailleurs quelques débats anciens sur la définition des maladies graves ;…
Mme Éliane Assassi. C’est vrai !
M. Alain Richard. … des mesures automatiques de refus ou de retrait de titre, contraires au principe régalien élémentaire selon lequel l’autorité publique exerce un pouvoir d’appréciation et le juge en contrôle ensuite la légalité ; l’exclusion de toute aide au transport imposée aux autorités locales ; ou encore la limitation excessive du droit de la réunion des familles.
Le constat que nous sommes amenés à faire sur ce texte est donc la volonté d’une majorité politique, certes respectable et qui a fait ses choix, de décaler l’équilibre du projet de loi du Gouvernement au travers d’annonces de présentation, de démonstration, qui ne peuvent pas avoir d’effet pratique.
C’est ce qui conduit le groupe La République En Marche à ne pas donner son accord au projet de loi ainsi déformé, et à émettre un vote négatif sur le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est une toile de fond bien sinistre qui s’est déployée lors de la discussion de ce texte au Sénat.
À l’occasion de la journée mondiale des réfugiés, The Guardian a publié un cahier d’une soixantaine de pages contenant la liste de 34 361 migrants et réfugiés morts depuis 1993 en essayant de pénétrer la « forteresse Europe ». D’outre-Atlantique, nous sont parvenues des images effarantes de camps de rétention, où des enfants séparés de leurs parents sont enfermés en cage, nourrissons compris.
En Méditerranée, après avoir parcouru 1 500 kilomètres et être passés à 7 kilomètres des côtes françaises, 629 migrants, ballottés sur la « grande bleue », ont finalement trouvé refuge à Valence, en Espagne, la semaine dernière.
Dimanche dernier, la tragédie se répétait avec le bateau Lifeline, dont dépend le sort de 239 migrants, quatre d’entre eux étant des bébés, n’ayant nulle part où débarquer, sauf peut-être à Malte, vient-on d’apprendre.
M. Stéphane Ravier. Prenez-les chez vous !
Mme Éliane Assassi. À l’échelon européen, au mini-sommet informel sur l’accueil des migrants d’avant-hier, en attendant le Conseil européen de jeudi et de vendredi prochains, l’heure était à savoir s’il fallait enfermer les migrants dans les pays d’origine – position de l’Autriche et de l’Italie – ou dans les pays ne les accueillant pas – position franco-allemande.
En 2015, la question posée à l’échelon européen était : comment répartit-on les réfugiés ? Aujourd’hui, avec pour boussole la position de gouvernements conservateurs alliés aux néo-fascistes, on se demande : comment les empêche-t-on d’arriver ?
Le Président Macron fait le grand écart : à Bruxelles, il sermonne les États anti-migrants et, en France, il bloque les ports. C’est l’hôpital qui se fiche de la charité ! (MM. Philippe Dallier et Jacques Grosperrin s’exclament.)
En réalité, le pays des droits de l’homme s’échappe et tend à se refermer sur lui-même dans un double objectif : montrer aux migrants qu’il ne faut surtout pas demander l’asile en France ; rassurer les électeurs ou sympathisants d’extrême droite, puisque les conditions sont créées pour bafouer le droit d’asile et mettre à mal l’accueil de migrants à tout autre titre.
Avec un objectif légèrement différent, mais en tout cas avec les mêmes finalités, la majorité sénatoriale a fait adopter l’instauration de quotas qu’évaluerait chaque année le Parlement, sans se soucier réellement des causes profondes qui conduisent à ce monde de migrations et de réfugiés.
A été actée la disparition de l’aide médicale d’État, remplacée par un dispositif d’urgence, au moment même où Médecins du monde et le centre Primo-Levi ont publié un rapport sur les traumatismes dont souffrent les exilés, aggravés par l’errance qui leur est infligée en France – tentatives de suicide, automutilations, décomposition, addictions et développement de troubles psychiatriques.
Le délit de solidarité, quelque peu assoupli par l’Assemblée nationale, qui avait exempté de poursuites les personnes qui apportent une aide à la circulation aux migrants, a été rétabli dans sa version existante, continuant ainsi à criminaliser ceux d’entre nous qui apportent en toute fraternité aide et soutien aux exilés.
Un amendement adopté est, selon nous, particulièrement grave : il ouvre une brèche dans le droit du sol à Mayotte. Nous espérons que la commission mixte paritaire échouera précisément sur ce point et qu’un projet de loi en bonne et due forme permettra la tenue d’un vrai débat et la présentation par le Gouvernement de son ambition pour résoudre la crise qui sévit dans ce département français, sans remettre en cause notre droit de la nationalité.
Enfin, en matière de rétention, derrière sa cape de « défenseur des libertés », la commission des lois du Sénat avait introduit plusieurs mesures « d’assouplissement » revenant sur la disposition phare de Gérard Collomb, qui portait à 90 jours la durée maximale de rétention, et rétablissant le droit existant.
Néanmoins, en parallèle, la durée de la première phase de rétention administrative a été rallongée à cinq jours, contre quarante-huit heures actuellement. En outre, a été gravée dans la loi une durée maximale d’enfermement pour les mineurs avec leur famille de cinq jours, ce qui légalise de fait l’enfermement des mineurs avec leur famille sur notre sol.
En résumé, ce projet de loi et son examen au Sénat, mais aussi à l’Assemblée nationale, n’ont eu de cesse de déshumaniser le sujet dont il est question,…
M. Jacques Grosperrin. Carrément !
Mme Éliane Assassi. … à savoir les exilés, cette « chair humaine » dont l’Italie ne veut pas.
La grande majorité des amendements du groupe communiste républicain citoyen et écologiste ont été rejetés. Ils ne portaient pourtant pas une idée très révolutionnaire de notre politique migratoire ; il s’agissait simplement d’améliorer les conditions de vie et d’accueil des personnes, en respectant l’intérêt supérieur de l’enfant, en veillant notamment aux droits fondamentaux – un toit, la santé et les besoins alimentaires, ainsi que, éventuellement, les mêmes droits de recours que pour tout justiciable, et un accès facilité au travail.
En outre, ces amendements tendaient à garantir le respect des principes fondamentaux auxquels notre pays a souscrit dans sa Constitution et dans ses engagements internationaux. Dans une Europe en proie à la montée des nationalismes, la France doit prendre ses responsabilités et réaffirmer les valeurs qu’elle a toujours portées, celles qui fondent notre République.
La Banque mondiale estime à 148 millions le nombre de réfugiés climatiques à l’horizon de 2050 ; cinq millions d’entre eux pourraient venir en Europe.
M. Stéphane Ravier. Cela promet !
Mme Éliane Assassi. Nous ne pourrons pas les laisser voguer indéfiniment sur les mers et les océans, comme le souhaiteraient certains, ici.
M. Stéphane Ravier. Ben voyons !
Mme Éliane Assassi. Qu’en ferons-nous ?
M. Stéphane Ravier. Accueillez-les chez vous !
Mme Éliane Assassi. Une chose est sûre, ce projet de loi auquel nous demeurons opposés ne propose aucune issue à ce défi humanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’histoire s’est accélérée en une semaine. Depuis mardi dernier, notre débat a témoigné d’un malaise, il ne faut pas le cacher. Il a témoigné de notre interrogation face aux migrations, ainsi que face à une remise en cause de la construction européenne, mais aussi des modes de régulation pensés par les Européens depuis longtemps, tant pour eux que pour la scène internationale.
Quand l’histoire s’accélère, elle exige la clarification, et le mérite de cette semaine de débats est là : elle nous a sortis de notre zone de confort politique pour nous obliger, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, à clarifier notre pensée et notre action. Pour les centristes, cette clarification passe par l’Europe ; vous le savez, c’est notre première idée directrice : plus d’Europe, une Europe plus forte et plus aboutie. La solution en matière d’asile et d’immigration ne sera pas franco-française, elle sera européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Que l’on parle de FRONTEX, de la révision du règlement de Dublin, des centres fermés, de zones d’attentes de centres d’accueil dans les pays d’origine, de la définition du droit d’asile – nous pourrions continuer la liste –, nous sommes interdépendants. Exprimée autrement, notre conviction est que la souveraineté française trouve aujourd’hui sa pleine expression, sa pleine mise en œuvre, dans une souveraineté partagée.
Et il y aura, chers collègues, une solution européenne ; nous vous faisons confiance, madame la ministre, nous faisons confiance au Gouvernement et nous faisons bien entendu confiance au Président de la République – chacun sait combien il est moteur sur tous les sujets dits « de construction européenne » –,…
Mme Éliane Assassi. Apparemment, cela ne marche pas !
M. Philippe Bonnecarrère. … pour faire aboutir une solution.
L’idéal serait d’avoir un accord européen sur le fond, à vingt-sept ou à vingt-huit ; admettons-le, c’est probablement inaccessible à l’heure actuelle. La deuxième solution, prévue par les traités européens, résiderait dans une coopération renforcée, la fameuse « Europe à plusieurs vitesses » avec un premier noyau qui ferait le choix d’aller plus loin, en rappelant que le droit d’asile n’est pas soumis à règle de l’unanimité par le traité de l’Union européenne. (M. Michel Canevet applaudit.) La troisième solution, la plus probable et la plus rapide, serait de conclure des accords intergouvernementaux.
Mes chers collègues, quelle que soit la solution, celle-ci aura une traduction législative, ce qui me conduit à la deuxième idée directrice du groupe Union Centriste, qui consiste à analyser le texte qui nous est soumis comme un texte de transition, lequel aurait d’ailleurs mérité, en raison de sa forte dimension sociétale, de ne pas subir l’usage de la procédure accélérée – la sincérité est autorisée dans cet hémicycle. Nous serons en effet sans nul doute saisis assez vite d’un autre texte, qui sera alors la trentième réforme depuis 1980.
Cette absence de pérennité peut être regrettée, mais elle ne nous surprend pas ; la solution se situe en effet à une autre échelle. Néanmoins, cela pose aussi une autre question, celle du long terme, troisième idée directrice de notre groupe. Notre pays a réagi à des crises successives, notamment en 2015. Le terme de « crise » n’est d’ailleurs plus adapté ; nous affrontons un problème de long terme, des migrations qui ont changé de nature et qui s’inscrivent dans la durée. La réponse aux migrations sera la responsabilité de toute une génération.
Nous voterons le texte proposé, même si notre ligne de crête « ni angélisme ni surenchère » a connu quelques défaillances. Sans entrer dans le détail technique, nous le voterons comme une proposition, en ayant la volonté farouche de voir aboutir la future commission mixte paritaire. Sur un sujet aussi grave, à cet instant précis, un échec de la commission mixte paritaire serait une solution perdante tant pour le Gouvernement que pour le Parlement.
Ne vous trompez donc pas sur le décompte des voix qui sera annoncé tout à l’heure.
Chers collègues partenaires de la majorité sénatoriale, le groupe Union Centriste n’adopte pas et n’adoptera pas un contre-projet à celui du Gouvernement.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Philippe Bonnecarrère. Nous adoptons une base de négociation pour un rapprochement souhaité avec l’Assemblée nationale, dans le respect de chacun, sur un sujet, à notre sens, d’unité nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Chers collègues communistes ou socialistes (Ah ! sur diverses travées.), si nous n’avons pas soutenu vos salves d’amendements, nous reconnaissons que vous nous avez posé une très bonne question : jusqu’à quel point l’adoption de mesures plus restrictives est-elle de nature à redonner confiance à nos concitoyens et à éviter la progression des populismes ?
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Philippe Bonnecarrère. Où est la limite qui ferait de nous les otages d’une surenchère permanente ? Notre réponse, en particulier sur le droit d’asile, est l’État de droit – non pas la morale ni des valeurs non définies, mais bien des règles de droit précisées au cours des décennies par nos Constitutions successives, par des principes fondamentaux à valeur constitutionnelle, par les règles conventionnelles. C’est la définition même de l’État de droit et notre meilleure garantie face aux peurs et à l’émotion.
Je vous renouvelle, madame la ministre, notre confiance pour nous aider à trouver un accord en commission mixte paritaire, même si les réactions que j’ai pu observer cet après-midi n’en sont pas forcément un élément facilitateur… (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Ouverture du scrutin public solennel
M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dans le texte de la commission, modifié.
Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.
Je remercie nos collègues Éric Bocquet, Jacky Deromedi et Françoise Gatel, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je suspends la séance jusqu’à seize heures vingt-cinq, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 171 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 197 |
Contre | 139 |
Le Sénat a adopté, dans le texte de la commission modifié, le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
La parole est à Mme la ministre.