M. Max Brisson. … une possible France des années 2000, caractérisée par la concentration dans des zones de forte polarisation.
En 2018, n’y sommes-nous pas, lorsque l’on sait que des dizaines et des dizaines de villes moyennes subissent une désertification alarmante de leur centre ? Chacun a en tête l’image de vitrines sales, recouvertes d’affiches, où se multiplient les panneaux marqués « bail à céder ». Or les cœurs des centres-villes et les centres-bourgs furent longtemps des lieux de vie et de partage. On y naissait, on y grandissait, on y étudiait, on y produisait, on y négociait, on y échangeait.
Les bâtiments que nous considérons aujourd’hui comme patrimoniaux étaient des lieux de vie en perpétuelle transformation. Aujourd’hui, la production y a disparu, la réparation n’y a plus droit de cité, le commerce y recule, les services se retirent, la population s’en éloigne et celle qui reste se paupérise.
Certes, le patrimoine hérité est protégé et rénové comme il ne l’a jamais été, ce qui est une excellente chose. À cet égard, l’article 7 réécrit parvient à un judicieux équilibre. Mais l’histoire ne nous apprend-elle pas aussi que, quand les hommes se retirent, les pierres finissent toujours par tomber ? Et les meilleures prescriptions n’y changeront rien ! Il faut donc y renouer avec la vie. Il faut y renouer avec notre histoire, qui a toujours fait des centres-villes et des centres-bourgs des lieux d’accueil, de tolérance, d’échange, à l’opposé de la ville qui se dessine sous nos yeux, ségrégative, cloisonnée, égoïste.
Tel est le premier enjeu de cette proposition de loi, dont je veux remercier nos collègues Pointereau et Bourquin.
Ce texte cible également un autre enjeu : la lutte contre une métropolisation qui aspire à elle les énergies, alors que, comme le disait Erik Orsenna, lors de son audition par notre commission de la culture, la France ne peut devenir « une suite de quatorze Singapour » – le « scénario de l’inacceptable » dont parlait la DATAR ! En effet, le territoire français est, depuis le Moyen Âge, un maillage de centres-villes et de centres-bourgs.
La logique de la « start-up nation » ne peut être la dynamique unique de l’aménagement du territoire. À défaut, le risque est grand d’une cassure profonde entre ceux que sert l’intensification de la mondialisation et ceux qui n’ont pas vocation à entrer dans cette compétition.
Voilà pourquoi je soutiens cette proposition de loi, globale, transversale et novatrice, au sens où elle peut renverser des tendances, certes lourdes, mais dont nous pensons qu’elles ne sont pas irréversibles.
Je soutiens cette proposition de loi, parce qu’elle est profondément décentralisatrice et girondine, dans un temps par trop jacobin et centralisateur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Rémy Pointereau applaudit également.)
Mme Françoise Gatel. C’est vrai !
M. Max Brisson. Je soutiens cette proposition de loi, parce qu’elle est vivifiante, parce qu’elle fait confiance aux élus, parce qu’elle croit en leur capacité à élaborer des stratégies territoriales innovantes et dynamiques, parce qu’elle leur laisse la liberté de définir, à partir de critères communs, les périmètres des opérations de sauvegarde économique et de redynamisation, parce que c’est aux élus qu’il reviendra de mobiliser, dans ces périmètres, les outils incitatifs, régulateurs ou coercitifs à leur disposition.
Je crois également au contenu de cette proposition de loi, parce qu’elle propose de déroger aux règles communes, compte tenu de l’urgence. C’est ce que commandent l’intérêt général et l’exigence de l’équité républicaine. Appliquer partout, de manière uniforme et sans discernement, les mêmes règlements, c’est s’installer au royaume de l’absurde, alors qu’il faut, au contraire, retrouver un juste équilibre entre le cadre national et les libertés locales.
Je crois enfin au contenu de cette proposition de loi, parce que les axes de la politique de reconquête qu’elle propose sont les bons : il s’agit de déroger, parce qu’il y a urgence ; il s’agit de protéger, parce que les lois du marché ne conduisent pas à l’équilibre nécessaire ; il s’agit d’encourager, parce que l’initiative doit être orientée dans le sens de l’intérêt général.
Dans « un pays où il existe 258 variétés de fromage », comme le disait le général de Gaulle,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Un grand décentralisateur !
M. Max Brisson. … la variété des situations nous appelle à encourager les initiatives, à construire un cadre dérogatoire et à faire confiance aux élus pour prendre les bonnes décisions.
Quant à l’État, monsieur le ministre, son action doit s’inscrire dans une logique non pas de contrôle, mais de soutien aux bonnes initiatives, comme vous l’avez affirmé tout à l’heure. Celles-ci sont proposées en nombre dans le présent texte. Nous le soutiendrons tous très largement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Martial Bourquin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, comme maire jusqu’au mois d’octobre dernier d’un bourg-centre chef-lieu de canton, j’ai bien sûr suivi avec attention et bienveillance les travaux du groupe de travail du Sénat sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Cette attention est, nous le voyons, transpartisane et unanime. Nous sommes en effet tous conscients de la transformation de nos territoires à cause de l’implantation en périphérie d’espaces commerciaux et parallèlement de l’assèchement des centres-villes.
En nous intéressant à ce problème, nous sommes à dire vrai les continuateurs de préoccupations aussi anciennes que ces transformations. Pensons à la loi Royer, en 1973, sur le commerce et l’artisanat ; déjà, à l’époque, les mêmes constats qu’aujourd’hui. Et pourtant, nous avons continué à défigurer nos entrées de villes, à « tartiner » nos périphéries de lotissements aux dépens de la densification de l’habitat, et bien sûr vidé les centres-bourgs ! C’est donc à un problème ancien et complexe auquel répond cette proposition de loi, notamment via le levier fiscal.
Membre de la commission des finances, j’aimerais m’arrêter sur ce point. Notre commission a fait le constat, partagé, me semble-t-il, par tous les groupes politiques, de mesures sans études d’impact, difficiles à évaluer budgétairement, probablement en contradiction avec le droit européen, parfois inapplicables. Je pense ici à la taxe sur les livraisons liées au commerce électronique, qui ne sera pas applicable et qui de surcroît créera une discrimination en fonction du lieu d’habitation du consommateur, tout en réduisant de fait le pouvoir d’achat des Français, parce que cette mesure sera répercutée. Je pense aussi aux différentes niches fiscales que la proposition de loi met en œuvre, qui vont à l’encontre de l’objectif de simplification et de lisibilité auquel je m’attache. On sait qui profite des niches quand elles existent : pourquoi renforcer le régime des sociétés d’investissements immobiliers cotées, alors qu’il a favorisé la création de sociétés foncières qui participent à l’implantation de projets commerciaux en périphérie ? Il existe par ailleurs déjà de nombreux dispositifs, comme le dispositif « Malraux ».
Mes chers collègues, j’ai cosigné cette proposition de loi, parce que je crois que le Sénat doit envoyer un message fort aux élus locaux et aux citoyens. Cependant, je l’ai cosignée comme un appel, et les faiblesses du texte justifient que nous prenions le temps d’expertiser les mesures adéquates. C’est d’ailleurs ce que j’ai entendu ce matin en commission des finances, y compris de la part d’autres cosignataires de cette proposition de loi. Le temps, nous l’avons encore. Ce sera l’objet du projet de loi ÉLAN, notamment de son article 54 portant revitalisation des centres-villes.
Par ailleurs, le programme « Action cœur de ville » que vous portez, monsieur le ministre, vise à traiter globalement le sujet, qu’il s’agisse de la réhabilitation, mais aussi de la mobilité et des connexions, des équipements et des services publics, de l’espace public.
Monsieur le ministre, vous avez la confiance du groupe La République En Marche sur le sujet que mettent en avant la proposition de loi et le Sénat aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sonia de la Provôté. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le pacte national de revitalisation vise un objectif précis : renforcer l’attractivité des centres-villes et des centres-bourgs. Il prévoit un ensemble d’outils pour inverser de façon structurelle cette déprise des centres, qui n’est pas une fatalité, mais bien le résultat d’erreurs et d’une certaine passivité ou impuissance accumulées ces dernières années. En effet, si les causes sont multiples, on peut tout de même remarquer, par exemple, qu’en périphérie les surfaces commerciales ont augmenté deux à trois fois plus vite que la consommation des ménages, que la consommation elle-même a évolué ou que la disparition des services publics et au public des centres s’est aggravée. Nous devons agir rapidement pour nos centres urbains.
Si le plan « Action cœur de ville » comprend des avancées, l’ambition de cette proposition de loi du Sénat est plus large. Elle vise tous les centres des villes et des bourgs. On estime que 600 à 700 communes sont concernées par une situation d’urgence ; si les 222 villes identifiées en font partie, les autres ont tout autant de besoins. Il n’y a pas ici d’opposition au plan « Action cœur de ville » ou au projet de loi ÉLAN, mais la volonté d’apporter des propositions pratiques pour les bourgs et les communes concernés susceptibles de compléter la loi, une sorte de boîte à outils la plus complète possible.
C’est une culture de la centralité qu’il faut retrouver. Nos centres sont le cœur vivant de nos communes ; ils ont une fonction citoyenne et sociale : leur redonner dynamisme et vitalité est primordial. Les commerces, bien évidemment, sont au cœur de ce modèle de centralité.
Je remercie Rémy Pointereau et Martial Bourquin pour ce texte de synthèse, fruit de nombreuses auditions et échanges. Cette proposition de loi est une proposition de loi de terrain.
J’évoquerai deux sujets particuliers.
Le premier concerne l’urbanisme commercial.
La tendance est actuellement au retour des consommateurs en centre-ville. Cette tendance doit être accompagnée pour être durable.
À l’échelle d’un territoire, un élément majeur de régulation est l’organisation de l’urbanisme commercial à tous les niveaux. L’armature commerciale du territoire sur lequel on applique le maillage du SCOT permet d’éviter le rôle délétère du jeu de la concurrence entre les territoires, souvent responsable de friches commerciales et de désertification.
M. Jean-François Husson. Très juste !
Mme Sonia de la Provôté. Le besoin et la proposition de commerces ne sont pas les mêmes suivant que l’on est un pôle de proximité, relais, secondaire, d’intérêt régional ou extrarégional.
Intégrer les prescriptions dans le SCOT au travers du DAC, pour les décliner dans les documents d’urbanisme est une avancée forte de cette proposition de loi.
Planifier, réguler, avoir une vision commune et partagée du développement commercial en orientant une part des flux financiers et économiques vers les centres : les outils proposés ici vont dans ce sens.
Le second point sur lequel j’appuierai, qui a fait l’objet de nombreuses discussions, porte sur le rôle de l’architecte des Bâtiments de France et son avis conforme.
L’article 7 a fait débat, comme l’a rappelé notre collègue Jean-Pierre Leleux, en instituant une procédure visant à simplifier la prise en compte des protections patrimoniales dans le périmètre des OSER.
La commission de la culture, sous la présidence de Catherine Morin-Desailly, a proposé une solution d’équilibre : préserver les règles de protection patrimoniale existantes et instaurer un dialogue renforcé, fructueux et ouvert – j’y insiste - entre élus et ABF en amont des projets. C’est un compromis indispensable, utile et protecteur. D’ailleurs, la loi LCAP a déjà permis des avancées considérables dans ce dialogue entre les ABF, les opérateurs et les élus locaux, notamment grâce au travail précis effectué par nos collègues Françoise Férat et Jean-Pierre Leleux. Cette loi concilie justement les impératifs économiques et la préservation du patrimoine.
Le patrimoine, il faut le marteler, est en lui-même un atout touristique et économique majeur ; c’est indéniable. L’évolution de l’article 7, souhaitée par tous, le montre : lorsque le rôle de chacun est respecté et conforté, le dialogue n’en est que plus fructueux et le résultat plus efficace.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Sonia de la Provôté. Pour conclure, je tiens à dire que cette proposition de loi fait consensus, puisque 230 sénateurs ont souhaité s’y associer. C’est un événement rare qui marque l’urgence de la situation actuelle de nos centres-villes et centres-bourgs et le besoin impératif d’outils. Ce texte est certes perfectible,…
M. le président. Il faut vraiment conclure !
Mme Sonia de la Provôté. … mais les débats y contribueront. Je vous invite, mes chers collègues, à largement y participer pour le rendre efficient grâce à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Martial Bourquin applaudit également.)
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Patrice Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France d’aujourd’hui se fracture. L’unité de notre pays est en train de se défaire et nous, élus de la République, sommes confrontés au quotidien au décrochage, désormais perçu par tous, entre nos métropoles et nos communes.
C’est le réseau si dense de nos villes, petites et moyennes, qui est en train de flancher. Les centres-villes et les centres-bourgs, qui autrefois participaient à l’attractivité et au dynamisme de nos territoires, connaissent une perte de population, la disparition des commerces et la paupérisation de leurs habitants.
De plus, cela engendre des réductions de ressources fiscales et de dotations de l’État.
Au même titre que les métropoles, et peut-être même plus, car celles-ci ont souvent des images qui leur sont propres, ces territoires sont de véritables vitrines de notre pays. Ils sont constitutifs de son image et participent d’ailleurs à son attractivité. Ils incarnent le vivre ensemble, le lien social et le plaisir du quotidien. Or, au fil du temps, la désindustrialisation de la France, l’attrait de l’habitat individuel, l’évolution des modes de consommation et de circulation ont éloigné les gens des centres-villes. Le malaise se répand ainsi bien au-delà des zones rurales pour menacer notre maillage urbain dans son ensemble, y compris à proximité des métropoles, qui attirent et absorbent même ce qui leur reste de vitalité.
C’est donc une façon de vivre qui est remise en cause et l’image d’une France riche de ses villes et de ses villages que l’on maltraite. À titre d’exemple, à Nevers, plus de 10 000 habitants sont partis en quarante ans, et 21 % des locaux commerciaux sont vides, concurrencés par des zones commerciales géantes en périphérie.
Les Français eux-mêmes sont inquiets d’un tel déclin des centres-villes. Une enquête réalisée par l’institut CSA ce mois-ci auprès d’un millier de Français montre que sept Français sur dix sont préoccupés par cette désertification. Face à cela, ils sont 95 % à considérer que la modernisation du centre doit devenir un « objectif important » pour le maire ; 53 % jugent même que ce doit être « tout à fait prioritaire ».
Le plan gouvernemental « Action cœur de ville » lancé en mars dernier est une première étape qui permettra à 222 villes de bénéficier d’une convention de revitalisation de leur centre. Cependant, cette démarche laisse de côté plus de 400 villes qui avaient candidaté, sans compter celles qui ne se sont pas manifestées, sachant qu’elles ne correspondaient pas aux critères de population retenus.
C’est pourquoi cette proposition de loi de nos collègues est essentielle pour répondre aux besoins de toutes ces communes. Elle contient un grand nombre d’avancées concrètes pour revitaliser nos centres-villes et nos centres-bourgs. Elle redonne des responsabilités aux élus présents sur le terrain. Elle prend en compte le problème de manière globale tant en termes de logements, de commerces, que de services publics pour les adapter aux nouveaux modes de vie.
J’insisterai ici sur les mesures financières et fiscales qui sont proposées. Il faut rééquilibrer la fiscalité au profit de ceux qui en ont besoin : les collectivités en difficulté et les ménages. Le volet fiscal de ce texte est aussi essentiel pour rééquilibrer les coûts entre les centres-villes et leur périphérie et dégager des ressources au profit des collectivités.
L’article 3 de la proposition de loi, malheureusement supprimé par la commission des finances, visait justement à alléger la fiscalité sur les logements dans les périmètres des conventions « OSER ». Car la reconquête des centres-villes induit à la fois la construction de logements nouveaux, mais aussi et surtout la rénovation des locaux d’habitation existant pour permettre l’installation d’une population nouvelle sans la désolvabiliser par des coûts excessifs de logement. La mise en place de ce dispositif avait pour corollaire le développement des commerces et, par conséquent, de l’emploi.
Je soutiens également les mesures fiscales proposées pour équilibrer les conditions économiques dans lesquelles se développe le e-commerce, qui aggrave la situation de désertification des centres-villes en constituant une concurrence absolument déloyale au commerce physique installé.
M. le président. Il faut conclure !
M. Patrice Joly. De même, la taxation des mètres carrés de parkings de grandes surfaces commerciales ou de stockage doit permettre de lutter contre l’artificialisation des terres agricoles.
La revitalisation des territoires représente, pour la France, un enjeu majeur…
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Patrice Joly. … à la fois d’image de ses territoires et d’attention portée à des populations, qui bien souvent se sentent abandonnées. Il y va non seulement de l’attractivité de notre pays,…
M. le président. Merci !
M. Patrice Joly. … mais aussi de l’unité de la France et de l’égalité de traitement et de droits entre les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dévitalisation des centres-villes est un véritable fléau. Elle touche nombre de nos communes, en particulier celles de petites et moyennes dimensions. C’est bien l’existence même de ces communes qui se joue aujourd’hui ! Il est donc urgent d’agir dès maintenant, car, demain, les indicateurs montrent qu’il risque d’être trop tard.
Parmi ces indicateurs, il en est un qui est particulièrement révélateur : le commerce de proximité. C’est le véritable poumon de nos communes, et chacun sait ici que, lorsqu’un rideau se baisse, c’est un peu de la vie de la commune qui disparaît. Sans commerces, les habitants se détournent des centres-villes, et c’est le début de la dévitalisation.
Déjà, en 2017, par exemple, le taux de vacance commerciale moyen des centres-villes s’établissait à 11,1 %, alors qu’il n’était que de 7,2 % en 2012. C’est à ce cercle vicieux qu’il nous faut nous attaquer !
Certaines collectivités le font déjà concrètement en se donnant les moyens d’agir. Il en est ainsi du conseil régional d’Île-de-France – je parle sous le contrôle de notre collègue et amie Anne Chain-Larché -, qui a mis en place, dès janvier 2017, un programme de renouvellement urbain en Île-de-France. Il s’agit d’accompagner les maires et les présidents d’EPCI dans la reconquête d’une véritable urbanité, notamment dans des quartiers difficiles.
Par des contrats d’aménagement régionaux ou les nouveaux contrats ruraux, la région a ainsi subventionné les besoins d’équipements des communes suivant la taille de leur population. Ce sont 180 projets vitaux pour les communes d’Île-de-France qui vont rapidement sortir de terre grâce à cette action.
Je suis heureux que le Sénat, toujours attentif à la vie des territoires et aux réalités de terrain, se soit saisi du sujet de la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Notre institution a un rôle majeur à jouer dans l’aménagement du territoire, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, conformément à l’article 24 de la Constitution, article auquel, à ma connaissance, il n’est pas prévu de toucher…
M. Jean-François Husson. Pas encore !
M. Jean-Raymond Hugonet. Le Sénat est à l’écoute des élus. Si j’osais paraphraser le général Cambronne, je dirais que les centres-villes se meurent, mais que le Sénat ne se rend pas ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Jean-François Husson. Bravo !
M. Jean-Raymond Hugonet. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui va dans le bon sens en s’attaquant au problème sous un autre angle, et je tiens à remercier Rémy Pointereau et Martial Bourquin d’avoir pris cette heureuse initiative. Il s’agit notamment de mettre fin au véritable frein que constitue l’application de normes figées et décalées en cas de rénovation d’un patrimoine ancien. Nombre d’opérations de revitalisation d’un bourg ont échoué pour de simples raisons administratives inadaptées. Entre les monuments historiques, les sites classés, le patrimoine remarquable, la rigidité administrative, érigée en véritable sport olympique dans notre pays, transforme de bonnes raisons initiales en mode d’emploi pour faire échouer un projet, en perdant de vue l’essentiel.
Il est urgent de redonner du sens à tout ça : oui, le patrimoine doit être protégé, mais pas au détriment des Français ! L’objectif n’est pas de transformer la France, aussi magnifique soit-elle, en un musée. L’objectif est que ses habitants se sentent bien dans leur pays et puissent continuer à y vivre.
S’agissant des architectes des Bâtiments de France, il est grand temps de donner une seule et même doctrine pour ne pas subir des desiderata individuels locaux insupportables et plutôt d’œuvrer raisonnablement à une vraie protection du patrimoine.
Je me réjouis du compromis intelligent trouvé au Sénat grâce à la commission de la culture, sous l’égide de sa présidente, Catherine Morin-Desailly, et de son rapporteur pour avis, Jean-Pierre Leleux,…
Mme Françoise Férat. Absolument !
M. Jean-Raymond Hugonet. … compromis qui consiste à associer les architectes des Bâtiments de France à l’élaboration de la convention « OSER ».
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Raymond Hugonet. Il ne s’agit pas en effet d’opposer les uns aux autres, ni même de « cliver » les différents intervenants. Il s’agit bien, dans le respect de notre patrimoine, de tenir compte avec discernement des nécessités de revitalisation de l’habitat et des activités économiques et sociales, ainsi que des capacités financières des collectivités.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Jean-Raymond Hugonet. Cette proposition de loi nous en donne assurément les moyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Martial Bourquin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Mézard, ministre. Je me réjouis que le constat soit assez généralement partagé par l’ensemble des intervenants. Je tiens cependant à préciser, ayant entendu parler de jacobinisme, que le mot ne m’a jamais fait peur, mais il se trouve que le projet « Action cœur de ville » mis en place par le Gouvernement n’est vraiment pas jacobin, puisque c’est le type même de processus qui est entre les mains des élus locaux. Pour l’État, il s’agit simplement de coordonner et de faciliter la réalisation des projets des collectivités contenus dans le plan « Action cœur de ville », avec une liberté considérable telle que nous n’en avons point connue depuis très longtemps dans ce type d’action.
Pour ce qui est de l’insuffisance des fonds qui auraient été fléchés sur ce dispositif, j’ai entendu avec intérêt M. Iacovelli considérer que, au-delà du milliard d’euros annuel consacré aux 222 villes, il manquait tout le reste… Je ne voudrais pas entrer dans une polémique, mais le plan de revitalisation des centres-bourgs engagé sous le dernier quinquennat s’élevait à 40 millions d’euros sur six ans et concernait 54 communes. Je veux bien recevoir des leçons, c’est le jeu du débat démocratique, mais il s’agit aussi d’avoir un peu de mémoire… Je tenais à le préciser, parce que je ne pense pas que ce soit très constructif.
M. Martial Bourquin. Il s’agissait de Jean-Michel Baylet, non ?
M. Jacques Mézard, ministre. Non, et puis vous savez, monsieur Bourquin, j’ai toujours été libre vis-à-vis de quiconque.
M. Martial Bourquin. Ce n’est d’ailleurs pas le sujet !
M. Jacques Mézard, ministre. Tout à fait ! J’entends que le nombre de 222 villes peut paraître insuffisant. Je répondrai aussi que je n’ai jamais eu 400 demandes supplémentaires ; je ne sais pas d’où sort ce chiffre, mais je puis dire qu’il n’a jamais existé.
Je suis heureux d’avoir pu, avec nos équipes, donner satisfaction à un certain nombre d’intervenants. Je tenais aussi à rappeler que j’aurai plaisir à travailler avec eux pour faciliter la redynamisation de leur centre-ville.
Comme je l’ai dit dans mon intervention liminaire, la question de la fiscalité est un sujet difficile, cela a d’ailleurs été rappelé par plusieurs orateurs. Si je n’ai pas pu vous donner de réponses positives ce soir, c’est parce qu’il reste beaucoup de concertation à mener, et je ne pense pas que nous soyons au bout du chemin.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi portant pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs
Chapitre Premier
Définition des centres-villes et centres-bourgs pouvant bénéficier des opérations de sauvegarde économique et de redynamisation « OSER »
Article 1er
Définition des opérations de sauvegarde économique et de redynamisation des centres-villes et centres-bourgs dites « OSER »
La préservation de la vitalité des centres-villes et centres-bourgs constitue une obligation nationale qui justifie des mesures dérogatoires ciblées sur les territoires en difficulté ainsi qu’un effort particulier pour y garantir la sécurité publique.
I. – Les centres-villes et centres-bourgs affectés par une forte vacance commerciale ou artisanale, un déclin de leur attractivité touristique ou de leurs animations culturelles, une décroissance démographique ou une dégradation de l’habitat peuvent faire l’objet d’opérations de sauvegarde économique et de redynamisation visant à préserver, renforcer ou ranimer leur tissu urbain, économique et commercial. Ces opérations peuvent aussi être engagées de manière préventive.
II. – La décision d’engager une opération de sauvegarde économique et de redynamisation et la délimitation de son périmètre et sa durée, qui ne peut excéder cinq années renouvelables deux fois, font l’objet d’une même délibération motivée, prise par le conseil municipal de la commune et par l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre auquel appartient la commune, sur la base d’une analyse de la situation du logement, du commerce et de l’artisanat dans le périmètre projeté. Elle fait l’objet d’un avis, qui est rendu public, du représentant de l’État dans le département.
III. – Le périmètre de l’opération de sauvegarde est caractérisé par au moins deux des éléments suivants :
1° Une forte densité commerciale, exprimée par tout indicateur pertinent intégré à la base de données mentionnée à l’article L. 751-9 du code de commerce, et d’entreprises de l’artisanat commercial ou de service, mesurée grâce aux informations détenues par l’INSEE ou les réseaux consulaires ;
2° La présence d’un ou plusieurs monuments remarquables ouverts au public illustrant une centralité par leur fonction administrative, économique ou culturelle ;
3° Une forte densité d’un habitat ancien antérieur au vingtième siècle.
Il s’étend sur une surface inférieure à 4 % de la surface urbanisée de chaque commune concernée. Ce pourcentage est majoré, pour les communes de moins de 10 000 habitants, de 2 % par tranche de 1 000 habitants selon la séquence suivante : 6 % entre 9 000 et 10 000 habitants, 8 % entre 8 000 et 9 000 habitants, 10 % entre 7 000 et 8 000 habitants, 12 % entre 6 000 et 7 000 habitants, 14 % entre 5 000 et 6 000 habitants, 16 % entre 4 000 et 5 000 habitants, 18 % entre 3 000 et 4 000 habitants, 20 % entre 2 000 et 3 000 habitants, 22 % entre 1 000 et 2 000 habitants et 24 % en dessous de 1 000 habitants.
IV. – Chaque opération de sauvegarde économique et de redynamisation fait l’objet d’une convention signée par le maire de la commune, le président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre auquel appartient la commune et le représentant de l’État dans le département. La région, le département et les autres acteurs peuvent y être associés.
V. – Le périmètre de l’opération de sauvegarde économique et de redynamisation est un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité au sens de l’article L. 214-1 du code de l’urbanisme.
VI. – L’opération de sauvegarde économique et de redynamisation fait l’objet d’un bilan annuel présenté au conseil municipal de la commune et à l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et d’une évaluation complète tous les cinq ans qui présente les résultats de l’opération dans le périmètre concerné en termes de construction et de réhabilitation de logements, de résorption de la vacance commerciale ou artisanale et de développement de l’offre commerciale, artisanale, culturelle ou touristique, d’amélioration du cadre et de la qualité de vie, de préservation et d’implantations d’équipements et services publics. Cette évaluation expose aussi les conséquences de l’opération pour les ressources de la commune et de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. Le représentant de l’État dans le département est informé par l’autorité compétente au moins deux mois à l’avance de la date de la réunion du conseil municipal de la commune ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre au cours de laquelle cette évaluation est présentée. Il transmet son avis sur les résultats de l’opération au moins quinze jours avant cette réunion.