Sommaire
Présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann
Secrétaires :
MM. Victorin Lurel, Michel Raison.
2. Candidature à une commission
3. Expérimentation de la tarification sociale de l’eau. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Monique Lubin, auteur de la proposition de loi
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi
M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire
M. Nicolas Hulot, ministre d’État
Clôture de la discussion générale.
Article 3 (nouveau) – Adoption.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
4. Sortie de l’indivision successorale et politique du logement en outre-mer. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 7 de Mme Catherine Conconne. – Rejet.
Amendement n° 9 de Mme Catherine Conconne. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 6 rectifié de M. Guillaume Arnell. – Adoption.
Amendement n° 1 de M. Victorin Lurel. – Retrait.
Amendement n° 2 de M. Victorin Lurel. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 2 bis
Amendement n° 3 de M. Victorin Lurel. – Retrait.
Amendement n° 4 de M. Victorin Lurel. – Retrait.
Amendement n° 5 de M. Victorin Lurel. – Retrait.
Articles 3 et 4 (suppression maintenue)
Amendement n° 11 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Nomination d’un membre d’une commission
compte rendu intégral
Présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann
vice-présidente
Secrétaires :
M. Victorin Lurel,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à une commission
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires européennes a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Expérimentation de la tarification sociale de l’eau
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi visant à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau prévue à l’article 28 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013, présentée par Mme Monique Lubin, MM. Éric Kerrouche et Patrick Kanner, ainsi que plusieurs de leurs collègues (proposition n° 290, texte de la commission n° 378, rapport n° 377).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Monique Lubin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Monique Lubin, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, j’ai l’honneur d’introduire le présent débat sur la proposition de loi visant à proroger jusqu’en 2021 l’expérimentation relative à la tarification sociale de l’eau prévue par la loi du 15 avril 2013, dite « loi Brottes ». Ce dernier texte visait également, rappelons-le, à interdire les coupures d’eau pour les factures impayées.
J’ai déposé la présente proposition de loi avec Éric Kerrouche, Patrick Kanner et plusieurs collègues du groupe socialiste et républicain. Son adoption permettrait que cette formidable expérimentation ne s’arrête pas la semaine prochaine.
Les dizaines de milliers de concitoyens qui en sont bénéficiaires dans notre pays et les élus qui ont porté ce projet et qui ont encore besoin de temps observeront notre vote avec attention.
Comme le souligne le Comité national de l’eau dans son rapport de 2017, « sans prolongement de l’expérimentation, légalement engagée pour une durée de cinq ans, les délais de mise en œuvre des projets font que les collectivités ne disposeront au mieux que de trois ans de recul pour évaluer l’efficacité et l’efficience de leur dispositif, la plupart ne disposant que d’une ou deux années pour expérimenter leur dispositif ». Ce texte répond par conséquent à une demande forte des collectivités et des groupements engagés dans l’expérimentation.
Des représentants de la commune landaise de Saint-Paul-lès-Dax et du syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement du groupement de communes du Marensin, également situé dans notre département, nous ont alertés sur cette nécessité. Ils ont d’ailleurs été entendus dans le cadre des auditions préparatoires, ce qui constitue une forme de reconnaissance du travail effectué par leurs services.
Pourquoi prolonger l’expérimentation ? Rappelons tout d’abord l’intérêt social de cette dernière, créée en 2013 afin de rechercher des solutions mettant en œuvre le droit à l’eau et prévoyant l’accès de toutes les personnes physiques à l’eau potable pour leurs besoins essentiels dans des conditions économiquement acceptables par tous.
L’accès à l’eau potable reste un enjeu de grande ampleur. Vous le rappelez dans votre rapport, madame la rapporteur.
Au total, parmi les 50 collectivités et groupements qui ont été retenus par deux décrets successifs en avril et juillet 2015, quelque 47 se sont effectivement engagés dans l’expérimentation – 38 en métropole et 9 outre-mer. En avril 2017, soit un an avant l’échéance fixée par la loi Brottes, seulement la moitié des projets étaient mis en œuvre.
Ce décalage s’explique par le temps nécessaire à l’État pour mettre en place le cadre général de l’expérimentation, mais également par le temps nécessaire aux collectivités, qui présentent d’un point de vue démographique et statutaire des profils très variés, pour déterminer les solutions les plus adaptées : quelles seront les populations bénéficiaires, et selon quels critères ? Quels interlocuteurs retenir pour la mise en œuvre ? Quel dispositif d’aide sera le plus adapté à la spécificité des territoires selon, par exemple, la part d’habitat individuel et collectif ? À combien s’élèveront les coûts de gestion selon le cadre retenu et au regard du volume d’aide apporté ? Quelles mesures préventives et quelles démarches curatives conviendra-t-il de prévoir, notamment pour régler des situations d’impayés ?
Si des conclusions générales peuvent difficilement être tirées, il n’en reste pas moins que les rapports du Comité national de l’eau et de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable témoignent d’une formidable innovation aux niveaux local et social. C’est pourquoi nous souhaitons que la présente proposition de loi soit adoptée et qu’elle arrive rapidement sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Parce qu’il permet de sécuriser, de reconnaître et de respecter l’engagement de nos élus, afin de faciliter l’accès à l’eau des plus modestes, je me réjouis que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, sur la base du rapport de Françoise Cartron, dont je salue le travail, se soit prononcée en faveur de ce texte à la quasi-unanimité.
J’espère que, toutes et tous, nous suivrons cette position, parce que nous sommes toutes et tous convaincus que ce bien fondamental qu’est l’eau et la problématique de la précarité hydrique seront au cœur de nos débats dans les décennies à venir. L’actualité nationale et internationale nous le rappelle régulièrement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi.
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, je ne vais pas revenir sur les arguments qui viennent d’être évoqués par ma collègue Monique Lubin, qui vous a déjà convaincus, je n’en doute pas, de la nécessité de permettre à nos collectivités locales de poursuivre cette expérimentation pour honorer leurs engagements et tirer les enseignements nécessaires à la mise en place de dispositifs qui soient viables, pérennes et efficaces.
Notre position n’est pas isolée ; elle est partagée par le Conseil national de l’eau et par le Conseil général de l’environnement et du développement durable, qui, dans un rapport de février 2016, préconisait de conforter, voire d’accélérer l’expérimentation permise par la loi et de la coordonner avec le dispositif du chèque énergie.
La proposition de loi que je défends avec Monique Lubin, Patrick Kanner et le groupe socialiste a été votée par la commission, et je formule simplement le souhait qu’elle connaisse le même sort aujourd’hui en séance publique. À ce titre, je tiens à remercier personnellement Françoise Cartron de la qualité de son rapport et des amendements proposés par la commission, qui vont, me semble-t-il, dans le bon sens.
La présente proposition de loi appelle deux réflexions.
La première porte sur le droit à l’eau et le service public. Ainsi que l’a rappelé ma collègue Monique Lubin, l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau permet d’identifier des solutions adaptées pour une traduction concrète du droit à l’eau, dont je rappelle qu’il est inscrit depuis 2006 dans le code de l’environnement.
Je rappelle également que l’Assemblée générale des Nations unies, au vu de l’enjeu géopolitique qu’elle représente, reconnaît l’eau comme un bien essentiel de l’humanité. Notre code de l’environnement dispose pour sa part que « l’eau fait partie du patrimoine commun de la Nation », et que chacun « a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
Comme vous le savez sans doute, les questions du droit et de l’accès à l’eau font partie de l’ADN du département des Landes. Avant-gardiste et doté de la détermination qu’on lui connaît, Henri Emmanuelli a mené dès 1995 et pendant vingt ans un combat acharné pour y faire respecter le principe d’un prix de l’eau le plus bas possible. Il pensait en effet que « notre société doit garantir à tous un accès à l’eau potable et à l’assainissement. L’eau n’est pas une marchandise, c’est un bien commun qu’il convient de préserver. »
Les avis peuvent certes diverger sur les modalités de la gestion de l’eau, mais l’intervention de la puissance publique demeure pertinente pour faire respecter un droit d’accès à l’eau pour tous, ce à quoi peut justement contribuer l’expérimentation dont nous débattons aujourd’hui.
Dans le département des Landes, l’épilogue du feuilleton juridique de la gestion de l’eau a été écrit grâce à la libre administration des collectivités locales. Ce principe essentiel fera l’objet de mon second point.
L’expérimentation de la tarification sociale de l’eau a été rendue possible par l’autorisation accordée aux collectivités locales de déroger, à titre expérimental, aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, mais elle repose également sur le principe de leur libre administration. C’est tout le sens de la décentralisation : donner aux territoires la liberté de déterminer les modalités les plus adaptées à la mise en œuvre d’un service public garant de l’égalité et de l’intérêt général.
Je tiens d’ailleurs à saluer l’ensemble des collectivités qui se sont lancées dans cette expérimentation pour l’adapter au plus près de leur réalité locale. Il faut saluer le courage politique des élus et la mise en musique ingénieuse de leurs services administratifs.
Ces collectivités, toutes sensibilités politiques confondues, ont fait la démonstration par l’action que l’intelligence territoriale n’était pas une abstraction et que les territoires sont capables d’innover, de trouver des solutions adaptées à la diversité pour mener des politiques publiques ayant du sens pour nos concitoyens, singulièrement, en l’espèce, pour les plus fragiles d’entre eux.
Elles font la démonstration que les territoires ne sont pas un problème, mais une solution, à la condition qu’une relation de confiance existe, que les moyens nécessaires à la libre administration demeurent et que cette dernière serve utilement et équitablement les territoires comme les citoyens.
Aussi, pour toutes ces raisons – trouver des solutions adaptées à la concrétisation d’un droit fondamental reconnu internationalement, permettre que les efforts déployés par nos collectivités portent leurs fruits et faire confiance aux territoires –, nous vous invitons, mes chers collègues, à voter pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Françoise Cartron, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, en 2006, le législateur a inscrit dans le code de l’environnement le principe d’un droit à l’eau potable, afin de permettre à l’ensemble de la population d’accéder à l’eau pour ses besoins essentiels dans des conditions économiquement acceptables pour tous.
En effet, l’accès à l’eau constitue toujours un sujet essentiel dans notre société. Selon un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable de 2011, la facture d’eau et d’assainissement dépasserait le seuil d’acceptabilité, fixé à 3 % du revenu, pour près de deux millions de Français.
Face à une telle situation, de nombreux élus locaux, toutes sensibilités politiques confondues, ont engagé depuis plusieurs années des actions en faveur d’une véritable politique sociale de l’eau.
Afin d’encourager et de sécuriser ces initiatives, la loi du 15 avril 2013, également appelée « loi Brottes », permet aux collectivités territoriales qui le souhaitent de s’engager dans une expérimentation en application de l’article 72 de la Constitution, les autorisant à déroger à titre expérimental et pour un objet et une durée limitée aux dispositions qui régissent l’exercice de leurs compétences.
L’expérimentation, créée en 2013, donne ainsi la possibilité aux collectivités et à leurs groupements de tester différents dispositifs sociaux, afin de faciliter l’accès à l’eau des ménages les plus modestes. Concrètement, elle permet aux collectivités de mettre en œuvre une tarification sociale de l’eau, de verser des aides aux usagers ou encore d’accroître leur contribution au Fonds de solidarité pour le logement, le FSL, afin de résorber les impayés.
Les collectivités volontaires pour participer à l’expérimentation devaient transmettre une demande au préfet de leur département avant le 31 décembre 2014. Au total, cinquante collectivités et groupements ont été retenus.
Ces participants présentent des profils très variés en termes de statut, d’importance démographique ou de caractéristiques locales. L’expérimentation fédère ainsi des communes, des EPCI à fiscalité propre, des syndicats mixtes, ces collectivités étant issues de territoires aussi bien urbains que ruraux, dont certains se caractérisent par une part importante de logements locatifs, tandis que d’autres accueillent un nombre élevé de résidences secondaires. La diversité de cet échantillon fait précisément la richesse de l’expérimentation.
La loi de 2013 fixait la durée de l’expérimentation à cinq ans, soit une application jusqu’au 15 avril 2018. Toutefois, comme le rappelle un rapport d’étape du Comité national de l’eau publié en 2017, l’expérimentation a fait l’objet d’une mise en œuvre très progressive.
Ainsi, en avril 2017, soit un an avant l’échéance fixée par la loi Brottes, seulement la moitié des projets étaient mis en œuvre. Ce décalage s’explique par le temps nécessaire à la fois pour que l’État puisse mettre en place le cadre général de l’expérimentation et pour que chaque collectivité puisse définir et déployer les solutions les plus adaptées au contexte local.
Sans prorogation, les collectivités ne disposeront au mieux que de trois années de recul, et pour la plupart d’entre elles de seulement un à deux ans de mise en œuvre effective. L’ensemble des parties prenantes considère que cette durée est trop brève pour évaluer pleinement les effets de l’expérimentation. Les premiers résultats sont toutefois prometteurs et riches d’enseignements. En effet, les collectivités participantes ont conçu des solutions innovantes et diversifiées en tenant compte des spécificités locales.
La modulation tarifaire a été retenue lorsque les abonnés individuels représentaient une part significative des usagers. Certains territoires ont ainsi choisi de mettre en place une tarification à la fois environnementale et sociale, conjuguant une approche solidaire et pédagogique quant à la préservation de la ressource.
Pour l’habitat collectif, dont les usagers ne sont pas abonnés directement au service d’eau potable, les collectivités privilégient des aides préventives, afin de permettre aux foyers modestes de régler tout ou partie de leurs dépenses liées à l’eau, ou un financement accru au FSL et aux centres communaux d’action sociale pour résoudre les situations d’impayés.
Sur plusieurs points, les données et les retours d’expérience doivent être encore consolidés. Il s’agit notamment du coût de gestion des différents dispositifs, de l’évolution du nombre d’impayés et de l’évaluation de l’effet de ces aides sur la consommation d’eau. Cette expérimentation très intéressante mérite donc d’être prolongée, afin d’en tirer des enseignements suffisamment fiables et exhaustifs pour l’avenir de la politique de l’eau.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi, déposée le 7 février 2018 par nos collègues Monique Lubin, Éric Kerrouche, Patrick Kanner, ainsi que par des membres du groupe socialiste et républicain, qui vise à proroger l’expérimentation jusqu’au 15 avril 2021, soit un délai supplémentaire de trois ans, au bénéfice des collectivités et groupements déjà engagés dans ce processus.
Lors de l’examen du texte, notre commission a largement confirmé l’intérêt de cette prorogation. Les collectivités qui sont engagées dans l’expérimentation y sont très favorables. Cette prorogation est également indispensable pour le législateur, auquel elle permettra de disposer d’un recul suffisant avant d’envisager la généralisation de certains dispositifs.
Notre commission n’a donc apporté que des ajustements au texte initial. Nous avons notamment privilégié une prorogation de droit de l’expérimentation, en supprimant l’obligation pour les collectivités territoriales d’effectuer une nouvelle demande auprès du préfet du département, notre objectif étant de simplifier la poursuite de l’expérimentation pour les élus locaux.
Notre commission a également apporté certaines précisions à la loi du 15 avril 2013, notamment sur la transmission des données à caractère social nécessaires à l’identification de la population bénéficiaire des dispositifs proposés. Au regard des premiers retours d’expérience, il semble en effet utile d’harmoniser les relations entre les collectivités et les organismes de sécurité sociale, pour faciliter la poursuite de l’expérimentation.
Je précise que, en application de la législation organique, le dépôt de cette proposition de loi a pour effet de prolonger la durée de l’expérimentation jusqu’à son adoption définitive, pour un délai maximum d’un an. Si le présent texte n’entrait pas en vigueur avant le 15 avril prochain, l’expérimentation ne serait donc pas interrompue immédiatement. Nous formons toutefois le vœu que ce texte puisse être rapidement inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, pour être définitivement adopté dans les meilleurs délais.
Permettez-moi de saluer l’engagement des élus locaux, animés d’une volonté politique forte, volonté nécessaire pour la réussite d’une telle démarche expérimentale. Il serait regrettable que l’expérimentation s’interrompe brutalement, sans que tous ces efforts aient pu porter leurs fruits.
Le nombre des citoyennes et de citoyens qui sont entrés dans ce dispositif – 1,2 million –, me semble particulièrement éloquent.
Par ailleurs, la diversité des solutions retenues montre combien il est utile de mettre à la disposition des collectivités une gamme d’instruments suffisamment étendue qui réponde au mieux aux besoins de la population en tenant compte du contexte local. La solution optimale pour une grande agglomération ne sera pas forcément la plus pertinente pour un territoire rural. Le législateur devra donc tenir compte de cette diversité avant de généraliser certains dispositifs à l’issue de l’expérimentation.
Pour conclure, à l’heure où une révision constitutionnelle visant notamment à développer les facultés d’expérimentation est à l’étude, cette expérience témoigne une fois encore des formidables capacités d’innovation qui existent dans nos territoires et qui méritent amplement d’être soutenues.
Sachons faire confiance aux intelligences locales, afin de mettre en œuvre des réponses adaptées aux grands défis qui nous sont posés, tel l’accès à l’eau pour tous, qui nous mobilise aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les philosophes de l’Antiquité, quand ils disaient que l’eau est le principe de tout, ne se trompaient pas !
Pour ma part, je suis convaincu que l’eau est aussi le déterminant de tout, et si nous sommes capables, comme vous le proposez, d’additionner nos intelligences et nos volontés pour préserver cette ressource et mieux la partager, la paix est envisageable au XXIe siècle. À l’inverse, elle ne l’est pas si nous gâchons ce bien vital.
Vous l’avez rappelé, l’eau est le substrat de la vie et un patrimoine commun de la Nation. La France peut être fière de porter ce concept universel, alors que le Forum mondial de l’eau s’est tenu au Brésil il y a quelques semaines.
Au XXIe siècle, l’eau que l’on considère dans notre pays comme un bien commun acquis, fera l’objet de nombreux défis – regardons la réalité en face, non pas pour nous effrayer, mais pour nous responsabiliser –, à commencer par le défi démographique, qui, en se combinant au défi climatique, provoquera des tensions sur une ressource essentielle pour nos concitoyens dans leur quotidien, mais également pour notre environnement, pour notre agriculture et pour notre industrie.
Comme les intervenants qui m’ont précédé l’ont évoqué, cette situation peut ajouter l’injustice à l’injustice, et la précarité hydrique à la précarité.
Déjà, dans les premières années du XXIe siècle, les signes précurseurs de ces tensions sont devenus palpables. On a connu au cours de l’été 2017 une sécheresse assez inédite et, dans certaines zones urbaines d’Europe, en raison notamment de la faiblesse de l’entretien des réseaux, des pénuries et des coupures ont fait leur retour.
Nous n’en sommes pas là, grâce notamment à la robustesse du modèle français de l’eau. À quelques semaines de l’ouverture des assises de l’eau, que je piloterai avec Sébastien Lecornu et qui auront pour objectif de moderniser notre gestion de l’eau, pour que chaque Français continue d’avoir un accès à l’eau de qualité et à un prix raisonnable, le présent débat a pour objet de renforcer ce modèle.
La proposition de loi dont nous discutons vise ainsi à prolonger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau prévue à l’article 28 de la loi du 15 avril 2013, dite loi Brottes.
Je l’affirme avec un immense plaisir et sans ambiguïté : je partage le souci des auteurs de cette proposition de loi de réconcilier universalité de la ressource et solidarité du service de l’eau. Mon ministère n’est pas celui de la transition écologique et solidaire pour rien !
Cette expérimentation vise à favoriser l’accès à l’eau, objectif qui nous rassemble, je le crois, au-delà des frontières habituelles dans un spectre très large, qui est pleinement intégré dans nos politiques publiques.
L’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques affirme par exemple que « l’usage de l’eau appartient à tous et [que] chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. » Il est parfois bon de rappeler ces droits fondamentaux.
De même, parmi les objectifs de développement durable adoptés par les Nations unies en 2015, l’objectif n° 6 vise à « garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau ».
Comme je l’ai dit, le Président de la République a annoncé à la fin de l’année 2017 l’organisation d’assises de l’eau en 2018. Ces assises, pilotées par mon ministère, seront l’occasion de débattre de notre politique de l’eau et des questions relatives à l’accès à l’eau.
La présente proposition de loi, qui a pour objet de proroger l’expérimentation de tarification sociale de l’eau, s’intègre pleinement dans le principe d’accès à l’eau consacré par nos politiques publiques. Elle arrive exactement au bon moment.
Grâce à la loi Brottes du 15 avril 2013, quelque cinquante collectivités de France métropolitaine, mais également d’outre-mer, se sont portées volontaires et ont mis en place, simultanément, de nouvelles tarifications de l’eau et de l’assainissement et des systèmes d’aide au paiement de la facture d’eau, afin de garantir un meilleur accès à ces services pour les plus démunis.
Les dispositifs qui ont été mis en place sont variés : ils ont été établis en fonction du contexte local, des populations ciblées ou du budget disponible. Cela montre que l’expérimentation, dans ce domaine comme dans d’autres, avait tout son sens, et l’inventivité des collectivités a permis des résultats très riches.
Pour citer quelques exemples concrets, certaines collectivités expérimentent la gratuité des premiers mètres cubes d’eau, d’autres la mise en place de tarifs réduits ou d’une tarification progressive, des abattements sur la facture d’eau, la distribution d’un chèque eau, proche du chèque énergie que j’ai distribué il y a quelques jours, ou encore des aides au règlement des impayés.
En complément, nombre de collectivités territoriales ont également mis en place une démarche de sensibilisation aux économies d’eau, afin d’accompagner la réduction de la dépense des ménages.
Dans ce foisonnement d’initiatives, on observe que certaines collectivités territoriales mettaient en place des outils permis par la loi dès avant l’expérimentation : elles avaient recours, par exemple, au Fonds de solidarité pour le logement en cas d’impayés ou aux étalements de créances. La plupart ont souhaité aller plus loin grâce à l’expérimentation, en mettant en place des dispositifs plus lisibles et une offre positive à l’égard des populations les plus fragiles, sans attendre que les difficultés de la vie ne conduisent ces populations à ne plus payer leurs factures.
Les premiers résultats obtenus sont intéressants. Pour ma part, parmi les retours d’expérience, j’ai été très sensible au témoignage de plusieurs collectivités territoriales, qui m’ont expliqué que l’expérimentation avait d’abord été une expérience humaine : elle a conduit les équipes administratives et les élus à s’interroger sur des habitants en grande difficulté, qui tentent par tous les moyens de régler leurs factures, mais se débattent aussi au cœur des précarités multiples que j’ai précédemment évoquées – difficultés de transport, difficultés d’accès à une alimentation saine et, j’y reviens, précarité énergétique.
Certaines collectivités territoriales ont témoigné de l’intérêt de l’expérimentation pour faire tomber les préjugés et réfléchir à une approche globale des foyers provisoirement et parfois, malheureusement, durablement éloignés du confort digne d’un pays comme la France.
Toutefois, compte tenu du délai nécessaire à la mise en place de l’expérimentation, les dispositifs mis en œuvre sont trop récents pour permettre de déterminer au niveau national s’il est intéressant ou non de généraliser certaines solutions ou d’adapter notre législation en conséquence.
Dans ce contexte, le Gouvernement soutient pleinement la prorogation de quelques années de l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau et porte donc un regard favorable sur cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail accompli par notre rapporteur, Françoise Cartron, ainsi que celui des auteurs de la proposition de loi, Éric Kerrouche et Monique Lubin.
Quelles solutions opérationnelles pouvons-nous apporter pour assurer l’accès de tous à l’eau, patrimoine commun de la Nation, comme M. le ministre d’État l’a souligné, dans des conditions économiques raisonnables, aussi bien pour les usagers que pour les collectivités territoriales ?
Telle est la question qui sous-tend la proposition de loi destinée à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau, censée s’achever le 15 avril prochain, pour les communes déjà engagées dans l’expérimentation. Moins de cinquante collectivités territoriales et groupements ont été identifiés par décret pour y participer.
Par principe, mon groupe parlementaire est favorable au recours aux expérimentations dans le cadre de l’article 72 de la Constitution. En effet, s’appuyer sur des territoires pilotes avant la généralisation d’un dispositif est plus sage, tout particulièrement dans un secteur, celui de l’eau, qui relève de nombreux domaines de compétences régaliennes. Par ailleurs, nous faisons une confiance totale aux élus locaux, qui connaissent parfaitement la complexité de leur territoire, des enjeux et des solutions qu’il faut apporter.
Tout ce qui peut encourager la liberté d’action des élus locaux doit donc être valorisé, quand bien même l’expérimentation ne nous semble pas systématiquement indispensable. Dans ce cas précis, d’ailleurs, elle soulève un certain nombre d’interrogations.
Tout d’abord, la tarification sociale progressive de l’eau rompt partiellement avec le principe d’égalité de traitement des usagers devant le service public.
L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental. Il faut le respecter. Mais il est aussi de notre responsabilité de trouver un mécanisme de solidarité qui ne mette pas à mal le modèle économique de l’eau, notamment en exerçant une forte pression financière sur les collectivités territoriales.
De plus, un certain nombre d’aides qui peuvent être accordées aux ménages en difficulté existent déjà. Je pense à la possibilité d’appliquer une tarification progressive de l’eau pour les immeubles collectifs d’habitation. Je pense aussi à l’aide du Fonds de solidarité pour le logement.
Enfin, selon le rapport d’étape élaboré par le Comité national de l’eau, les collectivités territoriales ont autant recours à une approche dite curative, qui existait avant que l’expérimentation ne soit instituée, qu’à une approche dite préventive. Or la valeur ajoutée de l’expérimentation réside dans la possibilité de créer des aides préventives, malgré les défauts que nous leur connaissons.
Pour ouvrir le débat, mes chers collègues, je tiens à vous rappeler que le prix moyen de l’eau en France est de 3,65 euros par mètre cube, soit un prix extrêmement bas par rapport à ceux de nos voisins allemands et anglais – 5,50 euros et 4,50 euros le mètre cube respectivement.
La raison en est simple : le prix de l’eau en France ne prend pas suffisamment en compte le prix du renouvellement des infrastructures, vieilles et mitées par les fuites d’eau. Le sous-investissement dans notre pays est évalué à 1,1 milliard d’euros par an, ce qui est très élevé.
C’est une fracture territoriale sans précédent entre villes et campagnes qui nous attend, si nous n’amorçons pas le renouvellement de ces infrastructures vitales ! En effet, avec le principe « l’eau paie l’eau », cette absence d’investissement massif retentira au plan local sur la facture d’eau des Français et des collectivités territoriales, particulièrement dans les secteurs ruraux.
Madame la présidente, mes chers collègues, le principe de l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau peut être approuvé, en dépit des quelques interrogations que j’ai formulées.
Quant aux enjeux plus globaux de l’économie de l’eau, j’espère qu’ils seront abordés lors des assises de l’eau, annoncées par le Président de la République lors du congrès des maires à la fin de l’année dernière et dont nous attendons, monsieur le ministre d’État, le calendrier. Je souhaite que, lors de ces fameuses assises, nous puissions traiter des enjeux stratégiques liés à ce patrimoine commun de la Nation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission et M. Jean-Claude Luche applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam, pour le groupe La République En Marche.
M. Antoine Karam. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à notre examen cet après-midi vise à proroger jusqu’au 15 avril 2021 l’expérimentation de la tarification sociale prévue par la loi Brottes au bénéfice des collectivités territoriales et groupements déjà concernés.
Je tiens à saluer l’initiative du groupe socialiste et républicain qui nous permet, à travers ce texte, de soutenir la démarche novatrice et solidaire engagée par nos élus locaux et d’évoquer ainsi un sujet éminemment important.
L’objectif de cette expérimentation est d’identifier des solutions pour assurer à chacun l’accès à l’eau potable pour ses besoins essentiels, dans des conditions économiquement acceptables pour tous.
Il faut le dire, car c’est une réalité : il existe une cruelle contradiction entre le statut naturel et universel de l’eau et son statut économique et social. Ainsi Danielle Mitterrand a-t-elle longtemps dénoncé la logique économique ayant fait de l’eau un produit de consommation comme un autre. Comme vient de le rappeler notre collègue Kerrouche, elle disait : « L’eau n’est pas une marchandise, c’est le bien commun de l’humanité et du vivant. »
C’est au nom de ce principe que le droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement a été inscrit dans le code de l’environnement, en 2006. C’est au nom du même principe que l’expérimentation d’une tarification sociale de l’eau a été autorisée par la loi Brottes.
Mais, nous le savons, une loi, c’est aussi beaucoup de patience, a fortiori lorsqu’il s’agit de relever un défi aussi immense que celui de l’accès à l’eau potable.
Notre rapporteur a rappelé les travaux du Conseil général de l’environnement et du développement durable évaluant à deux millions le nombre de Français qui auraient une facture d’eau et d’assainissement supérieure au seuil d’acceptabilité, estimé à 3 % du revenu.
J’insisterai encore davantage sur la gravité de la situation en rappelant que la distribution d’eau potable n’est quantitativement plus – ou pas encore – assurée dans plusieurs territoires ultramarins – je regarde notre collègue de Saint-Martin, qui a vécu de très grosses difficultés voilà encore quelques mois.
En Guyane et à Mayotte, d’abord, 15 % à 20 % des habitants n’auraient pas accès à l’eau potable. Véritable paradoxe ! La couverture par le service est en effet insuffisante, sous le double effet d’un retard d’équipement et d’une démographie galopante qui, d’une part, densifie les écarts et les zones périurbaines et, d’autre part, fait naître de l’habitat informel.
À cela s’ajoute en Guyane un véritable fléau : la contamination des eaux par le mercure résultant d’activités d’orpaillage illégal. Elle pose dans des sites isolés un problème majeur de santé publique : ainsi, dans les villages amérindiens Wayanas du Haut-Maroni, plus de 90 % des enfants présentent des taux de mercure supérieurs aux seuils définis par l’Organisation mondiale de la santé !
En Guadeloupe, ensuite, la vétusté du réseau occasionnerait plus de 50 % de pertes d’eau avant même son arrivée au robinet… Résultat : près de 9 % de la population, soit environ 35 000 personnes, sont soumis à des « tours d’eau », c’est-à-dire à des coupures hebdomadaires.
Enfin, le prix de l’eau et de l’assainissement atteint 5,30 euros par mètre cube dans certaines collectivités ultramarines, alors que la moyenne est de 3,85 euros par mètre cube en France hexagonale.
C’est pour répondre à ces situations qu’un plan d’action pour l’eau a été lancé lors de la conférence environnementale de 2013. L’un des objectifs est justement de développer la tarification sociale, dont il nous est proposé cet après-midi de proroger l’expérimentation.
Comme cela a été souligné, la mise en œuvre du dispositif a été progressive : à la date de la publication du rapport intermédiaire du Comité national de l’eau, soit un an avant le terme de l’expérimentation, la moitié des projets étaient mis en place.
En Guyane, seule la communauté d’agglomération du Centre Littoral, soit six communes, dotée d’un service d’eau mieux structuré, a pu opérer une refonte de sa tarification par l’instauration d’une progressivité et d’un « chèque eau ».
Les trois autres communes engagées, Grand-Santi, Maripasoula et Saint-Georges-de-l’Oyapock, des communes du fleuve, ont pris du retard en raison d’importants besoins d’investissements. Quand on sait que la Guyane est le troisième territoire au monde pour la quantité d’eau…
Permettez-moi néanmoins de saluer leur engagement, car de leur expérience naîtront nécessairement des enseignements pour les autres collectivités ultramarines. Celle-ci permettra de poursuivre le questionnement sur l’équilibre économique des services d’eau potable et d’assainissement des communes, en prenant en compte les réalités de celles-ci.
Si ce retard s’explique par différentes raisons, il révèle avant tout le temps et l’ingénierie nécessaires aux collectivités territoriales pour organiser leurs services, définir les solutions les mieux adaptées et déployer effectivement des dispositifs de tarification ou d’aide.
De plus, comme le recensement intermédiaire opéré par le Comité national de l’eau le montre bien, chaque territoire a ses caractéristiques propres. Aussi, du versement d’aides à la modulation tarifaire en passant par l’utilisation accrue du Fonds de solidarité pour le logement, le recours aux différentes dérogations varie d’une collectivité à une autre, démontrant la nécessité de pouvoir adapter la loi au contact du terrain.
Par ailleurs, il faudra aussi porter une attention particulière à l’évolution de la consommation d’eau et à toutes les initiatives engagées pour favoriser une consommation responsable.
Mes chers collègues, cette expérimentation mérite d’être prolongée, si nous souhaitons disposer d’un recul suffisant pour évaluer les dispositifs et envisager, le cas échéant, la généralisation de certains outils. Notre groupe votera donc la proposition de loi, afin d’encourager les efforts importants déployés localement par les collectivités territoriales et groupements engagés. Enfin, je forme le vœu que notre assemblée ait très prochainement l’occasion de débattre plus largement de l’accès à l’eau potable et du droit inaliénable qu’il constitue ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Claude Bérit-Débat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi une proposition de loi dont l’objet est de permettre la prolongation de l’expérimentation prévue par la loi Brottes.
Adoptée en 2013, cette loi d’origine parlementaire a permis aux collectivités territoriales volontaires, sur leurs propres deniers, de mettre en place des outils pour favoriser l’accès à l’eau : tarification sociale ou soutien financier au paiement des factures.
Cette expérimentation, prévue pour une durée de cinq années, s’achèvera à la fin du mois. Or tout le monde s’accorde à considérer que plus de temps est nécessaire, du fait des difficultés de mise en œuvre. Ainsi, sur les cinquante collectivités territoriales retenues en 2015, la moitié seulement a aujourd’hui entamé l’expérimentation. Les obstacles à la mise en œuvre ont même parfois conduit à des abandons, comme à Denain, dans le Nord.
Ces difficultés sont principalement de deux ordres : d’une part, le coût élevé de la mise en place des dispositifs ; d’autre part, les difficultés techniques et la diversité des choix des critères sociaux retenus – problèmes qui se posent d’autant plus que les collectivités territoriales ne disposent pas, le plus souvent, de l’ingénierie nécessaire.
Tenant compte de cette situation, les auteurs de la présente proposition de loi invitent à prolonger l’expérimentation de trois années, conformément aux préconisations du Comité national de l’eau. Nous ne formulons aucune opposition de principe à cette poursuite, puisque nous avions soutenu, à l’époque, ce dispositif.
Pour autant, il faut reconnaître qu’il en faudra beaucoup plus pour garantir le droit à l’eau, tel qu’énoncé par l’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques. Aujourd’hui, ce droit reste purement fictif : en effet, s’il est possible d’aider les ménages en situation d’impayés, aucun dispositif légal ne permet une aide préventive au paiement de la facture d’eau.
Pour notre part, nous nous sommes toujours engagés en faveur d’une aide préventive, privilégiant l’instauration d’une allocation en faveur des ménages dont la facture d’eau dépasse 3 % des ressources. Cette allocation devrait être financée soit par les délégataires de service public, soit par une taxe sur l’eau minérale embouteillée, selon les différentes propositions de loi que nous avons présentées ou soutenues.
L’une de ces propositions de loi est en cours de navette. Son adoption définitive permettrait, au-delà des expérimentations prévues par la loi Brottes, de disposer d’un mécanisme directement applicable sur l’ensemble du territoire national.
Pour le reste, évidemment, nous ne nous opposons pas aux autres formes de tarification sociale, encore moins à la gratuité.
Il reste donc nécessaire, pour l’avenir, de poursuivre toutes les expérimentations, afin de pouvoir mener des analyses sur le long terme et définir une solution généralisable ou plusieurs, mais aussi, je le souligne, créer des dispositifs d’accompagnement pour les collectivités territoriales, aujourd’hui trop livrées à elles-mêmes en la matière.
À ce titre, et pour que la poursuite de cette expérimentation ait du sens, nous souhaiterions disposer de l’ensemble des rapports prévus. En particulier, nous demandons solennellement au Gouvernement la remise du rapport d’évaluation et de proposition du Comité national de l’eau. Par ailleurs, selon le code général des collectivités territoriales, un rapport d’évaluation aurait dû être remis par le Gouvernement au Parlement avant l’expiration de la durée fixée par la loi pour l’expérimentation, ce qui n’a pas été fait.
Pour aller plus loin, il convient de s’interroger sur l’ensemble des dysfonctionnements dans le secteur de l’eau et sur leurs effets en matière de tarification et de péréquation.
Comment comprendre que l’ensemble des dispositifs d’accès à l’eau soient uniquement financés par la puissance publique, donc les contribuables, alors même que les majors de l’eau, délégataires du service public, réalisent des bénéfices indécents ? Nous le savons tous : l’eau vaut de l’or !
Ensuite, comment confier aux collectivités territoriales une mission de service public supplémentaire en matière de tarification, dans un contexte où les finances locales sont très dégradées et l’environnement législatif en perpétuelle évolution ?
Plus globalement, nous devrions nous demander sérieusement comment sortir de ce schéma où l’on socialise les pertes et privatise les profits…
Sur le fond, il faut être clair : ce dispositif de tarification sociale reste un dispositif d’accompagnement social. Or, pour nous, la question est plus vaste : c’est celle de la définition d’un service public de l’eau, national et décentralisé, qui permette, notamment, un soutien logistique et d’ingénierie aux collectivités territoriales pour l’exercice de leurs compétences, dans l’intérêt des usagers.
Il est de la responsabilité de l’État de garantir non seulement le droit d’accès à l’eau pour tous, mais également la préservation de la ressource. Or, aujourd’hui, les logiques strictement financières des délégataires conduisent à de grandes pertes du fait d’un réseau en très mauvais état.
Nous réaffirmons donc que l’eau ne doit pas être considérée comme une marchandise ni comme une source de profits !
Nous en arrivons à la question qui nous semble centrale : le prix de l’eau. Un chiffre devrait nous faire réfléchir : le prix de l’eau est inférieur de 10 % dans les villes qui sont en régie municipale, donc en gestion publique.
M. Jean-Claude Requier. Ce sont des villes !
M. Antoine Lefèvre. Pour quelle qualité de service ?
Mme Michelle Gréaume. Au-delà des tarifications spécifiques, il faut donc s’attacher à créer les conditions d’une « démarchandisation » de ce secteur, afin de garantir enfin le droit à l’eau pour tous, tel que défini à l’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques.
Dans l’immédiat, il va de soi que nous voterons la proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi une proposition de loi visant à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau, initialement mise en œuvre par la loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes, dite loi Brottes.
L’article 28 de cette loi prévoit que, en application du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution, une expérimentation visant à favoriser l’accès à l’eau peut être mise en œuvre pour une période de cinq ans. Cette expérimentation prendra donc fin le 15 avril prochain.
L’objectif était d’offrir aux collectivités territoriales et à leurs groupements la possibilité de définir des tarifs sociaux tenant compte de la composition ou des revenus du foyer, ou de prévoir un soutien financier au paiement des factures d’eau, afin de favoriser l’accès à l’eau.
Or la mise en place de ce dispositif expérimental a été retardée, compliquée même, pour certaines communes. En effet, les collectivités volontaires ont dû travailler en liaison étroite avec les services sociaux et les départements, ce qui ne se fait pas sans un laps de temps suffisant. Par ailleurs, l’expérience prouve que les services sociaux sont plus ou moins coopératifs sur le territoire national.
Les collectivités territoriales concernées, ainsi que le Comité national de l’eau, réclament le prolongement de l’expérimentation. Pourquoi devrions-nous le leur refuser ?
De plus, cette prorogation est rendue nécessaire par le manque de recul que nous avons par rapport à l’évaluation de l’expérimentation.
Vous n’êtes pas sans savoir, mes chers collègues, que toute expérimentation doit être accompagnée de rapports d’évaluation, afin que l’on puisse juger de la pertinence d’une pérennisation législative du dispositif. Or, dans ce cas précis, deux rapports n’ont pas été remis : le rapport d’évaluation et de proposition qui devait être remis avant la fin de l’année dernière par le Comité national de l’eau et le rapport d’évaluation final qui doit être remis par le Gouvernement au Parlement avant l’expiration de la durée fixée par la loi.
Il a pu être allégué que l’expérimentation menée jusqu’ici n’était pas probante, seules quarante-sept communes s’y étant engagées. Cette objection ne nous semble pas pertinente, puisque, comme l’a rappelé notre rapporteur, Françoise Cartron, dont je salue chemin faisant l’excellent travail, ces communes couvrent un bassin de population de 10 millions d’habitants, pour 1,12 million de personnes potentiellement concernées par la tarification sociale de l’eau. Ce n’est pas rien ; c’est même suffisamment signifiant pour nous permettre de tirer des leçons utiles de l’expérimentation en cours.
Au demeurant, cette expérimentation est une marque de confiance envers les collectivités territoriales, que nous représentons. Leur capacité d’innovation doit être à la base de notre travail, ce dernier devant s’inspirer et se nourrir de l’expérience du terrain.
Mes chers collègues, vous l’aurez donc compris : nous voterons en faveur de la prorogation du dispositif de la loi Brottes jusqu’au 15 avril 2021. S’appliquant uniquement aux communes volontaires déjà engagées, cette prolongation leur donnera, in fine, les moyens de poursuivre l’expérimentation dans de bonnes conditions.
Toutefois, cette prorogation reporte la question que nous aurons à nous poser avant la fin de l’expérimentation : quel dispositif pérenne devrons-nous prévoir en matière d’accès à l’eau ?
L’objectif visé par la loi Brottes et par cette expérimentation, faciliter l’accès à l’eau, fait singulièrement penser à un texte que nous avons examiné voilà un an. Je pense à la proposition de loi relative au droit à l’eau potable et à l’assainissement, discutée le mercredi 22 février 2017 au Sénat, qui prévoyait la création d’une allocation forfaitaire permettant aux ménages les plus nécessiteux de s’acquitter de leur facture d’eau.
Or ce droit à l’eau, si nécessaire puisse-t-il être, ne doit pas être un poids pour nos collectivités territoriales. La charge de l’accès à l’eau pèse pourtant soit sur le département via le Fonds de solidarité pour le logement, lorsque la consommation d’eau est facturée dans les charges du logement, soit sur la commune via son centre communal d’action sociale, lorsque la facture d’eau est individualisée.
La multiplication des charges pesant sur les collectivités territoriales, sans cesse accrues et jamais, ou rarement, compensées, se ressent au bout du compte dans la qualité du service public. Il est du devoir de notre Haute Assemblée de dire : stop !
Au demeurant, rien ne nous garantit qu’un tel droit à l’eau, concrétisé par une tarification sociale ou une aide pécuniaire, soit de nature à siphonner effectivement les besoins actuels en aide curative. Il s’agit là d’une des interrogations auxquelles l’expérimentation, une fois prorogée, devra répondre.
Ainsi donc, s’il est nécessaire de proroger l’expérimentation afin d’avoir un véritable recul et de démontrer empiriquement le bien-fondé ou l’inutilité de cette mesure, nous ne devons pas être naïfs quant à la suite des choses. C’est pourquoi nous voterons la proposition de loi, en demeurant vigilants pour que les charges que le dispositif pérenne créera ne pèsent pas, une fois de plus, sur les collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Antoine Lefèvre applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Jérôme Bignon. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’article 1er de la Charte de l’environnement, texte de valeur constitutionnelle, garantit à chacun de vivre dans un environnement sain, « équilibré et respectueux de la santé ».
Ce droit est garanti en premier lieu aux êtres humains. Or, que ce soit en métropole ou, comme l’a rappelé à juste titre M. Karam, en outre-mer, ce n’est pas le cas pour tout le monde.
La situation de l’eau n’est pas bonne – il faut avoir le courage de regarder cette réalité en face. Ayons à l’esprit que, en 2018, selon une enquête récemment publiée par Que choisir, 2,8 millions de personnes en métropole – je n’ai pas de chiffres pour l’outre-mer – boivent une eau contaminée, par des pesticides ou des nitrates.
Nos obligations européennes et les engagements que nous avons pris en 2015 à l’ONU dans le cadre des objectifs de développement durable pour 2030 – M. le ministre d’État a insisté sur l’objectif n° 6 – doivent nous conduire à être extrêmement proactifs sur ces sujets. Nous ne pouvons ni admettre ni tolérer cette situation !
La loi Brottes a une origine assez ancienne, puisque, si ma mémoire est bonne, elle a été inspirée par une ONG dans laquelle travaillait un professeur de droit que j’ai eu l’honneur d’avoir pour directeur de thèse et qui m’a sensibilisé à ces questions : Bernard Drobenko, qui, par ses travaux sur ce sujet, a préfiguré intellectuellement et juridiquement la loi qui, voilà bientôt cinq ans, a autorisé la mise en place d’expérimentations sur la tarification sociale de l’eau.
L’eau est une ressource rare et vitale – les hommes le savent depuis toujours ; à l’avenir, elle le sera probablement de plus en plus. En la matière, l’augmentation de la population, les problèmes de pollution et les difficultés climatiques n’incitent pas à l’optimisme.
Gilles Bœuf rappelle souvent que 70 % de notre corps, au moins, est constitué d’eau. C’est dire si l’eau nous est essentielle ! L’accès à l’eau doit donc être un droit pour tous, et l’accès à une eau de qualité une ligne d’action de nos services de distribution et de nos politiques. La loi Brottes a eu le mérite de remettre ces questions à l’ordre du jour de nos débats politiques. Je crois que nous pouvons tous nous en réjouir, car il reste beaucoup à faire.
Le Parlement a voulu alerter les pouvoirs publics au sujet de nos concitoyens dont les ressources sont insuffisantes pour leur permettre d’accéder à l’eau. Il existait auparavant une possibilité de recours au Fonds de solidarité pour le logement. Même si nombre d’élus locaux l’ont pratiquée, cette aide financière et le mécanisme permettant d’y avoir recours étaient peu connus et mal usités.
L’expérimentation a permis d’envisager d’autres solutions, notamment préventives, sous la forme d’un « chèque eau » ou d’un tarif progressif avec une première tranche de consommation gratuite.
L’expérimentation devait prendre fin en 2018. Il s’agissait peut-être du « prix à payer », si j’ose dire, pour bénéficier de cette première étape. Compte tenu des premiers résultats, nous sommes nombreux à souhaiter une généralisation de ces dispositions sur le territoire national.
Comme les auteurs du texte et Mme la rapporteur l’ont dit, nous manquons de recul pour juger de la pertinence des dispositifs. Les décrets concernant les villes choisies pour l’expérimentation ont tardé à être publiés. Par ailleurs, le rapport du Comité national de l’eau dresse un simple bilan de mi-parcours. Les données sont donc insuffisantes pour prendre une décision. J’espère que les assises de l’eau dont a parlé le ministre d’État permettront de renforcer l’expérimentation en lui donnant un nouvel élan.
Mes chers collègues, prorogeons cette expérimentation pour trois ans ! Le groupe Les Indépendants – République et Territoires n’y verrait que des avantages ! Il faut savoir donner du temps au temps, faire confiance à l’action locale et à l’expérience pratique, afin d’être en mesure de prendre une décision nationale en toute connaissance de cause.
L’examen de ce texte est l’occasion pour notre groupe, tout particulièrement attaché aux territoires, de rappeler l’importance et la fonctionnalité des mécanismes d’expérimentation locale, qui sont prévus par la Constitution, mais que nous n’utilisons peut-être pas assez.
Je profite des quelques instants qui me restent pour souligner l’opportunité qu’offre la création d’une nouvelle association.
Mes chers collègues, vous connaissez tous l’Association nationale des élus du littoral, présidée par notre collègue Jean-François Rapin, ou l’Association nationale des élus de la montagne. Les élus qui s’occupent des questions d’eau au sein des établissements publics territoriaux de bassin, les EPTB, dans les six ou sept bassins versants existant sur notre territoire, ont eu l’idée judicieuse, me semble-t-il, de créer une Association nationale des élus des bassins.
Cette association représente un moyen pour les élus de travailler sur ces sujets. Je vous invite à venir rejoindre les responsables de cette association, dont je fais partie d’ailleurs, car nous devons être nombreux pour parler aux pouvoirs publics.
Notre groupe votera évidemment en faveur de la prorogation de l’expérimentation. Celle-ci va dans le bon sens : elle s’inscrit dans les objectifs du millénaire pour le développement, ainsi que dans ceux du programme de développement durable de 2015. Elle permettra de surcroît une transposition rapide et pratique du dispositif dans notre droit. Le droit à l’eau est un droit à la vie, un droit fondamental que la République doit consacrer et assurer à chaque citoyen !
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le 15 avril prochain, nous arriverons à l’échéance de l’expérimentation prévue dans le cadre de la loi Brottes, loi qui a été promulguée en avril 2013 et qui avait pour objectif de garantir l’accès à l’eau potable et de mettre en œuvre une tarification sociale de l’eau.
Je remercie nos collègues du groupe socialiste et républicain de leur initiative indispensable pour prolonger cette expérimentation importante. Il était plus que temps de légiférer ! L’effectivité du droit à l’eau représente en effet un enjeu fort, un symbole indéniable. Il s’agit d’un indicateur de la réalité de la cohésion de nos sociétés et de la protection des plus faibles.
Un consensus existe pour considérer que le coût de la facture d’eau est excessif lorsqu’il dépasse 3 % des revenus. Le constat est édifiant : environ un million de ménages font face à une facture démesurée. Ces ménages ne sont parfois plus en mesure de payer leur facture, ce qui entraîne des réductions du débit de l’eau, voire des coupures brutales. Il s’agit là de difficultés quotidiennes qui sont intolérables pour certaines familles. Aujourd’hui, de nombreux exemples font d’ailleurs la une des médias.
Cette situation est inacceptable. Face à cette réalité, plusieurs communes ou groupements de communes ont pris leurs responsabilités en expérimentant la tarification sociale de l’eau sur leur territoire. Le dispositif leur permet de définir des tarifs sociaux en tenant compte de la composition ou du revenu des foyers. Les collectivités peuvent également prévoir un soutien financier au paiement des factures d’eau en identifiant les solutions les plus adaptées aux différentes situations de précarité. Cette expérimentation permettra de mesurer les coûts de gestion de ces différents dispositifs.
Néanmoins, un retard important a été enregistré dans la mise en œuvre de ces expérimentations : seuls vingt-six projets ont été lancés depuis 2015 ; le retour d’expérience n’est donc pas encore suffisamment établi.
Il existe quand même un rapport d’étape intéressant sur la mise en œuvre de l’expérimentation, qui a été établi par le Comité national de l’eau en avril 2017. Ce rapport donne une idée des difficultés rencontrées. Ainsi, malgré une vaste campagne d’information, Nantes Métropole signale que seuls treize ménages ont demandé à être intégrés au processus de tarification solidaire. Cet exemple montre, disons-le sans langue de bois, qu’il existe un vrai risque d’empilement des dispositifs, au-delà des difficultés à informer les principaux intéressés.
De même, Bordeaux Métropole, qui a aussi développé une approche préventive par l’utilisation du « chèque eau », souligne dans sa note de synthèse que le développement du dispositif reste très lié localement à l’engagement des équipes de travailleurs sociaux. Le travail d’information et de reconnaissance du dispositif se poursuit d’ailleurs encore auprès de ces équipes. Ces constats prouvent qu’il est primordial de faire bénéficier ces collectivités d’un support légal pendant trois années supplémentaires. Cette prorogation permettra d’évaluer pleinement les dispositifs.
Cependant, la tarification sociale de l’eau n’est que l’un des aspects de cette vaste question de l’accès à l’eau et à l’assainissement.
J’ai eu la tentation – je vous l’avoue, madame la rapporteur – d’utiliser ce texte pour restaurer, par un ensemble d’amendements, la proposition de loi « visant à la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement », texte dont j’étais le rapporteur il y a tout juste un an. Le souvenir reste douloureux pour certains d’entre nous – ils se reconnaîtront ! (Sourires.) Le texte avait été systématiquement détricoté par la majorité sénatoriale, davantage pour des raisons de calcul politique immédiat dans une période préélectorale…
M. Charles Revet. Oh, monsieur Dantec !
M. Ronan Dantec. … que pour de véritables raisons de fond, je le crains !
Je n’ai pas cédé à cette tentation, car il me semble que nous avons la possibilité, avec ce nouveau cycle de trois ans, de trouver des consensus et de dépasser certaines craintes au sujet des charges nouvelles qu’auraient à assumer les collectivités ou des détournements dont pourraient profiter de mauvais payeurs qui ne seraient pas en situation précaire.
Je rappelle que ce texte martyrisé (Sourires.), mais qui se trouve potentiellement toujours dans les « tuyaux » du Sénat, était défendu par de grandes associations, dont la fondation France Libertés de Danièle Mitterrand, et soutenu par de grandes entreprises de l’eau. Avant l’hallali sénatorial, l’Assemblée nationale l’avait approuvé à une large majorité. On doit pouvoir arriver à progresser sur ce point, avec un peu de temps et d’échanges sans a priori.
Pour ce qui est du texte examiné aujourd’hui, nous approuvons les ajustements apportés par la commission. Le texte ainsi modifié permettra d’accompagner au mieux les élus locaux qui se sont engagés dans cette démarche expérimentale. Ainsi, les conditions légales seront réunies pour que les expérimentations actuelles puissent produire tous leurs effets, condition indispensable pour parvenir à une évaluation complète de cette mesure d’efficacité sociale et faciliter la généralisation des solutions les plus pertinentes.
Il ne faut pas non plus oublier que l’accès à l’assainissement et les investissements dans ce domaine, notamment dans le cadre du service public d’assainissement non collectif, le SPANC, sont certainement un enjeu social encore plus important aujourd’hui que celui de l’accès à l’eau, et qu’il faudra aussi revenir sur cette question.
Le groupe du RDSE est globalement favorable à la poursuite de cette expérimentation – malgré quelques points de vigilance, monsieur le président Requier ! Il votera largement ce texte de bon sens que nous attendions. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain. – Mme la rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Madrelle, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Philippe Madrelle. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer le travail fait par les auteurs de la proposition de loi, ainsi que celui conduit par Mme la rapporteur.
Il y a un peu plus d’un an, à cette même tribune, je défendais au nom du groupe socialiste et républicain, et avec le groupe écologiste, un texte de portée universelle : la proposition de loi visant à la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement. Nous étions contraints de déplorer, comme Ronan Dantec vient de le rappeler à l’instant, l’inexplicable attitude de blocage de la majorité sénatoriale, qui a alors empêché l’inscription de ce droit d’accès à l’eau pour tous dans la Constitution.
Cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi Brottes du 15 avril 2013 portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et introduisant, pour les collectivités locales qui le souhaitent, la possibilité d’une expérimentation d’une tarification sociale de l’eau durant cinq années, on ne peut que se féliciter de l’examen de cette proposition de loi visant à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau. Ce texte vise en effet à rendre l’eau accessible dans des conditions économiques acceptables pour tous.
Élément indispensable à la dignité humaine, l’eau ou, plus précisément, le droit d’accès à l’eau potable est loin d’être une réalité pour tous, tant au-delà de nos frontières que sur l’ensemble de notre territoire. Un million de ménages ont accès à l’eau en payant un prix considéré comme excessif par rapport à leurs revenus. Plus de 100 000 personnes ne bénéficient pas d’un accès direct à l’eau et à l’assainissement : je pense plus précisément aux populations des squats. Il y a là une urgence sociale !
Une cinquantaine de collectivités territoriales ont choisi d’expérimenter les dispositifs proposés. La lecture du rapport d’étape établi par le Comité national de l’eau permet de constater la variété des dispositifs mis en place par les collectivités, qui ont le choix entre le versement automatique d’aides ou l’instauration d’une modulation tarifaire par la définition de tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer et pouvant ainsi inclure une première tranche de consommation gratuite. Cette gratuité avait elle-même été expérimentée à Libourne par le maire de l’époque, Gilbert Mitterrand.
La présentation effectuée par les collectivités locales qui ont expérimenté cette tarification sociale de l’eau révèle le souci d’une maîtrise des coûts de gestion, qui est à considérer par rapport à l’efficacité des dispositifs et qui doit être compatible avec le budget qu’elles consacrent à l’eau et l’assainissement.
Elle montre également l’importance du travail fait en amont avec les organismes gestionnaires comme la CAF ou la CPAM pour la transmission des données individuelles, la nécessité d’un travail de sensibilisation avec les délégataires et les bailleurs sociaux, sans oublier une sensibilisation des consommateurs en faveur d’une utilisation économe de l’eau, ce qui constitue l’un des moyens les plus efficaces pour limiter le poids de la facture d’eau dans les foyers.
Les collectivités locales qui se sont lancées dans cette expérimentation cherchent à simplifier les procédures pour accroître l’efficacité des dispositifs. Il faut souhaiter qu’un plus grand nombre de collectivités s’engage. La poursuite de l’expérimentation devrait en tout état de cause faciliter l’échange d’expériences et favoriser la nécessaire évaluation de la viabilité et de l’efficacité de la démarche.
Prolonger ces dispositifs serait positif. Il faut toutefois déplorer le fait que ceux-ci sont territorialisés et expérimentaux. Il ne faudrait pas qu’un nombre toujours aussi élevé de ménages « galère » encore dans trois ans pour payer sa facture d’eau ! N’oublions pas, comme le répétait Danièle Mitterrand, que « l’eau, c’est la vie ». Ce droit d’accès à l’eau potable ne saurait être réduit à une aide facultative et expérimentale.
Avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, je voterai ce texte en vous demandant de poursuivre notre réflexion et notre inlassable combat pour la nécessaire inscription du droit à l’eau dans la Constitution ! D’autres États comme la Slovénie ou le Burkina Faso l’ont fait bien avant nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je dois à la vérité de reconnaître que je m’exprime aujourd’hui devant vous en étant d’une certaine façon « juge et partie ».
En effet, la métropole du Grand Nancy dont je suis élu a choisi de mettre en place cette expérimentation sur son territoire et a fait partie des groupements pionniers en la matière : nous avons été retenus dès la publication du décret du 14 avril 2015 fixant la liste des collectivités territoriales et de leurs groupements choisis pour y participer. Aussi, je ne manquerai pas de revenir sur l’expérimentation dans notre métropole.
La réflexion a débuté bien avant l’adoption définitive de la loi Brottes du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes. Comme cela a déjà été précisé, le point de départ a assurément été la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, la LEMA, qui a consacré un droit d’accès à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables pour tous.
Je voudrais également rappeler le travail de notre collègue Christian Cambon, à l’origine de la loi du 7 février 2011 relative à la solidarité dans les domaines de l’alimentation en eau et de l’assainissement qui a constitué une étape décisive dans la mise en œuvre de la LEMA.
Pourquoi ce rappel historique ? La raison d’être de cette expérimentation est de favoriser la mise en place d’aides préventives plutôt que de s’évertuer à accumuler les dispositifs par nature et trop souvent curatifs.
Comme en témoigne l’instruction du Gouvernement en date du 4 mars 2014 relative à la mise en œuvre de l’expérimentation, cette tarification sociale de l’eau peut prendre plusieurs formes : soit une aide au paiement des factures, qui constitue une aide curative, soit une aide à l’accès à l’eau, qui est une aide préventive. Les collectivités locales ont le choix et peuvent ainsi inclure une première tranche de consommation gratuite ou envisager une autre approche fondée sur un barème reposant lui-même sur les caractéristiques des abonnés.
L’idée de cette expérimentation, conformément à la philosophie de l’article 72 de la Constitution, est de donner la plus grande latitude possible aux collectivités territoriales et aux élus pour soutenir une politique qu’ils jugent utile pour leur territoire.
Pour cette raison, nous avons par principe un regard bienveillant à l’endroit de cette proposition de loi.
Le cas de la métropole du Grand Nancy est à ce titre intéressant, puisque nous avions unanimement choisi de retenir une formule singulière dans laquelle les CCAS, les centres communaux d’action sociale, se sont vu confier l’attribution des aides après que la métropole a procédé à l’attribution des enveloppes entre les vingt communes. La grille de répartition des fonds entre les villes était calquée sur celle utilisée par l’État pour la péréquation verticale dans le cadre du mécanisme de la dotation de solidarité urbaine.
Je me dois d’ailleurs de vous le dire, à ce jour, les résultats sont mitigés : pour la seule ville de Nancy, soit près de la moitié de la population de la métropole, moins de 50 % des crédits ont été utilisés. Nous avons constaté une montée en puissance du dispositif, suivie peu après d’un ajustement. C’est la raison pour laquelle je continue de penser qu’il faut poursuivre l’expérimentation, ce qui est conforme à la position prise par mon groupe.
Qu’apporteront ces trois années supplémentaires ? Les évaluations sont-elles suffisantes ?
Je viens d’évoquer l’exemple de Nancy, mais je tiens également à rappeler l’avis du Comité national de l’eau qui estime lui aussi utile de prolonger le dispositif. Il nous faut simplement dès aujourd’hui davantage réfléchir à sa pertinence. Ne faut-il pas aller encore plus loin en amont de l’aide curative pour donner accès à l’eau à ces populations précaires qui cumulent les handicaps ?
C’est la raison pour laquelle nous pensons sans aucune retenue qu’il faut poursuivre l’expérimentation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Angèle Préville. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, je ne peux qu’appuyer les interventions des collègues qui m’ont précédée.
Cette proposition de loi déposée par le groupe socialiste et républicain répond à de véritables enjeux sociaux et écologiques, ainsi qu’en matière de développement durable. La prorogation de l’expérimentation est nécessaire et doit permettre une plus grande efficacité des dispositifs mis en œuvre.
Les collectivités locales retenues ont pris du retard. Cela résulte du temps consacré à l’élaboration de leur projet. Il est évident que nous nous devons de laisser ces expérimentations se poursuivre.
L’eau constitue un véritable poste de dépense pour le budget des ménages. Grâce à la loi Brottes, les collectivités choisies peuvent expérimenter des pistes diverses en aide aux familles à faibles revenus : modulation tarifaire, écrêtement de la facture ou encore « chèque eau ». En effet, le prix de l’eau est bien un facteur d’inégalités. Comme vous le savez, ce coût varie selon les lieux, dans la mesure où il dépend des investissements, des coûts nécessaires à son exploitation, à sa distribution et au traitement des eaux usées. En Martinique, le prix du mètre cube s’est élevé à quatre fois celui du mètre cube dans l’Hexagone.
Il est donc nécessaire d’aider l’ensemble des collectivités retenues à mettre en œuvre ce droit inaliénable et universel d’accès à l’eau.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui pose de véritables questions de solidarité et de progrès.
Ce que l’on appelle le « seuil d’acceptabilité » est évalué à 3 % : il s’agit du pourcentage des revenus consacré au paiement des factures d’eau et d’assainissement. Aujourd’hui, ce seuil est dépassé pour plus de deux millions de personnes. Il s’agit bien entendu d’aider ces foyers en difficulté en amont, mais aussi de lutter contre la précarité hydrique. Le droit à l’eau est inscrit dans la loi.
Si nous avons la chance de disposer de bons services publics de l’eau et de l’assainissement en France, il est nécessaire de faire progresser le cadre réglementaire pour l’accès à l’eau. Il s’agit d’enclencher tous les leviers pour la mise en œuvre du droit de l’humain à l’eau potable. Cette tarification sociale s’inscrit dans les objectifs de développement durable, les fameux ODD, qui sont au nombre de dix-sept, et correspond plus exactement à l’objectif n° 6. Ces ODD forment l’essentiel de l’Agenda 2030 et sont complémentaires de l’accord de Paris sur le climat.
Au travers de l’examen de ce texte, nous devons par ailleurs regarder la réalité telle qu’elle s’annonce : l’eau potable va coûter de plus en plus cher, car le coût de l’assainissement va augmenter. En effet, nos ressources en eau – je rappelle qu’il s’agit de moins de 1 % de l’eau disponible sur Terre – sont de plus en plus polluées et le coût des traitements pour maintenir une eau potable de qualité ne cesse de s’envoler.
Aujourd’hui, en France, la moitié des eaux de surfaces ne sont plus potables. Cette dégradation s’explique par la présence de pesticides, de métaux, de mercure – souvenons-nous à cet égard de la catastrophe pour l’humanité que fut Minamata au Japon et des conséquences terribles du mercure sur la santé –, de déchets médicamenteux et autres molécules artificielles non dégradables naturellement.
Les trois quarts des nappes phréatiques contiennent des nitrates et la question de la mise en œuvre de politiques publiques de diminution des pollutions résiduelles a déjà été soulevée. Quels traitements devrons-nous imaginer dans l’avenir et quelles répercussions auront-ils sur le prix de l’eau ? La réponse à ces questions légitime d’autant plus la démarche qui est à l’origine de cette proposition de loi.
Je poursuivrai sur un aspect fort de ce texte : l’objectif d’écologie responsable. Au cours de l’expérimentation, certaines collectivités locales ont assorti le projet d’une véritable politique de sensibilisation et d’incitation. Il a ainsi été possible de réduire les prélèvements sur la ressource.
Je vois dans ces expérimentations une responsabilisation de l’usager. La sensibilisation à l’économie de la ressource en eau est symbolisée par l’exemple du mécanisme « éco-solidaire » mis en place dans le Dunkerquois. L’idée selon laquelle « moins l’on consomme, moins l’eau est chère » a permis une baisse générale de la consommation. La prise de conscience par chacun de son « empreinte eau » et l’adoption d’un comportement responsable sont donc au cœur de la proposition de loi que nous examinons.
Dernier point que je souhaite évoquer : l’aspect expérimental de la démarche.
Comme le disait Léonard de Vinci : « Détourne-toi des préceptes de ceux qui spéculent sur le monde, mais dont les raisons ne sont pas confirmées par l’expérience. L’expérience ne se trompe jamais, ce sont nos jugements qui se trompent. »
L’intérêt de ce texte est certain : il permettra non seulement de mettre en œuvre des mécanismes différents selon les acteurs, les territoires et les usagers concernés, mais aussi d’engager des politiques responsables dans un but social et écologique. Des lignes très prometteuses émergent d’ores et déjà.
« Expérimenter, c’est imaginer », disait Nietzsche. C’est bien le mot d’ordre des collectivités locales retenues pour ce projet, qui ont pu mettre en place cette tarification selon différents modes, souvent en l’assortissant d’une politique de sensibilisation.
Les résultats de ces expérimentations seront donc précieux. Cette proposition de loi est un vecteur ambitieux et audacieux. Il l’est d’abord par sa visée sociale. Comment d’ailleurs un bien inaliénable peut-il encore être vecteur d’inégalités ?
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Angèle Préville. Il l’est ensuite par ses fins écologiques absolument nécessaires dans le contexte actuel. Cela n’est plus à démontrer. Il est grand temps de poursuivre cette expérimentation, qui est celle du progrès, de la solidarité et de l’écologie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour le groupe Les Républicains.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, je salue l’initiative de nos collègues Monique Lubin, Éric Kerrouche, Patrick Kanner, ainsi que des membres du groupe socialiste et républicain, qui ont déposé cette proposition de loi visant à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau jusqu’au 15 avril 2021.
L’eau est en effet un bien précieux. Défendre et préserver les ressources en eau constitue une priorité et un enjeu important : l’eau, c’est la vie. L’accès à l’eau pour tous constitue un combat permanent, qu’il s’agisse de l’accès à l’eau potable ou à l’assainissement.
Il est fait référence dans ce texte à la loi Brottes du 15 avril 2013 grâce à laquelle cinquante collectivités en métropole, mais également outre-mer, ont mis en place une expérimentation au niveau des tarifs.
Monsieur le ministre d’État, vous avez évoqué les assises de l’eau qui seront organisées cette année, en 2018 : cela montre que cette question représente une vraie priorité.
Parallèlement à l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau, il convient de prendre en compte les travaux d’entretien et les investissements nécessaires à la modernisation des réseaux et des installations.
Ancien maire d’un village de 160 habitants dans les Ardennes de 2001 à 2017, simple conseiller municipal aujourd’hui, j’ai réellement pu mesurer l’ampleur de la tâche qui consiste à gérer le service des eaux. On fait l’objet de beaucoup de sollicitations des uns et des autres, parce que tout s’arrête quand il n’y a plus d’eau au robinet ! (Sourires.)
Gérer le service des eaux à l’échelle d’une commune isolée, avec un budget annexe s’élevant à moins de 20 000 euros, est un véritable parcours du combattant.
Il faut d’abord prendre en compte la qualité de l’eau avec les analyses régulières faites sous l’autorité des agences régionales de santé. Il faut ensuite verser une redevance à l’agence de l’eau en fonction du volume d’eau puisé dans les nappes phréatiques, régler les factures d’électricité ou de téléphone concernant le fonctionnement des stations de pompage ou des réservoirs. Il faut enfin tenir compte des frais de maintenance qui sont pris en charge par un syndicat intercommunal dans l’exemple que je me permets de présenter, d’où l’importance de la notion de « proximité » et la nécessité de soutenir les petits syndicats de gestion des eaux.
La lutte contre les fuites est également un sujet important. Il faut malheureusement déplorer beaucoup de pertes : l’eau s’infiltre partout, ce qui entraîne des gaspillages et des coûts supplémentaires. Il est par conséquent nécessaire d’investir régulièrement et de lancer des travaux pour moderniser les réseaux, travaux qui sont souvent assez peu subventionnés.
Face à ces dépenses, il convient de fixer des recettes, à l’origine de l’évolution du prix de l’eau. À titre d’exemple, nous proposions trois différents tarifs, dégressifs de 1,2 euro à 0,8 euro par mètre cube, ce dernier tarif étant destiné aux plus gros consommateurs. Ces tarifs avaient notamment vocation à soutenir le monde agricole.
Le tarif de l’eau est modique dans beaucoup de communes rurales : l’assainissement est individuel avec la mise en place des SPANC. Cependant, les difficultés pour régler ses factures existent aussi dans les villages, où les impayés sont fréquents. J’en profite pour souligner le bon partenariat qui existe avec nos trésoriers, en particulier la direction départementale des finances publiques qui aide les élus et le personnel à percevoir les recettes et à trouver des solutions pour les redevables.
Le prix de l’eau est très variable d’une commune à l’autre, selon que celui-ci intègre ou non l’assainissement collectif. L’analyse des factures d’eau est complexe, puisque celles-ci intègrent différentes taxes et redevances et font référence à un taux de TVA variable.
Compte tenu de l’intérêt que cette expérimentation représente pour les communes, intercommunalités, métropoles et syndicats de communes, et même si nous reconnaissons les objectifs louables que le texte cherche à atteindre, ainsi que la qualité du travail fait par nos collègues sur ce sujet important, notre groupe s’abstiendra de façon positive sur cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. Dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Nicolas Hulot, ministre d’État. Je voudrais très brièvement apporter quelques réponses.
Le rapport d’évaluation est en cours de réalisation. Il sera examiné en commission, puis adopté par le Comité national de l’eau le 20 juin prochain. Évidemment, mesdames, messieurs les sénateurs, il vous sera aussitôt transmis.
Les assises de l’eau, je vous le confirme, se tiendront en deux phases. La première débutera probablement dans le courant de ce mois-ci ou au tout début du mois suivant, et sera plutôt consacrée au petit cycle de l’eau. Comme le sujet mérite tout de même que l’on y consacre un peu de temps – tout le monde, me semble-t-il, a réalisé à quel point la situation est complexe et tendue –, le grand cycle de l’eau sera examiné dans une seconde phase, sans doute après l’été.
C’est la première fois que j’assiste à un tel moment de concorde. (M. Ronan Dantec s’exclame.) Une fois n’est pas coutume, peut-être…
M. Antoine Lefèvre. Il y en aura d’autres !
M. Nicolas Hulot, ministre d’État. Je l’espère.
En tout cas, je tiens à saluer le degré de conscience qui prévaut, en France, sur ce sujet. Cela laisse augurer que les assises de l’eau se tiendront dans un état d’esprit constructif. Parce que la question demande d’additionner des expériences, des volontés, de la créativité et de l’inventivité, je me réjouis de cette perspective et, à nouveau, je vous félicite pour ce moment de démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau prévue à l’article 28 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013
Article 1er
En application de l’article L.O. 1113-6 du code général des collectivités territoriales, l’expérimentation prévue à l’article 28 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes est prorogée jusqu’au 15 avril 2021.
Cette prorogation est applicable aux collectivités territoriales et groupements de collectivités qui sont déjà engagés dans cette expérimentation dans les conditions fixées par la loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Supprimé)
Article 3 (nouveau)
L’article 28 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes est ainsi modifié :
1° Au treizième alinéa, après les mots : « les données nécessaires », sont insérés les mots : « pour identifier les foyers bénéficiaires de l’expérimentation dont les ressources sont insuffisantes et », et les mots : « aux foyers dont les ressources sont insuffisantes » sont supprimés ;
2° À la deuxième phrase du quatorzième alinéa, l’année : « 2017 » est remplacée par l’année : « 2020 ». – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau prévue à l’article 28 de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013.
(La proposition de loi est adoptée.) (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Je me réjouis que ce texte ait été adopté à une très large majorité. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre d’État, ce n’est pas si fréquent que cela.
Je me réjouis aussi – et c’est tout aussi rare – de voir une proposition de loi sénatoriale obtenir le soutien du Gouvernement ! (Applaudissements sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Nous avons effectivement eu à déplorer, ces derniers temps, une tendance du Gouvernement à jeter systématiquement aux oubliettes nos propositions de loi – j’en compte au moins cinq sur une période très récente.
À ce double motif de réjouissance, j’en ajoute un troisième : les débats ont montré le très grand intérêt que l’ensemble de notre assemblée porte à la question de l’eau.
L’adoption de ce texte, de bon sens, est légitime ; il était tout à fait logique de vouloir proroger l’expérimentation afin que celle-ci puisse aller à son terme.
Mais, au-delà même du dispositif prévu dans cette proposition de loi, les interventions des différents orateurs laissent bien paraître une préoccupation réelle pour les questions concernant la ressource en eau et sa gestion. Avec un litre d’eau sur cinq perdu du fait de l’état des réseaux – je ne prendrai que cet exemple –, il y a largement matière à se mobiliser sur le sujet, et il faut le faire rapidement !
Je me réjouis, enfin, du prochain lancement des assises de l’eau. Convaincu que toutes les questions pourront être abordées dans ce cadre, je formerai le vœu que le Parlement, notamment le Sénat, puisse y être associé.
Vous savez, monsieur le ministre d’État, que siègent dans notre assemblée des élus qui connaissent bien les territoires et leurs problématiques – parmi lesquelles celle de l’eau. C’est pourquoi je conclurai mon propos en insistant sur ce souhait de voir le Sénat largement associé aux assises. Je vous garantis que vous pourrez compter sur nous, et sur l’état d’esprit, pragmatique et en rien partisan, que vous avez pu constater aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Sortie de l’indivision successorale et politique du logement en outre-mer
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer (proposition n° 231, texte de la commission n° 380, rapport n° 379).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà quelques semaines – le 18 janvier 2018 –, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.
Ce texte, qui vous est aujourd’hui présenté, propose des dispositifs innovants et nécessaires pour apporter des solutions pratiques aux difficultés de règlement des indivisions successorales en outre-mer, difficultés auxquelles le Gouvernement est particulièrement sensible.
La proposition de loi est née d’une initiative du groupe Nouvelle Gauche et apparentés à l’Assemblée nationale, plus particulièrement de M. Serge Letchimy, député de la Martinique, qui a souhaité porter cette question devant la représentation nationale. Cette initiative heureuse traduit une préoccupation que partagent tous les élus ultramarins, au palais du Luxembourg comme au palais Bourbon, ainsi naturellement que dans les territoires concernés.
La problématique en la matière est en effet bien réelle.
Le sujet a été particulièrement bien analysé, notamment dans un rapport extrêmement complet de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, en date du 23 juin 2016. Ce travail a été coordonné par M. Thani Mohamed Soilihi, aujourd’hui rapporteur au Sénat de cette proposition de loi, que je salue.
Ce rapport constitue, à dire vrai, le travail de référence sur cette question. Votre délégation y avait fait le constat de l’existence d’un état généralisé d’indivision transgénérationnelle, rendant difficile toute utilisation ou disposition de la terre, ce qui constituait dès lors un frein aux investissements économiques ainsi qu’un obstacle à l’accès à l’habitat. Il était observé que cette situation pouvait même aller jusqu’à engendrer des troubles à la paix publique.
Ce problème d’indivision endémique se double d’une problématique de reconstitution des titres de propriété, qui sont extrêmement difficiles à établir.
Sur le plan du contentieux civil, il a été relevé une multiplication des actions en revendication de propriété, conduisant souvent à la formulation de demandes en partage qui engorgent les tribunaux. Les juridictions sont alors confrontées à des difficultés majeures, liées à l’application des règles de gestion de l’indivision de droit commun fondées sur la règle de l’unanimité ou des deux tiers des droits indivis.
Cette réalité est bien identifiée par les pouvoirs publics et, bien entendu, le Gouvernement comprend la volonté forte des parlementaires d’outre-mer d’agir. C’est la raison pour laquelle il a porté un regard attentif et ouvert sur la démarche proposée, en suggérant quelques améliorations au dispositif initial.
Je rappellerai en préalable que, dès 2009, la question du titrement des terres a été mise en débat.
La création d’un groupement d’intérêt public chargé de rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété dans les départements d’outre-mer et à Saint-Martin, pour les biens fonciers et immobiliers qui en sont dépourvus, a ainsi été autorisée par la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer.
Le dispositif a ensuite été amélioré et complété par la loi du 17 octobre 2013, qui a mis en place une procédure dite de titrement, conduite par un groupement d’intérêt public ayant vocation à être constitué dans chaque région, département ou collectivité d’outre-mer concerné, ou bien par un opérateur public foncier.
La loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite Égalité réelle outre-mer, a par ailleurs consacré les actes notariés de notoriété constatant une possession acquisitive, et les a sécurisés en enfermant les contestations éventuelles dans un délai de cinq ans pour les immeubles situés en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, en Guyane, à Saint-Martin et à Mayotte. Il s’agit d’un dispositif équivalent à celui qui est applicable en Corse depuis la loi du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété.
Le décret d’application du 28 décembre 2017 est venu préciser les modalités de mise en œuvre de ce dispositif. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2018.
La loi Égalité réelle outre-mer a également créé, pour Mayotte, une commission d’urgence foncière chargée de préfigurer le groupement d’intérêt public.
Enfin, en Polynésie française, le tribunal foncier se met en place. Le décret du 16 octobre 2017 relatif à l’organisation et au fonctionnement du tribunal foncier de la Polynésie française est en effet entré en vigueur le 1er décembre 2017.
Le Gouvernement convient toutefois qu’il faut aller plus loin sur la question de l’indivision, et ce dans le respect des principes constitutionnels, à savoir le droit de propriété ou le principe d’égalité.
C’est dans cet état d’esprit que, dès le dépôt de la proposition de loi, les ministères de la justice et des outre-mer se sont attachés à engager un dialogue constructif avec tous les parlementaires intéressés par ce sujet, naturellement avec l’auteur de la proposition de loi M. Serge Letchimy, mais aussi avec M. Olivier Serva, président de la délégation aux outre-mer à l’Assemblée nationale. Nous avons pu également échanger en amont avec votre rapporteur, pour voir dans quelles conditions ce texte pouvait prospérer.
Cette réflexion collaborative a permis une évolution du texte présenté à l’Assemblée nationale. Certaines dispositions demeurant encore perfectibles, le Gouvernement a été particulièrement attentif, lors de la discussion en séance du 18 janvier dernier, à l’amélioration de deux garanties considérées comme essentielles : d’une part, la notification individuelle du projet de partage ou de vente à l’ensemble des indivisaires afin de les mettre en mesure de s’opposer à l’acte et, d’autre part, la saisine du juge par les indivisaires majoritaires en cas d’opposition afin de veiller au respect du droit de propriété de chacun.
Les amendements déposés par le Gouvernement sur ces deux points ont été adoptés par l’Assemblée nationale. Il en est ressorti un texte qui me paraît équilibré et solide, tout à la fois porteur de renouveau pour ces successions ultramarines et respectueux des droits en présence.
Votre commission des lois a également imprimé sa marque à cette proposition de loi pour en améliorer les termes.
Le texte issu de la commission, tel qu’il vous est aujourd’hui présenté, comporte des précisions rédactionnelles supplémentaires, qui me paraissent tout à fait adaptées.
Je constate par ailleurs que votre commission des lois a procédé à diverses extensions quant au champ territorial de la proposition de loi, aux fins d’y inclure les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Elle a également prévu d’étendre les dispositions concernant l’attribution préférentielle et l’omission d’héritiers, qui, initialement, ne visaient que la Polynésie française, aux autres collectivités d’outre-mer.
Je relève également que le délai pour permettre l’accès au dispositif de vente et de partage a été porté à dix ans, contre cinq ans dans la version adoptée par l’Assemblée nationale, et que le texte étend désormais les pouvoirs de la majorité des indivisaires aux actes d’administration de l’indivision.
Le Gouvernement en prend acte et n’entendra pas revenir sur ces modifications, estimées nécessaires par le rapporteur et la commission des lois, dont je salue le président.
Seules deux divergences me semblent demeurer à ce stade.
Le nouvel article 5 A de la proposition de loi concernant le partage par souche en Polynésie française, adopté sur l’initiative de Mme Lana Tetuanui, renvoie à une question que nous avons déjà évoquée à l’Assemblée nationale avec Mme Maina Sage. C’est un sujet complexe, et je comprends bien entendu les préoccupations des parlementaires de Polynésie.
J’ai demandé à mon cabinet et à mes services de mener un travail de fond pour continuer à creuser cette question extrêmement importante. Ce travail a déjà débuté – il a été entamé pendant l’examen de la proposition de loi à l’Assemblée nationale. Il suppose d’y consacrer un peu de temps pour bien mesurer les besoins exprimés et déterminer les réponses juridiques adaptées.
Je propose donc, en lien avec le ministère des outre-mer, que cette réflexion soit conduite de manière plus formelle, avec le soutien de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice. Je souhaite que les sénateurs et les députés de Polynésie puissent participer à ce travail commun pour trouver les solutions les plus opérationnelles, dans le respect de nos principes fondamentaux.
À ce stade, donc, la rédaction de l’article 5 A me semble aller trop loin. Elle ne préserve pas suffisamment les droits de l’ensemble des indivisaires, ainsi que l’accès au juge. Le Gouvernement proposera donc de revenir sur cette mesure.
De même, et c’est le second point de divergence, il sera proposé de revenir sur le nouvel article 2 bis, qui comporte des dispositions fiscales prolongeant le système d’exonérations fiscales prévu pour Mayotte de 2025 à 2028 et l’étendant aux autres collectivités ultramarines.
Au-delà de ces deux points de désaccord provisoire, je me réjouis que nous ayons ici l’occasion, ensemble, de faire évoluer notre droit, avec la perspective de faire progresser de manière concrète la question des successions en outre-mer.
Je sais cette considération partagée par ma collègue Annick Girardin, ministre des outre-mer, qui n’a pu être présente aujourd’hui, mais dont l’action est guidée par le souci constant d’une législation qui permette de prendre en compte les caractéristiques et contraintes particulières des outre-mer. C’est une préoccupation, je crois, que nous partageons tous ici ! (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, comme cela a été rappelé, la situation de l’indivision en outre-mer peut être qualifiée de « fléau endémique », entravant le développement des territoires ultramarins.
Tel était le constat que Mathieu Darnaud, Robert Laufoaulu et moi-même avions dressé dans notre rapport d’information de 2016 sur la sécurisation des droits fonciers dans les outre-mer, fait au nom de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Ce rapport a d’ailleurs largement inspiré la proposition de loi que nous examinons, comme l’ont précisé ses auteurs.
Pour une bonne part, les situations d’indivision sont devenues inextricables, car résultant de dévolutions successorales non réglées, parfois même non ouvertes, sur plusieurs générations. Elles stérilisent une grande partie du foncier disponible sur des territoires où celui-ci est rare. L’activité économique, tout comme la politique d’équipement des collectivités en sont entravées.
Face à cette situation, nous faisons le constat de règles de gestion de l’indivision inadaptées, en l’état actuel du droit, aux spécificités ultramarines.
En application du principe d’identité législative, les départements et régions d’outre-mer sont soumis aux mêmes règles que les territoires hexagonaux, à quelques exceptions près.
Ainsi, au décès d’une personne, dans l’attente du partage qui fixera les droits de chacun sur un lot déterminé, les héritiers sont propriétaires indivis des biens du défunt, à moins que celui-ci n’ait réglé les modalités du partage par testament.
Cette situation d’indivision n’a pas vocation à perdurer. Selon l’article 815 du code civil, « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué […] ». Toutefois, en application de l’article 815-3 du même code, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte de disposition, tel que la vente ou le partage.
Or, en raison du nombre des indivisaires et de leur éparpillement géographique, notamment, l’unanimité est particulièrement difficile à obtenir, ce qui bloque tout projet de vente ou même de réhabilitation des biens.
Certes, il existe des procédures spéciales, telles que le partage judiciaire ou la possibilité pour les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis de demander au tribunal de grande instance d’autoriser la vente d’immeubles par licitation, mais elles ne permettent pas aux territoires ultramarins de surmonter les difficultés rencontrées.
Dès lors, comme les y autorise l’article 73 de la Constitution, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité adapter les règles du droit commun aux caractéristiques et contraintes particulières de ces territoires.
La proposition de loi, dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, tendait à mettre en place un dispositif dérogatoire et temporaire pour favoriser les sorties d’indivision et encadrer les conséquences des partages qui en découlent.
À l’article 1er, il était prévu que les biens indivis situés dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, et relevant de successions ouvertes depuis plus de cinq ans pouvaient faire l’objet d’un partage ou d’une vente sur l’initiative des indivisaires titulaires en pleine propriété de plus de la moitié des droits indivis.
L’article 2 avait pour objet d’autoriser le notaire à accomplir la vente ou le partage à défaut d’opposition des indivisaires minoritaires dans un délai de trois mois suivant la notification du projet. En cas d’opposition d’un ou plusieurs indivisaires minoritaires, les indivisaires majoritaires qui souhaitaient vendre le bien ou procéder à son partage devaient saisir le tribunal.
Ce dispositif avait vocation à s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2028.
L’article 5, ajouté par l’Assemblée nationale, visait à adapter aux spécificités polynésiennes le dispositif d’attribution préférentielle. On permettrait à un héritier copropriétaire ou au conjoint survivant de demander l’attribution préférentielle du bien, s’il démontre qu’il y avait sa résidence depuis plus de dix ans, alors qu’en application du droit en vigueur, le demandeur doit prouver que sa résidence se trouvait sur le bien « à l’époque du décès » du de cujus.
L’article 6, également ajouté à l’Assemblée nationale, tendait à empêcher la remise en cause, en Polynésie française seulement, d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté par un héritier omis, celui-ci ne pouvant que demander de « recevoir sa part soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage ».
Face au texte tel qu’il lui a été transmis par l’Assemblée nationale, la commission des lois s’est attachée à concilier efficacité du dispositif et garanties juridiques du droit de propriété.
Elle a tout d’abord rappelé que le droit de propriété, garanti par les articles II et XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne pouvait souffrir de limites à son exercice, à moins que ces limites ne soient justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.
Elle a considéré que la situation tout à fait particulière du foncier ultramarin constituait effectivement un motif d’intérêt général, justifiant, dans son principe, la mise en place du régime dérogatoire de sortie d’indivision.
Quant au caractère proportionné à l’objectif poursuivi des mesures proposées, elle a estimé que l’Assemblée nationale, en imposant une notification du projet de vente ou de partage par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires, en renforçant les modalités de publicité du projet et en renversant la charge de la saisine du juge en cas d’opposition d’un indivisaire minoritaire au projet, avait apporté de solides garanties, qui s’ajoutaient au caractère temporaire du dispositif créé.
Aussi la commission des lois a-t-elle entendu s’inscrire dans la continuité des travaux engagés, en proposant des modifications de nature à renforcer encore l’efficacité du dispositif tout en lui apportant de nouvelles garanties en termes de sécurité juridique.
À l’article 1er, elle a étendu l’application du dispositif dérogatoire de sortie d’indivision aux collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
Elle a ensuite prévu qu’il s’appliquerait seulement aux successions ouvertes depuis plus de dix ans, au lieu de cinq ans, pour permettre aux héritiers d’exercer pleinement les actions prévues à leur profit par le code civil, comme l’action en possession d’état pour établir une filiation post mortem avec le de cujus, qui se prescrit par dix ans, ou l’option successorale qui peut être exercée par l’héritier dans ce même délai.
Enfin, par souci de cohérence, la commission a modifié la majorité requise pour effectuer des actes d’administration ou de gestion, jusqu’à présent fixée à deux tiers des droits indivis, pour éviter qu’il ne soit plus difficile d’effectuer ces actes que de procéder à des actes de disposition. Je rappelle que la proposition de loi autorise la vente ou le partage du bien sur l’initiative des indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis seulement.
À l’article 2, en cas de projet de vente du bien à une personne étrangère à l’indivision, la commission a prévu la possibilité, pour tout indivisaire qui le souhaiterait, d’exercer un droit de préemption pour se porter acquéreur du bien aux prix et conditions de la cession projetée.
Pour encourager les héritiers à partager les biens indivis, elle a introduit dans le texte un nouvel article 2 bis, tendant à mettre en place une exonération du droit de partage de 2,5 % pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d’indivision.
Sur l’initiative de notre collègue Lana Tetuanui, elle a également introduit dans le texte un nouvel article 5 A, qui consacre la possibilité de procéder, en Polynésie française, à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est rendu impossible en raison, notamment, du nombre d’héritiers ou de l’ancienneté de la succession.
À l’article 5, la commission a étendu, aux autres collectivités ultramarines concernées par le texte, l’application du mécanisme créé au bénéfice de la Polynésie française, consistant à permettre au conjoint survivant ou à un héritier copropriétaire de bénéficier de l’attribution préférentielle du bien sur lequel il a établi sa résidence.
La commission a procédé à la même extension à l’article 6, s’agissant du dispositif visant à empêcher la remise en cause d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté par un héritier omis à la suite d’une erreur ou d’une ignorance.
Bien consciente que ce texte ne résoudra pas, à lui seul, les difficultés foncières des territoires ultramarins, la commission a néanmoins estimé qu’il pourrait constituer un outil intéressant de sécurisation du foncier s’il était associé à d’autres initiatives, comme la mise en place de groupements d’intérêt public ayant pour objet la reconstitution des titres de propriété. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les auteurs de la proposition de loi, tout comme les membres de la commission des lois, ont eu raison de rester prudents dans le traitement du problème posé par l’importance des propriétés indivises outre-mer.
La question, en effet, dépasse de beaucoup la simple réduction, voire la suppression d’un obstacle à la mobilisation du foncier outre-mer. Il faut non seulement respecter des identités et des rapports particuliers à la terre, mais aussi concilier cette mobilisation du foncier, sans laquelle aucun développement n’est possible, avec une organisation sociale dans laquelle la famille et la mise en valeur de biens communs ont une tout autre place et une tout autre forme qu’en métropole.
Comme le rappelle, dans son rapport d’information de juin 2016, la délégation sénatoriale à l’outre-mer : « […] par-delà les différences, l’attachement à la terre, la terre des ancêtres, constitue un trait commun à l’ensemble des outre-mer. Il s’agit d’un lien viscéral à forte charge symbolique et affective. La terre, pivot de l’organisation économique et sociale des sociétés ultramarines, voit son mode de gouvernance dominé par les principes de la solidarité et du consensus. »
Ce n’est d’ailleurs pas si étranger à nos réalités métropolitaines ! C’est le type de problèmes que l’on peut rencontrer lorsque l’on entend réformer la législation relative aux biens sectionaux communaux.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Oh !
M. Pierre-Yves Collombat. Dans certains départements, ces derniers constituent toujours une forme d’exploitation collective bien vivante, alors que dans d’autres, ils ne sont qu’une survivance paralysante – pardonnez-moi cette parenthèse, mais ayant eu à me préoccuper de cette question, je vois un certain parallélisme avec les situations dont nous débattons aujourd’hui.
Donc, encore une fois, je ne peux que saluer la façon dont les auteurs de cette proposition de loi et notre commission ont abordé cette problématique complexe.
Ne pensant pas utile de répéter ce qui vient d’être excellemment exposé par Mme la garde des sceaux et par notre rapporteur, je me contenterai d’approuver les propositions qui nous sont faites, à commencer par l’abaissement, à 51 % des ayants droit, du plancher à partir duquel une vente ou un partage par voie non judiciaire est possible, si aucun recours n’est exercé, pour les successions ouvertes depuis plus de dix ans. À cet égard, il m’apparaît effectivement plus prudent de fixer ce délai à dix ans, plutôt qu’à cinq ans, comme dans le texte initial.
Notre groupe approuve également la possibilité ouverte, sans limites dans le temps, à 51 % des indivisaires au moins – au lieu des deux tiers actuellement – d’effectuer diverses opérations comme des actes administratifs relatifs au bien indivis, le renouvellement des baux, la vente des meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision, etc.
Enfin, nous approuvons le fait de faciliter les formalités de publication de diverses opérations relatives à l’indivision et l’exonération temporaire du droit de partage des opérations prévues par le dispositif dérogatoire.
J’ai cru comprendre que le Gouvernement était opposé à cette dernière mesure, bien qu’elle puisse être un élément incitatif dans la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions.
Le groupe CRCE votera donc ce texte en espérant qu’il suscitera beaucoup de vocations outre-mer. (M. le rapporteur et Mme Cécile Cukierman applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si le sujet qui nous occupe aujourd’hui paraît, au premier abord, étroitement technique, il n’en est pas moins essentiel, en ce qu’il touche directement au quotidien de nos concitoyens d’outre-mer.
Le foncier et l’indivision constituent deux problématiques majeures auxquelles sont confrontées les collectivités d’outre-mer et, à travers elles, leurs populations.
Plus que de mesures juridico-financières, il est ici question de mesures sociales, avec des familles qui, ne pouvant se loger, se retrouvent bloquées dans leurs projets de vie.
En Martinique, par exemple, 40 % du parc immobilier est en indivision. Ce seuil ne nous inquiéterait pas outre mesure si la conception traditionnellement communautaire de la propriété et la forte émigration des indivisaires vers la métropole n’avaient pas conduit au blocage de la situation de nombreux biens. Ces derniers étant parfois absents ou réticents à la cession, les indivisions « bloquées » se sont en effet multipliées.
Prenez le village mahorais de Chiconi, où deux indivisions de 75 et 81 hectares représentent à elles seules les trois quarts de la surface immobilière locative locale. C’est énorme ! Qui plus est lorsque l’une d’elles regroupe 69 indivisaires.
Plus préoccupant encore, certaines indivisions en Polynésie française sont à présent centenaires et concernent parfois jusqu’à un millier de personnes, sans que l’on puisse, en l’état actuel du droit, traiter ces dossiers de façon satisfaisante.
Certes, les tribunaux locaux ont su s’adapter, dégageant en quelque sorte leur propre droit, et appliquant des principes variés comme la souche familiale, le droit au retour ou encore l’attribution préférentielle.
Je vous passerai enfin l’énumération des conséquences négatives qu’entraîne ce phénomène d’indivision et que les auteurs de la présente proposition de loi ont parfaitement identifiées.
Je vous dirai simplement qu’il est aujourd’hui urgent que nous libérions le foncier en outre-mer. Cette libération doit être durable, stable et, surtout, assise sur de solides bases légales.
En tant que représentants des collectivités locales et des territoires, nous devons être vigilants à la situation de l’outre-mer.
C’est ce à quoi s’attache le texte de nos homologues du groupe Nouvelle Gauche à l’Assemblée nationale, et c’est ce à quoi a veillé la commission des lois du Sénat. Je salue d’ailleurs le travail de la commission, qui a su, avec acuité, amender le texte afin de le rendre plus équilibré et plus efficient.
En effet, ce n’est pas chose aisée que de parvenir à un texte qui n’empiète pas de façon disproportionnée sur les droits de propriété des indivisaires minoritaires, tout en renforçant l’efficacité du dispositif juridique.
Bien considérée, cette proposition de loi permet une stabilisation des droits de propriété de la majorité des indivisaires, sans rendre pour autant impuissants ceux qui seraient hostiles à la vente. Il s’agit d’un bel équilibre trouvé.
Aussi vais-je revenir sur ce qui a été décidé en commission.
Le champ d’application des articles 1er, 5 et 6 a été opportunément étendu par la commission afin de couvrir des collectivités ultramarines jusqu’ici oubliées par la proposition de loi. Il s’agit d’une bonne chose, car, si la situation n’est pas identique d’une île à l’autre, la libération du foncier doit se faire pour l’ensemble de l’outre-mer.
L’article 1er prévoit un dispositif dérogatoire de sortie d’indivision aux successions ouvertes depuis plus de dix ans – et non plus cinq ans, comme le prévoyait le texte transmis par l’Assemblée. Ce nouveau délai devrait opportunément permettre de rendre le dispositif compatible avec certaines actions ouvertes par le code civil s’inscrivant dans des délais plus longs. Tel est ainsi le cas de l’action en possession d’état pour établir une filiation post mortem avec le de cujus, qui se prescrit par dix ans, ou encore de l’option successorale, qui peut être exercée par l’héritier dans ce même délai.
La proposition de loi autorise par ailleurs la vente ou le partage du bien sur l’initiative des indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis seulement, ce qui n’était pas cohérent avec l’exigence, à présent supprimée, d’une majorité fixée à deux tiers.
Ces deux modifications apportées en commission montrent le sérieux et la pertinence du travail sénatorial. Plus fondamentalement, nous approuvons les dispositions spécifiques prévues à l’article 1er, afin d’empêcher qu’une vente ne s’opère lorsqu’elle risquerait de léser certaines personnes vulnérables. Cette mesure procède du bon sens.
En prévoyant expressément, à l’article 2, la possibilité pour tout indivisaire qui le souhaiterait d’exercer un droit de préemption pour se porter acquéreur du bien, aux prix et conditions de la cession projetée, la commission a par ailleurs su prendre en compte l’histoire de terres qui, pour les familles concernées, font l’objet d’un attachement charnel, au plus grand bénéfice de la culture locale.
Et parce qu’il était nécessaire de mettre fin au rôle bloquant des indivisaires minoritaires, c’est une bonne chose que la commission des lois ait supprimé la notion de « présomption de consentement », estimant qu’il était plus pertinent de prévoir que la vente ou le partage du bien leur serait « opposable ». Ainsi, un indivisaire seul qui refuse de prêter son concours à la vente ou au partage sans pour autant s’y opposer ne bloquera plus l’ensemble du processus et sera présumé consentir à la vente.
De même, l’ajout de l’article 2 bis est bienvenu dans l’optique de libération du foncier que j’évoquais.
Je profite du temps qui m’est donné pour saluer notre collègue Lana Tetuanui, dont le travail a conduit à l’introduction de l’article 5 A, même si le sujet, je l’avoue, reste très complexe.
Il serait désormais possible, en Polynésie, de procéder à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est rendu impossible en raison notamment du nombre d’héritiers ou de l’ancienneté de la succession. Cet article fait ainsi écho aux attentes de la cour d’appel de Papeete et se conforme utilement au code de procédure civile de la Polynésie française.
Ce texte serait en définitive une avancée importante. Il devrait permettre aux collectivités de conduire une politique du logement plus efficace et plus juste. Il devrait surtout faciliter le quotidien de centaines de familles, qui retrouveront ainsi la pleine propriété et le libre usage de leurs terres. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Catherine Conconne. Madame la présidente – chère collègue Marie-Noëlle Lienemann –, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur – cher Thani –, mes chers collègues, nous voilà réunis pour examiner une proposition de loi présentée il y a quelques semaines à l’Assemblée nationale.
Nous voilà réunis pour donner du sens, de la suite, du corps à une volonté longtemps exprimée par plus d’un avant moi, et notamment Aimé Césaire, député de la Martinique, d’une exigence légitime de différenciation. D’ailleurs, c’est avec un certain bonheur que je constate que ce mot – heureux – est désormais adopté par le Président de la République et son gouvernement à l’endroit de nos pays.
Eh oui ! n’en déplaise aux adeptes de l’uniformité de la République, ladite outre-mer est différente ! Différente par son histoire, différente par ses peuplements, différente par les affres et les traces laissées par ses migrations souvent imposées, différente par sa – que dis-je ! –, par ses cultures, ses mœurs, marquée par un vécu ô combien douloureux écrit à l’encre indélébile, une encre aux couleurs d’inégalités rapiécées, d’injustices banalisées, d’oppressions sanglantes. Pas simple, cette histoire. Pas simple du tout !
Et c’est parce qu’elle n’est pas simple que nous sommes là aujourd’hui. C’est parce qu’elle n’est pas simple que l’histoire – son histoire – nous convoque aujourd’hui ici, solennellement, pour exprimer ensemble cette évidence : celle de la différence.
Le pouvoir hélas ! a souvent nié cette différence et a maintes et maintes fois souhaité que, y compris par la force sanglante, ces pays se couchent, se plient dans le moule qui muselle toute initiative, toute conquête, toute émancipation.
Le cheminement pour le progrès humain a été long, très long, y compris après que, l’esclavage une fois aboli, a enfin commencé une quête de la reconnaissance d’une humanité. Oui, d’une humanité !
Et c’est dans cette humanité jeune finalement, vieille de quelques décennies, d’il y a à peine un siècle et demi, que l’homme de ladite outre-mer tente durement, laborieusement, de trouver sa place, d’exister, enfin de survivre pour exister.
La notion de propriété est une histoire vieille pour la vieille Europe conquérante, mais tellement récente pour nous. Lâché dans un nouveau monde déshumanisé, il restera à l’ancien esclave à tout faire, tout construire. Être propriétaire ? Souvent une chimère. Avec quoi ? Sans instruction, sans moyens, rémunéré dès lors certes, mais à quel prix : trois francs six sous !
Alors, quand le fruit du labeur le permet enfin, sou par sou, goutte de sueur par goutte de sueur, le bien acquis, la petite case, les trois acres de terre cultivable deviennent tellement chers, tellement précieux, tellement pleins de valeur qu’il n’est pas envisageable de régler une quelconque succession avant le jour du départ pour l’au-delà. Ce qui est rare est cher, ce qui est rare a du prix !
Pour rajouter à cette complexité de la différence, cent ans après l’abolition de l’esclavage, le pouvoir organise la migration, une nouvelle, une de plus. Il faut « dégonfler » au plus vite ces îles hideuses, pauvres et misérables, qui commencent à gronder. Vingt années de migration forcée vers ladite métropole censée être le nouvel eldorado voient arriver ces oubliés de l’histoire par dizaines de milliers : les convoqués du BUMIDOM, les enfants de la Creuse sont les exilés d’un nouveau genre.
On avait choisi le plus facile, le plus ignoble aussi. On avait choisi d’ignorer cette humanité, de ne pas l’affronter avec courage et réalité. On dépossède encore une fois. Une fois de plus, une fois de trop !
Les enfants partent par milliers, par dizaines de milliers, encouragés y compris par leurs parents qui rêvent pour eux d’un avenir meilleur. Beaucoup ne reviennent pas, fuient ces pays dans lesquels les souvenirs ont souvent la couleur de leur peau.
Explosées partout dans le monde, nombreuses, très nombreuses en France, les générations se succèdent sans se raccrocher pour autant à un pays dont beaucoup ignorent tout.
Et les biens sont restés là, en l’état. Plus personne pour s’en occuper. L’écheveau emmêlé de la succession devient une affaire inextricable. Les héritiers en cascade ont du mal à être repérés, à être identifiés. Les familles s’affrontent, des drames surviennent, et la solution est souvent l’abandon. On abandonne pour laisser à l’univers public son lot de désolation : squats, réserves naturelles nombreuses pour le moustique tigre, qui sème dengue, chikungunya. Les villes sont défigurées par ces masures, ces terrains en friche.
Pour le pays que je connais le mieux, la Martinique, dans certaines communes on peut compter jusqu’à un taux de 83 % de cas d’indivisions non réglées, par exemple au Macouba dans l’extrême nord du pays, 50 % dans la ville capitale Fort-de-France. Mais la situation est la même à Pointe-à-Pitre, à Morne-à-l’Eau, à Cayenne, à Saint-Paul, à Papeete, à Mamoudzou.
Le contexte que je me suis appliquée à décrire dans mon exposé en est la cause réelle et sérieuse.
Alors, comment faire pour accompagner un règlement plus rapide de ces situations, qui posent de véritables problèmes à la santé publique, à la préservation sanitaire, mais aussi à l’ordre et à la cohésion familiale ? Oui, comment faire, sinon faire différent ? Comment faire, sinon coller à un contexte singulier et particulier ?
J’en profite pour remercier le Gouvernement, et particulièrement Annick Girardin, qui a pu se rendre compte de la situation sur le terrain, mais aussi votre ministère, madame la garde des sceaux, qui a compris que le droit commun ne pouvait correspondre à cette réalité.
Il faudra donc déroger. L’initiateur de cette proposition de loi, le député Serge Letchimy, a proposé que cela se fasse sur dix ans, le temps nécessaire pour un sérieux coup de plumeau. Nous lui devons notre confiance. Il sait de quoi il parle, il maîtrise cette matière.
Docteur en urbanisme, le député Letchimy possède à son actif des dizaines de procédures de réhabilitation de quartiers entiers. Son histoire a d’ailleurs été retracée sous la plume d’un brillant écrivain martiniquais, Patrick Chamoiseau, dans un ouvrage qui a obtenu le prestigieux prix littéraire Goncourt. Maire de Fort-de-France pendant dix ans, Serge Letchimy avait fait de ces biens abandonnés une véritable croisade. Pour l’avoir accompagné dans ses mandatures municipales en tant qu’adjointe en charge de la sécurité, j’ai eu pour un seul quartier – je dis bien un seul –, sur les cent trente que compte Fort-de-France, à traiter le cas de pas moins de 300 maisons qui relèvent de cette situation de succession non réglée.
Alors, c’est en toute connaissance de cause et pour ne pas rester, pour citer Césaire, « les bras croisés dans l’attitude stérile du spectateur », qu’il a pris l’initiative de proposer cette heureuse dérogation. Il n’est pas du genre à capituler devant la difficulté, devant le cadre qui étrangle, qui enserre. Il faut en permanence inventer. Il a été pour cela aidé dans sa tâche par des professionnels des questions de propriété, notaires, établis ou en devenir. J’ai à cette occasion une pensée particulière pour l’une d’entre eux, Samantha Chevrolat, à laquelle je rends un hommage appuyé aujourd’hui pour son engagement.
Cette loi est attendue. Nos populations piaffent d’impatience. Le parquet de Fort-de-France a même salué l’initiative lors de sa rentrée solennelle pour dire et souligner la fluidité qu’elle provoquera dans de nombreuses procédures, en particulier dans nos tribunaux engorgés.
Des réunions se tiennent déjà partout. Ce n’est pas mon collègue et ami Maurice Antiste qui me démentira : dans la seule commune du François, en Martinique, dont il était le maire jusqu’à récemment, une foule impressionnante de centaines de Martiniquais impatients s’était pressée pour entendre Serge Letchimy. Au moment où je vous parle, aujourd’hui 4 avril, ce dernier est reçu, car réclamé, en Guadeloupe, au Gosier, pour une réunion publique au côté de deux autres députés, Max Mathiasin et Justine Benin, pour dire et redire l’urgence de cette disposition.
Alors, aujourd’hui, on parlera beaucoup de droit, je le sais, on fera référence à l’article le meilleur, le plus rigide aussi parfois. On ira chercher certainement le détail là où se cache le diable pour encadrer, « enrichir » comme on dit. Le débat doit avoir lieu, il est légitime et normal et j’y tiens, avec le plus grand respect pour l’expression de toutes les opinions.
Les amendements suscités sont certes légitimes et nourrissent en quelque sorte l’idée que cette loi était finalement espérée. Mais ne perdons pas de vue, en sagesse, l’essentiel.
Moi, j’ai eu envie de vous parler de la réalité d’une élue de ladite République d’outre-mer, celle dont les ancêtres ont dû souvent « marronner », autrement dit faire autrement, faire différent, pour faire entendre leur cause. Oui, au fond de moi, j’ai la force et la conviction que le droit sans la reconnaissance d’une humanité réelle et assumée peut mal, peut injuste, peut maladroit. Colbert, qui me surplombe ici en ce moment, avait lui aussi choisi le droit en son temps, le droit bien écrit, le droit face à l’humanité, l’humanité différente, au travers du Code noir.
En assurant à des milliers de familles décomposées, recomposées, triturées, tout en garantissant la stricte préservation de leurs droits, une fluidité contextuelle, conjoncturelle au règlement de leurs déboires, la République aura signifié son entrée magistrale dans cette revendication de la différenciation. Les meilleures lois pour l’outre-mer seront désormais celles qui préserveront ce droit à la reconnaissance d’une singularité que nous ne demandons qu’à assumer.
Aux collectivités régies par l’article 74 de la Constitution qui ont choisi de s’inscrire dans la dynamique de cette proposition de loi, je ne peux que dire : bienvenue ! Nos histoires communes ne sauraient être étranglées par le fétichisme d’un article de la Constitution. Assemblons donc tout ce qui se ressemble.
Mais ne perdons jamais de vue que nous traitons là de questions urgentes, qui faciliteront le quotidien aussi bien des maires, des élus, des responsables de l’État que de milliers, de dizaines de milliers de familles en attente dans les couloirs encombrés des tribunaux – souvent sous-dotés en moyens – de la République.
Cette résolution n’est pas destinée à devenir le point de règlement de tous les sujets liés à l’indivision. Il s’agit d’un sujet particulier. Un petit proverbe de chez nous nous rappelle : a fos makak caressé ych li i tchoué y – autrement dit : l’excès en tout nuit. Ne noyons pas l’essence de ce texte, considérons-le comme une boîte à outils pertinente.
La demande est simple : de quoi s’agit-il en fait ?
Permettre aux indivisaires de passer de l’unanimité requise pour un partage à la majorité ; permettre aux successions ouvertes depuis plus de cinq ans de procéder à la vente ou au partage du bien ; permettre aux notaires, sans passer par les tribunaux, tellement engorgés, d’accomplir les actes en prenant toutes les précautions formelles d’information.
La proposition de loi sécurise le coïndivisaire en situation protégée, notamment le conjoint survivant, le tribunal restant maître en cas d’opposition.
Cette loi est une loi de bon sens ! Elle colle au contexte, elle colle à la réalité, elle correspond à un vécu qui est récurrent dans nos pays…
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Conconne. Cette boîte à outils est utile pour nos familles en difficulté, nos paysages abîmés.
Alors, j’appelle et réclame votre confiance. Merci pour nos pays, merci pour nos peuples, madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, résultant de dévolutions successorales non réglées et parfois même non ouvertes sur plusieurs générations dans les territoires ultramarins, les situations d’indivision sont devenues inextricables.
Cet état de fait contribue au gel du foncier disponible sur des territoires insulaires où celui-ci est rare. L’activité économique y est ainsi entravée.
Cette indivision durable et généralisée trouve son origine dans des raisons propres à chaque territoire, notamment le recours peu fréquent ou tardif aux notaires, la méfiance des familles et la crainte de spoliation, le coût des mutations et taxes sur les successions pour des familles souvent modestes.
Dès lors, dans les territoires ultramarins, il est fréquent de constater des successions non réglées sur plusieurs générations et des partages non faits ou non enregistrés selon les règles, entre plusieurs dizaines et parfois plusieurs centaines d’ayants droit indivisaires !
Ainsi, à Mayotte, que connaît bien notre rapporteur, le territoire de certaines communes se trouve presque intégralement en situation d’indivision. En Polynésie française, les nombreuses indivisions réunissent parfois des centaines d’indivisaires à la faveur de successions non liquidées depuis quatre ou cinq générations.
En Martinique, 26 % du foncier est géré en indivision et 14 % supplémentaires correspondent à des successions ouvertes.
Face à cette situation particulière du foncier ultramarin, très bien décrite dans le rapport d’information de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, le législateur a souhaité intervenir pour adapter les règles du droit commun aux caractéristiques et contraintes spécifiques de ces territoires d’outre-mer en mettant en place un dispositif dérogatoire et temporaire de sortie d’indivision applicable jusqu’au 31 décembre 2028.
La commission des lois du Sénat, qui s’est inscrite dans la continuité des travaux engagés par l’Assemblée nationale, a souhaité renforcer bien plus encore l’équilibre entre efficacité et sécurité juridique du dispositif. Je m’en réjouis.
À l’article 1er, la commission des lois a étendu l’application du dispositif dérogatoire aux collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
Elle a ensuite prévu qu’il ne s’appliquerait qu’aux successions ouvertes depuis plus de dix ans et non pas aux successions ouvertes depuis plus de cinq ans, pour permettre aux héritiers d’exercer pleinement les actions qui leur sont ouvertes par le code civil.
Enfin, elle a mis en cohérence la majorité requise pour effectuer les actes d’administration et de gestion sur un bien détenu en indivision avec la nouvelle majorité retenue par le présent texte pour vendre ou partager le bien : plus de la moitié des droits indivis.
À l’article 2, en cas de projet de vente du bien à une personne étrangère à l’indivision, la commission des lois a prévu la possibilité pour tout indivisaire qui le souhaiterait d’exercer un droit de préemption pour se porter acquéreur du bien aux prix et conditions de la cession projetée.
Elle a ensuite supprimé la notion de présomption de consentement au projet de l’indivisaire qui ne se serait pas manifesté, estimant qu’il était plus pertinent de prévoir que la vente ou le partage du bien lui serait opposable.
Par ailleurs, la commission, afin d’encourager les héritiers à partager les biens indivis, a introduit un nouvel article 2 bis qui met en place une exonération de droit de partage de 2,5 % pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d’indivision.
Sur l’initiative de notre collègue Lana Tetuanui, la commission a également introduit un nouvel article 5 A, qui consacre la possibilité de procéder, en Polynésie française, à un partage du bien par souche quand le partage par tête est rendu impossible en raison notamment du nombre d’héritiers ou de l’ancienneté de la succession.
À l’article 5, la commission a étendu aux autres collectivités ultramarines concernées par le texte l’application du mécanisme créé au bénéfice de la Polynésie française, consistant à permettre au conjoint survivant ou à un héritier copropriétaire de bénéficier de l’attribution préférentielle du bien, en démontrant qu’il y a sa résidence de manière continue, paisible et publique depuis plus de dix ans au moment de l’introduction de la demande de partage en justice.
Enfin, la commission des lois a procédé à la même extension, à l’article 6, s’agissant du dispositif visant à empêcher la remise en cause d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté par un héritier omis à la suite d’une erreur ou d’une ignorance, en limitant son action à la faculté de demander de recevoir sa part, soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage.
Avant de conclure, je souhaite saluer, à cette tribune, le travail effectué par notre rapporteur sur un sujet d’une grande complexité.
Madame la ministre, mes chers collègues, conscient que cette proposition de loi ainsi enrichie par la commission des lois du Sénat ne résoudra pas, à elle seule, les importantes difficultés foncières des territoires ultramarins, notre groupe estime toutefois qu’elle constitue un outil très utile de sécurisation du foncier.
Aussi, nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi peut susciter d’emblée trois interrogations de la part de nos concitoyens ou même de nos collègues : quelle est la nécessité de légiférer spécifiquement sur la problématique de l’indivision ? pourquoi uniquement en outre-mer ? et pour quels résultats ?
Les réponses, mes chers collègues, figurent dans le rapport de mission de notre délégation à l’outre-mer.
En effet, cette proposition de loi s’inspire très largement du rapport d’information n° 721 intitulé Une sécurisation du lien à la terre respectueuse des identités foncières : 30 propositions au service du développement des territoires, paru en 2016.
Sous le titre « Une caractéristique de la situation foncière des outre-mer », M. le rapporteur nous livrait cette phrase tout à fait éclairante : « Le manque de sécurité de la propriété privée se manifeste dans la conjonction d’une carence de titrement et d’une indivision endémique. » Tous les territoires ultramarins connaissent en effet ces problématiques, avec des degrés variables de complexité.
Tout d’abord, la carence de titrement : de nombreux biens immobiliers ou terrains sont détenus sans titre de propriété ou sans document juridique. Il est donc extrêmement difficile aujourd’hui de « régulariser » ces situations, dès lors qu’un droit de propriété est contesté.
À cela s’ajoute une autre difficulté, qui se cumule souvent à la première : l’indivision, qui est largement répandue en outre-mer.
Ainsi, nombreux sont les terrains et les biens qui appartiennent non pas à une personne seule, mais à une famille. Pour réaliser une transaction immobilière, il faut donc l’accord de l’ensemble des membres de la famille, ce qui peut aisément représenter plus de dix personnes.
Cette situation « contribue au gel d’un foncier déjà très rare et étrangle ainsi le développement de territoires qui peinent à trouver une dynamique économique endogène », pour reprendre vos mots de 2016, monsieur le rapporteur.
Face à ce constat, quel est l’apport de la proposition de loi de notre collègue député Serge Letchimy ?
Le texte initial a connu des améliorations tant à l’Assemblée nationale qu’au sein de notre commission des lois. Pour citer les notaires de Saint-Martin que j’ai pris le soin de consulter en amont, « il était juridiquement surprenant qu’un texte dérogatoire fixe une majorité à 51 % pour les actes de disposition les plus graves – partages et ventes – et une majorité de deux tiers pour les actes d’administration ». Je me félicite donc de l’harmonisation à 51 % dans les deux cas ou encore de l’attribution préférentielle introduite par l’article 5.
Cependant cette proposition de loi présente des limites, car il est extrêmement fréquent que les indivisaires soient très nombreux et que plusieurs d’entre eux aient quitté le territoire et que les familles soient éclatées de par le monde. Or il y a parfois méconnaissance de l’identité et de la localisation précises de certains indivisaires.
Aussi, afin de donner plus de chances aux indivisaires d’exprimer leur désaccord éventuel, j’ai cru bon, pour tenir compte de la spécificité de mon territoire, de présenter un amendement tendant à porter de trois à quatre mois le délai leur permettant de réagir à la suite de la notification du notaire, pour les situations les plus complexes.
Un autre problème qui n’a pas du tout été abordé est celui des indivisaires en pleine capacité juridique, mais « incapables » dans la réalité. Je pense aux personnes en rupture familiale, aux personnes sous influence de substances addictives, mais aussi aux personnes en situation de handicap.
Je sais que la situation des majeurs incapables est prévue par la loi, notamment par le placement sous tutelle ou sous curatelle. Mais, à Saint-Martin, les familles n’ont pas culturellement pris l’habitude de systématiquement signaler leurs proches incapables ou ne font pas les démarches administratives nécessaires. Ce n’est que par un long processus d’acceptation psychologique et culturelle que ce sujet évoluera dans les territoires ultramarins, mais en attendant, il serait pourtant nécessaire de prendre des mesures dérogatoires et protectrices.
Il est indiscutable, mes chers collègues, que cette proposition de loi représente une avancée utile et nécessaire pour nos territoires ultramarins. C’est la raison pour laquelle je suis favorable à son application à Saint-Martin, ce qui n’était prévu ni dans la version initiale ni dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Cependant, la proposition de loi ouvre également la voie à d’autres difficultés comme le règlement financier des droits de succession pour des familles souvent largement précarisées. Car il s’agit généralement non pas de régler une succession directe, mais de traiter une suite de successions non réglées.
Nous pensions également à tort que l’indivision permettait de protéger le patrimoine familial, mais il ne faudrait pas non plus qu’il ouvre trop facilement la porte à la spéculation immobilière et foncière.
Madame la garde des sceaux, il serait opportun que le Gouvernement s’attache pleinement à travailler sur ces problèmes complexes, plus particulièrement sur celui de la carence de titrement. Dix ans après notre accession au statut de collectivité, il est urgent de régler définitivement et en profondeur la question du cadastre à Saint-Martin.
Le groupe du RDSE, malgré les réserves que je viens d’évoquer, votera à l’unanimité en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Les Républicains.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, déposée à l’Assemblée nationale le 6 décembre dernier, vise à répondre à un certain nombre de problèmes, et pas des moindres, concernant les logements ultramarins. C’est un texte de bon sens – je salue le travail de notre rapporteur –, ce dont je me réjouis pour mes collègues ultramarins.
Les pratiques traditionnelles et familiales en outre-mer sont la raison d’une indivision bien plus importante qu’en métropole. Cette spécificité territoriale, conjuguée à une insuffisance des registres et des actes notariés, multiplie les situations de blocage des successions de biens. La forte émigration des indivisaires n’arrange pas les choses, puisque ceux-ci sont parfois inconnus, absents ou réticents à la cession du bien. Par conséquent, les successions prennent de nombreuses années et donnent lieu à des situations aberrantes, avec des dossiers parfois centenaires à la suite d’une cascade de successions.
S’ajoutent au grave problème d’indisponibilité du foncier des conséquences sur le plan sanitaire : les bâtiments non entretenus deviennent de véritables nids à épidémie où prolifèrent les moustiques vecteurs de la dengue, de la fièvre jaune et du chikungunya. Il faut aussi relever les répercussions en termes d’aménagement ainsi que de rentrées fiscales pour les collectivités, ce qui a pour effet de compromettre le développement économique.
Les tribunaux locaux ont développé une jurisprudence au fil des situations rencontrées de manière à réduire autant que possible le nombre de litiges. Pour autant, et malgré tous leurs efforts, ce n’est pas suffisant face à l’ampleur du problème. Il fallait remédier à cette situation. C’est pourquoi la présente proposition de loi est la bienvenue.
L’article 1er dispose que les indivisaires titulaires de plus de la moitié en pleine propriété des droits indivis pourront désormais vendre, alors qu’il fallait jusqu’à présent obtenir l’accord de toutes les personnes concernées. Imaginez la situation lorsque cela concerne une famille nombreuse, avec une succession qui s’éternise.
Une sécurité juridique a été prévue : il faudra attendre cinq années après la succession pour faire valoir ce droit et le notaire interviendra systématiquement, ce qui n’était pas toujours le cas auparavant. Nul ne pourra arbitrairement, au lendemain de l’ouverture de la succession, décider de bloquer la situation et prendre au dépourvu les autres indivisaires sans laisser le temps de trouver un compromis.
De plus, ce nouveau régime serait valable pour une période de dix ans, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2028, de manière à ouvrir provisoirement ces possibilités et à permettre par dérogation le déblocage de nombreuses situations. Il s’agit en quelque sorte d’étendre et d’adapter aux territoires d’outre-mer la « solution corse » de la loi du 6 mars 2017.
Les nouvelles dispositions, en outre, ne laissent pas impuissant l’indivisaire hostile à la vente ou au partage, puisque celui-ci pourra faire connaître son hostilité sous trois mois. Il reviendra alors au tribunal de grande instance de trancher après saisine des indivisaires majoritaires.
Des dispositions spécifiques ont également été comprises dans cet article afin d’empêcher qu’une vente s’opère lorsqu’elle risquerait de léser certaines personnes vulnérables. Cela concerne les locaux d’habitation occupés par des conjoints survivants au défunt, des indivisaires mineurs et majeurs protégés ou des indivisaires présumés absents.
De telles mesures, a priori, peuvent paraître constituer un empiètement sur les droits de propriété des indivisaires mis en minorité lors de la prise de décision. Mais elles sont au contraire un moyen de stabiliser la situation des droits de propriété de la majorité des indivisaires.
Une telle mesure garantit aussi la paix publique, parce qu’elle apaise les familles, qui peuvent parfois malheureusement se déchirer à la suite d’une succession. C’est pourquoi je voterai en faveur de la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, qui me semble utile pour répondre à la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur et Mme Colette Mélot applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile, pour le groupe La République En Marche.
M. Dominique Théophile. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à légiférer sur une proposition de loi visant à apporter une solution à un problème très ancien dans nos régions : l’indivision successorale. Pourquoi viser précisément les territoires ultramarins ? Parce que, dans ces collectivités, l’accès à la propriété, fort difficile, est encore aggravé par ce système d’indivision. Cette situation entrave bien évidemment le développement de nos territoires.
Le rapport d’information Une sécurisation du lien à la terre respectueuse des identités foncières : 30 propositions au service du développement des territoires de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, publié en 2016, soulignait cet état de fait. Le problème est en effet bien réel : dans la mesure où tous les héritiers doivent être rassemblés pour qu’une décision soit prise au sujet d’un bien immobilier hérité – la vente, par exemple –, le bien reste souvent inutilisé, à l’abandon, et les ressources qu’auraient pu en tirer les héritiers restent lettre morte.
Cette situation est due à un état du droit archaïque qui a besoin d’une simplification. C’est cette simplification que tend à apporter la présente proposition de loi.
M. le député de la Martinique Serge Letchimy, auteur de la proposition de loi, a, par exemple, souligné qu’en Guadeloupe les familles, connaissant mal leurs droits en la matière, recourent peu au notaire pour la transmission et ignorent les règles régissant l’indivision. Ce processus est accentué par un manque de confiance des citoyens ultramarins dans le droit français.
On est donc face à une véritable paralysie foncière. En Martinique, par exemple, plus de 40 % du foncier est gelé pour cause d’indivision successorale. Les conséquences ne sont pas seulement néfastes pour le foncier. L’indivision successorale signifie aussi un engorgement des juridictions d’outre-mer dû au contentieux successoral.
Aussi, le texte examiné aujourd’hui, adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, devrait rencontrer la même approbation au Sénat, puisque, d’une part, il tend à autoriser les indivisaires représentant la majorité des droits indivis à provoquer la vente ou le partage et, d’autre part, il vise à préciser qu’un indivisaire opposé au projet d’acte notifié saisit le tribunal de grande instance à fin de partage judiciaire dans les conditions de droit commun. En somme, il s’agit d’un nouvel outil destiné à résoudre une grande partie des difficultés foncières. Si l’on devait le résumer en une phrase, je dirais que tout repose sur la dérogation à la règle de l’unanimité en matière de consentement.
Il s’agit en effet d’adapter la procédure aux spécificités des territoires ultramarins. Alors que, dans l’Hexagone, il est souvent aisé de réunir les indivisaires lors du partage des biens hérités, il en va tout autrement en outre-mer, où les familles sont par ailleurs très nombreuses. Dans ces situations, l’article 73 de la Constitution autorise le législateur à intervenir pour adapter les règles de droit commun aux caractéristiques et aux contraintes particulières de ces territoires, habituellement soumis à la règle de l’identité législative.
En premier lieu, je souhaiterais souligner que le dispositif dérogatoire prévu par la présente proposition de loi est temporaire. L’article 1er vise en effet à prévoir que les dispositions du texte seront valables jusqu’au 31 décembre 2028. Il s’agit, en fait, d’apporter une réponse rapide à une situation gangrenée depuis des années. Dans la décennie qui vient, nous allons pouvoir réfléchir à une solution pérenne pour le foncier en outre-mer.
Autre point important : le droit de propriété n’est pas remis en cause par le présent texte. Ce droit, garanti par les articles 2 et 17 de la Constitution, ne peut être limité, sauf s’il s’agit d’un motif d’intérêt général. Or la dérogation au droit commun prévue par la proposition de loi se justifie par un motif d’intérêt général et par le caractère proportionné à l’objectif visé par les mesures proposées, notamment en imposant une notification du projet de vente ou de partage par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires, en renforçant les modalités de publicité du projet et en renversant la charge de la saisine du juge en cas d’opposition d’un indivisaire minoritaire au projet.
En second lieu, je voudrais saluer le travail de la commission des lois du Sénat, qui, tout en restant fidèle à l’esprit du texte, l’a rendu plus efficace. Ainsi, à l’article 1er, elle a étendu l’application du dispositif dérogatoire de sortie d’indivision à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. Elle a ensuite décidé que ce dispositif ne s’appliquerait qu’aux successions ouvertes depuis plus de dix ans – et non cinq ans comme c’était le cas dans le texte initial – afin de permettre aux héritiers d’exercer pleinement les actions qui sont prévues par le code civil.
Enfin, le texte examiné aujourd’hui, tel que modifié par la commission, prévoit que la majorité requise pour effectuer des actes d’administration ou de gestion n’est pas des deux tiers, mais est simplement de la moitié.
Autre mesure importante : à l’article 5, la commission a étendu aux autres collectivités ultramarines concernées par le texte l’application du mécanisme créé au bénéfice de la Polynésie française. Ainsi, le conjoint survivant ou l’héritier copropriétaire peut désormais bénéficier de l’attribution préférentielle du bien sur lequel il a établi sa résidence. De même, à l’article 6, le dispositif visant à empêcher la remise en cause d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté a été étendu à toutes les collectivités.
Le présent texte constitue donc une avancée majeure dans la résolution du problème foncier en outre-mer. Charge au législateur de poursuivre le travail amorcé : le rapport de M. le vice-président du Sénat et sénateur de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi, est d’ailleurs éclairant. Il propose, par exemple, la mise en place de groupements d’intérêt public ayant pour objet la reconstitution des titres de propriété.
Pour toutes ces raisons, nous voterons ce texte de loi, car, comme l’a relevé Mme la ministre des outre-mer, Annick Girardin, il constitue un « premier aboutissement des travaux menés avec le Gouvernement pour porter une ambition commune ultramarine ». (M. le rapporteur et M. Michel Magras applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe Priou. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, ce texte assez technique et spécifique révèle la complexité de situations susceptibles de freiner, voire de bloquer, des projets de construction de logements dans nos territoires ultramarins.
En droit civil, l’indivision permet le maintien pour une certaine durée de l’unité d’un bien ou d’un ensemble de biens après la mort de son propriétaire : le bien est donc « indivis ». Élu de Loire-Atlantique, je peux témoigner de la complexité de l’indivision, qui répond à une situation unique en France. Par les lettres patentes accordées par le roi Louis XVI, le 28 janvier 1784, les riverains du marais de Brière – 7 000 hectares – se voient reconnaître la « propriété, possession et jouissance commune et publique » de la Grande Brière Mottière, c’est-à-dire une propriété originale puisqu’elle est collective, indivise et inaliénable. Aujourd’hui encore, les Briérons continuent à jouir de cette propriété et à gérer eux-mêmes leur marais.
Comme nous le savons tous, les indivisaires partagent la jouissance du bien, mais ils ne peuvent décider qu’unanimement des actes de vente ou de bail commercial concernant le bien.
L’héritage historique du parc immobilier ultramarin et des pratiques propres aux structures successorales et familiales de ces territoires ont conduit à une prévalence bien plus importante de l’indivision au sein du parc locatif en outre-mer qu’en métropole, allant jusqu’à 40 % en Martinique.
Aussi, une conception traditionnellement communautaire de la propriété ainsi qu’une insuffisance des registres et actes notariés ont conduit au blocage de la situation de nombreux biens. Les indivisaires n’étant parfois pas tous connus, étant absents ou réticents à la cession, les indivisions « bloquées » se sont multipliées.
Le résultat de ce phénomène est la multiplication de situations d’indivisions très complexes et lourdes. Il existe des biens constitués de plusieurs dizaines d’indivisaires, parfois plus de soixante et même jusqu’à mille personnes en Polynésie française.
Cette situation de blocage rend difficile l’aménagement du territoire, avec notamment une complexification de la collecte de la taxe foncière, des procédures à rallonge, un engorgement des tribunaux locaux, une hausse importante du prix du foncier non indivis et un délabrement des biens indivis laissés à l’abandon.
Des dispositifs permettant de sortir de l’indivision – je pense à l’article 815 du code civil – existent : prescription décennale de l’option successorale, administration par un mandataire successoral, constatation de l’état d’abandon d’une parcelle, expropriation pour cause d’intérêt public, etc. Pour autant, ces dispositions doivent être adaptées à la situation spécifique de la propriété indivise en outre-mer où les indivisaires ne sont, dans de nombreux cas, pas tous connus. En Martinique ou à Mayotte, par exemple, des mesures ponctuelles permettent de débloquer des situations inextricables.
Il faut également citer les dispositions législatives suivantes : la loi du 23 juin 2006 a fait passer la majorité nécessaire aux actes d’administration aux deux tiers des indivisaires ; la loi du 13 octobre 2014 a fait passer la majorité nécessaire aux actes de disposition de terres agricoles ultramarines indivises à deux tiers des droits ; la loi du 6 mars 2017 a fait passer la majorité nécessaire aux actes de disposition des immeubles situés en Corse à deux tiers des droits.
Concernant la présente proposition de loi, elle vise à débloquer la situation de nombreuses indivisions dans les territoires d’outre-mer français en permettant à la majorité absolue des indivisaires de vendre le bien. Un indivisaire absent ou solitaire déterminé à faire obstacle à une cession ne serait alors plus en mesure de paralyser durablement la situation d’un bien pour les successions ouvertes depuis au moins cinq ans.
Cela pose néanmoins question sur le risque d’une atteinte au droit de propriété des indivisaires tel qu’il existe actuellement dans le cadre de la prise de décision. Mais, par ailleurs, n’a-t-on pas le devoir de stabiliser les droits de la majorité des indivisaires lorsqu’il est impossible de parvenir à un règlement amiable ?
Au demeurant, la proposition de loi ne rend pas impuissant l’indivisaire hostile à la vente ; ce dernier peut faire connaître son opposition sous trois mois de la notification ou publication de la décision de vente. Les indivisaires majoritaires doivent alors saisir le tribunal de grande instance, qui autorise la vente ou le partage sous réserve que cela ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
Espérons que ces différents dispositifs dérogatoires transitoires permettent de favoriser l’accès de nos compatriotes ultramarins à un logement décent et que l’accès aux terrains relance les programmes de construction de logements, pierre angulaire de l’aménagement des territoires en outre-mer comme en métropole.
La gestion foncière est également de première importance pour les collectivités locales dans le cadre de l’élaboration des plans locaux d’urbanisme. L’action publique doit pouvoir s’appuyer sur des leviers efficaces pour une politique du logement efficiente. Lié à un enjeu d’intérêt public, ce texte est utile pourvu que ces solutions innovantes soient d’abord profitables aux Français d’outre-mer, attachés à leur terre, et qu’elles offrent la garantie d’une politique d’aménagement raisonnable.
À l’Assemblée nationale, le groupe Les Républicains a été favorable à ce texte. Je souhaite qu’ici, au Sénat, il en soit de même. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai apprécié l’ensemble des positions exprimées par les différents orateurs. J’ai relevé, de la part de tous les groupes, un accord sur les propositions formulées.
M. le sénateur Collombat a salué le travail de la commission des lois. Mme la sénatrice Guidez a remarqué que le texte a été rendu plus aisé et plus efficient par ce même travail. M. le sénateur Alain Marc a fait état d’un outil utile pour la sécurisation du foncier. M. le sénateur Arnell a évoqué une proposition de loi utile et nécessaire. Quant à Mme Duranton, elle a salué un texte de bon sens, comportant des mesures visant à garantir la paix publique et à permettre de relancer la politique du logement en outre-mer.
M. le sénateur Théophile a souligné qu’il était nécessaire d’adapter la procédure à la spécificité des territoires ultramarins ; il a justifié les dérogations au droit de propriété par un motif d’intérêt général et par le caractère proportionné des dérogations apportées.
Enfin, M. le sénateur Priou a relevé l’intérêt de ces dispositions dérogatoires et transitoires, qui devraient permettre l’accès à un logement décent ainsi que la construction d’une politique innovante en matière de logement.
Tout cela est donc très positif. Les uns et les autres ont toutefois mis l’accent sur les points explicatifs et ont insisté sur la nécessité de poursuivre le travail. Mme la sénatrice Conconne, notamment, est revenue sur les antécédents explicatifs et a fait un exposé extrêmement intéressant sur l’exigence légitime de la différenciation. Elle a parfaitement expliqué à quel point les principes constitutionnels bâtis dans la vieille Europe supposaient un temps d’adaptation et de compréhension pour les humanités nouvelles auxquelles nous nous adressons ici.
J’ai apprécié aussi les propos de M. le sénateur Collombat, sans doute en raison de mes origines aveyronnaises, lorsqu’il a fait état des biens communaux. Il existe également dans mon village un communal qui est traité en indivision, avec ses singularités. Le rapprochement est sans doute quelque peu audacieux, mais il a le mérite de mettre l’accent sur la différenciation.
Vous avez tous souligné l’intérêt qu’il y a de continuer à réfléchir. M. le sénateur Théophile a dit qu’il fallait prolonger ce travail, tout comme M. le sénateur Priou et Mme la sénatrice Guidez, qui a fait état de la complexité du partage de biens par souche en Polynésie quand ce n’est pas possible par tête.
M. le sénateur Marc a quant à lui souligné que ces dispositions étaient utiles, même si elles ne résolvaient pas tous les problèmes. M. le sénateur Arnell a également relevé la nécessité d’un long processus d’acceptation psychologique et culturel. Il a notamment insisté sur l’importance de régler la question des cadastres.
Bref, une forme d’unanimité se fait jour, même si nous saurons nous différencier, je n’en doute pas, dans la lecture de certains articles. Quoi qu’il en soit, ce consensus est la preuve de l’intérêt suscité par ce texte et de l’importance du travail accompli, qui mérite d’être poursuivi.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer
TITRE Ier
(Division et intitulé supprimés)
Article 1er
I. – Dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, pour toute succession ouverte depuis plus de dix ans, le ou les indivisaires titulaires de plus de la moitié en pleine propriété des droits indivis peuvent procéder, devant le notaire de leur choix, à la vente ou au partage des biens immobiliers indivis situés sur le territoire desdites collectivités, selon les modalités prévues à l’article 2 de la présente loi.
II. – Nul acte de vente ou de partage ne peut être dressé suivant la procédure prévue au I :
1° En ce qui concerne le local d’habitation dans lequel réside le conjoint survivant ;
2° Si l’un des indivisaires est mineur, sauf autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille ;
3° Si l’un des indivisaires est un majeur protégé, sauf autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille ;
4° Si l’un des indivisaires est présumé absent, sauf autorisation du juge des tutelles dans les conditions prévues à l’article 116 du code civil.
II bis (nouveau). – Le ou les indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis peuvent effectuer les actes prévus aux 1° à 4° de l’article 815-3 du code civil.
III. – Le présent article s’applique aux projets de vente ou de partage notifiés dans les conditions prévues à l’article 2 de la présente loi et aux actes effectués en application du II bis du présent article avant le 31 décembre 2028.
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.
M. Maurice Antiste. Répondre par la loi aux préoccupations des nôtres, c’est ce qu’a fait mon collègue Serge Letchimy à l’Assemblée nationale en déposant une proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer. Alors que ce texte a fait consensus à l’Assemblée nationale, il se retrouve complètement dénaturé après son passage en commission des lois du Sénat.
Sous couvert d’une sécurisation du dispositif, treize amendements ont été adoptés par la commission des lois sur ce texte. J’aurais été favorable à une sécurisation juridique du droit des propriétaires si le dispositif prévu par ce texte avait été imparfait… Mais il me semble, eu égard aux nombreux échanges et travaux sur le sujet en amont et de sa discussion à l’Assemblée nationale, qu’il s’agit d’un texte cohérent, soucieux des droits et libertés de chacun et parfaitement équilibré. C’est d’autant plus vrai que, je tiens à le rappeler, le dispositif prévu est exceptionnel et dérogatoire, d’une durée limitée, applicable jusqu’au 31 décembre 2028, et trouve son pendant avec un intérêt public évident.
Or trois dispositions adoptées en commission posent problème, notamment l’application de ce dispositif aux successions ouvertes depuis plus de dix ans. Quel sera le résultat d’une telle modification du dispositif initial ? Je rappelle quand même que ce texte avait pour vocation première de résoudre les problèmes d’aménagement posés par l’immobilisation du foncier privé. Il visait également à permettre de sécuriser les centres-bourgs et de rétablir l’ordre public en limitant, voire en éradiquant, les biens en déshérence, source d’insécurité. Il avait également vocation à conforter la salubrité publique, car diminuer le nombre de bâtiments abandonnés réduirait d’autant les niches à moustiques : chikungunya, dengue et déchets sauvages. Enfin, il visait à replacer l’humain et les relations familiales dans un contexte plus apaisé quant au règlement des successions.
Par conséquent, au regard des modifications apportées au texte initial et de la dénaturation complète de l’objectif initial, il est à craindre – du moins si le texte devait demeurer en l’état – que nos territoires ne subissent encore et toujours ce phénomène d’indivision sans possibilité de déblocage à court terme.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Je m’adresserai spécifiquement au Gouvernement.
Madame la garde des sceaux, vous avez noté que ce texte faisait l’objet d’un quasi-consensus. Mon collègue Maurice Antiste vient d’ailleurs de dire que nous allons l’adopter. Cela étant, une inquiétude demeure ; c’est toute la difficulté du positionnement de mon groupe.
L’efficacité commanderait d’aller vite et d’adopter ce texte conforme, mais nous ne nous dirigeons pas vers cette solution. Il s’agit pourtant d’un bon texte, qui est attendu, comme l’a souligné notre collègue Catherine Conconne. Quelle assurance pouvez-vous donner à cette assemblée et aux populations des outre-mer, qui espèrent, que cette proposition de loi connaîtra une suite positive et efficace, c’est-à-dire rapide ? Si l’on doit attendre le jeu normal de nos institutions, ce texte a peu de chance d’être inscrit en deuxième lecture à l’Assemblée nationale… Le groupe majoritaire ne peut-il prendre ici, par votre voix, l’engagement formel que la proposition de loi sera adoptée dans les meilleurs délais ?
Voilà pourquoi Maurice Antiste est inquiet. Certes, la commission a amélioré le texte, et je félicite notre rapporteur, Thani Mohamed Soilihi, spécialiste de ces sujets. Je salue également l’excellent travail réalisé sur ce texte de notre collègue Serge Letchimy par le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, Michel Magras. Néanmoins, pouvez-vous nous donner la garantie, madame la garde des sceaux, que ce texte sera adopté dans les meilleurs délais ?
Moi-même, puisque la proposition de loi ne sera pas adoptée conforme, j’ai déposé un certain nombre d’amendements. Mais je suis prêt à les retirer si la majorité accepte de prendre aujourd’hui devant nous un engagement formel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam, sur l’article.
M. Antoine Karam. Toutes les interventions démontrent la complexité du sujet, mais cette proposition de loi de notre collègue député Serge Letchimy, que je salue, visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer est essentielle dans nos territoires.
Comme les travaux de la délégation sénatoriale à l’outre-mer l’ont démontré dans un rapport, les situations d’indivision sont souvent inextricables, car résultant de dévolutions successorales non réglées et parfois même non ouvertes sur plusieurs générations. Elles sont devenues, au fil du temps, un fléau endémique qui freine le développement économique des outre-mer, fait peser des risques sanitaires et sociaux sur les populations et, in fine, aboutit à un gel du foncier.
Chacun connaît sur son territoire, dans sa ville et même au bout de sa rue ces terrains et bâtiments abandonnés, souvent squattés, finissant alors par devenir des lieux totalement délabrés mêlant nuisances et insécurité. Derrière ces murs se jouent souvent des affaires de successions dramatiques conduisant des femmes et des hommes à louer un appartement pendant que leur maison familiale tombe en ruines.
J’ajoute que ce texte participe de la revitalisation des centres-bourgs, que nous appelons de tous nos vœux. En réinvestissant les bâtisses abandonnées par le logement ou par une activité économique, nous redynamiserons certains cœurs de ville.
Cela étant dit, nous sommes ici tous conscients que ce texte ne résoudra pas, à lui seul, les difficultés foncières de nos territoires. Il peut néanmoins constituer un outil complémentaire pertinent pour libérer et sécuriser le foncier.
Je comprends le souhait de certains de nos collègues de rendre ce dispositif aussi rapidement que possible opérationnel. Il y a urgence à agir, nous sommes tous d’accord sur ce point. Je crois néanmoins que notre rôle de législateur est aussi de voter une loi cohérente qui sécurise nos concitoyens. C’est en visant cet objectif que notre rapporteur a proposé un certain nombre d’aménagements qui me semblent nécessaires. (M. le rapporteur et Mme Victoire Jasmin applaudissent.)
Mme la présidente. L’amendement n° 7, présenté par Mme Conconne, M. Antiste, Mme Jasmin, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer le mot :
dix
par le mot :
cinq
La parole est à Mme Catherine Conconne.
Mme Catherine Conconne. Je partage les inquiétudes de mes collègues Lurel et Antiste quant à l’aboutissement de cette proposition de loi.
J’avoue que je suis assez surprise par une forme d’incohérence. J’ai eu la chance, sur invitation de Serge Letchimy, d’assister aux débats à l’Assemblée nationale. Pendant cinq heures, j’ai vu la majorité gouvernementale combattre pour cette loi, la soutenir et contrecarrer ceux qui voulaient mettre un frein à sa progression, en particulier en ce qui concerne le délai de cinq ans.
Aujourd’hui, j’avoue que j’ai un petit problème, mais j’espère que les garanties que nous donnera tout à l’heure Mme la garde des sceaux permettront de le résoudre. En tout cas, l’ambiance qui règne ici n’est pas du tout la même qu’à l’Assemblée nationale, où le groupe La République En Marche est majoritaire.
L’amendement n° 7 vise à revenir au délai de cinq ans prévu initialement dans la proposition de loi. Pourquoi la commission des lois a-t-elle souhaité porter ce délai à dix ans ? La raison en est que, dans le cadre des filiations déclarées, le droit commun prévoit que l’on peut pendant dix ans dire que telle personne qui vient de mourir est bien son père ou sa mère.
Là encore, faisons jouer la différence ! Pouvez-vous imaginer que, dans un territoire comme la Martinique, qui fait soixante-dix kilomètres de long et trente de large, une personne puisse mettre dix ans pour découvrir qui est son père ? Je pourrais dire la même chose de la Guadeloupe et aussi de la Guyane, laquelle est certes un territoire immense mais n’est pas immensément peuplée. Croyez-vous que quelqu’un qui a un doute sur sa filiation et qui sait que la succession supposée de son ascendant comporte des biens ne se signalera pas avant dix ans ? Non ! C’est faire fi, une fois de plus, de la réalité et de la différence de nos territoires.
La proposition de loi initiale prévoyait que le dispositif pour faciliter la sortie de l’indivision s’appliquait à toute succession ouverte depuis plus de cinq ans. La commission des lois, en portant ce délai à dix ans, a réduit fortement la portée du dispositif et a, autrement dit, affaibli cette initiative. Nous souhaitons donc en revenir au délai initial de cinq ans. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement est contraire à la proposition de la commission des lois, que vous voudrez bien excuser d’avoir fait son travail ! Il vise en effet à revenir au texte initial, qui prévoyait d’appliquer le dispositif dérogatoire de sortie d’indivision aux successions ouvertes depuis plus de cinq ans.
La commission a préféré le rendre applicable aux successions ouvertes depuis plus de dix ans, car elle a estimé que cette durée de cinq ans n’était pas compatible avec certaines actions ouvertes aux héritiers par le code civil, comme l’action en possession d’état prévue à l’article 330 du code civil, qui permet l’établissement du lien de filiation avec le défunt dans un délai de dix ans, ou celle prévue à l’article 780 du code civil, aux termes duquel l’héritier a dix ans pour exercer son option successorale. À cela s’ajoute la possibilité pour l’administration fiscale d’exercer un recours contre la déclaration de succession jusqu’à six ans après le décès.
Dès lors, la commission a estimé peu probable que les praticiens – et je les ai auditionnés sur tous les territoires d’outre-mer ! –, conscients du risque de voir le partage ou la vente remis en cause, mettent en œuvre le dispositif dérogatoire de sortie d’indivision avant l’expiration d’un délai de dix ans.
Par ailleurs, la commission a considéré que les situations d’indivision problématiques étaient justement les plus anciennes, ce qui est également l’avis des notaires auditionnés. Elle a estimé que le délai de dix ans était très vite atteint, car, si la succession est ouverte dès le décès du de cujus, la saisine du notaire est souvent bien plus tardive. Il n’y a donc pas d’atteinte à l’efficacité du texte dans le fait de viser les successions ouvertes depuis plus de dix ans.
Pour cette raison, la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Comme l’a dit M. le rapporteur, l’amendement vise à appliquer le dispositif aux successions ouvertes depuis plus de cinq ans, délai qui était initialement prévu dans la proposition de loi et qui a été porté à dix ans par la commission des lois du Sénat.
Le délai de dix ans correspond effectivement aux successions les plus anciennes. Il est en cohérence avec le délai d’option des héritiers quant à l’acceptation de la succession ou à la renonciation, ou encore avec le délai de droit commun des actions en matière de filiation.
Toutefois, si l’objectif du texte est bien de créer un véritable choc de libération du foncier, il peut apparaître opportun de lui donner une plus large application.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Je renvoie le Gouvernement à son incohérence affichée entre les deux chambres, et je demande à mon groupe et à tous ceux qui nous soutiennent de bien vouloir maintenir ce délai à cinq ans.
Je veux dire aussi à M. le rapporteur que nous avons consulté les tribunaux de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane, qui nous ont confirmé que le risque de cas de filiation signalés tardivement ne dépassait pas 1,5 % de l’ensemble des procédures engagées auprès de ces juridictions. Ne pas prendre en compte ce pourcentage reviendrait à sacrifier l’essentiel au profit du secondaire !
Mme la présidente. L’amendement n° 9, présenté par Mme Conconne, M. Antiste, Mme Jasmin, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
II. – Alinéa 8
Supprimer les mots :
et aux actes effectués en application du II bis du présent article
La parole est à Mme Catherine Conconne.
Mme Catherine Conconne. Le cœur de la proposition de loi est la mise en place d’un dispositif dérogatoire permettant aux indivisaires majoritaires, c’est-à-dire détenant au moins 51 % des droits indivis, de provoquer le partage ou la vente sans l’intervention du juge.
La commission des lois a adopté un amendement qui permet d’étendre cette majorité de 51 % aux actes de gestion et d’administration des biens indivis, qui sont actuellement soumis à la majorité des deux tiers. Il s’agit d’une extension du champ de la proposition de loi initiale. Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, nous ne devons pas croire qu’il nous est possible de prévoir dans ce texte toutes les mesures permettant de régler le sort de l’ensemble des indivisions.
Le texte que nous examinons aujourd’hui n’a pas vocation à régler tous les problèmes de succession et d’indivision. Nous avons voulu, bien au contraire, un dispositif resserré autour d’un objectif précis : faciliter les sorties d’indivision et libérer le foncier en outre-mer. Nos propositions ont été ajustées pour qu’elles puissent prospérer rapidement. Toute extension du champ du texte initial risque d’entraver son adoption définitive.
Il y a eu à l’Assemblée nationale un accord avec le Gouvernement pour régler le problème de la sortie d’indivision. Si nous débordons du cadre initialement prévu, nous risquons d’empêcher ce texte d’aller rapidement au terme de la navette. À force de vouloir trop, nous n’aurions alors rien !
Notre amendement, qui ne porte pas sur le fond de la proposition de loi, se veut pragmatique. Nous proposons donc d’en rester, sur ce point, au texte adopté par nos collègues de l’Assemblée nationale.
Je le répète, la commission des lois a adopté un amendement tendant à permettre à un ou des indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis d’effectuer des actes de gestion et d’administration relatifs aux biens indivis.
Considérant que toute extension du champ de la proposition de loi initiale risque d’entraver son adoption définitive, nous proposons, par cet amendement, de supprimer les ajouts opérés sur ce point par la commission, aux alinéas 7 et 8 de l’article 1er.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. J’ai presque envie de dire qu’il s’agit d’un amendement « de cohérence »…
Cet amendement vise à revenir sur un ajout adopté par la commission, qui a entendu mettre en cohérence la majorité requise pour effectuer les actes d’administration sur un bien détenu en indivision avec la nouvelle majorité retenue par le présent texte pour vendre ou partager le bien, soit plus de la moitié des droits indivis.
À l’encontre de cette harmonisation, les auteurs de l’amendement font simplement valoir que toute extension du champ du texte initial risque d’entraver son adoption définitive. Or la commission des lois a considéré qu’il n’était pas cohérent d’exiger une majorité simple pour les actes les plus graves, alors qu’en application du droit commun les actes de gestion ou d’administration du bien nécessiteraient de recueillir l’accord des indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis, certes selon une procédure plus légère.
La proposition de la commission des lois relève de la pure cohérence. Or cet amendement prévoit l’inverse : pour les actes les plus graves, une majorité absolue serait exigée, quand la majorité qualifiée suffirait pour les actes de gestion ou d’administration. Je m’oppose bien évidemment à cet amendement, dont l’adoption aurait pour conséquence de rompre la cohérence du dispositif et de perturber l’équilibre qui a été voulu par les auteurs de la proposition de loi.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à revenir sur celui adopté par la commission des lois, lequel tend à permettre à un ou des indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis d’effectuer des actes de gestion ou d’administration relatifs aux biens indivis, quand c’est la majorité des deux tiers qui est prévue dans le droit en vigueur.
Cet abaissement de seuil pour les actes d’administration, introduit en commission, peut paraître opportun et même de nature à apporter une certaine cohérence, notamment parce qu’il soumet les actes de gestion à la même règle de majorité que les actes de vente et de partage des biens immobiliers. Toutefois, il pourra être observé que la réalisation d’actes d’administration, à une majorité des deux tiers, et celle de la vente, à une majorité de 51 %, ne sont pas tout à fait comparables puisque la réalisation de la vente par les indivisaires nécessite une information préalable de l’ensemble des indivisaires et une absence d’opposition expresse des indivisaires minoritaires. L’abaissement du seuil pour les actes de disposition – vente et partage – est ainsi accompagné de garanties en termes d’information et de droit d’opposition. En cas d’opposition de l’un des indivisaires minoritaires, une autorisation judiciaire préalable reste nécessaire.
Par ailleurs, je rappelle que l’objet de la proposition de loi est centré sur la sortie de l’indivision et ne porte pas sur l’administration ou la gestion de l’indivision.
Pour ces raisons, le Gouvernement s’en remet de nouveau à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Mme la garde des sceaux a tout dit : on est en train de mélanger les genres ! On voudrait faire entrer dans ce texte tout ce qui peut concerner la gestion des biens, y compris l’administration.
Cette proposition de loi concerne la sortie de l’indivision en outre-mer. Tenons-nous en là et ne débordons pas ! Je demande donc à tous ceux qui me soutiennent et à mon groupe de bien vouloir voter cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Le notaire choisi pour établir l’acte de vente ou de partage dans les conditions prévues à l’article 1er en notifie le projet par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires et procède à sa publication dans un journal d’annonces légales au lieu de situation du bien ainsi que par voie d’affichage et sur un site internet.
La notification fait état de l’identité du ou des indivisaires à l’initiative de la vente ou du partage, de leur quote-part d’indivision, de l’identité et des quotes-parts des indivisaires non représentés à l’opération, des coordonnées du notaire choisi, de la désignation du bien, du prix de vente et de l’indication de la valeur de ce bien au moyen du recueil de l’avis d’au moins deux professionnels qualifiés ainsi que de la répartition du prix de vente ou des allotissements prévus entre chacun des indivisaires.
La notification fait également état, le cas échéant, d’un projet de cession du bien, à titre onéreux, à une personne étrangère à l’indivision, du prix et des conditions de la cession projetée ainsi que des nom, domicile et profession de la personne qui se propose d’acquérir.
Tout indivisaire peut, dans le délai de trois mois qui suit cette notification, faire connaître son opposition à la vente ou au partage.
En cas de projet de cession à une personne étrangère à l’indivision, il peut également, dans le délai d’un mois qui suit cette notification, faire connaître aux indivisaires à l’initiative de la vente, par acte extrajudiciaire, qu’il exerce un droit de préemption aux prix et conditions de la cession projetée. Ce droit de préemption s’exerce dans les conditions prévues aux trois derniers alinéas de l’article 815-14 du code civil.
À défaut d’opposition, la vente ou le partage est opposable aux indivisaires qui ne sont pas à l’initiative du projet.
Si un ou plusieurs indivisaires s’opposent à l’aliénation ou au partage du bien indivis dans un délai de trois mois à compter de la notification, le notaire le constate par procès-verbal.
En cas de procès-verbal constatant une opposition, le ou les indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis saisissent le tribunal de grande instance afin d’être autorisés à passer l’acte de vente ou de partage. Le tribunal autorise cette aliénation ou ce partage si l’acte ne porte pas une atteinte excessive aux droits des autres indivisaires.
L’aliénation ou le partage effectué dans les conditions fixées par l’autorisation du tribunal est opposable à l’indivisaire dont le consentement a fait défaut, sauf si l’intention d’aliéner ou de partager le bien du ou des indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis ne lui avait pas été notifiée selon les modalités prévues aux trois premiers alinéas du présent article.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. J’avoue que j’éprouve des sentiments un peu mêlés. En effet, madame la garde des sceaux, vous n’avez pas pris les engagements formels que nous appelons de nos vœux. Par ailleurs, cela fait deux fois que vous vous en remettez à la sagesse du Sénat. S’il est vrai qu’une petite nuance sépare ma position de celle de mes collègues, je partage cependant avec eux l’impression que vous désavouez subtilement votre rapporteur, qui a fait, à mon sens, un excellent travail.
M. Victorin Lurel. Catherine Conconne n’a pas tort de dire qu’il faut harmoniser les points de vue. J’avoue que je ne comprends plus… J’attends un engagement : quelle sera la suite ?
Si l’on se fie à cette attitude qui consiste à ne pas répondre, à garder un silence stratégique, on peut s’attendre au pire : le texte ne sera pas examiné de sitôt à l’Assemblée nationale. Or, quelles que soient les divergences que nous pouvons avoir, nous l’attendons tous. J’y insiste, compte tenu de l’arithmétique parlementaire, si je puis dire, il est à craindre que la deuxième lecture à l’Assemblée nationale ne soit pas pour bientôt !
J’aimerais donc que le Gouvernement s’engage formellement à faire adopter cette proposition de loi. Pourriez-vous, madame la garde des sceaux, prendre devant nous un tel engagement ?
M. Victorin Lurel. On peut approuver ou non le travail effectué par la commission, mais s’en remettre à la sagesse de notre assemblée, voilà qui me laisse pressentir quelque ambiguïté…
Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mmes M. Carrère et Costes, M. Gold, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier et Vall, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Elle fait également état du délai mentionné au quatrième alinéa du présent article.
II. – Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Lorsque le projet de cession ou de partage porte sur un bien immobilier dont les quotes-parts sont détenues par au moins dix indivisaires, ou par au moins un indivisaire ayant établi son domicile à l’étranger, ce délai est porté à quatre mois.
III. – Alinéa 5, première phrase
Remplacer les mots :
il peut
par les mots :
tout indivisaire peut
IV. – Alinéa 7
Après le mot :
trois
insérer les mots :
ou quatre
La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Je peux comprendre le sentiment de mes collègues socialistes et leur volonté de voir cette proposition de loi votée conforme. Mais mon rôle est celui d’un législateur, qui se doit d’améliorer, ou pas, un texte en fonction des connaissances qu’il a de son territoire et de la demande qui est exprimée.
J’ai compris la logique suivie par notre collègue député Serge Letchimy, que j’ai eu l’occasion d’entendre ici, au Sénat, et je peux la partager. Mais j’ai également interrogé les trois notaires de Saint-Martin : ils ont été unanimes pour dire que, si la proposition de loi n’apportait pas de réponse à tous les cas de figure, il était opportun malgré tout, notamment pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, de prendre le train en marche.
Pour en revenir à l’amendement, ces notaires ont soulevé, de façon là encore unanime, la question de la particularité de Saint-Martin : la dispersion à travers le monde d’un certain nombre d’indivisaires.
Un délai de six mois aurait été raisonnable. Mais, pour éviter que ces situations ne se prolongent et se complexifient, nous avons estimé qu’il suffirait de porter de trois à quatre mois le délai dont disposeraient les indivisaires pour s’opposer à la vente ou au partage d’un bien immobilier, lorsque ces indivisaires sont nombreux ou domiciliés pour certains d’entre eux à l’étranger. Ce délai, qui tient compte de l’éloignement des territoires dans lesquels vivent la plupart des Saint-Martinois, est susceptible d’apporter un « plus » et une sécurisation juridique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Mon cher collègue, votre amendement montre que cette proposition de loi ne pouvait pas être votée conforme. Il a fallu auditionner un certain nombre de praticiens, notamment des notaires de Saint-Martin, pour s’en rendre compte.
Je comprends pourquoi vous présentez cet amendement, même si j’y suis défavorable.
Vous proposez que le délai d’opposition des indivisaires minoritaires soit porté à quatre mois, au lieu de trois, lorsque l’indivision comporte au moins dix indivisaires ou au moins un indivisaire établi à l’étranger.
La mise en place de délais différents selon le nombre et le lieu de domiciliation des indivisaires complexifierait excessivement le dispositif. On pourrait, dans la perspective d’une évolution du présent texte, réfléchir plutôt à un dispositif s’apparentant au « délai de distance » prévu dans le code de procédure civile. Je n’ai malheureusement pas eu suffisamment de temps pour examiner cette possibilité, mais nous pourrions nous orienter vers cette solution. En effet, de nombreux indivisaires éparpillés partout dans le monde et dans le bassin océanique sont concernés, et il faudra bien prévoir un délai supplémentaire pour les contacter.
Pour l’ensemble de ces raisons, et afin que la discussion puisse se poursuivre à l’Assemblée nationale, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Les droits des indivisaires nombreux ou résidant à l’étranger peuvent sembler suffisamment préservés par le délai de trois mois courant à compter de la signification du projet de vente ou de partage qui leur est faite, et ce d’autant plus que l’opposition est faite sans forme. Ainsi, un simple courrier adressé au notaire chargé de la vente ou du partage suffit.
Par ailleurs, le délai d’opposition de trois mois est déjà celui du droit commun de l’article 815-5-1 du code civil. Toutefois, je peux comprendre votre souhait de parfaire l’effectivité du droit d’opposition, comme l’a souligné M. le rapporteur, en prévoyant un allongement du délai dans les cas précisés.
Pour ces raisons, le Gouvernement s’en remet de nouveau à la sagesse du Sénat.
Je profite de cette occasion pour m’adresser au sénateur Lurel, qui m’a interrogée sur les avis de sagesse que j’ai exprimés. Dans la mesure où la position des auteurs des amendements qui ont été présentés peut s’entendre, nous respectons les choix du Parlement sur ce texte.
Vous m’avez aussi demandé, monsieur le sénateur, si je pouvais m’engager formellement à le faire adopter dans des délais précis. Or je vous rappelle qu’il s’agit d’une proposition de loi, qui sera donc portée par le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, auquel il appartiendra de trouver le créneau adapté.
Pour autant, le Gouvernement souhaite absolument que ce texte soit adopté dans les meilleurs délais. Ma collègue Annick Girardin a dû vous le dire, et je vous le confirme ici. Nous l’accompagnerons donc jusqu’à son adoption.
Je ne peux vous garantir quels seront ces délais, mais nous serons attentifs à l’adoption de cette proposition de loi à laquelle nous tenons particulièrement.
Mme la présidente. Monsieur Arnell, l’amendement n° 6 rectifié est-il maintenu ?
M. Guillaume Arnell. Monsieur le rapporteur, à la lumière de vos explications, j’ai été tenté, sans ambiguïté, de le retirer. Cependant, la réponse de Mme la garde des sceaux et surtout l’avis de sagesse qu’elle a exprimé me laissent à penser que le délai de trois mois peut ne pas paraître suffisant non plus, même si elle dit le contraire.
J’aurais préféré, à la limite, qu’elle me dise que le délai de trois mois permettait une sécurisation suffisante, et j’aurais retiré l’amendement. Comme ce n’est pas le cas, je suis donc tenté de le maintenir, d’autant plus si je tiens compte des remarques du cabinet notarial de Saint-Martin, lequel faisait remarquer, avant l’examen de la proposition de loi en commission : « Le texte initial laissait en effet penser que les indivisaires non identifiés, et surtout ceux vivant à l’étranger, ne seraient pas informés, ce qui aurait posé un problème majeur pour les familles saint-martinoises. »
L’objectif étant de sécuriser ces familles, je maintiens cet amendement. Tant pis s’il n’est pas adopté !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. La question que soulève Guillaume Arnell correspond à une réalité de terrain. La situation à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy a ceci de spécifique que de nombreux Saint-Barths et Saint-Martinois vivent à l’étranger.
J’entends bien le rapporteur quand il dit que ce sujet est formidable et que l’on pourrait poursuivre cette discussion, mais, si le Sénat ne l’a pas actée, celle-ci n’ira pas plus loin et l’Assemblée nationale ne reviendra pas en deuxième lecture sur ce point.
Je ne comprendrais pas que le Sénat ne vote pas l’amendement de Guillaume Arnell. Introduire cette disposition dans le texte obligerait en effet à l’examiner sur le fond en deuxième lecture. Personnellement, je le voterai, et j’encourage mes collègues à faire de même si ce que j’ai dit les a convaincus. (Mme Jocelyne Guidez applaudit.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1, présenté par M. Lurel, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Tout copartageant peut cantonner son émolument sur une partie de ses droits. Cet abandon ne constitue pas une libéralité faite aux autres copartageants. Il permet d’éviter ou de limiter les soultes.
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
L’amendement n° 2, présenté par M. Lurel, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Tout copartageant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Ce cantonnement ne constitue pas une libéralité faite par le légataire aux autres successibles.
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Victorin Lurel, pour présenter ces deux amendements.
M. Victorin Lurel. Au préalable, permettez-moi, madame la présidente, de m’adresser de nouveau à Mme la garde des sceaux.
Je prends acte, madame la garde des sceaux, de ce que vous venez de déclarer au sujet de ce texte présenté par la Nouvelle Gauche à l’Assemblée nationale, dans le cadre de sa « niche » parlementaire. Vous avez dit qu’il serait repris par le groupe majoritaire, La République En Marche, dans des délais que vous ne pouvez pas indiquer aujourd’hui.
Pourquoi suis-je en train de m’inquiéter ? Ce texte concerne également la relance de la politique de logement : il s’agit de libérer du foncier, de l’aliéner et de le faire circuler autant que possible, et de construire.
Le projet de loi ÉLAN nous sera présenté très prochainement. Je suis persuadé que certaines mesures de la présente proposition de loi pourront y figurer – mais pas l’intégralité ; il y a en effet quelque orgueil, de la part de l’Assemblée nationale, à présenter un tel texte.
J’avais le sentiment qu’en cas de difficultés d’autres véhicules législatifs permettraient de porter le projet de Serge Letchimy, lequel est partagé sur toutes nos travées.
Je prends donc acte que le groupe majoritaire reprendra ce texte.
M. Victorin Lurel. Comme quoi, il est bon d’insister…
J’en viens à mes amendements.
Il s’agit d’élargir à la liquidation successorale classique l’application du cantonnement dont bénéficient les successions testamentaires et de permettre la renonciation. J’ai moi-même connu cette situation. En l’occurrence, la renonciation ne correspond pas à une libéralité.
Michel Magras et Guillaume Arnell ont expliqué que, dans bien des successions outre-mer, de nombreux coïndivisaires ainsi que des indivisaires vivent à l’étranger. Or, même quand on le souhaite, il n’est pas toujours possible de payer une soulte. Il est donc préférable, parfois, de cantonner une partie de ses droits ou de ses biens.
Selon la réponse du Gouvernement et de la commission, j’aviserai…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Ces amendements visent à étendre la procédure de cantonnement en dehors des hypothèses où il existe un testament.
La procédure de cantonnement a été créée par la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, au profit des légataires ou du conjoint survivant. Elle permet au bénéficiaire d’une libéralité de décider de diminuer l’étendue de l’émolument dont il aurait pu se prévaloir en application du testament, et notamment de renoncer à une partie des droits indivis auxquels il avait droit. Cette procédure, prévue à l’article 1002-1 du code civil pour les légataires, n’est pas applicable en l’absence de testament.
Les amendements nos 1 et 2, qui me semblent redondants, visent à permettre l’application de ladite procédure à des successions dans lesquelles il n’y a pas de testament.
Actuellement, en l’absence de testament, si un héritier indivisaire décide de renoncer à ses droits au moment du partage, cette renonciation s’apparente à une libéralité faite aux autres indivisaires, taxés en conséquence. Cette idée mérite d’être approfondie, car, comme le souligne l’auteur des amendements, cette impossibilité pour l’un des indivisaires de renoncer à sa part dans l’indivision ou au versement d’une soulte qui lui serait due est un facteur important de blocage du partage.
Il me semble cependant que la réflexion n’est pas aboutie sur cette question, comme en témoignent les hésitations de rédaction de ces deux amendements et leur insertion, peu opportune, au sein de l’article 2 du texte.
Pour ces raisons, à défaut de retrait, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je partage l’avis de M. le rapporteur.
Le cantonnement est la limitation de l’assiette d’un droit à certains biens. Il est ainsi prévu pour l’exécution d’une libéralité à la demande du gratifié, qu’il soit légataire ou conjoint survivant. Cela lui permet de choisir, au sein des biens indivis auxquels sa libéralité lui donne vocation, ceux qu’il souhaite conserver.
Ici, l’hypothèse visée est tout autre. Il s’agit du cas d’un partage en nature du bien, avec allotissement d’un ou de plusieurs indivisaires du bien contre paiement d’une soulte aux autres indivisaires.
L’amendement vise à permettre à certains de ces autres indivisaires de renoncer à percevoir tout ou partie de leurs droits et de leurs parts pour éviter ou limiter les soultes. On s’éloigne ainsi, me semble-t-il, assez largement de la notion même de cantonnement.
En outre, cet amendement vise tous les copartageants et donne donc l’impression de ne pas viser que les seuls partages consécutifs à une succession. La mention selon laquelle le cantonnement permet d’éviter ou de limiter les soultes n’est ici ni claire ni réellement normative et peut donc prêter à des interprétations différentes.
Il me semble que vous souhaitez traiter le cas d’un bien dont l’attribution à un ou plusieurs indivisaires conduirait à mettre à leur charge une soulte excessive au regard de leurs facultés. Cette situation est réglée par la jurisprudence, qui considère de façon constante que, lorsqu’il est impossible de composer des lots d’égale valeur sans mettre à la charge de certains attributaires des soultes excessives, il y a lieu de vendre les biens de façon à répartir le prix également entre les copartageants.
Doit-on encourager ces renonciations au paiement de la soulte par une disposition générale permettant d’éviter leur assimilation à une libéralité et d’écarter le paiement de droits de mutation à titre gratuit ? Le Gouvernement n’y est pas favorable.
Enfin, sur le plan fiscal, en se limitant aux seuls immeubles situés en outre-mer, cet amendement s’expose, me semble-t-il, à une censure du Conseil constitutionnel pour cause de rupture d’égalité avec la généralité des redevables de droits d’enregistrement et de droits de mutation à titre gratuit qui souhaitent sortir d’une indivision.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Lurel, les amendements nos 1 et 2 sont-ils maintenus ?
M. Victorin Lurel. Je vais retirer mes amendements non pas en raison des propos que j’ai entendus – je ne partage pas du tout l’analyse juridique développée par notre collègue rapporteur et par Mme la garde des sceaux –, mais par souci de cohérence avec mon groupe.
Si vous me le permettez, madame la présidente, je ferai l’économie du temps de parole dont je dispose sur l’article 2 bis en disant dès à présent que je ne suis pas étonné d’entendre que mes amendements peuvent souffrir d’inconstitutionnalité, puisque ce même argument est avancé par le Gouvernement pour justifier son amendement de suppression de l’article 2 bis. Cela signifie que la notion d’adaptation n’existe plus dans les outre-mer !
Quoi qu’il en soit, je retire mes amendements.
Mme la présidente. Les amendements nos 1 et 2 sont retirés.
Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Mme la présidente. Je rappelle que nous devons interrompre l’examen de ce texte au terme du délai de quatre heures réservé au groupe socialiste et républicain, soit à dix-huit heures quarante-six.
Je me permets donc de demander à chacun de faire preuve de concision pour que nous puissions achever l’examen de ce texte.
Article 2 bis (nouveau)
I. – Le D du V de la section II du chapitre premier du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Dans l’intitulé, le mot : « Mayotte » est remplacé par les mots : « Collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon » ;
2° À l’article 750 bis C, la date : « 2025 » est remplacée par la date : « 2028 » et les mots : « à Mayotte » sont remplacés par les mots : « dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, dans les collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon ».
II. – La perte des recettes résultant pour l’État du I du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mme la présidente. Monsieur Lurel, si j’ai bien compris, vous renoncez à votre intervention sur l’article 2 bis ?
M. Victorin Lurel. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.
M. Maurice Antiste. L’article 2 bis cristallise la préoccupation qui m’anime.
L’auteur de cette proposition de loi a opté pour une rédaction scrupuleuse, à la suite de ses échanges longs et nourris avec des spécialistes du sujet, afin que le texte proposé recueille l’adhésion de l’ensemble de la classe politique. Pour ce faire, il a logiquement écarté toute mesure hasardeuse et compliquée qui pourrait mettre à mal le vote de ce texte dans les deux assemblées, avec l’objectif d’une application rapide eu égard à l’urgence de la situation dans nos territoires.
Aussi, j’aimerais qu’on m’explique pourquoi il a été ajouté par amendement une mesure fiscale d’exonération de droit de partage. Pour rappel, ce taux de 2,5 % est appliqué lors d’une rupture d’indivision entre héritiers au cours d’une succession, ou entre époux après un divorce.
De plus, à la suite d’une question d’un député qui évoquait la possibilité de réduire ce pourcentage à 1 % en cas de partage rapide – réalisé en moins d’un an –, dans le but d’inciter les particuliers à accélérer les procédures, le ministre des finances a révélé que cette taxation procurait un rendement annuel de 500 millions d’euros et que, en conséquence, il était inenvisageable de diminuer cette recette.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’intéresser à cette question et, le cas échéant, la traiter. Je considère sincèrement qu’une telle mesure n’a pas lieu d’être dans un texte traitant de solutions urgentes à mettre en œuvre face aux difficultés liées à l’immobilisation du foncier. En effet, les blocages de successions en indivision sont de plus en plus nombreux et impactent fortement l’ensemble de nos territoires ultramarins.
C’est pourquoi, indépendamment du bien-fondé ou non de la mesure instituée par cet article, je voterai pour l’amendement de suppression déposé et défendu par ma collègue Catherine Conconne.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 8 est présenté par Mme Conconne, M. Antiste, Mme Jasmin, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 10 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Catherine Conconne, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme Catherine Conconne. Je ne saurais commencer sans constater que ceux qui auront été les plus présents aujourd’hui dans notre hémicycle sont les notaires. L’histoire marche à l’envers : généralement, c’est nous qui faisons la loi, et ce sont eux qui sont chargés de la mettre en œuvre. Aujourd’hui, cela a été le contraire : nous avons été sous leur dictée, hélas !
La commission des lois a adopté un amendement qui prévoit une exonération de droit de partage jusqu’en 2028 des immeubles situés dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon. Or les auteurs de la proposition de loi ont volontairement ôté de leur texte toute disposition d’ordre fiscal. Notre argumentaire va donc dans le même sens que celui défendu pour la majorité applicable aux actes de gestion : la mesure adoptée par la commission des lois va faire obstacle à l’adoption définitive de ce texte.
Il suffit de reprendre la proposition exprimée par le Gouvernement à l’Assemblée nationale. La ministre Annick Girardin a plusieurs fois émis une fin de non-recevoir sur toute question fiscale – je crois que c’est la règle de la mandature.
Encore une fois, j’appelle votre attention, mes chers collègues : à vouloir en faire trop, ce texte restera lettre morte. Reportons le débat de l’exonération de droit de partage à l’automne prochain, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 ! Notre amendement, qui tend à supprimer l’article 2 bis, je le redis, relève du pragmatisme.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 10.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’article 2 bis de la présente proposition de loi a pour objet d’étendre l’exonération de droit de partage de 2,5 % des immeubles situés à Mayotte à l’ensemble des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ainsi qu’aux collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon et de prolonger cette exonération jusqu’en 2028.
Le Gouvernement n’est pas favorable à une telle disposition, qui soulève notamment des difficultés de nature constitutionnelle. C’est la raison pour laquelle il a déposé un amendement identique à celui qui vient d’être présenté tendant à supprimer l’article 2 bis.
Une disposition de même nature a été censurée par le Conseil constitutionnel, au motif que le maintien d’un régime d’exonération applicable aux successions des immeubles situés dans une zone spécifique – au cas d’espèce en Corse – méconnaissait le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques. Il s’agit d’une décision de 2012.
En outre, il est signalé que la mesure adoptée dans la loi du 28 décembre 2017 consistant à accorder une exonération temporaire de droit aux seuls immeubles situés à Mayotte n’a pas fait l’objet d’un examen au fond par le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, cette exonération était alors motivée par l’objectif de favoriser la constitution ou reconstitution du titre de propriété, compte tenu de la situation de désordre cadastral propre à Mayotte.
Il me semble donc que nous risquons une censure du Conseil constitutionnel en raison d’une rupture injustifiée d’égalité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Les amendements nos 8 et 10 visent à supprimer l’exonération de droit de partage pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d’indivision.
Cette incitation fiscale a été mise en place par la commission afin d’encourager les indivisaires à sortir de ces situations problématiques, car leur généralisation dans les territoires ultramarins aboutit à une paralysie du foncier qui n’est pas sans conséquences économiques, sanitaires et sociales.
Cette dérogation au régime de droit commun est prévue pour une durée strictement nécessaire au règlement des désordres fonciers ultramarins. L’exonération, comme le dispositif de sortie d’indivision, prendrait fin le 31 décembre 2028.
J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques, c’est-à-dire sur la remise en cause de cette exonération qui existe déjà au bénéfice de Mayotte et de la Corse.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Je voterai ces amendements de suppression, mais pas pour les motifs invoqués. Autant je souscris à ce que notre collègue Catherine Conconne a dit – il faudrait peut-être examiner le dispositif dans le cadre de la loi de finances –, autant j’avoue que je suis un peu surpris d’entendre Mme la garde des sceaux avancer l’argument que cet article pourrait souffrir d’inconstitutionnalité.
Dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, nous avons une TVA immobilière différente, une fiscalité différenciée, qui a toujours été autorisée par le Conseil constitutionnel. Pourquoi ce qui est possible à Mayotte ne le serait-il pas ailleurs, sous prétexte que le Conseil constitutionnel n’aurait pas examiné au fond la loi de finances ? Il me semble pourtant que ce texte a été validé par le Conseil, qui, en vertu de la règle de l’ultra petita, s’est saisi de toute la question.
Aujourd’hui, j’entends par votre voix, madame la garde des sceaux, que la notion d’adaptation, qui figure à l’article 73, n’existerait plus. Cela signifierait, comme l’a dit ma collègue, que l’on ne pourrait plus examiner cette différenciation fiscale dans la prochaine loi de finances. Vous avez vous-même soutenu que, dans le texte de la révision constitutionnelle que vous préparez et qui nous sera soumis, il y aura peut-être une dose, une instillation de différenciation…
Je voterai par cohérence avec mon groupe, mais, je l’avoue, je suis assez inquiet quant aux motivations qui président à votre amendement de suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Je rejoins les propos de mon collègue Victorin Lurel.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. Je soutiendrai l’amendement de Mme Conconne, pour une raison très simple : il ne faut pas oublier que Saint-Barthélemy, qui est une collectivité régie par l’article 74, dispose de la compétence fiscale. C’est donc à nous de décider des impôts, des droits et des taxes, et à nous seuls.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Je veux prolonger ce qu’a dit mon collègue Michel Magras.
À Saint-Martin, la collectivité dont j’ai l’honneur d’être le représentant aujourd’hui, on applique déjà cette fiscalité incitative. Je suis donc partisan de voter ces amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8 et 10.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas les amendements.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2 bis.
(L’article 2 bis est adopté.)
Articles additionnels après l’article 2 bis
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 3, présenté par M. Lurel, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le 14° ter de la section IX du chapitre IV du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts est ainsi modifié :
1° À la fin de l’intitulé, les mots : « à Mayotte » sont remplacés par les mots : « dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution » ;
2° À l’article 1135 ter, les mots : « à Mayotte » sont remplacés par les mots : « dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution » et la date : « 2025 » est remplacée par la date : « 2028 ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
L’amendement n° 4, présenté par M. Lurel, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Après le 14° ter de la section IX du chapitre IV du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts, il est inséré un 14° … ainsi rédigé :
« 14° … Droits de mutation à titre gratuit. Exonération des immeubles et droits immobiliers situés en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique.
« Art. 1135 … – Sont exonérés de droits de mutation à titre gratuit, les immeubles et droits immobiliers situés en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique, lors de la première transmission postérieure à la reconstitution des titres de propriété y afférents, sous réserve que ces titres de propriété aient été constatés par un acte régulièrement transcrit ou publié entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2028. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
L’amendement n° 5, présenté par M. Lurel, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le 14° bis de la section IX du chapitre IV du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts, il est inséré un 14° … ainsi rédigé :
« 14° … Droits de succession. Exonération des immeubles et droits immobiliers situés en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique.
« Art. 1135… – I. – Pour toute succession ouverte depuis plus de dix ans, les immeubles et droits immobiliers situés en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique sont exonérés de droits de mutation par décès.
« Pour les successions ouvertes à compter du 31 décembre 2028, les immeubles et droits immobiliers situés en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique sont soumis aux droits de mutation par décès dans les conditions de droit commun.
« II. – Ces exonérations ne sont applicables aux immeubles et droits immobiliers pour lesquels le droit de propriété du défunt n’a pas été constaté antérieurement à son décès par un acte régulièrement transcrit ou publié qu’à la condition que les attestations notariées mentionnées au 3° de l’article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière relatives à ces biens soient publiées dans les vingt-quatre mois du décès. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Victorin Lurel, pour présenter ces trois amendements.
M. Victorin Lurel. Je les retire, madame la présidente.
Mme la présidente. Les amendements nos 3, 4 et 5 sont retirés.
Articles 3 et 4
(Suppression maintenue)
TITRE II
(Division et intitulé supprimés)
Article 5 A (nouveau)
Pour l’application en Polynésie française de l’article 827 du code civil, le partage judiciaire se fait par souche, lorsqu’il ne peut pas s’opérer par tête. Le tribunal autorise ce partage s’il ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires.
Mme la présidente. L’amendement n° 11, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à supprimer l’article 5 A portant sur le partage par souche en Polynésie française. Je m’en suis déjà expliquée dans mon propos introductif.
Je rappelle que la souche est un mode de partage du patrimoine quand l’héritier légal est lui-même décédé, permettant que les petits-enfants succèdent à leurs grands-parents par représentation de leur père ou de leur mère prédécédés. Ces héritiers, qui viennent en représentation de leur auteur prédécédé, constituent donc une souche. Pour autant, ils ne se représentent pas entre eux et ils sont tous parties au partage de la succession.
L’article 5 A, en affirmant un principe de partage par souche, manque son objectif, qui est de pouvoir permettre un partage judiciaire sans besoin d’identifier ni d’appeler tous les héritiers à la cause. Je le répète, un partage par souche n’induit aucune représentation procédurale des héritiers au sein d’une même souche et chacun des héritiers a le droit d’être appelé au partage. Permettre la réalisation d’un partage judiciaire à l’insu de l’un des intéressés est une atteinte directe au droit au recours et à l’accès aux juges, qui sont des principes dont la protection est assurée, vous le savez, tant par la Constitution française que par la convention européenne des droits de l’homme.
Par ailleurs, l’article 5 A n’a aménagé aucune garantie ni aucun garde-fou destiné à préserver les droits des héritiers omis du partage judiciaire, alors même que les successions sont justement un domaine dans lequel les divergences d’intérêts entre les parties sont fréquentes.
Il sera relevé que le rapport sénatorial du 23 juin 2016 avait, à juste titre, insisté sur la nécessité d’établir des garde-fous pour garantir les droits des indivisaires omis et d’éviter que « l’introduction d’une présomption de représentation au sein d’une souche dispense de rechercher le plus d’indivisaires possible pour les attraire au partage, et aboutissent à des partages iniques à l’insu de certains indivisaires ».
L’organisation d’une présomption de représentation au sein de la même souche suscite également un certain nombre de questions auxquelles il n’est apporté aucune réponse. Par exemple, comment et par qui le représentant de la souche est-il désigné ou choisi ? Quel rôle exact joue le membre de la souche choisi par le demandeur au partage pour représenter procéduralement cette souche ? Doit-il aussi être considéré comme représentant d’autres membres de la souche dans la gestion du lot revenant à celle-ci, etc. ?
En l’état, vous l’aurez compris, la disposition envisagée dans la proposition de loi se heurte à de nombreuses difficultés juridiques qui rendraient son application impossible. Le Gouvernement propose donc de la supprimer. Néanmoins, comme je vous l’ai déjà dit, je souhaite que la question de l’indivision en Polynésie française et du partage par souche soit examinée sérieusement par mes services, en lien avec ceux du ministère des outre-mer. Mon cabinet a donc déjà commencé ce travail avec les élus polynésiens.
Je crois nécessaire que nous allions plus loin rapidement pour mesurer clairement les enjeux juridiques et apporter des solutions concrètes aux difficultés rencontrées en Polynésie. Il serait utile que nous avancions dans cette réflexion que le rapport Pastorel, en lien notamment avec le tribunal foncier qui vient d’être créé à Papeete, avait soulevée. Il s’agit d’un sujet sérieux, sur lequel nous devons trouver un équilibre entre le respect des principes, comme le droit de propriété et l’efficacité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement tend à revenir sur une disposition introduite dans le texte par la commission, sur l’initiative de notre collègue Lana Tetuanui.
L’article 5 A consacre la possibilité de procéder, en Polynésie française, à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est impossible. Il fait écho à la proposition n° 25 du rapport d’information de 2016 de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, qui souligne que, en Polynésie française, le partage par tête tel qu’il est prévu à l’article 827 du code civil est bien souvent soit impossible, soit dénué de sens au regard de l’étroitesse des parcelles et du nombre d’héritiers.
La cour d’appel de Papeete a validé le principe d’un partage par grande souche familiale, quitte à enregistrer ultérieurement, lorsque cela est possible, des demandes de partage par tête au sein de chaque souche. Cette construction prétorienne vise à admettre la représentation, dans la procédure de partage, des indivisaires, qui ne peuvent être appelés à l’instance par un parent issu de la même souche. Néanmoins, l’objet de cet amendement le rappelle, la Cour de cassation invalide systématiquement tous les arrêts de la cour d’appel retenant cette solution juridique, qui élargit libéralement la notion de représentation. Cette position de la Cour de cassation, aussi juste et juridiquement rigoureuse soit-elle, entraîne de lourds préjudices et retarde le traitement de la question foncière en Polynésie.
Il faut admettre qu’il n’y a bien souvent pas d’autre choix que le partage par souche, comme l’ont unanimement reconnu tous les magistrats rencontrés par la délégation sénatoriale et par les membres de la commission des lois lors de leur déplacement à Papeete et dans les archipels. D’ailleurs, malgré la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le tribunal de première instance et la cour d’appel de Papeete maintiennent leur solution prétorienne. Peu de pourvois en cassation sont constatés, bien que l’invalidation soit assurée et constitue un motif général d’insécurité des partages.
L’article 5 A donne donc un fondement légal à cette construction prétorienne de la cour d’appel de Papeete.
Le dispositif est-il perfectible ? Très certainement. Est-ce une raison pour les supprimer purement et simplement, alors qu’il répond à un véritable besoin et à une demande très ancienne des magistrats en exercice en Polynésie ? Je ne le pense pas. Mettons à profit la navette pour l’améliorer, plutôt que de ne rien faire en arguant des travaux en cours sur la question.
J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement de suppression de cet article.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5 A.
(L’article 5 A est adopté.)
Article 5
Pour l’application en Polynésie française, dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon du 1° de l’article 831-2 du code civil, l’attribution préférentielle peut également être admise si le demandeur démontre qu’il réside sur la propriété de manière continue, paisible et publique depuis plus de dix ans au moment de l’introduction de la demande de partage en justice. – (Adopté.)
Article 6
En Polynésie française, dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, par dérogation au premier alinéa de l’article 887-1 du code civil, lorsque l’omission d’un héritier résulte de la simple ignorance ou de l’erreur, si le partage judiciaire a déjà été transcrit ou exécuté par l’entrée en possession des lots, l’héritier omis ne peut solliciter qu’à recevoir sa part soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage. En cas de désaccord entre les parties, le tribunal tranche. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. J’estime qu’il est du devoir du législateur de se prononcer en fonction de ses convictions. Face à un texte qui est présenté au Sénat – je ne suis pas à l’Assemblée nationale, je suis sénateur ! –, je me dois d’apporter mon éclairage sur les réalités de mon territoire. Je regrette infiniment si cela a pu causer, çà et là, quelques divergences. Je comprends la nécessité d’aller vite – c’est la raison pour laquelle je me suis abstenu sur certaines dispositions –, mais je suis heureux que mon territoire, Saint-Martin, soit désormais inclus dans le dispositif.
Je tiens à saluer l’initiative de notre collègue député Serge Letchimy, qui a déposé cette proposition de loi. Je veux aussi remercier mes collègues du groupe du RDSE du soutien qu’ils m’ont apporté, parce que cette question n’est pas simple.
Nous nous retrouverons, madame la garde des sceaux, pour traiter d’autres sujets. En effet, vous n’avez pas fait état du règlement financier des droits de succession, qui pose un problème aux familles. Je veux aussi traiter avec vous de la question des adultes capables juridiquement mais « incapables » de fait.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. À mon collègue Guillaume Arnell, je vais répéter ce que j’ai dit tout à l’heure : aux collectivités régies par l’article 74 de la Constitution qui ont choisi de s’inscrire dans la dynamique de cette proposition de loi, je ne peux que dire « bienvenue ! » Nos histoires communes ne sauraient être étranglées par le fétichisme d’un article de la Constitution. Assemblons donc tout ce qui se ressemble. Par conséquent, c’est avec un réel plaisir que j’accède à la demande pressante de mes collègues Michel Magras et Guillaume Arnell d’insérer nos compatriotes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin – peu importe l’article de la Constitution qui régit leur quotidien – dans cette loi, valable pour l’essentiel des outre-mer.
Si les modifications ne s’étaient arrêtées qu’à cela, je serais une femme heureuse ce soir ; mais je suis une femme déçue de voir que l’urgence et le caractère temporaire de cette disposition n’ont pas prévalu par rapport à une lecture rigoureuse et au caractère « fourre-tout ».
Nous travaillerons au mieux pour que cette loi puisse se conclure dans les meilleurs délais – j’espère que nous pouvons compter sur vous, madame la garde des sceaux –, au travers de la navette qui s’est naturellement enclenchée ce soir. Nous voulons enfin pouvoir dire à nos compatriotes, sur le terrain, que nous rencontrons déjà dans des réunions extrêmement fructueuses : grâce au travail des parlementaires de l’outre-mer qui ont initié cette proposition de loi – en particulier mon ami député Serge Letchimy –, nous pourrons réduire les nuisances, les effets collatéraux, les dégâts collatéraux d’un texte qui est extrêmement bienvenu à la Martinique.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. Le foncier en outre-mer est un véritable sujet pour le Sénat.
Cela a été rappelé par de nombreux intervenants, la délégation sénatoriale à l’outre-mer a conduit un travail remarquable sur l’urgence foncière en outre-mer couvrant les trois bassins océaniques. J’en profite donc pour remercier, au nom de cette délégation, toutes celles et tous ceux qui ont salué ce travail, en particulier notre collègue Lurel, qui, à l’Assemblée nationale ou au ministère, avait suivi nos travaux.
La proposition de loi que nous avons examinée s’inspire largement de ces travaux, et je ne peux que me satisfaire de cette nouvelle preuve de la pertinence de ce chantier triennal. Dans chacune des collectivités, ce travail a en effet mis en lumière à quel point cette problématique pouvait souvent constituer un nœud gordien entravant la politique d’aménagement du territoire et, plus généralement, le développement dans des territoires notamment marqués par un important besoin en logements.
Mes collègues ont largement souligné les difficultés engendrées par l’indivision, je ne m’y étendrai pas. Je souhaite toutefois souligner à mon tour que, en matière d’indivision, la réalité ultramarine, malgré des traits communs, n’est, là encore, pas homogène. À Saint-Barthélemy, par exemple, la situation est beaucoup plus nuancée que dans d’autres territoires, même si, comme ailleurs, la question de l’indivision s’explique souvent par la complexité des rapports entre membres d’une même famille. J’en profite pour remercier Catherine Conconne, qui a accepté une dose de différenciation territoriale.
Je souscris par ailleurs à la limitation dans le temps de ce dispositif, qui devrait favoriser le règlement d’une part significative des successions indivises. De ce point de vue, le texte pourrait également être une source utile d’apaisement humain au-delà de son utilité économique. C’est pourquoi je le voterai.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Je veux remercier notre collègue député Serge Letchimy, auteur de cette proposition de loi. Je veux aussi vous remercier, madame la garde des sceaux, ainsi que vous toutes et vous tous, mes chers collègues, même les plus virulentes (Sourires.), d’avoir contribué à ce débat très constructif.
Aujourd’hui, je suis content et fier, parce que le Sénat a fait son travail et l’a fait dans son style. Nous ne sommes pas ici à l’Assemblée nationale, nous sommes au Sénat, je tenais à le rappeler à certains de nos collègues.
Lorsque la proposition de loi est arrivée de l’Assemblée nationale, elle omettait certaines collectivités, comme Saint-Martin ; je ne pouvais donc pas rester sans l’amender, c’est le travail de la commission des lois. Lorsque la proposition de loi nous est parvenue, elle se référait à un article supprimé par ce texte même ; je ne pouvais pas rester silencieux, et c’est pour cela que, après les auditions que j’ai menées avec l’aide des services du Sénat, que je remercie, j’ai proposé ces amendements. Je vous remercie d’en avoir adopté certains, et je vous remercie même pour les deux amendements que vous n’avez pas adoptés, parce que c’est la richesse des débats au Sénat qui a mené à cette décision finale.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je reprends la parole une seconde, d’abord pour vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de l’adoption de ce texte, auquel, je le répète, le Gouvernement est attaché et qu’il soutiendra.
Ensuite, je veux répondre aux interrogations réitérées de M. le sénateur Lurel. Ce texte est une proposition de loi initialement présentée par le groupe Nouvelle Gauche de l’Assemblée nationale, sur l’initiative de votre collègue parlementaire Serge Letchimy – il n’est évidemment pas question de lui ôter cette paternité heureuse.
Je le redis devant vous, le Gouvernement, avec le soutien de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, fera en sorte que ce texte soit adopté dans les meilleurs délais, parce que nous y sommes très attachés ; je ne dis que cela, mais je dis tout cela.
5
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 5 avril 2018 :
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures quinze à vingt heures quinze :
(Ordre du jour réservé au groupe du RDSE)
Proposition de loi relative à l’élection des conseillers métropolitains (n° 276, 2017-2018) ;
Rapport de Mme Agnès Canayer, fait au nom de la commission des lois (n° 381, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 382, 2017-2018).
Débat sur le thème : « Quelles perspectives pour les études de médecine ? ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.)
nomination d’un membre d’une commission
Le groupe Union Centriste a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Olivier Henno est membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean-Marie Mizzon.
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD