M. Philippe Bas, président de la commission des lois, constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Oh !
M. Pierre-Yves Collombat. Dans certains départements, ces derniers constituent toujours une forme d’exploitation collective bien vivante, alors que dans d’autres, ils ne sont qu’une survivance paralysante – pardonnez-moi cette parenthèse, mais ayant eu à me préoccuper de cette question, je vois un certain parallélisme avec les situations dont nous débattons aujourd’hui.
Donc, encore une fois, je ne peux que saluer la façon dont les auteurs de cette proposition de loi et notre commission ont abordé cette problématique complexe.
Ne pensant pas utile de répéter ce qui vient d’être excellemment exposé par Mme la garde des sceaux et par notre rapporteur, je me contenterai d’approuver les propositions qui nous sont faites, à commencer par l’abaissement, à 51 % des ayants droit, du plancher à partir duquel une vente ou un partage par voie non judiciaire est possible, si aucun recours n’est exercé, pour les successions ouvertes depuis plus de dix ans. À cet égard, il m’apparaît effectivement plus prudent de fixer ce délai à dix ans, plutôt qu’à cinq ans, comme dans le texte initial.
Notre groupe approuve également la possibilité ouverte, sans limites dans le temps, à 51 % des indivisaires au moins – au lieu des deux tiers actuellement – d’effectuer diverses opérations comme des actes administratifs relatifs au bien indivis, le renouvellement des baux, la vente des meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision, etc.
Enfin, nous approuvons le fait de faciliter les formalités de publication de diverses opérations relatives à l’indivision et l’exonération temporaire du droit de partage des opérations prévues par le dispositif dérogatoire.
J’ai cru comprendre que le Gouvernement était opposé à cette dernière mesure, bien qu’elle puisse être un élément incitatif dans la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions.
Le groupe CRCE votera donc ce texte en espérant qu’il suscitera beaucoup de vocations outre-mer. (M. le rapporteur et Mme Cécile Cukierman applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si le sujet qui nous occupe aujourd’hui paraît, au premier abord, étroitement technique, il n’en est pas moins essentiel, en ce qu’il touche directement au quotidien de nos concitoyens d’outre-mer.
Le foncier et l’indivision constituent deux problématiques majeures auxquelles sont confrontées les collectivités d’outre-mer et, à travers elles, leurs populations.
Plus que de mesures juridico-financières, il est ici question de mesures sociales, avec des familles qui, ne pouvant se loger, se retrouvent bloquées dans leurs projets de vie.
En Martinique, par exemple, 40 % du parc immobilier est en indivision. Ce seuil ne nous inquiéterait pas outre mesure si la conception traditionnellement communautaire de la propriété et la forte émigration des indivisaires vers la métropole n’avaient pas conduit au blocage de la situation de nombreux biens. Ces derniers étant parfois absents ou réticents à la cession, les indivisions « bloquées » se sont en effet multipliées.
Prenez le village mahorais de Chiconi, où deux indivisions de 75 et 81 hectares représentent à elles seules les trois quarts de la surface immobilière locative locale. C’est énorme ! Qui plus est lorsque l’une d’elles regroupe 69 indivisaires.
Plus préoccupant encore, certaines indivisions en Polynésie française sont à présent centenaires et concernent parfois jusqu’à un millier de personnes, sans que l’on puisse, en l’état actuel du droit, traiter ces dossiers de façon satisfaisante.
Certes, les tribunaux locaux ont su s’adapter, dégageant en quelque sorte leur propre droit, et appliquant des principes variés comme la souche familiale, le droit au retour ou encore l’attribution préférentielle.
Je vous passerai enfin l’énumération des conséquences négatives qu’entraîne ce phénomène d’indivision et que les auteurs de la présente proposition de loi ont parfaitement identifiées.
Je vous dirai simplement qu’il est aujourd’hui urgent que nous libérions le foncier en outre-mer. Cette libération doit être durable, stable et, surtout, assise sur de solides bases légales.
En tant que représentants des collectivités locales et des territoires, nous devons être vigilants à la situation de l’outre-mer.
C’est ce à quoi s’attache le texte de nos homologues du groupe Nouvelle Gauche à l’Assemblée nationale, et c’est ce à quoi a veillé la commission des lois du Sénat. Je salue d’ailleurs le travail de la commission, qui a su, avec acuité, amender le texte afin de le rendre plus équilibré et plus efficient.
En effet, ce n’est pas chose aisée que de parvenir à un texte qui n’empiète pas de façon disproportionnée sur les droits de propriété des indivisaires minoritaires, tout en renforçant l’efficacité du dispositif juridique.
Bien considérée, cette proposition de loi permet une stabilisation des droits de propriété de la majorité des indivisaires, sans rendre pour autant impuissants ceux qui seraient hostiles à la vente. Il s’agit d’un bel équilibre trouvé.
Aussi vais-je revenir sur ce qui a été décidé en commission.
Le champ d’application des articles 1er, 5 et 6 a été opportunément étendu par la commission afin de couvrir des collectivités ultramarines jusqu’ici oubliées par la proposition de loi. Il s’agit d’une bonne chose, car, si la situation n’est pas identique d’une île à l’autre, la libération du foncier doit se faire pour l’ensemble de l’outre-mer.
L’article 1er prévoit un dispositif dérogatoire de sortie d’indivision aux successions ouvertes depuis plus de dix ans – et non plus cinq ans, comme le prévoyait le texte transmis par l’Assemblée. Ce nouveau délai devrait opportunément permettre de rendre le dispositif compatible avec certaines actions ouvertes par le code civil s’inscrivant dans des délais plus longs. Tel est ainsi le cas de l’action en possession d’état pour établir une filiation post mortem avec le de cujus, qui se prescrit par dix ans, ou encore de l’option successorale, qui peut être exercée par l’héritier dans ce même délai.
La proposition de loi autorise par ailleurs la vente ou le partage du bien sur l’initiative des indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis seulement, ce qui n’était pas cohérent avec l’exigence, à présent supprimée, d’une majorité fixée à deux tiers.
Ces deux modifications apportées en commission montrent le sérieux et la pertinence du travail sénatorial. Plus fondamentalement, nous approuvons les dispositions spécifiques prévues à l’article 1er, afin d’empêcher qu’une vente ne s’opère lorsqu’elle risquerait de léser certaines personnes vulnérables. Cette mesure procède du bon sens.
En prévoyant expressément, à l’article 2, la possibilité pour tout indivisaire qui le souhaiterait d’exercer un droit de préemption pour se porter acquéreur du bien, aux prix et conditions de la cession projetée, la commission a par ailleurs su prendre en compte l’histoire de terres qui, pour les familles concernées, font l’objet d’un attachement charnel, au plus grand bénéfice de la culture locale.
Et parce qu’il était nécessaire de mettre fin au rôle bloquant des indivisaires minoritaires, c’est une bonne chose que la commission des lois ait supprimé la notion de « présomption de consentement », estimant qu’il était plus pertinent de prévoir que la vente ou le partage du bien leur serait « opposable ». Ainsi, un indivisaire seul qui refuse de prêter son concours à la vente ou au partage sans pour autant s’y opposer ne bloquera plus l’ensemble du processus et sera présumé consentir à la vente.
De même, l’ajout de l’article 2 bis est bienvenu dans l’optique de libération du foncier que j’évoquais.
Je profite du temps qui m’est donné pour saluer notre collègue Lana Tetuanui, dont le travail a conduit à l’introduction de l’article 5 A, même si le sujet, je l’avoue, reste très complexe.
Il serait désormais possible, en Polynésie, de procéder à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est rendu impossible en raison notamment du nombre d’héritiers ou de l’ancienneté de la succession. Cet article fait ainsi écho aux attentes de la cour d’appel de Papeete et se conforme utilement au code de procédure civile de la Polynésie française.
Ce texte serait en définitive une avancée importante. Il devrait permettre aux collectivités de conduire une politique du logement plus efficace et plus juste. Il devrait surtout faciliter le quotidien de centaines de familles, qui retrouveront ainsi la pleine propriété et le libre usage de leurs terres. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Catherine Conconne. Madame la présidente – chère collègue Marie-Noëlle Lienemann –, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur – cher Thani –, mes chers collègues, nous voilà réunis pour examiner une proposition de loi présentée il y a quelques semaines à l’Assemblée nationale.
Nous voilà réunis pour donner du sens, de la suite, du corps à une volonté longtemps exprimée par plus d’un avant moi, et notamment Aimé Césaire, député de la Martinique, d’une exigence légitime de différenciation. D’ailleurs, c’est avec un certain bonheur que je constate que ce mot – heureux – est désormais adopté par le Président de la République et son gouvernement à l’endroit de nos pays.
Eh oui ! n’en déplaise aux adeptes de l’uniformité de la République, ladite outre-mer est différente ! Différente par son histoire, différente par ses peuplements, différente par les affres et les traces laissées par ses migrations souvent imposées, différente par sa – que dis-je ! –, par ses cultures, ses mœurs, marquée par un vécu ô combien douloureux écrit à l’encre indélébile, une encre aux couleurs d’inégalités rapiécées, d’injustices banalisées, d’oppressions sanglantes. Pas simple, cette histoire. Pas simple du tout !
Et c’est parce qu’elle n’est pas simple que nous sommes là aujourd’hui. C’est parce qu’elle n’est pas simple que l’histoire – son histoire – nous convoque aujourd’hui ici, solennellement, pour exprimer ensemble cette évidence : celle de la différence.
Le pouvoir hélas ! a souvent nié cette différence et a maintes et maintes fois souhaité que, y compris par la force sanglante, ces pays se couchent, se plient dans le moule qui muselle toute initiative, toute conquête, toute émancipation.
Le cheminement pour le progrès humain a été long, très long, y compris après que, l’esclavage une fois aboli, a enfin commencé une quête de la reconnaissance d’une humanité. Oui, d’une humanité !
Et c’est dans cette humanité jeune finalement, vieille de quelques décennies, d’il y a à peine un siècle et demi, que l’homme de ladite outre-mer tente durement, laborieusement, de trouver sa place, d’exister, enfin de survivre pour exister.
La notion de propriété est une histoire vieille pour la vieille Europe conquérante, mais tellement récente pour nous. Lâché dans un nouveau monde déshumanisé, il restera à l’ancien esclave à tout faire, tout construire. Être propriétaire ? Souvent une chimère. Avec quoi ? Sans instruction, sans moyens, rémunéré dès lors certes, mais à quel prix : trois francs six sous !
Alors, quand le fruit du labeur le permet enfin, sou par sou, goutte de sueur par goutte de sueur, le bien acquis, la petite case, les trois acres de terre cultivable deviennent tellement chers, tellement précieux, tellement pleins de valeur qu’il n’est pas envisageable de régler une quelconque succession avant le jour du départ pour l’au-delà. Ce qui est rare est cher, ce qui est rare a du prix !
Pour rajouter à cette complexité de la différence, cent ans après l’abolition de l’esclavage, le pouvoir organise la migration, une nouvelle, une de plus. Il faut « dégonfler » au plus vite ces îles hideuses, pauvres et misérables, qui commencent à gronder. Vingt années de migration forcée vers ladite métropole censée être le nouvel eldorado voient arriver ces oubliés de l’histoire par dizaines de milliers : les convoqués du BUMIDOM, les enfants de la Creuse sont les exilés d’un nouveau genre.
On avait choisi le plus facile, le plus ignoble aussi. On avait choisi d’ignorer cette humanité, de ne pas l’affronter avec courage et réalité. On dépossède encore une fois. Une fois de plus, une fois de trop !
Les enfants partent par milliers, par dizaines de milliers, encouragés y compris par leurs parents qui rêvent pour eux d’un avenir meilleur. Beaucoup ne reviennent pas, fuient ces pays dans lesquels les souvenirs ont souvent la couleur de leur peau.
Explosées partout dans le monde, nombreuses, très nombreuses en France, les générations se succèdent sans se raccrocher pour autant à un pays dont beaucoup ignorent tout.
Et les biens sont restés là, en l’état. Plus personne pour s’en occuper. L’écheveau emmêlé de la succession devient une affaire inextricable. Les héritiers en cascade ont du mal à être repérés, à être identifiés. Les familles s’affrontent, des drames surviennent, et la solution est souvent l’abandon. On abandonne pour laisser à l’univers public son lot de désolation : squats, réserves naturelles nombreuses pour le moustique tigre, qui sème dengue, chikungunya. Les villes sont défigurées par ces masures, ces terrains en friche.
Pour le pays que je connais le mieux, la Martinique, dans certaines communes on peut compter jusqu’à un taux de 83 % de cas d’indivisions non réglées, par exemple au Macouba dans l’extrême nord du pays, 50 % dans la ville capitale Fort-de-France. Mais la situation est la même à Pointe-à-Pitre, à Morne-à-l’Eau, à Cayenne, à Saint-Paul, à Papeete, à Mamoudzou.
Le contexte que je me suis appliquée à décrire dans mon exposé en est la cause réelle et sérieuse.
Alors, comment faire pour accompagner un règlement plus rapide de ces situations, qui posent de véritables problèmes à la santé publique, à la préservation sanitaire, mais aussi à l’ordre et à la cohésion familiale ? Oui, comment faire, sinon faire différent ? Comment faire, sinon coller à un contexte singulier et particulier ?
J’en profite pour remercier le Gouvernement, et particulièrement Annick Girardin, qui a pu se rendre compte de la situation sur le terrain, mais aussi votre ministère, madame la garde des sceaux, qui a compris que le droit commun ne pouvait correspondre à cette réalité.
Il faudra donc déroger. L’initiateur de cette proposition de loi, le député Serge Letchimy, a proposé que cela se fasse sur dix ans, le temps nécessaire pour un sérieux coup de plumeau. Nous lui devons notre confiance. Il sait de quoi il parle, il maîtrise cette matière.
Docteur en urbanisme, le député Letchimy possède à son actif des dizaines de procédures de réhabilitation de quartiers entiers. Son histoire a d’ailleurs été retracée sous la plume d’un brillant écrivain martiniquais, Patrick Chamoiseau, dans un ouvrage qui a obtenu le prestigieux prix littéraire Goncourt. Maire de Fort-de-France pendant dix ans, Serge Letchimy avait fait de ces biens abandonnés une véritable croisade. Pour l’avoir accompagné dans ses mandatures municipales en tant qu’adjointe en charge de la sécurité, j’ai eu pour un seul quartier – je dis bien un seul –, sur les cent trente que compte Fort-de-France, à traiter le cas de pas moins de 300 maisons qui relèvent de cette situation de succession non réglée.
Alors, c’est en toute connaissance de cause et pour ne pas rester, pour citer Césaire, « les bras croisés dans l’attitude stérile du spectateur », qu’il a pris l’initiative de proposer cette heureuse dérogation. Il n’est pas du genre à capituler devant la difficulté, devant le cadre qui étrangle, qui enserre. Il faut en permanence inventer. Il a été pour cela aidé dans sa tâche par des professionnels des questions de propriété, notaires, établis ou en devenir. J’ai à cette occasion une pensée particulière pour l’une d’entre eux, Samantha Chevrolat, à laquelle je rends un hommage appuyé aujourd’hui pour son engagement.
Cette loi est attendue. Nos populations piaffent d’impatience. Le parquet de Fort-de-France a même salué l’initiative lors de sa rentrée solennelle pour dire et souligner la fluidité qu’elle provoquera dans de nombreuses procédures, en particulier dans nos tribunaux engorgés.
Des réunions se tiennent déjà partout. Ce n’est pas mon collègue et ami Maurice Antiste qui me démentira : dans la seule commune du François, en Martinique, dont il était le maire jusqu’à récemment, une foule impressionnante de centaines de Martiniquais impatients s’était pressée pour entendre Serge Letchimy. Au moment où je vous parle, aujourd’hui 4 avril, ce dernier est reçu, car réclamé, en Guadeloupe, au Gosier, pour une réunion publique au côté de deux autres députés, Max Mathiasin et Justine Benin, pour dire et redire l’urgence de cette disposition.
Alors, aujourd’hui, on parlera beaucoup de droit, je le sais, on fera référence à l’article le meilleur, le plus rigide aussi parfois. On ira chercher certainement le détail là où se cache le diable pour encadrer, « enrichir » comme on dit. Le débat doit avoir lieu, il est légitime et normal et j’y tiens, avec le plus grand respect pour l’expression de toutes les opinions.
Les amendements suscités sont certes légitimes et nourrissent en quelque sorte l’idée que cette loi était finalement espérée. Mais ne perdons pas de vue, en sagesse, l’essentiel.
Moi, j’ai eu envie de vous parler de la réalité d’une élue de ladite République d’outre-mer, celle dont les ancêtres ont dû souvent « marronner », autrement dit faire autrement, faire différent, pour faire entendre leur cause. Oui, au fond de moi, j’ai la force et la conviction que le droit sans la reconnaissance d’une humanité réelle et assumée peut mal, peut injuste, peut maladroit. Colbert, qui me surplombe ici en ce moment, avait lui aussi choisi le droit en son temps, le droit bien écrit, le droit face à l’humanité, l’humanité différente, au travers du Code noir.
En assurant à des milliers de familles décomposées, recomposées, triturées, tout en garantissant la stricte préservation de leurs droits, une fluidité contextuelle, conjoncturelle au règlement de leurs déboires, la République aura signifié son entrée magistrale dans cette revendication de la différenciation. Les meilleures lois pour l’outre-mer seront désormais celles qui préserveront ce droit à la reconnaissance d’une singularité que nous ne demandons qu’à assumer.
Aux collectivités régies par l’article 74 de la Constitution qui ont choisi de s’inscrire dans la dynamique de cette proposition de loi, je ne peux que dire : bienvenue ! Nos histoires communes ne sauraient être étranglées par le fétichisme d’un article de la Constitution. Assemblons donc tout ce qui se ressemble.
Mais ne perdons jamais de vue que nous traitons là de questions urgentes, qui faciliteront le quotidien aussi bien des maires, des élus, des responsables de l’État que de milliers, de dizaines de milliers de familles en attente dans les couloirs encombrés des tribunaux – souvent sous-dotés en moyens – de la République.
Cette résolution n’est pas destinée à devenir le point de règlement de tous les sujets liés à l’indivision. Il s’agit d’un sujet particulier. Un petit proverbe de chez nous nous rappelle : a fos makak caressé ych li i tchoué y – autrement dit : l’excès en tout nuit. Ne noyons pas l’essence de ce texte, considérons-le comme une boîte à outils pertinente.
La demande est simple : de quoi s’agit-il en fait ?
Permettre aux indivisaires de passer de l’unanimité requise pour un partage à la majorité ; permettre aux successions ouvertes depuis plus de cinq ans de procéder à la vente ou au partage du bien ; permettre aux notaires, sans passer par les tribunaux, tellement engorgés, d’accomplir les actes en prenant toutes les précautions formelles d’information.
La proposition de loi sécurise le coïndivisaire en situation protégée, notamment le conjoint survivant, le tribunal restant maître en cas d’opposition.
Cette loi est une loi de bon sens ! Elle colle au contexte, elle colle à la réalité, elle correspond à un vécu qui est récurrent dans nos pays…
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Conconne. Cette boîte à outils est utile pour nos familles en difficulté, nos paysages abîmés.
Alors, j’appelle et réclame votre confiance. Merci pour nos pays, merci pour nos peuples, madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, résultant de dévolutions successorales non réglées et parfois même non ouvertes sur plusieurs générations dans les territoires ultramarins, les situations d’indivision sont devenues inextricables.
Cet état de fait contribue au gel du foncier disponible sur des territoires insulaires où celui-ci est rare. L’activité économique y est ainsi entravée.
Cette indivision durable et généralisée trouve son origine dans des raisons propres à chaque territoire, notamment le recours peu fréquent ou tardif aux notaires, la méfiance des familles et la crainte de spoliation, le coût des mutations et taxes sur les successions pour des familles souvent modestes.
Dès lors, dans les territoires ultramarins, il est fréquent de constater des successions non réglées sur plusieurs générations et des partages non faits ou non enregistrés selon les règles, entre plusieurs dizaines et parfois plusieurs centaines d’ayants droit indivisaires !
Ainsi, à Mayotte, que connaît bien notre rapporteur, le territoire de certaines communes se trouve presque intégralement en situation d’indivision. En Polynésie française, les nombreuses indivisions réunissent parfois des centaines d’indivisaires à la faveur de successions non liquidées depuis quatre ou cinq générations.
En Martinique, 26 % du foncier est géré en indivision et 14 % supplémentaires correspondent à des successions ouvertes.
Face à cette situation particulière du foncier ultramarin, très bien décrite dans le rapport d’information de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, le législateur a souhaité intervenir pour adapter les règles du droit commun aux caractéristiques et contraintes spécifiques de ces territoires d’outre-mer en mettant en place un dispositif dérogatoire et temporaire de sortie d’indivision applicable jusqu’au 31 décembre 2028.
La commission des lois du Sénat, qui s’est inscrite dans la continuité des travaux engagés par l’Assemblée nationale, a souhaité renforcer bien plus encore l’équilibre entre efficacité et sécurité juridique du dispositif. Je m’en réjouis.
À l’article 1er, la commission des lois a étendu l’application du dispositif dérogatoire aux collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
Elle a ensuite prévu qu’il ne s’appliquerait qu’aux successions ouvertes depuis plus de dix ans et non pas aux successions ouvertes depuis plus de cinq ans, pour permettre aux héritiers d’exercer pleinement les actions qui leur sont ouvertes par le code civil.
Enfin, elle a mis en cohérence la majorité requise pour effectuer les actes d’administration et de gestion sur un bien détenu en indivision avec la nouvelle majorité retenue par le présent texte pour vendre ou partager le bien : plus de la moitié des droits indivis.
À l’article 2, en cas de projet de vente du bien à une personne étrangère à l’indivision, la commission des lois a prévu la possibilité pour tout indivisaire qui le souhaiterait d’exercer un droit de préemption pour se porter acquéreur du bien aux prix et conditions de la cession projetée.
Elle a ensuite supprimé la notion de présomption de consentement au projet de l’indivisaire qui ne se serait pas manifesté, estimant qu’il était plus pertinent de prévoir que la vente ou le partage du bien lui serait opposable.
Par ailleurs, la commission, afin d’encourager les héritiers à partager les biens indivis, a introduit un nouvel article 2 bis qui met en place une exonération de droit de partage de 2,5 % pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d’indivision.
Sur l’initiative de notre collègue Lana Tetuanui, la commission a également introduit un nouvel article 5 A, qui consacre la possibilité de procéder, en Polynésie française, à un partage du bien par souche quand le partage par tête est rendu impossible en raison notamment du nombre d’héritiers ou de l’ancienneté de la succession.
À l’article 5, la commission a étendu aux autres collectivités ultramarines concernées par le texte l’application du mécanisme créé au bénéfice de la Polynésie française, consistant à permettre au conjoint survivant ou à un héritier copropriétaire de bénéficier de l’attribution préférentielle du bien, en démontrant qu’il y a sa résidence de manière continue, paisible et publique depuis plus de dix ans au moment de l’introduction de la demande de partage en justice.
Enfin, la commission des lois a procédé à la même extension, à l’article 6, s’agissant du dispositif visant à empêcher la remise en cause d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté par un héritier omis à la suite d’une erreur ou d’une ignorance, en limitant son action à la faculté de demander de recevoir sa part, soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage.
Avant de conclure, je souhaite saluer, à cette tribune, le travail effectué par notre rapporteur sur un sujet d’une grande complexité.
Madame la ministre, mes chers collègues, conscient que cette proposition de loi ainsi enrichie par la commission des lois du Sénat ne résoudra pas, à elle seule, les importantes difficultés foncières des territoires ultramarins, notre groupe estime toutefois qu’elle constitue un outil très utile de sécurisation du foncier.
Aussi, nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi peut susciter d’emblée trois interrogations de la part de nos concitoyens ou même de nos collègues : quelle est la nécessité de légiférer spécifiquement sur la problématique de l’indivision ? pourquoi uniquement en outre-mer ? et pour quels résultats ?
Les réponses, mes chers collègues, figurent dans le rapport de mission de notre délégation à l’outre-mer.
En effet, cette proposition de loi s’inspire très largement du rapport d’information n° 721 intitulé Une sécurisation du lien à la terre respectueuse des identités foncières : 30 propositions au service du développement des territoires, paru en 2016.
Sous le titre « Une caractéristique de la situation foncière des outre-mer », M. le rapporteur nous livrait cette phrase tout à fait éclairante : « Le manque de sécurité de la propriété privée se manifeste dans la conjonction d’une carence de titrement et d’une indivision endémique. » Tous les territoires ultramarins connaissent en effet ces problématiques, avec des degrés variables de complexité.
Tout d’abord, la carence de titrement : de nombreux biens immobiliers ou terrains sont détenus sans titre de propriété ou sans document juridique. Il est donc extrêmement difficile aujourd’hui de « régulariser » ces situations, dès lors qu’un droit de propriété est contesté.
À cela s’ajoute une autre difficulté, qui se cumule souvent à la première : l’indivision, qui est largement répandue en outre-mer.
Ainsi, nombreux sont les terrains et les biens qui appartiennent non pas à une personne seule, mais à une famille. Pour réaliser une transaction immobilière, il faut donc l’accord de l’ensemble des membres de la famille, ce qui peut aisément représenter plus de dix personnes.
Cette situation « contribue au gel d’un foncier déjà très rare et étrangle ainsi le développement de territoires qui peinent à trouver une dynamique économique endogène », pour reprendre vos mots de 2016, monsieur le rapporteur.
Face à ce constat, quel est l’apport de la proposition de loi de notre collègue député Serge Letchimy ?
Le texte initial a connu des améliorations tant à l’Assemblée nationale qu’au sein de notre commission des lois. Pour citer les notaires de Saint-Martin que j’ai pris le soin de consulter en amont, « il était juridiquement surprenant qu’un texte dérogatoire fixe une majorité à 51 % pour les actes de disposition les plus graves – partages et ventes – et une majorité de deux tiers pour les actes d’administration ». Je me félicite donc de l’harmonisation à 51 % dans les deux cas ou encore de l’attribution préférentielle introduite par l’article 5.
Cependant cette proposition de loi présente des limites, car il est extrêmement fréquent que les indivisaires soient très nombreux et que plusieurs d’entre eux aient quitté le territoire et que les familles soient éclatées de par le monde. Or il y a parfois méconnaissance de l’identité et de la localisation précises de certains indivisaires.
Aussi, afin de donner plus de chances aux indivisaires d’exprimer leur désaccord éventuel, j’ai cru bon, pour tenir compte de la spécificité de mon territoire, de présenter un amendement tendant à porter de trois à quatre mois le délai leur permettant de réagir à la suite de la notification du notaire, pour les situations les plus complexes.
Un autre problème qui n’a pas du tout été abordé est celui des indivisaires en pleine capacité juridique, mais « incapables » dans la réalité. Je pense aux personnes en rupture familiale, aux personnes sous influence de substances addictives, mais aussi aux personnes en situation de handicap.
Je sais que la situation des majeurs incapables est prévue par la loi, notamment par le placement sous tutelle ou sous curatelle. Mais, à Saint-Martin, les familles n’ont pas culturellement pris l’habitude de systématiquement signaler leurs proches incapables ou ne font pas les démarches administratives nécessaires. Ce n’est que par un long processus d’acceptation psychologique et culturelle que ce sujet évoluera dans les territoires ultramarins, mais en attendant, il serait pourtant nécessaire de prendre des mesures dérogatoires et protectrices.
Il est indiscutable, mes chers collègues, que cette proposition de loi représente une avancée utile et nécessaire pour nos territoires ultramarins. C’est la raison pour laquelle je suis favorable à son application à Saint-Martin, ce qui n’était prévu ni dans la version initiale ni dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Cependant, la proposition de loi ouvre également la voie à d’autres difficultés comme le règlement financier des droits de succession pour des familles souvent largement précarisées. Car il s’agit généralement non pas de régler une succession directe, mais de traiter une suite de successions non réglées.
Nous pensions également à tort que l’indivision permettait de protéger le patrimoine familial, mais il ne faudrait pas non plus qu’il ouvre trop facilement la porte à la spéculation immobilière et foncière.
Madame la garde des sceaux, il serait opportun que le Gouvernement s’attache pleinement à travailler sur ces problèmes complexes, plus particulièrement sur celui de la carence de titrement. Dix ans après notre accession au statut de collectivité, il est urgent de régler définitivement et en profondeur la question du cadastre à Saint-Martin.
Le groupe du RDSE, malgré les réserves que je viens d’évoquer, votera à l’unanimité en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. le rapporteur applaudit également.)