Sommaire

Présidence de M. David Assouline

Secrétaires :

M. Éric Bocquet, Mme Jacky Deromedi.

1. Procès-verbal

2. Conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

Mme Maryse Carrère, auteur de la proposition de loi

Mme Josiane Costes, rapporteur de la commission des lois

M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics

M. Loïc Hervé

M. Jacques Bigot

M. Claude Malhuret

M. Marc Laménie

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Pierre-Yves Collombat

M. Stéphane Artano

Clôture de la discussion générale.

Article additionnel avant l’article 1er

Amendement n° 12 de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Article 1er (supprimé)

Amendement n° 17 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article additionnel après l’article 1er

Amendement n° 2 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 24 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Article 2 (supprimé)

Amendement n° 3 de Mme Maryse Carrère. – Retrait.

Amendement n° 4 de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 18 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article additionnel après l’article 2

Amendement n° 5 de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Article 3 (supprimé)

Amendement n° 19 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Article 4

Amendement n° 6 de Mme Maryse Carrère. – Adoption.

Amendement n° 20 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Amendement n° 7 de Mme Maryse Carrère. – Adoption.

Amendement n° 10 de Mme Maryse Carrère. – Devenu sans objet.

M. Jacques Bigot

Adoption de l’article modifié.

Article 4 bis (nouveau)

Amendement n° 21 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Amendement n° 8 de Mme Maryse Carrère. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 5 – Adoption.

Articles additionnels après l’article 5

Amendement n° 16 rectifié bis de Mme Maryse Carrère ; sous-amendements nos 28 de M. Stéphane Artano et 29 de M. Stéphane Artano. – Adoption des deux sous-amendements et de l’amendement modifié insérant un article additionnel.

Amendement n° 1 rectifié ter de M. Emmanuel Capus. – Rejet.

Article 6 (supprimé)

Amendement n° 11 rectifié de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

L’article demeure supprimé.

Articles additionnels après l’article 6

Amendement n° 22 rectifié bis de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Amendement n° 23 rectifié bis de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Amendement n° 9 rectifié bis de Mme Maryse Carrère. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Article 7

Amendement n° 27 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Articles additionnels après l’article 7

Amendement n° 25 rectifié bis de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Amendement n° 13 de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 14 de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 15 de Mme Maryse Carrère. – Rejet.

Amendement n° 26 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Vote sur l’ensemble

M. Jacques Bigot

M. Marc Laménie

M. Pierre-Yves Collombat

M. Loïc Hervé

M. Olivier Léonhardt

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

3. Exécution des peines des auteurs de violences conjugales. – Discussion et retrait d’une proposition de loi

Discussion générale :

Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi

Mme Brigitte Lherbier, rapporteur de la commission des lois

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Roland Courteau

M. Dany Wattebled

M. Guillaume Arnell

M. Thani Mohamed Soilihi

Mme Éliane Assassi

M. Loïc Hervé

M. Cyril Pellevat

M. Jacques Bigot

M. Marc Laménie

Clôture de la discussion générale.

Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi

Retrait de la proposition de loi.

4. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

M. Éric Bocquet,

Mme Jacky Deromedi.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Discussion générale (suite)

Conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 12

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires, présentée par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 205, texte de la commission n° 298, rapport n° 297).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Maryse Carrère, auteur de la proposition de loi.

Mme Maryse Carrère, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, comme le reste de la société, l’administration est désormais confrontée aux aspirations individuelles croissantes et légitimes de renouvellement professionnel tout au long de la vie, dont la durée continue de s’allonger. Entre 1946 et 2015, l’espérance de vie a augmenté de 20 ans pour chaque sexe, passant de 59 à 79 ans pour les hommes et de 65 à 85 ans pour les femmes.

L’allongement consécutif de la durée de leurs carrières a un impact indéniable sur les projections professionnelles des individus, qu’ils évoluent dans le secteur privé ou dans le secteur public. Les statistiques publiées sur le Portail de la fonction publique confirment cette intuition : on peut y lire que 40 % des agents en situation de mobilité sont âgés de plus de 50 ans.

Les dispositions législatives actuelles offrent en principe à tous les agents publics de grandes possibilités de mobilité entre administrations, mais aussi vers les organisations internationales, le secteur privé, et un certain nombre d’entités telles que les autorités administratives indépendantes. Elles leur permettent également, dans des conditions particulières, de se mettre en disponibilité afin d’exercer un mandat politique ou de donner la priorité à leur vie familiale, dans des conditions précises.

Dans les faits, cependant, on constate que l’accès à la mobilité varie sensiblement selon la catégorie des agents. Selon les données disponibles sur le site internet de la fonction publique, les agents de catégorie A+ sont les plus mobiles. En 2016, 24,4 % d’entre eux étaient en situation de détachement et 7,9 % en situation de mobilité, contre respectivement 2,6 % et 2,7 % seulement des catégories A, 2 % et 2 % des catégories B, 5,7 % et 2,9 % des catégories C.

Cela peut s’expliquer de plusieurs manières. En premier lieu, la grande qualité des profils des agents de catégorie A+ les rend particulièrement aptes à valoriser leurs compétences dans l’ensemble des emplois que notre société a à offrir. En l’absence de définition légale, une problématique sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir, on peut en effet considérer que les agents de catégorie A+ sont ceux qui sont issus des écoles d’application les plus prestigieuses de la République : l’ENA, Polytechnique, les Mines, les Ponts, et d’autres encore. Par leur prestige, ces écoles attirent d’excellents élèves, qui pratiquent eux aussi, parfois, le cumul : c’est particulièrement vrai pour l’ENA, où l’on trouve de nombreux anciens élèves des écoles normales supérieures ou de HEC.

En France, où la « théorie du signal » se vérifie quotidiennement sur le marché de l’emploi, le profil du haut fonctionnaire ayant passé tous les filtres de la sélection républicaine est particulièrement recherché.

Cette importante mobilité peut également s’expliquer par des règles coutumières propres à certains corps, où les départs seraient encouragés en raison des perspectives limitées de carrière pour des individus parvenus, dès leur sortie d’école, à des niveaux hiérarchiques très élevés. Les propositions du premier Comité interministériel de la transformation publique tendent d’ailleurs à confirmer cette hypothèse puisqu’il est prévu que les élèves de l’ENA sortis les mieux classés « seront affectés au bout de deux ans sur des postes consacrés à la mise en œuvre des chantiers prioritaires du Gouvernement, en administration centrale et dans l’administration territoriale ».

On peut lire cette proposition comme la volonté de satisfaire le besoin d’aventure des jeunes hauts fonctionnaires et de mieux employer leur dynamisme, sans remettre en cause leur place dans la hiérarchie des corps, puisqu’ils resteront à vie liés à leur administration d’affectation d’origine. Mais cela remet également en question le besoin de recrutement des institutions concernées…

Comme vous nous en avez informés, madame la rapporteur, plusieurs de vos interlocuteurs ont insisté sur la « crise d’attractivité » que la haute fonction publique traverserait. On observe pourtant que la sélectivité du concours externe de l’ENA reste supérieure à celle des écoles de commerce plébiscitées par le secteur privé. La rémunération actuelle apparaît comme l’un des principaux facteurs de découragement des agents de catégorie A+ à construire toute leur carrière au service de l’administration.

Toutefois, parallèlement aux évolutions des aspirations individuelles des fonctionnaires que je viens de décrire, les exigences éthiques de la société envers l’État se sont renforcées. Dès 1789, l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoyait : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ».

Au fil des siècles, ce principe est devenu plus effectif, avec le renforcement de la publicité progressive des actes pris par l’administration, puis les premières lois de lutte contre les conflits d’intérêts et l’interdiction des rétrocommissions, ou encore l’encadrement des paiements en espèces.

Parallèlement, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment la « théorie des apparences », a contribué à modifier le fonctionnement des juridictions administratives, afin de lever toute suspicion de conflit d’intérêt possible entre la fonction juridictionnelle et la fonction d’expertise juridique du Conseil d’État auprès du Gouvernement, ou encore afin de clarifier les rapports entre le rapporteur public et le reste de la formation de jugement.

Ce mouvement a irradié tous les pans de la société, jusqu’aux lois instaurant la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et renforçant les obligations déontologiques des fonctionnaires, sous le gouvernement précédent, ou, plus récemment encore, la loi pour la confiance dans l’action publique.

Au cours de ces débats, plusieurs d’entre nous ont proposé de renforcer les dispositifs s’imposant aux hauts fonctionnaires, dont l’influence dans la conduite de la politique de la Nation est déterminante. Nos concitoyens doivent avoir à l’esprit qu’elle se manifeste à tous les stades de l’action publique.

Au moment de l’élaboration de la loi, les administrations, sous l’autorité de leurs directeurs, sont chargées de la préparation des projets de loi du Gouvernement, ensuite soumis aux membres du Conseil d’État pour avis sur la pertinence juridique des textes qui seront ultérieurement soumis au Parlement.

Une fois les lois adoptées, les administrateurs civils sont chargés de rédiger les décrets d’application, sans lesquels les lois restent lettre morte.

Au-delà de l’élaboration des normes, les hauts fonctionnaires disposent également d’un rôle décisionnel important, selon qu’ils sont chargés de conduire des négociations internationales au nom de la France, de régler les différends entre l’administration et les administrés, d’engager des dépenses publiques, ou encore de prendre des décisions économiques substantielles.

Leurs décisions ont le pouvoir de favoriser les intérêts des uns ou des autres, dans des circonstances plus confidentielles que celles de la procédure législative – les parlementaires font désormais l’objet de nombreux contrôles –, mais surtout dans des proportions plus importantes que les décisions prises par les agents des autres catégories placés sous leur autorité.

Selon notre point de vue, ces prérogatives considérables justifient de soumettre les hauts fonctionnaires à des règles déontologiques propres, plus exigeantes que celles qui sont prévues pour l’ensemble des fonctionnaires depuis 2016.

Forts de ces constats, nous avons décidé de vous soumettre cette proposition de loi, dans l’esprit d’examiner toutes les pistes envisageables pour renforcer la prévention des conflits d’intérêts s’appliquant particulièrement aux hauts fonctionnaires.

Il s’agit, en premier lieu, de renforcer le contrôle effectué par la commission de déontologie. Nous souhaitons en modifier la présidence, afin de la prémunir contre les accusations de complaisance vis-à-vis de tel ou tel corps. Nous voulons également rendre effective l’automaticité des contrôles des allers et retours effectués par certains hauts fonctionnaires entre le secteur public et le secteur privé, instaurer un contrôle au moment de la réintégration après une mobilité et renforcer le contrôle des agents destinés à prendre part au pouvoir de sanction des autorités administratives indépendantes, les AAI, et des autorités publiques indépendantes, les API. Nous sommes donc favorables à la publication des avis et à la fusion, à terme, de la commission de déontologie et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP, introduite très justement par Mme la rapporteur et validée par la commission des lois.

Le lien entre la perception d’un risque de conflits d’intérêts et la grande mobilité des hauts fonctionnaires est très vite devenu évident. Aussi avons-nous eu la volonté de proposer un meilleur encadrement dans le temps de la mobilité, alors que l’étude Que sont les énarques devenus ? suggère que certains hauts fonctionnaires passent plus de la moitié de leur carrière dans le secteur privé.

Le troisième axe découle directement du précédent : si la mobilité est mieux encadrée, alors une éthique de responsabilité doit être développée au sein de l’administration, afin de pousser les agents désirant poursuivre le reste de leur carrière dans le secteur privé à démissionner effectivement et à honorer leur engagement vis-à-vis de la société en remboursant le cas échéant le coût de leur scolarité.

Afin de restaurer l’attractivité de la carrière publique, d’autres évolutions pourraient être envisagées sur le plan réglementaire. Elles avaient été évoquées lors du débat organisé sur l’initiative du groupe du RDSE l’année dernière : réserver l’accès aux grands corps par la promotion interne et améliorer la formation professionnelle continue au sein de la fonction publique, auxquelles on peut à présent ajouter la revalorisation des traitements. Ces derniers choix sont entre vos mains, monsieur le secrétaire d’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – MM. Loïc Hervé et Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Josiane Costes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, en 1945, l’ordonnance relative à la formation, au recrutement et au statut de certaines catégories de fonctionnaires portant création de l’École nationale d’administration soulignait le « sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraîne », un sentiment encore largement partagé chez les agents publics qui concourent quotidiennement au fonctionnement de nos services publics et de nos institutions.

Lors des auditions que j’ai conduites, plusieurs témoignages ont illustré le dévouement de grands serviteurs de la Nation, pour des traitements inférieurs aux rémunérations des hauts cadres des entreprises.

Aujourd’hui encore, ceux qui font le choix de rejoindre le secteur privé demeurent minoritaires, y compris au sein des catégories supérieures de la fonction publique, où la part des départs vers le privé est tout de même beaucoup plus élevée. Il en ressort que la question de la rémunération des hauts fonctionnaires demeure le nœud du problème, problème que l’on peut d’ailleurs étendre à d’autres catégories de la fonction publique.

Beaucoup de mes interlocuteurs ont présenté la mobilité comme un levier d’attractivité vers la haute fonction publique : il nous a été dit que le recrutement traversait une crise. Pour autant, à défaut de données étayées en ce sens, on ne peut déplorer qu’un sentiment de baisse d’attractivité des carrières publiques : à charge pour vous, monsieur le secrétaire d’État, d’objectiver ce sentiment.

En outre, et c’est un deuxième aspect des conclusions que je tire de mes auditions, la perception du pantouflage est très variable selon la fonction exercée : les administrations les plus favorables au passage vers le secteur privé sont souvent celles dont les activités sont le plus en lien avec l’écosystème. Il s’agit, pour eux, d’accroître leur efficacité administrative en s’imprégnant des problématiques que rencontrent les acteurs économiques. La difficulté dans ces cas-là est de s’assurer que l’agent, une fois retourné dans l’administration, retrouve son impartialité vis-à-vis de l’entreprise qui l’avait recruté.

La dernière conclusion que je tire de mes auditions est la grande opacité qui entoure la notion de haute fonction publique, et en premier lieu son périmètre réel, dès lors qu’il n’est nullement défini. Il existe bien le terme de « catégorie A+ », mais, selon les personnes interrogées, le nombre de personnes concernées varierait du simple au double, entre 12 000 et 34 000 personnes, excepté les maîtres de conférences.

Il en va de même des données relatives à leur mobilité, chaque corps, chaque administration recueillant ou non des données sur la mobilité de ses membres. L’étude Que sont les énarques devenus ? ne permet pas de retracer les mobilités vers le secteur privé des Polytechniciens, des diplômés des Ponts, des Mines ou d’autres encore. Si elle a pu longtemps les protéger, je crains que cette opacité ne desserve aujourd’hui les hauts fonctionnaires, à une époque où la transparence est requise partout. Il me semble indispensable, monsieur le secrétaire d’État, que la direction générale de l’administration et de la fonction publique, la DGAFP, se dote des moyens et des outils nécessaires pour disposer de données chiffrées sur la mobilité de ces hauts fonctionnaires.

Si la mobilité des fonctionnaires et des hauts fonctionnaires, y compris vers le secteur privé, me paraît indispensable, elle doit impérativement s’articuler avec le respect des principes déontologiques destinés à prévenir et à sanctionner tout conflit d’intérêts dans le cadre de leurs missions de service public. Certaines situations peuvent produire des faits constitutifs d’infractions pénales, et se manifester tant dans l’exercice par un agent de ses fonctions au sein du secteur public qu’en cas de « pantouflage », c’est-à-dire lorsqu’un fonctionnaire souhaite quitter ses fonctions publiques pour occuper un poste dans le secteur privé.

Cet équilibre entre la volonté, d’une part, de favoriser la mobilité des fonctionnaires et, d’autre part, d’éviter les situations de conflits d’intérêts est difficile à établir.

C’est, jusqu’à présent le rôle de la commission de déontologie de la fonction publique, qui constitue le pivot de la prévention des conflits d’intérêts des agents publics. Alors que ses prérogatives ont été renforcées par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, force est de constater qu’elle fait toujours l’objet de nombreuses critiques, ce qui a motivé le dépôt de la proposition de loi du groupe du RDSE aujourd’hui examinée.

La plupart des personnes auditionnées ont reconnu que les dispositions actuelles présentent plusieurs défauts, également constatés par nos collègues députés Fabien Matras et Olivier Marleix. Les dispositifs relatifs au recouvrement de la pantoufle ne sont guère opérationnels, selon qu’ils interviennent après l’interruption de la scolarité ou après quelques années de service.

Les règles de déontologie, imposées depuis 2016, sont inégalement appliquées selon les ministères ou les administrations concernés. Bien que la loi rende la saisine de la commission de déontologie obligatoire, celle-ci ne dispose pas des moyens de contrôler que tous les cas de mobilités entrant dans le champ de l’article 25 octies lui ont été soumis. L’activité de la commission de déontologie a également été critiquée en raison de la non-publication de ses avis, et sa partialité a parfois été remise en cause.

Enfin, le principe même de cohabitation de la commission de déontologie et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique n’est pas satisfaisant. Je rappelle à ce titre que la HATVP est déjà chargée de collecter les déclarations de patrimoine de certains hauts fonctionnaires.

Dans ces conditions, et soucieuse de remplir mon devoir de « bijectivité » qu’évoquait Philippe Bas, j’ai été amenée à proposer, en tant que rapporteur pour la commission des lois, des amendements tendant à supprimer plusieurs articles du texte du groupe du RDSE. Je l’ai fait dans le souci de respecter au mieux la sensibilité des membres de la commission des lois sur cette question. Il ne s’agit pas de schizophrénie, mais de « pensée complexe » ! (Sourires.)

En conséquence, si certains collègues regrettent la suppression de plusieurs articles de cette proposition de loi par la commission des lois, les dispositions restantes me paraissent importantes pour répondre à l’objectif que nous assigne cette proposition : une meilleure prévention des conflits d’intérêts dans la fonction publique, en particulier dans la haute fonction publique.

Aujourd’hui, la commission de déontologie de la fonction publique est uniquement compétente lors du départ d’un agent public vers le secteur privé. Dans ce cadre, elle apprécie la compatibilité des fonctions exercées par le fonctionnaire au cours des trois années précédentes avec celles qu’il exercerait au sein d’une entreprise du secteur concurrentiel. Votre commission des lois a adopté, en en clarifiant la rédaction, l’article 4 de la proposition de loi, qui prévoit d’étendre la compétence de la commission au retour d’un agent public dans la fonction publique, après une partie de carrière effectuée dans un organisme privé à but lucratif. Cette extension est apparue nécessaire. La prévention des conflits d’intérêts est indispensable aussi bien lors du départ d’un fonctionnaire dans le secteur privé que lors de son retour dans le secteur public. Dans ce cadre, la commission devrait apprécier la compatibilité de la nouvelle affectation du fonctionnaire dans la fonction publique avec les fonctions précédemment exercées dans le secteur concurrentiel.

La commission des lois a également adopté l’article 5, en en clarifiant également la rédaction. Cet article prévoit d’étendre le contrôle de la commission de déontologie de la fonction publique au recrutement des directeurs généraux et des secrétaires généraux des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. Ce nouvel élargissement apparaît bienvenu compte tenu des missions spécifiques exercées par ces autorités, missions qui réclament de la part de leur personnel comme des membres de leur collège une neutralité totale dans l’exercice de leurs fonctions. Tout conflit d’intérêts ou soupçon de conflit d’intérêts pourrait nuire à la qualité des décisions rendues.

En outre, la commission des lois a introduit un article 4 bis, qui vise à assurer la publicité des avis de la commission de déontologie de la fonction publique, selon des modalités qu’elle définirait elle-même.

Concernant la suppression de l’article 6, qui prévoyait de plafonner à cinq ans la durée d’un détachement, nos auditions ont souligné que le passage des fonctionnaires dans le secteur privé s’opère désormais quasi exclusivement par la voie d’une mise en disponibilité. Faut-il prévoir un meilleur encadrement des mises en disponibilité ? C’est une question dont le Parlement devra se saisir.

Enfin, à l’article 7, la commission des lois a adopté l’institution d’une peine complémentaire obligatoire d’interdiction d’exercer une fonction publique pour les fonctionnaires coupables de crimes ou de certains délits. Elle a, en revanche, supprimé du champ de cette peine les délits détachables de l’exercice d’une fonction publique, qui font l’objet de sanctions pénales spécifiques.

Voilà, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les modifications que la commission des lois a adoptées : elles ne visent pas à bouleverser l’équilibre de la loi adoptée en 2016, mais tendent, au contraire, à y apporter des compléments utiles. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Catherine Di Folco, ainsi que MM. Loïc Hervé et Marc Laménie applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons touche à une exigence, la déontologie, qui est consubstantielle à l’action publique.

La déontologie, entendue comme la connaissance de ce qui est juste ou convenable, rapporté à l’activité professionnelle, participe en effet directement à la légitimité de l’action publique auprès de nos concitoyens. Cette exigence s’impose aux responsables politiques, mais elle doit également être au cœur de l’action des agents publics, plus particulièrement de ceux d’entre eux qui exercent les responsabilités les plus importantes et mettent en œuvre les orientations arrêtées par le pouvoir politique.

Il ne peut y avoir de confiance publique que si les citoyens ont la conviction que ceux à qui la souveraineté est déléguée agissent au service de l’intérêt général.

Cette exigence de probité, d’intégrité et d’impartialité n’est pas nouvelle pour notre pays. C’est en effet Louis IX qui, le premier, exigea des officiers placés sous son autorité qu’ils réforment tout abus moral et politique, dans son ordonnance de 1254. Tout au long de notre histoire, nous nous sommes collectivement interrogés sur les obligations des fonctionnaires, sur ce « sentiment des hauts devoirs que la fonction publique entraîne », pour reprendre les termes de l’ordonnance du 9 octobre 1945, qui a conduit, en particulier, à la création de l’École nationale d’administration.

Cette exigence s’est toutefois considérablement renforcée ces dernières années, alors que les attentes en matière de transparence et d’exemplarité se sont accrues. La plus grande porosité et la plus grande mobilité professionnelle entre le secteur public et le secteur privé l’expliquent en partie.

Ne nous y trompons pas : cette mobilité est une source d’enrichissement pour les agents publics, pour le service public et pour la société dans son ensemble. Les allers et retours professionnels entre le service public et le secteur privé favorisent en effet pleinement la respiration et la créativité dont notre société a besoin. C’est tout le sens de la démarche engagée par le Gouvernement dans le cadre du programme « Action publique 2022 », afin de décloisonner le déroulement des carrières entre l’emploi public et l’emploi privé.

Par conséquent, s’il faut sanctionner efficacement les manquements aux règles déontologiques, il faut éviter de créer des règles qui procéderaient d’une suspicion généralisée à l’égard des agents publics et paralyseraient, de façon disproportionnée, l’efficacité de l’action publique.

Cet équilibre a précisément été consacré par l’adoption de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, qui a emporté la plus importante réforme du statut général de la fonction publique en matière de déontologie depuis 1983. Comme vous le savez, cette loi rappelle les valeurs essentielles du service public qui sont portées par les agents publics. Elle définit et organise les mécanismes relatifs aux conflits d’intérêts. Elle assure, enfin, une large diffusion d’une culture déontologique auprès des agents publics, car la déontologie est moins affaire d’interdits que de valeurs et de principes positifs qui doivent être mis en œuvre à titre préventif.

Je ne reviendrai pas sur les dispositifs de prévention des conflits d’intérêts mis en place par cette loi de 2016, que vous connaissez parfaitement, et dont le récent rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale relatif à la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts dresse l’inventaire.

Je me permettrai simplement de rappeler les plus emblématiques d’entre eux : l’extension des compétences de la commission de déontologie de la fonction publique, qui contrôle désormais systématiquement les départs vers le secteur privé de tous les agents publics ; un encadrement plus strict des cumuls d’activités entre l’emploi public et une activité privée accessoire ; la mise en place de référents déontologues dans les trois versants de la fonction publique afin que tout agent public dispose d’un interlocuteur clairement identifié sur ces questions ; enfin, la mise en place d’un statut protecteur pour les lanceurs d’alerte.

Ces dispositions, qui concernent l’ensemble des agents publics, ont été complétées par des mécanismes de prévention des conflits d’intérêts spécifiques pour les emplois les plus sensibles des trois versants de la fonction publique.

Certains emplois sont ainsi soumis, compte tenu de leur niveau hiérarchique ou de la nature des fonctions exercées, à des obligations déclaratives nouvelles. Les agents qui occupent ces emplois sont ainsi tenus de déclarer leurs intérêts, leur situation patrimoniale ou de confier à des tiers des mandats pour la gestion de leurs instruments financiers.

Pour la seule fonction publique d’État, ce sont désormais près de 4 500 emplois qui sont soumis à l’obligation de transmission d’une déclaration d’intérêts et de 500 emplois pour la déclaration de situation patrimoniale.

S’agissant des postes les plus importants de l’administration, c’est-à-dire ceux qui sont laissés à la décision du Gouvernement, comme les directeurs d’administration centrale et les secrétaires généraux de ministères, la nomination sur ces emplois est également subordonnée à la transmission d’une déclaration d’intérêts et d’une déclaration de situation patrimoniale auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

L’articulation de tous ces dispositifs permet de prévenir de façon équilibrée la survenance de conflits d’intérêts à la sortie de l’emploi public vers le secteur privé, mais aussi lors du retour des agents concernés dans l’emploi public. Qu’il me soit permis à nouveau de souligner que ce contrôle sur les emplois les plus exposés, à la sortie comme à l’entrée, concerne tous les agents publics, fonctionnaires ou non.

Est-il aujourd’hui nécessaire d’aller plus loin et de modifier, comme vous le proposez avec cette proposition de loi, les dispositifs existants ?

Ce n’est pas la position du Gouvernement.

Non pas parce que le Gouvernement ne partage pas le même souci que le Sénat quant aux exigences d’exemplarité et de probité attachées à l’emploi public, mais parce que les règles déontologiques existantes ont procédé de la volonté de construire un dispositif équilibré et qu’elles commencent tout juste à être déployées.

Certains des décrets d’application de la loi du 20 avril 2016, et non des moindres, sont entrés en vigueur depuis moins d’une année. Nous pouvons très difficilement juger aujourd’hui, avec tout le recul nécessaire, de la nécessité de compléter notre corpus législatif en matière de déontologie des agents publics. Il nous faut, avant tout, faire appliquer et faire vivre ces règles nouvelles.

La réforme du cadre législatif envisagée par le Sénat à travers cette proposition de loi nous semble donc aujourd’hui prématurée.

Des adaptations seront sans doute ultérieurement nécessaires, notamment celles qui seront de nature à assurer, tout en les encadrant, la fluidité et le décloisonnement des carrières entre l’emploi public et l’emploi privé.

À cet égard, le Gouvernement partage pleinement les conclusions du récent rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale relatif à la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts. Il s’agit moins de réviser le dispositif législatif que d’envisager son ajustement. Le Gouvernement restera particulièrement vigilant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président, madame la rapporteur, promouvoir et veiller au respect de la déontologie au sein de l’administration est une condition essentielle à la pérennité du pacte républicain et à la légitimité de l’action des pouvoirs publics. Le Gouvernement considère que le cadre législatif tel qu’il existe est de nature à répondre à ces exigences. D’éventuels ajustements pourront intervenir, mais sous réserve que les obligations déontologiques récemment mises en place aient été pleinement déployées et évaluées.

C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons souscrire à la proposition de loi que vous nous avez présentée. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, chère collègue auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, je qualifierais volontiers le texte que nous examinons aujourd’hui de pragmatique. Je tiens d’ailleurs à saluer, dans cette perspective, le travail de notre rapporteur Josiane Costes, qui a dû affronter de nombreuses résistances et réticences au changement.

Ce texte est pragmatique, car il est nécessaire.

En effet, si les fonctionnaires demeurent essentiels à l’organisation de notre pays et si nous sommes favorables au principe de mieux contrôler les pratiques en vigueur et à la surveillance accrue des conflits d’intérêts éventuels, nous restons tout de même vigilants : cela ne doit pas être l’occasion de donner satisfaction à ceux qui cherchent à tout prix des boucs émissaires. Nous, qui vivons parfois les affres de l’antiparlementarisme, devons y être particulièrement vigilants !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Très bien !

M. Loïc Hervé. Ce texte est également nécessaire, car il constitue une forme de préambule. En effet, les annonces du Gouvernement sur le programme « Action publique 2022 » ont fait couler beaucoup d’encre et il est désormais certain que nous aurons à débattre, dans les mois à venir, d’une réforme globale du statut de fonctionnaire. Nous aurons donc l’occasion de parler à nouveau de ces questions.

Lors de l’annonce de ce programme, le Premier ministre, Édouard Philippe, accompagné de Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, et de vous-même, monsieur le secrétaire d’État, a dévoilé les quatre piliers sur lesquels la réforme de la fonction publique devrait reposer. Je ne reviendrai aujourd’hui que sur un seul de ces points, celui qui est lié directement à l’objet de la présente proposition de loi.

Le Gouvernement prévoit, selon ses mots, de banaliser le recours aux contractuels dans la fonction publique. Si l’objectif principal est de contourner le statut de fonctionnaire, jugé trop rigide, le Gouvernement invoque aussi, pour justifier ce recours aux contractuels, le besoin d’assurer la mobilité de l’ensemble des fonctionnaires, qui ne sont chaque année que 4 % à changer de poste.

Plus encore, il y a des disparités flagrantes entre les corps de l’État et, surtout, entre les catégories de fonctionnaires. De fait, les hauts fonctionnaires, la fameuse catégorie A+, jouissent de possibilités que n’ont pas les autres catégories. Alors que les allers et retours avec le privé sont possibles de manière large et facile pour les uns, il n’y a que contrôle strict et encadrement lourd pour les autres.

Au regard de la fonction publique dans son ensemble, les hauts fonctionnaires ont une mobilité sans égale. C’est du reste ce qui justifie que cette proposition de loi s’intéresse particulièrement à eux.

Aussi essentielle que soit cette mobilité, il ne faut pas avoir peur de dire qu’il existe des abus : ils sont honteux, en particulier dans ces situations, puisqu’il s’agit du service de l’État, et constituent autant d’affronts pour les corps auxquels ces fonctionnaires appartiennent. Oui, nous devons lutter contre les abus, car ils desservent la fonction publique, ternissent l’image du service public et poussent nos concitoyens à la défiance.

Ne vous méprenez pas sur mon propos ! Il ne s’agit pas ici de couvrir d’opprobre ceux qui, au service de l’État et de nos concitoyens, remplissent chaque jour des fonctions éminemment importantes. Sans ces hauts fonctionnaires, notre service public ne serait pas. Il s’agit donc de dénoncer les situations singulièrement anormales, que nous ne devrions plus tolérer.

J’évoquais à l’instant une mobilité sans égale pour les hauts fonctionnaires par rapport aux autres catégories. Ne nous trompons pas, là non plus, sur les conséquences de ce que l’on appelle familièrement le « pantouflage » ! La mobilité est un élément essentiel du fonctionnement des grands corps de l’État. En renouvelant des effectifs peu mobiles, elle permet de placer les personnes les plus compétentes aux postes les plus adéquats. En cela, elle est saine et mérite d’être encouragée sans tabou.

L’objet n’est donc pas ici, je le répète, de supprimer ou de porter atteinte à cette possibilité d’aller et venir entre le public et le privé, mais uniquement d’en éviter les dérives.

Plus encore, cette mobilité permet de répondre aux besoins de l’administration. De fait, il y a aujourd’hui un besoin croissant d’expertise technique, l’efficacité d’une administration ou d’une autorité publique dépendant aussi, et surtout, du degré de connaissance des secteurs sur lesquels elle travaille.

Prenons pour exemple l’Autorité des marchés financiers. L’État dispose de peu d’expertise particulière en la matière, ses fonctionnaires n’étant pas ou peu formés à ces problématiques. L’essentiel du secteur n’étant pas public, l’expérience de certains fonctionnaires dans les entreprises privées, puis leur retour dans l’administration entraînent de fait un gain en expertise comme en expérience. Un gain précieux, puisque, dans les secteurs qu’elle influence, voire qu’elle réglemente, notre administration ne peut être au niveau qu’en connaissant leurs rouages. Force est de constater que le pantouflage participe à cette connaissance, bien au-delà de cet exemple particulier.

En plus de participer à l’expertise nécessaire dans les hautes sphères de l’administration, il convient aussi de rappeler que la mobilité est une pratique encadrée. Contrairement à ce que certains laissent entendre, tout n’est pas permis. L’article 432–13 du code pénal prévoit en effet un délit de prise illégale d’intérêts. De plus, la commission de déontologie, visée par la présente proposition de loi, est d’ores et déjà chargée de vérifier qu’un agent de la fonction publique est légitime pour occuper les emplois privés auxquels il postule.

Malgré ces garde-fous, il y a – je l’ai déjà dit – des abus. Ils sont de deux types.

Le premier abus concerne une minorité de hauts fonctionnaires, qui ne respectent pas l’engagement décennal incombant aux élèves de l’École nationale d’administration, de l’École polytechnique ou de l’École normale supérieure. Le fonctionnaire qui, élève, a vu ses frais de scolarité pris en charge par l’État se doit au minimum de les rembourser s’il quitte l’administration prématurément.

Ces écoles, dont les concours d’entrée figurent parmi les plus difficiles de notre pays, n’ont pas vocation, à nos yeux, à former des cadres d’entreprises privées. Elles ont été créées pour démocratiser l’accès à la haute fonction publique ; il ne faut pas que cet objectif initial se perde.

Le second abus, bien plus grave, concerne les conflits d’intérêts, auxquels peuvent être confrontés les hauts fonctionnaires. Vous n’êtes pas, mes chers collègues, sans connaître la théorie de la capture, qui décrit schématiquement comment les moyens de réglementation et le pouvoir coercitif de l’État peuvent être utilisés et orientés afin de servir des intérêts privés. Avec la notion de « pantouflage », nous nous rapprochons de cette théorie de George Stigler. Effectivement, un fonctionnaire peut être tenté de favoriser une entreprise en vue d’un poste futur ou, une fois de retour dans l’administration, au nom de relations professionnelles passées. Ces situations ne devraient pas se produire, ne devraient plus se produire !

C’est pourquoi nous ne sommes pas opposés, sur le principe, à la présente proposition de loi et aux objectifs qu’elle cherche à atteindre.

Ce texte n’aborde que le seul aspect de la prévention des conflits d’intérêts. Il est vrai que la commission de déontologie de la fonction publique doit avoir les moyens de jouer pleinement le rôle qui lui était destiné lors de sa création en 1993. Mais ce n’est pas le seul moyen disponible pour contrôler le pantouflage et prévenir les conflits d’intérêts.

Peut-être aurait-il été plus constructif de réfléchir à un statut de la haute fonction publique – avant que le Gouvernement ne nous impose sa vision –, plutôt que de nous concentrer uniquement sur les modalités de contrôle. Des amendements vont en ce sens, nous en reparlerons dans la suite du débat.

La confiance dans l’État et dans la fonction publique passe nécessairement par la prévention des conflits d’intérêts. Mais trop souvent, et à tort, les fonctionnaires sont désignés comme responsables des problèmes de notre pays. Les parlementaires sont aussi, parfois, victimes de ce phénomène… Nous appelons donc de nos vœux une réforme globale du statut de la fonction publique, qui inclurait la reconnaissance de la catégorie A+, tout en renforçant la déontologie de l’administration. C’est par là que passeront l’amélioration des services publics et le retour de la confiance des citoyens dans leurs administrations. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Yves Bouloux applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, chère collègue auteur, avec les membres de votre groupe, de cette proposition de loi, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain est extrêmement réservé à propos de ce texte, non pas sur la question de la lutte et de la prévention contre les conflits d’intérêts, mais sur l’opportunité de rajouter, aujourd’hui, une loi à la loi.

Monsieur le secrétaire d’État, je pense que nous devrions nous inspirer fortement de ce que le Conseil d’État vient de dire à votre gouvernement à propos du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif : un texte a déjà été adopté en mars 2016 sur le même sujet, vous n’avez pas eu le temps d’examiner comment il fonctionne et, déjà, vous voulez en faire un autre ! (M. Jean-Pierre Sueur s’exclame.)

Il en est de même pour la présente proposition de loi : a-t-on suffisamment fait le tour des difficultés d’application de la loi de 2013 pour aller aujourd’hui plus loin, la compléter et la renforcer ? Il me semble que ce n’est pas le sentiment de Mme la rapporteur, puisqu’elle a proposé de nuancer sensiblement l’esprit de la proposition initiale…

Sur ce sujet, comme sur d’autres, il est nécessaire de regarder comment les textes sont appliqués et ressentis.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez vous-même dénoncé, en un autre temps de votre vie politique, une telle précipitation : c’était au mois de juillet 2017, lorsque le Gouvernement, dont vous n’étiez pas encore membre, s’est précipité pour faire adopter une loi relative aux élus. Je rappelle que vous aviez alors soutenu une motion de renvoi en commission, en vous appuyant sur la rapidité de la procédure et le manque de temps. Vous aviez même fait grief à la commission des lois de l’Assemblée nationale d’avoir exclu du texte les propositions du Sénat relatives aux conflits d’intérêts dans la fonction publique – rappel qui doit ravir notre président de commission…

On le voit bien, il est indispensable, sur de tels sujets, de prendre le temps de la réflexion. C’est d’ailleurs ce qu’a fait l’Assemblée nationale : un rapport d’information vient d’être adopté, ce qui permet d’évaluer la situation et de mener des débats.

Le vrai sujet de la déontologie, c’est qu’elle appartient à un corps social, celui de la fonction publique. Nous avons fait le choix, en 2013, de laisser ce corps social s’occuper de la déontologie des fonctionnaires, y compris en ce qui concerne les départs. C’est notamment le rôle de la commission de déontologie mise en place auprès du Premier ministre. Il nous faut voir comment tout cela est appliqué.

La déontologie peut présenter le danger de n’être que l’exercice d’un corps social et de ne pas se pratiquer dans la transparence. Il peut alors y avoir, de la part de nos concitoyens, une revendication à ce sujet, menant à la conclusion qu’une commission interne à une administration ne suffit pas et que l’autorité responsable doit être indépendante. Mais à mon avis, cela ne doit pas se faire dans la précipitation, il faut d’abord s’assurer que la haute fonction publique n’est pas capable de gérer elle-même la question.

Le sujet reste éminemment compliqué, parce que extrêmement délicat. J’entends dire, y compris de la part de l’actuel président de la République, qui est membre de la haute fonction publique et a lui-même fait des « voyages » à l’extérieur, que cette possibilité de partir dans le privé, puis de revenir dans le public est une richesse. Certes, c’est une richesse, mais c’est souvent aussi, il ne faut pas le nier, un enrichissement personnel. (Sourires sur plusieurs travées. – M. le président de la commission des lois ainsi que M. le secrétaire dÉtat sourient également.)

Cette possibilité peut naturellement constituer une richesse en termes de formation, mais la lecture du rapport d’information de l’Assemblée nationale, que j’ai évoqué, révèle que l’essentiel des mouvements dans la haute fonction publique provient des départs dans le privé des membres du corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts et de celui de l’inspection générale des finances. On peut donc s’interroger.

Nos grandes écoles sont là – dit-on ! – pour former l’élite de la Nation, celle dont un certain nombre de nos concitoyens pensent peut-être, aujourd’hui, qu’elle gouverne plus la France que les élus eux-mêmes (M. Pierre-Yves Collombat renchérit. – M. Arnaud Bazin applaudit.), y compris les parlementaires – certains envisagent pourtant, au détour d’une réforme constitutionnelle, d’enlever à ces derniers encore un peu plus de pouvoir !

Mais posons-nous franchement la question : si quelqu’un choisit d’entrer dans l’une de ces grandes écoles, qui destinent leurs élèves à la fonction publique, ne doit-il pas avoir pour premier objectif de rester dans cette même fonction publique ? Si une personne choisit, à 20 ou 21 ans, de devenir fonctionnaire de cette manière, est-ce pour avoir un excellent diplôme et, ensuite, aller ailleurs pour très bien gagner sa vie ?

On le voit, la question va au-delà du seul sujet des conflits d’intérêts et il nous faudra bien l’aborder. Je cite un autre exemple, également tiré du rapport d’information de l’Assemblée nationale : qu’apporte à la fonction publique le recrutement, en 2016, du directeur général du Trésor comme managing partner au sein d’un fonds d’investissement ? Il a évidemment été choisi en raison de ses compétences, mais aussi de la connaissance qu’il pouvait avoir : les portes ouvertes, les réseaux, les modes de fonctionnement. Est-ce complètement normal ?

Ce n’est pas la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui qui va régler cette question ; même si des amendements sont adoptés, elle ne modifiera qu’à la marge les textes existants, qui permettent déjà de sanctionner d’éventuels conflits d’intérêts.

La déontologie est d’abord une affaire d’état d’esprit et c’est cet état d’esprit qui n’apparaît peut-être pas suffisant, aujourd’hui, dans la haute fonction publique.

Il n’est pas nécessairement mauvais de quitter, un temps, la fonction publique pour le secteur privé, mais à mes yeux, cela doit se faire dans l’idée d’acquérir de l’expérience pour le moment du retour et pas pour satisfaire des intérêts de carrière strictement personnels.

Ces mobilités sont utiles, elles peuvent certes entraîner des conflits d’intérêts, mais nul besoin d’ajouter des dispositions au droit pénal existant, si tant est que les fonctionnaires puissent acquérir, dès leur formation, le sens de la déontologie.

Il faut d’abord nourrir « l’état d’esprit » de la déontologie avant de penser à ajouter encore des articles à la loi, car nous risquons alors, comme le dit le Conseil d’État, de rendre le droit incompréhensible et inapplicable.

Pour cette raison, le groupe socialiste et républicain est très réservé sur cette proposition de loi. Nous attendons de voir ce qu’il en restera avant de nous prononcer, mais nous savons de toute façon, madame la rapporteur, qu’il en restera finalement fort peu… (Mme Angèle Préville, M. Jean-Pierre Sueur, Mme Michèle Vullien et M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, notre pays peut compter sur une fonction publique de grande qualité, qui s’inscrit dans une tradition ancienne de probité. Je souhaite tout particulièrement, à cette tribune, en souligner l’excellence.

Cette proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts des hauts fonctionnaires lors de leur mobilité dans le secteur privé ne relève donc pas d’une quelconque culture du soupçon, d’autant plus que la déontologie et l’encadrement des conflits d’intérêts des fonctionnaires sont loin d’être des questions contemporaines.

Les évolutions législatives récentes ne constituent qu’une étape – assurément majeure – d’un processus ancien.

L’émergence de principes déontologiques est, d’un point de vue historique, concomitante de l’apparition d’une catégorie d’agents spécialisés au service de la Couronne. À titre d’exemple, l’ordonnance de Saint Louis sur la réforme de l’administration et de la police du Royaume consacrait déjà, en 1254, le principe d’intégrité des agents publics.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Bravo !

M. Claude Malhuret. De nos jours, la mobilité des fonctionnaires constitue un véritable outil de valorisation des carrières et des compétences. Pour cette raison, elle doit être encouragée, d’autant plus que la France souffre d’un manque d’attractivité.

Parallèlement, il est important de demeurer vigilant quant aux risques de conflits d’intérêts qui peuvent survenir en cas de « pantouflage ».

L’équilibre entre la double nécessité de favoriser la mobilité des fonctionnaires et d’éviter les situations de conflits d’intérêts doit être recherché. Si le dispositif légal actuel en matière de déontologie est abouti, notamment grâce aux dernières évolutions, il peut toutefois faire l’objet d’ajustements opérationnels.

C’est ce qui explique les initiatives déjà prises par le Sénat et le dépôt, par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de nos collègues, de cette proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires.

Si je souscris à l’objectif d’une prévention renforcée des conflits d’intérêts, ce texte appelle néanmoins un certain nombre de remarques.

Tout d’abord, il apparaît difficile de quantifier la mobilité des fonctionnaires vers le secteur privé en raison de l’absence, à la fois, de données et de définition de la haute fonction publique.

Ensuite, on peut regretter que ce texte arrive en examen, alors que la loi du 20 avril 2016 n’est pleinement applicable que depuis le 1er février 2017, date d’entrée en vigueur des derniers décrets d’application.

Enfin, plusieurs dispositions de la proposition de loi soulèvent des questions juridiques ou pratiques qui risqueraient de réduire l’attractivité de la fonction publique, sans pour autant permettre d’atteindre efficacement l’objectif recherché. Tel est le cas des articles 1er, 2, 3 et 6, que la commission des lois a supprimés sur l’initiative du rapporteur.

La commission a également modifié les articles 4, 5 et 7 pour en affiner le périmètre d’application ou en clarifier la rédaction. Elle a enfin introduit un article 4 bis tendant à rendre obligatoire la publication des avis de la commission de déontologie de la fonction publique, selon les modalités que celle-ci fixerait.

Je souhaite m’attarder sur cette disposition, car la question de la transparence est ici centrale.

Cette initiative répond à la préoccupation des administrations, qui regrettent la méconnaissance des avis de la commission de déontologie, n’en étant pas destinataires.

Par ailleurs, cette publicité permettra de s’aligner sur les pratiques existant, par exemple, au Conseil d’État, où les avis du collège de déontologie font l’objet d’une publication in extenso et dès leur délibération sur le site internet où ils sont anonymisés.

Enfin, je regrette que la transformation de la commission de déontologie en autorité indépendante n’ait pas été retenue. Plusieurs rapports relatifs à la déontologie dans la fonction publique, dont le récent rapport d’information des députés Matras et Marleix, préconisent une clarification du positionnement institutionnel de la commission de déontologie, qui est, pour l’heure, placée auprès du Premier ministre.

L’exigence d’indépendance inhérente à ses travaux et le fait que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique soit devenue une autorité administrative indépendante en 2013 plaident pour ce changement de statut.

J’ai donc déposé un amendement, avec mes collègues du groupe des Indépendants, visant à ériger la commission de déontologie de la fonction publique en autorité administrative indépendante. Cette transformation serait un premier pas vers une fusion avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, répondant ainsi à un souci de clarification et de simplification du cadre déontologique dans la sphère publique.

Avant de conclure, je souhaite saluer l’objectivité et l’impartialité du rapporteur, Josiane Costes, qui a guidé l’ensemble des travaux.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si de nombreuses suppressions d’article ont été opérées au cours de l’examen par la commission des lois, en revanche, certaines avancées ne sont pas négligeables, comme la publication des avis de la commission de déontologie, ou l’extension de son contrôle au recrutement des secrétaires généraux et directeurs généraux des autorités administratives indépendantes ou des autorités publiques indépendantes, ainsi que vis-à-vis des fonctionnaires réintégrant le secteur public après un passage dans le secteur privé.

Aussi, pour ces raisons, le groupe des Indépendants votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie. (M. le président de la commission des lois applaudit.)

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer les auteurs de cette proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires. Il s’agit d’un sujet important, qui mérite une attention toute particulière.

Ce texte doit, à mon sens, être rapproché des projets de loi que nous avons examinés l’été dernier, en juillet et début août, en présence de Mme le garde des sceaux, sur la transparence de la vie politique. Beaucoup de sujets concernant députés et sénateurs avaient alors été évoqués : la réserve parlementaire, l’éthique, la morale, la transparence.

Je remercie les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen de nous permettre de faire un tel parallèle avec les hauts fonctionnaires.

Nous sommes toutes et tous convaincus du dévouement de l’ensemble des serviteurs de l’État et nous connaissons aussi la complexité et l’ancienneté des questions qui sont ici soulevées.

Cette proposition de loi pose notamment la question de l’attractivité des trois fonctions publiques – fonction publique d’État, fonction publique hospitalière et fonction publique territoriale – de la mobilité et du lien avec les grandes écoles – l’ENA, l’École polytechnique, l’École nationale des Ponts et Chaussées –, l’Université… Ce ne sont pas des questions simples.

Je rappelle aussi que nombre de fonctionnaires et d’élus doivent, comme les parlementaires, transmettre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique des déclarations liées à leur patrimoine et aux conflits d’intérêts.

La fonction publique est soumise à des règles de déontologie et à des valeurs éthiques et morales et il existe une instance spécifique, la commission de déontologie de la fonction publique. Je salue à nouveau, à cet instant de nos débats, le dévouement de l’ensemble des serviteurs de l’État comme des deux autres fonctions publiques.

Se pose aussi le problème de la rémunération des hauts fonctionnaires, qui ont parfois le sentiment d’une baisse d’attractivité de leurs carrières, ce qui peut expliquer le lien entre les secteurs public et privé.

Chaque année, au moment de l’examen du projet de loi de finances, nous voyons bien, avec mes collègues de la commission des finances, le niveau des moyens humains et les différences qui peuvent exister entre les ministères et entre les catégories de serviteurs de l’État, que ce soit dans l’éducation nationale, la préfectorale, la défense, la sécurité… En tant que représentants des territoires, nous regardons attentivement la mission « Administration générale et territoriale de l’État », qui concerne notamment les préfets et sous-préfets, mais la question est plus large.

Nous devons aussi prendre en compte le nombre de hauts fonctionnaires, rappelé par Mme le rapporteur – il est compris entre 12 000 et 34 000 agents et pourrait atteindre 100 000 en comptabilisant les maîtres de conférences –, ainsi que les missions de service public et l’intérêt général.

En ce qui concerne la déontologie, vous avez particulièrement insisté, monsieur le secrétaire d’État, sur les notions de confiance, d’intégrité et de probité, qui sont, en effet, des valeurs essentielles. Elles le sont d’ailleurs à tous les niveaux – élus comme fonctionnaires – et c’est pourquoi je me suis permis de faire le lien avec la loi sur la transparence de la vie politique.

Le texte que nous examinons a au moins le mérite de faire des propositions pour que les choses avancent sur tous ces sujets.

Pour conclure, le groupe Les Républicains suivra la position du président de la commission des lois, Philippe Bas. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des lois et M. Loïc Hervé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Vous l’avez rappelé, madame la rapporteur, la France peut s’enorgueillir de pouvoir compter sur une fonction publique de grande qualité, dénombrant plus de 5 millions de fonctionnaires.

Parce qu’elle présente une utilité réelle pour les agents, notamment les hauts fonctionnaires, et leurs employeurs publics, la mobilité doit être encouragée.

À l’intérieur même de la fonction publique d’État, elle permet aux fonctionnaires de construire des trajectoires plus riches et d’acquérir une expertise sur des problématiques très diverses.

Entre le secteur public et le secteur privé, elle donne les outils pour appréhender de façon concrète les besoins des entreprises et des associations et participer ainsi efficacement à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques.

Enfin, les échanges internationaux doivent occuper une place-clef dans la formation continue des hauts fonctionnaires, car ils permettent de décentrer le regard et d’évaluer l’efficacité de nos techniques administratives.

La connaissance, par ces hauts fonctionnaires, des différents versants de notre fonction publique, du fonctionnement tant des structures partenaires du secteur privé que des administrations étrangères est un gage d’efficacité.

Néanmoins, si l’État et l’opinion publique attendent de leurs hauts fonctionnaires que ceux-ci soient opérationnels, ils souhaitent avant tout qu’ils soient exemplaires. Notre action publique et, par extension, les agents publics qui la mettent en œuvre doivent être au-dessus de tout soupçon, surtout au regard de la défiance actuelle de nos concitoyens envers ceux qui exercent une activité publique.

C’est dans ce contexte que notre assemblée examine la présente proposition de loi, dont l’objectif est d’encadrer plus strictement la mobilité des hauts fonctionnaires entre fonction publique et secteur privé, en renforçant les mécanismes de prévention des conflits d’intérêts qui y sont liés, notamment en développant les compétences et les prérogatives de la commission de déontologie de la fonction publique.

Ce texte présente l’intérêt d’engager en séance publique un débat sur la haute fonction publique et la prévention des conflits d’intérêts, ainsi que sur l’équilibre délicat à trouver entre la nécessité d’encourager la mobilité et cet indispensable encadrement des conflits d’intérêts.

Néanmoins, cette proposition de loi me pose un réel problème de calendrier, car elle survient soit trop tard, soit trop tôt. Je m’explique : la loi « déontologie des fonctionnaires » du 20 avril 2016, qui a permis d’élargir le périmètre de compétences de la commission de déontologie, notamment à toutes les questions relatives aux conflits d’intérêts, et qui a rendu obligatoire la saisine de cette commission par l’agent public préalablement à l’exercice d’une activité extérieure, n’est applicable que depuis un peu plus d’un an. Elle n’a pas, pour l’heure, fait l’objet d’une évaluation mesurant l’efficacité des dispositifs qu’elle contient. Dès lors, il me paraît prématuré de légiférer de nouveau sur ce sujet.

Par ailleurs, le groupe du RDSE a présenté cette proposition de loi le 3 janvier dernier, soit moins d’un mois avant la remise du rapport de la mission de la commission des lois de l’Assemblée nationale portant sur la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts, menée par les députés Fabien Matras et Olivier Marleix. Dans un esprit de respect des travaux engagés par chacune des chambres, il eût été préférable, me semble-t-il, d’attendre et de laisser l’initiative parlementaire à ceux qui avaient engagé publiquement ce travail dès le mois d’août 2017.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous ne sommes pas à la botte de l’Assemblée nationale !

Mme Françoise Laborde. Cela faisait longtemps que ce projet était dans les tuyaux !

M. Thani Mohamed Soilihi. Ce n’est pas non plus une raison, monsieur le président de la commission des lois, pour que nous tombions dans ses excès. (M. Philippe Pemezec sexclame.)

Ainsi, s’interrogeant tant sur son opportunité que sur l’efficacité de ses dispositions, le groupe La République En Marche votera contre cette proposition de loi.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est navrant !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. La déontologie, c’est comme la médecine par les plantes (M. Jean-Raymond Hugonet sourit.) : cela ne fait pas de mal, mais que cela puisse guérir de vrais malades reste à prouver… (Rires et applaudissements sur diverses travées.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est bien vrai !

M. Pierre-Yves Collombat. Or les institutions de notre République sont sérieusement malades, comme le montrent les résultats électoraux de 2017, véritable triomphe du « dégagisme », de l’absentéisme, et des votes blancs et nuls. Les élus, députés comme Président de la République, l’ont été par défaut.

Cette « sécession » civique renvoie pour une bonne part au sentiment que, quelle que soit l’issue des consultations, pour l’essentiel, la même politique continuera, avec les mêmes résultats, des résultats marquent la transformation progressive de la Ve République en une république oligarchique, cogérée par la nébuleuse politique gravitant autour du Président, par les fondés de pouvoir des milieux d’affaires – finance et très grandes entreprises –, et par une nouvelle bureaucratie céleste,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce n’est plus la gauche caviar, c’est la gauche affairiste !

M. Pierre-Yves Collombat. Elle a fait ses affaires. (Sourires sur plusieurs travées. – M. le président de la commission des lois sexclame.) Ce n’est pas mon cas !

Et par une nouvelle bureaucratie céleste, disais-je, constituée en « caste » (M. le président de la commission des lois sexclame de nouveau.), selon l’expression d’Emanuel Macron lui-même – je n’invente rien –, caste qui se protège et qui veille à son enrichissement.

La fonction de l’État n’est donc plus de faire prévaloir un intérêt général distinct des intérêts particuliers, mais d’assurer la pérennité du système, la concurrence « libre et non faussée » entre les acteurs, l’intérêt général résultant du bon fonctionnement du marché et non d’équilibres dont l’État serait le garant.

Dans un tel agencement des pouvoirs, le « pantouflage », les allers et retours du public – politique ou administratif – au privé ont une fonction essentielle : il s’agit non pas seulement, comme on le dit, d’une gestion fluide des carrières des hauts fonctionnaires, mais du liant qu’il faut mettre entre les membres de l’oligarchie. Pas question donc d’interdire ces pratiques, ni même de les limiter significativement !

Les défenseurs du système sont très nombreux, je le constate encore. Première ligne de défense du pantouflage contre les « irresponsables » qui voudraient le réduire à la portion congrue : noyer le poisson, laisser croire qu’il est un « phénomène qui reste marginal », selon l’expression même du récent rapport d’information de l’Assemblée nationale, datant de février 2018. Selon ce rapport, cela toucherait 1,6 pour 10 000 des agents de la fonction publique.

Bref, pas de quoi s’exciter,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Non…

M. Pierre-Yves Collombat. … sauf qu’agréger des inspecteurs généraux rejoignant une grande banque, des agents hospitaliers ouvrant une pizzeria, ou encore des professeurs de philosophie devenant bergers (Sourires.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ou sénateurs ! (Nouveaux sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. … – ce n’est pas le secteur privé, monsieur le président de la commission des lois –, cela n’a aucun sens. (MM. Guillaume Arnell et Arnaud Bazin sesclaffent.)

Le problème n’est pas le nombre de fonctionnaires quittant le service public ou y revenant, mais le fait que de hauts fonctionnaires ayant directement participé à l’élaboration des lois et règlements se retrouvent en position de faire bénéficier leur nouvel employeur de leur connaissance intime des secrets de fabrication et de leur carnet d’adresses, moyennant, évidemment, la multiplication plus que substantielle de leur salaire.

Dans certains ministères et dans certains corps – particulièrement dans celui des inspecteurs des finances –, le pantouflage n’est pas une pratique marginale. Ainsi, parmi les 333 inspecteurs et inspecteurs généraux des finances recensés par une enquête de 2017, plus de 55 % travaillent ou ont travaillé à un moment de leur parcours dans le secteur privé, dont 34 % dans le secteur bancaire. Près de la moitié reviennent dans le secteur public après avoir travaillé dans le privé, les allers et retours multiples étant nombreux. Près de 40 % ont fait un .passage dans un cabinet ministériel ou ont exercé un mandat politique. Enfin, plus de la moitié des grands patrons français du CAC 40 sont polytechniciens ou énarques.

Deuxième ligne de défense : réduire le problème du pantouflage extensif des grands corps à celui du conflit d’intérêts, à une simple question de déontologie. Pas question de se préoccuper des effets corrosifs d’une telle pratique sur les fondements de notre démocratie ; on se concentre donc sur les dispositifs techniques – commission et entretiens de déontologie, déclarations en tout genre, chartes éthiques – censés prévenir les conflits d’intérêts. Tel est l’esprit tant de cette proposition de loi que du rapport de l’Assemblée nationale évoqué voilà quelques instants, dans lequel il est écrit « Vos rapporteurs considèrent le dispositif légal actuel abouti, notamment grâce aux dernières évolutions. » Bref, « Circulez, il n’y a rien à voir ! »…

Troisième ligne de défense : un usage spécieux du conflit d’intérêts, réduit au seul risque de favoritisme. Ainsi, la seule contrainte qui s’impose à un fonctionnaire passé dans le privé est de ne pas faire bénéficier son nouvel employeur d’informations dont ses concurrents ne disposeraient pas. Un ancien directeur de BNP Paribas devenu gouverneur de la Banque de France devra, lui, se déporter, si l’institution doit traiter une question intéressant cette banque, afin d’éviter tout traitement de faveur par rapport à ses concurrents.

Il ne vient pas à l’esprit que le risque de conflit d’intérêts pourrait se situer ailleurs : entre les intérêts du système bancaire, opposé à tout ce qui pourrait ralentir son business, et ceux des citoyens préoccupés avant tout de la résilience du système bancaire par rapport aux crises spéculatives. Le rôle évident joué par la Banque de France dans l’échec des projets de séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires montre qu’il ne s’agit pas d’une question théorique.

Non seulement la proposition de loi ignorait ces questions essentielles, non seulement elle s’en tenait, dès le départ, à quelques mesures déontologiques, que l’on aurait pu soutenir, visant à renforcer les dispositifs de contrôle existants, mais, à l’arrivée, malgré l’adoption de quelques amendements, il n’en reste plus grand-chose ; elle s’est autodétruite en vol. Difficile de s’y résoudre et de ne pas réaffirmer qu’il faut en finir avec ces pratiques délétères. (Mme Éliane Assassi et M. Pierre Ouzoulias, ainsi que Mme Angèle Préville applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, dans une interview parue le mois dernier, Marylise Lebranchu, revenant sur les circonstances qui l’avaient conduite à abandonner une réforme des grands corps de l’État, décrivait comment certains des membres, situés « aux postes clefs de l’État », avaient « assiégé » – ce sont ses mots – le secrétaire général de l’Élysée de l’époque afin de s’y opposer.

L’article III de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame pourtant : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » C’est le signe qu’une réforme de la haute fonction publique ne pourra venir que du Parlement, et en particulier du Sénat, où l’on trouve encore quelques esprits libres, étrangers aux atermoiements d’un microcosme bureaucratique.

Dans ces mêmes murs, après le consensus qui s’était dessiné dans l’hémicycle au cours de l’examen de la loi sur la confiance dans l’action publique, et dans un contexte très favorable, après la publication du rapport d’information de nos collègues députés MM. Matras et Marleix, nous éprouvons encore quelques résistances au changement… une fois la question posée frontalement. L’identité des corps est plus tenace que d’autres, partisanes ou territoriales.

La prévention des conflits d’intérêts implique-t-elle de soumettre les hauts fonctionnaires à des dispositions particulières, et notamment d’encadrer davantage leur pratique de la mobilité ? Oui, nous en sommes convaincus, comme vient de l’expliquer ma collègue Maryse Carrère. Il est encore possible de faire de belles carrières au service de l’État, à condition d’y entrer avec la conscience modeste d’intégrer un grand ensemble. La question de la rémunération ne devrait pas être évitée pour autant, même si ce sujet reste souvent tabou en France.

La mobilité des fonctionnaires est vitale au cours de quarante ans de carrière ; il faut l’encourager et la valoriser. Notre proposition de loi permet quelques améliorations nécessaires aux dispositifs créés par la loi de déontologie des fonctionnaires de 2016, destinés à prémunir les hauts fonctionnaires des soupçons qui pourraient naître du fait de leurs allers et retours entre le secteur public et le secteur privé. Voilà des mesures qui devraient contenter les partisans de la transparence.

La clarification des règles relatives à la durée de la mise en disponibilité est également essentielle à nos yeux.

Par le passé, la commission des lois s’est souvent montrée plus frileuse que l’hémicycle pour légiférer sur ces questions. Nous saluons à ce titre le grand sens du devoir de notre collègue Josiane Costes, qui, bien que coauteur du texte, l’a considérablement élagué en tant que rapporteur, afin de parvenir à une version satisfaisante pour la majorité des membres de la commission des lois.

Son travail et ses auditions ont également permis de mettre en lumière deux points importants. Premier point, la fusion de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et de la commission de déontologie devrait permettre de rendre les contrôles plus efficaces ; nous avons donc déposé un amendement en ce sens, à partir d’un amendement déjà adopté par le Sénat, sur l’initiative de Mme Di Folco.

Cette disposition n’est d’ailleurs pas totalement contraire à un amendement que vous aviez cosigné en tant que député, monsieur le secrétaire d’État, et qui a été adopté ; il tendait à donner compétence à la Haute Autorité pour apprécier la déclaration d’intérêts des agents quand l’autorité hiérarchique n’est pas en mesure de le faire.

L’autre point que je veux souligner est la difficulté de soumettre la haute fonction publique à des règles particulières lorsqu’elle n’est nulle part définie. Le renvoi de la définition du périmètre des catégories « A+ », voire « A++ », à des décrets, comme celui qui fixe les emplois supérieurs pour lesquels la nomination est laissée à la décision du seul Gouvernement, donne l’impression d’une haute fonction publique en autogestion.

Le trop grand laconisme de la loi concernant les règles de mobilité a favorisé le maquis réglementaire actuel, dont, finalement, seuls les mieux informés savent tirer profit pour conduire de longues carrières dans le secteur privé sans abandonner la protection du statut de la fonction publique. N’y a-t-il pas là une question déontologique ?

On cite souvent une phrase de LAncien Régime et la Révolution, de Tocqueville, pour s’opposer à la modification des règles imposées aux grands corps de l’État : « Depuis 89, la constitution administrative est […] restée debout [dans les cendres] des constitutions politiques. » Il est ainsi suggéré que, face à la volatilité des opinions politiques des Français, l’administration garantit seule la continuité de l’État.

C’est tordre l’esprit de cet ouvrage, où il est écrit par ailleurs les phrases suivantes, qui, d’une certaine manière, éclairent les circonstances de nos débats : « les fonctionnaires administratifs, presque tous bourgeois, forment déjà une classe qui a son esprit particulier, ses traditions, ses vertus, son honneur, son orgueil propre. C’est l’aristocratie de la société nouvelle, qui est déjà formée et vivante ; elle attend seulement que la Révolution ait vidé sa place. Ce qui caractérise déjà l’administration en France, c’est la haine violente que lui inspirent indistinctement tous ceux, nobles ou bourgeois, qui veulent s’occuper d’affaires publiques, en dehors d’elle. […] En un mot, elle n’entend point que les citoyens s’ingèrent d’une manière quelconque dans l’examen de leurs propres affaires ; elle préfère la stérilité à la concurrence. » Mes chers collègues, nous espérons donc que le vote de cet après-midi ne sera pas stérile, mais qu’il sera cohérent avec les positions précédentes prises dans notre hémicycle.

Dans Le Monde du 21 février dernier, un collectif de hauts fonctionnaires a publié une tribune intitulée « La haute administration, le véritable parti présidentiel ».

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très intéressante !

M. Stéphane Artano. Ce collectif estime que le « macronisme » se distingue par la confusion entre une partie de la haute administration et la politique du Gouvernement.

La haute administration est donc déjà sous les feux de la rampe, et il est de notre responsabilité de ne pas la laisser en proie à une sorte de vindicte populaire. Ne pas légiférer aujourd’hui, c’est se condamner à devoir le faire dans quelque temps, sous la pression ; or nous savons tous que, sous la pression, la passion pourrait prendre le pas sur une réforme objective des choses, dont la nécessité a été rappelée par le président de la commission des lois, à l’occasion de différentes réunions. Ne pas légiférer aujourd’hui, comme nous le proposons, serait un manque de discernement ; la presse est déjà attentive au sujet que nous abordons.

Quant à l’argument tiré du respect de l’Assemblée nationale, sachez que je ne ferai pas partie de ceux qui font des courbettes devant cette chambre. Le bicamérisme français ne passe pas par la soumission des travaux d’une assemblée à une autre,…

M. Stéphane Artano. … mais bien par le respect de l’indépendance de chacune d’entre elles. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article 1er (supprimé)

Article additionnel avant l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 12, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport présentant les caractéristiques statutaires et indiciaires de la catégorie A+ au sein de la fonction publique d’État.

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Lors de ses auditions, notre rapporteur a constaté la difficulté de soumettre les hauts fonctionnaires à des exigences particulières en matière de lutte contre les conflits d’intérêts, en raison de l’absence de définition légale de cette catégorie de fonctionnaires. Il existe une appellation officieuse, la « catégorie A+ », qui est actuellement utilisée pour désigner les fonctionnaires de catégorie A bénéficiant de traitements supérieurs à la moyenne de la catégorie, en raison de leurs fonctions supérieures dans la hiérarchie administrative. D’autres interlocuteurs de la rapporteur ont également évoqué l’appellation « G16 », pour « 16 grands corps », mais cette appellation aussi semble davantage reposer sur des critères honorifiques.

Sur un tout autre sujet, a récemment été évoquée la revendication des gardiens de prison d’être considérés comme des agents de catégorie B.

On constate donc bien que, en raison du gel du point d’indice et des diverses revendications qui en découlent, les frontières des catégories classiques sont remises en cause.

Dans ces conditions, dans le cadre d’un travail global de réflexion sur la rémunération des agents publics, la création d’une nouvelle catégorie, supérieure à la catégorie A, pourrait être envisagée, rassemblant les corps destinés à exercer des fonctions d’encadrement supérieur. Il s’agit d’une revendication des hauts fonctionnaires, qui pourrait également être utile pour renforcer la prévention des conflits d’intérêts les concernant.

C’est pourquoi un rapport du Gouvernement pourrait nous éclairer en la matière ; c’est ce que nous demandons au travers de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Effectivement, les auditions que j’ai menées dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi m’ont permis de constater, et de regretter, qu’il n’existe pas aujourd’hui de définition légale de la haute fonction publique. Cette absence de définition légale conduit, selon les interlocuteurs que j’ai entendus, à des évaluations différentes du nombre de hauts fonctionnaires, c’est-à-dire de ceux qui appartiennent à la catégorie non officielle A+. Leur nombre serait compris entre 12 000 et 34 000 personnes, sans compter les maîtres de conférences.

De même, je n’ai pas pu obtenir de données précises sur la mobilité des fonctionnaires vers le secteur privé. Il serait donc intéressant que le Gouvernement se dote d’un outil statistique plus étoffé.

Pour autant, la commission des lois a une position ancienne et constante sur les demandes de rapport ; elle n’y est pas favorable. Nombre d’entre eux ne sont en effet jamais remis, en dépit des demandes du Parlement. En outre, rien n’empêche les assemblées, au titre de leur mission de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, de créer une mission d’information ou une commission d’enquête sur ce sujet.

La commission des lois émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. L’avis du Gouvernement est, de la même manière, défavorable, pour deux raisons.

La première est qu’il n’existe pas de définition statutaire de la catégorie A+ ; c’est une appellation qui concerne essentiellement les corps représentés au sein du G16, que vous avez évoqué il y a un instant, c’est-à-dire l’association des syndicats ou d’associations représentant les hauts fonctionnaires ou les corps recrutant à la sortie de l’ENA ou de Polytechnique. La première raison qui nous amène à nous opposer à la production de ce rapport est donc l’absence de base statutaire.

La seconde raison tient à l’objet de la proposition de loi que vous nous proposez et que vous défendez, laquelle traite des obligations déontologiques spécifiques aux emplois supérieurs de l’administration, à savoir, depuis 2013, les emplois à la décision du Gouvernement et, depuis la loi de 2016, les emplois dont le niveau hiérarchique et la nature des fonctions le justifient. Ces emplois sont tous soumis à des obligations déclaratives – déclarations d’intérêts, de situation patrimoniale, voire, pour certains emplois, des mandats de gestion –, sans que leur appartenance ou non à ce qu’on appelle « la catégorie A+ » ait d’incidence sur la situation. Finalement, l’entrée par le prisme de la catégorie A+ ne suffit pas à atteindre votre objectif en matière de déontologie pour les postes de hauts fonctionnaires.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 12.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 12
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 2 rectifié

Article 1er

(Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 17 rectifié, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L’article 12 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« … – Lorsque, en application de son statut particulier comportant une période de formation obligatoire préalable à la titularisation, un fonctionnaire a souscrit l’engagement de servir pendant une durée minimale, sa mise en disponibilité avant que cet engagement soit honoré, sauf disponibilité de droit ou disponibilité pour raison de santé, entraîne une obligation de remboursement préalable des sommes fixées par la réglementation applicable, selon des modalités déterminées par décret en Conseil d’État. »

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Il s’agit de réintroduire un article qui était dans la proposition de loi initiale. Son objet est de s’assurer, en instaurant une obligation, que les avantages pécuniaires qu’un fonctionnaire a pu obtenir pour exercer telle ou telle fonction du secteur public fassent l’objet d’un remboursement ; le fonctionnaire doit rembourser la pantoufle avant de passer dans le privé.

On me fera bien sûr remarquer, comme on l’a déjà fait, que la plupart des agents concernés sont mis en disponibilité, donc qu’ils ne quittent pas la fonction publique. Certes, mais ça peut durer, sinon ad vitam aeternam, du moins un temps certain.

Je veux aussi faire remarquer que ces gens, qui se présentent à des concours de recrutement prestigieux et qui s’en vont au bout de deux ou trois ans, prennent la place d’autres personnes, qui n’ont pas leur chance. Je trouve donc cela profondément illégitime. En général, ces engagements ne sont pas très longs et, quand on a pris un engagement, on le tient !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Le présent amendement soulève la question du remboursement des frais de scolarité pour les fonctionnaires demandant une mise en disponibilité avant le respect de leur engagement minimal au service de l’État.

Il semble procéder d’une confusion entre mise en disponibilité et démission d’un fonctionnaire. Dans le cadre d’une mise en disponibilité, le fonctionnaire détient toujours un lien avec l’administration ; aucune disposition n’interdit aujourd’hui à un jeune fonctionnaire de partir en disponibilité, quel qu’en soit d’ailleurs le motif. On peut le regretter, mais gardons à l’esprit qu’une mise en disponibilité est limitée dans le temps, avec des durées variables selon les cas.

Dans le cas d’une démission, et si celle-ci intervient avant que ne soit respectée la durée minimale de leur engagement de servir dans la fonction publique, les fonctionnaires sont tenus de rembourser la pantoufle. Suivant les corps, la période de scolarité n’est pas toujours prise en compte. Cette obligation est donc prévue, mais relève du domaine réglementaire.

La commission des lois demande aux auteurs de cet amendement de le retirer ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. L’avis est défavorable, pour des raisons identiques à celles qui ont été évoquées par Mme la rapporteur et pour d’autres raisons, que je vais présenter.

D’abord, l’adoption de cet amendement ferait obstacle, selon nous, à la mobilité des carrières entre l’emploi public et l’emploi privé, puisque cette disposition priverait tout fonctionnaire de la possibilité d’exercer une mobilité dans le secteur privé tant que son engagement de servir n’est pas satisfait. Or cet engagement peut être satisfait nonobstant une mobilité dans le secteur privé ; c’est ce que l’on constate dans la plupart des cas.

Il faut aussi souligner que le décret du 9 mai 2017 relatif à la position de disponibilité des fonctionnaires de l’État souhaitant exercer une activité dans le secteur privé prévoit que, lorsque l’engagement de servir n’a pas été intégralement réalisé, la durée de la disponibilité pour convenance personnelle, c’est-à-dire pour exercer des activités dans le secteur privé, est fixée à trois ans renouvelables seulement une fois pour une durée d’un an, et que le bénéfice d’une nouvelle disponibilité de ce type est subordonné à l’accomplissement de l’intégralité de la période d’engagement de servir.

Enfin, du point de vue rédactionnel, la notion de frais de scolarité, à la différence de celle de coûts de scolarité, n’est applicable qu’aux écoles de service public qui accueillent également des élèves non fonctionnaires, redevables de ces frais ; dans le cas des écoles n’ayant que des élèves fonctionnaires, il n’y a pas de frais de scolarité.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Bien sûr, je ne retirerai pas cet amendement.

Je constate simplement que la réglementation et la législation sont très bien faites…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui.

M. Pierre-Yves Collombat. Vous êtes bien protégés !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 17 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 1er demeure supprimé.

Article 1er (supprimé)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 24 rectifié

Article additionnel après l’article 1er

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport présentant les mesures mises en œuvre pour obtenir le remboursement du montant des traitements et indemnités perçues lors de leur scolarité par les anciens élèves de l’École normale supérieure, l’École nationale d’administration et l’École Polytechnique bénéficiant d’une mise en disponibilité et n’ayant pas souscrit à l’engagement de rester au service de l’État pendant la durée minimum prévue par décret.

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Cet amendement a déjà été adopté par la Haute Assemblée lors de l’examen, en juillet dernier, de la loi sur la confiance dans l’action publique. À l’époque, la commission des lois l’avait gratifié d’un avis favorable, chose exceptionnelle pour une demande de rapport. Cette disposition n’avait pas été vaine, puisque, en quelque sorte, elle avait conduit les députés Fabien Matras et Olivier Marleix à mettre en place une mission d’information, qui a donné les résultats que l’on sait.

Nous ne comprenons donc pas l’évolution de la commission sur ce point, de même que sur les amendements nos 13, 14 et 15, qui sont en réalité les amendements de M. Jacques Genest que le Sénat avait également adoptés l’été dernier avec l’assentiment de la commission.

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 2 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article 2 (supprimé)

M. le président. L’amendement n° 24 rectifié, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport faisant le bilan des mesures mises en œuvre pour obtenir le remboursement du montant des traitements et indemnités perçues lors de leur scolarité par les anciens élèves de l’École normale supérieure, l’École nationale d’administration et l’École Polytechnique bénéficiant d’une mise en disponibilité et n’ayant pas souscrit à l’engagement de rester au service de l’État pendant la durée minimum prévue par décret.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Pour les mêmes raisons de principe, tenant à l’inanité des demandes de rapport du Gouvernement, qui sont rarement suivies d’effets, et aux pouvoirs d’investigation des assemblées, qu’il appartient à celles-ci d’utiliser pour se forger leurs propres analyses, la commission des lois émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Défavorable.

En effet, d’une part, le nombre de personnes concernées est tellement limité que l’effort nécessaire à la production d’un tel rapport nous semble disproportionné.

Surtout, d’autre part – pour répondre sur le fond à l’objet de ces amendements –, les mesures relatives au remboursement des frais de scolarité ont été prises en 2014 et en 2015 pour ce qui concerne l’ENA, en 2015 s’agissant de Polytechnique, et le 6 juin 2014 pour ce qui est de l’École normale supérieure.

Les choses sont donc d’ores et déjà arrêtées et encadrées.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 24 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 24 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 5

Article 2

(Supprimé)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 3, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Le III de l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifié :

1° Le début du premier alinéa est ainsi rédigé : « L’autorité dont le fonctionnaire relève dans son corps ou dans son cadre d’emplois d’origine saisit à titre préalable la commission sans délai après avoir été informée de la demande de détachement ou de mise en disponibilité afin… (le reste sans changement) » ;

2° Le troisième alinéa est ainsi modifié :

a) Les mots : « le fonctionnaire ou » sont supprimés ;

b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Lorsque le fonctionnaire exerce l’un des emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, mentionnés au I de l’article 25 quinquies de la présente loi, le président de la commission saisit obligatoirement la commission dans les mêmes délais. »

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Cet amendement vise à clarifier la rédaction du III de l’article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983, qui décrit la procédure de saisine de la commission de déontologie, ainsi qu’à contraindre les hauts fonctionnaires soumis à une déclaration de patrimoine auprès de la HATVP de faire l’objet d’un contrôle renforcé de déontologie par la Commission de déontologie.

Actuellement, la saisine est confiée concurremment au fonctionnaire ou à son autorité hiérarchique, puis, en dernier recours, par voie d’autosaisine, au président de la commission de déontologie lui-même.

La multiplication des saisines possibles est de nature à introduire de la confusion et à dédouaner chaque partie de la responsabilité de saisir la commission de déontologie, alors que c’est obligatoire. Afin qu’elle soit mieux appliquée dans la pratique, et pour clarifier les dispositions existantes, il est donc proposé de faire porter la responsabilité de la saisine de la commission de déontologie à l’autorité hiérarchique uniquement.

En outre, il est proposé d’introduire une gradation, en ajoutant que les départs des hauts fonctionnaires déjà soumis à l’obligation de transmission de la déclaration de patrimoine à la Haute Autorité vers le secteur privé font l’objet d’une autosaisine de la commission de déontologie. Il s’agit d’introduire de la subtilité dans le dispositif créé par la loi de déontologie, afin que les contrôles portent prioritairement sur les personnes dont les fonctions sont les plus sensibles.

En effet, à l’heure actuelle, la commission de déontologie contrôle indistinctement les départs des agents publics, quel que soit leur niveau de responsabilité. Pourtant, comme le disait récemment le député Olivier Marleix lors d’une interview, les hauts fonctionnaires ont été délibérément mis de côté. Or c’est autour d’eux que se concentrent les conflits d’intérêts les plus dangereux.

M. le président. L’amendement n° 4, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Le III de l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifié :

1° Le début du premier alinéa est ainsi rédigé : « L’autorité dont le fonctionnaire relève dans son corps ou dans son cadre d’emplois d’origine saisit à titre préalable la commission sans délai après avoir été informée de la demande de détachement ou de mise en disponibilité afin… (le reste sans changement) » ;

2° Au troisième alinéa, les mots : « le fonctionnaire ou » sont supprimés.

La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Cet amendement est quasi identique à celui que Maryse Carrère vient de présenter. La seule différence, c’est qu’il ne prévoit pas une autosaisine obligatoire de la commission de déontologie pour les hauts fonctionnaires.

M. le président. L’amendement n° 18 rectifié, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Le III de l’article 25 octies de la loi n° 83-643 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Après le mot : « fonctionnaire », sont insérés les mots : « occupant un emploi mentionné par le décret n° 2016-1967 du 28 décembre 2016 relatif à l’obligation de transmission d’une déclaration d’intérêts prévue à l’article 25 ter de la loi n° 83-834 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations du fonctionnaire, » ;

b) Le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq » ;

2° Le troisième alinéa est ainsi modifié :

a) Les mots : « par le fonctionnaire ou l’administration » sont remplacés par les mots : « d’un fonctionnaire exerçant un emploi listé au paragraphe : “Ministère de l’économie, des finances et du budget” de l’annexe du décret n° 85-344 du 18 mars 1985 portant application de l’article 24 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, ainsi que les emplois mentionnés au 3° de l’article 2 du décret n° 2016-1967 du 28 décembre 2016 précité » ;

b) Les mots : « peut saisir » sont remplacés par le mot : « saisit ».

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement a un triple objet.

Il s’agit, d’abord, de proposer que la saisine préalable de la commission en cas de cessation définitive ou temporaire de ses fonctions par un fonctionnaire ne soit applicable qu’aux fonctionnaires occupant un emploi public nécessitant une déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP.

Il s’agit, ensuite, d’étendre de trois à cinq ans la durée contrôlée par la commission de déontologie, ce qui permettrait de mieux apprécier la compatibilité des fonctions.

Il s’agit, enfin, de s’assurer que, en cas de non-saisine de la commission par le fonctionnaire, le président de la commission puisse le faire s’agissant de certains emplois sensibles dans la haute fonction publique.

L’enjeu est d’établir une distinction entre les fonctionnaires qui ont vraiment occupé des responsabilités – ou qui s’en verront attribuer – dans l’élaboration de la loi et la construction de sa jurisprudence, et les autres. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut bien distinguer les situations : entre un agent hospitalier qui décide d’ouvrir une pizzeria et le technocrate, auteur d’une partie du code général des impôts, qui offre ses services à une banque, ce n’est pas du tout la même chose !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Sur les amendements nos 3 et 4, la commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement.

Par le biais de l’amendement n° 18 rectifié sont proposées trois modifications majeures concernant les missions et les prérogatives de la commission de déontologie de la fonction publique. Trois modifications qui, toutes, posent des difficultés.

En premier lieu, pourquoi restreindre le champ de la saisine de la commission à la cessation temporaire ou définitive des fonctions des seuls fonctionnaires soumis à des obligations déclaratives, alors que cette instance est aujourd’hui compétente pour l’ensemble des fonctionnaires ? Les conflits d’intérêts concernent non pas seulement les hauts fonctionnaires, mais bien l’ensemble des fonctionnaires, quels que soient leur catégorie, leur corps et leur grade.

En deuxième lieu, si l’extension de trois à cinq ans de la durée du contrôle assuré par la commission de déontologie peut sembler séduisante, il ne faudrait pas oublier de prendre en compte les moyens humains dont dispose celle-ci – son secrétariat est composé de cinq personnes – pour assumer une telle mesure. Cela rallongerait nécessairement les délais d’examen déjà critiqués pour leur longueur.

En troisième lieu, concernant la saisine de la commission par son président, là encore, pour qu’une telle disposition soit opérante, encore faut-il que le président soit informé ou dispose des moyens de l’être d’un changement d’affectation d’un fonctionnaire. L’actuel président de la commission, M. Roland Peylet, m’a indiqué ne pas être en mesure d’appliquer une telle saisine.

Aussi, je demande, au nom de la commission des lois, le retrait cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. S’agissant des amendements nos 3 et 4 présentés par Mme Carrère et M. Artano, je demande, au nom du Gouvernement, leur retrait. À défaut, l’avis serait défavorable pour les raisons suivantes.

L’état du droit oblige déjà tout fonctionnaire qui souhaite partir vers le secteur privé, que ce soit à titre temporaire ou définitif, à saisir préalablement son administration, laquelle doit, ensuite, obligatoirement saisir pour avis la commission de déontologie. Il est possible à l’agent de saisir directement la commission, mais cela représente dans la réalité moins de 10 % des saisines. Dans cette hypothèse, la commission en avertit systématiquement l’administration, afin de recueillir notamment son appréciation sur le projet professionnel de l’agent.

S’agissant du b de l’amendement présenté par Mme Carrère, les agents soumis à l’obligation de transmettre une déclaration de situation patrimoniale au titre du I de l’article 25 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 entrent déjà dans le champ de la saisine obligatoire de la commission de déontologie. Cet amendement est donc satisfait.

J’en viens à l’amendement n° 18 rectifié, sur lequel j’émets un avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles qui ont été évoquées par Mme la rapporteur. De plus, le deuxième point de l’amendement qui vise à étendre la durée sur laquelle porte le contrôle de la commission de déontologie nous semble de nature à faire obstacle à la fluidité des parcours professionnels des agents publics, quelle que soit leur catégorie. Or nous considérons que cette fluidité peut être un élément d’attractivité de la fonction publique.

M. le président. Madame Carrère, l’amendement n° 3 est-il maintenu ?

Mme Maryse Carrère. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 3 est retiré.

Et l’amendement n° 4, madame Carrère, est-il maintenu ?

Mme Maryse Carrère. Oui, monsieur le président.

M. le président. Sur cet amendement, je rappelle que la commission avait souhaité entendre l’avis du Gouvernement, qui a demandé son retrait.

Quel est maintenant l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Il est défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 18 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 2 demeure supprimé.

Article 2 (supprimé)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article 3 (supprimé)

Article additionnel après l’article 2

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la fin du troisième alinéa du VI de l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, les mots : « peut faire l’objet de procédures disciplinaires » sont remplacés par les mots : « fait l’objet d’une procédure disciplinaire ».

La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Cet amendement tend à réintroduire une disposition présente dans le texte initial qui visait à ce qu’une procédure disciplinaire soit engagée obligatoirement en cas de non-respect de l’avis d’incompatibilité ou de compatibilité avec réserves de la commission de déontologie. Les rapporteurs Matras et Marleix ont abouti aux mêmes conclusions que nous : si les administrations ne s’assurent pas que les avis de compatibilité avec réserves ou d’incompatibilité sont effectivement respectés, alors ces avis ne seront effectivement que des gadgets.

Notre objectif est plus précisément la « dégadgétisation » des dispositifs prévus en 2016, ce qui passe par un meilleur suivi des avis de la commission : l’ouverture d’une procédure disciplinaire en cas de non-respect susvisé, mais aussi la publication des avis, ce qui a été précisément proposé par Mme la rapporteur, ainsi que le suivi des fonctionnaires en situation de pantouflage, permis par notre amendement n° 9 rectifié bis, sont les moyens de renforcer le texte de 2016.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Cet amendement a pour objet de rendre obligatoire l’engagement de poursuites disciplinaires à l’encontre d’un fonctionnaire qui n’aurait pas respecté les avis de la commission de déontologie de la fonction publique rendus à son encontre. Il serait ainsi mis fin au pouvoir d’appréciation de l’autorité hiérarchique en la matière. Mais pourquoi dans ce cas seulement et pas pour d’autres comportements fautifs ?

La commission, qui considère que l’administration doit conserver son pouvoir d’appréciation en fonction de la nature et de la gravité de la faute commise, émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Il est également défavorable. La disposition proposée par le biais de cet amendement conduirait à placer le chef de service, dont un agent ne respecterait pas l’avis de la commission, en situation de compétence liée pour ouvrir une procédure disciplinaire, avec un effet de déresponsabilisation pour lui-même et l’impossibilité d’apprécier l’intensité du manquement constaté au cas par cas, comme vient de le rappeler Mme la rapporteur.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, cet amendement révèle clairement que nous n’avons pas une bonne appréhension de la déontologie.

La déontologie étant interne au corps, il revient à ce dernier de savoir s’il renvoie quelqu’un devant le conseil de discipline.

Si nous considérons qu’un regard extérieur s’impose, il faut trouver d’autres dispositions.

En cas de non-respect des règles déontologiques par des professions libérales soumises à un ordre, celui-ci peut se saisir, mais le procureur de la République peut également prendre une telle initiative.

Si nous voulons cette intervention extérieure, il faut prévoir la possibilité de saisine du conseil de discipline par une autorité indépendante. Sinon, le conseil de discipline fonctionne sur un mode exclusivement interne et la loi ne peut pas imposer d’engager la poursuite disciplinaire. L’initiative doit être réservée à un représentant du corps. Telles sont les raisons pour lesquelles je ne voterai pas cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 2 - Amendement n° 5
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article 4

Article 3

(Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 19 rectifié, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Le VII de l’article 25 octies de la loi n° 83-643 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les deux occurrences des mots : « conseiller d’État » sont remplacés par les mots : « magistrat de l’ordre administratif » ;

2° Le 1° est ainsi rédigé :

« 1° Un magistrat membre des juridictions financières ou son suppléant, magistrat membre des juridictions financières ; »

3° Le 3° est ainsi rédigé :

« 3° Trois personnalités qualifiées, dont deux au moins sont connues pour leurs travaux et leur expérience des problèmes posés par les conflits d’intérêts ou la prévention de la corruption. »

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Nous proposons deux modifications par rapport à l’ordre actuel.

Cet amendement vise d’abord à étendre le recrutement des magistrats qui siègent dans la commission au-delà du Conseil d’État et de la Cour des comptes. Nous proposons donc que des magistrats de rang moins élevé que ses membres actuels constituent le collège de la commission.

Cet amendement tend ensuite à modifier le choix des personnalités qualifiées. À l’heure actuelle, elles viennent, pour l’essentiel, d’entreprises privées. Notre préférence irait plutôt à des personnalités connues pour leurs travaux et leur expérience en matière de conflits d’intérêts ou de prévention de la corruption. En principe, c’est à ces sujets que la commission s’intéresse et non au fait de savoir si les entreprises privées seraient contentes de récupérer M. Untel !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Pour éviter l’entre-soi évoqué par notre collègue, le conseiller d’État serait remplacé par un magistrat de l’ordre administratif. Au conseiller maître à la Cour des comptes succéderait un magistrat financier. Quant aux personnalités qualifiées, elles seraient choisies en fonction de leurs travaux sur les conflits d’intérêts.

Les auditions que j’ai menées pour préparer l’examen de cette proposition de loi n’ont nullement soulevé de difficultés particulières relatives à la composition de la commission de déontologie de la fonction publique.

En outre, les critères de choix des personnalités qualifiées me paraissent très vagues. On peut imaginer que le choix se porte en priorité sur des universitaires. Or si, aujourd’hui, une personnalité qualifiée sur les trois est choisie pour avoir exercé des fonctions dans le secteur privé, c’est justement parce qu’il est important de disposer de l’expertise d’une personne qui connaît le secteur privé de l’intérieur. C’est un aspect essentiel pour apprécier la compatibilité des fonctions entre secteur public et secteur privé.

Enfin, cet amendement est contraire à l’amendement n° 16 rectifié bis – nous l’examinerons ultérieurement et la commission y est favorable –, qui reprend la composition actuelle de la commission de déontologie de la fonction publique.

La commission des lois émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. L’avis est défavorable, pour les raisons qui viennent d’être exposées par Mme la rapporteur, à l’exception de l’argument qu’elle a utilisé s’agissant de l’amendement n° 16 rectifié bis.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. J’ai un peu de mal à comprendre les explications ou plutôt l’absence d’explications pour réfuter mes propositions ! En quoi l’élargissement du champ du recrutement des magistrats qui composent la commission est-il scandaleux ? Je ne propose pas d’exclure les conseillers d’État ! Ce que je demande, c’est qu’on élargisse un petit peu le recrutement. Où est le scandale ? Est-ce une sinécure, est-ce un monopole ?

De plus, la question n’est pas de savoir s’il serait intéressant pour les entreprises de procéder à tel ou tel recrutement. Ce qui me préoccupe, c’est que la commission compte des personnes dotées d’une expérience leur permettant de savoir où peuvent se nicher les possibilités de conflits d’intérêts. Et il se trouve qu’un certain nombre de gens ont fait des études sur le sujet. Je ne vois pas pourquoi je me heurte à ce refus catégorique de modifier cette règle. Mes propositions sont quand même très anodines !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 19 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 3 demeure supprimé.

Article 3 (supprimé)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article 4 bis (nouveau)

Article 4

L’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifié :

1° Après le III, il est inséré un III bis ainsi rédigé :

« III bis. – À l’issue de la mise en disponibilité et de la réintégration d’un fonctionnaire ayant exercé des fonctions dans un organisme à but lucratif, la commission examine, à titre préalable, la compatibilité de ses nouvelles fonctions avec celles qu’il a précédemment exercées et apprécie si leur exercice risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe déontologique mentionné à l’article 25 de la présente loi ou de placer l’intéressé en situation de commettre l’infraction prévue à l’article 432-13 du code pénal. Les emplois soumis au présent III bis sont fixés par décret en Conseil d’État. » ;

2° Au premier alinéa du V, les références : « II ou III » sont remplacées par les références : « II au III bis ».

M. le président. L’amendement n° 6, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Alinéa 3, première phrase

Après les mots :

dans un organisme à but lucratif,

insérer les mots :

et avant tout changement de fonction intervenant au plus tard trois ans après sa réintégration,

La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Cet amendement est important : il vise à s’assurer de l’effectivité de la prévention de conflits d’intérêts au moment de la réintégration d’un fonctionnaire après une phase de pantouflage sur une période de trois ans, et non uniquement au moment T de la réintégration.

Son adoption permettrait, en quelque sorte, d’aménager un sas de réintégration, sans lequel un fonctionnaire pourrait demander à être réintégré dans un service conforme, puis changer de service quelques mois après et se retrouver en situation de conflit d’intérêts.

Cette disposition ne relève pas davantage du gadget que les dispositifs mentionnés tout à l’heure !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Cet amendement vise à étendre le contrôle de la commission de déontologie de la fonction publique pour un fonctionnaire, qui, de retour dans le secteur public après une expérience dans le secteur privé, changerait d’affectation moins de trois ans après sa réintégration dans l’administration.

Cette proposition permettrait de contrôler d’éventuels abus du fonctionnaire, qui, pour échapper au contrôle de la commission de déontologie de la fonction publique, occuperait un premier poste avec un avis de compatibilité de la commission avant d’effectuer une mobilité dans un délai assez court pour occuper un nouveau poste susceptible de soulever des questions de compatibilité.

Sur cet amendement, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement considère que l’objectif poursuivi par les auteurs de cet amendement est satisfait. Je pense, en particulier, aux dispositifs créés par la loi du 20 avril 2016, notamment à la déclaration d’intérêts destinée à prévenir les conflits d’intérêts avant la nomination sur certains emplois.

Monsieur le sénateur, vous craignez, comme l’a dit Mme la rapporteur, que, à la suite du retour dans la fonction publique d’une personne qui occuperait alors un emploi faisant l’objet d’un avis favorable de la commission de déontologie, le fonctionnaire ne soit nommé ensuite à un emploi plus sensible, plus difficile d’accès au regard des critères de la commission de déontologie. Ces emplois plus sensibles, qui ont été listés par le décret du 28 décembre 2016, font l’objet d’un examen avant la nomination.

Nous considérons donc que vos préoccupations sont satisfaites. Dans ces conditions, je demande, au nom du Gouvernement, le retrait de cet amendement. Sinon, l’avis serait défavorable.

M. le président. Monsieur Artano, l’amendement n° 6 est-il maintenu ?

M. Stéphane Artano. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 20 rectifié, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 3

1° Après la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Dans tous les cas, le fonctionnaire ne peut revenir à un emploi public recouvrant le même domaine d’activité que celui qu’il occupait auparavant dans le privé.

2° Dernière phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Les emplois soumis au présent III bis sont ceux listés au paragraphe : “Ministère de l’économie, des finances et du budget” de l’annexe du décret n° 85-344 du 18 mars 1985 portant application de l’article 24 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, ainsi que les emplois listés au 3° de l’article 2 du décret n° 2016-1967 du 28 décembre 2016 relatif à l’obligation de transmission d’une déclaration d’intérêts prévue à l’article 25 ter de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations du fonctionnaire.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement vise à interdire à certains fonctionnaires précisément désignés de revenir exercer dans la fonction publique un emploi qui recouvrirait le même secteur d’activité que celui qu’ils occupaient dans le secteur privé, en limitant très strictement les cas et les types de fonctionnaires intéressés uniquement à ceux qui, par leur fonction, participent à l’élaboration de la loi et à sa mise en application.

M. le président. L’amendement n° 7, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Alinéa 3, dernière phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Sont soumises au présent III bis les personnes exerçant un emploi ou des fonctions à la décision du Gouvernement pour lesquels elles ont été nommées en conseil des ministres, les membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes, les membres des inspections générales, les chefs de service et les sous-directeurs de l’administration de l’État et les personnes mentionnées au 6° du I de l’article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Cet amendement vise à préciser la liste des hauts fonctionnaires devant faire l’objet d’un contrôle de la commission de déontologie au moment de leur réintégration, plutôt que de laisser cette tâche au Conseil d’État, ce qui aurait pour conséquence de retarder l’entrée en application.

Nous avons bien conscience qu’il n’est pas très satisfaisant de légiférer en établissant des listes à la Prévert, mais cette façon de faire a déjà été utilisée notamment pour la loi Sapin II.

Mme Françoise Laborde. Tout à fait !

M. Stéphane Artano. Cette rédaction a donc le mérite de la clarté et d’une plus grande exhaustivité que la solution alternative proposée à l’amendement suivant.

M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Alinéa 3, dernière phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Sont soumis au présent III bis les emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, mentionnés à l’article 25 quinquies de la présente loi.

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Il s’agit d’un amendement de repli visant un périmètre plus restreint sur la base du décret en Conseil d’État pris en application de l’article 25 quinquies de la loi de 1983 après sa modification par la loi relative à la déontologie.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Le 1° de l’amendement n° 20 rectifié pose le principe général selon lequel le fonctionnaire revenant du secteur privé ne pourrait pas occuper de poste au sein du secteur public dans le même domaine d’activité que celui qu’il occupait dans le secteur privé.

Je rappelle à mon collègue que, sur mon initiative, la commission des lois a étendu le contrôle de la commission de déontologie de la fonction publique au retour d’un fonctionnaire dans le secteur public après qu’il ait occupé des fonctions dans le secteur privé. Il reviendra dans ce cas à la commission d’apprécier la compatibilité entre les fonctions occupées dans le secteur privé avec celles que souhaiterait exercer le fonctionnaire à son retour dans le secteur public.

Il ne me semble donc pas pertinent de prévoir une interdiction générale de principe. Ce qui doit primer, ce sont les missions effectivement exercées par un fonctionnaire lors de son retour dans le secteur public et non le secteur d’activité !

Le 2° de l’amendement recouvre la même question que celle qui est abordée dans les amendements nos 7 et 10.

Je demande, au nom de la commission, le retrait de l’amendement n° 20 rectifié. Sinon, l’avis serait défavorable.

La commission est favorable à l’amendement n° 7, qui satisfait l’amendement n° 10, dont elle demande le retrait.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 20 rectifié pour les raisons qui viennent d’être exposées par Mme la rapporteur.

S’agissant des amendements nos 7 et 10, le Gouvernement considère que le décret du 28 décembre 2016, lequel fixe la liste des emplois donnant lieu obligatoirement à une déclaration d’intérêts, est un dispositif suffisant afin de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts pour les futurs occupants ou titulaires de postes.

Par conséquent, je demande le retrait de ces amendements. Sinon, l’avis serait défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 20 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’amendement n° 10 n’a plus d’objet.

La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote sur l’article 4.

M. Jacques Bigot. Mon groupe va voter cet article : il faut bien qu’il en reste quelques-uns… (Sourires.)

Si je comprends parfaitement votre volonté, madame la rapporteur, qu’il soit procédé à un contrôle au moment du retour, je veux souligner qu’il peut paraître dangereux. Il revient en priorité aux gens qui vont nommer le haut fonctionnaire dans le poste qu’il souhaite réintégrer de vérifier la compatibilité.

La saisine obligatoire de la commission de déontologie peut poser un problème ultérieurement. Imaginez que la personne considérée soit poursuivie par un procureur de la République pour l’infraction prévue par le code pénal et visée dans le présent article. Ce haut fonctionnaire pourra dire qu’il a interrogé la commission de déontologie, laquelle a donné son avis et considéré qu’il n’y avait pas de problème. Cela ouvrira un débat. Un de plus, après tout, pourquoi pas ?

Cela prouve bien qu’en allant un peu trop vite sur ce texte nous n’en mesurons pas complètement pas les conséquences.

Favorable à ce qu’il y ait ce type de contrôle, j’incite néanmoins à faire très attention : c’est à l’administration qui renomme le fonctionnaire qu’il appartient de procéder aux vérifications. Pour moi, toute l’erreur du texte, c’est de renvoyer cela à la commission de déontologie !

M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.

(Larticle 4 est adopté.)

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article 5

Article 4 bis (nouveau)

Le V de l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les avis rendus dans les conditions prévues au présent V sont publiés selon les modalités fixées par la commission. »

M. le président. L’amendement n° 21 rectifié, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

La deuxième phrase du premier alinéa du VI de l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifiée :

1° Le mot : « peut » est supprimé ;

2° Le mot : « rendre » est remplacé par le mot : « rend ».

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement vise simplement à rendre publics tous les avis d’incompatibilité et de compatibilité assortis de réserves de la commission de déontologie.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. L’objectif visé est déjà satisfait par la rédaction de l’article 4 bis de la proposition de loi. En outre, le champ d’application de cet amendement est moins large, puisqu’il ne concernerait que certains avis rendus par la commission de déontologie de la fonction publique, alors que le texte adopté par la commission les vise tous.

Je demande donc le retrait de cet amendement. Sinon, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement, car il considère qu’il n’est pas conforme à l’état du droit en vigueur concernant le respect de la vie privée et la protection des données à caractère personnel. De plus, il emporterait, du fait d’une imprécision dans la rédaction, un risque d’incompétence négative du législateur.

Sur le fond, la commission de déontologie rend déjà public un rapport annuel dans lequel elle analyse les avis rendus en respectant le secret de la vie privée des agents concernés.

L’honnêteté me commande de dire que, sur un plan général, le Gouvernement n’approuve pas l’article 4 bis dans sa rédaction issue des travaux de la commission, car certaines de ses dispositions comportent un risque en matière de respect de la vie privée. Selon nous, sa rédaction ne correspond pas à l’exposé des motifs de l’amendement, lequel vise à ce que les administrations soient informées des décisions rendues par la commission, ce qui est déjà le cas pour tous les agents qui saisissent la commission de déontologie, et non pas à une publication intégrale des avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 21 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 8, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les mots :

selon les modalités fixées par la commission

par les mots :

, après anonymisation, sous réserve de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. En l’état actuel, l’article 4 bis laisse à la commission de déontologie de la fonction publique le soin de fixer elle-même les conditions de publication des avis de réserve ou d’incompatibilité.

Afin d’éviter les délais d’entrée en vigueur, il est proposé de préciser la rédaction et de prévoir que les avis anonymisés soient publiés selon les règles d’anonymisation qui figurent déjà dans le code des relations entre le public et l’administration.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. L’anonymisation ne concernerait que le patronyme de l’agent visé, ainsi que, le cas échéant, le nom de l’entreprise qui souhaite procéder à son recrutement. La publication descriptive, exhaustive et précise des fonctions exercées par l’agent est de nature à permettre aisément son identification. Mais tout cela risque de méconnaître le droit au respect de la vie privée énoncé à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et protégé par la Constitution.

En cohérence avec l’appréciation très réservée que le Gouvernement porte sur l’article 4 bis, je ne peux qu’émettre un avis très défavorable sur cet amendement !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 4 bis, modifié.

(Larticle 4 bis est adopté.)

Article 4 bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel après l'article 5 - Amendement n° 16 rectifié bis

Article 5

Le chapitre Ier du titre III de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes est complété par un article 17 bis ainsi rédigé :

« Art. 17 bis. – Le président de l’autorité saisit la commission de déontologie mentionnée à l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires préalablement au recrutement du secrétaire ou directeur général, afin qu’elle se prononce sur la compatibilité des activités exercées au cours des trois années précédentes avec les fonctions exercées au service de l’autorité. » – (Adopté.)

Article 5
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel après l'article 5 - Amendement n° 1 rectifié ter

Articles additionnels après l’article 5

M. le président. L’amendement n° 16 rectifié bis, présenté par Mme M. Carrère, est ainsi libellé :

Après l’article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – La loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est ainsi modifiée :

1° Le second alinéa du V de l’article 11 est supprimé ;

2° Après l’article 19, il est inséré un article 19-1 ainsi rédigé :

« Art. 19-1. – I. – La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique comprend une commission spécialisée à laquelle le collège délègue les attributions fixées par le présent article.

« II. – Présidée par un conseiller d’État ou par son suppléant, conseiller d’État, la commission spécialisée comprend en outre :

« 1° Un conseiller maître à la Cour des comptes ou son suppléant, conseiller maître à la Cour des comptes ;

« 2° Un magistrat de l’ordre judiciaire ou son suppléant, magistrat de l’ordre judiciaire ;

« 3° Trois personnalités qualifiées, désignées par le collège de la Haute Autorité, dont l’une au moins doit avoir exercé des fonctions au sein d’une entreprise privée, et trois suppléants, soumis à la même condition.

« Outre son président et les personnes mentionnées aux 1°, 2° et 3° du présent II, la commission comprend :

« a) Lorsqu’elle exerce ses attributions à l’égard d’un agent relevant de la fonction publique de l’État, deux directeurs d’administration centrale ou leur suppléant ;

« b) Lorsqu’elle exerce ses attributions à l’égard d’un agent relevant de la fonction publique territoriale, un représentant d’une association d’élus de la catégorie de collectivité territoriale ou d’établissement public dont relève l’intéressé ou son suppléant, ainsi qu’un directeur ou ancien directeur général des services d’une collectivité territoriale ou son suppléant ;

« c) Lorsqu’elle exerce ses attributions à l’égard d’un agent relevant de la fonction publique hospitalière, une personnalité qualifiée dans le domaine de la santé publique ou son suppléant, ainsi qu’un inspecteur général des affaires sociales ou un ancien directeur d’hôpital ou son suppléant ;

« d) Lorsqu’elle exerce ses attributions en application des articles L. 531-1 à L. 531-16 du code de la recherche, deux personnalités qualifiées dans le domaine de la recherche ou de la valorisation de la recherche ou leur suppléant.

« La commission comprend un nombre égal de femmes et d’hommes.

« Selon le cas, le directeur du personnel du ministère ou de l’établissement public ou le chef du corps dont relève l’intéressé, l’autorité investie du pouvoir de nomination dans la collectivité territoriale dont relève l’intéressé, le directeur de l’établissement hospitalier ou de l’établissement social ou médico-social dont relève l’intéressé ou leur représentant respectif assistent aux séances de la commission, sans voix délibérative.

« Les membres de la commission autres que ceux mentionnés au 3° du présent II sont nommés par décret pour une durée de trois ans renouvelable une fois.

« III. – La commission est chargée :

« 1° De rendre un avis lorsque l’administration la saisit, préalablement à leur adoption, sur les projets de texte élaborés pour l’application des articles 6 ter A, 25 à 25 ter, 25 septies, 25 nonies et 28 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

« 2° D’émettre des recommandations sur l’application des mêmes articles 6 ter A, 25 à 25 ter, 25 septies, 25 nonies et 28 bis ;

« 3° De formuler des recommandations lorsque l’administration la saisit sur l’application desdits articles 6 ter A, 25 à 25 ter, 25 septies, 25 nonies et 28 bis à des situations individuelles.

« IV. – La commission est chargée d’examiner la compatibilité du projet de cumul d’activité ou de création ou de reprise d’une entreprise par un fonctionnaire sur le fondement de l’article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée avec les fonctions qu’il exerce.

« V. – À l’exception des personnes mentionnées à l’article 23 de la présente loi, l’autorité dont le fonctionnaire relève dans son corps ou dans son cadre d’emplois d’origine saisit à titre préalable la commission spécialisée sans délai après avoir été informée de la demande de mise en disponibilité afin d’apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé, ou de toute activité libérale, avec les fonctions exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité.

« Pour l’application du premier alinéa du présent V, est assimilé à une entreprise privée tout organisme ou toute entreprise exerçant son activité dans un secteur concurrentiel conformément aux règles de droit privé.

« À défaut de saisine préalable, le président de la commission spécialisée peut saisir celle-ci dans un délai de trois mois à compter de l’embauche du fonctionnaire ou de la création de l’entreprise ou de l’organisme privé.

« La commission spécialisée apprécie si l’activité qu’exerce ou que projette d’exercer le fonctionnaire risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe déontologique mentionné à l’article 25 de loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée ou de placer l’intéressé en situation de commettre l’infraction prévue à l’article 432-13 du code pénal.

« VI. – À l’issue de la mise en disponibilité et de la réintégration d’un fonctionnaire ayant exercé des fonctions dans un organisme à but lucratif, la commission spécialisée examine, à titre préalable, la compatibilité de ses nouvelles fonctions avec celles qu’il a précédemment exercées et apprécie si leur exercice risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe mentionné à l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée ou de placer l’intéressé en situation de commettre l’infraction prévue à l’article 432-13 du code pénal. Sont soumis au présent VI les emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, mentionnés à l’article 25 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée.

« VII. – La commission spécialisée se prononce également sur le recrutement du secrétaire général ou du directeur général d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante, en application de l’article 17 de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.

« VIII. – La commission spécialisée peut demander au fonctionnaire ou à l’autorité dont il relève dans son corps ou dans son cadre d’emplois d’origine ou dans les corps, cadres d’emplois ou emplois dans lesquels il a été précédemment détaché ou a exercé des fonctions toute explication ou tout document nécessaire à l’exercice des missions de la commission.

« La commission spécialisée peut recueillir auprès des personnes publiques et privées toute information nécessaire à l’accomplissement de sa mission. Elle peut entendre ou consulter toute personne dont le concours lui paraît utile.

« Le cas échéant, la commission spécialisée est informée par la ou les autorités dont relève le fonctionnaire dans son corps ou dans son cadre d’emplois d’origine des faits relatifs à une situation de conflit d’intérêts qui ont été relatés ou ont fait l’objet d’un témoignage en application de l’article 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée, dès lors que ces faits concernent les fonctions exercées ou ayant été exercées au cours des trois années antérieures par ce fonctionnaire.

« IX. – Lorsqu’elle est saisie en application des IV, V, VI ou VII du présent article, la commission rend, dans un délai de deux mois à compter de sa saisine, un avis :

« 1° De compatibilité ;

« 2° De compatibilité avec réserves, celles-ci étant prononcées pour une durée de deux ans lorsque l’avis est rendu en application du IV, de trois ans suivant la cessation des fonctions lorsque l’avis est rendu en application du V et de deux ans lorsque l’avis est rendu en application des VI et VII ;

« 3° D’incompatibilité.

« Le président de la commission peut rendre, au nom de celle-ci, un avis de compatibilité, assorti éventuellement de réserves, dans le cas où l’activité envisagée est manifestement compatible avec les fonctions antérieures ou actuelles de l’intéressé.

« Il peut également rendre, au nom de celle-ci, un avis d’incompétence, d’irrecevabilité ou constatant qu’il n’y a pas lieu à statuer.

« X. – Les avis rendus au titre des 2° et 3° du IX lient l’administration et s’imposent à l’agent.

« L’autorité dont le fonctionnaire relève dans son corps ou dans son cadre d’emplois d’origine peut solliciter une seconde délibération de la commission spécialisée, dans un délai d’un mois à compter de la notification de son avis. Dans ce cas, la commission rend un nouvel avis dans un délai d’un mois à compter de la réception de cette sollicitation.

« Lorsque le fonctionnaire ne respecte pas l’avis rendu au titre des mêmes 2° et 3°, il peut faire l’objet de poursuites disciplinaires.

« Lorsque le fonctionnaire retraité ne respecte pas l’avis rendu au titre desdits 2° et 3°, il peut faire l’objet d’une retenue sur pension dans la limite de 20 % pendant les trois ans suivant la cessation de ses fonctions.

« Lorsque l’agent est titulaire d’un contrat de travail et qu’il ne respecte pas l’avis rendu au titre des mêmes 2° et 3°, le contrat prend fin à la date de notification de l’avis, sans préavis et sans indemnité de rupture.

« XI. – Les avis et recommandations de la commission spécialisée sont rendus publics, le cas échéant assortis de la réponse de l’administration. Ils ne contiennent aucune information de nature à porter atteinte à la vie privée de la personne concernée, au secret médical, au secret en matière commerciale et industrielle ou à l’un des secrets mentionnés au 2° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration.

« XII. – Les règles de fonctionnement et la procédure applicable devant la commission spécialisée sont définies par le collège de la Haute Autorité. » ;

3° L’article 20 est ainsi modifié :

a) À la première phrase du 5° du I, après les mots : « de la présente loi », sont insérés les mots : « et des articles 25 à 25 ter, 25 septies, 25 nonies et 28 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires » ;

b) Le dernier alinéa du II est supprimé ;

4° À la seconde phrase du premier alinéa du I de l’article 23, les mots : « elle informe la commission de déontologie de la fonction publique mentionnée à l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée d’une telle saisine et lui communique, le cas échéant, son avis » sont supprimés.

II. – La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifiée :

1° À la fin de la première phrase du premier alinéa de l’article 14 bis, les mots : « de déontologie mentionnée à l’article 25 octies » sont remplacés par les mots : « spécialisée mentionnée à l’article 19-1 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique » ;

2° Après le mot : « commission », la fin du dernier alinéa du III de l’article 25 septies est ainsi rédigée : « spécialisée mentionnée à l’article 19-1 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. » ;

3° L’article 25 octies est abrogé.

III. – Au premier alinéa de l’article L. 531-3 du code de la recherche, les mots : « mentionnée à l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires » sont remplacés par les mots : « spécialisée mentionnée à l’article 19-1 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ».

IV. – Les I, II et III entrent en vigueur dans le délai d’un an après la promulgation de la présente loi.

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Cet amendement vise à transférer les compétences de la commission de déontologie de la fonction publique à une commission spécialisée de la HATVP spécialement créée sur la base de l’amendement de Mme Di Folco que le Sénat a déjà adopté.

Il est enrichi de la publicité des avis de la commission, du contrôle du personnel des autorités administratives indépendantes, les AAI, des autorités publiques indépendantes, les API, et de la faculté accordée à cette commission d’assurer un contrôle pour la réintégration des agents, ce qui est également conforme aux préconisations du rapport Matras-Marleix.

Cette fusion est justifiée par les compétences concurrentes qu’exercent aujourd’hui la HATVP et la commission de déontologie en matière de lutte contre les conflits d’intérêts, la HATVP étant chargée du contrôle des déclarations de patrimoine de certains hauts fonctionnaires. Cette fusion est bien sûr perfectible. La composition de la commission spécialisée pourrait être revue si cette proposition de loi poursuivait son chemin législatif.

Il s’agissait pour nous de parvenir à un compromis qui puisse servir de base pour la discussion entre le Sénat et l’Assemblée nationale.

M. le président. Le sous-amendement n° 28, présenté par M. Artano, est ainsi libellé :

Amendement n° 16 rectifié bis, alinéa 28, première phrase

Après le mot :

lucratif,

insérer les mots :

et avant tout changement de fonction intervenant au plus tard trois ans après sa réintégration,

La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Ce sous-amendement de précision vise à introduire, après l’intégration de la commission spécialisée au sein de la HATVP, un sas de trois ans après la réintégration d’un haut fonctionnaire.

M. le président. Le sous-amendement n° 29, présenté par M. Artano, est ainsi libellé :

Amendement n° 16 rectifié bis, alinéa 28, seconde phrase

Rédiger ainsi cette phrase :

Sont soumis au présent VI les personnes exerçant un emploi ou des fonctions à la décision du Gouvernement pour lesquels elles ont été nommées en conseil des ministres, les membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes, les membres des inspections générales, les chefs de service et les sous-directeurs de l’administration de l’État et les personnes mentionnées au 6° du I de l’article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Ce sous-amendement vise lui aussi à préciser le dispositif de fusion, en définissant le périmètre des hauts fonctionnaires concernés par le contrôle au moment de la réintégration, tout comme le sous-amendement précédent.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Ces deux sous-amendements n’ont pas été examinés par la commission des lois en raison de leur dépôt tardif.

Cela dit, l’amendement n° 6 ayant été adopté avec un avis de sagesse de la commission, je donne à titre personnel, par cohérence, un avis favorable sur le sous-amendement n° 28, qui le reprend.

L’amendement n° 7 ayant été lui aussi adopté, avec un avis favorable de la commission, j’émets donc, toujours par cohérence, un avis favorable sur le sous-amendement n° 29, qui le reprend.

Quant à l’amendement n° 16 rectifié bis, la commission lui est favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. La proposition que font les auteurs de l’amendement n° 16 rectifié bis suscite à tout le moins deux réserves.

D’abord, ce débat nous permet de rappeler qu’il existe une réelle différence de missions entre, d’une part, la commission de déontologie, qui allie une expertise globale sur les questions de déontologie de l’ensemble des agents publics quant à l’examen des situations individuelles de ceux d’entre eux qui partent dans le secteur privé concurrentiel et, d’autre part, la Haute Autorité, qui contrôle l’exemplarité et, notamment, l’absence de conflits d’intérêts et l’intégrité financière de ceux qui, agents publics ou non, occupent des emplois ayant un lien de proximité forte avec l’autorité politique.

Par ailleurs – seconde réserve –, pour celles de leurs compétences qui appellent une coordination, la commission de déontologie et la Haute Autorité ont déjà conclu un protocole, à l’automne 2017, en vue de formaliser les échanges d’informations sur les agents qui relèveraient successivement de l’une et de l’autre.

Pour ces deux raisons, l’avis du Gouvernement sur cet amendement est défavorable ; par cohérence, son avis sur les deux sous-amendements l’est aussi.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 28.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 29.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Nous ne sommes pas favorables à l’adoption de l’amendement n° 16 rectifié bis. En effet, une confusion se produit quant aux missions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Je rappelle que la HATVP a été créée, essentiellement, pour contrôler la situation des membres du Gouvernement, des parlementaires, donc de nous-mêmes, et des élus locaux. On souhaiterait qu’elle puisse aller au-delà ; elle le fait déjà, pour la haute fonction publique, puisqu’elle reçoit aussi, notamment, les déclarations de hauts magistrats. Dès lors, il n’y a aucune raison que les contrôles relatifs à ces personnes soient soumis à d’autres instances que la Haute Autorité elle-même.

Je ne comprends pas très bien pourquoi l’on veut complexifier les choses en ajoutant, au sein de la Haute Autorité, une commission spécialisée composée de manière différente. Il n’y a aucune raison de le faire.

C’est pourquoi nous ne soutiendrons pas cet amendement tendant à créer un article additionnel après l’article 5, et ce malgré l’avis favorable de la commission.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16 rectifié bis, modifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 5.

Article additionnel après l'article 5 - Amendement n° 16 rectifié bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article 6 (supprimé)

L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Capus, A. Marc, Malhuret, Chasseing, Guerriau, Decool et Lagourgue, Mme Mélot et MM. Bignon, Wattebled et Fouché, est ainsi libellé :

Après l’article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le I de l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi rédigé :

« I. – Une commission de déontologie de la fonction publique apprécie le respect des principes déontologiques inhérents à l’exercice d’une fonction publique. Cette commission de déontologie de la fonction publique est une autorité administrative indépendante. »

La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Cet amendement vise à clarifier le positionnement institutionnel de la commission de déontologie, qui est pour l’heure placée auprès du Premier ministre. L’exigence d’indépendance inhérente à ses travaux et le fait que la HATVP est devenue, en 2013, une autorité administrative indépendante plaident pour ce changement de statut.

Cet amendement tend donc à ériger la commission de déontologie de la fonction publique en autorité administrative indépendante. Cette transformation sera un premier pas vers sa fusion avec la Haute Autorité. Cette fusion, proposée dans des rapports récents, répondrait à un souci de clarification et de simplification du cadre déontologique dans la sphère publique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. L’amendement n° 16 rectifié bis vient d’être adopté ; votre amendement est donc satisfait, mon cher collègue.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement constate, monsieur le sénateur, que votre amendement est satisfait ; cela ne signifie pas qu’il approuve sa satisfaction ! (Sourires.) Je vous demande donc de bien vouloir le retirer ; à défaut, l’avis sera défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié ter.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 5 - Amendement n° 1 rectifié ter
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Premier et deuxième articles additionnels après l'article 6

Article 6

(Supprimé)

M. le président. L’amendement n° 11 rectifié, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L’article 51 de la loi n° 84–16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Nul ne peut se maintenir indéfiniment en disponibilité. En particulier, le recours à la mise en disponibilité pour exercer toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé, ou toute activité libérale, ne peut excéder une durée de cinq ans, sauf dispositions plus restrictives prévues par décret en Conseil d’État. »

La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Cet amendement est très important et, une fois encore, ne relève pas du gadget. En lisant l’étude Que sont les énarques devenus ?, nous avons été stupéfaits de découvrir que certains d’entre eux passent plus de la moitié de leur carrière dans le secteur privé, tout en conservant leur statut d’agent public.

Nous avions en premier lieu visé les détachements, alertés que nous étions par le laconisme de la loi, qui dispose simplement que les détachements peuvent être de courte ou longue durée. Les travaux de Josiane Costes ont montré que le régime juridique aujourd’hui principalement utilisé pour le pantouflage est celui de la disponibilité, ce qui nous a permis de réajuster ces dispositions.

Il nous semble en effet que cette situation mérite une clarification, qui passerait par la définition de délais légaux pour les disponibilités de pantouflage. Nous proposons de fixer ce délai à cinq ans, sur la base de la promesse de campagne du président Macron.

Quelle frontière existe-t-il entre le secteur public et le secteur privé, si des agents publics peuvent construire des carrières dans le secteur privé sans jamais avoir à rejoindre l’administration ? Le maintien anormalement long de fonctionnaires en disponibilité entraîne une réelle difficulté en matière de gestion des ressources humaines, puisque ces agents publics ont théoriquement vocation à réintégrer leur service. En outre, on peut facilement juger que la réussite de leur réintégration sera inversement proportionnelle à la durée passée dans le secteur privé.

C’est pourquoi nous vous proposons d’adopter cet amendement. Nous avons spécifiquement veillé à ne pas viser l’ensemble des disponibilités, en raison de l’existence de celles qui sont décidées d’office, sur le fondement de raisons familiales ou encore de recherche. Nous avons également pris garde à ce que notre rédaction n’allonge pas les durées actuellement prévues, qui sont de deux ans en cas de création ou de reprise d’une entreprise.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. La commission a beaucoup discuté de l’article que cet amendement vise à rétablir.

La mise en disponibilité d’un fonctionnaire est toujours limitée dans le temps, quel qu’en soit le motif. Par exemple, la mise en disponibilité pour création d’entreprise est limitée à deux ans non renouvelables. Elle n’est en outre accordée que sous réserve que l’activité envisagée soit compatible avec les activités exercées dans le secteur public au cours des trois années précédentes. Les autres cas de mise en disponibilité ne répondent pas aux mêmes critères de durée et de compatibilité.

Par conséquent, le principe posé par les auteurs du présent amendement – « nul ne peut se maintenir indéfiniment en disponibilité » – est déjà satisfait. En outre, la durée qu’ils proposent pour une mise en disponibilité permettant l’exercice d’une activité lucrative serait plus favorable que le droit en vigueur, ce qui semble contraire à leur volonté.

Je vous demande donc, mes chers collègues, de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi l’avis de la commission sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. C’est le même avis que celui de la commission, pour exactement les mêmes raisons.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 11 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 6 demeure supprimé.

Mes chers collègues, je vous rappelle que la niche consacrée à l’examen de cette proposition de loi et de la suivante ne saurait durer plus de quatre heures ; gardez cela à l’esprit au cours du débat.

Article 6 (supprimé)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel après l'article 6 - Amendement n° 9 rectifié bis

Articles additionnels après l’article 6

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 22 rectifié bis, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 51 de la loi n° 84–16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le nombre de fonctionnaires placés annuellement en disponibilité, sous réserve des nécessités de service, ne peut dépasser 5 % de leurs corps d’origine respectifs. La disponibilité sous réserve des nécessités de service ne peut durer plus de trois ans sauf en cas d’études ou recherches présentant un intérêt général. Tout fonctionnaire qui ne réintègre pas le service de l’État au terme de cette période est considéré comme démissionnaire. »

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Je vais suivre vos conseils, monsieur le président, au vu du sort qui a été réservé à mes amendements précédents, somme toute bien anodins. J’ai conscience que je n’ai absolument aucune chance de voir celui-ci ou le suivant adoptés ; je ne nous ferai donc pas perdre notre temps en les présentant plus longuement.

M. le président. L’amendement n° 23 rectifié bis, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 51 de la loi n° 84–16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le nombre de fonctionnaires placés annuellement en disponibilité, sous réserve des nécessités de service, ne peut dépasser 10 % de leurs corps d’origine respectifs. La disponibilité sous réserve des nécessités de service ne peut durer plus de trois ans sauf en cas d’études ou recherches présentant un intérêt général. Tout fonctionnaire qui ne réintègre pas le service de l’État au terme de cette période est considéré comme démissionnaire. »

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. C’est un amendement de repli.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Ces deux amendements procèdent d’une même philosophie : il s’agit de limiter le nombre de fonctionnaires appartenant à un même corps qui pourraient, en même temps, être mis en disponibilité de la fonction publique.

Je vous demande, mon cher collègue, de bien vouloir les retirer ; à défaut, l’avis de la commission sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Il est aussi défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 22 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 23 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Premier et deuxième articles additionnels après l'article 6
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article 7

M. le président. L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Après l’article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le VI de l’article 25 octies de la loi n° 83–634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :

« … – Lorsqu’il occupait l’un des emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, mentionné sur une liste établie par décret en Conseil d’État, le fonctionnaire qui a fait l’objet d’un avis rendu au titre du 2° du V adresse annuellement, dans le délai cité au même 2° du V à la commission une attestation, signée de son employeur, démontrant qu’il respecte l’avis de la commission. »

La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. En l’état du droit, rien ne prouve que les avis de compatibilité, assortis ou non de réserves, émis par la commission de déontologie sont respectés par les fonctionnaires pendant leur pantouflage dans le secteur privé.

Dans leur récent rapport, nos collègues députés Fabien Matras et Olivier Marleix soulignent d’ailleurs que, en matière de contrôle des avis et des éventuelles réserves, la commission de déontologie ne dispose d’aucun pouvoir de contrôle a posteriori ; elle n’a pas même le droit d’interroger les agents partis dans le privé. La proposition n° 9 de ce rapport vise en ce sens à contrôler dans la durée le respect des réserves au travers d’une interrogation annuelle des personnes concernées et de leurs employeurs par la commission de déontologie.

Le présent amendement tend à inscrire cette proposition dans le droit, tout en la circonscrivant aux postes de fonctionnaires les plus « sensibles ». Nous reprenons pour ce faire le périmètre des déclarations de situation patrimoniale des fonctionnaires qui sont exigées pour les emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions justifient un tel contrôle. Ce périmètre est défini par une liste établie par un décret en Conseil d’État.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Il me faut d’abord rappeler que, conformément à l’article 35 du décret du 27 janvier 2017 relatif à l’exercice d’activités privées par des agents publics et à la commission de déontologie, l’avis de ladite commission et la décision de l’administration sont transmis à l’entreprise ou à l’organisme qui accueille l’agent concerné. L’entreprise est donc déjà en mesure de savoir si le fonctionnaire qui la rejoint a ou non respecté l’avis de la commission.

Par ailleurs, cet amendement tend à faire peser sur les entreprises le suivi du respect des obligations déontologiques émises par la commission de déontologie, ce qui ne nous paraît pas souhaitable. Cette charge administrative supplémentaire serait d’ailleurs de nature à les dissuader de recruter des agents publics et, par voie de conséquence, à faire obstacle à la mobilité des carrières entre secteurs public et privé telle que souhaitée par le Gouvernement. C’est à l’administration d’origine ou à l’agent lui-même de s’assurer du respect des obligations déontologiques, sous peine, pour l’agent concerné, de sanctions disciplinaires ou pénales.

Pour ces raisons, l’avis du Gouvernement sur cet amendement est défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 9 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 6.

Article additionnel après l'article 6 - Amendement n° 9 rectifié bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 25 rectifié bis

Article 7

La sous-section 3 de la section 1 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code pénal est complétée par un article 131-11-1 ainsi rédigé :

« Art. 131-11-1. – I. – Le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une fonction publique mentionnée à l’article 131-10 est obligatoire à l’encontre de toute personne coupable d’un délit mentionné au II du présent article ou d’un crime.

« Cette condamnation est mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire prévu à l’article 775 du code de procédure pénale pendant toute la durée de l’interdiction.

« II. – Les délits pour lesquels l’interdiction d’exercer une fonction publique mentionnée à l’article 131-10 du présent code est obligatoirement prononcée sont les suivants :

« 1° (Supprimé)

« 2° Les délits prévus aux articles 225-1 à 225-2 ;

« 3° Les délits prévus aux articles 313-1, 313-2 et 314-1 à 314-3, ainsi que leur recel ou leur blanchiment ;

« 4° Les délits prévus au chapitre Ier du titre II du livre IV ;

« 5° Les délits prévus aux articles 432-10 à 432-15, 433-1 et 433-2, 434-9, 434-9-1, 434-43-1, 435-1 à 435-10, ainsi que leur recel ou leur blanchiment ;

« 6° Les délits prévus aux articles 441-2 à 441-6, ainsi que leur recel ou leur blanchiment ;

« 7° (Supprimé)

« 8° Les délits prévus aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, lorsqu’ils sont commis en bande organisée ou lorsqu’ils résultent de l’un des comportements mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, ainsi que leur recel ou leur blanchiment ;

« 9° Les délits prévus aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du code monétaire et financier, ainsi que leur recel ou leur blanchiment ;

« 10° et 11° (Supprimés)

« 12° Les délits prévus à l’article 26 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ;

« 13° Le délit de participation à une association de malfaiteurs prévu à l’article 450-1 du présent code, lorsqu’il a pour objet un crime ou un délit mentionné aux 1° à 12° du présent II.

« III. – Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la peine prévue par le présent article, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »

M. le président. L’amendement n° 27, présenté par Mme Costes, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 16

Remplacer la référence :

par la référence :

La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Josiane Costes, rapporteur. C’est simplement un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Favorable !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 27.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 7, modifié.

(Larticle 7 est adopté.)

Article 7
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 13

Articles additionnels après l’article 7

M. le président. L’amendement n° 25 rectifié bis, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 25 decies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il est inséré un article 25… ainsi rédigé :

« Art. 25… – Il est interdit à tout fonctionnaire ou agent public d’exercer une activité de conseil à titre onéreux auprès d’une administration, d’un établissement public, d’une société publique ou d’une société privée. »

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Nous traitons là d’un autre sujet : la capacité qu’ont certains hauts fonctionnaires de remplir plusieurs fonctions à la fois. Lors des travaux de la commission d’enquête sur les autorités administratives indépendantes, présidée par Jacques Mézard, nous nous étions étonnés de la capacité de certains à être partout ! Nous mettons simplement là le doigt sur un problème : de fait, certains trouvent moyen, par ces activités, d’arrondir leur revenu ou de s’enrichir ; c’est ce qu’on appelle dans l’audiovisuel des « ménages ».

Je me réfugie là derrière une autorité qui n’est tout de même pas nulle, à savoir celle de Jean-Louis Debré…

M. Loïc Hervé. Une référence !

M. Pierre-Yves Collombat. Tout à fait ! Comment se fait-il, se demande-t-il, qu’un magistrat dont la fonction est d’être conseil du Gouvernement puisse être par ailleurs rémunéré comme conseil d’une administration ou d’un établissement public qui dispose en outre déjà d’une direction juridique ? Ce cumul est insensé ! Eh bien, il semblerait que non…

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Les auteurs de cet amendement proposent de s’inspirer des incompatibilités parlementaires, afin d’interdire à un fonctionnaire ou à un agent public d’exercer une activité de conseil. Le cumul d’activité est pourtant déjà soumis au contrôle de la commission de déontologie de la fonction publique, en application du II de l’article 25 octies et du III de l’article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983. Il n’est donc pas indispensable de prévoir une interdiction générale et absolue.

Je vous demande par conséquent, mon cher collègue, de retirer votre amendement ; à défaut, il recevra un avis défavorable de la commission des lois.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Comme l’a rappelé Mme la rapporteur, tous les agents publics sont concernés par l’application des dispositions de la loi du 13 juillet 1983 et du décret du 27 janvier 2017. Interdire spécifiquement le cumul d’activités pour les fonctionnaires des grands corps reviendrait à créer une situation juridiquement fragile au regard du principe d’égalité.

L’avis du Gouvernement sur cet amendement est donc défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 25 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 25 rectifié bis
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 14

M. le président. L’amendement n° 13, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 25 decies de la loi n° 83–634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il est inséré un article 25 … ainsi rédigé :

« Art. 25… – Il est interdit à tout ancien fonctionnaire ou agent public d’exercer une activité de conseil qui a trait directement ou indirectement aux missions de service public attachées à ses anciennes fonctions pendant un délai de trois ans. »

La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Un amendement identique a déjà été adopté par le Sénat lors de l’examen de la loi pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017. Le présent amendement vise à prévenir l’utilisation à des fins lucratives d’un réseau ou d’une clientèle constituée dans le cadre de l’exercice et pour l’objet d’une mission de service public, en introduisant un délai de trois ans pendant lequel un ancien fonctionnaire ne pourra exercer une activité de conseil liée à ses anciennes missions de service public.

Pour rendre à César ce qui appartient à César, il me faut préciser qu’un amendement identique avait été déposé par notre collègue Jacques Genest lors de l’examen de la loi pour la confiance dans la vie politique. Nous avons pris la liberté de présenter celui-ci, en considérant qu’il s’insérait bien dans l’esprit de la proposition de loi que nous examinons, et afin d’en renforcer la nature consensuelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Un ancien fonctionnaire qui souhaiterait créer un cabinet de conseil après avoir démissionné de la fonction publique doit d’ores et déjà saisir la commission de déontologie de la fonction publique, qui doit statuer sur la compatibilité des nouvelles fonctions qui seraient exercées dans le secteur privé avec celles qui l’ont été dans le secteur public.

Aussi, après y avoir de nouveau réfléchi et en avoir débattu, la commission a-t-elle finalement jugé préférable de s’en tenir pour le moment aux règles actuelles, plutôt que de substituer au contrôle exercé par la commission de déontologie une interdiction totale. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui renforce encore davantage ce contrôle.

Plutôt que de prévoir une interdiction générale, laissons à ces dispositifs de contrôle le temps de produire leurs effets. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. L’avis du Gouvernement est défavorable pour les mêmes raisons que celles qu’a évoquées Mme la rapporteur.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 13.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 13
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 15

M. le président. L’amendement n° 14, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 25 decies de la loi n° 83–634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il est inséré un article 25 … ainsi rédigé :

« Art. 25 … – Il est interdit à tout ancien fonctionnaire ou agent public en disponibilité et ayant exercé des fonctions pour le compte d’une entreprise publique ou privée ou pour une société de conseil d’occuper une fonction impliquant une mission de service public ou l’exercice de prérogatives de puissance publique directement ou indirectement liées aux secteurs d’activité dans lesquels il est intervenu pendant un délai de trois ans. »

La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Cet amendement vise à interdire aux anciens fonctionnaires ou agents publics en disponibilité ayant exercé des fonctions pour le compte d’une entreprise publique ou privée ou pour une société de conseil d’occuper une fonction impliquant une mission de service public ou l’exercice de prérogatives de puissance publique dans un même secteur d’activité, pendant un délai de trois ans.

Un amendement identique, déposé par M. Genest, avait là aussi été adopté par le Sénat lors de l’examen de la loi pour la confiance dans la vie politique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Cet amendement exprime la même philosophie que l’amendement précédent ; la commission des lois émet donc là encore un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. De la même manière, son avis est défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 14.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 14
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 26 rectifié

M. le président. L’amendement n° 15, présenté par Mme M. Carrère et M. Artano, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le 9° de l’article 18–5 de la loi n° 2013–907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« …° S’abstenir d’exercer toute action pour le compte ou auprès d’une personne morale de droit public dont il aurait été le fonctionnaire ou l’agent public dans les trois dernières années. »

La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Cet amendement vise à limiter la possibilité qu’ont les anciens fonctionnaires ou agents publics de devenir des représentants d’intérêts auprès d’une personne morale de droit public dont ils auraient fait partie ou pour le compte de celle-ci.

Comme pour les deux amendements précédents, M. Genest avait déposé un amendement identique lors de l’examen de la loi pour la confiance dans la vie politique, amendement lui aussi adopté par le Sénat.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. Cet amendement est inspiré par la même philosophie que les précédents ; la commission émet donc là encore un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. J’ai noté que M. Artano rappelait l’origine ardéchoise de ces amendements, mais cela ne suffit pas à me convaincre. (Sourires.) L’avis du Gouvernement reste donc défavorable sur cet amendement aussi.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 15.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, nadopte pas lamendement.)

Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 15
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L’amendement n° 26 rectifié, présenté par M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au premier alinéa de l’article 432-12 du code pénal, le mot : « quelconque » est remplacé par les mots : « personnel distinct de l’intérêt général ».

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement vise à reprendre une disposition que le Sénat a adoptée par deux fois à l’unanimité.

Nous l’avons déposé sur ce texte parce que nous nous émouvons du sort réservé aux élus locaux accusés ou inculpés de prise illégale d’intérêts. La définition pénale de ce délit repose sur l’expression « intérêt quelconque », si bien que ces élus se retrouvent inquiétés dans des situations absolument invraisemblables. Si nous avions un peu plus de temps, je vous donnerais des exemples tout à fait ubuesques.

Dès lors, au vu des précautions qui sont prises pour ne pas perturber les gens qui risquent de se trouver dans des situations de conflit d’intérêts, nous pourrions également faire profiter de telles précautions les élus locaux qui se voient reprocher des prises illégales d’intérêts parfaitement fictives.

Il s’agirait simplement de remplacer dans le code pénal la mention actuelle de l’intérêt « quelconque » par celle d’un intérêt « personnel distinct de l’intérêt général ». Évidemment, cela exclurait notamment tout problème personnel. Au moins, ce serait plus clair. Cela fait deux fois que le Sénat adopte une telle disposition sans que l’Assemblée nationale ait donné suite. Je m’étonne de cette dualité de traitement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Josiane Costes, rapporteur. C’est un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. L’avis du Gouvernement est défavorable.

En effet, nous considérons que la présente proposition de loi, malgré les réserves que nous avons formulées à son encontre, traite de la situation des fonctionnaires et des hauts fonctionnaires, et non pas de la situation des élus. Il ne nous semble donc pas opportun qu’une telle disposition puisse être examinée – j’allais dire pire, mais je retire le mot par avance – et moins encore qu’elle soit adoptée.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le secrétaire d’État, je suis très déçu de votre prise de position. Nous avons l’expérience dans nos départements, où nous sommes quotidiennement au contact des maires, de trop nombreuses difficultés d’application de la législation pénale en matière de conflits d’intérêts.

La notion d’« intérêt quelconque » a été étendue jusqu’à la prise en considération d’intérêts qui peuvent être caractérisés par de simples relations amicales ou familiales indirectes, voire par l’appartenance à des associations à but non lucratif. Ainsi, un élu se retrouve exposé à des sanctions pénales s’il participe à une décision publique affectant des structures qui ne représentent pourtant aucun intérêt d’argent dès lors qu’il existe entre elles et lui de tels liens, d’ailleurs tout à fait conformes à ce qu’on peut attendre d’un engagement au service de la vie de la collectivité. Il faut que cela cesse !

Pierre-Yves Collombat fait montre de beaucoup de persévérance en rouvrant ainsi le débat, mais nous le faisons aussi nous-mêmes, dans d’autres circonstances, chaque fois que cela nous est possible.

J’entends bien que ce texte n’est pas le bon support, mais reconnaissez tout de même, monsieur le secrétaire d’État, que cette question devient lancinante. Vous devez savoir que beaucoup d’élus locaux sont découragés, que beaucoup d’entre eux se sentent contraints dans leur action au service de l’intérêt général par une accumulation de réglementations et de risques judiciaires qui sont autant d’entraves au service de la population ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Puisque nous avons l’occasion de le faire, votons cette disposition ! Et nous la voterions avec une satisfaction encore plus grande si le Gouvernement montrait un peu d’attention aux élus de notre pays en acceptant cet amendement. (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Je rejoins complètement la position de M. le président de la commission des lois, et je remercie Pierre-Yves Collombat d’avoir déposé cet amendement ; je crois que ce sera la troisième fois que nous adopterons une telle disposition, car je ne doute pas de son succès.

Je tiens à vous dire, monsieur le secrétaire d’État, qu’on peut distinguer deux choses : la réflexion globale sur le statut des élus locaux, réflexion qui a été engagée ces derniers jours par le Sénat, notamment par sa délégation aux collectivités territoriales, et qui est suivie de près par la commission des lois – il s’agit d’une question de fond – et l’amendement, présenté par M. Collombat, qui vise à répondre à une question urgente. Partout dans notre pays, la jurisprudence pénale, se fondant sur le droit positif actuel, a conduit à la condamnation d’élus locaux ; c’est extrêmement fâcheux pour leurs collectivités.

Pierre-Yves Collombat nous a fait grâce d’exemples ; pour ma part, je vais vous en donner un. Les faits ne se sont pas produits dans mon département. Le maire d’une commune rurale, avocat de son état, avait assuré la défense de sa collectivité ; il a été condamné pour prise illégale d’intérêts au motif de la réputation qu’il aurait pu potentiellement tirer de sa défense de la commune dans cette affaire. C’est quand même le rôle d’un maire que de défendre sa commune ! Il a été habilité par le conseil pour le faire, il n’en a évidemment tiré aucune rémunération et il a même fait faire des économies à cette petite commune rurale ; or il a été condamné pour prise illégale d’intérêts au titre de la fama, comme on dit en latin, c’est-à-dire de la réputation qu’il aurait pu tirer de cette affaire.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est lamentable !

M. Loïc Hervé. Cela devient tout de même fâcheux. Cela alimente le discours de défiance à l’égard des élus locaux qui tireraient un profit quelconque de leur mandat ! Je sais bien, monsieur le secrétaire d’État, que vous êtes très attentif à cette question ; alors, ne tardez pas trop à intervenir sur ce sujet ! Je crois que nous ferions, les uns et les autres, œuvre utile. (M. le président de la commission des lois et M. Guillaume Arnell applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Cet amendement a toute sa pertinence, même s’il n’a sans doute pas sa place dans ce texte – mais il faut bien que des articles figurent dans cette proposition de loi ! (Sourires.) Il est très révélateur de la manière dont on a été capable, dans les années 1992-1993 – je me souviens de qui était au gouvernement –, de faire des lois au nom de la transparence pour éviter la corruption qui, parce que ce sont des instruments que l’on attribue à la justice, donnent aujourd’hui lieu à des interprétations jurisprudentielles qui se retournent contre les élus et qui ne vont pas dans le sens voulu.

Qui plus est, cela arrive à un moment où nous abordons un nouveau texte sur les conflits d’intérêts. Voilà qui devrait nous inviter à la modestie sur la manière dont il nous faut légiférer en la matière, puisqu’il arrive que certaines dispositions d’un texte aboutissent au résultat inverse de celui qui était souhaité.

C’est la raison pour laquelle nous devons voter en l’état l’amendement de Pierre-Yves Collombat, qui est un amendement d’appel. Monsieur le secrétaire d’État, vous affirmez que cet amendement n’a pas sa place dans ce texte : dites à Mme le garde des sceaux que cela vaut le coup de l’insérer dans les textes de droit pénal qu’elle veut nous soumettre dans peu de temps. Il serait intéressant que le Gouvernement soit attentif à la situation dans laquelle peuvent se retrouver certains élus locaux.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le secrétaire d’État, ce n’est peut-être pas le bon véhicule, mais c’est en tout cas la bonne direction ! (Sourires.)

M. Loïc Hervé. Excellent !

M. Pierre-Yves Collombat. Si vous avez un autre véhicule plus confortable à nous proposer, nous en serons très heureux. Nous sommes même prêts à vous laisser la paternité de cette disposition.

Je ne connaissais pas l’anecdote qu’a racontée Loïc Hervé. Elle est magnifique !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Incroyable !

M. Pierre-Yves Collombat. Trouvez-vous normal que quelqu’un qui représente sa commune dans une association locale, parce que la commune est membre de droit d’un quelconque comité, puisse être inquiété, si d’aventure il a oublié de sortir au moment où un certain nombre de dispositions ont été prises ? Trouvez-vous normal qu’un vice-président chargé des transports d’une intercommunalité puisse se trouver inquiété par l’interrogation de certains lui demandant si ses enfants prennent les transports en commun ? C’est complètement loufoque ! Si vous ne savez pas que cela se passe comme cela, on vous le dit.

Comment comprendre le traitement de faveur des hauts fonctionnaires ? N’y touchez pas, c’est fragile ! Pour les élus locaux, on ne prend pas autant de précautions ! L’adoption de cet amendement permettrait de faire un progrès dans ce domaine.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Bien sûr !

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.

M. Thani Mohamed Soilihi. Lors de la discussion générale, j’ai exposé la position de mon groupe sur cette proposition de loi. Cependant, à titre personnel, en cohérence avec moi-même (Sourires) et le vote que j’ai émis lors de la réunion de la commission des lois sur ce texte, je voterai cet amendement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Monsieur le secrétaire d’État, nous serons, semble-t-il, prochainement invités à examiner un projet de loi pour un État au service d’une société de confiance. Eh bien, je vous exhorte à exprimer, avec l’ensemble du Gouvernement, cette confiance d’abord en direction des élus locaux et des maires, car ce sont eux qui tiennent encore ce territoire et ce pays à peu près ensemble. Vous avez là une belle occasion de nous aider à donner de la visibilité à cet amendement auprès du Gouvernement,…

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Arnaud Bazin. … peut-être sous une autre forme et dans un meilleur véhicule.

En tout cas, faites confiance aux élus locaux, vous ne le regretterez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marc Gabouty. Sagesse du Gouvernement ?

M. Loïc Hervé. M. le secrétaire d’État a peut-être changé d’avis !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce ne serait pas la première fois !

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Madame la sénatrice, j’apprécie toujours votre sollicitude et j’aurais sans doute pu vous renvoyer le même compliment.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Monsieur le président de la commission des lois, j’aurais pu reprendre à mon compte chacun des mots que vous avez prononcés.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est prometteur !

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. En écho aux propos de M. Bazin, des élus locaux, j’en connais et j’en suis un. J’ai toujours la chance de présider une association qui rassemble les élus de communes de 2 500 à 25 000 habitants dont de nombreux adhérents sont confrontés à ces difficultés.

Je vais même plus loin et vous invite à lire le compte rendu de la réunion de la commission des lois de l’Assemblée nationale du 18 juillet dernier au cours de laquelle a été examiné le projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique. J’ai décrit à Mme la garde des sceaux les difficultés qui sont posées par la définition actuelle de la notion de prise illégale d’intérêts, avançant les mêmes arguments que vous.

Je maintiens et persiste à dire que cet amendement n’a pas sa place dans un texte portant sur la déontologie en matière de fonction publique, en particulier pour les hauts fonctionnaires.

Par conséquent, le Gouvernement y reste défavorable, mais je puis vous assurer que je saurai relayer vos préoccupations auprès de Mme le garde des sceaux. En effet, nous partageons cet objectif. Je souhaite que les prochains textes qui seront soumis à votre approbation, en tout cas à votre examen, par Mme le garde des sceaux puissent nous permettre collectivement de régler ce problème.

En l’état, je le répète, cette disposition n’a pas sa place dans ce texte. Notez toutefois que le Gouvernement sera attentif à cette question.

Mme Éliane Assassi. Il fallait dire « Sagesse » !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 26 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 7.

Je constate que l’amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

Vote sur l’ensemble

Article additionnel après l'article 7 - Amendement n° 26 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, qui est à l’initiative de ce texte, la déception doit être grande, tant était forte la volonté d’accroître la déontologie dans la fonction publique.

En fin de compte, certains articles de ce texte ont été maintenus. Un rapport parlementaire d’information d’un membre de La République En Marche a été rédigé sur la question. Nous pensons que le Gouvernement le suivra et formulera des propositions, qui seront préalablement accompagnées d’une étude d’impact,…

M. Jacques Bigot. … ainsi que le préconise le Conseil d’État, afin de vérifier au préalable ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Le véritable sujet, c’est la confiance de nos concitoyens, notamment dans la haute fonction publique. À mon sens, cette confiance est entamée, autant qu’elle l’est à l’égard des élus et des parlementaires. C’est pourquoi il faudra bien, à un moment donné, trouver les moyens de la rétablir sans opposer la haute fonction publique et les élus, y compris ceux qui siègent au Gouvernement, comme cela a été mis en avant dans une tribune du Monde.

Cette proposition de loi comporte un certain nombre d’articles qui sont loin d’être inintéressants. Pour autant, elle n’ira sans doute pas loin, quand bien même elle contient quelques appels utiles dans différents domaines – le dernier amendement examiné en atteste.

Pour toutes ces raisons, sur ce texte, mon groupe va s’abstenir et non pas voter contre. En effet, l’attente est trop forte par rapport à ce qu’il faut faire. Plus qu’une simple proposition de loi, monsieur le secrétaire d’État, cela nécessite, de la part du Gouvernement, une véritable étude d’impact, de réelles propositions qui peuvent notamment s’inspirer du rapport d’information de l’Assemblée nationale. J’ai d’ailleurs, constaté que la proposition n° 9 de ce dernier n’a pas reçu un avis favorable du Gouvernement. J’espère au moins que, pour une fois, le groupe La République En Marche sera entendu.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la participation à ce débat a été forte et le mérite en revient aux membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen auteurs de cette proposition de loi. Cela a permis d’avancer et de nourrir la réflexion sur des sujets qui ne sont pas simples et qui concernent les serviteurs de l’État, ceux qui servent l’intérêt général au quotidien.

Le mérite en revient également aux amendements qui ont été examinés, ainsi qu’au travail collectif réalisé par les membres de la commission des lois. Nous avons notamment pu le mesurer lors de l’examen du dernier amendement, qui établit un parallèle avec l’engagement des élus locaux, tous confondus, qui ont décidé de se mettre au service de leurs concitoyens, quelle que soit la taille des villes, villages et bourgs.

Nous pouvons également établir un parallèle avec la mission de l’élu, l’engagement pour les autres, pour servir l’intérêt général et considérer qu’il faut une évolution similaire du statut de l’élu.

Tout cela confère à ce débat un sens positif. C’est pourquoi je remercie les auteurs de cette proposition de loi et soutiens ce texte.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Évidemment, je me réjouis que nous ayons réaffirmé notre volonté de modifier la notion de prise illégale d’intérêts.

S’agissant de l’objet de nos débats d’aujourd’hui, nous ne pouvons pas laisser penser qu’on a fait même un pas vers l’amélioration de la situation. Or la situation est grave, on ne veut pas le voir ! Je constate que les défenseurs des pantouflards et des amateurs de portes tournantes sont nombreux. Cela n’ira donc pas de soi et ne peut passer par des petites améliorations de la législation et de la déontologie.

Il reste un problème de fond, un problème structurel. Que devient notre République ? Je ne suis pas le seul à le dire ! Ce débat a été l’occasion de rappeler quelques citations de l’actuel Président de la République – il faut dire qu’à l’époque il n’était que candidat… (Sourires) – dénonçant les fonctionnaires qui se sont constitués en castes et bénéficient de privilèges hors du temps n’ayant pas de justification.

Pour tout dire, je ne me faisais aucune illusion, mais je ne veux pas laisser croire que c’est par cette voie-là que l’on arrivera à quelque chose.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Je remercie tout d’abord mes collègues du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen : l’examen de ce texte préfigure le grand débat qui aura lieu dans quelques mois, à l’Assemblée nationale et au Sénat, sur la question de la fonction publique en général.

Monsieur le secrétaire d’État, le Sénat est dans son rôle : le travail parlementaire a anticipé ce grand chantier et la qualité des débats cet après-midi a démontré que certains sujets rassemblent.

Je partage en partie les propos de Pierre-Yves Collombat : pour rétablir la confiance entre nos concitoyens et leurs dirigeants publics et, parmi eux, les hauts fonctionnaires, des modifications sont nécessaires, non seulement sur un plan symbolique – on l’a déjà fait avec les élus, on pourra le faire avec les hauts fonctionnaires –, mais aussi sur le plan du statut, sur l’organisation même de la fonction publique dans notre pays. Il est nécessaire d’évoluer.

C’est la raison pour laquelle le groupe Union Centriste a participé à ces débats, soutenu un certain nombre d’évolutions du texte et votera en faveur de cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Olivier Léonhardt, pour explication de vote.

M. Olivier Léonhardt. Je ne sais plus si c’était Trotski ou Lénine (Exclamations amusées) qui disait « un pas en avant vaut mieux que mille programmes ».

Mme Éliane Assassi. Lénine ! (Sourires.)

M. Olivier Léonhardt. Il me semble que tout est dit !

M. le président. N’était-ce pas plutôt « dix programmes » ? (Nouveaux sourires.)

M. Loïc Hervé. Vous étiez à la même école ! (Rires.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d’intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la prévention des conflits d'intérêts liés à la mobilité des hauts fonctionnaires
 

3

 
Dossier législatif : proposition de loi sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales
Discussion générale (suite)

Exécution des peines des auteurs de violences conjugales

Discussion et retrait d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales
Discussion générale (fin)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, de la proposition de loi sur le régime de l’exécution des peines des auteurs de violences conjugales, présentée par Mme Françoise Laborde et plusieurs de ses collègues (proposition n° 621 [2016-2017], résultat des travaux de la commission n° 300, rapport n° 299).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi.

Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai souhaité déposer, avec le soutien de la grande majorité des membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, a pour objet d’aborder les problèmes rencontrés dans l’application et l’aménagement des peines prononcées à l’encontre des auteurs de violences conjugales et de tenter d’y apporter une solution.

Les circonstances qui m’ont conduite à prendre cette initiative sont non seulement le résultat d’une réflexion personnelle engagée sur le fond dans le cadre des travaux de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je suis membre depuis mon élection au Sénat en 2008, mais aussi le fruit de rencontres avec les acteurs associatifs dans mon département, la Haute-Garonne.

J’ai été alertée par un collectif associatif sur l’incompréhension des victimes de violences conjugales et de leur famille face aux conséquences de certaines décisions judiciaires en matière d’aménagement des peines. Les faits relatés posent le problème dans son ensemble et nous conduisent à nous interroger.

Un homme peut-il être placé derrière les barreaux pour de menus trafics de stupéfiants alors qu’un autre est laissé en liberté surveillée quand une décision de justice atteste que, à plusieurs reprises, il a violemment frappé sa compagne ?

Si l’on peut comprendre la démarche des juges de l’application des peines qui autorisent ces aménagements, on ne peut rester sourd à la détresse des familles, et souvent des enfants : le bourreau de leur mère est laissé libre à la suite d’une décision de justice qui l’a pourtant reconnu coupable. Le poids symbolique de cette pratique est extrêmement lourd de conséquences. C’est un contre-signal adressé en matière de lutte contre les violences conjugales.

On objectera peut-être que ma proposition de loi risque d’aggraver le phénomène de surpopulation carcérale. Les lieux de privation de liberté sont surchargés et la restriction des aménagements de peine aurait pour conséquence directe une augmentation des effectifs de ces établissements, mais les violences conjugales sont très spécifiques.

Ces violences se caractérisent par un dénominateur commun à l’auteur des faits et à la victime : je veux parler du déni, nourri par le phénomène de l’emprise. C’est une caractéristique constante de ce type de délit.

Le législateur ne doit perdre de vue ni cette particularité ni la question de l’avenir des enfants, lesquels sont souvent pris au piège dans des situations délétères pour leur construction. Il nous faut les protéger. Trop souvent, ils sont les premiers témoins, otages et malheureusement victimes collatérales prises dans les mailles des violences conjugales.

La réponse judiciaire à ces violences particulières est-elle appropriée ? Telle est la question que j’ai voulu soulever aujourd’hui.

Les institutions doivent réagir à la mesure du problème, car laisser les violences s’installer dans l’intimité des couples, c’est laisser le phénomène s’aggraver en fréquence et en intensité. Certains experts ont même proposé de supprimer les mains courantes en cas de violences conjugales, car elles donnent le signal aux victimes que leur plainte ne sera ni prise au sérieux ni suivie d’effet. Je ne suis pas allée jusqu’à cette extrémité dans ma proposition de loi, mais j’ai entendu les conseils de juges expérimentés.

L’arsenal juridique dont nous disposons prévoit insuffisamment une prise en charge des auteurs de violences, laquelle devrait se faire en amont, dès les premiers signalements.

J’ai choisi de déposer cette proposition de loi pour relever l’inadaptation des mesures alternatives à la privation de liberté aux cas de violences conjugales, a fortiori aux cas d’emprise, et pour nous conduire à nous interroger collectivement sur les situations concrètes et insupportables auxquelles sont confrontées les victimes et leurs familles.

Comment s’assurer que des aménagements de peine ne soient pas prononcés lorsque la liberté surveillée expose les victimes ou leurs familles à de nouvelles violences ? Nos magistrats sont-ils suffisamment formés pour déceler les phénomènes d’emprise poussant certaines victimes à demander elles-mêmes la remise en liberté de leurs agresseurs ? Autant de questions sans réponses…

Si je comprends la démarche des juges de l’application des peines qui prononcent ces aménagements, dont je n’ignore pas les raisons, je considère que le législateur ne peut rester sourd à la détresse des familles des victimes. C’est la raison pour laquelle mon texte prévoit d’exclure des dispositifs d’aménagement des peines, notamment ab initio, les auteurs de violences conjugales, afin de les maintenir à distance de leurs victimes.

Pour autant, j’ai bien entendu les réserves juridiques exprimées par nos collègues de la commission des lois, et je suis sensible à leurs arguments. Selon eux, l’article 1er aurait pour conséquence d’empêcher le prononcé de certaines mesures probatoires encadrant les sorties de détention alors que celles-ci pourraient réduire le risque de récidive. Ils ont par ailleurs estimé que l’article 2 porterait atteinte au principe d’égalité devant la loi. Je peux le comprendre.

Mais c’est aussi à la loi de mettre en place les moyens de protéger les victimes en leur permettant de sortir du cercle infernal des violences. Actuellement, ce n’est pas le cas.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Que faites-vous pour les assassins ?

Mme Françoise Laborde. Selon le rapport de la commission, « le champ des infractions retenues pour l’application de ces dispositions apparaît d’inégale gravité, contrairement à celui des infractions terroristes dont les auteurs font l’objet d’un régime dérogatoire d’exécution des peines. »

Tout est question, en effet, d’appréciation de la gravité des infractions. Même si je ne mets pas sur le même plan terrorisme et violences conjugales, l’ampleur dans notre pays du fléau que nous évoquons est telle qu’on peut le considérer comme étant d’une extrême gravité.

Notre responsabilité face aux victimes est collective. Permettez-moi de vous rappeler le contexte global en quelques chiffres. Ces dix dernières années, le bilan des violences au sein des couples en France est toujours aussi implacable. Dans un rapport récent, la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes rappelait que, entre 2006 et 2016, 1 200 femmes sont mortes sous les coups de leur partenaire ou ex-partenaire intime. Cela représente un meurtre sur quatre commis en France.

Les violences au sein du couple restent donc un fléau, une réalité cruelle, en dépit de la mobilisation des services publics et du renforcement du cadre législatif. Plus de 223 000 femmes sont encore victimes de violences conjugales chaque année.

Cette question devra être abordée dans le cadre du projet de loi de programmation pour la justice que vous viendrez nous présenter dans les prochains mois, madame la ministre. Parmi les cinq chantiers de la réforme, celui sur le sens et l’efficacité des peines a retenu toute mon attention, et ma proposition de loi y aura toute sa place, car elle en relève. Elle pourrait peut-être également trouver un écho favorable dans le projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles qui sera prochainement soumis au Parlement.

À la veille d’une réforme judiciaire et d’une loi contre les violences sexistes et sexuelles, je comprends que ma proposition de loi ne satisfasse pas les juristes les plus émérites de notre assemblée. J’espère néanmoins, mes chers collègues, que mes arguments vous auront convaincus de la nécessité de faire évoluer ces questions, dans le véhicule législatif qui conviendra, et conformément à l’esprit de ma proposition de loi. Il s’agit de renforcer l’efficacité des peines alternatives, de la façon la plus adaptée possible aux spécificités des actes de violence envers les femmes, dans les situations d’emprise conjugale.

D’expérience, je sais qu’il peut être nécessaire de déposer une proposition de loi pour ouvrir un débat de société et faire bouger les lignes. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Dany Wattebled applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Brigitte Lherbier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par Mme Françoise Laborde prévoit la création d’un régime dérogatoire en matière d’exécution des peines applicable – et c’est ce qui nous gêne – aux seuls auteurs de violences conjugales.

Ces derniers seraient exclus de l’attribution des crédits de réduction de peine. Les personnes incarcérées pour ces violences ne pourraient également plus solliciter une suspension ou un fractionnement de leur peine pour un motif grave d’ordre médical, familial, professionnel ou social. Enfin, ces personnes ne pourraient plus bénéficier de mesures de semi-liberté ou de placement à l’extérieur.

Cette proposition de loi vise ainsi à appliquer le régime dérogatoire créé par la loi du 3 juin 2016, applicable aux personnes condamnées pour terrorisme, aux auteurs de violences conjugales. Nous partageons tous ici, chère collègue, l’objectif d’améliorer la lutte contre les violences conjugales. – en tant qu’adjointe à la sécurité de Tourcoing, j’ai été régulièrement confrontée à ces horreurs –, mais il nous faut avant tout être efficace.

La commission des lois n’a pas adopté cette proposition de loi en raison des nombreuses difficultés juridiques et pratiques qu’elle présente. Nous ne voulons pas céder à la démagogie ; vous non plus, je suppose. Nous essayons d’être rigoureux, car c’est l’essence même du travail du Sénat.

Tout d’abord, le champ des infractions retenues pour l’application du régime dérogatoire suscitait des questions. En premier lieu, il recouvre des violences d’inégale gravité. Par exemple, l’homicide par conjoint n’est pas visé alors qu’est inclus le délit d’appels malveillants. En second lieu, il concerne des infractions qui ne peuvent, par définition, être commises par un conjoint à l’encontre de sa victime. Par exemple sont visées certaines infractions pénales uniquement constituées lorsque les violences s’exercent en groupe : je pense au délit d’embuscade, ou encore en bande organisée.

En outre, il serait incohérent et contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi d’exclure les seuls auteurs de violences conjugales du bénéfice des crédits de réduction de peine et de la possibilité de voir leur peine aménagée dans un centre de semi-liberté, par exemple.

Comme je l’ai indiqué, cette proposition de loi s’inspire du régime dérogatoire applicable en matière de terrorisme. Or les dispositions dont il s’agit semblent difficilement pouvoir être étendues au champ des infractions retenues dans la proposition de loi qui recouvrent des comportements d’une inégale gravité. Certaines infractions visées ne sont réprimées que d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. À l’inverse, les infractions terroristes sont au minimum punies d’une peine de sept ans d’emprisonnement et au maximum de la réclusion criminelle à perpétuité. Ces infractions ne sont pas comparables.

Surtout, la commission des lois a estimé que cette proposition de loi serait contre-productive au regard de l’objectif poursuivi.

Par exemple, l’article 1er prévoit de réduire les mesures d’aménagement pouvant être proposées aux condamnés déjà incarcérés : or, a fortiori dans un cas de violences conjugales, il est nécessaire d’éviter les sorties sèches et d’accompagner les libérations des condamnés incarcérés par des mesures probatoires. Les suivis probatoires permettent d’obliger les condamnés à suivre des traitements, à se soigner, à ne pas rencontrer la victime, à participer à des groupes de parole. Nous avons eu l’occasion d’échanger sur ces sujets avec des magistrats en commission.

Enfin, la proposition de loi ne semble pas répondre au problème soulevé.

Aucune disposition n’est proposée pour modifier la possibilité, pour le tribunal correctionnel, d’aménager ab initio, au stade du jugement, les peines d’emprisonnement prononcées. Dès le stade du jugement, le tribunal correctionnel peut en effet aménager une peine d’emprisonnement en optant pour un placement sous surveillance électronique ou pour une mesure de semi-liberté. Aucune disposition n’est proposée pour modifier la procédure d’examen systématique par le juge de l’application des peines, en vue d’un aménagement, des peines d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à deux ans des condamnés non incarcérés. C’est cette procédure qui est en réalité très critiquée. Cette proposition de loi ne changerait donc rien au constat de non-exécution des petites peines d’emprisonnement.

Aucune disposition n’est proposée pour modifier la possibilité, pour le juge de l’application des peines ou le tribunal de l’application des peines, de prononcer une mesure de placement sous surveillance électronique, en application de l’article 723-7 du code de procédure pénale.

Or je rappelle que le Sénat a déjà adopté plusieurs réformes d’envergure du régime d’exécution des peines. Madame la ministre, peut-être pourrez-vous vous en inspirer. Nous reprendrons avec vous ce chantier quand vous le souhaiterez.

En janvier 2017, le Sénat a adopté la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la justice pénale, présentée par MM. François-Noël Buffet et Bruno Retailleau. Son article 20 vise à supprimer le principe de l’attribution automatique de crédits de réduction de peine pour tous les condamnés détenus et à adapter en conséquence le régime actuellement prévu pour les réductions supplémentaires de peine – c’est l’article 721-1 du code de procédure pénale –, lequel deviendrait le seul régime de réduction de peine.

Surtout, en octobre dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice, présentée par le président de la commission des lois, Philippe Bas. Son article 27 prévoit la suppression de l’obligation d’examen, par le juge de l’application des peines, avant mise à exécution, de toutes les peines d’une durée inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement, ou un an en état de récidive légale.

Cette mesure permettrait de répondre à la légitime incompréhension des victimes, dont vous parliez tout à l’heure, chère collègue, ou de leurs proches de ne pas voir incarcérer une personne condamnée à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois, par exemple.

Beaucoup de choses doivent encore être faites pour améliorer la protection des victimes de violences conjugales. Je suis tout à fait d’accord avec vous, madame Laborde. Il faut notamment généraliser le dispositif téléphone grave danger ou encadrer les dépôts de plainte. Néanmoins, ce texte ne paraît pas répondre aux problèmes soulevés. Il serait au contraire contre-productif pour lutter contre la récidive en matière de violences conjugales.

En tant que parlementaires, nous devons être sincères. Écrire des textes pour le seul plaisir de les écrire, ce n’est pas la devise du Sénat. Ensemble, soyons efficaces, objectifs, pour protéger les personnes les plus vulnérables, les victimes, qu’il s’agisse de femmes ou d’enfants. Nous avons encore beaucoup de choses à faire, madame Laborde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Thani Mohamed Soilihi et Guillaume Arnell applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’initiative prise par le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, et plus particulièrement par Mme Françoise Laborde, que je salue amicalement, mérite toute notre attention, même si, je le dis d’emblée, le Gouvernement ne pourra pas la suivre pour des raisons que j’évoquerai et qui rejoignent pour l’essentiel celles qui viennent d’être exposées par Mme la rapporteur.

Votre initiative, madame Laborde, doit en effet être saluée, car elle nous donne l’occasion de revenir sur la question des violences conjugales, ces violences inacceptables dont sont parfois témoins les enfants, comme vous l’avez rappelé, et contre lesquelles les pouvoirs publics mènent une politique inscrite dans la durée, avec une grande continuité d’action.

S’inspirant du régime applicable aux auteurs d’infractions terroristes depuis la loi du 21 juillet 2016, le texte prévoit de durcir les conditions d’incarcération des auteurs d’infractions commises à l’encontre de leur conjoint, concubin ou partenaire de PACS.

Plus précisément, ce texte prévoit, en son article 1er, que les personnes condamnées pour des faits de violences, de harcèlement, d’enregistrement et de diffusion d’images violentes, ou encore de viol commis à l’encontre de leur conjoint ne pourront dorénavant plus bénéficier de certains aménagements de peine, comme la suspension ou le fractionnement de peine, le placement extérieur ou la semi-liberté.

Il prévoit, par ailleurs, dans son article 2, que ces mêmes personnes ne pourront plus non plus bénéficier de crédits de réduction de peine.

Cette proposition a naturellement retenu l’attention du Gouvernement, tant celle de la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Mme Marlène Schiappa, que la mienne.

Vous le savez, le ministère de la justice est particulièrement impliqué dans la lutte contre les violences conjugales qui constitue l’une des priorités de la politique pénale que nous défendons depuis de nombreuses années.

De même, je porte une attention toute particulière à la question de l’exécution des peines et de l’adaptation de notre politique pénitentiaire aux différents besoins de la société. Ce sujet fera d’ailleurs l’objet, d’ici à l’été, de débats devant le Parlement lors de l’examen du projet de loi de programmation pour la justice, texte qui comportera des mesures pénales pour redonner du sens et de l’efficacité à la peine.

À cet égard, le Gouvernement ne peut que se féliciter de l’attention portée par votre assemblée à ces questions. Nous avons déjà eu l’occasion à plusieurs reprises d’en débattre, tant au sein de la commission des lois que dans cet hémicycle.

Cela étant dit, je pense néanmoins que, si le texte qui vous est présenté aujourd’hui part d’un objectif louable, il pose des difficultés de principe d’un point de vue juridique et de nature pratique.

Les dispositions de cette proposition de loi, si elles étaient adoptées, pourraient ainsi, et de manière paradoxale, se révéler plutôt contre-productives au regard de l’importante mobilisation dont fait actuellement preuve le ministère de la justice sur ces questions à travers une politique pénale et pénitentiaire méticuleusement construite ces dernières années.

Pour ces raisons, je l’ai dit, le Gouvernement ne pourra pas être favorable à ce texte, même s’il reconnaît l’intérêt des objectifs poursuivis.

Dans un premier temps, j’évoquerai les difficultés soulevées par cette proposition de loi. Elles sont de deux ordres : d’opportunité et de constitutionnalité.

J’évoquerai les difficultés en termes d’opportunité, tout d’abord. Le mécanisme proposé exclut systématiquement les auteurs d’infractions commises sur leur conjoint de certains aménagements de peine. Or cette adaptation des modalités d’exécution des peines est indispensable en termes d’efficacité.

On le sait, il n’y a rien de pire, en matière de prévention de la récidive, qu’une sortie de détention « sèche », sans accompagnement par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, accompagnement que permettent justement les mesures d’aménagement de peine.

En la matière, il convient de laisser à la disposition du juge de l’application des peines la plus large palette possible de mesures, afin qu’il puisse mettre en place un suivi individualisé et adapté à la problématique de l’auteur.

Cette adaptation est nécessaire, car les faits de violences conjugales peuvent être extrêmement divers. Certains sont habituels au sein du couple, d’autres peuvent survenir de manière ponctuelle, voire unique, par exemple lors d’une séparation.

Par ailleurs, il n’y a pas de profil type d’auteur de violences conjugales. Dans certains cas, un contexte de dépendance alcoolique chez l’auteur des faits peut être détecté. Il est alors impératif que le juge de l’application des peines puisse en tenir compte, aménager la peine et prévoir à cette occasion une mesure de soins de cette addiction. Un tel accompagnement peut éviter de nouveaux passages à l’acte liés à ladite addiction.

Dans d’autres cas, les ressorts du passage à l’acte peuvent trouver leur racine dans une structuration pathologique de la personnalité et du caractère de l’auteur.

On le voit bien, on ne peut pas, en la matière, raisonner à l’aune d’un mécanisme prévoyant une exclusion automatique de telle ou telle mesure d’aménagement de peine. Les magistrats doivent rester en mesure d’apprécier, en fonction des faits commis, des éléments de personnalité de l’auteur, des expertises psychologiques réalisées, du projet professionnel présenté par le condamné, de l’intérêt de la victime, si l’octroi d’un aménagement est ou non opportun.

J’insiste à cet égard sur le fait que la préservation des droits et la protection de la victime font bien partie intégrante des critères examinés par les magistrats lorsqu’ils apprécient l’opportunité de l’octroi d’une mesure d’aménagement de peine.

Quelles sont les mesures d’aménagement de peine que la proposition de loi entend désormais prohiber pour ce type de condamnés ?

Il s’agit tout d’abord des mesures de suspension et de fractionnement de peine. Ces mesures peuvent être décidées pour motif d’ordre médical, familial, professionnel ou social et sont destinées à faire face à des situations particulières qui s’opposent, matériellement et en opportunité, au maintien en détention. Les exclure pour une certaine catégorie d’auteurs d’infraction rendrait en pratique beaucoup plus complexe la prise en charge de ce public par l’administration pénitentiaire et par l’autorité judiciaire.

Il s’agit ensuite de la semi-liberté et du placement extérieur. Ces mesures permettent à l’heure actuelle d’offrir un accompagnement soutenu et un encadrement renforcé grâce à l’hébergement en centre pénitentiaire de semi-liberté ou dans une structure associative conventionnée en placement à l’extérieur, au sein de l’association Emmaüs, de l’Armée du salut ou de l’association Horizon à Meaux, par exemple. De telles mesures se révèlent également opportunes lorsque sont prononcées, dans ce cadre, certaines interdictions prévues par le code pénal, comme celles de résider hors du domicile conjugal ou de ne pas paraître à ses abords. Elles permettent également d’imposer à l’intéressé certaines obligations, comme celle de faire l’objet d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique.

Il s’agit enfin de la suppression des crédits de réduction de peine. Cette suppression aurait des conséquences très négatives, me semble-t-il, sur la mobilisation des personnes détenues pour ce type de faits dans le cadre de leur parcours d’exécution de peine, dès lors que leur mauvaise conduite en détention ne pourrait plus entraîner de retrait du crédit de réduction de peine par le juge de l’application des peines.

Si le dispositif que vous proposez, madame la sénatrice, était adopté, il pourrait paradoxalement en résulter un moins bon suivi en sortie de détention des auteurs de violences conjugales. Par ailleurs, ces mêmes détenus pourraient ne plus être encouragés à adopter un comportement adapté pendant la durée de leur emprisonnement.

À ces difficultés en termes d’opportunité s’ajoutent des difficultés de nature constitutionnelle.

Cette proposition de loi se heurte aux principes constitutionnels – vous le craigniez d’ailleurs vous-même, madame la sénatrice – d’égalité, de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines.

Ces principes, appliqués au cas présent, exigent en effet un traitement équivalent des auteurs d’infractions commises à l’encontre de leur conjoint et des auteurs d’infractions de même gravité. Or cette proposition de loi, qui prévoit un régime dérogatoire, introduit une distinction difficile à justifier en droit entre des situations de gravité équivalente.

D’une part, les condamnés visés par ce texte se verront appliquer un régime plus rigoureux que certains condamnés pour des infractions réprimées plus sévèrement. Par exemple, une personne condamnée pour des faits d’agression sexuelle commise sur un mineur de moins de quinze ans pourra bénéficier de l’ensemble des mesures d’aménagement de peine offertes par la loi, ainsi que de la totalité des crédits de réduction de peine, alors que la même personne, condamnée pour des faits de violences par conjoint, ne le pourra pas.

D’autre part, la proposition de loi vise non pas toutes les infractions susceptibles d’être aggravées par la conjugalité, mais seulement certaines d’entre elles, introduisant par là même une rupture d’égalité entre auteurs d’infractions au préjudice de leur conjoint.

Ainsi, à la lecture du texte proposé, il apparaît que le condamné pour violences conjugales sera exclu du bénéfice des crédits de réduction de peines et de certains aménagements, tandis que le condamné pour agression sexuelle sur son conjoint pourra, quant à lui, en bénéficier.

Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi. Pour autant, l’occasion m’est donnée d’insister sur les actions que nous menons en la matière. Je tiens à vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que, sur le fond, nous partageons pleinement l’objectif des auteurs de ce texte, à savoir mieux protéger les victimes de ce type de faits inacceptables.

Après avoir évoqué les difficultés soulevées par la proposition de loi, je rappellerai brièvement que les dispositions légales en vigueur permettent déjà la prise en charge efficiente des auteurs de ces infractions.

Le ministère de la justice – tant l’autorité judiciaire que l’administration pénitentiaire – mène en effet, en la matière, une politique pénale et pénitentiaire particulièrement volontariste visant tout à la fois à prévenir la récidive chez les personnes condamnées, mais également à mieux protéger les victimes.

En matière de prévention de la récidive, dans le cadre du suivi des personnes placées sous main de justice, les services pénitentiaires d’insertion et de probation mettent en œuvre, sous le contrôle des juges de l’application des peines, des modalités de suivi individualisées et différenciées en fonction des problématiques à l’origine de leurs passages à l’acte délictueux.

Les méthodes utilisées, qu’il s’agisse d’entretiens motivationnels, de participation à des groupes de parole, visent à modifier les schémas comportementaux des personnes condamnées pour violences conjugales en les sensibilisant à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes.

À ce titre, plusieurs dispositifs spécifiques sont mis en œuvre par l’administration pénitentiaire, en liaison notamment avec des associations spécialisées, plus particulièrement avec celles qui interviennent en matière d’aide aux victimes.

Ainsi, en milieu fermé, des actions visant à lutter contre les stéréotypes fondés sur le sexe dans les lieux de privation de liberté sont mises en place. Dans ce cadre, on veille à ce que la gamme des formations ou des activités proposées aux personnes détenues, y compris les activités sportives et culturelles, soit aussi large que possible, en y incluant des dimensions liées au respect d’autrui, aux violences conjugales et aux violences faites aux femmes.

En milieu ouvert et en milieu fermé, les services pénitentiaires d’insertion et de probation développent des dispositifs de prise en charge collective, sous la forme de groupes de parole animés par des conseillers d’insertion et de probation et appelés « programmes de prévention de la récidive ». Ces programmes visent à faire travailler collectivement les condamnés sur le passage à l’acte délictueux et sur ses conséquences pour la victime et la société. Il y est ainsi question de confronter les vécus et d’apporter un certain nombre de repères – rappel à la loi, éducation civique, mise en commun des expériences – à des détenus ou à des probationnaires ayant commis des actes de même nature, afin de faire évoluer la représentation que se font les intéressés de leurs gestes et, partant, de prévenir la réitération du passage à l’acte.

En 2016, 35 programmes de prévention de la récidive relatifs aux violences conjugales et intrafamiliales ont ainsi été organisés sur le territoire national au bénéfice de 1 360 personnes placées sous main de justice.

Cette démarche dynamique de prévention de la réitération ou de la récidive trouve également une illustration au travers du développement, en milieu ouvert, des stages de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et les violences sexistes, stages créés par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. En 2016, 67 stages de cette nature ont été organisés au bénéfice de 388 personnes placées sous main de justice.

Pour protéger les victimes de violences conjugales, nous menons également un certain nombre d’actions.

En complément des dispositifs juridiques existants, qui permettent notamment l’éviction du conjoint violent du domicile conjugal, le ministère de la justice généralise actuellement un dispositif qui a fait ses preuves : le « Téléphone grave danger ».

Ce dispositif de téléprotection peut être attribué, pour une durée de six mois renouvelable, par le procureur de la République à une victime de violences conjugales, dont l’auteur est soumis à une mesure d’interdiction d’entrer en contact.

Il est d’une grande utilité pour sécuriser les femmes victimes de violences conjugales. Connu également sous son sigle TGD, il permet en effet d’alerter rapidement les forces de l’ordre et de géolocaliser la personne bénéficiaire si celle-ci se sent en danger.

En décembre 2017, le nombre de TGD déployés en juridiction s’élevait à 543. Dans le cadre d’un nouveau marché public entré en vigueur en 2018, il sera prochainement porté à 634.

Le déploiement du TGD s’inscrit dans le cadre du nouveau plan gouvernemental de lutte contre les violences faites aux femmes pour la période 2017-2019, qui prévoit de nombreuses mesures, parmi lesquelles l’extension de ce déploiement aux territoires d’outre-mer.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, comme vous pouvez le constater, la politique pénale et pénitentiaire en matière de lutte contre les violences conjugales est une politique publique particulièrement volontaire et aboutie, qui s’inscrit, je tiens vraiment à le souligner, dans une grande continuité d’action depuis plusieurs années.

Les peines encourues en matière de violences conjugales, qui, je vous le rappelle, vont de trois à dix années d’emprisonnement en fonction de l’incapacité totale de travail constatée, et la politique pénale empreinte de fermeté menée par les parquets attestent de la pleine conscience et de la mobilisation des pouvoirs publics dans la lutte contre ce type de faits tout simplement inacceptables.

Cette politique ne peut toutefois se réduire à une approche purement sécuritaire et à un traitement qu’on pourrait qualifier d’exclusivement « carcéral » des auteurs de ce type de faits. Au travers de la politique pénale et pénitentiaire que je viens de décrire, le Gouvernement souhaite consolider l’édifice, patiemment et méticuleusement construit tout au long de ces dernières années, afin de prévenir les violences conjugales, de protéger les victimes et de réprimer les auteurs.

Pour l’ensemble de ces motifs, et malgré tout l’intérêt que présente cette proposition de loi, le Gouvernement ne pourra que donner un avis défavorable au texte qui vous est proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission et Mme la rapporteur applaudissent également.)

M. le président. Mes chers collègues, pour la parfaite information de l’assemblée, je tiens à préciser que, dans la mesure où il m’est impossible de prolonger la séance au-delà de la durée limite fixée dans le cadre d’un ordre du jour réservé, si les prochains intervenants utilisent l’intégralité de leur temps de parole, je serai contraint de clore la discussion générale avant que tous les orateurs inscrits aient pu s’exprimer.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce serait dommage !

M. le président. J’invite donc chacune et chacun de nos collègues concernés à faire preuve de solidarité en réduisant autant que faire se peut la durée de leur propos.

La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, on aurait pu croire, en ce début du XXIe siècle, que les violences conjugales, ce mal d’un autre âge, ne seraient qu’un très lointain et très mauvais souvenir.

Il n’en est rien, hélas ! Cet insupportable fléau n’en finit toujours pas de faire des ravages. Il est resté trop longtemps sous-estimé, minimisé, un véritable tabou.

Il est vrai que le meilleur moyen de s’accommoder d’un mal qui dérange était, à l’époque, de l’ignorer. D’où cette première proposition de loi que j’ai souhaité porter, ici même, le 29 mars 2005, et qui devint la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Cette première loi spécifique a amorcé un mouvement, qui, je crois, ne cessera pas et qui a d’ailleurs été prolongé par plusieurs autres lois, plusieurs plans et mesures diverses et par nombre d’initiatives, de la part notamment de Laurence Rossignol, que je salue au passage, en sa qualité d’ancienne ministre.

Je tiens également à vous remercier, madame la ministre de la justice, de votre implication sur ce dossier particulièrement sensible. À ce stade de mon propos, qu’il me soit tout autant permis de saluer votre engagement constant, chère collègue Françoise Laborde, dans la lutte contre ce fléau. Comme vous le soulignez, malgré toutes les dispositions prises, les violences conjugales demeurent une triste et inacceptable réalité. Face à ce constat, vous proposez de modifier de manière drastique le régime de l’exécution des peines des auteurs de violences ; des peines qui, depuis la loi de 2006 déjà, sont fortement aggravées pour les faits de violences commis au sein du couple.

De plus, une autre loi, votée en 2010, a renforcé les sanctions et aggravé les peines en cas de menaces proférées au sein du couple, y compris dans les cas de violences psychologiques ou de harcèlement moral. Ainsi, les peines encourues sont considérablement aggravées, ce qui paraît légitime par rapport à des comportements destructeurs.

Faut-il, dès lors, aller plus loin encore ?

Je comprends votre colère, chère Françoise Laborde, quand vous dénoncez, dans ce texte, le décalage entre la réalité du drame vécu par les victimes et leurs familles et la priorité donnée dans le débat public à la lutte contre les violences faites aux femmes. Je comprends d’autant mieux votre réaction qu’il a pu arriver que des auteurs de violences aient été laissés en liberté. D’où la réaction des familles et des victimes que je comprends, elles aussi, parfaitement.

Toutefois, au sein du groupe socialiste et républicain, nous ne pensons pas pouvoir vous suivre cette fois-ci sur certaines des dispositions que vous proposez dans ce texte. Ainsi y est-il prévu d’exclure du bénéfice du fractionnement ou de la suspension de la peine les personnes condamnées pour violences au sein du couple.

Je note, d’abord, que, plusieurs des infractions ciblées étant de nature criminelle, leurs auteurs ne doivent déjà pas bénéficier de ces aménagements. Quant aux infractions correctionnalisées, il convient de noter, dans ce cas, que le juge de l’application des peines peut déjà refuser tel ou tel aménagement puisque le condamné doit remplir un certain nombre de conditions pour en bénéficier.

Je ferai la même remarque concernant la proposition d’exclure du bénéfice du régime de semi-liberté ou de placement à l’extérieur les personnes condamnées pour ces mêmes infractions.

Laissons au juge de l’application des peines le soin de juger de l’opportunité d’appliquer une mesure d’aménagement selon les cas, sans oublier que la semi-liberté prépare à la réinsertion et peut prévenir la récidive. À ce sujet, je voudrais rappeler ce sur quoi j’avais beaucoup insisté lors de l’examen de ma première proposition de loi, je veux parler de la prise charge sanitaire, sociale ou psychologique, et donc de la nécessité pour le condamné de suivre « une thérapie destinée à limiter les risques de récidive ».

C’est d’ailleurs l’un des trois critères pouvant justifier une réduction supplémentaire de peine. Mais, qu’il s’agisse d’exclure les réductions de peine ou les réductions supplémentaires de peine, prenons garde à l’effet contre-productif de la mesure. Si le condamné sait par avance qu’il en est écarté, je doute qu’il soit incité à suivre régulièrement et sérieusement des soins qui seraient à même de réduire au minimum les risques de récidive.

Je comprends vos préoccupations, chère Françoise Laborde, mais il semble préférable, pour les raisons que je viens d’évoquer, puisque l’arsenal législatif est déjà sévère à l’encontre des auteurs de violences, d’axer nos efforts en direction des recommandations que nous avons tous deux, avec d’autres collègues de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, mises en avant dans le rapport d’information intitulé 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, tous les trois jours, dans notre pays, une femme meurt sous les coups de son compagnon ou de son ex-conjoint.

Malheureusement, cette statistique ne reflète pas la réalité, car elle n’intègre pas les données concernant les suicides consécutifs aux violences psychiques et psychologiques ni les séquelles provoquées par la consommation de psychotropes, de tabac ou d’alcool.

En 2016, 110 000 victimes de violences commises par le conjoint, concubin ou ex-conjoint ont déposé plainte auprès des services de police, entraînant la condamnation de seulement 17 660 personnes pour violences conjugales.

À ce jour, seule une femme victime de violences au sein du couple sur cinq dépose plainte.

Je souhaitais rappeler à cette tribune ces quelques chiffres afin d’insister sur la gravité du sujet que nous abordons aujourd’hui et sur les drames humains qu’ils révèlent.

La présente proposition de loi part du constat que les aménagements de peine et les crédits de réduction de peine entraînent un sentiment d’impunité pour les auteurs de ces violences, ainsi qu’un sentiment d’incompréhension et d’abandon pour les victimes et leurs proches.

Ce texte tend ainsi à prévoir la création d’un régime dérogatoire, afin notamment de mettre un terme à la non-exécution des « petites » peines d’emprisonnement lorsqu’elles relèvent de ces faits. Toutefois, il appelle un certain nombre de remarques.

Tout d’abord, concernant le champ des infractions retenues pour l’application des articles, celui-ci recouvre des violences d’inégale gravité, en excluant l’homicide et en incluant le harcèlement téléphonique ou le harcèlement moral au travail. En outre, certaines infractions pénales, liées notamment à la répression des violences faites en groupe, ne peuvent être commises à l’encontre d’une victime par son conjoint ou compagnon.

Ensuite, l’adoption de l’article 1er aurait pour conséquence d’empêcher le prononcé de certaines mesures probatoires encadrant les sorties de détention comme des mesures de semi-liberté ou de placement à l’extérieur, alors que celles-ci pourraient permettre de réduire le risque de récidive.

Enfin, l’article 2 prévoit la création d’un régime dérogatoire pour les auteurs de violences conjugales. La mise en œuvre d’une telle disposition porterait inévitablement atteinte au principe constitutionnel d’égalité devant la loi.

Au cours de l’examen de ce texte en commission des lois, vous avez par ailleurs fait observer, madame la rapporteur, et je salue la qualité de vos travaux, que la proposition de loi serait sans conséquence sur les possibilités pour le tribunal correctionnel d’aménager ab initio, au stade du jugement, les peines d’emprisonnement prononcées d’une durée inférieure ou égale à deux ans ou, pour le juge de l’application des peines, de prononcer une mesure de placement sous surveillance électronique.

Vous l’avez également rappelé à juste titre, avec l’adoption, en octobre 2017, de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice, la commission des lois avait déjà proposé une réforme d’envergure du régime de l’exécution des peines.

Même si des progrès substantiels doivent encore être accomplis, de nombreuses avancées ont été réalisées en matière de protection civile et pénale des victimes de ces violences. Ainsi, depuis 1994, les peines encourues par les auteurs de violences conjugales sont aggravées lorsqu’elles ont été infligées par le conjoint ou par le concubin.

Cette circonstance aggravante a été élargie au partenaire lié à la victime par un PACS, ainsi qu’à l’ancien conjoint, concubin ou partenaire pacsé, par la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Enfin, depuis la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, le droit civil organise également l’éviction de l’auteur des violences conjugales du domicile commun.

En effet, lorsque ces violences, exercées par l’un des époux, mettent en danger son conjoint et/ou un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut statuer, en amont de la procédure de divorce, sur la résidence séparée des époux. Une mesure d’éviction peut également être prononcée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

Depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, les personnes reconnues coupables de violences conjugales peuvent également être condamnées à un suivi socio-judiciaire.

En complément, une ordonnance de protection de ces victimes peut également être délivrée en urgence par le juge aux affaires familiales depuis la loi du 9 juillet 2010. Le juge peut alors retirer l’autorité parentale au parent condamné comme auteur ou complice d’un crime sur l’autre parent.

Cette même loi a également prévu, vous l’avez rappelé, madame la ministre, un dispositif de téléprotection, appelé « Téléphone grave danger », généralisé par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Madame la ministre, mes chers collègues, je partage pleinement l’objectif des auteurs de cette proposition de loi, c’est-à-dire l’amélioration de la lutte contre les violences conjugales. Néanmoins, je regrette que ce texte soulève trop de difficultés juridiques et pratiques pour pouvoir être adopté. Aussi, pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas en faveur de la proposition de loi.

M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue, d’avoir restitué une minute de votre temps de parole.

La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui porte sur un sujet d’importance, qui mérite toute notre attention et, surtout, toute notre implication. Je souhaite pour ma part féliciter ma collègue Françoise Laborde qui en a pris toute la mesure et nous propose une modification de notre législation.

La violence conjugale est un vrai fléau, encore trop présent dans notre société, qui touche les deux sexes, il faut le rappeler, même si les victimes sont principalement, et de très loin, les femmes.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Guillaume Arnell. Le Conseil économique, social et environnemental, dans un rapport intitulé Combattre les violences faites aux femmes dans les outre-mer, révèle que, sur l’ensemble du territoire national, 88 % des victimes des violences conjugales sont des femmes et que 86 % des violences sexuelles sont subies par les femmes. Il s’agit, bien entendu, d’estimations a minima, puisqu’il est impossible de recenser toutes les violences, nombre d’entre elles ne faisant pas l’objet de poursuites. Vous en conviendrez avec moi, mes chers collègues, ces chiffres sont affolants.

Dans le même rapport, le CESE précise également que « les violences faites aux femmes sont une des conséquences des stéréotypes ancrés dans toutes les sociétés, assignant les femmes et les hommes à des rôles de sexe “naturellement définis” et à des rapports de domination des hommes sur les femmes ». Il s’agit donc d’un phénomène « culturel » – j’emploie les guillemets à dessein –, très ancré dans nos sociétés, et il faudra encore beaucoup de temps avant de l’éradiquer totalement. Plus tôt nous nous y attaquerons, plus vite nous y parviendrons.

En bon ultramarin, je n’oublie pas la situation des outre-mer, qui est encore, à bien des égards, beaucoup plus affolante. Je me souviens d’une précédente intervention de ma collègue Catherine Conconne sur ce sujet, ici même, à cette tribune.

Dans le rapport qu’elle a cosigné pour le compte du CESE et que j’ai déjà cité, Ernestine Ronai souligne que la situation des territoires ultramarins n’est pas uniforme : « L’insularité et la faible superficie de certains territoires peuvent entraver la libération de la parole des victimes et rendre inopérant l’éloignement de la personne violente […]. »

Le travail d’éveil des consciences ne peut donc pas s’effectuer à la même vitesse et de la même façon sur l’ensemble du territoire.

S’il n’est pas possible de mettre fin à ces violences du jour au lendemain, il est absolument nécessaire que le Gouvernement poursuive et intensifie les politiques publiques ciblées sur cette problématique, en ayant une approche spécifique pour les territoires ultramarins.

L’objet de notre débat d’aujourd’hui porte non pas sur les violences conjugales en elles-mêmes, mais plus spécifiquement sur le régime de l’exécution des peines de leurs auteurs. Cependant, il me semblait opportun et important de rappeler ces réalités.

Bien qu’améliorée par la règle de l’éviction du conjoint violent du domicile, la mise en sécurité des victimes reste un parcours long et complexe, qui se prolonge parfois après la condamnation judiciaire de l’auteur des violences.

Or la situation actuelle n’est pas satisfaisante à bien des égards.

Les fréquents aménagements de peine peuvent entraîner un sentiment de grande incompréhension chez les victimes et leurs familles, quand ils ne les mettent pas en danger directement. Plus largement, ils suscitent parfois l’incompréhension de ceux qui y voient une disproportion entre la gravité des faits reprochés et la peine effectuée par le coupable.

J’y vois, pour ma part, deux conséquences : d’une part, cela peut décourager les potentielles victimes de porter plainte contre leur bourreau, de peur de voir celui-ci se venger ; d’autre part, les peines et leurs aménagements ne sont absolument pas dissuasifs pour les auteurs de violences conjugales.

Aussi, pour remédier à ces phénomènes, la présente proposition de loi, même si nous sommes conscients que son adoption n’apportera pas toutes les réponses, prévoit de modifier le régime de l’exécution des peines des auteurs de violences conjugales, afin de les maintenir à une distance effective de leurs victimes.

Les membres de la commission des lois ont estimé que le texte n’était pas acceptable en l’état. Nous en comprenons les raisons. Il ne sera sûrement pas adopté par notre Haute Assemblée, mais il nous plairait fortement, madame la ministre, que le Gouvernement s’engage à se saisir de la question spécifique du régime de l’exécution des peines des auteurs de violences conjugales dans sa globalité, mais aussi en tenant compte de la spécificité de certains territoires, notamment outre-mer, du fait de la prégnance de certaines cultures et de coutumes locales. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche. – Mme la rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans notre pays, en 2016, 157 personnes ont trouvé la mort, victimes de la violence de leurs partenaires ou ex-partenaires. Parmi ces victimes, 78 % étaient des femmes.

La même année, près de 87 % des victimes ayant déposé plainte pour coups et blessures volontaires de la part d’un conjoint ou d’un ex-conjoint étaient également des femmes.

Il est important de préciser que nous sommes probablement très en deçà de la réalité, car les enquêtes dites de « victimation » ont montré que 14 % seulement des victimes de violences conjugales déposent plainte.

Force est de constater, chaque année, la prévalence du nombre de femmes touchées et l’augmentation du nombre de victimes de violences conjugales. Autre constat : les violences conjugales sont plus nombreuses outre-mer qu’en métropole, selon ce qu’indique le CESE dans un rapport remis au Gouvernement le 20 décembre dernier et que mon excellent collègue Guillaume Arnell vient de citer. Outre-mer, on dénombre jusqu’à huit fois plus d’agressions physiques contre les femmes qu’en métropole et également huit fois plus d’agressions sexuelles contre les femmes commises par le conjoint.

Au-delà de l’éloquence de ces chiffres, ce sont des drames, souvent familiaux, qui se jouent, comme l’actualité récente nous l’a tristement rappelé.

Il s’agit d’un sujet éminemment sensible et la lutte contre les violences conjugales est un combat largement partagé.

Cependant, mon groupe ne peut souscrire à la présente proposition de loi, dont les auteurs ont le mérite d’avoir porté ce sujet très sensible au débat, et ce pour des raisons qui ont été rappelées précédemment et que j’évoquerai rapidement.

Tout d’abord, je suis hostile aux lois d’exception, qui ne prennent en compte ni le principe de proportionnalité ni celui d’individualisation des peines.

Ensuite, je considère, comme Mme la garde des sceaux et Mme la rapporteur, que les dispositions contenues dans ce texte seront contre-productives pour prévenir la récidive. Par ailleurs, celles-ci pourraient avoir pour conséquence d’inciter les juges à prononcer des peines plus faibles pour prévoir des aménagements ab initio, ce qui, vous en conviendrez, madame Laborde, aurait l’effet inverse de celui que vous recherchez.

En outre, j’attire l’attention sur le fort risque d’inconstitutionnalité qui pèse sur de telles dispositions.

Enfin, j’observe que la dénonciation des violences conjugales reste encore, en maints endroits et en diverses circonstances, un sujet tabou.

Je crains que la solution pour lutter contre ce type de violences ne relève moins du durcissement du régime des peines que de l’amélioration de l’application du droit existant et de la prévention.

M. Philippe Bas, président de la commission. Très juste !

M. Thani Mohamed Soilihi. Il convient surtout d’œuvrer à renforcer la protection des victimes et à délier les langues.

Pour toutes ces raisons, malgré sa pertinence et son acuité, nous ne pouvons soutenir la proposition de loi en l’état.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier M. Mohamed Soilihi de m’avoir permis de prendre la parole ce soir en raccourcissant son propos.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui par nos collègues du groupe du RDSE aborde donc un sujet très sensible et s’inscrit dans un contexte extrêmement préoccupant : en 2016, 123 femmes et 34 hommes ont été tués par leur conjoint ou leur conjointe.

En moyenne, 225 000 femmes par an sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur ancien ou actuel partenaire. Ces chiffres sont effrayants, mais, plus effrayant encore, moins d’une femme victime de violences conjugales sur cinq porte plainte.

Loin de s’attaquer à cette question précise de la libération de la parole et surtout du recueil de celle-ci, la proposition de loi de Mme Laborde et de ses collègues se concentre sur l’exécution des peines des auteurs de violences conjugales. Faute de temps, je ne reviendrai pas sur le contenu des deux articles proposés.

Bien évidemment, les intentions de Mme Françoise Laborde sont louables, mais affirmer dans l’exposé des motifs que ces aménagements de peine « laissent s’installer un sentiment d’impunité pour l’auteur de ces violences » n’est pas à la hauteur de l’enjeu et s’inscrit dans une logique pouvant s’avérer contre-productive.

Comme pour tout sujet sensible de nature à soulever une émotion bien légitime chez nos concitoyens, nous avons le devoir, me semble-t-il, de garder la hauteur de vues qui s’impose et, surtout, de préserver les valeurs de notre République et l’équilibre de notre droit.

Nous partageons une bonne partie du diagnostic de Mme la rapporteur quant aux mesures proposées. Par conséquent, je n’y reviens pas.

J’insisterai simplement sur un aspect de cette proposition de loi : elle comporte un certain nombre de ruptures d’égalité devant la loi. En effet, c’est le quantum de la peine prononcée et le prononcé – ou non – d’un mandat de dépôt qui déterminent les modalités de l’exécution d’une condamnation. Celles-ci ne dépendent pas simplement de la nature de l’infraction visée ; elles prennent en compte la gravité des faits et la personnalité de l’auteur.

En l’état, les dispositions proposées dans ce texte peuvent fragiliser l’équilibre de notre droit pénal, puisqu’elles portent atteinte aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi, de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines.

C’est en ce sens que les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’étaient déjà opposés au régime de l’exécution des peines dérogatoire applicable à certains condamnés pour une infraction terroriste.

Peu à peu des régimes juridiques d’exception s’installent, avec des droits spéciaux : hier pour les terroristes ; aujourd’hui pour les auteurs de violences conjugales. Pour qui demain ?

Mes chers collègues, revenons aux fondamentaux ! Ne confondons pas justice et vengeance !

En matière de droit pénal, bien loin de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice de M. Philippe Bas, à laquelle se réfère la rapporteur,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. À juste titre !

Mme Éliane Assassi. … nous réaffirmons la nécessité d’une réflexion d’ampleur, à la fois sur l’échelle et sur le sens de la peine, qui éviterait un tel débat, abordant pourtant, je le répète, une question de société primordiale.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous avons lancé une mission d’information !

Mme Éliane Assassi. Rappelons que les situations de violence conjugale relèvent avant tout de l’impunité : dans leur très grande majorité, elles ne sont jamais portées à la connaissance de la justice. Je le redis, moins d’une femme victime de violences conjugales sur cinq porte plainte.

C’est d’abord à cette impunité qu’il faut s’attaquer, en renforçant les moyens des policiers accueillant les victimes et recueillant les plaintes, des juges et, de manière générale, des services de la justice.

En outre, les conditions doivent être créées pour que la loi et les avancées qu’elle a déjà permises soient réellement appliquées : éviction du conjoint violent, dispositif « Téléphone grave danger », médiation pénale.

Enfin, d’autres avancées sont encore possibles. Je pense notamment, madame la ministre, à la création de nouveaux hébergements d’urgence, grâce à l’élargissement des dispositifs de convention avec des offices d’HLM, mis en place dans certains départements.

Ce sont là les solutions que nous affinerons et réaffirmerons dans les mois à venir, notamment lors des discussions sur les projets de loi de la Chancellerie et du secrétariat d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Ces textes soulèveront à nouveau la question des violences faites aux femmes et nous ne manquerons pas, à chacune de ces occasions, de veiller à ce que la question soit traitée dans sa globalité, dans le respect de l’équilibre de notre droit, et non sous l’angle de la surenchère répressive. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, madame l’auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, les chiffres des violences conjugales dépeignent une situation alarmante : en 2016, plus de 220 000 femmes ont subi des violences et 123 sont mortes sous les coups de leur conjoint.

La lutte contre les violences conjugales est donc loin d’être achevée, ce qui appelle, en amont, à la prévention de tels actes et nécessite, en aval, une réflexion sur la sécurité des victimes, en particulier après la condamnation judiciaire du conjoint et sa libération.

Il semblait donc tout à fait légitime de commencer à réfléchir à notre régime de l’exécution des peines, comme le propose le présent texte.

Ce dernier vise à créer un régime dérogatoire en matière d’aménagement des peines, applicable aux seuls auteurs de violences conjugales, qui seraient ainsi exclus de la plupart des possibilités d’aménagement de peine.

Le sujet est éminemment sensible, mes chers collègues, mais il est essentiel d’aborder ce débat avec raison et rigueur juridique, afin que nos décisions permettent d’apporter un réel soutien aux victimes. Rappelons-nous ce que nous disions dans la discussion précédente : une loi mal écrite risquerait de provoquer des effets différents de ceux qui sont attendus.

Or, si nous comprenons et partageons l’objectif de ce texte – afficher une plus grande fermeté vis-à-vis des auteurs de violences conjugales –, nous regrettons que son contenu ne permette pas d’atteindre un tel objectif. Pis, nous craignons, comme je viens de l’évoquer, un effet contre-productif.

Priver les personnes condamnées pour violences conjugales de la possibilité de bénéficier d’un aménagement de peine, c’est méconnaître l’objectif premier des peines restrictives et privatives de liberté, à savoir préparer les personnes condamnées à leur réinsertion dans la société.

Il s’agit non pas de considérer ces aménagements uniquement à l’aune des avantages qu’ils représentent pour la personne condamnée, mais de prendre aussi en compte tous les bénéfices que notre société en tire, notamment en termes de prévention de la récidive.

Sur ce plan, la présente proposition de loi semble ignorer que le lien de causalité entre ce que l’on appelle les « sorties sèches » et la récidive a, de longue date, été établi. Par ailleurs, il est important de rappeler que des aménagements de peine, comme le régime de semi-liberté ou le placement à l’extérieur, permettent de concilier protection des victimes et prise en charge de la personne condamnée.

Aussi, ce texte, louable dans ses intentions – intentions que nous pouvons partager –, ne nous semble malheureusement pas emprunter la bonne direction.

Il aura toutefois permis d’ouvrir la voie à une indispensable réflexion sur la lutte contre les violences conjugales, et il nous permet d’ores et déjà de préparer la discussion du futur projet de loi que présentera Mme la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Dans la perspective de ce débat, il faudra garder à l’esprit que la lutte contre les violences conjugales ne doit pas être exclusivement abordée sous l’angle des sanctions pénales contre leurs auteurs. En effet, l’ampleur judiciaire de ce phénomène n’est pas à la mesure de sa réalité quotidienne : aujourd’hui, seule une femme victime de violences conjugales sur cinq porte plainte. Les sanctions ne concernent donc qu’une infime partie des infractions réellement commises.

S’il est heureux que la parole se libère, la situation demeure intolérable. Il nous faudra donc trouver des solutions pour accentuer cette libération de la parole. Celle-ci est encore souvent étouffée par la peur des représailles, le contexte familial constituant une difficulté supplémentaire.

Se rendre au commissariat pour déposer plainte n’est simple pour aucune des femmes ayant à accomplir la démarche. Cette étape constitue une épreuve supplémentaire pour nombre de victimes, qui ne peuvent tout simplement pas se déplacer ou craignent d’être mal accueillies par des personnels souvent peu formés à l’exercice.

L’ouverture d’une plateforme de signalement en ligne pour les victimes de violences, annoncée en novembre dernier, marquerait pour ces dernières un réel progrès et permettrait de rendre leur parole audible.

Mes chers collègues, au vu des insuffisances précédemment évoquées, le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de loi.

Si nous nous inscrivons dans la volonté du Président de la République de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes une priorité de son quinquennat, nous espérons que les débats à venir sur ce sujet nous permettront d’adopter des mesures efficaces de lutte contre les violences conjugales. Un message fort serait ainsi envoyé aux victimes de ces violences et ce serait, surtout, un moyen de réduire enfin leur nombre dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)

M. le président. Je tiens à souligner qu’il règne, dans cet hémicycle, une grande solidarité, puisque nous avons « récupéré » neuf minutes et trente secondes de temps de parole, ce qui permettra aux deux derniers orateurs inscrits de s’exprimer. Bravo, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, les violences conjugales sont un fléau et, hommes et femmes, nous devons nous liguer pour le combattre.

Les chiffres sont criants. Ils ont été largement rappelés, mais j’en mentionnerai deux : trois femmes victimes sur quatre déclarent avoir subi des faits répétés ; huit femmes victimes sur dix déclarent avoir également été soumises à des atteintes psychologiques ou des agressions verbales. C’est trop !

La proposition de loi de notre collègue Françoise Laborde, visant à modifier le régime de l’exécution des peines applicable aux auteurs de violences conjugales, prive les conjoints, concubins et partenaires de victimes de violences conjugales du bénéfice de trois dispositifs.

Le premier est la suspension ou le fractionnement de peine qui peut être autorisé par le juge pour motif d’ordre médical, familial, professionnel ou social, tel que prévu à l’article 720-1 du code de procédure pénale.

Le deuxième est l’exécution de la peine en semi-liberté ou en placement à l’extérieur, prévue à l’article 723-1 du code de procédure pénale.

Le troisième est le crédit de réduction de peine, prévu à l’article 721 du code de procédure pénale.

L’exclusion de ces dispositifs a pour but de maintenir les auteurs de violences à une distance effective de leurs victimes le plus longtemps possible.

À titre personnel, je comprends l’intention des auteurs de la proposition de loi et vous n’avez pas eu besoin, madame Laborde, de me convaincre de sa nécessité. Néanmoins, la solution que vous proposez ne me paraît pas valable sur la forme.

Je ne nie pas l’angoisse des victimes, mais retarder toute sortie en interdisant réductions et aménagements de peine ne leur apportera rien. Les auteurs de violences conjugales incarcérés finiront tôt ou tard par sortir de prison, de plus sans avoir bénéficié du moindre suivi. Or nous connaissons l’utilité des aménagements de peine, qui sont constitués de suivis probatoires dédiés, de traitements et d’obligations de soin.

En privant les auteurs de ces actes du bénéfice de ces dispositifs, je crains que l’on ne favorise pas la lutte contre la récidive.

Le régime des aménagements de peine ne doit pas être remis en cause. S’il l’était pour les auteurs de violences conjugales, il devrait l’être aussi dans de nombreux autres cas. Cela reviendrait donc à ouvrir la boîte de Pandore.

La proposition de loi fait face à un autre obstacle, et un obstacle de taille : ce régime dérogatoire en matière d’exécution des peines, qui serait applicable aux seuls auteurs de violences conjugales, est contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi. Nous touchons là à la constitutionnalité même du texte.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je loue l’intention des auteurs de la proposition de loi, mais, pour toutes les raisons que j’ai évoquées, il est impossible de soutenir celle-ci. Le droit positif peut, certes, être amélioré, mais nous devons trouver d’autres voies pour le faire.

L’intérêt de ce texte est surtout d’ouvrir le débat et, à ce titre, je remercie son auteur, Françoise Laborde, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Toutes les pistes doivent être envisagées. Au-delà de la problématique du régime de l’exécution des peines, nous devrions notamment veiller à améliorer le droit à l’information des victimes. Celles-ci doivent être informées de la date précise et des conditions de sortie de leur agresseur – si l’on en croit ce qui ressort de certains forums.

Autre voie à suivre, l’éducation dès le plus jeune âge à la lutte contre les violences faites aux femmes.

La fondation UEFA pour l’enfance a par exemple financé et aidé à développer un programme dénommé Just Play, qui a prouvé son efficacité en Inde et en Océanie.

Les chiffres dans le Pacifique sont consternants : 57 % des femmes ont déjà été battues par leur partenaire et 75 % des adolescents garçons interrogés estiment qu’il est acceptable de frapper sa femme. Le programme Just Play enseigne aux jeunes du Pacifique, à travers le football, le respect et la tolérance entre les deux sexes. Les résultats sont probants et les mentalités de ces jeunes, depuis l’introduction du programme en 2009, ont changé. Apprendre l’égalité des sexes, dès l’adolescence, et sensibiliser à la lutte contre les violences conjugales pourrait constituer une voie intéressante et peu onéreuse.

Avant de conclure, je souhaite remercier Mme le rapporteur Brigitte Lherbier pour la qualité de son travail.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est mérité !

M. Cyril Pellevat. Je tiens aussi, madame la garde des sceaux, à encourager vos travaux, ainsi que ceux de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, sur cet important dossier relatif aux violences conjugales.

Enfin, je voudrais saluer la démarche de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, dont j’ai été vice-président durant ces trois dernières années et qui réalise un énorme travail d’auditions, d’analyse et de réflexion, sous l’égide de sa présidente Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, madame l’auteur de la proposition de loi, mes chers collègues – si peu nombreux dans l’hémicycle, en dépit du thème abordé –, je serai bref, car tout a été dit sur le sujet, sur son importance, d’abord, et sur l’impossibilité dans laquelle nous sommes de voter cette proposition de loi, ensuite.

Je voudrais vous remercier, madame la ministre, d’avoir présenté, de manière très objective et complète, tout ce qui est en train d’être mis en œuvre.

Je remercie également Roland Courteau d’avoir rappelé le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir. Comme d’autres intervenants l’ont souligné, cela passe essentiellement par la sensibilisation, parfois des hommes, mais surtout des femmes, à la nécessité de porter plainte et de ne pas se laisser faire. C’est là l’important.

Les résultats viendront non pas des changements au niveau de la sanction pénale, mais de la multiplication des poursuites, d’une bonne information et de tout le travail mené depuis des années par les associations accompagnant les femmes victimes, notamment en leur permettant de quitter le domicile conjugal.

L’examen de cette proposition de loi nous offre aussi l’occasion de rappeler ce que doit être une sanction pénale.

Celle-ci vise d’abord à sanctionner une atteinte à l’ordre public, ce qui est clairement le cas des violences intrafamiliales. Elle doit ensuite permettre la réinsertion de la personne condamnée, qui, on le sait bien, ne restera pas indéfiniment en détention. Enfin, elle doit être efficace et protéger la victime, cette protection étant particulièrement importante dans le domaine qui nous occupe.

Or ce dernier point suppose que l’on donne aux juges – le juge de l’application des peines, le juge correctionnel, la cour d’assises, le juge aux affaires familiales – les moyens de s’adapter aux spécificités de ce service.

En d’autres termes, si nous avons raison d’évoquer ce sujet publiquement, nous devons être extrêmement modestes quant au contenu de la loi. Ce que nous devons donner, ce sont des outils et des moyens financiers !

Je me souviens de la mise en place des premiers téléphones à Strasbourg, madame la garde des sceaux. Le procureur de la République avait obtenu que la communauté urbaine, que je présidais à l’époque, finance le dispositif et l’expérience avait donné des résultats positifs. Et, dans nombre d’autres cas, ce sont les départements qui, au titre de l’action sociale, sont intervenus !

Nous le voyons bien, la justice et l’administration pénitentiaire auront besoin non pas d’une loi, madame Laborde, mais de moyens financiers pour faire face à ce défi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, on retrouve dans cette proposition de loi deux notions : la solidarité et la prise de conscience.

Je remercie Françoise Laborde et ses collègues du groupe du RDSE d’avoir abordé, à travers cette proposition de loi, un sujet extrêmement sensible et d’avoir rappelé la prise de conscience qui s’impose sur la question.

Je tiens également à évoquer l’ensemble du travail réalisé par la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, présidée par notre collègue Annick Billon. À nouveau, et comme tous les intervenants l’ont souligné, il s’agit là d’un sujet de société très sensible.

Mentionnons enfin le travail de la commission des lois, ainsi que l’implication du ministère de la justice et sa volonté de redonner sens et efficacité au dispositif de l’exécution des peines.

Toutefois, je rappellerai à mon tour que les faits de violences conjugales sont trop peu dénoncés, insuffisamment portés à la connaissance de la justice, d’où la nécessité d’une réelle communication à tous les niveaux. D’une certaine manière, tout le monde doit être sensibilisé, et se sentir concerné et responsable.

C’est pourquoi il faut privilégier la prévention, tout comme la formation de toutes les forces de sécurité – policiers, gendarmes – et des travailleurs sociaux intervenant dans ce domaine.

Les pouvoirs publics sont parfaitement conscients de la nécessité, dans le cadre de la politique pénale et pénitentiaire, de protéger les victimes. Cela doit être aussi une priorité, car il devient urgent de trouver les bonnes solutions.

Pour ma part – et ce sera ma modeste conclusion –, je crois qu’il faut surtout exprimer dans les textes à venir la confiance que nous accordons à la justice. Il faut travailler dans une certaine continuité et appeler à la responsabilité de toutes et de tous sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

La parole est à Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi.

Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi. Vous avez mené ce débat de main de maître, monsieur le président, ce qui me permet de dire quelques mots maintenant.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, plutôt que de voir cette proposition de loi rejetée par l’ensemble des groupes, je préfère en demander le retrait.

Permettez-moi de citer François Molins, procureur de la République de Paris, dans la partie concernant la protection judiciaire et médico-légale de l’ouvrage intitulé Violences conjugales : le droit dêtre protégée. « Ma conviction, écrit-il, est que depuis la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, nous avons aujourd’hui tout l’arsenal législatif dont nous avons besoin pour pénaliser les violences faites aux femmes et protéger ces dernières. En réalité, si on ne le fait pas, c’est qu’on n’en a pas la volonté. » Et peut-être les moyens, ajouterai-je.

Ma proposition de loi concerne un trop grand nombre de cas, mes chers collègues. Pour bien vous faire comprendre l’incompréhension qui est la mienne parfois, je vais citer un exemple précis. Comment peut-on justifier un aménagement de peine quand une personne est condamnée à trois ans de prison, dont dix-huit mois de prison ferme, avec, surtout, un jugement indiquant qu’« en l’état, la cour ne dispose d’aucun élément concret permettant d’envisager sérieusement un aménagement de l’emprisonnement » ? Vous comprendrez mon insistance !

Malgré tous ces points, en vous ayant entendue, madame la garde des sceaux, et sachant que mon texte n’est pas mature du point de vue juridique, je vous demande de porter une très grande attention au sujet lors de vos prochains chantiers pour la justice. Je me permettrai d’en faire de même et de vérifier que les contenus sont à la hauteur de mes attentes.

Encore merci à toutes celles et tous ceux qui ont participé à cette discussion. Monsieur le président de la commission des lois, si une mission d’information se met en place sur la question, je me permettrai aussi de suivre ses travaux avec attention. (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle les termes de l’article 26 du règlement du Sénat : « L’auteur ou le premier signataire d’une proposition de loi ou de résolution peut toujours la retirer, même quand la discussion est ouverte. Si un autre sénateur la reprend, la discussion continue. »

J’ajoute un codicille : si l’un d’entre vous peut en effet demander à reprendre le texte, en l’état, le temps réservé à cette « niche » parlementaire étant écoulé, cette démarche n’aurait pas vraiment d’utilité.

La proposition de loi est retirée.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales
 

4

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 6 mars 2018 :

À neuf heures trente : vingt-six questions orales.

De quatorze heures trente à dix-sept heures :

Proposition de loi tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit (n° 83, 2017-2018) ;

Rapport de Mme Marta de Cidrac, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 322, 2017-2018) ;

Texte de la commission (n° 323, 2017-2018).

À vingt et une heures : suite de la proposition de loi tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit (n° 83, 2017-2018).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD