M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Franck Montaugé. Merci à Pierre-Yves Collombat pour la grande qualité de ce travail !
La crise de 2008 a révélé l’incapacité de la pensée économique à analyser les dysfonctionnements de la sphère financière et, par conséquent, à recommander les politiques préventives et curatives nécessaires.
Aujourd’hui, les voix de Paul Romer, actuellement économiste en chef de la Banque mondiale, ou encore d’Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, plaident pour un renouveau de la pensée économique et, notamment, de la macroéconomie.
En 2009, le rapport de la commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, dite « commission Stiglitz-Sen-Fitoussi », indiquait : « Si nous avions été plus conscients des limites des mesures classiques comme le PIB, l’euphorie liée aux performances économiques des années d’avant la crise aurait été moindre. Des outils de mesure intégrant des évaluations de soutenabilité – endettement privé croissant, par exemple – nous auraient donné une vision plus prudente de ces performances. »
En France, des efforts ont été faits en ce sens. Je pense notamment au rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse issu de la loi du 13 avril 2015, loi adoptée sur la proposition de Mme Eva Sas. L’un de ces indicateurs porte précisément sur l’évaluation de l’endettement privé.
À ce propos, le rapport de 2017, qui devait paraître en octobre dernier, n’est toujours pas disponible. Pouvez-vous nous dire, madame la secrétaire d’État, si vous le publierez comme il se doit ?
Pierre-Yves Collombat indique dans son rapport que 12 % des hedge funds britanniques sont logés dans des paradis fiscaux et pratiquent des effets de levier supérieurs à 50. Madame la secrétaire d’État, le gouvernement entend-il s’engager avec ses partenaires européens dans la mise en œuvre d’un « cadastre financier » ? Ce mécanisme, proposé par Gabriel Zucman, professeur français à l’université de Berkeley, permettrait de suivre l’intégralité des mouvements et de localiser tous les dépôts.
Enfin, le Gouvernement a-t-il la volonté politique d’aller au-delà des mesures prises dans la loi du 27 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous exprimez votre intérêt pour certains indicateurs qui permettraient de mesurer la richesse nationale avec une vision plus large du bien-être et de la richesse que celle que permet le PIB. Nous sommes en ligne avec cette idée et nous travaillons donc sur ce genre d’indicateurs.
En revanche, quant au rapport que vous mentionnez, je ne peux pas vous répondre, car je ne dispose pas d’informations relatives à sa publication.
Vous évoquez l’idée d’un cadastre mondial des actifs financiers. Dans cet esprit, une institution existe déjà : la Banque des règlements internationaux, ou BRI, suit l’ensemble des flux financiers à l’échelle mondiale. Une partie de ce traçage des flux est bien suivie.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Marc Gabouty. À l’échelle de la planète, l’endettement représente 230 % du PIB mondial. Plus que le niveau de cet endettement, c’est peut-être plutôt sa nature qui suscite quelques inquiétudes. Cette estimation globale recouvre en effet non seulement l’endettement des États et des opérateurs publics, qui vise principalement à couvrir leur déficit de fonctionnement, mais aussi l’endettement du secteur privé et, notamment, celui des grandes entreprises, qui leur sert plus à financer des achats d’actifs qu’à développer leur capacité de production et d’intervention.
Ce constat met en lumière l’écart grandissant entre les approches macroéconomiques et microéconomiques. En effet, cet endettement et les liquidités qu’il engendre ne semblent pas, en tout cas dans notre pays, submerger le tissu des PME. Ces dernières rencontrent toujours des difficultés pour financer leur fonctionnement et leur développement. Les règles prudentielles mises en place au niveau européen paraissent même accentuer de manière discriminatoire leurs difficultés d’accès au crédit et l’appréhension même du risque.
Ce phénomène, qui concerne aussi bien les crédits d’investissements que le renforcement des fonds propres ou les facilités de trésorerie, obère à mon sens la montée en puissance de notre économie productive et nos capacités à faire évoluer les PME, les TPE et les start-up afin de permettre l’émergence tant attendue d’un réseau plus fourni d’entreprises de taille intermédiaire.
Madame la secrétaire d’État, quels infléchissements pourraient être apportés, à l’échelon européen, à des règles prudentielles trop strictes lorsqu’elles se répercutent sur le financement des PME ? Quels autres dispositifs pourraient être envisagés à l’échelon national pour favoriser le renforcement des fonds propres et le financement des projets des entreprises ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous avez exprimé des préoccupations sur le niveau d’endettement à l’échelon mondial, qu’il s’agisse des dettes publiques ou des dettes privées. On ne peut pas se passer de dette ; s’endetter est une façon de donner du carburant à l’économie. En revanche, il est clair que, pour certains pays ou certaines entreprises, cet endettement peut atteindre des seuils au-delà desquels il n’est plus soutenable.
Pour ce qui concerne la France, comme vous le savez, nous souhaitons réduire l’endettement public et nous avons fixé des objectifs clairs et ambitieux dans ce sens.
Quant aux entreprises, il est vrai qu’aujourd’hui, en France, l’accès à l’endettement, en particulier pour les PME, est plutôt bon. C’est donc plutôt du côté du capital qu’il y aurait des choses à améliorer. C’est dans ce sens que nous allons avec le PACTE. Ce plan vise à offrir aux PME un accès accru au marché boursier ; l’épargne des Français serait orientée vers des supports d’épargne longue qui puissent comprendre et porter le risque des entreprises et, en particulier, des PME.
Comme vous le savez, monsieur le sénateur, les mesures fiscales de la loi de finances pour 2018 vont aussi et déjà dans ce sens : il s’agit de réorienter et d’accélérer l’intérêt des ménages vers des supports qui viennent financer le bilan des entreprises et leur capital, singulièrement leurs fonds propres.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour la réplique.
M. Jean-Marc Gabouty. Le système de crédit aux PME ne fonctionne, aujourd’hui, que parce qu’il existe des systèmes de garantie et de contre-garantie. De fait, les banques ne sont plus que des trésoreries. Je crois donc qu’il y a une perversion du dispositif dans son ensemble.
M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour le groupe Les Républicains.
M. Serge Babary. Je souhaite saluer le travail considérable réalisé par notre collègue Pierre-Yves Collombat.
J’adhère pleinement à l’alerte qu’il lance quant au risque d’explosion d’un système financier virtuel. La conclusion de son rapport le constate très justement : « Après dix ans de crise, la probabilité de réédition d’un krach du système financier d’ampleur équivalente n’a pas diminué. »
La plus grande crise financière de ce début de XXIe siècle a en réalité commencé le 9 août 2007 en France. Ce jour-là, BNP Paribas gelait les retraits de ses clients dans trois de ses fonds d’investissement. Elle admettait ne plus pouvoir valoriser les actifs détenus dans ces fonds, car ils n’étaient plus échangeables sur les marchés. Cela démontre que cette crise était prévisible.
On sait d’ailleurs qu’aux États-Unis certains experts avaient, dès 2005, anticipé la crise des subprimes et spéculé sur l’effondrement des marchés financiers. On sait aussi que cette crise n’a atteint l’ampleur mondiale qu’on lui connaît qu’en raison de l’irresponsabilité de certaines banques et agences de notation, mais aussi à cause d’une prise de conscience internationale tardive.
Il y a néanmoins toujours des signaux indicateurs de crise. Depuis cinq ans, le monde n’a connu aucune crise financière majeure, et la France va beaucoup mieux. Toutefois, les perspectives économiques de l’OFCE, dévoilées en octobre dernier, confirment ce que la presse décrit depuis plus de six mois, à savoir les potentielles causes d’une nouvelle crise : boom immobilier en Chine et en Suède, bitcoin, crise de la dette publique.
La politique menée par les banques centrales a conduit les taux d’intérêt au plus bas, ce qui permet à la France de s’endetter à bas coût sans en sentir immédiatement les conséquences budgétaires.
La France empruntera en 2018 un montant record sur les marchés : 195 milliards d’euros ! Inévitablement, les taux d’intérêt vont finir par remonter.
Le 29 décembre dernier, Standard & Poor’s envisageait un scénario catastrophe au cas où la France n’entreprendrait pas des réformes radicales. La dette atteindrait, en 2050, 166,4 % du PIB, contre 97,6 % aujourd’hui.
En juillet dernier, le gouverneur de la Banque de France avait déjà donné l’alerte et insisté sur la nécessité d’une réforme des services publics. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous préciser aujourd’hui si des mesures d’anticipation et de protection face à une remontée des taux d’intérêt sont prises par le Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez relevé, dans le cadre de leur réponse à la crise, les banques centrales sont massivement intervenues pour permettre de financer l’économie et donc de limiter l’impact de ces crises sur la situation des populations. Elles ont abaissé leurs taux directeurs en territoire légèrement négatif afin de soutenir l’économie.
Ensuite, parce que cette expansion monétaire n’a pu être suffisante, elles ont mis en œuvre une nouvelle stratégie non conventionnelle, à savoir l’assouplissement quantitatif. Ces achats d’actifs ont permis d’influencer plus directement les taux de long terme, qui guident les décisions d’investissement.
Dans le contexte actuel, les grandes banques centrales devront trouver le bon équilibre pour soutenir la reprise économique et éviter les excès financiers. Même si la reprise économique se poursuit, l’inflation reste faible, ce qui amènera probablement les banques centrales à ne durcir que très graduellement leur politique. Toutefois, elles seront également attentives aux prises de risque croissantes des acteurs financiers et pourraient chercher, conjointement avec les autorités prudentielles, à éviter des excès qui pourraient être source de crises futures.
S’agissant de la façon dont nous anticipons leurs changements de politique ou l’évolution graduelle de leur politique, ce point a bien été pris en compte dans la trajectoire des finances publiques. Vous pourrez noter que le Gouvernement a d’ores et déjà anticipé une augmentation graduelle des taux d’intérêt et son impact sur nos charges financières.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.
M. Didier Rambaud. Madame la secrétaire d’État, les analyses d’économistes le montrent et la presse spécialisée s’en fait l’écho régulièrement : la réglementation et la supervision du secteur bancaire n’épousent pas totalement les contours des différents canaux du financement de l’économie.
Ainsi, le secteur bancaire parallèle échappe à ces réglementations : j’ai en tête le shadow banking, qui regroupe hedge funds, fonds communs de créances et autres véhicules de titrisation. Le rôle de ces fonds a été mis en lumière lors de la crise de 2007 ; nous en parlions ce matin, en commission des finances, à l’occasion de l’audition du gouverneur de la Banque de France. Leur rôle dans la crise a été d’autant plus important que ces fonds sont d’importants acheteurs de risque sur les marchés de produits financiers dérivés.
Sans jeu de mots, le shadow banking continue de poser des risques pour la stabilité financière. Les moyens mis en œuvre pour les contrer semblent bien faibles : je pense par exemple à la directive européenne de 2010 sur les hedge funds, qui n’affecte pas l’ensemble de ces fonds.
Je voudrais aussi rappeler que, selon le Conseil de stabilité financière, les sommes gérées par le shadow banking représentaient en 2015, à l’échelle mondiale, environ 92 000 milliards de dollars, soit l’équivalent de la moitié du système bancaire traditionnel.
Je crois que le danger du secteur bancaire parallèle est bien réel. Madame la secrétaire d’État, ma question est simple : comment peut-on limiter le risque que fait peser le shadow banking sur la stabilité financière ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez noté, depuis la crise, le système bancaire parallèle joue un rôle croissant dans le financement de l’économie réelle, en particulier en apportant de nouveaux outils de financement aux entreprises.
Compte tenu de ces risques, il convient d’observer l’évolution de ce secteur avec une attention toute particulière. C’est ce que nous faisons, essentiellement à l’échelle internationale, puisque c’est là que se situe le bon niveau d’action compte tenu des flux et des acteurs en jeu. Le G20 et le Conseil de stabilité financière s’en sont saisis. La France joue un rôle moteur pour pousser ces discussions dans les instances internationales : nous participons aux groupes de travail sur ce sujet et nous proposons des mesures concrètes pour permettre de mieux comprendre et de mieux réguler ces activités.
À l’échelon européen, les textes adoptés à la fin du mois d’octobre 2017 définissent un cadre pour la titrisation, à savoir la titrisation dite « STS » : simple, transparente et standardisée. Ce cadre renforce la transparence des marchés et offre ainsi aux investisseurs une protection plus efficace et une meilleure gestion des risques systémiques.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Je voudrais d’abord exprimer mon accord total avec les propos qu’a tenus M. Sueur sur les modalités de ce débat. Cela dit, ce rapport a un mérite : il nous fait tous admettre que nous apprécions ces analyses et il lance une nouvelle alerte sur la financiarisation de l’économie. C’est cela qui nous importe, mais aussi d’avoir un débat politique, madame la secrétaire d’État, sur cette question.
En effet, en 2008, c’est tout de même à partir d’un segment étroit – les crédits immobiliers aux particuliers – que s’est propagée une véritable thrombose des marchés financiers, mal qui a touché, par ricochet, l’ensemble des secteurs financiers. Il nous faut détricoter le problème, dans notre diversité.
On sait quelles mesures durent être prises pour redonner un peu de liquidité à des activités bancaires frappées par la méfiance réciproque et la chute libre des cours de bourse.
Ces derniers mois, malgré la politique bienveillante de la BCE en termes de création monétaire, la France connaît une situation paradoxale.
Les taux d’intérêt sont historiquement bas. Pour ma part, je pense que la dette privée des ménages et des entreprises n’y est pas pour rien, puisqu’elle connaît une ascension constante, atteignant désormais 130 % du PIB. Concernant les ménages, la croissance de l’endettement atteint près de 6 % en glissement annuel, avec une augmentation marquée des crédits à la consommation et des crédits liés à l’habitat.
De notre point de vue, cet endettement des ménages, s’il a permis de porter une partie de l’activité économique en 2017, est aussi porteur de risques pour la solidité du secteur financier dans les années à venir. En effet, les taux d’intérêt réels associés aux emprunts sont sans commune mesure avec la progression du pouvoir d’achat.
Quelles mesures, madame la secrétaire d’État, comptez-vous prendre pour pallier ce risque systémique ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
M. Pascal Savoldelli. S’il n’y en a pas, il n’y en a pas ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Pas de révolution !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, je ne reviendrai pas sur mon constat initial : nous ne rejoignons pas vos vues sur le rôle de la finance dans l’économie. Il faut savoir faire en sorte que la finance contribue à l’économie et soit un facteur de croissance et de prospérité.
M. Pierre-Yves Collombat. Incantation !
M. Pierre-Yves Collombat. Oh ! Diaboliser des gens aussi utiles !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Selon vous, monsieur Savoldelli, l’endettement des ménages est un sujet évolutif et préoccupant. Pourtant, des outils existent : nous avons en particulier pris des mesures sur le surendettement. Ce problème nous semble donc plutôt connaître une trajectoire de légère amélioration au cours des dernières années, et non pas, de ce point de vue, une forte aggravation. Il n’en reste pas moins que nous disposons d’un plan d’action pour répondre à ces situations de surendettement et que nous restons vigilants quant à leur évolution.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Janssens, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Marie Janssens. Comme celles et ceux qui m’ont précédé, je tiens à souligner le travail remarquable de notre collègue Pierre-Yves Collombat. Son rapport aussi documenté qu’accessible est un document majeur sur la crise mondiale de 2008.
En 2008, justement, l’année même où la finance mondiale entrait dans une crise d’une ampleur exceptionnelle, naissait une technologie qui semble capable, à terme, de transformer le monde de la finance et de l’argent. Je veux parler du bitcoin.
Le bitcoin est ce que l’on appelle une crypto-monnaie : une monnaie numérique qui a pour particularité de ne pas être soumise au contrôle des États ou d’un quelconque tiers.
L’Histoire avance. Hier, l’or, les billets ; aujourd’hui, les chèques, les cartes bleues ; demain, le bitcoin ? On voit que nos paiements quotidiens sont de plus en plus dématérialisés. Ce n’est peut-être qu’un début. Le bitcoin, en effet, va beaucoup plus loin en n’existant que sur le réseau informatique et en se passant d’intermédiaire. Certains y voient une bulle ; d’autres, une révolution comparable à l’imprimerie, à la micro-informatique ou à l’Internet.
Le passionnant rapport de la délégation sénatoriale à la prospective sur les perspectives de la finance mondiale n’intègre ni l’émergence du bitcoin et des autres crypto-monnaies ni leur influence potentielle sur le système financier mondial.
En outre, ces nouvelles monnaies peuvent également révolutionner le rapport entre politique et finance. Nous devons le prendre en compte et l’anticiper.
En complément à ce passionnant rapport, le Gouvernement peut-il nous apporter son point de vue et son éclairage sur le phénomène du bitcoin et des crypto-monnaies, phénomène qui va peut-être changer l’Histoire ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le sujet des crypto-actifs est d’actualité. En effet, ils ont connu un essor spectaculaire, en particulier quant à leur valorisation, au cours de l’année 2017. Comme vous le savez, leur développement est lié à la maîtrise de la technologie de la blockchain, qui permet l’apparition de nouveaux types d’actifs. Cela dit, aujourd’hui, la capitalisation totale de ces actifs, qu’on appelle, pour la plupart, des « crypto-monnaies », représente environ 700 milliards de dollars. De fait, il s’agit bien d’une évolution spectaculaire, puisque cette capitalisation était inférieure à 20 milliards de dollars au début de 2017.
Ces actifs posent plusieurs enjeux de régulation. En matière de stabilité financière, nous considérons que le risque reste aujourd’hui limité au vu des volumes en jeu. En revanche, pour ce qui est de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, des problématiques spécifiques doivent évidemment être traitées. Il en est de même pour l’information et les risques qui se manifestent pour les investisseurs non professionnels : la volatilité de ce type d’actifs est en effet très forte et il existe donc des risques pour les investisseurs non avertis ou mal avertis qui voudraient placer leurs économies dans ce genre de produits.
Nous avons proposé d’étudier ces sujets au sein du G20 et nous avons été soutenus dans cette initiative par l’Italie et l’Allemagne. Nous avons également demandé à Jean-Pierre Landau, ancien sous-gouverneur de la Banque de France, de nous remettre un rapport permettant d’alimenter les travaux du G20 sur ces sujets.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Yannick Vaugrenard. Voilà un peu plus d’un an, Pierre-Yves Collombat nous présentait son rapport sur l’avenir et les risques du système bancaire et financier international.
Je retiendrai une de ses conclusions, celle qui m’apparaît comme la plus préoccupante : « la probabilité d’un nouveau crash du système financier comparable à 2007–2008 ». La question n’est donc plus de savoir si ce crash aura lieu, mais quand il aura lieu.
Ainsi, les fonds publics déversés au moment de la crise n’auront pas suffi à faire prendre conscience des indispensables mesures à prendre pour nous prémunir des errances et des inconséquences du monde de la finance.
Le constat fou que seulement 10 % des échanges boursiers sont en rapport avec l’économie réelle est la démonstration que ce système, sans contrôle, sans régulation imposée, peut nous mener au désastre. La technocratie financière a pris le pouvoir depuis trop longtemps ;…
M. Charles Revet. C’est une certitude !
M. Yannick Vaugrenard. … c’est au pouvoir politique de lui reprendre. Pour cela, profitons de ce qui a commencé à faire ses preuves, certes avec des imperfections : je veux parler des conférences mondiales sur l’environnement, les COP.
Il est indispensable que les pays qui se sont retrouvés pour échanger, proposer et décider dans les COP environnementales fassent de même sur les questions financières et fiscales. C’était une proposition d’Éric Bocquet et d’autres ; je m’y rallie volontiers.
En effet, nous n’imaginons pas que la France ait les capacités d’agir seule, tant il est vrai que la finance n’a pas de frontières. Nous ne pouvons pas, pour paraphraser le général de Gaulle, faire notre petite soupe, à petit feu, dans notre petit coin !
Portons cette initiative de COP financière et fiscale internationale ! Sinon, c’est l’égoïsme habituel qui risque de prévaloir et de nous conduire, une fois encore, à une errance financière majeure et à la catastrophe économique et sociale qui, malheureusement, risquerait d’en découler. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, je ne vous dirai pas qu’il n’y aura plus de crise. On ne peut pas exclure de nouvelles crises. Ce qui est sûr, c’est que, progressivement, nous avons appris des événements qui ont eu lieu et nous avons mis en place des systèmes qui visent à développer notre résilience face aux crises, qu’elles affectent le secteur financier, la trajectoire de nos finances publiques ou encore l’environnement, puisque vous avez évoqué le développement des instances internationales dans ce domaine.
Sur le sujet particulier des crises financières, l’action et la concertation se sont très tôt placées à l’échelon international, puisque, dès avril 2009, le G20 a mis en place le FSB, le Financial Stability Board, dans la perspective d’apporter une impulsion politique pour répondre au défaut de normes.
C’est aussi au sein du Comité de Bâle que se discutent les outils de surveillance prudentielle. C’est à l’échelon européen que les paquets bancaires traduisent ces outils et ces concepts dans le droit. Depuis la crise, il me semble que nous avons pris conscience que c’est bien à un niveau international et européen que doivent se prendre les bonnes décisions.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Raison. Ma question rejoint celle de mon collègue. Nous sommes unanimes : la régulation en matière bancaire – et au-delà ! – est indispensable.
Bel exemple que le financement du crédit immobilier « à la française », dont la remise en cause serait très préjudiciable. Il repose sur trois spécificités : des taux majoritairement fixes, une analyse sérieuse de la solvabilité de l’emprunteur et une garantie reposant souvent sur le cautionnement plutôt que sur l’hypothèque.
Si ce modèle français avait prévalu aux États-Unis en 2007, la crise des subprimes et les terribles images des emprunteurs expropriés n’auraient certainement pas existé. Soyons un peu chauvins ! Les épargnants et les emprunteurs français sont plutôt bien protégés aujourd’hui.
Ces caractéristiques doivent donc être préservées. Or les travaux internationaux menés par le Comité de Bâle pourraient remettre en cause le crédit immobilier « à la française ».
Le Sénat, dans sa grande sagesse, a adopté à l’unanimité en 2016 une résolution de notre excellent collègue Didier Guillaume visant à protéger le système du crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle. Nous lancions alors une alerte sur les risques que pourraient engendrer ces nouvelles règles.
Depuis, l’accord de Bâle a été signé et il doit être transcrit en droit européen.
Madame la secrétaire d’État, ma question portera donc sur l’avenir de cet accord, dont une partie des recommandations a mené l’économie mondiale presque dans l’impasse.
J’espère fermement que vous ne laisserez pas ces règles s’imposer à nous et que vous affirmerez, comme le Sénat a su le faire en 2016, que la régulation financière doit s’imposer pour protéger les Français.
Le courage politique, ce n’est pas que des décisions imposées aux Français en politique intérieure ; c’est aussi à l’extérieur ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – MM. Pierre-Yves Collombat, Olivier Cigolotti, Jean-Claude Luche et Pierre Médevielle applaudissent également.)