Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la secrétaire d’État, votre réponse est générale, alors que ma question portait précisément sur la décision de l’État concernant la connexion du parc d’activités de développement économique Laval-Mayenne au réseau autoroutier sur l’A81.

J’insiste sur l’utilité de ce projet et, plus généralement, sur la nécessité pour les territoires ruraux, pour un département comme la Mayenne, d’être connectés aux autoroutes qui traversent le territoire et d’avoir un réseau routier de qualité, comme nous le verrons lors de l’examen du projet de loi d’orientation sur les mobilités.

Ainsi, si la route nationale 162 ne fait pas partie des priorités de l’État, son amélioration est prioritaire pour notre territoire. L’enjeu est la départementalisation de cette route nationale. Nous attendons une réponse du Gouvernement.

Si le territoire est connecté aux routes, aux autoroutes, il l’est aussi au réseau ferroviaire. Il est pour nous particulièrement important que les lignes à grande vitesse s’arrêtent dans les villes moyennes comme Laval.

Dernier point : un territoire doit être situé à proximité d’un aéroport. À la suite de l’arrêt du projet de Notre-Dame-des-Landes, une alternative est-elle prévue pour permettre aux Mayennais d’accéder dans les meilleures conditions à un aéroport, que ce soit pour prendre des vols nationaux ou internationaux ?

C’est ainsi qu’on améliore l’attractivité des territoires ruraux, comme mon département de la Mayenne. Nous comptons donc sur l’engagement de l’État.

équipement en caméras thermiques pour les lieutenants de louveterie

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, auteur de la question n° 366, transmise à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, mes chers collègues, ma question sur l’équipement en caméras thermiques des lieutenants de louveterie était adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, d’y répondre.

Alors que les troupeaux rejoignent les alpages, notamment dans les Alpes du Sud, je souhaite avoir des précisions sur le plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage qui prévoit la mise en place d’une série de mesures visant à contenir la population lupine dans le but de préserver l’activité d’élevage et le pastoralisme.

C’est la raison pour laquelle, dans les départements concernés par les dommages causés par le loup, comme dans celui des Hautes-Alpes, une équipe de louvetiers est requise. Ces lieutenants de louveterie, nommés par le préfet, sont placés sous son autorité pour réaliser des missions d’ordre public relatives à la gestion de la faune sauvage. Leur rôle est essentiel dans la mise en œuvre des tirs de défense renforcée et des tirs de prélèvement. Pourtant, malgré les compétences techniques incontestables de ces fonctionnaires bénévoles, l’efficacité de leurs interventions n’est pas en rapport avec leur implication. Dans les territoires, en particulier en montagne, on ne peut que déplorer leur manque de moyens matériels.

Madame la secrétaire d’État, vous n’êtes pas sans savoir que, pour être efficaces, les tirs doivent être effectués la nuit, avec du matériel adapté, par exemple des caméras thermiques. Aussi, afin de soutenir l’action des louvetiers, je vous serais reconnaissante de bien vouloir m’indiquer si des crédits seront mis à disposition des préfets. Dans l’affirmative, je vous remercie également de bien vouloir me préciser sur quelle enveloppe ils seront mobilisés.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Brune Poirson, secrétaire dÉtat auprès du ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Patricia Morhet-Richaud, je vous réponds à la place du ministre de l’agriculture et de l’alimentation et du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, aucun d’entre eux n’ayant pu être présent aujourd’hui, ce qu’ils regrettent.

Vous abordez un sujet essentiel. Le nouveau plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage, qui a été publié en février dernier, prévoit plusieurs axes. Son objectif fondamental est de concilier préservation de l’espèce et maintien du pastoralisme. C’est un équilibre difficile.

Un programme de soutien du pastoralisme vise donc à améliorer la protection des troupeaux et à faciliter leur défense en cas d’attaques.

Les mesures de protection seront financées à 80 % et un observatoire pour le suivi de leur mise en œuvre sera créé. Des expérimentations seront mises en place dans les territoires volontaires et un réseau technique « chiens de protection » sera développé.

Le Gouvernement vient d’ouvrir les crédits nécessaires aux premières expérimentations de bergers mobiles dans des parcs nationaux.

Face à la persistance de la prédation dans certaines zones, malgré le déploiement des mesures de protection, la politique d’intervention sur les loups a été modifiée pour faciliter la défense des troupeaux. Les tirs de défense réalisés à proximité des troupeaux peuvent être effectués toute l’année, par la brigade nationale « loup ».

Le Gouvernement a décidé de reconduire les contrats des onze jeunes de cette brigade, dont l’expérience reste ainsi mise à profit au service des éleveurs pour les opérations de tirs de défense renforcée.

Le plan prévoit par ailleurs une action spécifique pour accompagner les actions des louvetiers auprès des éleveurs, tant pour les tirs de défense que pour les tirs de prélèvement.

Les louvetiers sont amenés à effectuer de nombreux déplacements pour soutenir des bergers et des éleveurs confrontés à des attaques. Ils sont tous bénévoles et travaillent donc sans percevoir de rémunération. Cependant, je vous confirme qu’un budget de 142 000 euros vient d’être mis à disposition afin de leur verser des indemnités kilométriques et de leur fournir un matériel adapté, tel que des caméras thermiques, pour remplir leur mission, notamment la nuit.

Le Gouvernement a ainsi mis en place une dynamique qui permettra de soutenir les éleveurs confrontés à la prédation et d’optimiser l’action des différents acteurs présents sur le terrain, qu’il s’agisse des bergers ou des lieutenants de louveterie.

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. J’ai bien noté qu’une enveloppe de 142 000 euros a été débloquée afin d’indemniser les lieutenants de louveterie de leurs frais kilométriques et de leur permettre d’acquérir du matériel, comme les caméras thermiques. Néanmoins, j’aurais aimé connaître l’origine de ces crédits et savoir sur quelle enveloppe ils étaient pris.

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

3

Convocation du Parlement en session extraordinaire

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 18 juin 2018 portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter du 3 juillet 2018.

Le décret vous a été communiqué.

La conférence des présidents, qui se réunira demain à dix-neuf heures trente, établira le programme de la session extraordinaire.

Acte est donné de cette communication.

4

Convocation du Parlement en congrès

M. le président. J’ai reçu de M. le Président de la République une lettre m’informant de sa décision de s’adresser, en application du deuxième alinéa de l’article 18 de la Constitution, aux membres du Parlement réunis à cet effet en Congrès le lundi 9 juillet prochain.

Le décret réunissant le Congrès a été publié au Journal officiel de ce jour et vous a également été communiqué.

Acte est donné de cette communication.

5

 
Dossier législatif : projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
Discussion générale (suite)

Immigration, droit d’asile et intégration

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (projet n° 464, texte de la commission n° 553, rapport n° 552, tomes I et II, avis n° 527).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie
Exception d'irrecevabilité

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’entamer mon propos, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre d’État, ministre de l’intérieur, en ouverture de cette séance publique. Elle s’explique naturellement puisque ce dernier est retenu avec le Président de la République à Berlin, où se tient un conseil des ministres franco-allemand, à l’ordre du jour duquel figure le défi migratoire.

Le contexte politique sur notre continent étant actuellement très instable, pour ne pas dire critique – le risque pour l’Union européenne est de se disloquer autour de la question des migrations –, vous comprendrez que la présence de Gérard Collomb à cette réunion de haute importance était indispensable et qu’il m’ait demandé de le représenter ici aujourd’hui. Il participera néanmoins à ce débat dès demain et sera présent pour la suite des travaux parlementaires au sein de votre assemblée.

Cela dit, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie qui vous est soumis est donc un texte très important.

Ce texte est très important, car il s’agit de permettre à toutes celles et à tous ceux qui fuient la guerre et la persécution d’être mieux accueillis en France, de voir leurs démarches facilitées et de commencer plus tôt leur parcours pour s’insérer dans la société française.

Ce texte est très important, car les mesures que nous allons examiner visent aussi à lutter contre l’immigration illégale, ce qui correspond, vous le mesurez dans vos territoires, à une aspiration forte exprimée par nos concitoyens, aspiration à laquelle nous devons répondre si nous ne voulons pas que, demain, tous les populismes grandissent encore dans notre pays.

Mme Françoise Gatel. C’est vrai !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Sur ces questions sensibles, je crois que nous serons tous d’accord, au sein de la Haute Assemblée, pour souligner qu’on ne saurait se soumettre au diktat de l’image et de la peur. Oui, pour penser des solutions pertinentes au défi migratoire, il convient de se fonder sur une analyse objective de la situation.

Aussi commencerai-je ce discours en vous livrant quelques données précises, tout d’abord sur la situation européenne.

Après avoir atteint des sommets historiques, les demandes d’asile sur le continent européen, dont le nombre était de 1,3 million en 2015 et de 1,2 million en 2016, ont diminué de moitié l’année dernière pour s’établir à 600 000.

Les franchissements illégaux des frontières extérieures de l’espace Schengen s’établissent, eux, à un niveau certes élevé – on en a dénombré 205 000 en 2017 selon l’agence FRONTEX –, mais sans commune mesure avec les chiffres constatés il y a encore quelque temps – 1,8 million de franchissements ont été recensés en 2015.

Toutefois, il convient de demeurer vigilant, car on constate depuis quelques mois une forte recrudescence des flux migratoires sur la route orientale et sur la route occidentale. Par ailleurs, un épisode comme celui que nous avons vécu la semaine dernière avec l’Aquarius a révélé que la route migratoire de Méditerranée centrale, si elle est moins empruntée qu’auparavant, demeure très active.

La crise migratoire en Europe est donc loin d’être terminée.

En France, la situation est encore plus préoccupante, car on observe une évolution à contre-courant de celle que je viens de décrire.

Le nombre de demandes d’asile dans notre pays était de 100 000 en 2017, en hausse de 17 % par rapport à l’année précédente. Pour mémoire, il était de 50 000 en 2010.

Notre territoire est de plus en plus exposé à des flux secondaires de dizaines de milliers de personnes qui, s’étant vu refuser l’asile dans un autre pays européen, viennent tenter leur chance sur notre sol. Les conséquences de cette situation, vous les vivez au quotidien dans vos territoires.

Notre dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile est saturé, alors même que le nombre de places disponibles a doublé en quelques années, passant de 44 000 en 2012 à 80 000 aujourd’hui. En parallèle, le système d’hébergement d’urgence, dont la capacité a elle aussi doublé, passant de 80 000 à 138 000 places, ne permet pas d’absorber la demande.

Résultat : au cœur de nos villes, grandes et moyennes, se multiplient des campements de fortune où, pour les migrants, les conditions de vie sont très difficiles, et qui, pour les riverains, sont hélas générateurs d’importantes nuisances, voire de troubles à l’ordre public,

Telle est la réalité, mesdames, messieurs les sénateurs, telle que la vivent nos concitoyens. Il nous faut avoir le courage de la décrire, de la regarder en face, car il n’est possible d’agir qu’à partir de ce constat objectif.

Agir, c’est ce que le Président de la République et le Gouvernement ont fait depuis un an en travaillant en Afrique, auprès des pays d’origine des migrations. Le Président de la République a ainsi pris des initiatives fortes pour contribuer à stabiliser le continent africain et pour éviter que n’y naissent de nouveaux conflits qui seraient nécessairement porteurs de nouvelles migrations.

La France et l’Union européenne s’engagent pour donner un avenir à la jeunesse africaine, notamment au travers de l’aide au développement – telle était la teneur du discours du Président de la République à Ouagadougou.

Nous sommes également en pointe pour lutter contre les réseaux de passeurs. Il ne faut pas croire en effet que les migrations sont exclusivement des mouvements spontanés. Elles sont aussi le fruit de l’action de trafiquants d’êtres humains, souvent liés au crime, au commerce des armes, voire au terrorisme, qui dépouillent les migrants de tous leurs biens, les font passer par des routes dangereuses au cœur du désert, les placent dans des camps en Libye, avant de leur faire tenter une traversée plus que périlleuse de la Méditerranée. Contre cela, oui, nous nous devons de lutter, et nous luttons.

La France est par ailleurs très active aux portes de l’Union européenne, grâce à l’action résolue conduite par le ministre d’État, ministre de l’intérieur, pour faire en sorte que les ressortissants de pays comme l’Albanie qui bénéficient d’une exemption de visa ne détournent pas cette facilité pour demander l’asile en Europe, alors même que leur taux de protection est extrêmement faible, aux alentours de 5 %. Nous avons obtenu de premiers résultats puisque la demande albanaise a baissé d’un tiers entre les premiers mois de 2017 et les premiers mois de 2018.

Enfin, nous travaillons aussi avec nos partenaires européens, même si le récent contexte politique complexifie notre action, afin que se développe une véritable solidarité européenne en matière d’accueil des demandeurs d’asile.

Il convient donc, mesdames, messieurs les sénateurs, d’agir à l’échelon international, car la réponse au défi migratoire est et sera nécessairement globale.

Mais si la France est aujourd’hui à contre-courant des autres nations européennes, avec une demande en hausse quand celle-ci baisse partout ailleurs, c’est parce que notre système d’asile et d’immigration est perfectible.

Depuis un an, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures fortes pour améliorer ce dernier. Je rappelle que le renforcement des moyens des services des étrangers des préfectures, la création dans chaque grande région de centres d’accueil et d’examen des situations, les CAES, les efforts consentis par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, et la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, ont d’ores et déjà permis de réduire de quatorze mois à onze mois le délai moyen d’instruction de la demande d’asile.

La mobilisation des équipes préfectorales a permis d’augmenter de 9 % par rapport à l’an dernier le nombre d’éloignements. Quant à l’adoption de la proposition de loi Warsmann, elle a permis de sécuriser le cadre juridique des transferts « Dublin », lesquels sont en hausse de 60 %.

Toutefois, il faut aujourd’hui aller plus loin.

Lors de la campagne présidentielle, le Président de la République avait pris l’engagement fort de réduire à six mois en moyenne le délai d’instruction de la demande d’asile. Il voulait, soulignait-il, permettre à ceux qui obtiendront une protection de commencer rapidement leur parcours d’intégration dans la société française et, en même temps, faire en sorte que les personnes déboutées puissent être éloignées du territoire sans avoir perdu leurs liens avec leur pays d’origine.

Tels sont les objectifs du Gouvernement en présentant ce texte.

Le présent projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a fait l’objet d’une large adoption par les députés le 22 avril dernier. À l’issue de débats qui se sont tenus pendant près d’une semaine, les députés sont parvenus à l’adoption d’un texte que nous considérons comme équilibré.

Le projet de loi a ensuite été largement amendé lors de son examen le 6 juin par la commission des lois sénatoriale, dont je veux saluer le rapporteur, François-Noël Buffet.

Certains enrichissements vont dans le bon sens, et le Gouvernement proposera qu’ils soient conservés.

Il est en revanche des mesures qui, de nature à remettre en cause l’équilibre du texte entre humanité et efficacité, recevront de notre part un avis défavorable. Sur les points les plus symboliques, le Gouvernement a déposé des amendements qui tendent soit à revenir à l’esprit du texte initial, soit à supprimer certaines dispositions avec lesquelles il ne peut être en accord. Nous ne désespérons pas, à l’occasion de l’examen de ce texte en séance publique cette semaine, de vous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs.

La commission des lois a, par exemple, souhaité supprimer les dispositions portant d’un à quatre ans la durée de validité des titres de séjour délivrés aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux apatrides et revenir sur la possibilité pour les frères et les sœurs d’un réfugié mineur – je parle bien d’un réfugié reconnu comme tel au titre de l’asile – de le rejoindre.

Un procès nous a été fait à ce sujet à l’Assemblée nationale, aussi je voudrais préciser que cette mesure ne concernera que les mineurs réfugiés, c’est-à-dire quelques centaines de mineurs par an, et rappeler qu’il ne faut pas confondre ce public avec les mineurs non accompagnés, pris en charge par les conseils départementaux au titre de l’aide sociale à l’enfance. La portée de cette disposition ne doit donc pas être surestimée.

Le Gouvernement ne peut évidemment accepter sa suppression, car c’est la grandeur de la France que de proposer de telles mesures, qui ciblent les personnes les plus vulnérables et sont conformes à la grande tradition d’accueil de notre pays.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le texte de la commission contient ensuite des mesures dont la portée opérationnelle ne me semble absolument pas garantie et qui emportent plus d’inconvénients juridiques que d’avantages. C’est le cas, par exemple, de la disposition selon laquelle le rejet de la demande d’asile vaudrait obligation de quitter le territoire français, ou OQTF. Celle-ci me semble entraîner une certaine confusion entre, d’une part, la portée de la décision prise par l’OFPRA ou la CNDA et, d’autre part, les prérogatives de l’autorité administrative.

M. Roger Karoutchi. Cette distinction ne sert à rien !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. J’ai également à l’esprit l’instauration de quotas, qui ne furent pas mis en œuvre sous de précédentes législatures, alors même que les occasions n’auraient pas manqué de le faire lors des nombreuses modifications du droit des étrangers dont le Parlement avait été saisi.

Comment le Gouvernement pourrait-il accepter une telle évolution ? La limitation du droit au regroupement familial que la mise en place de quotas occasionnerait est directement contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier à son article 8, qui reconnaît le droit à une vie familiale normale.

De même, vous proposez de supprimer l’aide médicale de l’État et de la remplacer par une aide médicale d’urgence, dont le panier de soins serait plus réduit. Sur ce sujet également, le Gouvernement ne saurait admettre une telle régression des droits des personnes qui aurait pour conséquence, en réduisant les soins accordés aux étrangers, fussent-ils en situation irrégulière, d’accroître les risques pour la santé publique en général.

Sur ces points, le Gouvernement marquera son opposition de manière ferme et déterminée.

Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, des mesures ont été adoptées par votre commission qui auraient pour conséquence d’allonger les délais d’instruction du droit d’asile et d’amoindrir l’efficacité des politiques d’éloignement, à l’inverse donc de deux objectifs que nous partageons pourtant avec la majorité sénatoriale.

J’ai à l’esprit, par exemple, le maintien à un mois du délai de recours devant la CNDA, que le Gouvernement souhaite faire passer à quinze jours. On ne peut à la fois chercher à réduire les délais d’instruction du droit d’asile – comme c’est votre cas, il me semble ! – et refuser cette mesure, qui a été très encadrée par l’Assemblée nationale.

La suppression de la possibilité de demander l’aide au retour pour les personnes en rétention est un autre sujet de désaccord. Il me paraît encore que l’on ne peut rejeter cette mesure, qui est de nature à augmenter significativement le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français, si l’on souhaite améliorer l’efficacité des politiques d’éloignement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’enjeu qui nous réunit aujourd’hui est tout à fait décisif pour la France et pour les Français, bien sûr, pour lesquels la question migratoire est une des préoccupations principales, mais, plus largement, pour l’avenir de l’Europe.

On voit quelles positions sont en présence.

Il y a d’abord ceux qui souhaitent accueillir tous ceux qui veulent venir et nient jusqu’à l’existence même des frontières. C’est là, chacun le comprend, une impasse, car l’Europe ne pourra jamais faire face, par exemple, au doublement de la population de l’Afrique.

Il y a ensuite ceux – ils sont de plus en plus nombreux en Europe et en France – qui rejettent tout accueil, y compris celui de personnes qui fuient la guerre et la persécution. Cela est en tout point contraire à l’histoire européenne et jamais nous n’accepterons que le droit d’asile soit remis en question.

La responsabilité de la France est de porter une ligne empreinte de fermeté et de justice, d’efficacité et d’humanité, fidèle aux valeurs de la République, fidèle aux valeurs de l’Europe, qui en a besoin.

Voilà l’enjeu à la hauteur duquel nous devons nous hisser. Nous sommes observés par les Français, par nos partenaires, par les peuples européens. Je suis convaincue, mesdames, messieurs les sénateurs, que nos débats seront à la mesure de cette responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que je monte à cette tribune pour parler d’asile et d’immigration.

M. David Assouline. C’est certain !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ce texte est le vingt-neuvième qui est présenté devant le Parlement sur cette thématique, dont seize projets de loi majeurs, les derniers datant de 2015 et de 2016.

M. David Assouline. C’est incroyable !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. À ce jour, nous n’avons pas encore pu mesurer les effets de ce qui avait alors été voté.

Dans son avis, le Conseil d’État a d’ailleurs affirmé que les conditions dans lesquelles ce texte arrivait n’étaient pas idéales : il est accompagné d’une étude d’impact incomplète et dépourvue d’une évaluation suffisante des textes précédents. J’ajoute que, pour la commission des lois, il est incomplet et technique, dénué de ligne politique suivie.

La préparation de ce projet de loi offrait pourtant l’occasion de prendre un peu de temps pour étudier dans le même mouvement l’asile et l’immigration, qui font pour la première fois l’objet d’un texte unique. Nous aurions pu également prendre un peu de temps pour tenir compte de l’intégration, par exemple. Cela n’a pas été le cas.

Les mesures relatives à l’asile se résument à une longue succession d’ajustements techniques et procéduraux ; celles qui concernent la lutte contre l’immigration irrégulière contiennent quelques adaptations bienvenues, visant notamment la vidéo-audience, que nous conservons.

En revanche, le volet « intégration » est réduit au minimum et nous semble se résumer à de l’affichage. La politique en la matière dépendra du sort que le Gouvernement compte réserver au rapport confié au député Aurélien Taché.

Sur le fond, les enjeux européens et internationaux des politiques migratoires sont totalement ignorés. Aucune mesure n’est prévue pour faire pression sur certains de nos partenaires, notamment pour l’obtention de laissez-passer consulaires ou pour encourager la participation de la France au mécanisme de solidarité européen. Enfin, la dimension migratoire de nos territoires ultramarins, de Mayotte en particulier, est éludée.

Les mineurs étrangers sont les grands absents du texte, qui ne contient aucune disposition susceptible de répondre aux problématiques posées par la crise de la prise en charge des mineurs non accompagnés, alors que les départements sont en première ligne et qu’ils ont besoin d’une action forte de l’État.

De même, ni le Gouvernement ni les parlementaires de la majorité à l’Assemblée nationale n’ont eu le courage de traiter la situation des mineurs placés en centre de rétention avec leur famille, ouvrant même la possibilité de les retenir trois mois, dans des lieux totalement inadaptés.

L’intégration est donc le parent pauvre de ce texte. La formation linguistique à destination des étrangers en situation régulière est en moyenne de 148 heures, contre 242 heures en 2012. Même si le Gouvernement doublait le nombre d’heures de français, nous serions très loin de l’Allemagne, qui dispense 600 heures de formation linguistique aux étrangers primo-arrivants et jusqu’à 900 heures aux réfugiés.

Enfin, le nombre de visites médicales effectuées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, a baissé de plus de 76 % entre 2016 et 2017, ce qui soulève un grave problème de santé publique, notamment dans les universités.

Je ne saurais continuer sans rappeler le contexte dans lequel nous nous trouvons. L’Europe a connu depuis 2015 une vague d’arrivées sur son territoire d’une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale et le conflit de l’ex-Yougoslavie : un million et demi de personnes sont entrées en Europe en 2015 par la voie maritime, en Méditerranée. Depuis 2016, la pression migratoire s’est atténuée et le nombre de migrants a diminué d’un facteur cinq, grâce, notamment, aux opérations coordonnées par FRONTEX en Méditerranée, à l’entrée en vigueur de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie du 18 mars 2016, à la mise en place de hotspots et au programme temporaire de relocalisation destiné à soulager l’Italie et la Grèce.

À l’échelle de l’Europe, la demande de protection internationale subit une baisse comparable et s’est établie en 2017 à 706 000 demandes d’asile, une diminution de 43 % par rapport à 2016. Cette évolution numérique s’accompagne d’une reconfiguration géographique des principales routes de migration vers l’Europe. Les flux en Méditerranée centrale ont connu une diminution notable – moins 32 % entre 2016 et 2017. Il en va de même en Méditerranée orientale. En revanche, le flux passant par la Méditerranée occidentale est en nette augmentation.

Fortement exposée par sa situation géographique aux flux dits « secondaires » ou « de rebond » internes à l’Union européenne, la France connaît désormais une demande d’asile à la hausse, alors même que celle-ci tend à se stabiliser chez ses voisins : 100 412 demandes en 2017, soit une augmentation de 17,1 % depuis 2016. De même, la délivrance de premiers titres de séjour a connu une hausse ininterrompue depuis 2012, particulièrement forte en 2016 et en 2017.

En conséquence, nos structures d’accueil connaissent une tension extrêmement forte. Seuls 60 % des demandeurs d’asile sont accueillis dans des structures dédiées, des dispositifs qui se sont d’ailleurs empilés, parfois sans cohérence ni lisibilité. L’OFII est débordé par ses nouvelles missions en matière d’asile qui fragilisent sa fonction historique d’intégration des primo-arrivants.

En matière d’asile, les procédures sont encore insatisfaisantes et toujours trop longues, mais des efforts doivent être relevés. L’OFPRA a réussi à réduire quelque peu les délais d’instruction de ses dossiers et nous pouvons espérer que les objectifs fixés seront bientôt atteints. La situation de la Cour nationale du droit d’asile est plus préoccupante, avec l’augmentation de 34 % des recours et de 29 % des affaires en attente entre 2016 et 2017. La CNDA a besoin d’un peu de temps pour se mettre à niveau, si je puis me permettre cette expression.

En matière d’éloignement, nos systèmes sont en surchauffe et nos dispositifs sont sursollicités : le taux d’occupation des centres de rétention s’établit cette année à 81 % et s’accompagne d’une gestion des escortes et des transferts à flux tendus. Faut-il rappeler en outre que le financement est en baisse ? Il est positif d’afficher un objectif de renvoi et de traitement de l’immigration irrégulière, mais il serait préférable d’y consacrer les moyens nécessaires, alors que le budget correspondant est en diminution de 7 % en 2018 par rapport à 2017.

Au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat a essayé d’apporter une certaine ligne directrice marquée, tout d’abord, par une volonté très ferme en matière de traitement de l’immigration irrégulière, mais aussi par le souhait affiché de préserver les droits accordés en matière d’asile et de respecter les procédures. Nous avons également conforté le secteur de l’intégration, qui n’était pas traité, et nous avons ajouté des éléments concernant le traitement des mineurs, mais aussi la situation de Mayotte, en particulier. Les débats permettront d’aborder les détails de ces mesures.

S’agissant de l’immigration irrégulière, je veux rappeler que la commission des lois a décidé de nouveau d’organiser un débat au Parlement chaque année ; de resserrer les conditions du regroupement familial ; de transformer – oui ! – l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence et de mieux identifier les secteurs économiques en manque de main-d’œuvre. En ce qui concerne les réfugiés, elle a également souhaité maintenir le délai d’appel à un mois et ne pas le réduire à quinze jours, car une telle évolution n’offrirait en réalité aucun gain en termes de rapidité et d’efficacité de traitement de l’immigration. Ce serait un leurre, selon moi. Enfin, la commission a voulu compléter la définition des pays d’origine sûrs et mieux protéger les mineurs, en particulier ceux qui risquent de subir des mutilations sexuelles.

J’insiste aussi sur le fait que nous avons ramené les collectivités locales dans le débat. Celles-ci sont sollicitées à travers les schémas d’hébergement régionaux et il est utile, par ailleurs, qu’elles soient désormais représentées au sein de l’OFII, compte tenu de l’évolution des compétences.

Concernant l’intégration, il faut certainement moins accueillir, mais se donner les moyens de mieux accueillir. Pour cela, il importe de redonner du sens au contrat d’intégration républicain, en associant Pôle emploi au dispositif et en certifiant le niveau de français obtenu par les étrangers à la fin de la procédure. Il est également important de réaffirmer la compétence de l’OFII en matière de visites médicales des étudiants étrangers.

Je terminerai par la lutte contre l’immigration irrégulière. Sur ce sujet, on nous reproche d’avoir durci le texte. C’est vrai, nous en avons fait le choix. On ne peut pas avoir une immigration régulière et traiter les demandes d’asile dans de bonnes conditions, au profit de ceux qui doivent en bénéficier, si l’on n’est pas capable de tenir un discours ferme à l’encontre de ceux qui entrent irrégulièrement sur le territoire et qui entendent y rester.

C’est la raison pour laquelle nous avons prévu que le refus définitif d’une demande d’asile vaudra obligation de quitter le territoire national. C’est pourquoi nous demandons que le Gouvernement négocie avec les pays sources le nombre de visas long séjour en fonction des laissez-passer consulaires qui nous sont accordés. Tout le monde sait dans cette enceinte que si ce n’est pas le cas, les mesures d’éloignement seront dénuées d’efficacité.

Il est indispensable de réorganiser le séquençage de la rétention administrative plutôt que sa durée. L’intervention du juge des libertés et de la détention, le JLD, à cinq jours me paraît donc absolument nécessaire.

Enfin, nous avons complété le texte en sanctionnant plus sévèrement les étrangers délinquants, mais, surtout, nous avons refusé d’affaiblir le délit d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier sur le territoire, ainsi que cela avait été fait à l’Assemblée nationale.

S’agissant des mineurs étrangers, nous interdisons explicitement le placement en rétention de mineurs isolés et nous limitons à cinq jours la durée de rétention des mineurs accompagnants. Je rappelle qu’une famille peut être placée en rétention avec ses enfants pour la durée de la rétention théorique, soit 45 jours aujourd’hui et 90 jours, peut-être, demain. Cela n’est pas acceptable et nous avons choisi de limiter cette mesure à cinq jours au maximum. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

Nous souhaitons également la création d’un fichier national biométrique des personnes déclarées majeures à l’issue de leur évaluation par un département. Tout le monde reconnaît que la situation est extrêmement compliquée. Les départements ont besoin de ce fichier, afin d’éviter les difficultés posées par les demandes multiples. C’est essentiel !

Deux points me laissent des regrets. Tout d’abord, je déplore l’absence de l’Europe dans ce débat, alors qu’il s’agit d’un sujet fondamental. Ensuite, les relations internationales, au-delà de l’Europe, me semblent peu abordées, je l’ai évoqué au sujet des accords bilatéraux en matière d’obtention de laissez-passer consulaire. Il s’agit, bien sûr, de Mayotte, et nous apporterons une solution au problème à l’occasion de la discussion des amendements déposés par notre collègue Thani Mohamed Soilihi.

Pour terminer, les projets les plus magnifiques ne sont réussis qu’à condition que de l’argent leur soit consacré. Ce texte ne prévoit pas de moyens budgétaires. Je crains que l’efficacité ne soit pas au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)