M. Bruno Sido. Parfait !
M. Christian Cambon, rapporteur. Enfin – c’est un point très important –, la commission a voulu accroître les pouvoirs de contrôle du Parlement, dans le droit fil du souhait du Président de la République, qui nous avait réunis à Versailles pour nous demander d’approfondir les procédures de contrôle parlementaire. Nous avons ainsi proposé la transmission d’outils synthétiques pour mieux contrôler, année après année, l’exécution de cette loi. Il s’agit notamment de l’accroissement des pouvoirs d’information de la délégation parlementaire au renseignement, sujet à propos duquel nous aurons sans doute une longue discussion. Bien entendu, nous voulons non pas porter atteinte à la séparation des pouvoirs, mais aligner le contrôle du Parlement français en matière de renseignement sur la pratique de tous les autres pays européens. En Angleterre, ce sont même des organismes privés qui contrôlent les activités des services de renseignement.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Christian Cambon, rapporteur. Quoi qu’il en soit, la commission reste ouverte à la discussion sur ce point, madame la ministre.
Vous le savez comme nous, tout se jouera dans l’exécution ! C’est à sa mise en œuvre que nous pourrons juger si cette LPM était bonne ou pas. Je me tourne donc vers vous : aidez-nous à vous aider,…
M. Jean-Marie Bockel. Excellent !
M. Christian Cambon, rapporteur. … par le biais du bon accueil que vous réserverez aux amendements que nous avons déposés. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) Notre commission sera à vos côtés pour que ces engagements soient tenus, car il y va de l’intérêt de la France. Au cas où ils ne le seraient pas, nous serions là pour le dire ! Rien ne serait pire que de décevoir.
Ne vous affolez pas devant la volonté d’un contrôle parlementaire. Mon illustrissime prédécesseur Georges Clemenceau (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.) expliquait de cette tribune que le contrôle parlementaire est indispensable au succès de l’action militaire du gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Claude Requier et Franck Menonville applaudissent également.)
M. Ladislas Poniatowski. Bravo !
M. Christian Cambon, rapporteur. Méditons tous ensemble cette phrase.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans ce monde instable, en crise, ces moyens nouveaux, nous les devons à nos armées, à qui je rends hommage une fois encore. Avec ces capacités nouvelles, la France pourra, mieux encore, accomplir sa vocation, celle d’une grande puissance qui, bien armée, sera plus efficace encore au service de la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Hélène Conway-Mouret applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Françoise Gatel et Michèle Vullien applaudissent également.)
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la ministre, vous venez de qualifier cette LPM de loi de réparation et de préparation de l’avenir. Ce terme de réparation n’est pas neutre : il exprime votre sentiment sur les moyens de nos armées et sur la situation dont vous avez hérité.
Les causes sont bien connues : des moyens encore revus à la baisse par rapport à la période 2009–2014 et une activité opérationnelle dont la durée et l’intensité ont été bien supérieures aux prévisions affichées.
C’est ce qui nous avait conduits à qualifier à plusieurs reprises le budget des armées d’insincère. C’est à l’aune de ce critère de sincérité que la commission des finances a examiné le texte que vous nous soumettez.
Sur le plan des ressources, des progrès incontestables peuvent être relevés : la provision pour les OPEX, sur laquelle je ne reviendrai pas, M. Cambon l’ayant évoquée ; la fin des recettes exceptionnelles improbables ; et une meilleure prise en compte du soutien à l’exportation.
Sur le plan des dépenses, l’effort est également incontestable : création de 6 000 postes, amélioration de la condition militaire, crédits d’équipement majorés permettant le renouvellement de la dissuasion nucléaire, renouvellement de certains matériels, efforts en faveur des infrastructures et meilleur entretien programmé des matériels.
Pour autant, peut-on qualifier cette LPM de totalement sincère au sens budgétaire du terme ? Des points de fragilité, qui sont autant de points de vigilance, méritent d’être relevés.
Le premier, chacun l’a bien à l’esprit, c’est que le gros de l’effort est reporté à la législature suivante et au prochain quinquennat : les crédits des armées augmenteront ainsi de 1,7 milliard d’euros par an jusqu’en 2022 et de 3 milliards d’euros par an à partir de 2023. À charge pour vos successeurs de trouver les sommes nécessaires. Par ailleurs, si les besoins sont bien programmés jusqu’en 2025, les annuités 2024 et 2025 ne sont pas couvertes de manière ferme.
La même logique est appliquée en matière d’effectifs : sur les 6 000 créations de postes prévues, 4 500 sont renvoyées à après 2022.
La question du porte-avions Charles de Gaulle est tout juste effleurée, alors qu’une décision devra être prise avant le terme de cette LPM si nous voulons être prêts pour la date de 2038.
Le deuxième point de vigilance, et non le moindre, c’est que les contrats opérationnels assignés à nos armées sont pratiquement inchangés par rapport à ceux qui étaient inscrits dans la précédente LPM.
Or ces derniers ont été très largement dépassés et rien ne laisse penser que notre engagement puisse diminuer dans les prochaines années, bien au contraire ! Cela signifie, les mêmes causes ayant les mêmes effets, que l’effort engagé permettra sans doute de stopper la dégradation de nos capacités, mais leur régénération n’aura véritablement lieu qu’au cours du prochain quinquennat.
Le troisième point de vigilance, c’est que, à la différence de la précédente loi de programmation, ce texte ne prévoit pas de clause de sauvegarde en matière d’évolution des prix des carburants opérationnels, renvoyant à l’actualisation de 2021. Or le cours du baril de Brent atteint déjà plus de 70 dollars, alors que les hypothèses retenues dans le présent projet de loi s’établissent à 55 dollars.
Le quatrième point de vigilance, qui n’a selon moi pas été suffisamment relevé, c’est que l’équilibre général repose sur des hypothèses d’exportation, en particulier du A400M et du NH90, qui sont loin d’être acquises.
À ce titre, si l’on peut se réjouir d’une volonté de coopération avec nos partenaires, notamment l’Allemagne, les questions de propriétés industrielles et d’autorisation d’exporter, qui ne relèvent pas des mêmes procédures dans nos deux pays, sont loin d’être réglées. Notre industrie et notre souveraineté nationale ne peuvent en faire les frais.
Ces points de vigilance ont fait l’objet d’un travail approfondi entre la commission des affaires étrangères et de la défense, saisie au fond, et notre commission des finances, saisie pour avis.
Les amendements que nous avons déposés et adoptés en commission ne remettent pas en cause la trajectoire budgétaire proposée par le Gouvernement, ni les priorités que vous avez définies. Ils vont tous dans le même sens, à savoir conforter les recettes et en garantir l’usage.
Vous l’avez indiqué il y a un instant, madame la ministre, vous croyez profondément au travail parlementaire. Aussi ne comprendrions-nous pas que le Gouvernement, au Sénat, ou selon une technique maintenant bien éprouvée avec l’Assemblée nationale, les rejette tous, pour revenir in fine au texte initial.
Vous êtes attachée à rétablir et conforter le lien État-Nation. En entendant le Parlement, vous y contribuerez. La fonction régalienne dont vous avez la charge appelle au consensus. Nous y prendrons notre part en votant votre texte, mais vous devez aussi donner des garanties au Parlement que cette loi de programmation sera bien exécutée. Tel est l’état d’esprit dans lequel nous abordons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la LPM 2019–2025 constitue une avancée majeure, qui est appréciée. La France a besoin de ses armées, vous l’avez dit, madame la ministre, et il s’agit de leur donner les moyens de faire leur devoir, pour reprendre l’expression de M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Deux titres extraits du rapport pour avis de la commission des lois résument notre analyse. Voici le premier : « Soutenir les besoins des armées tout en assurant la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ». Notre pays a besoin d’une « remontée en puissance », les dangers géostratégiques, que vous connaissez tous, mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, étant considérables. Pour autant, le droit peut être aussi au service de l’efficacité. Une société doit assurer sa sécurité et sa défense en respectant les règles démocratiques. Le couple efficacité-valeurs démocratiques a constitué en quelque sorte le fil rouge de la réflexion menée par la commission des lois, pour ce qui concerne à la fois la sécurité extérieure, la sécurité intérieure, la diplomatie, avec les débats actuels autour de l’unilatéralisme et du multilatéralisme, l’économie – je pense à l’OMC, aux sanctions économiques et aux droits de douane – , la politique, avec la question européenne des valeurs, la conditionnalité des aides européennes en fonction de ces mêmes valeurs, et la montée des nationalismes un peu partout autour de nous.
C’est dire, mes chers collègues, qu’il doit y avoir en toute matière place à une régulation en fonction du droit. L’efficacité militaire n’est pas étrangère aux valeurs démocratiques. Plus ce modèle est mis en cause – reconnaissons-le – aux niveaux mondial et européen, plus il reste notre combat.
Cela me conduit au deuxième titre du rapport pour avis de la commission des lois que j’évoquais il y a un instant : « Une large approbation, des ajustements à la marge ». Une large approbation d’abord. Nous partageons les objectifs de la LPM, qui portera l’effort de la France à 2 % du PIB, comme l’ont fort bien expliqué Mme la ministre et M. le président Cambon. Il serait donc inélégant de ma part d’être redondant.
Je souhaite confirmer l’attention et le soutien de la commission des lois sur l’action en matière de cyberdéfense, articles 19 et 21. Il en va de même sur l’idée de doter les armées des moyens juridiques et opérationnels adéquats, articles 22, 23, 24 et 40. Je pense notamment aux questions concernant les conventions internationales, les règles de prélèvement en matière d’OPEX, et l’adaptation du droit commun aux spécificités de la défense. C’est également tout le travail effectué par le Gouvernement et l’ensemble de l’administration sur le statut, le recrutement, le droit électoral, les marchés publics, la participation, ou le contentieux des pensions militaires et, plus généralement, sur ce que M. le président Cambon appelle une LPM « à hauteur d’homme ».
Après cette approbation générale, j’en reviens au terme d’« ajustements », qui concerne deux points.
D’abord, s’agissant de l’article 19 relatif à la cyberdéfense, le fait de placer, à la demande de l’ANSSI et sous le contrôle de l’ARCEP, des sondes destinées à identifier les virus et les attaques n’est techniquement pas neutre. Il faut l’admettre, il y a là une possibilité d’atteinte à la vie privée. Celle-ci doit être proportionnelle et accompagnée de garanties. Nous vous proposerons donc, madame la ministre, des garanties supplémentaires en la matière.
Ensuite, je veux évoquer l’amendement du Gouvernement visant à introduire un article additionnel après l’article 22 bis, qui traite du contrôle parlementaire en matière de renseignement, que M. le président Cambon a évoqué il y a quelques instants.
Si je ne suis pas supposé parler ici au nom de la commission des affaires européennes, je voudrais toutefois vous dire, mes chers collègues, ayant souvent exprimé devant vous des convictions européennes marquées, à quel point la dimension européenne est importante pour ce texte.
À écouter nos collègues, l’exercice de coopération, en particulier avec l’Allemagne, est plus complexe que je ne le pensais. Je vous souhaite simplement, madame la ministre, de trouver des solutions et de pouvoir ainsi poursuivre une trace permettant aux autres pays européens d’accompagner la France dans un effort ô combien nécessaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. André Gattolin applaudit également.)
Demande de réserve
M. Christian Cambon, rapporteur. Monsieur le président, pour la bonne organisation de nos débats, et comme il est de tradition s’agissant des projets de loi de programmation militaire, je demande le report de l’examen de l’article 2 et du rapport annexé jusqu’à la fin la discussion du texte de la commission, ce qui nous permettra d’examiner d’abord les articles de programmation.
M. le président. Je suis saisi d’une demande de réserve de l’examen de l’article 2 et du rapport annexé jusqu’à la fin de la discussion du texte de la commission.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la réserve est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au Front national, nous estimons que ce projet de loi de programmation militaire ne va pas assez loin. (Ah ! sur plusieurs travées.)
Si nous ne le rejetons pas en bloc, nous l’estimons néanmoins insuffisant. De surcroît, nous affirmons qu’il agit en trompe-l’œil, laissant croire qu’une hausse des budgets effacerait le reste des manquements en matière de politique étrangère et militaire du Gouvernement.
Ce que nous affirmons depuis longtemps déjà, c’est que la France doit conserver, ou plutôt retrouver, son indépendance, afin que notre pays puisse avoir sa voix propre dans le concert des nations.
Or force est de le constater, malgré certaines avancées dans ce qui ne reste qu’une projection, la réalité demeure bien éloignée de cet objectif.
Sur le plan financier, le flou, qui n’a rien d’artistique, entourant le financement du budget des OPEX, d’ailleurs largement sous-évalué, n’est plus acceptable. Qui des armées ou de l’interministériel en assumera la charge ? Mystère…
À ce jeu de « la roulette de Bercy », nos armées sont perdantes, car les arbitrages se font au détriment des programmes d’équipements. Or rogner sur ces derniers, c’est jouer avec la vie de nos soldats.
Sur le plan stratégique, nous ne voulons pas d’un alignement aveugle sur les positions des États-Unis. L’OTAN exerce une tutelle trop forte sur la politique de défense française. De ce point de vue, notre réintégration fut une erreur, et elle le reste.
Sur le plan militaire, nous sommes isolés au Mali et notre armée s’y use. Sur le dossier syrien, notre intérêt n’est pas d’affaiblir le régime d’Assad, que nous estimons être un rempart contre le terrorisme islamique, malgré vos affirmations, madame le ministre.
Sur le plan industriel, ensuite, nous dénonçons la stratégie issue tout droit du « macronisme », que l’éphémère ministre de la défense Sylvie Goulard avait décrit en ces termes : « Si nous voulons faire l’Europe de la défense, il va y avoir des restructurations à opérer, à faire des choix, des choix de compatibilité et, à terme, [des choix] qui pourront passer dans un premier temps aboutissant à privilégier des consortiums dans lesquels les Français ne sont pas toujours leaders ».
Vous avez bradé STX à Fincantieri pour moins de 80 millions d’euros. Aujourd’hui, c’est Naval Group qui est menacé. Si nous n’avons rien, bien au contraire, contre des accords bilatéraux, ceux-ci doivent reposer sur des intérêts communs. Cela ne fonctionne pas avec nos partenaires allemands, qui, eux, agissent pour préserver leurs propres intérêts. Comment les en blâmer ?
Nous dénonçons un changement amorcé depuis déjà plusieurs années, celui d’une dépendance mutuelle avec nos partenaires européens, qui se traduira à terme par l’abandon de notre système de défense nationale.
Ce que vous qualifiez d’« efforts financiers » reste cruellement insuffisant. Les budgets annuels de votre LPM sont au-dessous des efforts financiers allemands et britanniques et ne tendront vers les 2 % du PIB qu’en 2025. Il ne peut exister de diplomatie indépendante sans une armée indépendante, sans une industrie nationale d’armement indépendante, sans un gouvernement indépendant.
À la vue courtermiste d’un banquier d’affaires au regard figé sur sa comptabilité, nous préférons quant à nous la vision nationale et historique de souveraineté. C’est l’honneur et l’intérêt de la France de maintenir, comme elle l’a fait tout au long de son histoire, en tout cas jusqu’à un passé récent, une voix souveraine et non alignée.
Nous avons les outils, nous avons l’intelligence, nous avons l’expérience, nous avons les soldats prêts au sacrifice de leur vie, pour que vive la France, et, pourtant, vous vous appliquez à les démanteler un à un.
Au nom de la France, de son armée et de ses soldats, nous ne pouvons l’accepter.
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Jean-Claude Requier. Le Gers !
M. Raymond Vall. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la revue stratégique de 2017 fait état d’« un monde entré dans une ère de turbulences », comme si, d’ailleurs, il en était un jour sorti ! Hélas, aujourd’hui comme hier, le monde peine à trouver son point d’équilibre.
Quand l’espoir naît d’un côté, il s’évanouit de l’autre. Quand la Corée du Nord semble faire un pas sur le dossier nucléaire, l’accord de Vienne avec l’Iran est fragilisé ! Quand Daech perd du terrain en Irak et en Syrie, l’organisation se dissémine et frappe ailleurs, en Afghanistan ou en Indonésie ! Le Yémen s’enfonce dans la crise et la bande de Gaza s’enflamme de nouveau.
Aussi, dans ce contexte de menaces persistantes, notre pays doit non seulement maintenir, mais aussi renforcer son modèle d’armée. J’ajoute que, en tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU, la France en a le devoir.
Le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 affiche une ambition chiffrée, celle de porter l’effort de défense à 2 % du PIB d’ici à 2025. C’est un objectif qui est largement consensuel ; espérons qu’il sera respecté. À cet égard, le renforcement du contrôle du Parlement sur l’exécution de la LPM prévu aux articles 6 ter et 6 quater est le bienvenu, car nous savons combien la programmation a été malmenée par le passé.
Elle a souvent fait l’objet de quelques « ficelles », qui ont entamé la sincérité budgétaire de la mission « Défense ». Je pense à l’usage abusif de recettes exceptionnelles, à la pratique du « gel » budgétaire ou encore, s’agissant des équipements, au recours aux décalages calendaires ou à la réduction des cibles. S’agissant de l’avenir, une meilleure sécurisation des recettes opérée ici et là dans ce projet de loi permettra peut-être d’éviter certains écueils.
En tout état de cause, les moyens augmenteront sur toute la durée de la programmation, même si l’on peut regretter que l’accélération se fasse seulement à partir de 2022, avec tous les aléas économiques ou politiques que l’on pourrait par avance imaginer.
Le groupe du RDSE approuve en tout cas l’objectif à terme, d’autant que nous savons qu’il garantira aussi notre crédibilité au sein de l’Union européenne. C’est un fait, la sortie du Royaume-Uni, grande puissance militaire, alourdira notre responsabilité au sein de la politique de sécurité et de défense commune.
Vous l’avez dit, madame la ministre, avec cet effort, il s’agit à la fois de réparer et de préparer l’avenir.
Réparer, car, nous le savons tous, mes chers collègues, on observe depuis dix ans un dépassement de 30 % des contrats opérationnels, comme le rappelle régulièrement et publiquement le général Lecointre.
Il s’agit aussi de préparer l’armée aux défis futurs, qui sont nombreux, avec les nouveaux lieux de confrontations que sont l’espace exoatmosphérique ou le cyberespace.
Je m’arrêterai un instant sur la cybersécurité. L’ANSSI a dressé pour 2017 un bilan vraiment alarmant : plus de 2 000 signalements d’événements de sécurité numérique ont été détectés, dont 20 incidents majeurs. Il semblerait en outre que la multiplication des épisodes s’accompagne d’outils de plus en plus sophistiqués et dévastateurs.
Par conséquent, nous nous félicitons du fait que la cyberdéfense constitue l’une des priorités de ce texte. Celui-ci prévoit, sur les 6 000 emplois nouveaux créés, d’en affecter 1 500 à la cyberdéfense.
Par ailleurs, sur le plan normatif, la cyberdéfense est également visée au travers des mesures prévues au chapitre III. L’amélioration des capacités de détection des cyberattaques, avec l’intervention renforcée de l’ANSSI sous le contrôle de l’ARCEP, ou encore le bénéfice du régime d’« excuse pénale » des militaires pour les cybercombattants sont des mesures qui vont dans le bon sens.
Mieux préparer notre armée, vous l’avez dit, madame la ministre, la moderniser, innover, c’est aussi la doter rapidement des nouveaux équipements indispensables sur le terrain, en particulier en OPEX. Je pense tout particulièrement aux drones, qui sont aujourd’hui au centre de tous les dispositifs opérationnels.
Nous savons que l’armée ne peut plus s’en passer et que l’ennemi, même non étatique, utilise depuis quelques années déjà cette technologie, certes à petite échelle. On l’a vu dans la bataille de Mossoul, Daech utilisait contre nos militaires des mini-drones piégés.
Sur le plan industriel, il est bien sûr indispensable d’encourager une solution garantissant une certaine autonomie stratégique. Car l’utilisation des drones dont nous disposons est aujourd’hui étroitement contrôlée.
Au cours de la mission d’information de la commission de la défense du Sénat que nous avons menée, avec mes collègues Cédric Perrin, Gilbert Roger et Jean-Marie Bockel, nous avons pu constater combien la marge de manœuvre de l’armée française concernant ces drones est faible.
Aussi sommes-nous heureux de noter, madame la ministre, que vous avez tenu compte du rapport de cette mission d’information et que vous mentionnez l’affermissement de la coopération européenne en vue de la conception et la mise en service du drone MALE, sans oublier la coopération franco-britannique pour la réalisation d’un drone de combat furtif. Malheureusement, tout cela ne sera effectif qu’en 2030. Les premiers drones ne seront livrés qu’en 2025, soit en fin de LPM.
Mes chers collègues, parce que, derrière les chiffres et les objectifs de la programmation, il y a des hommes et des femmes courageux qui n’hésitent pas à risquer leur vie et parfois même à la donner pour la Nation, je veux souligner les améliorations que ce projet de loi apportera à leur quotidien et leur vie personnelle. Ils le méritent. Tout doit être fait pour qu’ils exercent leur fonction dans les meilleures conditions, car ils honorent la France. Leur engagement est pour nous une forme d’orgueil.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe du RDSE, dans sa grande majorité, après avoir soutenu tous les amendements déposés par la commission, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi de programmation militaire constitue pour le Sénat un rendez-vous majeur, puisqu’il s’agit de débattre et de voter l’orientation générale de notre défense et l’effort financier qui doit la soutenir, au cours de la période 2019–2025.
Vous l’avez dit, madame la ministre, ce projet de loi donne à l’armée les moyens de son ambition. Notre budget de la défense est passé de 6,2 % du PIB en 1962 à 1,54 % du PIB en 2014. Au lendemain du choc du 13 novembre 2015, de l’intervention Chammal dans l’espace assyrien et à l’heure du renforcement de notre présence au Sahel, l’érosion constante de nos crédits n’est plus acceptable.
Je voudrais donc saluer votre détermination à tout mettre en œuvre pour redonner à notre défense les moyens d’affronter les menaces auxquelles nous devons faire face et pour préparer nos armées aux défis de demain, en portant l’engagement du Président de la République d’atteindre progressivement un effort de défense représentant 2 % du PIB en 2025.
Pour y parvenir, ce projet de loi de programmation militaire prévoit une hausse annuelle de 1,7 milliard d’euros par an jusqu’en 2022, soit de 5 % par an, avant les « marches » de 3 milliards d’euros par an, soit de 7 % par an, à partir de 2023. Au total, l’augmentation atteindra 295 milliards d’euros en 2025.
Toutefois, ce texte n’est pas un simple budget comptable. Il prend enfin en compte nos besoins et les besoins de nos soldats. Pour ce faire, il rompt avec la tendance de ces dernières années de réduction des effectifs. Après les 60 000 suppressions de postes dans les armées françaises entre 2005 et 2015, il est plus que louable que cette programmation vienne apporter un peu d’oxygène à nos armées, en prévoyant 6 000 postes supplémentaires d’ici à 2025, pour porter à cet horizon les effectifs à 275 000 personnes.
Entre 2019 et 2023, il est ainsi prévu d’augmenter de 14 % les dépenses liées aux conditions de travail et de vie du militaire. Je me félicite, madame la ministre, de ce choix de conférer une place prioritaire à l’amélioration de la vie professionnelle et personnelle de nos soldats, alors même que 400 millions d’euros avaient déjà été consacrés au bien-être des familles des militaires dans la dernière loi de finances.
Plus largement, ce projet de loi met en œuvre les trois ambitions définies pour l’horizon 2030 dans le cadre de la revue stratégique d’octobre 2017 : s’adapter, assumer, moderniser.
La première de ces ambitions consiste à adapter notre outil de défense aux évolutions rapides du contexte géopolitique. À cet égard, il est important de tenir compte de l’ouverture de nouvelles perspectives en matière de coopération européenne de développement des armes et des technologies de défense conjointe.
Comme l’a rappelé le Président de la République lors de ses vœux aux armées, « il ne s’agit pas de dupliquer ou de concurrencer l’OTAN, mais de réunir les conditions de l’autonomie stratégique de l’Europe ». C’est en ce sens que la décision de 25 pays de l’Union européenne de lancer une coopération militaire inédite, afin de développer en commun des équipements et des armements, mais aussi de faciliter les opérations extérieures menées, est une décision historique. De ce point de vue, je me félicite des avancées actées à la fin du mois d’avril à Berlin s’agissant de la coopération franco-allemande dans l’aéronautique, sur le système de combat aérien futur.
La deuxième ambition véhiculée par ce projet de loi est de permettre à la France de continuer à assumer les responsabilités particulières qui sont les siennes en matière de sécurité internationale.
Ces obligations entraînent des exigences lourdes : intervenir, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et membre de l’OTAN, dans le règlement de crises hors d’Europe, notamment en Afrique et au Proche-Orient.
Les armées françaises seront capables de s’engager dans la durée et simultanément sur trois théâtres d’opérations ; de ce fait, la provision annuelle au titre des opérations extérieures et des missions intérieures, qui était jusqu’à présent toujours sous-estimée, est rehaussée. C’est là un choix cohérent et bienvenu.
En outre, troisième ambition, ce projet de loi vise à poursuivre la modernisation de notre outil de défense dans un cadre financièrement crédible.
Une enveloppe totale de près de 173 milliards d’euros est consacrée aux équipements et à leur entretien. Le texte accélère leur modernisation, tout en augmentant le nombre de certains équipements prioritaires.
Par ailleurs, face à la course internationale au réarmement atomique, des travaux de renouvellement des deux composantes, navale et aérienne, de la dissuasion nucléaire seront engagés au cours de ce quinquennat, pour un budget de 37 milliards d’euros entre 2019 et 2025.
Ce projet de loi prévoit également, pour préparer l’avenir, le lancement d’études sur le remplacement de notre unique porte-avions, le Charles de Gaulle.
Parallèlement, le budget de recherche & développement est porté de 730 millions d’euros à 1 milliard d’euros par an.
Plusieurs modifications et enrichissements ont été apportés lors de l’examen de ce texte en commission, parmi lesquels un point en particulier nous alerte, à savoir celui qui concerne la délégation parlementaire au renseignement. Mais nous aurons l’occasion, au cours de la discussion de ce texte, d’en débattre plus avant – je n’en doute pas.
Ce projet de loi est l’étape indispensable dans l’accomplissement d’une ambition plus grande encore à laquelle je nous invite : l’ambition de renouer avec une France au cœur du concert des nations, l’ambition d’une France moteur de l’Europe, l’ambition de construire une Europe de la défense. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
(Mme Catherine Troendlé remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)