M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture. … que notre tradition législative a héritée de la loi Malraux. L’avis conforme est préservé, mais le maire a la garantie d’être écouté.
Quoi qu’il en soit, félicitons-nous de cette proposition de loi qui s’attaque à un fléau de taille, qui gangrène nombre de nos centres-villes, en particulier parmi les villes de petite et moyenne dimension.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture. Dans ce défi, le patrimoine a tout son rôle à jouer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer l’initiative des sénateurs Pointereau et Bourquin, qui présentent une proposition de loi traitant d’un sujet majeur pour l’équilibre de nos territoires.
Vous connaissez mon attachement au Sénat. Je suis donc très heureux de voir que la Haute Assemblée est, une fois encore, force de proposition en matière d’aménagement du territoire, en application tout simplement de l’article 24 de la Constitution, que j’ai souvent invoqué ici même. Ce soir, votre assemblée est force de proposition en matière d’aménagement des centres-villes et des centres-bourgs. Je ne peux que m’en féliciter.
Élu local depuis plusieurs décennies, j’ai présidé ma communauté d’agglomération de 2001 à juin 2017. Il s’agit d’une communauté d’agglomération moyenne, qui compte 57 000 habitants. Je me suis rapidement rendu compte des difficultés particulières que rencontraient ces villes moyennes et ces petites villes, difficultés qui ont clairement été aggravées – je n’ai cessé de le dire – par certaines réformes territoriales, en particulier la fusion des régions. (Mme la présidente de la commission des affaires économiques applaudit.) Je n’épiloguerai pas sur des débats qui ont déjà eu lieu dans cette assemblée, mais je constate dans mes déplacements hebdomadaires les conséquences de ces réformes sur les villes moyennes.
Il faut en outre évoquer le phénomène de la métropolisation. Je ne suis pas de ceux qui disent qu’il ne faut pas de métropoles – on a besoin de métropoles, et de métropoles fortes –, mais, comme je l’ai moi-même déclaré il y a quinze mois dans cet hémicycle, vingt-deux métropoles, c’est trop ! Maintenant qu’elles existent, le Gouvernement, dont j’ai l’honneur de faire partie, n’entend pas bouleverser de nouveau la carte territoriale.
En tout cas, ce qui est sûr, c’est que, entre les métropoles, nous avons besoin de villes moyennes et de petites villes qui soient de véritables pôles de centralité. Elles ont une caractéristique, d’ailleurs, c’est d’être en osmose, en relation étroite avec les territoires ruraux les entourant.
Je constate aussi que, depuis les années soixante-dix, aucun plan important n’a été mis en place pour dynamiser ces villes moyennes et ces petites villes. Aucun ! Et cela fait plus de quarante ans ! Quand je suis devenu ministre au mois de juin 2017, il m’est apparu urgent d’élaborer un plan pour venir en aide à un certain nombre de villes moyennes. Oh, j’entends les critiques : 222 villes retenues, ce n’est pas assez, il en faudrait plus ! Si j’en avais retenu 500, on m’aurait de toute façon dit que ce n’était pas assez et qu’il en fallait plus…
Nous avons beaucoup travaillé avec les associations d’élus, en particulier Villes de France, présidée par Caroline Cayeux, qui siégeait il y a peu encore sur vos travées, pour mettre en œuvre une opération simple ne nécessitant ni la création d’une agence ni des structures administratives lourdes, mais permettant d’agréger un certain nombre de moyens : 1,5 milliard d’euros d’Action logement, 1 milliard d’euros en fonds propres – il ne s’agit pas de recyclage ! – et 700 millions d’euros en prêts de la Caisse des dépôts et consignations ainsi que 1,2 milliard d’euros de l’Agence nationale de l’habitat.
On peut me dire que ce n’est pas structurel, mais, pour les 222 villes retenues – Jean-Pierre Leleux ne me dira pas le contraire –, c’est tout de même un levier pour les dynamiser. Certes, toutes ne sont pas confrontées à de grandes difficultés, mais on peut considérer qu’un grand nombre d’entre elles ont accumulé, au fil des ans, des caractéristiques assez similaires : vacance de logements et de commerces – l’un allant souvent avec l’autre, d’ailleurs –, difficultés en termes de mobilité et sur le plan économique. Il était donc nécessaire d’agir, et d’agir vite, d’où ce programme « Action cœur de ville », auquel Rémy Pointereau et Martial Bourquin ont fait référence.
Je ne vois pas dans leur proposition de loi une concurrence, mais un complément. (Ah ! sur des travées du groupe socialiste et républicain.) J’ai en effet l’habitude de tenir compte du travail parlementaire, et si je vous disais autre chose, mesdames, messieurs les sénateurs, ce ne serait pas conforme à la façon dont j’ai toujours agi.
Le fait que cette proposition de loi soit complémentaire ne signifie pas qu’elle soit similaire au projet gouvernemental. Cela veut dire qu’il y aura débat à l’occasion de l’examen du projet de loi ÉLAN, dans lequel, d’ailleurs, je souhaite que nous puissions intégrer un maximum de ses dispositions. Reste que je ne prendrai pas position, ce soir, sur les mesures fiscales que vous proposez : je ne suis pas ministre de l’économie et des finances…
M. Jean-François Husson. Pas encore ! (Sourires.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ça ne pourrait pas être pire !
M. Jacques Mézard, ministre. De nombreuses mesures contenues dans cette proposition de loi méritent d’être étudiées et même, nous nous en sommes entretenus avec certains de leurs initiateurs, que nous examinions les conditions dans lesquelles nous pouvons les promouvoir dans le cadre des dispositions législatives découlant du projet gouvernemental.
Je tiens à le signaler aussi, le travail que nous avons réalisé a été mené en concertation avec les collectivités locales, ainsi, bien sûr, qu’avec Villes de France – si je ne suis pas avec vous demain, pour la suite de ce débat, c’est que je serai au congrès de cette association, à Cognac –, mais aussi certains conseils régionaux et conseils départementaux, avec qui nous travaillons à la réalisation d’opérations complémentaires, dans l’intérêt des petites villes et des villes moyennes. J’étais la semaine dernière à Metz et Lunéville pour lancer la première convention « Action cœur de ville ». Nous avons ainsi convenu avec Jean Rottner, le président de la région Grand Est, de mener un travail complémentaire sur un ensemble de villes moyennes et petites. Je parle bien de « complémentarité », et ce dans une optique de servir l’intérêt général.
Je suis également en concertation avec d’autres présidents de région, notamment celui de la région Auvergne-Rhône-Alpes et celui de la région Centre. C’est ainsi, je crois, qu’il faut avancer. Il y a des questions d’opportunité – je pense au financement de certaines opérations –, liées à une urgence à agir, en particulier dans le domaine du logement et du commerce, mais nous devons aussi avancer sur un certain nombre de dispositions structurelles.
Comme vous le savez – les auteurs de la proposition de loi l’ont relevé –, le programme que j’ai mis en place pourra s’articuler autour d’un dispositif intégrateur unique : l’opération de revitalisation de territoire, prévue à l’article 54 du projet de loi ÉLAN, qui, tout juste voté par l’Assemblée nationale, viendra prochainement devant la Haute Assemblée.
Je souhaite préciser, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, que, contrairement à ce que j’ai pu entendre, l’ORT a vocation à s’adresser, non seulement aux 222 villes et intercommunalités retenues dans le plan « Action cœur de ville », mais aussi, plus largement, à toutes les collectivités désireuses de s’emparer d’un outil opérationnel de revitalisation de leur centre-ville. Cet outil prévu par le projet de loi ÉLAN – plus que la dénomination, c’est l’instrument qui me paraît essentiel – pourra donc être utilisé par toutes les villes qui le souhaitent.
Le Gouvernement, je l’ai dit, est en accord avec nombre de mesures contenues dans la présente proposition de loi. D’ailleurs, et c’est heureux puisque nous sommes partis des mêmes bilans et des mêmes constatations, certaines de ces dispositions m’apparaissent très proches de celles qui sont actuellement discutées dans le cadre de l’examen du projet de loi ÉLAN.
Parmi les dispositifs voisins, et potentiellement similaires, on peut citer la définition d’un périmètre de revitalisation – « OSER » dans la proposition de loi -, qui correspond globalement à l’opération de revitalisation de territoire inscrite dans notre projet de loi. Je pense aussi à la constitution d’une agence nationale permettant de coordonner les différentes actions publiques. Nous agissons, là aussi, en parallèle – des parallèles ont la caractéristique de ne pas se rejoindre ; en ce qui nous concerne, il vaudrait mieux que nous nous rejoignions –, car l’agence nationale de la cohésion des territoires devrait pouvoir intégrer une telle mission. Son préfigurateur, le préfet Serge Morvan, doit nous rendre ses conclusions dans les tout prochains jours. Sur ces sujets – et là, nous parlons de dispositions structurelles –, nos approches sont similaires.
Cette proposition de loi affiche d’autres évolutions intéressantes et innovantes, notamment en matière d’urbanisme commercial.
Tous, nous pouvons dresser un certain nombre de constats sur les déséquilibres existants en matière d’urbanisme commercial, mais ces déséquilibres n’affectent pas de la même manière tous les territoires, les différences entre ces derniers étant parfois considérables. Si, dans le cadre du projet de loi ÉLAN, je n’ai pas été favorable à un moratoire général sur les centres commerciaux en périphérie, c’est parce que, dans certains endroits, il ne faudrait pas préserver ou protéger de manière excessive des monopoles.
La situation diffère selon les territoires, disais-je. Par conséquent, il faut mettre en place des dispositifs permettant qu’un certain nombre de décisions soient prises au niveau local, et ce, même si le pouvoir préfectoral peut être utilisé pour cela, en collaboration et en concertation avec les élus locaux.
Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, si la Haute Assemblée en est d’accord et pour accélérer l’adoption de certaines dispositions contenues dans cette proposition de loi, je vous propose que nous puissions insérer celles sur lesquelles nous tomberons d’accord dans le projet de loi examiné prochainement. Faisons du calendrier parlementaire et de l’examen quasi concomitant de ces deux textes une force ! Cela permettra d’aller plus vite, tout en évitant l’éparpillement de mesures dans différents textes de loi.
Si vous le permettez, j’aimerais m’attarder sur deux thématiques spécifiques évoquées dans votre proposition de loi, qui méritent une attention particulière.
Je ne parlerai pas ce soir, cher Jean-Pierre Leleux, des ABF. Après l’ode que vous leur avez faite, je ne pense pas judicieux de poursuivre le débat.
M. Didier Guillaume. C’est sûr !
M. Jacques Mézard, ministre. Nous y reviendrons ultérieurement, avec nos expériences réciproques, à défaut d’être communes.
D’une part, plusieurs propositions relèvent de l’urbanisme et d’une amélioration des outils de planification, le but étant de permettre aux élus de mieux s’emparer de ce sujet. Ces mesures peuvent s’inscrire dans les objectifs de notre projet de loi, qui a permis de faire avancer le travail de concertation vers une planification urbaine agile en matière de commerce, avec, effectivement, et même si, comme vous, je ne raffole pas de ce type d’outils, une ordonnance sur la simplification et la modernisation des SCOT, les schémas de cohérence territoriale.
D’autre part, s’agissant de la régulation de l’aménagement commercial, nous avons souhaité supprimer tout seuil de déclenchement d’une commission départementale d’aménagement commercial, ou CDAC, lorsque le projet consiste à implanter une surface en centre-ville, le seuil actuel étant de 1 000 mètres carrés. Cette question complexe a donné lieu à de multiples amendements lors de l’examen du projet de loi ÉLAN à l’Assemblée nationale et motive certaines de vos propositions. Par rapport au texte adopté par l’Assemblée nationale, je le dis très clairement, je suis ouvert à la discussion. Souhaitant que nous puissions avancer ensemble, je suis prêt à retravailler la question avec vous dès maintenant, dans le cadre de ce texte.
Parmi les autres pistes de réflexion avancées dans la proposition de loi figurent, à juste titre, le fonctionnement des CDAC, leur composition, leur échelle – départementale ou régionale –, les seuils d’analyse des dossiers et l’effectivité de leur décision. Certains d’entre vous ont siégé dans des CDAC et, auparavant, dans des CDEC et ont géré des exécutifs municipaux à l’époque où nous pouvions cumuler… (Rires et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Martial Bourquin. Eh oui !
M. Jacques Mézard, ministre. Je ne pouvais pas résister à faire ce rappel à l’excellent sénateur Bourquin…
Ceux-là ont pu, à cette époque, se rendre compte des difficultés de fonctionnement de ces commissions, qu’elles aient revêtu une forme ou une autre. À un moment, on nous a dit : « Il ne faut plus de représentants des chambres consulaires » ; à un autre moment : « Il faut qu’ils siègent »… Un coup ils entraient, un coup ils sortaient ! C’est la réalité du fonctionnement, y compris des commissions nationales, que nous avons connu, et l’on pourrait épiloguer longuement sur les dossiers et les délais de procédure.
Effectivement, du travail reste à faire. Mais tout cela est extrêmement difficile, car de nombreuses expérimentations ont été menées depuis une trentaine d’années, qui n’ont pas forcément donné satisfaction à tout le monde. D’ailleurs, si nous débattons encore des questions d’urbanisme commercial, c’est bien que les solutions mises en place n’étaient pas forcément les meilleures. Je n’en fais grief à personne, car nous en portons tous la responsabilité, depuis plusieurs décennies.
Nous avons considéré que ces questions appelaient une concertation et l’élaboration de bilans de fond, ce que nous avons fait dans le cadre du réseau « Commerce, ville et territoire », sous l’égide du ministère de l’économie et du ministère de la cohésion des territoires. Les concertations menées jusqu’à présent ont montré des positions divergentes sur les propositions d’équilibrage entre stratégie de territoires et commission de régulation. La question n’est donc pas encore résolue et mérite d’être approfondie. Sur ce point, également, je suis ouvert à la discussion.
Je souligne par ailleurs, cela a été rappelé par des intervenants précédents, que le Gouvernement a diligenté plusieurs études sur le sujet, qui ont permis de progresser. C’est le cas du rapport sur la revitalisation commerciale des villes petites et moyennes, que j’avais demandé à André Marcon et qu’il m’a remis voilà quelques semaines.
D’autres études sont en cours, notamment un rapport de l’Inspection générale des finances traitant de l’équité fiscale entre commerce physique et commerce électronique – j’ai vu avec intérêt que c’était l’un des sujets d’importance traités dans le cadre de cette proposition de loi –, ou le rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable portant sur les villes moyennes.
C’est donc un travail important qui a été réalisé, et dont il reste aujourd’hui à tirer la substantifique moelle.
Aussi vous comprendrez que les mesures fiscales contenues dans cette proposition de loi soient mises en perspective avec les conclusions du rapport commandé par le Gouvernement à l’IGF, dont nous connaîtrons les conclusions à la fin de ce mois.
Enfin, il y aura les différents retours d’expérience du plan « Action cœur de ville », désormais lancé – ce sont 50 conventions qui seront signées d’ici à la fin du mois de juillet et 222 d’ici la fin du mois de septembre –, ainsi que les retours d’expérience de l’utilisation de l’opération de revitalisation de territoire et de l’appel à projets « Repenser la périphérie commerciale », placé sous l’égide de mon ministère.
Tout cela permettra de faire émerger les bonnes pratiques, qui viendront nourrir les futures évolutions législatives. Je pense, notamment, à l’application de la dérogation aux autorisations d’aménagement commercial en centre-ville et aux mesures opérationnelles mises en place pour revitaliser ces centres-villes.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques observations que je voulais formuler préalablement à la discussion de cette proposition de loi, que le Gouvernement considère avec sagesse. Comme la sagesse est aussi l’une des vertus du Sénat, je ne doute pas que nous pourrons trouver, ensemble, des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au plus proche des problématiques des territoires, le Sénat est, avec cette initiative de la délégation aux collectivités territoriales et de la délégation aux entreprises, pleinement dans son rôle de représentant des collectivités territoriales.
Depuis des siècles, la mémoire des Français entretient un lien particulier avec l’idéal mythifié du « village », qui s’incarne dans une certaine idée d’une France paisible et immuable. Le village de l’affiche « La force tranquille » de François Mitterrand pour l’élection présidentielle de 1981…
M. Didier Guillaume. Très bonne référence !
M. Jean-Claude Requier. … s’inscrivait dans cette tradition. Et, dans cette mémoire, l’image même des centres-bourgs s’inscrit totalement. Pourtant, nous sommes en train de vivre ce que le sociologue Jean-Pierre Le Goff appelle la « fin du village », c’est-à-dire la disparition d’une société autrefois organisée autour d’une communauté de production – avec ses marchands, ses artisans –, mais également d’un espace socialement signifiant.
« Les sentiments et les idées ne se renouvellent, le cœur ne s’agrandit et l’esprit humain ne se développe que par l’action réciproque des hommes les uns sur les autres », alertait déjà Tocqueville en son temps. Oui, dans ces villes trop hâtivement qualifiées de moyennes, on ne se croise qu’à peine, on ne se parle plus guère ! Ne soyons donc pas surpris du sentiment de délaissement que peuvent éprouver leurs habitants, ni de la montée des extrêmes.
Soyons honnêtes : ce processus de transformation s’est déroulé sur des décennies, lentement, par l’action comme par l’inaction. La responsabilité en est d’ailleurs partagée par les élus et les gouvernements successifs. C’est ainsi que l’espace de nos centres-villes a été remodelé par la fuite des équipements attractifs, la disparition du petit commerce au profit des grandes surfaces, le recul des services publics, mais aussi la multiplication des lotissements.
Bien sûr, et malgré le carcan des normes qui les contraignent, il faut saluer l’engagement constant des élus locaux pour faire vivre leur territoire, en particulier les lieux d’échange et de lien social : construction de musées, organisation de festivals, sauvegarde et valorisation du patrimoine.
Mes chers collègues, disons-le clairement, cette proposition de loi ne va pas révolutionner la vie des centres-bourgs. En revanche, mes collègues du RDSE et moi-même estimons qu’elle a le mérite de mettre en lumière la question de la dévitalisation des centres-bourgs et d’avancer des solutions, quand bien même l’économie peut en être discutée. Plus largement, c’est tout un cycle de débats qui débute, avec, en perspective, le plan « Action cœur de ville » et le projet de loi ÉLAN.
Néanmoins la philosophie de cette proposition de loi doit être saluée, à commencer par la volonté de réduire le poids des normes pesant sur les élus. Il est ainsi évident que l’expérimentation doit être renforcée, dans un contexte où les maires des communes petites et moyennes rencontrent plus de difficultés que les maires des grandes villes, par manque de moyens, d’ingénierie. Sans omettre le fait que l’offre intercommunale ne leur donne pas toujours la réponse attendue.
Dans le même esprit, les élus locaux des petites communes, qui ne disposent pas de service d’urbanisme pour monter les dossiers, sont parfois très désemparés devant les avis des ABF. Nous attendons une uniformisation des pratiques et plus de compréhension. À ce titre, l’introduction d’orientations applicables par les ABF va dans le bon sens.
La proposition de loi s’appuie également sur un large volet fiscal, destiné au financement des mesures qu’elle propose.
Sur la forme, il est évident que de telles mesures auraient bien plus leur place en loi de finances, par souci de cohérence.
Sur le fond, on peut s’interroger sur la pertinence d’un certain nombre de dispositifs. Je pense ainsi à la taxe sur les livraisons électroniques, calculée en kilomètres parcourus entre le dernier lieu de stockage et le point de livraison. À l’évidence, une telle mesure risque de pénaliser le monde rural, alors qu’un forfait serait plus à propos.
Dans le même registre, si la lutte contre l’artificialisation des terres est un objectif important, la taxe sur les entrepôts et les drive pourrait aboutir à créer un système favorisant les livraisons depuis l’étranger, pénalisant la compétitivité française.
Enfin, comme membre de la commission des finances, je m’interroge sur la compatibilité avec le droit communautaire de l’instauration de taux réduits de TVA pour les programmes mixtes des zones « OSER », au risque, aussi, d’instituer des mesures plus favorables que pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
Parallèlement, on peut toujours renommer le FISAC… L’alimenter serait encore mieux ! Surtout, il convient de ne pas en exclure les réseaux de stations-service indépendants en zone rurale, lorsque l’on sait à quel point le carburant est un produit de première nécessité en zone non urbaine,…
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. … et ce même si l’on a abaissé la vitesse à 80 kilomètres par heure !
D’autres mesures, encore, suscitent notre interrogation – c’est peu de le dire.
Pourquoi mettre en concurrence les zones « OSER » avec l’opération de revitalisation de territoire, l’ORT, qui cherche à atteindre les mêmes objectifs ? Nous en discuterons prochainement dans le cadre du projet de loi ÉLAN. Je rappelle que l’ORT n’est pas réservée aux 222 territoires du plan « Action cœur de ville ».
Pourquoi vouloir mettre sur pied une agence nationale pour les centres-villes et les centres-bourgs, au risque d’engendrer un effet de silo pour l’appui aux collectivités, alors que l’agence nationale pour la cohésion des territoires est en voie de concrétisation ? À notre sens, l’accent doit être mis, au contraire, sur la mutualisation des moyens d’ingénierie et d’intervention publiques.
Mes chers collègues, le Sénat remplit aujourd’hui son rôle de législateur et de représentant des collectivités. Nous devons nous en féliciter.
Avec pour seul souci l’intérêt de nos territoires, le groupe du RDSE sera attentif à la discussion de ce texte, car nous partageons l’objectif de donner un souffle nouveau à nos centres-bourgs. Non, la dévitalisation n’est pas une fatalité !
Restons humbles devant la tâche qui nous attend, celle d’imaginer de nouveaux équilibres entre métropoles et ruralités, entre centres-bourgs et espaces périurbains. Ce texte est une première étape. Pour notre part – nous sommes à la période des examens –, nous y voyons un bac blanc, précédant de quelques semaines le grand oral auquel, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous attellerons. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par MM. Bourquin et Pointereau et plusieurs de mes collègues nous donne aujourd’hui l’occasion d’aborder un sujet qui nous est cher à tous : l’avenir de nos centres-villes et centres-bourgs.
Depuis plusieurs années, nos concitoyens et nous-mêmes, souvent élus locaux, constatons la dégradation du bâti, la baisse de la population, l’activité économique bien souvent en déclin et les commerces en berne dans nos villes. Les modes de vie et de consommation ont évolué, le numérique a bouleversé nos habitudes, et nous avons parfois trop facilement autorisé tel ou tel développement commercial.
En tant que chambre des territoires, le Sénat doit se saisir de ce sujet et proposer des solutions concrètes pour demain. Ainsi, je souhaite saluer le travail de fond que mes collègues auteurs de la proposition de loi ont mené depuis plusieurs mois, à travers le groupe de travail transpartisan dédié.
Les propositions qui nous sont faites ce soir méritent notre plus grande attention et un débat apaisé. Plusieurs mesures vont en effet dans le bon sens : rôle de l’EPARECA, l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux ; obtention des AEC, les autorisations d’exploitation commerciale ; lutte contre le départ des services publics ; dérogation expérimentale de certaines normes ; rôle et composition des CDAC… Le financement de certaines mesures est toutefois à préciser.
Dans le prolongement du plan « Action cœur de ville » que vous portez, monsieur le ministre, l’article 54 du projet de loi ÉLAN tend à créer l’opération de requalification de territoire. Cet outil vise les mêmes objectifs que les périmètres « OSER ». Il ne se limite pas aux 222 territoires éligibles au plan, comme l’affirment certains, mais pourra être mobilisé – vous venez de l’indiquer – par toute collectivité souhaitant entrer dans la démarche.
À l’Assemblée nationale, cet article 54 a été largement enrichi, d’ailleurs par des mesures parfois similaires à celles que nous allons discuter ce soir et demain. Cela montre que nous marchons ensemble dans la bonne direction.
M. Jean-François Husson. Nous avançons !
Mme Noëlle Rauscent. Alors, plutôt que de multiplier les véhicules législatifs, enrichissons celui qui est en cours de navette. Profitons des débats à venir pour dégager le meilleur pour nos villes et nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)