M. le président. Mes chers collègues, pour la parfaite information de l’assemblée, je tiens à préciser que, dans la mesure où il m’est impossible de prolonger la séance au-delà de la durée limite fixée dans le cadre d’un ordre du jour réservé, si les prochains intervenants utilisent l’intégralité de leur temps de parole, je serai contraint de clore la discussion générale avant que tous les orateurs inscrits aient pu s’exprimer.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce serait dommage !
M. le président. J’invite donc chacune et chacun de nos collègues concernés à faire preuve de solidarité en réduisant autant que faire se peut la durée de leur propos.
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, on aurait pu croire, en ce début du XXIe siècle, que les violences conjugales, ce mal d’un autre âge, ne seraient qu’un très lointain et très mauvais souvenir.
Il n’en est rien, hélas ! Cet insupportable fléau n’en finit toujours pas de faire des ravages. Il est resté trop longtemps sous-estimé, minimisé, un véritable tabou.
Il est vrai que le meilleur moyen de s’accommoder d’un mal qui dérange était, à l’époque, de l’ignorer. D’où cette première proposition de loi que j’ai souhaité porter, ici même, le 29 mars 2005, et qui devint la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Cette première loi spécifique a amorcé un mouvement, qui, je crois, ne cessera pas et qui a d’ailleurs été prolongé par plusieurs autres lois, plusieurs plans et mesures diverses et par nombre d’initiatives, de la part notamment de Laurence Rossignol, que je salue au passage, en sa qualité d’ancienne ministre.
Je tiens également à vous remercier, madame la ministre de la justice, de votre implication sur ce dossier particulièrement sensible. À ce stade de mon propos, qu’il me soit tout autant permis de saluer votre engagement constant, chère collègue Françoise Laborde, dans la lutte contre ce fléau. Comme vous le soulignez, malgré toutes les dispositions prises, les violences conjugales demeurent une triste et inacceptable réalité. Face à ce constat, vous proposez de modifier de manière drastique le régime de l’exécution des peines des auteurs de violences ; des peines qui, depuis la loi de 2006 déjà, sont fortement aggravées pour les faits de violences commis au sein du couple.
De plus, une autre loi, votée en 2010, a renforcé les sanctions et aggravé les peines en cas de menaces proférées au sein du couple, y compris dans les cas de violences psychologiques ou de harcèlement moral. Ainsi, les peines encourues sont considérablement aggravées, ce qui paraît légitime par rapport à des comportements destructeurs.
Faut-il, dès lors, aller plus loin encore ?
Je comprends votre colère, chère Françoise Laborde, quand vous dénoncez, dans ce texte, le décalage entre la réalité du drame vécu par les victimes et leurs familles et la priorité donnée dans le débat public à la lutte contre les violences faites aux femmes. Je comprends d’autant mieux votre réaction qu’il a pu arriver que des auteurs de violences aient été laissés en liberté. D’où la réaction des familles et des victimes que je comprends, elles aussi, parfaitement.
Toutefois, au sein du groupe socialiste et républicain, nous ne pensons pas pouvoir vous suivre cette fois-ci sur certaines des dispositions que vous proposez dans ce texte. Ainsi y est-il prévu d’exclure du bénéfice du fractionnement ou de la suspension de la peine les personnes condamnées pour violences au sein du couple.
Je note, d’abord, que, plusieurs des infractions ciblées étant de nature criminelle, leurs auteurs ne doivent déjà pas bénéficier de ces aménagements. Quant aux infractions correctionnalisées, il convient de noter, dans ce cas, que le juge de l’application des peines peut déjà refuser tel ou tel aménagement puisque le condamné doit remplir un certain nombre de conditions pour en bénéficier.
Je ferai la même remarque concernant la proposition d’exclure du bénéfice du régime de semi-liberté ou de placement à l’extérieur les personnes condamnées pour ces mêmes infractions.
Laissons au juge de l’application des peines le soin de juger de l’opportunité d’appliquer une mesure d’aménagement selon les cas, sans oublier que la semi-liberté prépare à la réinsertion et peut prévenir la récidive. À ce sujet, je voudrais rappeler ce sur quoi j’avais beaucoup insisté lors de l’examen de ma première proposition de loi, je veux parler de la prise charge sanitaire, sociale ou psychologique, et donc de la nécessité pour le condamné de suivre « une thérapie destinée à limiter les risques de récidive ».
C’est d’ailleurs l’un des trois critères pouvant justifier une réduction supplémentaire de peine. Mais, qu’il s’agisse d’exclure les réductions de peine ou les réductions supplémentaires de peine, prenons garde à l’effet contre-productif de la mesure. Si le condamné sait par avance qu’il en est écarté, je doute qu’il soit incité à suivre régulièrement et sérieusement des soins qui seraient à même de réduire au minimum les risques de récidive.
Je comprends vos préoccupations, chère Françoise Laborde, mais il semble préférable, pour les raisons que je viens d’évoquer, puisque l’arsenal législatif est déjà sévère à l’encontre des auteurs de violences, d’axer nos efforts en direction des recommandations que nous avons tous deux, avec d’autres collègues de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, mises en avant dans le rapport d’information intitulé 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, tous les trois jours, dans notre pays, une femme meurt sous les coups de son compagnon ou de son ex-conjoint.
Malheureusement, cette statistique ne reflète pas la réalité, car elle n’intègre pas les données concernant les suicides consécutifs aux violences psychiques et psychologiques ni les séquelles provoquées par la consommation de psychotropes, de tabac ou d’alcool.
En 2016, 110 000 victimes de violences commises par le conjoint, concubin ou ex-conjoint ont déposé plainte auprès des services de police, entraînant la condamnation de seulement 17 660 personnes pour violences conjugales.
À ce jour, seule une femme victime de violences au sein du couple sur cinq dépose plainte.
Je souhaitais rappeler à cette tribune ces quelques chiffres afin d’insister sur la gravité du sujet que nous abordons aujourd’hui et sur les drames humains qu’ils révèlent.
La présente proposition de loi part du constat que les aménagements de peine et les crédits de réduction de peine entraînent un sentiment d’impunité pour les auteurs de ces violences, ainsi qu’un sentiment d’incompréhension et d’abandon pour les victimes et leurs proches.
Ce texte tend ainsi à prévoir la création d’un régime dérogatoire, afin notamment de mettre un terme à la non-exécution des « petites » peines d’emprisonnement lorsqu’elles relèvent de ces faits. Toutefois, il appelle un certain nombre de remarques.
Tout d’abord, concernant le champ des infractions retenues pour l’application des articles, celui-ci recouvre des violences d’inégale gravité, en excluant l’homicide et en incluant le harcèlement téléphonique ou le harcèlement moral au travail. En outre, certaines infractions pénales, liées notamment à la répression des violences faites en groupe, ne peuvent être commises à l’encontre d’une victime par son conjoint ou compagnon.
Ensuite, l’adoption de l’article 1er aurait pour conséquence d’empêcher le prononcé de certaines mesures probatoires encadrant les sorties de détention comme des mesures de semi-liberté ou de placement à l’extérieur, alors que celles-ci pourraient permettre de réduire le risque de récidive.
Enfin, l’article 2 prévoit la création d’un régime dérogatoire pour les auteurs de violences conjugales. La mise en œuvre d’une telle disposition porterait inévitablement atteinte au principe constitutionnel d’égalité devant la loi.
Au cours de l’examen de ce texte en commission des lois, vous avez par ailleurs fait observer, madame la rapporteur, et je salue la qualité de vos travaux, que la proposition de loi serait sans conséquence sur les possibilités pour le tribunal correctionnel d’aménager ab initio, au stade du jugement, les peines d’emprisonnement prononcées d’une durée inférieure ou égale à deux ans ou, pour le juge de l’application des peines, de prononcer une mesure de placement sous surveillance électronique.
Vous l’avez également rappelé à juste titre, avec l’adoption, en octobre 2017, de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice, la commission des lois avait déjà proposé une réforme d’envergure du régime de l’exécution des peines.
Même si des progrès substantiels doivent encore être accomplis, de nombreuses avancées ont été réalisées en matière de protection civile et pénale des victimes de ces violences. Ainsi, depuis 1994, les peines encourues par les auteurs de violences conjugales sont aggravées lorsqu’elles ont été infligées par le conjoint ou par le concubin.
Cette circonstance aggravante a été élargie au partenaire lié à la victime par un PACS, ainsi qu’à l’ancien conjoint, concubin ou partenaire pacsé, par la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Enfin, depuis la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, le droit civil organise également l’éviction de l’auteur des violences conjugales du domicile commun.
En effet, lorsque ces violences, exercées par l’un des époux, mettent en danger son conjoint et/ou un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut statuer, en amont de la procédure de divorce, sur la résidence séparée des époux. Une mesure d’éviction peut également être prononcée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
Depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, les personnes reconnues coupables de violences conjugales peuvent également être condamnées à un suivi socio-judiciaire.
En complément, une ordonnance de protection de ces victimes peut également être délivrée en urgence par le juge aux affaires familiales depuis la loi du 9 juillet 2010. Le juge peut alors retirer l’autorité parentale au parent condamné comme auteur ou complice d’un crime sur l’autre parent.
Cette même loi a également prévu, vous l’avez rappelé, madame la ministre, un dispositif de téléprotection, appelé « Téléphone grave danger », généralisé par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Madame la ministre, mes chers collègues, je partage pleinement l’objectif des auteurs de cette proposition de loi, c’est-à-dire l’amélioration de la lutte contre les violences conjugales. Néanmoins, je regrette que ce texte soulève trop de difficultés juridiques et pratiques pour pouvoir être adopté. Aussi, pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas en faveur de la proposition de loi.
M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue, d’avoir restitué une minute de votre temps de parole.
La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui porte sur un sujet d’importance, qui mérite toute notre attention et, surtout, toute notre implication. Je souhaite pour ma part féliciter ma collègue Françoise Laborde qui en a pris toute la mesure et nous propose une modification de notre législation.
La violence conjugale est un vrai fléau, encore trop présent dans notre société, qui touche les deux sexes, il faut le rappeler, même si les victimes sont principalement, et de très loin, les femmes.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Guillaume Arnell. Le Conseil économique, social et environnemental, dans un rapport intitulé Combattre les violences faites aux femmes dans les outre-mer, révèle que, sur l’ensemble du territoire national, 88 % des victimes des violences conjugales sont des femmes et que 86 % des violences sexuelles sont subies par les femmes. Il s’agit, bien entendu, d’estimations a minima, puisqu’il est impossible de recenser toutes les violences, nombre d’entre elles ne faisant pas l’objet de poursuites. Vous en conviendrez avec moi, mes chers collègues, ces chiffres sont affolants.
Dans le même rapport, le CESE précise également que « les violences faites aux femmes sont une des conséquences des stéréotypes ancrés dans toutes les sociétés, assignant les femmes et les hommes à des rôles de sexe “naturellement définis” et à des rapports de domination des hommes sur les femmes ». Il s’agit donc d’un phénomène « culturel » – j’emploie les guillemets à dessein –, très ancré dans nos sociétés, et il faudra encore beaucoup de temps avant de l’éradiquer totalement. Plus tôt nous nous y attaquerons, plus vite nous y parviendrons.
En bon ultramarin, je n’oublie pas la situation des outre-mer, qui est encore, à bien des égards, beaucoup plus affolante. Je me souviens d’une précédente intervention de ma collègue Catherine Conconne sur ce sujet, ici même, à cette tribune.
Dans le rapport qu’elle a cosigné pour le compte du CESE et que j’ai déjà cité, Ernestine Ronai souligne que la situation des territoires ultramarins n’est pas uniforme : « L’insularité et la faible superficie de certains territoires peuvent entraver la libération de la parole des victimes et rendre inopérant l’éloignement de la personne violente […]. »
Le travail d’éveil des consciences ne peut donc pas s’effectuer à la même vitesse et de la même façon sur l’ensemble du territoire.
S’il n’est pas possible de mettre fin à ces violences du jour au lendemain, il est absolument nécessaire que le Gouvernement poursuive et intensifie les politiques publiques ciblées sur cette problématique, en ayant une approche spécifique pour les territoires ultramarins.
L’objet de notre débat d’aujourd’hui porte non pas sur les violences conjugales en elles-mêmes, mais plus spécifiquement sur le régime de l’exécution des peines de leurs auteurs. Cependant, il me semblait opportun et important de rappeler ces réalités.
Bien qu’améliorée par la règle de l’éviction du conjoint violent du domicile, la mise en sécurité des victimes reste un parcours long et complexe, qui se prolonge parfois après la condamnation judiciaire de l’auteur des violences.
Or la situation actuelle n’est pas satisfaisante à bien des égards.
Les fréquents aménagements de peine peuvent entraîner un sentiment de grande incompréhension chez les victimes et leurs familles, quand ils ne les mettent pas en danger directement. Plus largement, ils suscitent parfois l’incompréhension de ceux qui y voient une disproportion entre la gravité des faits reprochés et la peine effectuée par le coupable.
J’y vois, pour ma part, deux conséquences : d’une part, cela peut décourager les potentielles victimes de porter plainte contre leur bourreau, de peur de voir celui-ci se venger ; d’autre part, les peines et leurs aménagements ne sont absolument pas dissuasifs pour les auteurs de violences conjugales.
Aussi, pour remédier à ces phénomènes, la présente proposition de loi, même si nous sommes conscients que son adoption n’apportera pas toutes les réponses, prévoit de modifier le régime de l’exécution des peines des auteurs de violences conjugales, afin de les maintenir à une distance effective de leurs victimes.
Les membres de la commission des lois ont estimé que le texte n’était pas acceptable en l’état. Nous en comprenons les raisons. Il ne sera sûrement pas adopté par notre Haute Assemblée, mais il nous plairait fortement, madame la ministre, que le Gouvernement s’engage à se saisir de la question spécifique du régime de l’exécution des peines des auteurs de violences conjugales dans sa globalité, mais aussi en tenant compte de la spécificité de certains territoires, notamment outre-mer, du fait de la prégnance de certaines cultures et de coutumes locales. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche. – Mme la rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans notre pays, en 2016, 157 personnes ont trouvé la mort, victimes de la violence de leurs partenaires ou ex-partenaires. Parmi ces victimes, 78 % étaient des femmes.
La même année, près de 87 % des victimes ayant déposé plainte pour coups et blessures volontaires de la part d’un conjoint ou d’un ex-conjoint étaient également des femmes.
Il est important de préciser que nous sommes probablement très en deçà de la réalité, car les enquêtes dites de « victimation » ont montré que 14 % seulement des victimes de violences conjugales déposent plainte.
Force est de constater, chaque année, la prévalence du nombre de femmes touchées et l’augmentation du nombre de victimes de violences conjugales. Autre constat : les violences conjugales sont plus nombreuses outre-mer qu’en métropole, selon ce qu’indique le CESE dans un rapport remis au Gouvernement le 20 décembre dernier et que mon excellent collègue Guillaume Arnell vient de citer. Outre-mer, on dénombre jusqu’à huit fois plus d’agressions physiques contre les femmes qu’en métropole et également huit fois plus d’agressions sexuelles contre les femmes commises par le conjoint.
Au-delà de l’éloquence de ces chiffres, ce sont des drames, souvent familiaux, qui se jouent, comme l’actualité récente nous l’a tristement rappelé.
Il s’agit d’un sujet éminemment sensible et la lutte contre les violences conjugales est un combat largement partagé.
Cependant, mon groupe ne peut souscrire à la présente proposition de loi, dont les auteurs ont le mérite d’avoir porté ce sujet très sensible au débat, et ce pour des raisons qui ont été rappelées précédemment et que j’évoquerai rapidement.
Tout d’abord, je suis hostile aux lois d’exception, qui ne prennent en compte ni le principe de proportionnalité ni celui d’individualisation des peines.
Ensuite, je considère, comme Mme la garde des sceaux et Mme la rapporteur, que les dispositions contenues dans ce texte seront contre-productives pour prévenir la récidive. Par ailleurs, celles-ci pourraient avoir pour conséquence d’inciter les juges à prononcer des peines plus faibles pour prévoir des aménagements ab initio, ce qui, vous en conviendrez, madame Laborde, aurait l’effet inverse de celui que vous recherchez.
En outre, j’attire l’attention sur le fort risque d’inconstitutionnalité qui pèse sur de telles dispositions.
Enfin, j’observe que la dénonciation des violences conjugales reste encore, en maints endroits et en diverses circonstances, un sujet tabou.
Je crains que la solution pour lutter contre ce type de violences ne relève moins du durcissement du régime des peines que de l’amélioration de l’application du droit existant et de la prévention.
M. Philippe Bas, président de la commission. Très juste !
M. Thani Mohamed Soilihi. Il convient surtout d’œuvrer à renforcer la protection des victimes et à délier les langues.
Pour toutes ces raisons, malgré sa pertinence et son acuité, nous ne pouvons soutenir la proposition de loi en l’état.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier M. Mohamed Soilihi de m’avoir permis de prendre la parole ce soir en raccourcissant son propos.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui par nos collègues du groupe du RDSE aborde donc un sujet très sensible et s’inscrit dans un contexte extrêmement préoccupant : en 2016, 123 femmes et 34 hommes ont été tués par leur conjoint ou leur conjointe.
En moyenne, 225 000 femmes par an sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur ancien ou actuel partenaire. Ces chiffres sont effrayants, mais, plus effrayant encore, moins d’une femme victime de violences conjugales sur cinq porte plainte.
Loin de s’attaquer à cette question précise de la libération de la parole et surtout du recueil de celle-ci, la proposition de loi de Mme Laborde et de ses collègues se concentre sur l’exécution des peines des auteurs de violences conjugales. Faute de temps, je ne reviendrai pas sur le contenu des deux articles proposés.
Bien évidemment, les intentions de Mme Françoise Laborde sont louables, mais affirmer dans l’exposé des motifs que ces aménagements de peine « laissent s’installer un sentiment d’impunité pour l’auteur de ces violences » n’est pas à la hauteur de l’enjeu et s’inscrit dans une logique pouvant s’avérer contre-productive.
Comme pour tout sujet sensible de nature à soulever une émotion bien légitime chez nos concitoyens, nous avons le devoir, me semble-t-il, de garder la hauteur de vues qui s’impose et, surtout, de préserver les valeurs de notre République et l’équilibre de notre droit.
Nous partageons une bonne partie du diagnostic de Mme la rapporteur quant aux mesures proposées. Par conséquent, je n’y reviens pas.
J’insisterai simplement sur un aspect de cette proposition de loi : elle comporte un certain nombre de ruptures d’égalité devant la loi. En effet, c’est le quantum de la peine prononcée et le prononcé – ou non – d’un mandat de dépôt qui déterminent les modalités de l’exécution d’une condamnation. Celles-ci ne dépendent pas simplement de la nature de l’infraction visée ; elles prennent en compte la gravité des faits et la personnalité de l’auteur.
En l’état, les dispositions proposées dans ce texte peuvent fragiliser l’équilibre de notre droit pénal, puisqu’elles portent atteinte aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi, de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines.
C’est en ce sens que les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’étaient déjà opposés au régime de l’exécution des peines dérogatoire applicable à certains condamnés pour une infraction terroriste.
Peu à peu des régimes juridiques d’exception s’installent, avec des droits spéciaux : hier pour les terroristes ; aujourd’hui pour les auteurs de violences conjugales. Pour qui demain ?
Mes chers collègues, revenons aux fondamentaux ! Ne confondons pas justice et vengeance !
En matière de droit pénal, bien loin de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice de M. Philippe Bas, à laquelle se réfère la rapporteur,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. À juste titre !
Mme Éliane Assassi. … nous réaffirmons la nécessité d’une réflexion d’ampleur, à la fois sur l’échelle et sur le sens de la peine, qui éviterait un tel débat, abordant pourtant, je le répète, une question de société primordiale.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous avons lancé une mission d’information !
Mme Éliane Assassi. Rappelons que les situations de violence conjugale relèvent avant tout de l’impunité : dans leur très grande majorité, elles ne sont jamais portées à la connaissance de la justice. Je le redis, moins d’une femme victime de violences conjugales sur cinq porte plainte.
C’est d’abord à cette impunité qu’il faut s’attaquer, en renforçant les moyens des policiers accueillant les victimes et recueillant les plaintes, des juges et, de manière générale, des services de la justice.
En outre, les conditions doivent être créées pour que la loi et les avancées qu’elle a déjà permises soient réellement appliquées : éviction du conjoint violent, dispositif « Téléphone grave danger », médiation pénale.
Enfin, d’autres avancées sont encore possibles. Je pense notamment, madame la ministre, à la création de nouveaux hébergements d’urgence, grâce à l’élargissement des dispositifs de convention avec des offices d’HLM, mis en place dans certains départements.
Ce sont là les solutions que nous affinerons et réaffirmerons dans les mois à venir, notamment lors des discussions sur les projets de loi de la Chancellerie et du secrétariat d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Ces textes soulèveront à nouveau la question des violences faites aux femmes et nous ne manquerons pas, à chacune de ces occasions, de veiller à ce que la question soit traitée dans sa globalité, dans le respect de l’équilibre de notre droit, et non sous l’angle de la surenchère répressive. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, madame l’auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, les chiffres des violences conjugales dépeignent une situation alarmante : en 2016, plus de 220 000 femmes ont subi des violences et 123 sont mortes sous les coups de leur conjoint.
La lutte contre les violences conjugales est donc loin d’être achevée, ce qui appelle, en amont, à la prévention de tels actes et nécessite, en aval, une réflexion sur la sécurité des victimes, en particulier après la condamnation judiciaire du conjoint et sa libération.
Il semblait donc tout à fait légitime de commencer à réfléchir à notre régime de l’exécution des peines, comme le propose le présent texte.
Ce dernier vise à créer un régime dérogatoire en matière d’aménagement des peines, applicable aux seuls auteurs de violences conjugales, qui seraient ainsi exclus de la plupart des possibilités d’aménagement de peine.
Le sujet est éminemment sensible, mes chers collègues, mais il est essentiel d’aborder ce débat avec raison et rigueur juridique, afin que nos décisions permettent d’apporter un réel soutien aux victimes. Rappelons-nous ce que nous disions dans la discussion précédente : une loi mal écrite risquerait de provoquer des effets différents de ceux qui sont attendus.
Or, si nous comprenons et partageons l’objectif de ce texte – afficher une plus grande fermeté vis-à-vis des auteurs de violences conjugales –, nous regrettons que son contenu ne permette pas d’atteindre un tel objectif. Pis, nous craignons, comme je viens de l’évoquer, un effet contre-productif.
Priver les personnes condamnées pour violences conjugales de la possibilité de bénéficier d’un aménagement de peine, c’est méconnaître l’objectif premier des peines restrictives et privatives de liberté, à savoir préparer les personnes condamnées à leur réinsertion dans la société.
Il s’agit non pas de considérer ces aménagements uniquement à l’aune des avantages qu’ils représentent pour la personne condamnée, mais de prendre aussi en compte tous les bénéfices que notre société en tire, notamment en termes de prévention de la récidive.
Sur ce plan, la présente proposition de loi semble ignorer que le lien de causalité entre ce que l’on appelle les « sorties sèches » et la récidive a, de longue date, été établi. Par ailleurs, il est important de rappeler que des aménagements de peine, comme le régime de semi-liberté ou le placement à l’extérieur, permettent de concilier protection des victimes et prise en charge de la personne condamnée.
Aussi, ce texte, louable dans ses intentions – intentions que nous pouvons partager –, ne nous semble malheureusement pas emprunter la bonne direction.
Il aura toutefois permis d’ouvrir la voie à une indispensable réflexion sur la lutte contre les violences conjugales, et il nous permet d’ores et déjà de préparer la discussion du futur projet de loi que présentera Mme la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Dans la perspective de ce débat, il faudra garder à l’esprit que la lutte contre les violences conjugales ne doit pas être exclusivement abordée sous l’angle des sanctions pénales contre leurs auteurs. En effet, l’ampleur judiciaire de ce phénomène n’est pas à la mesure de sa réalité quotidienne : aujourd’hui, seule une femme victime de violences conjugales sur cinq porte plainte. Les sanctions ne concernent donc qu’une infime partie des infractions réellement commises.
S’il est heureux que la parole se libère, la situation demeure intolérable. Il nous faudra donc trouver des solutions pour accentuer cette libération de la parole. Celle-ci est encore souvent étouffée par la peur des représailles, le contexte familial constituant une difficulté supplémentaire.
Se rendre au commissariat pour déposer plainte n’est simple pour aucune des femmes ayant à accomplir la démarche. Cette étape constitue une épreuve supplémentaire pour nombre de victimes, qui ne peuvent tout simplement pas se déplacer ou craignent d’être mal accueillies par des personnels souvent peu formés à l’exercice.
L’ouverture d’une plateforme de signalement en ligne pour les victimes de violences, annoncée en novembre dernier, marquerait pour ces dernières un réel progrès et permettrait de rendre leur parole audible.
Mes chers collègues, au vu des insuffisances précédemment évoquées, le groupe Union Centriste votera contre cette proposition de loi.
Si nous nous inscrivons dans la volonté du Président de la République de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes une priorité de son quinquennat, nous espérons que les débats à venir sur ce sujet nous permettront d’adopter des mesures efficaces de lutte contre les violences conjugales. Un message fort serait ainsi envoyé aux victimes de ces violences et ce serait, surtout, un moyen de réduire enfin leur nombre dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)