M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Même avis, car l’amendement est satisfait.

M. le président. Monsieur Savoldelli, l’amendement n° 36 est-il maintenu ?

M. Pascal Savoldelli. Si d’autres collègues pensent qu’il faut retirer cet amendement, nous le retirerons… (Oui ! sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Soit, nous le retirons !

M. le président. L’amendement n° 36 est retiré.

L’amendement n° 578, présenté par M. Buffet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 10

Compléter cet alinéa par le mot :

français

II. – Alinéas 11 et 13, seconde phrase

Après le mot :

traitements

insérer le mot :

automatisés

La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 578.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° 198 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et Jacques Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéas 14 à 25

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Les alinéas 14 à 25 de l’article 4 donnent l’illusion de renforcer la sévérité en imposant à l’Office de mettre fin de sa propre initiative au statut de réfugié lorsque la personne concernée relève de l’une des clauses de cessation. Ainsi, à l’article L. 712-2, concernant le refus de protection subsidiaire, les mots « peut être » sont remplacés par le mot « est ». De même, la nouvelle rédaction de l’article L. 712-3 impose à l’Office de mettre fin au bénéfice de la protection subsidiaire lorsque les circonstances ayant justifié l’octroi de cette protection ont cessé d’exister.

L’Office se voit retirer toute marge d’appréciation. C’est pourquoi nous proposons de supprimer les modifications apportées aux articles L. 711-4, L. 712-2 et L. 712-3.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je me suis déjà exprimé sur la compétence liée de l’OFPRA. Je ne vais donc pas refaire la démonstration.

Il appartient à l’OFPRA d’apprécier les faits et d’en tirer les conséquences : en l’occurrence, le refus du statut de réfugié lorsque les conditions ne sont pas réunies pour qu’il soit accordé.

L’avis est donc défavorable

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Par cohérence, l’avis est défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Madame la ministre, je suis très étonné de votre avis, qui semble signifier que le Gouvernement se méfie de l’OFPRA…

Pis, vous rendez-vous compte qu’en remplaçant « peut mettre fin » par « doit mettre fin » ou « met fin », de sa propre initiative ou à la demande de l’autorité administrative, au statut de réfugié, vous exposez l’État français à des poursuites dans le cas où un citoyen français se dirait victime d’un réfugié à qui l’OFPRA aurait dû, en vertu de cette rédaction nouvelle, retirer le statut de réfugié ? Je crains que vous n’ayez pas complètement mesuré cela. J’aurais mieux compris que, n’étant pas à l’origine de cette modification, vous jugiez préférable de revenir au texte initial.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 198 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.

(Larticle 4 est adopté.)

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
Article 5 (interruption de la discussion)

Article 5

I. – Le titre II du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :

1° AA (nouveau) À l’article L. 721-4, après la première occurrence du mot : « sexe », sont insérés les mots : « , par pays d’origine et par langue utilisée » ;

1° A Au quatrième alinéa de l’article L. 722-1, après le mot : « femmes », sont insérés les mots : « , quelle que soit leur identité de genre ou leur orientation sexuelle » ;

1° B (nouveau) Au huitième alinéa de l’article L. 722-1, après le mot : « enfants », sont insérés les mots : « ou une association de défense des personnes homosexuelles ou des personnes transgenres » ;

1° C (nouveau) Le chapitre II est complété par un article L. 722-6 ainsi rédigé :

« Art. L. 722-6. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles l’Office émet par tout moyen les convocations et notifications prévues au présent livre ainsi qu’au livre VIII. Il fixe notamment les modalités permettant d’assurer la confidentialité de la transmission de ces documents et leur réception personnelle par le demandeur. » ;

1° L’article L. 723-2 est ainsi modifié :

a) Au 3° du III, les mots : « cent vingt » sont remplacés par les mots : « quatre-vingt-dix » ;

b) (nouveau) À la seconde phrase du V, après le mot : « accélérée », sont insérés les mots : « , sauf si le demandeur est dans la situation mentionnée au 5° du III, » ;

2° L’article L. 723-6 est ainsi modifié :

a) À la première phrase du premier alinéa, après le mot : « convoque », sont insérés les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et la réception personnelle par le demandeur, » ;

b) La seconde phrase du sixième alinéa est ainsi rédigée : « Il est entendu, dans les conditions prévues à l’article L. 741-2-1, dans la langue de son choix ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante. » ;

b bis) À la première phrase du huitième alinéa, après le mot « sexe », sont insérés les mots : « , l’identité de genre » ;

c) Après le même huitième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque cela est justifié pour le bon déroulement de l’entretien, le demandeur d’asile en situation de handicap peut, à sa demande et sur autorisation du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, être accompagné par un professionnel de santé ou par le représentant d’une association d’aide aux personnes en situation de handicap. » ;

3° La première phrase du premier alinéa de l’article L. 723-8 est complétée par les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur » ;

4° Au cinquième alinéa de l’article L. 723-11, après le mot : « asile », sont insérés les mots : « est effectuée par écrit, par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur, et » ;

4° bis (nouveau) À la première phrase de l’article L. 723-12, les mots : « peut clôturer » sont remplacés par le mot : « clôture » ;

5° L’article L. 723-13 est ainsi modifié :

a) Au 1°, les mots : « n’a pas introduit sa demande à l’office dans » sont remplacés par les mots : « a introduit sa demande à l’office en ne respectant pas » ;

b) Après le 3°, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« 4° Le demandeur a abandonné, sans motif légitime, le lieu où il était hébergé en application de l’article L. 744-3.

« Par exception à l’article L. 723-1, lorsque l’étranger, sans motif légitime, n’a pas introduit sa demande, l’office prend une décision de clôture. » ;

c) Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« L’office notifie par écrit sa décision au demandeur, par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur. Cette décision est motivée en fait et en droit et précise les voies et délais de recours.

« Dans le cas prévu au 3° du présent article, la décision de clôture est réputée notifiée à la date de la décision. » ;

6° La première phrase de l’article L. 724-3 est complétée par les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur ».

II. – (Non modifié) La première phrase du premier alinéa de l’article L. 812-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complétée par les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur ».

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.

Mme Éliane Assassi. L’article 5, l’un des plus emblématiques de ce projet de loi, est de ceux qui cristallisent les critiques de l’ensemble des associations et acteurs du droit d’asile. Pour l’essentiel, il réduit le délai de dépôt d’une demande d’asile de 120 à 90 jours à compter de l’entrée sur le territoire afin que celle-ci soit examinée en procédure normale. Ce qui signifie que les demandes déposées après 90 jours seront toutes examinées en procédure accélérée.

Passer de quatre à trois mois pourrait sembler anecdotique, mais tant s’en faut : la procédure accélérée offre aux demandeurs d’asile des garanties bien moindres que la procédure normale. En particulier, l’OFPRA doit, dans ce cadre, statuer en quinze jours, délai qui ne permet pas d’approfondir l’instruction de la demande d’asile.

Ce choix va directement à l’encontre des mises en garde formulées dans son avis sur le projet de loi par le Défenseur des droits. Celui-ci souligne que, dans un contexte de saturation du dispositif national d’accueil, « rien ne garantit qu’il ne sera pas procédé à des placements injustifiés en procédure accélérée lorsque la personne en quête d’une protection internationale n’aura pas, du fait de la saturation du dispositif, pu déposer sa demande dans le délai imparti, sans toutefois pouvoir justifier de ses tentatives infructueuses ».

La possibilité d’accélérer l’examen de la demande est justifiée, y compris dans le rapport de M. Buffet, par l’article 8 de la directive Procédures. Toutefois, je vous rappelle que, comme le Défenseur des droits vous l’a signifié dans l’avis qu’il vous a remis, que la directive ne fixe aucun délai maximal au-delà duquel il y aurait lieu de supposer que la demande présente un caractère tardif. Ainsi, le droit interne va sur ce point déjà plus loin que ce qu’exige le droit européen, en prévoyant une présomption de tardiveté pour les demandes déposées au-delà de 120 jours.

De plus, cet article réduit ce même délai à 60 jours pour la Guyane, soit un mois de moins que pour la métropole. Nous y reviendrons dans la suite de la discussion, mais le développement du droit d’exception dans le CESEDA est injustifié et fait des territoires ultramarins des territoires de seconde zone.

En parallèle, dans le même objectif, cet article dispose que les convocations à l’OFPRA et les décisions de l’Office pourront désormais se faire « par tout moyen », y compris électronique, inévitablement au détriment des demandeurs d’asile, lesquels sont particulièrement vulnérables. Nous reviendrons sur ce point également dans le débat.

En définitive, cet article entrave le dépôt de la demande d’asile dans un délai raisonnable et ne permet pas la bonne information des demandeurs quant au sort qui leur est réservé. Pour toutes ces raisons, nous en demandons la suppression.

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.

M. Maurice Antiste. Cet article pose problème à plusieurs niveaux.

Ainsi, au 3° du III de l’article L. 723-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il réduit de 120 à 90 jours le délai avant placement en procédure accélérée, ce qui augmenterait mécaniquement le nombre de ces placements.

D’un point de vue pratique, en procédure normale, l’OFPRA dispose de six mois pour statuer après enregistrement du dossier et la CNDA de cinq mois après enregistrement du recours. En procédure accélérée, l’OFPRA dispose de quinze jours pour statuer après enregistrement du dossier et la CNDA de cinq semaines après enregistrement du recours. De plus, dans ce cas, l’affaire est jugée par un juge unique, non par une formation collégiale. Cette procédure est donc particulièrement désavantageuse pour les demandeurs d’asile.

Par ailleurs, la première phrase de l’alinéa 1er de l’article L. 723-6 prévoirait que l’OFPRA puisse convoquer le demandeur d’asile à l’entretien « par tout moyen ». En outre, toutes les décisions de l’Office pourraient être notifiées « par tout moyen garantissant la confidentialité ». Il s’agit de permettre la notification des décisions non plus uniquement par voie postale, mais aussi par voie dématérialisée : SMS, courriel et téléphone. Un tel élargissement des voies de notification des décisions de l’OFPRA ne va pas, bien sûr, sans poser des difficultés au regard de la situation de précarité dans laquelle se trouvent de nombreux demandeurs d’asile, certains sans accès direct à internet, d’autres sans téléphone, entre autres situations possibles.

Enfin, l’alinéa 6 de l’article L. 723-6 permettrait à l’OFPRA d’imposer aux demandeurs d’asile la langue dans laquelle ils seront entendus. En effet, il serait prévu que le migrant peut être entendu dans une langue « dont il a une connaissance suffisante ». Or, selon les associations accompagnant les migrants, il n’est pas rare qu’il soit imposé au demandeur une langue qu’il a déclaré comprendre lors de son enregistrement en préfecture, alors qu’il cherchait uniquement à manifester sa bonne disposition à l’intégration. Il est très malaisé pour un demandeur dans cette situation de se faire comprendre au mieux, de décrire son parcours, ses craintes légitimes en cas de retour dans son pays d’origine et, plus simplement, de défendre ses droits.

C’est pourquoi il est nécessaire, conformément à l’avis du Défenseur des droits, d’abandonner ces dispositions, de même que les alinéas 6 et 7 de l’article 7, par ailleurs contraires à l’esprit de la directive Procédures, puisque les modifications envisagées risquent de compromettre l’accès effectif du demandeur d’asile à la procédure.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. Le placement en procédure accélérée prive tout bonnement le justiciable de la collégialité devant la CNDA et raccourcit le délai de préparation du dossier, au détriment de la qualité de l’instruction. Vous l’aurez compris, nous pouvons ainsi craindre des traitements de dossier à la hâte et, de ce fait, des décisions éthiquement contestables.

Par cet article, ce sont les requérants qu’on pénalise dans la formation de leur requête, mais également l’instruction par les agents de la CNDA qu’on dessert, en imposant à ceux-ci une logique de rendement. Cette philosophie quantitative plutôt que qualitative devrait pourtant être proscrite dans le traitement administratif de ce type de dossiers.

La disposition de cet article autorisant l’OFPRA à adresser au requérant la convocation à son entretien individuel « par tout moyen » est injuste. Les rédacteurs du projet de loi méconnaissent-ils la réalité au point de croire que tous les exilés disposent d’un téléphone portable, d’une adresse pour recevoir un courrier postal ou d’internet pour se voir communiquer un courriel ? Je ne le pense pas. Je crois, hélas, que l’exécutif fait le pari cynique que le nombre de requérants déboutés sera ainsi multiplié, ceux-ci n’ayant pu défendre leur cause, faute de s’être rendus à leur entretien individuel à l’OFPRA.

Mes chers collègues, ces exilés qui ont fui la guerre, la misère, les dégradations climatiques ou l’instabilité politique méritent un traitement plus digne de leur demande d’attribution de titre de séjour qu’une procédure déshumanisée et mathématique.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.

M. Richard Yung. Je tiens à exprimer mon désaccord avec cet article tel qu’il est rédigé. Je considère en effet qu’il présente un risque d’affaiblissement des droits pour une majorité des demandeurs d’asile.

Ainsi, l’abaissement du délai de dépôt d’une demande d’asile à 90 jours ne peut avoir que des effets négatifs sur l’accueil du demandeur. On a déjà décrit la situation dans laquelle se trouvent les demandeurs d’asile qui arrivent sur notre sol. Il n’est pas raisonnable de penser qu’ils pourraient, en 90 jours, constituer de façon complète des dossiers aussi complexes que ceux prévus par le CESEDA.

En réalité, derrière cet abaissement du délai de dépôt, il y a une hausse du recours à la procédure accélérée. Aujourd’hui, 40 % des demandes d’asile suivent cette procédure ; il est tout à fait certain que, si l’article 5 est adopté, cette proportion augmentera de manière importante.

Plus de la moitié des demandeurs d’asile risquent donc de voir leur dossier examiné sous un régime dérogatoire au droit commun, qui présente un risque de prise en compte insuffisante des différentes circonstances éclairant leur situation. En effet, si l’OFPRA dispose en procédure normale d’un délai de six mois pour statuer sur une demande d’asile, ce délai est abaissé à quinze jours en procédure accélérée.

Pour toutes ces raisons, je suis hostile au présent article.

M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, sur l’article.

M. Patrice Joly. Comment ne pas s’opposer à cet article, qui affaiblit et détériore les garanties des droits fondamentaux des demandeurs d’asile ?

L’article 5 a pour objet la réduction des délais d’instruction des dossiers, actuellement de l’ordre de treize mois. Cet objectif pourrait être partagé, si les services concernés bénéficiaient pour cela de moyens adaptés.

Il est notamment proposé de réduire de 120 à 90 jours le délai à compter de l’entrée sur le territoire au-delà duquel le dépôt d’une demande d’asile peut entraîner l’examen de celle-ci selon la procédure accélérée. Or les moyens choisis pour atteindre ce but consistent exclusivement en une réduction des garanties procédurales, au détriment des demandeurs d’asile : augmentation du nombre de procédures accélérées, réduction des délais de recours devant la CNDA, fin du caractère suspensif de certains de ces recours, choix de la langue de la procédure, convocations envoyées par tout moyen et systématisation de la visioconférence pour les audiences.

Les demandeurs d’asile et les professionnels du droit d’asile ont déjà toutes les peines du monde à respecter le délai de 120 jours. Pensez-vous réellement que le délai de 90 jours soit tenable ?

La procédure accélérée raccourcit le délai de préparation du dossier, au détriment de la qualité de l’instruction ; elle prive en outre le justiciable de la collégialité devant la CNDA.

Toutes ces dispositions méconnaissent manifestement les droits de la défense et le droit à un procès équitable garantis par la convention européenne des droits de l’homme.

M. le président. La parole est à M. Didier Marie, sur l’article.

M. Didier Marie. Le Gouvernement et la majorité du Sénat veulent, comme l’ont expliqué les orateurs précédents, réduire de 120 à 90 jours le délai dans lequel le demandeur d’asile doit déposer sa demande. La main sur le cœur, on nous affirme que c’est pour réduire les délais d’instruction. Nous ne sommes pas tout à fait sûrs de l’objectif visé : s’agit-il de protéger au plus vite les demandeurs ou de leur rendre la vie plus difficile et de les décourager, eux et ceux qui seraient tentés, ultérieurement, de choisir la France ?

Le Gouvernement n’a pas avancé d’arguments convaincants pour justifier ce recul en matière de délai. En tout cas pas en faisant référence à la directive, qui ne fixe pas de délai limite pour qualifier les demandes de tardives.

Pourquoi revenir sur les 120 jours ? Pourquoi suspecter le demandeur de tarder ? Pour s’installer, pour frauder ?

C’est méconnaître la situation des demandeurs. Nombre d’entre nous, à l’occasion de ce projet de loi ou plus souvent, vont à leur rencontre et à celle des associations. Quand on fuit un conflit, qu’on y échappe dans la clandestinité et qu’on est maltraité, voire torturé, par les passeurs ou les autorités des pays de transit, quand on traverse la Méditerranée dans des conditions précaires, qu’on risque de chavirer, qu’on voit ses compagnons de voyage se noyer et qu’on franchit les Alpes en hiver pour échapper aux contrôles, on peut, au moment de penser à sa demande d’asile, avoir besoin d’un temps de répit.

Cette semaine, on m’a présenté le cas d’une jeune femme mauritanienne ayant fui son pays du fait d’une menace d’excision. Elle a rejoint en Seine-Maritime sa sœur, qui, elle, n’avait malheureusement pas pu y échapper. Son parcours fut dangereux. Alors qu’elle aurait pu bénéficier d’une protection, elle est restée terrée plusieurs mois chez sa sœur, dépassant les délais, incapable d’affronter les démarches.

Des histoires comme celle-là, il y en a des centaines. La plupart des demandeurs ont besoin de temps pour se reconstruire. À cela s’ajoutent la méconnaissance des procédures, la difficulté de comprendre et de se faire comprendre dans une langue maîtrisée, l’isolement, la précarité – 60 % des demandeurs ne sont pas hébergés – et l’absence de conseils, voire de mauvais conseils.

Le projet de loi complique encore les démarches, avec la dématérialisation et une langue imposée – nous y reviendrons.

M. le président. Il faut conclure, cher collègue !

M. Didier Marie. Passé 90 jours, ces personnes seraient placées sous le régime de la procédure accélérée, non pour mieux les protéger, mais pour simplifier l’examen de leur demande, donc rendre précaires leurs conditions d’accès à l’asile. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. L’amendement n° 6, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Cet article, comme mes collègues et moi-même l’avons déjà expliqué, comporte des dispositions affaiblissant considérablement les garanties et les droits fondamentaux des demandeurs d’asile. C’est pourquoi nous en souhaitons la suppression.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Vous ne serez pas surpris qu’il soit défavorable, puisque l’amendement tend à supprimer l’article 5.

Pour le principal, cet article réduit de 120 à 90 jours le délai au terme duquel une demande d’asile devient tardive. Je ne puis que souscrire à cette démarche, que le Sénat avait proposée dès 2015. L’objectif est d’assurer la célérité du traitement de la demande, afin de garantir le plus rapidement possible une protection aux personnes qui en ont besoin et évidemment d’exclure les demandes manifestement étrangères à un besoin de protection.

Je rappelle que ce délai de trois mois s’applique à l’enregistrement de la demande en préfecture, non au traitement du dossier.

S’agissant des convocations et des notifications des décisions de l’OFPRA envoyées au demandeur par tout moyen, il s’agit, il est vrai, d’un dispositif nouveau. L’OFPRA a assuré souhaiter mettre en place un dispositif pleinement compatible avec la garantie des droits des usagers.

Vous avez et nous avons raison de rappeler qu’il faut être certain que la décision de l’OFPRA parvienne au demandeur, afin qu’il puisse éventuellement former les recours possibles. La commission a d’ailleurs prévu un décret en Conseil d’État, qui devra préciser les modalités techniques permettant d’assurer la confidentialité de la transmission de ces documents et leur réception personnelle par le demandeur. C’est le moyen de sécuriser la proposition faite par le Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement est évidemment défavorable à l’amendement, puisque l’article 5 comporte un ensemble de mesures destinées à favoriser la réduction du délai de traitement des demandes, telles que la simplification des modalités de convocation et de notification des décisions et la réduction du délai laissé au demandeur pour déposer sa demande, une fois entré sur le territoire.

Cet article contient aussi des mesures protectrices, s’agissant notamment de la définition des pays d’origine sûrs et de la présence à l’entretien de protection d’une association spécialisée accompagnant le demandeur handicapé.

Supprimer l’article 5 irait à l’encontre des objectifs visés par le Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Compte tenu des dispositions contenues dans cet article, nous voterons bien évidemment l’amendement.

La procédure accélérée a vocation à permettre un traitement beaucoup plus rapide de la demande. Vous me direz : ce n’est pas nécessairement avec moins de droits. On peut regarder la manière dont cela se passe depuis 2015.

Avec le dispositif proposé par le Gouvernement et entériné par la majorité sénatoriale, la procédure accélérée entraînera un réel affaiblissement des droits. Ainsi, si vous êtes débouté à l’OFPRA et souhaitez saisir la CNDA, votre recours ne sera plus suspensif. Je le répète : relever de la procédure accélérée, ce sera subir un affaiblissement important de ses droits.

Comme plusieurs orateurs l’ont déjà souligné, la réduction de 120 à 90 jours du délai avant passage en procédure accéléré vise des personnes qui ont souvent subi des traumatismes. Nous avons tous vu ce qui s’est passé cette semaine avec les passagers de l’Aquarius. Dans tous les cas, après un départ motivé par des traumatismes et un voyage lui-même traumatisant, il faut un peu de temps pour se remettre et pouvoir agir normalement, à peu près rationnellement, après une phase absolument horrible.

Madame la ministre, si l’on veut accélérer le traitement des demandes, l’enjeu principal est l’accueil en préfecture et la capacité des plateformes à répondre rapidement. C’est ce qui a été le moins bien fait depuis 2015. Songez que des personnes qui demandent l’asile obtiennent un rendez-vous deux ou trois plus mois plus tard, parce que les préfectures ne sont pas capables de répondre plus vite. Là, je dis : il y a échec !

Avant d’en rejeter la responsabilité sur les demandeurs d’asile en leur demandant de déposer leur dossier dans les trois mois, il faudrait que les préfectures soient capables d’enregistrer ces dossiers dans le délai de trois jours imposé par la directive. Combien de préfectures respectent aujourd’hui ce délai ? Combien de plateformes sont aujourd’hui capables, après l’enregistrement des demandes, d’accompagner les demandeurs dans les délais pour qu’ils puissent tranquillement déposer leur récit ?