Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le 15 avril prochain, nous arriverons à l’échéance de l’expérimentation prévue dans le cadre de la loi Brottes, loi qui a été promulguée en avril 2013 et qui avait pour objectif de garantir l’accès à l’eau potable et de mettre en œuvre une tarification sociale de l’eau.
Je remercie nos collègues du groupe socialiste et républicain de leur initiative indispensable pour prolonger cette expérimentation importante. Il était plus que temps de légiférer ! L’effectivité du droit à l’eau représente en effet un enjeu fort, un symbole indéniable. Il s’agit d’un indicateur de la réalité de la cohésion de nos sociétés et de la protection des plus faibles.
Un consensus existe pour considérer que le coût de la facture d’eau est excessif lorsqu’il dépasse 3 % des revenus. Le constat est édifiant : environ un million de ménages font face à une facture démesurée. Ces ménages ne sont parfois plus en mesure de payer leur facture, ce qui entraîne des réductions du débit de l’eau, voire des coupures brutales. Il s’agit là de difficultés quotidiennes qui sont intolérables pour certaines familles. Aujourd’hui, de nombreux exemples font d’ailleurs la une des médias.
Cette situation est inacceptable. Face à cette réalité, plusieurs communes ou groupements de communes ont pris leurs responsabilités en expérimentant la tarification sociale de l’eau sur leur territoire. Le dispositif leur permet de définir des tarifs sociaux en tenant compte de la composition ou du revenu des foyers. Les collectivités peuvent également prévoir un soutien financier au paiement des factures d’eau en identifiant les solutions les plus adaptées aux différentes situations de précarité. Cette expérimentation permettra de mesurer les coûts de gestion de ces différents dispositifs.
Néanmoins, un retard important a été enregistré dans la mise en œuvre de ces expérimentations : seuls vingt-six projets ont été lancés depuis 2015 ; le retour d’expérience n’est donc pas encore suffisamment établi.
Il existe quand même un rapport d’étape intéressant sur la mise en œuvre de l’expérimentation, qui a été établi par le Comité national de l’eau en avril 2017. Ce rapport donne une idée des difficultés rencontrées. Ainsi, malgré une vaste campagne d’information, Nantes Métropole signale que seuls treize ménages ont demandé à être intégrés au processus de tarification solidaire. Cet exemple montre, disons-le sans langue de bois, qu’il existe un vrai risque d’empilement des dispositifs, au-delà des difficultés à informer les principaux intéressés.
De même, Bordeaux Métropole, qui a aussi développé une approche préventive par l’utilisation du « chèque eau », souligne dans sa note de synthèse que le développement du dispositif reste très lié localement à l’engagement des équipes de travailleurs sociaux. Le travail d’information et de reconnaissance du dispositif se poursuit d’ailleurs encore auprès de ces équipes. Ces constats prouvent qu’il est primordial de faire bénéficier ces collectivités d’un support légal pendant trois années supplémentaires. Cette prorogation permettra d’évaluer pleinement les dispositifs.
Cependant, la tarification sociale de l’eau n’est que l’un des aspects de cette vaste question de l’accès à l’eau et à l’assainissement.
J’ai eu la tentation – je vous l’avoue, madame la rapporteur – d’utiliser ce texte pour restaurer, par un ensemble d’amendements, la proposition de loi « visant à la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement », texte dont j’étais le rapporteur il y a tout juste un an. Le souvenir reste douloureux pour certains d’entre nous – ils se reconnaîtront ! (Sourires.) Le texte avait été systématiquement détricoté par la majorité sénatoriale, davantage pour des raisons de calcul politique immédiat dans une période préélectorale…
M. Charles Revet. Oh, monsieur Dantec !
M. Ronan Dantec. … que pour de véritables raisons de fond, je le crains !
Je n’ai pas cédé à cette tentation, car il me semble que nous avons la possibilité, avec ce nouveau cycle de trois ans, de trouver des consensus et de dépasser certaines craintes au sujet des charges nouvelles qu’auraient à assumer les collectivités ou des détournements dont pourraient profiter de mauvais payeurs qui ne seraient pas en situation précaire.
Je rappelle que ce texte martyrisé (Sourires.), mais qui se trouve potentiellement toujours dans les « tuyaux » du Sénat, était défendu par de grandes associations, dont la fondation France Libertés de Danièle Mitterrand, et soutenu par de grandes entreprises de l’eau. Avant l’hallali sénatorial, l’Assemblée nationale l’avait approuvé à une large majorité. On doit pouvoir arriver à progresser sur ce point, avec un peu de temps et d’échanges sans a priori.
Pour ce qui est du texte examiné aujourd’hui, nous approuvons les ajustements apportés par la commission. Le texte ainsi modifié permettra d’accompagner au mieux les élus locaux qui se sont engagés dans cette démarche expérimentale. Ainsi, les conditions légales seront réunies pour que les expérimentations actuelles puissent produire tous leurs effets, condition indispensable pour parvenir à une évaluation complète de cette mesure d’efficacité sociale et faciliter la généralisation des solutions les plus pertinentes.
Il ne faut pas non plus oublier que l’accès à l’assainissement et les investissements dans ce domaine, notamment dans le cadre du service public d’assainissement non collectif, le SPANC, sont certainement un enjeu social encore plus important aujourd’hui que celui de l’accès à l’eau, et qu’il faudra aussi revenir sur cette question.
Le groupe du RDSE est globalement favorable à la poursuite de cette expérimentation – malgré quelques points de vigilance, monsieur le président Requier ! Il votera largement ce texte de bon sens que nous attendions. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain. – Mme la rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Madrelle, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Philippe Madrelle. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer le travail fait par les auteurs de la proposition de loi, ainsi que celui conduit par Mme la rapporteur.
Il y a un peu plus d’un an, à cette même tribune, je défendais au nom du groupe socialiste et républicain, et avec le groupe écologiste, un texte de portée universelle : la proposition de loi visant à la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement. Nous étions contraints de déplorer, comme Ronan Dantec vient de le rappeler à l’instant, l’inexplicable attitude de blocage de la majorité sénatoriale, qui a alors empêché l’inscription de ce droit d’accès à l’eau pour tous dans la Constitution.
Cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi Brottes du 15 avril 2013 portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et introduisant, pour les collectivités locales qui le souhaitent, la possibilité d’une expérimentation d’une tarification sociale de l’eau durant cinq années, on ne peut que se féliciter de l’examen de cette proposition de loi visant à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau. Ce texte vise en effet à rendre l’eau accessible dans des conditions économiques acceptables pour tous.
Élément indispensable à la dignité humaine, l’eau ou, plus précisément, le droit d’accès à l’eau potable est loin d’être une réalité pour tous, tant au-delà de nos frontières que sur l’ensemble de notre territoire. Un million de ménages ont accès à l’eau en payant un prix considéré comme excessif par rapport à leurs revenus. Plus de 100 000 personnes ne bénéficient pas d’un accès direct à l’eau et à l’assainissement : je pense plus précisément aux populations des squats. Il y a là une urgence sociale !
Une cinquantaine de collectivités territoriales ont choisi d’expérimenter les dispositifs proposés. La lecture du rapport d’étape établi par le Comité national de l’eau permet de constater la variété des dispositifs mis en place par les collectivités, qui ont le choix entre le versement automatique d’aides ou l’instauration d’une modulation tarifaire par la définition de tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer et pouvant ainsi inclure une première tranche de consommation gratuite. Cette gratuité avait elle-même été expérimentée à Libourne par le maire de l’époque, Gilbert Mitterrand.
La présentation effectuée par les collectivités locales qui ont expérimenté cette tarification sociale de l’eau révèle le souci d’une maîtrise des coûts de gestion, qui est à considérer par rapport à l’efficacité des dispositifs et qui doit être compatible avec le budget qu’elles consacrent à l’eau et l’assainissement.
Elle montre également l’importance du travail fait en amont avec les organismes gestionnaires comme la CAF ou la CPAM pour la transmission des données individuelles, la nécessité d’un travail de sensibilisation avec les délégataires et les bailleurs sociaux, sans oublier une sensibilisation des consommateurs en faveur d’une utilisation économe de l’eau, ce qui constitue l’un des moyens les plus efficaces pour limiter le poids de la facture d’eau dans les foyers.
Les collectivités locales qui se sont lancées dans cette expérimentation cherchent à simplifier les procédures pour accroître l’efficacité des dispositifs. Il faut souhaiter qu’un plus grand nombre de collectivités s’engage. La poursuite de l’expérimentation devrait en tout état de cause faciliter l’échange d’expériences et favoriser la nécessaire évaluation de la viabilité et de l’efficacité de la démarche.
Prolonger ces dispositifs serait positif. Il faut toutefois déplorer le fait que ceux-ci sont territorialisés et expérimentaux. Il ne faudrait pas qu’un nombre toujours aussi élevé de ménages « galère » encore dans trois ans pour payer sa facture d’eau ! N’oublions pas, comme le répétait Danièle Mitterrand, que « l’eau, c’est la vie ». Ce droit d’accès à l’eau potable ne saurait être réduit à une aide facultative et expérimentale.
Avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, je voterai ce texte en vous demandant de poursuivre notre réflexion et notre inlassable combat pour la nécessaire inscription du droit à l’eau dans la Constitution ! D’autres États comme la Slovénie ou le Burkina Faso l’ont fait bien avant nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je dois à la vérité de reconnaître que je m’exprime aujourd’hui devant vous en étant d’une certaine façon « juge et partie ».
En effet, la métropole du Grand Nancy dont je suis élu a choisi de mettre en place cette expérimentation sur son territoire et a fait partie des groupements pionniers en la matière : nous avons été retenus dès la publication du décret du 14 avril 2015 fixant la liste des collectivités territoriales et de leurs groupements choisis pour y participer. Aussi, je ne manquerai pas de revenir sur l’expérimentation dans notre métropole.
La réflexion a débuté bien avant l’adoption définitive de la loi Brottes du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes. Comme cela a déjà été précisé, le point de départ a assurément été la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, la LEMA, qui a consacré un droit d’accès à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables pour tous.
Je voudrais également rappeler le travail de notre collègue Christian Cambon, à l’origine de la loi du 7 février 2011 relative à la solidarité dans les domaines de l’alimentation en eau et de l’assainissement qui a constitué une étape décisive dans la mise en œuvre de la LEMA.
Pourquoi ce rappel historique ? La raison d’être de cette expérimentation est de favoriser la mise en place d’aides préventives plutôt que de s’évertuer à accumuler les dispositifs par nature et trop souvent curatifs.
Comme en témoigne l’instruction du Gouvernement en date du 4 mars 2014 relative à la mise en œuvre de l’expérimentation, cette tarification sociale de l’eau peut prendre plusieurs formes : soit une aide au paiement des factures, qui constitue une aide curative, soit une aide à l’accès à l’eau, qui est une aide préventive. Les collectivités locales ont le choix et peuvent ainsi inclure une première tranche de consommation gratuite ou envisager une autre approche fondée sur un barème reposant lui-même sur les caractéristiques des abonnés.
L’idée de cette expérimentation, conformément à la philosophie de l’article 72 de la Constitution, est de donner la plus grande latitude possible aux collectivités territoriales et aux élus pour soutenir une politique qu’ils jugent utile pour leur territoire.
Pour cette raison, nous avons par principe un regard bienveillant à l’endroit de cette proposition de loi.
Le cas de la métropole du Grand Nancy est à ce titre intéressant, puisque nous avions unanimement choisi de retenir une formule singulière dans laquelle les CCAS, les centres communaux d’action sociale, se sont vu confier l’attribution des aides après que la métropole a procédé à l’attribution des enveloppes entre les vingt communes. La grille de répartition des fonds entre les villes était calquée sur celle utilisée par l’État pour la péréquation verticale dans le cadre du mécanisme de la dotation de solidarité urbaine.
Je me dois d’ailleurs de vous le dire, à ce jour, les résultats sont mitigés : pour la seule ville de Nancy, soit près de la moitié de la population de la métropole, moins de 50 % des crédits ont été utilisés. Nous avons constaté une montée en puissance du dispositif, suivie peu après d’un ajustement. C’est la raison pour laquelle je continue de penser qu’il faut poursuivre l’expérimentation, ce qui est conforme à la position prise par mon groupe.
Qu’apporteront ces trois années supplémentaires ? Les évaluations sont-elles suffisantes ?
Je viens d’évoquer l’exemple de Nancy, mais je tiens également à rappeler l’avis du Comité national de l’eau qui estime lui aussi utile de prolonger le dispositif. Il nous faut simplement dès aujourd’hui davantage réfléchir à sa pertinence. Ne faut-il pas aller encore plus loin en amont de l’aide curative pour donner accès à l’eau à ces populations précaires qui cumulent les handicaps ?
C’est la raison pour laquelle nous pensons sans aucune retenue qu’il faut poursuivre l’expérimentation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Angèle Préville. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, je ne peux qu’appuyer les interventions des collègues qui m’ont précédée.
Cette proposition de loi déposée par le groupe socialiste et républicain répond à de véritables enjeux sociaux et écologiques, ainsi qu’en matière de développement durable. La prorogation de l’expérimentation est nécessaire et doit permettre une plus grande efficacité des dispositifs mis en œuvre.
Les collectivités locales retenues ont pris du retard. Cela résulte du temps consacré à l’élaboration de leur projet. Il est évident que nous nous devons de laisser ces expérimentations se poursuivre.
L’eau constitue un véritable poste de dépense pour le budget des ménages. Grâce à la loi Brottes, les collectivités choisies peuvent expérimenter des pistes diverses en aide aux familles à faibles revenus : modulation tarifaire, écrêtement de la facture ou encore « chèque eau ». En effet, le prix de l’eau est bien un facteur d’inégalités. Comme vous le savez, ce coût varie selon les lieux, dans la mesure où il dépend des investissements, des coûts nécessaires à son exploitation, à sa distribution et au traitement des eaux usées. En Martinique, le prix du mètre cube s’est élevé à quatre fois celui du mètre cube dans l’Hexagone.
Il est donc nécessaire d’aider l’ensemble des collectivités retenues à mettre en œuvre ce droit inaliénable et universel d’accès à l’eau.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui pose de véritables questions de solidarité et de progrès.
Ce que l’on appelle le « seuil d’acceptabilité » est évalué à 3 % : il s’agit du pourcentage des revenus consacré au paiement des factures d’eau et d’assainissement. Aujourd’hui, ce seuil est dépassé pour plus de deux millions de personnes. Il s’agit bien entendu d’aider ces foyers en difficulté en amont, mais aussi de lutter contre la précarité hydrique. Le droit à l’eau est inscrit dans la loi.
Si nous avons la chance de disposer de bons services publics de l’eau et de l’assainissement en France, il est nécessaire de faire progresser le cadre réglementaire pour l’accès à l’eau. Il s’agit d’enclencher tous les leviers pour la mise en œuvre du droit de l’humain à l’eau potable. Cette tarification sociale s’inscrit dans les objectifs de développement durable, les fameux ODD, qui sont au nombre de dix-sept, et correspond plus exactement à l’objectif n° 6. Ces ODD forment l’essentiel de l’Agenda 2030 et sont complémentaires de l’accord de Paris sur le climat.
Au travers de l’examen de ce texte, nous devons par ailleurs regarder la réalité telle qu’elle s’annonce : l’eau potable va coûter de plus en plus cher, car le coût de l’assainissement va augmenter. En effet, nos ressources en eau – je rappelle qu’il s’agit de moins de 1 % de l’eau disponible sur Terre – sont de plus en plus polluées et le coût des traitements pour maintenir une eau potable de qualité ne cesse de s’envoler.
Aujourd’hui, en France, la moitié des eaux de surfaces ne sont plus potables. Cette dégradation s’explique par la présence de pesticides, de métaux, de mercure – souvenons-nous à cet égard de la catastrophe pour l’humanité que fut Minamata au Japon et des conséquences terribles du mercure sur la santé –, de déchets médicamenteux et autres molécules artificielles non dégradables naturellement.
Les trois quarts des nappes phréatiques contiennent des nitrates et la question de la mise en œuvre de politiques publiques de diminution des pollutions résiduelles a déjà été soulevée. Quels traitements devrons-nous imaginer dans l’avenir et quelles répercussions auront-ils sur le prix de l’eau ? La réponse à ces questions légitime d’autant plus la démarche qui est à l’origine de cette proposition de loi.
Je poursuivrai sur un aspect fort de ce texte : l’objectif d’écologie responsable. Au cours de l’expérimentation, certaines collectivités locales ont assorti le projet d’une véritable politique de sensibilisation et d’incitation. Il a ainsi été possible de réduire les prélèvements sur la ressource.
Je vois dans ces expérimentations une responsabilisation de l’usager. La sensibilisation à l’économie de la ressource en eau est symbolisée par l’exemple du mécanisme « éco-solidaire » mis en place dans le Dunkerquois. L’idée selon laquelle « moins l’on consomme, moins l’eau est chère » a permis une baisse générale de la consommation. La prise de conscience par chacun de son « empreinte eau » et l’adoption d’un comportement responsable sont donc au cœur de la proposition de loi que nous examinons.
Dernier point que je souhaite évoquer : l’aspect expérimental de la démarche.
Comme le disait Léonard de Vinci : « Détourne-toi des préceptes de ceux qui spéculent sur le monde, mais dont les raisons ne sont pas confirmées par l’expérience. L’expérience ne se trompe jamais, ce sont nos jugements qui se trompent. »
L’intérêt de ce texte est certain : il permettra non seulement de mettre en œuvre des mécanismes différents selon les acteurs, les territoires et les usagers concernés, mais aussi d’engager des politiques responsables dans un but social et écologique. Des lignes très prometteuses émergent d’ores et déjà.
« Expérimenter, c’est imaginer », disait Nietzsche. C’est bien le mot d’ordre des collectivités locales retenues pour ce projet, qui ont pu mettre en place cette tarification selon différents modes, souvent en l’assortissant d’une politique de sensibilisation.
Les résultats de ces expérimentations seront donc précieux. Cette proposition de loi est un vecteur ambitieux et audacieux. Il l’est d’abord par sa visée sociale. Comment d’ailleurs un bien inaliénable peut-il encore être vecteur d’inégalités ?
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Angèle Préville. Il l’est ensuite par ses fins écologiques absolument nécessaires dans le contexte actuel. Cela n’est plus à démontrer. Il est grand temps de poursuivre cette expérimentation, qui est celle du progrès, de la solidarité et de l’écologie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour le groupe Les Républicains.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, je salue l’initiative de nos collègues Monique Lubin, Éric Kerrouche, Patrick Kanner, ainsi que des membres du groupe socialiste et républicain, qui ont déposé cette proposition de loi visant à proroger l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau jusqu’au 15 avril 2021.
L’eau est en effet un bien précieux. Défendre et préserver les ressources en eau constitue une priorité et un enjeu important : l’eau, c’est la vie. L’accès à l’eau pour tous constitue un combat permanent, qu’il s’agisse de l’accès à l’eau potable ou à l’assainissement.
Il est fait référence dans ce texte à la loi Brottes du 15 avril 2013 grâce à laquelle cinquante collectivités en métropole, mais également outre-mer, ont mis en place une expérimentation au niveau des tarifs.
Monsieur le ministre d’État, vous avez évoqué les assises de l’eau qui seront organisées cette année, en 2018 : cela montre que cette question représente une vraie priorité.
Parallèlement à l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau, il convient de prendre en compte les travaux d’entretien et les investissements nécessaires à la modernisation des réseaux et des installations.
Ancien maire d’un village de 160 habitants dans les Ardennes de 2001 à 2017, simple conseiller municipal aujourd’hui, j’ai réellement pu mesurer l’ampleur de la tâche qui consiste à gérer le service des eaux. On fait l’objet de beaucoup de sollicitations des uns et des autres, parce que tout s’arrête quand il n’y a plus d’eau au robinet ! (Sourires.)
Gérer le service des eaux à l’échelle d’une commune isolée, avec un budget annexe s’élevant à moins de 20 000 euros, est un véritable parcours du combattant.
Il faut d’abord prendre en compte la qualité de l’eau avec les analyses régulières faites sous l’autorité des agences régionales de santé. Il faut ensuite verser une redevance à l’agence de l’eau en fonction du volume d’eau puisé dans les nappes phréatiques, régler les factures d’électricité ou de téléphone concernant le fonctionnement des stations de pompage ou des réservoirs. Il faut enfin tenir compte des frais de maintenance qui sont pris en charge par un syndicat intercommunal dans l’exemple que je me permets de présenter, d’où l’importance de la notion de « proximité » et la nécessité de soutenir les petits syndicats de gestion des eaux.
La lutte contre les fuites est également un sujet important. Il faut malheureusement déplorer beaucoup de pertes : l’eau s’infiltre partout, ce qui entraîne des gaspillages et des coûts supplémentaires. Il est par conséquent nécessaire d’investir régulièrement et de lancer des travaux pour moderniser les réseaux, travaux qui sont souvent assez peu subventionnés.
Face à ces dépenses, il convient de fixer des recettes, à l’origine de l’évolution du prix de l’eau. À titre d’exemple, nous proposions trois différents tarifs, dégressifs de 1,2 euro à 0,8 euro par mètre cube, ce dernier tarif étant destiné aux plus gros consommateurs. Ces tarifs avaient notamment vocation à soutenir le monde agricole.
Le tarif de l’eau est modique dans beaucoup de communes rurales : l’assainissement est individuel avec la mise en place des SPANC. Cependant, les difficultés pour régler ses factures existent aussi dans les villages, où les impayés sont fréquents. J’en profite pour souligner le bon partenariat qui existe avec nos trésoriers, en particulier la direction départementale des finances publiques qui aide les élus et le personnel à percevoir les recettes et à trouver des solutions pour les redevables.
Le prix de l’eau est très variable d’une commune à l’autre, selon que celui-ci intègre ou non l’assainissement collectif. L’analyse des factures d’eau est complexe, puisque celles-ci intègrent différentes taxes et redevances et font référence à un taux de TVA variable.
Compte tenu de l’intérêt que cette expérimentation représente pour les communes, intercommunalités, métropoles et syndicats de communes, et même si nous reconnaissons les objectifs louables que le texte cherche à atteindre, ainsi que la qualité du travail fait par nos collègues sur ce sujet important, notre groupe s’abstiendra de façon positive sur cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Patrick Kanner. Dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Nicolas Hulot, ministre d’État. Je voudrais très brièvement apporter quelques réponses.
Le rapport d’évaluation est en cours de réalisation. Il sera examiné en commission, puis adopté par le Comité national de l’eau le 20 juin prochain. Évidemment, mesdames, messieurs les sénateurs, il vous sera aussitôt transmis.
Les assises de l’eau, je vous le confirme, se tiendront en deux phases. La première débutera probablement dans le courant de ce mois-ci ou au tout début du mois suivant, et sera plutôt consacrée au petit cycle de l’eau. Comme le sujet mérite tout de même que l’on y consacre un peu de temps – tout le monde, me semble-t-il, a réalisé à quel point la situation est complexe et tendue –, le grand cycle de l’eau sera examiné dans une seconde phase, sans doute après l’été.
C’est la première fois que j’assiste à un tel moment de concorde. (M. Ronan Dantec s’exclame.) Une fois n’est pas coutume, peut-être…