M. Jean-Yves Leconte. Les auteurs de cet amendement proposent d’abroger le délit de solidarité, sans affaiblir l’arsenal juridique contre les passeurs, qui font commerce de la détresse des migrants.
En dépit des modifications successives apportées par le législateur, la pénalisation des actions menées par des citoyens à l’égard des migrants dans la détresse demeure.
De fait, la pénalisation de l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers a été déviée de sa cible. Elle devait avoir pour objectif de poursuivre et sanctionner les personnes et organisations qui font avec les réfugiés un trafic humain lucratif, exploitant la misère et maintenant dans un état de dépendance les personnes qui souhaitent entrer sur le territoire français pour faire valoir leur droit à l’asile.
Les modifications apportées au dispositif par l’Assemblée nationale ne sont qu’une rustine, qui n’empêchera aucunement les humanitaires, bénévoles et citoyens d’être poursuivis et, le cas échéant, condamnés, alors même qu’ils ont agi sans contrepartie et guidés par le seul désir de porter secours à des hommes, des femmes et des enfants.
Le mécanisme d’exemption prévu à l’article L. 622-4 est complexe et ambigu. Il fait régulièrement la preuve de son inefficacité, en faisant condamner des citoyens qui, de toute évidence, ne sont pas des passeurs. Il faut donc changer de logique : rompre avec une logique d’exemptions et redéfinir globalement l’incrimination d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers.
Tel est l’objet de cet amendement, qui intègre deux éléments constitutifs pour qualifier l’infraction. D’une part, le caractère intentionnel de l’acte : il devra être prouvé que les intéressés ont agi dans l’intention de commettre l’infraction. D’autre part, le caractère lucratif, car les actions menées à titre gratuit, sans recherche de profit, signifient qu’elles poursuivent une ambition humanitaire et ne peuvent donc être poursuivies.
En vertu de la rédaction que nous proposons, les passeurs qui agissent avec l’intention de commettre une infraction et dans un objectif de profit continueront à être poursuivis et condamnés. À leur égard, l’État ne doit faire preuve d’aucune indulgence. Cet amendement ne fait preuve d’aucune indulgence à leur endroit. En revanche, nous redéfinissons le cadre, de manière à abroger complètement le délit de solidarité.
Mme la présidente. L’amendement n° 95, présenté par M. Antiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° L’article L. 622-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 622–1. – Toute personne qui aura sciemment facilité ou tenté de faciliter l’entrée ou le séjour irréguliers d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 €.
« Sera puni des mêmes peines celui qui, quelle que soit sa nationalité, aura commis le délit défini au premier alinéa du présent article alors qu’il se trouvait sur le territoire d’un État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 autre que la France.
« Sera puni des mêmes peines celui qui aura sciemment facilité ou tenté de faciliter l’entrée ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un autre État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990.
« Sera puni des mêmes peines celui qui aura sciemment facilité ou tenté de faciliter l’entrée ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000.
« L’infraction n’est pas constituée lorsque l’acte de facilitation est commis à titre gratuit ou lorsque la contrepartie n’est pas manifestement disproportionnée. » ;
2° Le 6° de l’article L. 622-3 est abrogé ;
3° L’article L. 622-4 est abrogé.
La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. Depuis 2014, les poursuites et condamnations contre des citoyennes et citoyens solidaires avec les personnes étrangères se sont multipliées en France, y révélant la persistance du délit de solidarité.
Alors qu’il était prévu que l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permette de pénaliser les personnes et les organisations qui font du passage illégal des frontières un business hautement lucratif, force est de constater aujourd’hui qu’il sert toujours à poursuivre, voire à condamner, celles et ceux qui, par solidarité, refusent de laisser sur le bord de la route des personnes étrangères démunies.
En 2012, la loi Valls promettait la fin de ce délit de solidarité avec l’extension des critères d’immunité. Dans les faits, les poursuites et les condamnations de citoyens et de citoyennes solidaires se sont multipliées, par exemple dans le Calaisis, à Paris, dans la vallée de la Roya, à Briançon et ailleurs. C’est pourquoi ma proposition prend en considération les contraintes découlant de la directive du 28 novembre 2002, qui oblige les États membres à pénaliser l’aide à l’entrée, au transit et au séjour, sauf but humanitaire ou absence de but lucratif, en maintenant cette qualification spécifique, mais en délimitant beaucoup plus nettement son champ d’application. Plus précisément, il s’agit d’exclure du champ des poursuites, de manière véritablement explicite, les actions purement désintéressées ou qui relèvent de la fourniture normale d’un bien ou d’un service.
De plus, le mécanisme de l’immunité institué à l’article L. 622-4, complexe et ambigu, ayant démontré son inefficacité, la définition de l’infraction serait modifiée, à travers notamment la suppression de la notion d’aide, la notion de circulation, l’interdiction de territoire français et le remplacement de la mention « directe ou indirecte » par le terme « sciemment », figurant dans la directive.
Cet amendement répond donc à l’objet de la directive et permet de redonner tout son sens à l’infraction pénale, qui vise à lutter contre les réseaux de passeurs et l’exploitation subie par les personnes migrantes, tout en excluant de son champ les actes de solidarité à l’égard des personnes étrangères en situation irrégulière.
Mme la présidente. L’amendement n° 504, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « aide », sont insérés les mots : « à la circulation ou » ;
2° Le 3° est ainsi rédigé :
« 3° De toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché a consisté à fournir des conseils et de l’accompagnement, notamment juridiques, linguistiques ou sociaux, ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci, ou bien tout transport directement lié à l’une de ces exceptions, sauf si l’acte a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ou a été accompli dans un but lucratif. » ;
3° Au dernier alinéa, après le mot : « aide », sont insérés les mots : « à la circulation ou ».
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Cet amendement vise à revenir au texte de l’Assemblée nationale.
Le CESEDA comprend déjà un certain nombre de dispositions prévoyant une immunité pour un certain nombre de personnes, pour des actions qui sont précisées. Nous avons décidé d’étendre l’immunité à deux types d’actions : le transport pour des raisons humanitaires et les prestations d’accompagnement social ou linguistique.
S’agissant en revanche des personnes qui, pour des raisons non pas de business, mais, éventuellement, idéologiques, pensent qu’on doit abolir les frontières et agissent pour que des gens puissent entrer en France de manière illégale, il n’est évidemment pas question pour nous de les laisser faire et de ne pas les sanctionner.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 381 rectifié est présenté par MM. Amiel et Lévrier.
L’amendement n° 539 rectifié est présenté par M. Arnell, Mmes M. Carrère et Costes, MM. Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gold, Guérini et Guillaume, Mmes Guillotin et Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville, Requier et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante
L’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « aide », sont insérés les mots : « à la circulation ou » ;
2° Le 3° est ainsi rédigé :
« 3° De toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché a consisté à fournir des conseils et de l’accompagnement, notamment juridiques, linguistiques ou sociaux, ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci, ou bien tout transport directement lié à l’une de ces exceptions, sauf si l’acte a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ou a été accompli dans un but lucratif. »
L’amendement n° 381 rectifié n’est pas soutenu.
La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l’amendement n° 539 rectifié.
M. Guillaume Arnell. Actuellement, la qualité de l’accueil des demandeurs d’asile en France repose essentiellement sur la grande implication d’un tissu de bénévoles très actifs. Leur action se substitue dans bien des cas à celle de l’État. L’engagement de certains d’entre eux les conduit parfois à vouloir faire changer les lignes de la politique d’accueil et pallier les limites du système non coopératif de Dublin. Ils ne sauraient toutefois être assimilés aux passeurs, qui exploitent des vies humaines sans états d’âme. Vis-à-vis de ces passeurs, la réponse devrait être plus ferme qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Dans la perspective d’aider les aidants, la modification de l’article L. 622-4 du CESEDA adoptée par l’Assemblée nationale nous paraît avoir atteint un équilibre acceptable. C’est pourquoi nous proposons de la rétablir.
Mme la présidente. L’amendement n° 472 rectifié, présenté par M. Ravier, n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements restant en discussion ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je note qu’il y a d’abord un problème d’emploi des mots : il ne s’agit pas du délit de solidarité, mais du délit d’aide au séjour irrégulier sur le territoire national. Utilisons les mots justes !
Ce délit permet de poursuivre les réseaux mafieux et ceux qui font commerce de leur mise en place – Dieu sait s’ils sont nombreux –, mais aussi, grâce au discernement des procureurs, de ne pas poursuivre ceux qui, de façon spontanée, généreuse, sans arrière-pensée de réseau à construire ou de bénéfice à retirer, apportent, à un moment ou à un autre, un soutien à un étranger en situation irrégulière. Ce que chacun d’entre nous serait tout à fait capable de faire – et ferait d’ailleurs sans aucun doute.
L’Assemblée nationale a introduit quelques dispositions qui affaibliraient ce délit, notamment l’élargissement de l’aide à la circulation et celle du conseil aux dimensions sociales, linguistiques et autres. En ouvrant ainsi le champ, on affaiblirait le dispositif et on gênerait nos procureurs – il faut dire les choses telles qu’elles sont.
Que disent nos services quand on les interroge ? Globalement, ils souhaitent tous garder le dispositif tel qu’il existe aujourd’hui, qui leur permet de poursuivre ou de ne pas poursuivre, selon les éléments de preuve dont ils disposent sur le comportement des personnes. Sachez, mes chers collègues, que de nombreuses filières ont été démantelées : un peu plus de 275 l’année dernière. En 2016, 764 condamnations ont été prononcées pour aide à l’entrée et au séjour irréguliers et 320 pour infraction aggravée.
C’est là qu’est le sujet ! Qui sont ces passeurs ? Ceux qui, par exemple dans la vallée de la Roya, avec des véhicules qu’on appelle aujourd’hui des SUV, dont ils enlèvent les sièges, transportent dix-sept personnes et touchent 15 000 euros par passage. Ainsi, dans les Hautes-Alpes, nous savons qu’il existe une organisation très puissante entre l’Italie et la France, avec des réseaux extrêmement forts et même des bénévoles qui, manipulés, participent de façon tout à fait involontaire à des réseaux mafieux.
Pour ces raisons, la commission des lois a émis un avis défavorable sur tous les amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. L’avis est défavorable, sauf, bien sûr, s’agissant de l’amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Permettez-moi de reprendre la parole quelques minutes sur ce sujet éminemment important.
L’état des forces en présence est clair : la gauche souhaite une réelle abrogation du délit de solidarité ; la droite opte pour le maintien du droit existant, et l’exécutif, soutenu par la majorité présidentielle et le RDSE, nous propose une révision en trompe-l’œil du délit de solidarité.
Avant que, toutes et tous, nous nous prononcions en votant sur les différents amendements qui nous sont soumis, il me semble important de vous rappeler, mes chers collègues, qu’il ne s’agit pas ici de polémiquer sur les orientations de la politique migratoire. Il s’agit de montrer le véritable harcèlement dont sont victimes des femmes et des hommes qui font preuve d’humanité envers leurs semblables et d’y mettre un terme.
Ce n’est pas la première fois que, devant l’émotion provoquée par les vagues de poursuites et de condamnations de personnes solidaires, le ministre de l’intérieur en poste prétende abroger cette incrimination indigne. Chevènement, Sarkozy, Besson et Valls, tous ont annoncé, depuis vingt ans, la fin du délit de solidarité. Il n’en a rien été, et nombreux sont ceux qui pourraient en témoigner aujourd’hui.
Ces solidaires, ces aidants, je les ai rencontrés partout en France, et ils sont loin de la caricature que certains veulent bien en faire. Ils sont retraités, infirmières, professeurs ou agriculteurs ; ils ont des valeurs humanistes avant tout, qu’ils soient de gauche ou de droite, et considèrent qu’un migrant est avant tout un être humain.
Vous ne ferez pas exception, monsieur le ministre d’État, le dispositif que vous nous proposez est voué à produire les mêmes effets que les précédents prétendus assouplissements. Aussi, je vous demande, mes chers collègues, quelles que soient vos convictions en matière d’accueil des exilés, d’envoyer un message fort à nos concitoyens, un message de solidarité et de fraternité en adoptant l’amendement que je propose avec mon groupe.
Pour finir, je tiens à vous dire, monsieur le rapporteur, que vous avez de nouveau fait, probablement exprès, la confusion entre passeurs et solidaires.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je suis évidemment d’accord avec le rapporteur.
Il existe en France le délit de non-assistance à personne en danger, que chacun d’entre nous, je crois, connaît par cœur. Faire acte d’humanité, c’est éviter de se rendre coupable du délit de non-assistance à personne en danger. Et jamais un procureur ne poursuivra quelqu’un aidant un migrant légal ou illégal qui serait dans une détresse humaine catastrophique !
Avec ce texte de loi, tel que la commission des lois l’a adopté, il s’agit de lutter fermement contre tous ces trafiquants d’humains.
M. Gérard Longuet. Exactement !
M. Jérôme Bascher. C’est contre eux que nous voulons lutter, et c’est le sens de tous les amendements que le Sénat a tenté de porter.
Vous dites que nous durcissons la législation, mais nous ne voulons pas durcir l’accueil du demandeur d’asile ou du migrant économique ; nous voulons casser les esclavagistes modernes,…
M. Gérard Longuet. Absolument !
M. Jérôme Bascher. … ceux qui exploitent la pauvreté partout dans le monde.
Je le répète, chacun de nous connaît le principe de non-assistance à personne en danger, et, sur toutes ces travées, nous le défendrons toujours. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Ça n’a rien à voir !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est pas ça, la non-assistance à personne en danger !
M. Jérôme Bascher. C’est aussi ça !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Madame Benbassa, je vous remercie de votre explication de vote, que je voudrais compléter.
Nous sommes tous attachés ici à trouver la bonne définition pour caractériser un délit visant l’activité de l’ensemble des trafiquants. Nous avons essayé, mais certains parquets ont interprété la notion de bénéfices retirés d’une action menée lors d’un passage de frontière de telle façon que des militants ayant secouru des gens qui tentaient de passer la frontière entre l’Italie et la France dans la montagne se sont vu accuser de rechercher un bénéfice militant à leur action. C’est sur ce fondement qu’ils ont été poursuivis, ce qui n’est pas normal. C’est pourquoi on ne peut pas en rester à la définition actuelle.
On pourrait se dire aussi que tout dépend de la manière dont fonctionnent les parquets et, que, finalement, la définition d’un délit bien ciblé sur les passeurs évitant de mener à la condamnation de tout acte solidaire n’est pas évidente. En effet, il y a une palette d’actions ; tout n’est pas blanc ou noir. C’est très compliqué, car cela demande une loi bien ciselée et des parquets qui l’interprètent de manière honorable.
Compte tenu de ce qui s’est passé depuis deux ans, on voit bien que la loi du 31 décembre 2012 n’a pas réussi, contrairement à ce que nous souhaitions, à supprimer le délit de solidarité. Nous proposons donc des évolutions dans la définition de ce délit.
La proposition du Gouvernement, finalement, est un peu dans le même esprit que ce que nous avions fait en décembre 2012 : elle essaie de redéfinir les exemptions. Mais, en inscrivant la notion de « contrepartie directe ou indirecte », on sait d’expérience que les parquets vont continuer à poursuivre un certain nombre de personnes ayant agi pour des motifs de solidarité et non avec des motivations de passeur. Il importe donc de voter l’un de ces amendements. Le nôtre vise à redéfinir le délit de passage.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.
M. Sébastien Meurant. Les mots ont un sens. Lorsqu’on parle de nouveaux Justes, de qui se moque-t-on ? Les Justes, pendant la guerre – faut-il le rappeler ici ? –, risquaient leur vie pour aider les juifs ou ceux qui étaient persécutés par les nazis.
Employer ces termes aujourd’hui dans cet hémicycle est complètement indigne. Que risquent-ils maintenant ? D’aller à Cannes avec un beau costume et un nœud papillon, de passer au journal de 20 heures comme des stars ?
Une idéologie mortifère pour le pays est à l’œuvre ; elle est en train de déliter la Nation.
Mme Esther Benbassa. C’est honteux !
M. Sébastien Meurant. C’est une chaîne de responsabilités : elle va de l’esclavagiste qui contribue à faire passer la Méditerranée pour 3 000 euros environ jusqu’à ceux qui, en France, en Italie, vont chercher les migrants, les clandestins. Ils ne peuvent pas l’ignorer ! Et on voudrait nous faire croire que ça n’est pas militant ? Ils font partie de la chaîne du trafic d’êtres humains. En se comportant ainsi, ils en sont les complices et, à ce titre, ils doivent être condamnés sévèrement.
Lorsque nous sommes allés, à plusieurs, dans les Hautes-Alpes, nous avons vu, comme je l’ai dit hier soir, des personnes équipées de pied en cap, avec des téléphones. On nous a dit qu’elles étaient prises en charge par des No Border, c’est-à-dire des personnes qui veulent délibérément enfreindre nos lois.
Mme Esther Benbassa. Mais de quoi parlez-vous ?
M. Sébastien Meurant. Ces jeunes sont prêts à dire n’importe quoi. Sont-ils majeurs, sont-ils mineurs ? Il revient à l’État de dire s’ils sont mineurs et ce qu’il faut en faire après.
Ils sont aussi responsables que les autres. Je dirai même plus, parce qu’ils ont conscience de leurs responsabilités. En les défendant, vous mettez en difficulté l’État, dont l’action est déjà entravée par le droit européen et la jurisprudence. Mais ouvrez les yeux sur ce qui se passe en Europe ! L’Europe est en train de craquer sur cette question migratoire, même en Allemagne, même en Italie, deux pays fondateurs de l’Europe. Bientôt viendra le tour de la France, et les Français ne pourront pas le supporter non plus.
Ils sont complices ! En l’occurrence, il ne s’agit pas d’un délit de solidarité, il s’agit de faciliter des infractions ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je veux simplement signaler que mes collègues Amiel et Lévrier avaient déposé un amendement identique à celui de M. Arnell. Aussi, même s’ils n’ont pas pu le défendre aujourd’hui, ils partagent la même position. À titre personnel, je suis plus réservé.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Ne faisons pas d’amalgame. La liberté de penser…
M. Jérôme Bascher. Ce n’est pas la liberté d’agir !
M. Guillaume Arnell. Vous dites ce que vous voulez, mon cher collègue. Pour ma part, j’estime que chacun est libre de penser ce qu’il veut.
L’amendement défendu par le groupe du RDSE a pour objet d’inviter à l’indulgence vis-à-vis de ceux qui aident des personnes dans la détresse, sans s’occuper de savoir s’il s’agit de clandestins ou pas, et de sanctionner beaucoup plus sévèrement qu’aujourd’hui ceux qui vivent de la détresse des uns et des autres. Dieu sait que nous sommes bien placés pour savoir de quoi nous parlons.
Monsieur le ministre d’État, je pensais que notre argumentaire allait dans le même sens que le vôtre. On nous dit parfois que le RDSE ne soutient pas assez le Gouvernement, en tout cas sur ce texte. Souvent, j’ai envie de vous soutenir ; souvent, je tends la main, mais, parfois, j’ai du mal à comprendre les arguments que vous opposez à nos amendements.
Dans ce cas précis, vous avez dit que vous étiez défavorable à tous les amendements, à l’exception du vôtre. Or le RDSE ne demande qu’à rétablir ce que vous avez proposé à l’Assemblée nationale. Alors, je ne comprends pas. À la limite, j’aurais compris que vous me demandiez de retirer notre amendement au profit de celui du Gouvernement…
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Mes chers collègues, on ne peut pas continuer à confondre le bénéfice, l’enrichissement personnel de quelques-uns, que nous dénonçons tous, avec un acte militant, qui ne donne de bénéfice que l’honneur.
Je ne pense pas qu’on puisse qualifier le délit de solidarité de mortifère. Au contraire, ces gens qui prennent le risque d’être confrontés à de graves difficultés face à la justice sauvent l’honneur de notre République, en ces temps où on assiste à des débats extrêmement inquiétants.
On ne peut considérer comme vous le faites, mon cher collègue Bascher, que l’assistance à personne en danger peut être invoquée, parce que, malheureusement, bien souvent, personne n’est là pour voir que telle ou telle personne est dans une situation grave. Si la personne qui peut aider passe son chemin en se disant qu’elle risque de se retrouver devant les tribunaux, il n’y aura plus personne.
M. Jacques Grosperrin. Sortez de votre angélisme !
Mme Sophie Taillé-Polian. Aujourd’hui, je le répète, les gens qui prennent des risques sont l’honneur de notre République. Aussi, nous pensons qu’il est grand temps d’aller plus loin que ce qui avait déjà été fait pour que ces situations cessent.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je vais vous dire comment je vois les choses.
On peut décider de sanctionner une idéologie fondée sur des valeurs humanistes. Il n’y a en effet aucune relation vénale dans les cas dont nous parlons, ce qui fait consensus parmi nous. On parle d’hommes, de femmes, de jeunes qui sont dans une logique non marchande : ils n’organisent pas un marché ou un trafic ; ils ont une idéologie, que l’on peut ou non partager.
M. Roger Karoutchi. Laquelle ?
M. Pascal Savoldelli. Au Sénat, aujourd’hui, nous avons la responsabilité de dire si cette idéologie est ou non contraire à l’esprit républicain. Voilà de quoi il s’agit, et non de pousser des cris d’orfraie. Je le répète, nous devons décider si nous sommes en présence d’une idéologie et si elle est contraire à l’esprit républicain.
M. Jacques Grosperrin. C’est le projet commun qui fait la République !
M. Pascal Savoldelli. Notre réponse laissera une trace dans l’histoire. Souvenons-nous des moments où nous nous sommes rassemblés face à des idéologies contraires à l’esprit républicain. Mais, là, ce n’est pas le sujet : nous sommes en présence de gens qui accompagnent sans relation vénale, sans relation de domination, sans relation d’aliénation et sans relation d’exploitation.
Je pense qu’on pourrait faire preuve de sagesse – un terme qu’on utilise en n’y mettant pas toujours le même sens – et de responsabilité sur le sujet, sans y intégrer d’autres appréciations, d’autres analyses, sur lesquelles nous avons des différences. Même si on peut évoluer devant certaines argumentations, là, franchement, sanctionner des hommes et des femmes qui accompagnent d’autres personnes dans un moment de détresse, c’est une lourde responsabilité.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Ah ! Là, ça va être solennel !
M. Roger Karoutchi. Nous sommes en France et en 2018, pas en 1940.
Nous sommes en France, et c’est une démocratie.
Nous sommes en France, et nous votons.
Nous sommes en France, et il y a un parlement, un gouvernement, des lois. Et ces lois – elles plaisent ou pas ; il y a d’ailleurs des majorités et des minorités – sont l’expression démocratique du peuple français ! C’est la seule expression qui vaille de par le droit.
Quand vous comparez au passé, franchement, vous devriez faire preuve d’un peu de sérénité.