PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Investissements dans les réseaux à très haut débit
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit, présentée par M. Patrick Chaize (proposition n° 83, texte de la commission n° 323, rapport n° 322).
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous rappelle que, conformément aux conclusions de la conférence des présidents réunie le 21 février dernier, nous suspendrons nos travaux à dix-sept heures. Ils seront repris, le cas échéant, à vingt et une heures, pour la suite de l’examen de ce texte.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi.
M. Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en tant qu’auteur de la présente proposition de loi, je souhaiterais tout d’abord rappeler le contexte dans lequel le texte que nous allons examiner a été élaboré : à l’été 2017, un opérateur de télécommunications a annoncé son intention de couvrir l’ensemble du territoire en fibre optique par son propre réseau, menaçant ainsi l’équilibre fragile issu du partage des territoires entre la zone d’initiative privée et les réseaux d’initiative publique, pourtant indispensable afin d’assurer rapidement la couverture intégrale de notre pays, en conformité avec le plan gouvernemental.
Si l’opérateur en question est revenu sur son intention déclarée de « fibrer la France », cette accalmie, donc passagère, dissimule la réalité des rapports de force locaux entre opérateurs et collectivités. Nul besoin de chercher bien loin pour s’en convaincre : le cas des Yvelines, département dont sont issus notre rapporteur, Marta de Cidrac, et notre président, Gérard Larcher, nous rappelle qu’un opérateur privé peut chercher à dupliquer un réseau d’initiative publique et que les pouvoirs publics sont bien en peine, en l’état actuel du droit, de l’en empêcher. Je pourrais également citer l’île de La Réunion et, malheureusement, bien d’autres cas encore.
Il y a donc encore aujourd’hui un besoin de sécurisation. Alors, monsieur le secrétaire d’État, j’ai fait un rêve : le rêve que cette proposition de loi apporte aux collectivités territoriales et à leurs groupements, qui contribuent directement à l’aménagement numérique de leurs territoires, cette sécurisation. Les élus sont très impliqués dans les déploiements de réseaux à très haut débit en fibre optique et ont fait des efforts considérables qui ne sauraient ni être oubliés ni laissés sans protection de notre part.
Les dispositions contenues dans la proposition de loi visent ainsi à fournir un cadre sécurisant pour les investissements favorables à l’aménagement numérique du territoire, mais aussi contraignant s’agissant des engagements de déploiement des opérateurs. Pour atteindre ces objectifs et m’assurer que le texte qui vous est soumis aujourd’hui réponde effectivement à des problématiques concrètes, j’ai été en relation constante avec l’ensemble des acteurs concernés, publics et privés, y compris avec le Gouvernement. J’ai également échangé avec des représentants de la Commission européenne, qui m’ont indiqué être en phase avec le texte, dans le contexte de l’élaboration du code européen des communications électroniques.
L’objectif actuel de l’Union européenne est de donner les moyens législatifs et réglementaires aux autorités compétentes - l’État, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, les collectivités et leurs groupements - pour écarter tout risque de superposition d’un réseau en fibre optique déployé ou en voie de déploiement avec un autre réseau du même type. J’insiste sur ce point, car il a pu nous être opposé que le calendrier de la proposition de loi n’était pas optimal. Dès lors que le texte présenté aujourd’hui s’inscrit en cohérence avec ce que nous devrons transposer dans les prochaines années, cet argument semble peu opportun. Au contraire, je considère qu’en matière de transposition il vaut mieux anticiper que subir. C’est aussi une condition pour que la France pèse à sa juste mesure dans le concert européen.
Le texte qui vous est présenté aujourd’hui est donc bien nécessaire et pertinent, ce qui ne signifie pas qu’il ne pourra pas évoluer au cours de la navette parlementaire en fonction de la stabilisation du cadre européen et du contexte national concernant les réseaux fixes à très haut débit. Sa philosophie générale peut se résumer ainsi : il s’agit d’accélérer le déploiement des réseaux à très haut débit en fibre optique sur l’ensemble du territoire français. Le déploiement de cette technologie me paraît essentiel à au moins deux égards.
D’abord, pour une raison d’équité territoriale et sociale : nous avons la responsabilité de permettre à chaque citoyen français l’accès aux réseaux de communications, où qu’il se trouve sur le territoire. C’est une condition de la cohésion nationale et de la mobilité sociale. On ne peut imaginer la fibre pour les villes et des technologies dégradées pour les champs.
Ensuite, pour une raison d’attractivité : la France est régulièrement mise en avant dans les classements internationaux pour la qualité et la densité de ses infrastructures, et celles concernant le numérique sont particulièrement stratégiques au XXIe siècle. Nous ne pouvons donc pas faire l’économie du déploiement d’une technologie qui a fait ses preuves et qui permettra de renforcer la performance de nos entreprises et l’attractivité de notre pays.
Les treize articles constituant la proposition de loi initiale répondent donc à deux enjeux principaux.
Le premier est la sécurisation des investissements dans les réseaux en fibre optique. Les engagements de déploiement des opérateurs doivent être juridiquement contraignants et les acteurs publics, que ce soient les collectivités ou l’ARCEP, doivent disposer de davantage de possibilités pour assurer la cohérence des déploiements. C’est l’objet du titre Ier de la proposition de loi, regroupant les articles 1er à 7, qui prévoient notamment de formaliser la répartition et les calendriers de déploiement, de renforcer les pouvoirs de contrôle de l’ARCEP pour en assurer le suivi, le cas échéant, de sanctionner, et de s’appuyer sur les permissions de voirie pour prévenir la duplication des réseaux et les éventuelles stratégies de préemption des opérateurs.
Le deuxième enjeu auquel répond le texte est le besoin d’incitation aux investissements dans les réseaux en fibre optique. En prévoyant l’extinction progressive du cuivre et des mesures d’exonération fiscale visant à la transition vers la fibre optique, le titre II du texte et les articles 8 à 10 visent à accélérer le rythme des déploiements.
Quant à l’article 11, il tire les conséquences de l’approche qualitative désormais retenue par l’ARCEP pour l’évaluation de la couverture mobile sur l’ensemble du territoire. Il s’agit de renforcer les obligations pesant sur les opérateurs, pour que, dans chaque commune, les habitants puissent utiliser les services « de base » du mobile, à savoir la messagerie, le téléphone et l’accès à l’internet mobile. Cela me semble être une exigence minimale.
Je souhaite saluer la qualité de l’écoute et du travail de la rapporteur, Marta de Cidrac, qui s’est rapidement approprié ce sujet particulièrement technique et a conduit un grand nombre d’auditions dans un délai très restreint. Le texte sort renforcé de son examen par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et je m’en félicite. Les ajouts et précisions apportés par la rapporteur consolident les dispositifs prévus, et j’ai moi-même proposé d’apporter des compléments au texte sur le statut de « zone fibrée » et sur l’IFER fixe.
Il me semblait important, s’agissant de la zone fibrée, que l’attribution de ce statut se fasse dans une logique plus transparente et liée à la réalité des déploiements des réseaux, sans sollicitation des opérateurs. L’ARCEP voit ainsi sa compétence consolidée et devra suivre avec précision et attention l’état d’avancement des déploiements.
S’agissant de l’IFER fixe, conditionner son application à la délivrance du statut de « zone fibrée » permettra par ailleurs une application plus progressive de cette imposition aux nouveaux réseaux.
Avant de conclure, je voudrais vous faire part de la suite de mon rêve : le rêve que le Gouvernement, porté par son ADN ni de droite ni de gauche, soutienne clairement cette initiative ou, du moins, adopte une position non équivoque sur son contenu. Il y a, je l’ai rappelé, de vrais problèmes à résoudre et, jusqu’à présent, en dépit de nos nombreux échanges avec le Gouvernement, nous n’avons obtenu de réponses suffisamment claires, ni sur le texte en lui-même, ni sur les inquiétudes des élus, ni même sur de vraies alternatives pour y répondre. Notre impatience est donc en passe de se transformer en déception, alors même que le Sénat est prêt à des concessions ou à des évolutions. Je forme donc le vœu, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que les débats d’aujourd’hui permettent enfin d’avancer ensemble sur ces sujets.
Le constat fait récemment sur le mobile – vous avez largement évoqué un accord historique, monsieur le secrétaire d’État – doit nous inciter à anticiper pour le fixe. Il y a aujourd’hui urgence. J’espère que vous allez pouvoir me dire que ce rêve est en fait une réalité et que nous allons collectivement construire un texte répondant aux objectifs d’aménagement des territoires en étant plus qu’attentifs à leur cohésion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Marta de Cidrac, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où internet est considéré comme un bien commun, l’ensemble de nos concitoyens doit pouvoir y accéder dans de bonnes conditions et dans des délais raisonnables. Dans ce but, il est indispensable que des réseaux de communications électroniques de dernière génération puissent irriguer rapidement l’ensemble de notre pays. Ce déploiement doit bénéficier à tous, sans privilégier certaines zones au détriment de territoires moins denses, mais susceptibles de tirer profit autant sinon davantage du numérique.
Au regard de cet objectif prioritaire d’aménagement du territoire, la France s’est dotée depuis 2010 d’une programmation nationale en vue de déployer le très haut débit, permettant d’offrir des perspectives d’accès aux habitants de tous les territoires. Ce plan est fondé sur la complémentarité entre l’offre privée et l’initiative publique, cette dernière ayant été sollicitée pour compenser le manque d’intérêt économique des opérateurs sur une grande partie du territoire national. Or, au cours de l’année 2017, plusieurs annonces et tentatives d’opérateurs privés ont laissé paraître un risque de duplication des réseaux sur certaines zones prises en charge par les pouvoirs publics. Par ailleurs, la concrétisation pleine et entière des intentions des opérateurs dans la zone réservée à l’initiative privée reste depuis plusieurs années une source de vives inquiétudes pour les collectivités et les habitants concernés.
Remettant en cause les principes structurants du déploiement du très haut débit, ces différents éléments ont révélé la fragilité d’un programme fondé sur un simple consensus entre acteurs publics et privés. Afin de répondre à ces difficultés, la présente proposition de loi a été déposée au Sénat le 10 novembre 2017 par notre collègue Patrick Chaize, que je remercie, et de nombreux membres du groupe Les Républicains.
Je ne reviendrai pas en détail sur le contenu de la proposition de loi que mon collègue vient de vous présenter synthétiquement, et dont l’analyse détaillée figure dans le rapport de la commission. Le principal objectif de ce texte est de mettre en place des outils législatifs et réglementaires permettant d’éviter les superpositions entre réseaux en fibre optique afin de conforter la complémentarité public-privé retenue par le plan France très haut débit. Le texte comprend également des dispositions relatives à la couverture du territoire par les réseaux mobiles, visant à actualiser les critères de couverture des zones blanches et à accélérer les déploiements de stations de radio.
Lors de l’examen du texte, la commission a très largement confirmé plusieurs inquiétudes relatives à la poursuite du déploiement. Celles-ci concernent en particulier les risques de concurrence des réseaux d’initiative publique par des projets privés, ainsi que le manque de garanties sur la réalisation des intentions exprimées par les opérateurs privés dans la zone de déploiement qui leur est réservée depuis 2011.
Jugeant qu’un projet d’une telle ampleur financière ne saurait se poursuivre dans de bonnes conditions sans être sécurisé juridiquement, notre commission a approuvé les objectifs de la proposition de loi, en apportant certains ajustements aux solutions proposées.
Notre commission a ainsi procédé à une réécriture de l’article 2, prévoyant l’établissement d’une liste fixant les responsabilités et les calendriers du déploiement des réseaux en fibre optique. Notre objectif était de ne pas modifier le fondement juridique sur lequel des négociations sont en cours entre l’État et les opérateurs privés. Tout en tenant compte de ce contexte spécifique, nous avons jugé nécessaire de maintenir un dispositif visant à formaliser la répartition des responsabilités. Par cette réécriture, la commission a apporté plusieurs compléments, en excluant les zones très denses du dispositif, en prévoyant un avis public de l’ARCEP sur le projet de liste et en précisant le traitement des cas de duplication.
Notre commission a par ailleurs souhaité apporter des précisions à l’article 6, permettant aux autorités chargées de délivrer les permissions de voirie de mieux tenir compte des objectifs de mutualisation afin de prévenir les stratégies de duplication des réseaux ou de préemption du domaine public.
À l’article 8, une nouvelle rédaction a été adoptée pour organiser le rachat des infrastructures d’accueil des réseaux en cuivre afin de laisser davantage de marges de manœuvre aux collectivités. Cet article a également fait l’objet d’un complément, sur l’initiative de notre collègue Patrick Chaize, en vue de conforter le rôle de l’ARCEP pour l’attribution du statut de « zone fibrée ».
Notre commission a par ailleurs adopté un article additionnel conditionnant l’extension aux réseaux en fibre optique de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux à la délivrance du statut de « zone fibrée », afin d’assurer une application plus progressive de cette imposition.
Enfin, une modification a été apportée à l’article 11, en vue de relever les exigences de couverture des zones blanches de la téléphonie mobile, pour assurer la disparition rapide de ces situations, devenues insupportables pour les habitants concernés.
Permettez-moi à présent de mentionner trois éléments de contexte, qu’il nous faut avoir à l’esprit dans nos travaux.
Le premier concerne les risques de duplication, qui sont à l’origine du présent texte. Bien que l’opérateur à la source des perturbations du plan en 2017 ait affirmé avoir renoncé à ses intentions initiales, rien n’empêche un autre opérateur de mener demain des déploiements concurrents à un réseau public. Dans mon département des Yvelines, je pourrais vous citer, monsieur le secrétaire d’État, le cas de la commune de Beynes, dans laquelle un grand opérateur privé déploie en ce moment même son réseau en doublon du RIP.
Le principal risque identifié par les collectivités est une duplication partielle des réseaux par des opérateurs privés décidant de se déployer sur les parties les plus rentables. Une telle stratégie fragiliserait significativement l’équilibre économique des RIP, déployés sur l’intégralité de la zone, dans une logique d’aménagement du territoire.
Le deuxième élément concerne le nouveau paquet Télécom en cours de négociation au niveau européen. L’article 22 du projet de code européen vise précisément à mieux identifier les intentions des opérateurs et à lutter contre les projets de réseaux non déclarés.
Si les discussions entre institutions européennes ne sont pas achevées, il est légitime de la part du législateur national de proposer une voie, le cas échéant par anticipation. Nous réaffirmons ainsi les préoccupations des pouvoirs publics français, en tenant compte des choix spécifiques qu’a faits notre pays en faveur du très haut débit.
Le troisième élément, monsieur le secrétaire d’État, concerne les négociations actuellement menées par le Gouvernement avec les opérateurs privés en vue d’obtenir de leur part des engagements précis et opposables sur les déploiements de réseaux en fibre optique.
Comme je l’ai déjà indiqué, nous avons souhaité en tenir compte en ne modifiant pas le fondement juridique sur lequel sont menées ces discussions pour ne pas les perturber. Toutefois, nous n’avons de certitude ni sur le résultat de ces négociations ni sur leur adéquation à nos préoccupations. C’est la raison pour laquelle le dispositif prévu à l’article 2 a été maintenu et nous semble toujours pertinent.
En conclusion, je tiens à dire que la présente proposition de loi apporte de vraies solutions aux problèmes rencontrés par les collectivités territoriales, qui n’ont pas encore obtenu à ce jour de réponses à la hauteur de leurs préoccupations.
Comme nous vous l’avons indiqué depuis le début, monsieur le secrétaire d’État, nous sommes prêts à construire des solutions communes avec vous. Toutefois, nous avons dû faire face à une faible implication du Gouvernement sur ce texte, qui ne nous a pas permis à ce stade d’élaborer ensemble un compromis. Devant notre commission, vous vous étiez déclaré favorable aux intentions du texte, sans souscrire véritablement aux dispositions proposées. Si vous nous le confirmez, quelles sont alors les solutions concrètes que vous proposez aux collectivités territoriales pour répondre à leurs difficultés ?
Notre travail sur ce sujet est guidé par un seul objectif : apporter à tous nos concitoyens, quel que soit leur lieu de vie, un accès de même qualité aux réseaux de communications électroniques de dernière génération. J’espère que les discussions d’aujourd’hui nous permettront d’y contribuer collectivement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Fouché applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État auprès du ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le président, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, le Président de la République a fait du numérique une priorité du quinquennat. Cet engagement de la campagne présidentielle a été confirmé par le Président de la République et par le Premier ministre lors de leur prise de fonction.
Comme vous l’avez dit, madame la rapporteur, le numérique est un formidable outil de lutte contre les fractures territoriales, et donc un formidable outil pour favoriser la cohésion des territoires, dont j’ai la charge avec Jacques Mézard. Comme vous le savez, aujourd’hui, seul un Français sur deux a accès au très haut débit, c’est-à-dire à un réseau numérique de qualité, alors même que se développe un ensemble de dispositifs allant du télétravail à la télémédecine et que plus de la moitié des démarches administratives s’effectuent désormais sur internet.
Le sujet est complexe et plusieurs d’entre vous, qui se reconnaîtront, se sont mobilisés très tôt sur cette question, y compris dans l’installation de nouveaux dispositifs en étant à l’initiative des premiers réseaux d’initiative publique voilà de nombreuses années. À cet égard, je tiens à saluer, en introduction de mon propos, l’implication des parlementaires, en particulier des sénateurs, avec une pensée particulière pour le sénateur Patrick Chaize – et aussi pour Mme la rapporteur –, avec qui nous avons eu des échanges importants et constructifs, depuis plus de sept mois, dans un contexte particulièrement difficile.
La réflexion sur ce texte n’a pas débuté voilà quelques semaines. Elle fait suite à plusieurs travaux du Sénat. Je pense notamment aux sénateurs Maurey et de Nicolaÿ, qui ont offert dans leur rapport d’information un nouveau regard, parfois de nouvelles méthodes, avec des changements de paradigmes visant à faire en sorte que les gouvernements, désormais, puissent considérer certaines démarches, dont l’octroi de fréquences, comme des outils d’aménagement du territoire et non plus comme de simples ressources budgétaires. C’est l’un des éléments, monsieur le président de la commission, que nous avons pris en compte.
L’attente de nos concitoyens est immense. Alors que les chiffres indiquent un nombre limité de zones blanches et une accessibilité massive à la téléphonie mobile, un accès à internet très largement satisfait sur l’ensemble du territoire, ce n’est pas du tout la perception de nos concitoyens. Les exemples que nous avons tous en tête, les expériences que nous vivons quotidiennement doivent donc nous amener à redoubler d’efforts pour trouver des solutions concrètes.
Nous partageons les objectifs de cette proposition de loi, vous le savez. C’est pourquoi nous travaillons depuis plusieurs mois, collectivement, pour déterminer les solutions qui peuvent être mises en avant et les actions à entreprendre.
Le Président de la République, le Premier ministre ont fixé des objectifs ambitieux en matière de numérique. Il s’agit d’offrir à tous les Français un accès à internet de bonne qualité, donc un débit supérieur à 8 mégabits par seconde, d’ici à 2020 et un accès au très haut débit, autrement dit un débit supérieur à 30 mégabits par seconde, à partir de 2022. L’amélioration de la qualité de la téléphonie mobile est également concernée, qu’il s’agisse de l’accès à la 4G ou de la couverture des zones blanches.
Quatre axes principaux ont ainsi été annoncés par le Gouvernement, que ce soit par le Premier ministre, le 14 décembre dernier, à l’occasion de la Conférence nationale des territoires, ou par Jacques Mézard et moi-même, à la mi-janvier, à la suite d’un accord important, mentionné par le sénateur Patrick Chaize, passé avec les opérateurs de téléphonie mobile.
Le premier, c’est l’accélération de la couverture numérique des territoires, qui passe d’abord par une accélération et une sécurisation du déploiement des réseaux, mais aussi par une consolidation des réseaux d’initiative publique. Le débat ouvert à leur sujet a été rapidement stoppé : nous soutenons les réseaux d’initiative publique, qu’il convient de sécuriser juridiquement et financièrement, grâce au plan France très haut débit. Elle passe également par la mobilisation de toutes les technologies et de tous les opérateurs, y compris des investisseurs, les investisseurs privés étant de plus en plus nombreux à vouloir investir dans nos réseaux numériques.
Le deuxième axe, c’est la généralisation d’une couverture mobile de qualité. Chaque opérateur, dans l’accord que nous avons passé en janvier dernier, s’est engagé à couvrir en 4G 5 000 nouveaux sites, dont certains seront mutualisés, ainsi que plus de 10 000 communes qui étaient couvertes en 2G ou en 3G d’ici à la fin de 2020. C’est essentiel, car le passage à la 4G permet, au-delà de la voix, l’accès à internet via un téléphone intelligent.
Le troisième axe, c’est la simplification des procédures de déploiement. Des échanges ont eu lieu avec plusieurs d’entre vous afin de déterminer les mesures de simplification à même d’améliorer véritablement les délais de construction, actuellement trop longs, dans la mise en œuvre des infrastructures sur le terrain.
Le quatrième et dernier axe, c’est un choc de transparence. Il faut être totalement transparent sur le déploiement du numérique et de la téléphonie mobile. C’est le sens de l’observatoire des déploiements fixes que l’ARCEP prépare pour l’été 2018. C’est également le sens des observatoires que l’Agence du numérique déploiera s’agissant du numérique.
Aujourd’hui, nos débats portent spécifiquement sur les travaux que vous avez menés, madame la rapporteur, monsieur le sénateur. Je tiens d’abord à saluer l’ensemble de ces travaux. Ils ont pesé, vous le savez, dans un contexte qui était tout autre que celui que nous connaissons aujourd’hui. Les déclarations de certains opérateurs laissaient entendre qu’il était possible de déployer la fibre sur un territoire, quels que soient les projets existants. À l’époque, voilà déjà trois mois, vos travaux ont permis, dans les discussions que nous avons eues avec ces acteurs économiques, de porter une voix nécessaire au rétablissement d’un équilibre qui, je le crois, s’est largement amélioré aujourd’hui.
Le contexte dans lequel s’inscrit cette proposition de loi a également évolué du fait des travaux que nous avons pu mener dans le cadre de la préparation du projet de loi Évolution du logement et aménagement numérique, que Jacques Mézard et moi-même présenterons prochainement. Le texte du Gouvernement contient notamment une série de mesures de simplification pour accélérer le déploiement des réseaux sur le territoire.
C’est au regard de ce contexte, marqué, j’y reviendrai, par des évolutions sur trois principaux points, que le Gouvernement émet effectivement des réserves sur l’opportunité d’adopter, dès à présent, la proposition de loi. Cela étant, monsieur le sénateur Chaize, vous le savez bien, le Gouvernement reprend à son compte vos objectifs – votre « rêve », comme vous dites –, et il a toujours exprimé à l’égard de l’ensemble de vos travaux un soutien non équivoque. Vous le savez d’autant plus que nous ne comptons plus, ni vous ni moi, les heures de discussion et de travail que nous avons pu avoir en commun ou avec l’association que vous représentez.
Je le disais, le contexte a évolué, sur trois principaux points.
Le premier concerne les négociations avec les opérateurs, s’agissant notamment de leur positionnement, que j’ai précédemment évoqué.
Le deuxième point est le fait que la proposition de loi n’est bien entendu pas conforme au projet de code européen des communications électroniques, lequel a une portée bien plus large et est d’ailleurs toujours en cours de discussion. Ma collègue Delphine Gény-Stephann se rendra à Bruxelles dans quelques jours pour poursuivre les négociations en la matière, qui, d’après les dernières informations dont nous disposons, pourraient être finalisées au premier semestre de l’année en cours, pour une transposition envisagée à la fin du second. Ce calendrier est à prendre avec précaution, tant les discussions européennes, vous le savez comme moi, peuvent parfois être plus longues que prévu.
Le troisième point, que vous avez vous-même mentionné, madame la rapporteur, porte sur la nature des engagements que nous avons demandé à chacun des opérateurs de prendre dans le cadre du déploiement de leurs réseaux. Ces engagements seront plus contraignants, car soumis au dispositif de l’article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques, dispositif porté déjà à l’époque de la loi Montagne. Tel est le résultat des discussions que nous avons eues au cours des dernières semaines avec l’ensemble des opérateurs, en particulier avec deux d’entre eux.
Depuis mon audition devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, nous avons donc obtenu de nouveaux engagements de la part des opérateurs. Ils seront présentés à l’ARCEP dans les tout prochains jours. Dès que l’ARCEP se sera prononcée, nous vous les transmettrons en totale transparence, en y incluant le contenu des débats qui auront été menés.
Par conséquent, l’application de l’article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques sera possible, du moins dès que l’ARCEP aura rendu son avis. Le contexte a donc bien changé en quelques semaines.
Je terminerai mon propos en insistant sur le rôle des collectivités.
L’accord que nous avons signé avec les opérateurs voilà maintenant deux mois met les collectivités au centre du dispositif, et ce pour au moins deux raisons. D’une part, l’identification des nouveaux sites de déploiement, sur lesquels portera l’investissement des opérateurs, se fera en liaison avec les collectivités. Ce seront non pas les opérateurs, mais bien l’État et les collectivités locales qui décideront de l’endroit où les nouvelles infrastructures de téléphonie mobile seront installées. D’autre part, les collectivités locales ne supporteront plus le coût de ces infrastructures, notamment l’édification nécessaire de nouveaux pylônes. Celui-ci incombera aux opérateurs eux-mêmes.
À mes yeux, l’élément le plus important lorsqu’il est question de la duplication des réseaux potentiels, le choix qui a guidé toutes les décisions que nous avons prises, c’est que les collectivités sont les donneurs d’ordre. Aujourd’hui, il n’est pas possible de construire un réseau si le donneur d’ordre ne fournit pas un certain nombre d’autorisations. Le rôle des collectivités en la matière doit être conforté, d’où, notamment, le renforcement du volet juridique des réseaux d’initiative publique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partageons et soutenons pleinement les objectifs de cette proposition de loi et l’ambition affichée. Cependant, en termes de calendrier, parce qu’elle porte en particulier largement sur la transposition du code européen des communications électroniques, elle devrait être adoptée a posteriori et non avant que les discussions et négociations en cours, menées pour la France par ma collègue Delphine Gény-Stephann, ne soient finalisées. (M. Frédéric Marchand applaudit.)