Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je veux vous rassurer, madame la sénatrice : il n’est pas question de remettre en cause le choix, fait dès l’origine, de desservir par le TGV les grandes métropoles, souvent reliées par les lignes à grande vitesse, mais aussi 230 villes afin d’assurer une irrigation importante des territoires.
Nous devons cependant tous avoir conscience que ce choix a un coût. Au moment où nous réfléchissons au modèle économique du ferroviaire, il nous faut avoir en tête que l’on ne peut demander une desserte fine des territoires par le TGV à des tarifs accessibles à tous tout en attendant de la SNCF qu’elle paie des péages très élevés afin que l’on puisse régler les problèmes de SNCF Réseau. On ne peut pas exiger tout et son contraire de la SNCF.
Le modèle de desserte fine des territoires défini collectivement dès le lancement du TGV n’est pas remis en cause, notamment parce que les lignes à grande vitesse ont bien souvent bénéficié, comme vous l’avez souligné, de financements des collectivités locales en contrepartie d’engagements de desserte.
Voilà ce que je puis vous répondre en ce qui concerne les TGV. J’aurai peut-être l’occasion de développer ultérieurement mon propos sur la desserte fine des territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Luche, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-Claude Luche. Madame la ministre, il n’y aura bientôt plus aucune liaison directe par le train entre Paris et l’Aveyron : telle est la douloureuse perspective que laissent entrevoir les orientations de la SNCF pour le département de l’Aveyron en ce début d’année 2018. Le train de nuit qui relie Paris à Rodez en plus de huit heures est sur le point d’être supprimé. Au-delà de cette liaison indispensable à l’attractivité du territoire, il s’agit aussi du maintien des lignes régionales, notamment de la ligne Béziers-Neussargues, des gares, des fréquences de desserte et de l’entretien du réseau.
Nous constatons avec incompréhension l’accroissement des difficultés d’année en année. Pourtant, le train aurait pu être un formidable outil de développement et d’aménagement du territoire, ainsi que l’alternative à la voiture, que l’on nous supplie de moins utiliser.
Le train s’éloigne progressivement de nos réflexes en matière de transport. Sachez, madame la ministre, que les citoyens des territoires ruraux contribuent eux aussi, par leurs impôts, au financement du déficit de la SNCF. À ce jour, il me paraît naturel que ces territoires ne soient pas laissés à l’écart de quelque itinéraire que ce soit. Aussi exigeons-nous la mise en jeu d’une solidarité nationale. Nous vous demandons d’imposer cette vision, particulièrement en ce qui concerne les territoires situés à plus de deux heures de route de la gare TGV la plus proche.
Madame la ministre, il est impératif que la SNCF ne nous oublie pas et ne nous raye pas de la carte. Il faut bien évidemment résoudre les problèmes qui surviennent à la gare Montparnasse, mais les usagers de nos gares de Rodez, de Millau, de Séverac-le-Château sont également en attente de solutions et d’une politique nationale ferroviaire ambitieuse. Quelles perspectives pouvez-vous nous donner afin de rétablir la place du transport ferroviaire dans nos territoires ruraux ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je veux vous rassurer, monsieur le sénateur : il n’est nullement question de supprimer le train de nuit entre Paris et Rodez. Malheureusement – ou heureusement, c’est selon ! –, la ligne ferroviaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse doit faire l’objet de travaux cette année, ce qui se traduira par un allongement des temps de parcours et par la nécessité pour les trains d’emprunter un autre itinéraire. Je suis bien consciente du désagrément causé aux voyageurs, mais chacun comprendra la nécessité de moderniser cette ligne très structurante pour le désenclavement de ces territoires. Il faut donc trouver des plages de temps pour faire ces travaux. Je ne sais pas si l’on pourrait envisager une fermeture temporaire sur une période plus longue ; il faudrait peut-être en rediscuter avec SNCF Réseau, mais, en l’état actuel des choses, la modernisation de la ligne suppose des interruptions pour travaux du trafic de nuit.
Vous pouvez compter, monsieur le sénateur, sur mon engagement en faveur du maintien des trois trains de nuit desservant Briançon, l’Aveyron et les Pyrénées qui ont été maintenus sous la responsabilité de l’État.
De façon plus générale, je voudrais réaffirmer l’engagement de l’État concernant les trains d’équilibre du territoire, qu’ils aient été transférés aux régions ou qu’ils continuent à relever de la responsabilité de l’État. Je rappelle que, pour ce qui concerne les trains transférés aux régions, des investissements très importants, à hauteur de 3,7 milliards d’euros, vont être réalisés pour moderniser le matériel roulant.
Nous maintiendrons donc, je le répète, les trains de nuit qui desservent votre département.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Madrelle, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Philippe Madrelle. L’association de défense des consommateurs UFC-Que choisir vient d’interpeller les pouvoirs publics sur la dégradation de la qualité de service des trains du quotidien et sur les conditions, apparemment très inégales dans le pays, d’indemnisation des usagers victimes de retards ou d’annulations de trains. Elle rejoint ainsi une préoccupation souvent exprimée par les usagers du rail auprès des parlementaires, sans que ceux-ci puissent leur apporter de réponses très claires.
Le caractère spectaculaire des pannes géantes survenues à la gare Montparnasse les 29 juillet et 3 décembre 2017 nous a quelque peu distraits des difficultés quotidiennes qu’éprouvent des millions d’usagers pour aller et venir entre leur domicile et leur lieu de travail.
Ces services de transport que l’on peut qualifier « de première nécessité » occupent le vingt-et-unième rang européen en matière de ponctualité et, pour diverses raisons, dont l’indispensable rénovation du réseau, connaissent une tendance préoccupante à la dégradation de la qualité de service.
Pour le premier semestre de 2017, l’UFC-Que choisir fait état de 11 % de TER annulés, de 15 % d’usagers exposés à des retards aux heures de pointe, et relève que seule une ligne sur les treize que compte le Transilien en région parisienne remplit ses objectifs contractuels de ponctualité. Elle impute 59 % des retards constatés à la gestion des circulations par SNCF Mobilités, indépendamment de tout incident imputable à l’infrastructure ou aux travaux !
Alors que la SNCF a mis en place un système d’indemnisation des retards et annulations de trains souvent considéré comme excessivement procédurier ou décourageant, on apprend que deux tiers des régions n’ont pas mis en place un tel dispositif d’indemnisation au bénéfice des usagers des TER. Ainsi, l’usager du TGV serait indemnisé, mais une majorité des usagers du train, pour lesquels celui-ci est absolument vital, ne le serait pas ?
Je vous serais reconnaissant, madame la ministre, de bien vouloir faire toute la lumière sur cette curiosité nationale qui voudrait que les droits des clients des trains commerciaux de la SNCF soient mieux assurés que ceux des usagers des trains de service public ! Les usagers des TER, grands oubliés du dédommagement, sont en droit d’attendre la prise d’engagements fermes en termes d’indemnisation.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, le Gouvernement donne la priorité, je le redis, aux transports de la vie quotidienne, et donc à l’entretien et à la régénération des réseaux. Je puis vous assurer que les graves incidents dont les médias se font largement l’écho ne nous font pas oublier la nécessité d’améliorer les transports du quotidien pour nos concitoyens.
Pour ce qui concerne les indicateurs, il me semble important de se référer au rapport de l’Autorité de la qualité de service dans les transports, l’AQST, qui, s’il met en exergue des difficultés, ne brosse pas un tableau aussi noir que celui que vous avez évoqué. À cet égard, je m’associe à ceux d’entre vous qui ont exprimé leur soutien aux cheminots, qui font au mieux pour assurer au quotidien le meilleur service à nos concitoyens.
En matière d’indemnisation, il peut en effet paraître paradoxal que les voyageurs des TGV et les usagers des TER et du Transilien ne soient pas traités sur un pied d’égalité. C’est une question de responsabilité : la SNCF a mis en place une indemnisation plus généreuse que ce qu’imposent les règles européennes pour les trains qui relèvent de sa responsabilité ; il appartient aux autorités organisatrices, dans le transport ferroviaire comme dans le transport urbain, de définir des régimes de pénalités applicables à leurs opérateurs et des régimes d’indemnisation applicables à leurs voyageurs.
La négociation des prochains contrats par les autorités organisatrices sera peut-être l’occasion de préciser ces points, mais il n’appartient pas à la SNCF de prévoir des indemnisations s’agissant de trains qu’elle exploite pour le compte des autorités organisatrices de transport.
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains.
M. Cyril Pellevat. Le réseau ferroviaire de notre pays s’étend sur près de 30 000 kilomètres, ce qui en fait le deuxième réseau ferroviaire d’Europe. Il a également été reconnu comme étant le sixième meilleur réseau ferroviaire du monde. Malgré cela, nous constatons régulièrement de nombreux défauts.
Je ne reviendrai pas sur les diverses perturbations que de nombreux Français ont subies au cours du mois de décembre, et qui ne font malheureusement qu’aggraver leur mauvaise opinion des services de la SNCF. J’aimerais, en revanche, revenir sur la question de la sécurité, notamment sur celle de la sécurisation des passages à niveau.
Mon département, la Haute-Savoie, a connu en 2008, à Allinges, un drame similaire à celui de Millas. Il reste beaucoup à faire en ce domaine. Notre président de région s’est dit prêt à cofinancer la sécurisation des passages à niveau. Il serait en effet opportun d’ouvrir aux régions qui le souhaitent la possibilité de participer à ce financement. Y êtes-vous favorable, madame la ministre ?
Je profite de ce court temps de parole pour vous interroger sur votre engagement à l’égard su projet franco-suisse du RER Sud-Léman.
La ligne ferroviaire d’Évian-les-Bains à Saint-Gingolph est le dernier maillon de la boucle ferroviaire du lac Léman. Vous connaissez notre combat pour le désenclavement du territoire du Chablais : ce projet de réouverture aux voyageurs – j’insiste sur ce point – de la ligne Sud-Léman permettra de désenclaver l’est du Chablais.
SNCF Réseau a donné son feu vert, les collectivités françaises ainsi que les cantons suisses de Vaud, du Valais et de Genève sont également favorables au projet, et la région vient de reconfirmer son engagement.
Considérant l’importance de ce projet pour notre territoire, la réaffirmation des soutiens côté français est un bon signal envoyé à nos voisins Suisses, à l’heure où ils fixent leurs priorités en matière de financement du ferroviaire à l’horizon 2035 : le RER Sud-Léman pourrait bénéficier de fonds de la Confédération helvétique.
En tant que président du comité de pilotage du projet du RER Sud-Léman, je me permets de vous demander, madame la ministre, d’affirmer le soutien du Gouvernement français.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je crains de ne pas avoir le temps de répondre à l’ensemble de vos questions, monsieur le sénateur, mais je vous adresserai un complément de réponse par écrit.
Concernant les passages à niveau, je soulignerai que, chaque jour, 16 millions de véhicules les franchissent et que l’on enregistre 450 000 fermetures de barrière. Je ne voudrais pas que nos concitoyens pensent qu’il faut avoir peur des 15 000 passages à niveau que compte notre pays. Les personnes tuées en traversant les passages à niveau, encore trop nombreuses, représentent 1 % des victimes de la route.
L’État est fortement engagé depuis des années –Dominique Bussereau, lorsqu’il était ministre des transports, s’était lui aussi fortement investi sur cette question – dans un programme de sécurisation nationale qui ne saurait naturellement viser à supprimer l’ensemble des passages à niveau, mais tend à renforcer la signalisation et à traiter les cas pouvant être considérés comme sensibles.
L’État maintiendra cet engagement et des financements sont programmés dans le cadre de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF. Il est également prévu que l’État se substitue progressivement à SNCF Réseau pour financer ces travaux. Je réunirai, le 15 février prochain, le comité ministériel sur la sécurité ferroviaire et sur la sécurité aux passages à niveau pour réaffirmer l’engagement de l’État.
Au-delà de la question des travaux, il nous faudra réfléchir – nous avons commencé à le faire avec le délégué interministériel à la sécurité routière – à la façon de mieux faire connaître les règles de sécurité routière aux passages à niveau. En effet, 90 % des accidents sont liés à un non-respect de la réglementation routière.
Nous resterons très mobilisés sur le sujet, qu’il s’agisse de la suppression des passages à niveau les plus sensibles, de la promotion de dispositifs innovants permettant d’accroître la sécurité ou du lancement probable d’une campagne de sensibilisation des automobilistes aux règles de sécurité routière concernant les passages à niveau.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Olivier Jacquin. À l’automne, le Président de la République a annoncé son souhait de réformer drastiquement le régime spécial de retraite des cheminots, en contrepartie d’un allégement partiel ou total de la dette de la SNCF. Il faut bien en convenir, il s’agit là d’un irréalisable tour de passe-passe financier !
Cette mesure est totalement impossible à mettre en œuvre, sauf à ne pas tenir compte de la limite de 3 % de déficit imposée par Bruxelles ou à inscrire cette créance comme un engagement hors bilan de l’État. Si elle pouvait l’être, cela permettrait de financer de nouvelles infrastructures, comme nous le souhaiterions, et surtout de viabiliser un groupe dont l’actif net est virtuellement inexistant en raison d’une dette colossale.
Ma question sera simple, madame la ministre : cette proposition disruptive de notre président-manager repose-t-elle sur une réorientation de ce fleuron du service public de transport pour en faire une entreprise d’agrégation de mobilités, ou bien n’est-ce qu’un moyen d’embellir à peu de frais la corbeille de la mariée en vue d’une vente à la découpe de la SNCF qui ne dit pas son nom, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des lignes TER et TGV d’ici à décembre 2019 et à janvier 2021 ?
Madame la ministre, j’ai apprécié l’exercice des Assises de la mobilité, auxquelles j’ai pris part. Je vous ai entendu, lors de la conclusion de ces assises, annoncer des orientations stratégiques dès le mois de février. Je vous demande aujourd’hui de nous en dire un peu plus. J’apprécie votre constance, votre patience, votre connaissance du dossier, votre compétence. Merci de nous donner davantage d’informations !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Personne ne peut se satisfaire d’un endettement qui augmente de 3 milliards d’euros par an, d’un modèle économique du TGV fragilisé, d’un réseau confronté aux difficultés que nous venons d’évoquer, d’un fret ferroviaire dont les trafics ont diminué d’un tiers en quinze ans. La situation du ferroviaire appelait donc une réflexion globale.
C’est tout le sens de la mission qui a été confiée à Jean-Cyril Spinetta : il s’agit non pas de traiter successivement les questions des dessertes TGV, de l’achat de matériels roulants, des enjeux de tarification, mais bien d’avoir une approche globale afin de s’assurer que l’État se dote d’une stratégie ferroviaire soutenable et répondant bien aux besoins de nos concitoyens.
L’ensemble de ces sujets complexes fait l’objet de la mission de M. Spinetta. Je vous invite à patienter quelques jours encore dans l’attente de la remise de son rapport, qui traitera à la fois de la place du ferroviaire dans le pays, de son modèle économique et des conditions d’une ouverture réussie à la concurrence. Il s’agit d’aborder ce sujet avec sérénité, dans la concertation, pour que l’ouverture à la concurrence se fasse au bénéfice des régions et des voyageurs, tout en rassurant les cheminots sur leur avenir.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Sol, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean Sol. Le jeudi 14 décembre 2017, à Millas, la collision entre un car scolaire et un train sur un passage à niveau faisait six morts et plusieurs blessés graves. Je ne peux m’empêcher de penser, en cet instant, aux familles meurtries par ce drame et au maire de Saint-Féliu-d’Avall, Robert Taillant, dont l’exemplarité face à cette tragédie est à souligner.
Madame la ministre, je voudrais vous interroger sur la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan.
Le 4 juillet dernier, le Premier ministre évoquait l’avenir des transports français devant l’Assemblée nationale et invitait à une réflexion collective sur leur avenir, en mettant l’accent sur les enjeux liés au désenclavement des territoires.
Si je suis, comme vous et de nombreux élus, conscient de l’impérieuse nécessité de pouvoir bénéficier d’un nouveau dispositif de programmation des investissements pour les transports de demain, je considère que celui-ci doit se bâtir sur la base du respect de l’égalité de nos concitoyens face à la mobilité et de la correction des inégalités entre territoires.
Force est de constater que Perpignan fait encore partie, malheureusement, des villes situées à plus de cinq heures de la capitale.
Force est de constater que les lignes à grande vitesse traversent la France des régions, mais s’arrêtent aux portes de Montpellier, alors que l’Espagne a inauguré une LGV Madrid-Barcelone-Figueras.
Force est de constater le manque d’investissements de l’État au bénéfice des transports ferroviaires dans notre département et notre région.
Pourtant, les arguments en faveur du projet sont nombreux, qu’il s’agisse de l’environnement – progression du fret et report modal –, de l’attractivité de notre département, de la transformation urbaine de nos villes, du tourisme, de l’économie et de la compétitivité de nos territoires. En termes sociétaux, la multiplication des camions sur les routes est devenue l’un des premiers facteurs d’insécurité routière et de pollution atmosphérique.
M. Roland Courteau. C’est exact !
M. Jean Sol. Comment nier, en ce XXIe siècle, la nécessité de finaliser enfin ce projet, attendu depuis plus de trente ans par des usagers aujourd’hui excédés et prêts à se mobiliser au côté des élus que nous sommes ?
Madame la ministre, le temps est venu d’établir une plus grande justice territoriale et une solidarité nationale avec la France d’en bas, celle des oubliés, pour ne pas dire des abandonnés.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, c’est bien tout l’enjeu des travaux menés actuellement dans le cadre du Conseil d’orientation des infrastructures que de proposer des axes prioritaires, en matière d’investissements, prenant en compte la priorité donnée à l’entretien et à la modernisation des réseaux, ainsi qu’au désenclavement des territoires.
Je m’engage à ce que les trop nombreux territoires qui attendent depuis trop longtemps la mise à niveau de leurs routes nationales – on évoquait Aurillac tout à l’heure, on pourrait aussi parler du centre-Bretagne ou de Prades – voient enfin se réaliser les investissements promis depuis des années.
Je pourrais également évoquer la nécessité de désaturer les nœuds ferroviaires, qui sont largement à l’origine des difficultés que peuvent rencontrer les voyageurs sur le réseau ferré national. Je n’oublie pas non plus les attentes suscitées, dans les régions Occitanie, Normandie et Bretagne, par les 36 milliards d’euros promis par le passé pour la construction de lignes nouvelles.
L’exercice de vérité en cours, qui débouchera sur un vote du Parlement, doit permettre d’en finir avec ces promesses non financées, de prendre des engagements réels assortis de financements, l’objectif étant aussi de restaurer la confiance au sein des territoires, auxquels on a beaucoup promis, chacun étant persuadé que sa ligne à grande vitesse était sur le dessus de la pile…
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vial, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean-Pierre Vial. Je voudrais aborder la question du transport ferroviaire de marchandises.
Le défi est à la mesure de la situation préoccupante de l’économie de notre pays, c’est-à-dire gigantesque. La part du rail étant seulement de 10 % des volumes – elle atteignait encore 15 % en 2002 –, le fret est assuré principalement par la route. Le volume transporté est en faible augmentation, et il se partage à égalité entre le pavillon français et le pavillon étranger. De surcroît, le transport de marchandises sur route et sur rail est passé, entre 2005 et 2015, d’un peu plus de 350 milliards à 315 milliards de tonnes-kilomètres, soit une baisse de 11 % en dix ans, alors qu’il augmentait partout ailleurs en Europe.
Bien que la France constitue la proue de l’Europe sur l’Atlantique, le port du Havre ne figure pas dans les cinquante premiers ports mondiaux, et plus de 50 % des marchandises arrivant en France transitent par des ports étrangers. Or, en matière de transport de marchandises, les enjeux maritimes, fluviaux et ferroviaires se rejoignent.
Pendant ce temps, après avoir repris et modernisé les ports du Pirée, en Grèce, la Chine ambitionne de contrôler le réseau ferroviaire de ce pays pour mieux irriguer le cœur de l’Europe, et, avant même la montée en puissance de l’ambitieux projet de la route de la soie, elle assure déjà une liaison régulière avec l’Allemagne.
L’Allemagne affichant un excédent commercial de 240 milliards d’euros et la France un déficit commercial de 60 milliards d’euros, ne doit-on pas rapprocher la baisse du fret de l’effondrement de l’industrie dans notre pays sur la même période ? À ceux qui considèrent que la décroissance du transport de marchandises en France est la conséquence de la décroissance industrielle, on peut légitimement opposer qu’elle en est peut-être plutôt l’une des causes, au vu du développement du fret ferroviaire chez nos voisins européens. À cet égard, même le cas de la Grande-Bretagne, souvent brocardé, mérite d’être analysé.
Au moment où le Premier ministre limite la vitesse à 80 kilomètres par heure sur la route, il n’est pas forcément besoin d’infrastructures à grande vitesse : il suffit que le fret circule à 40 kilomètres par heure pour qu’il traverse la France en vingt-quatre heures. Toutefois, encore faut-il pouvoir accéder aux infrastructures. Quand on sait que, en la matière, il faut réserver les sillons deux ans à l’avance, sans garantie sur le délai d’acheminement, on peut s’interroger…
Si la responsabilité de la SNCF dans ce quasi-sinistre du transport ferroviaire de marchandises ne saurait être dégagée, celle de l’État est entière, en raison de l’abandon constant, depuis plus de vingt ans, d’un secteur qui relève d’abord de sa volonté politique, c’est-à-dire du Gouvernement et de lui seul. Cette responsabilité apparaît d’autant plus grande quand on sait l’ambition affichée par l’Europe en la matière dès le sommet d’Essen de 1993.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Vial. J’interrogeais ce matin même le ministre de l’écologie sur le projet d’autoroute ferroviaire alpine, le rail ne permettant aujourd’hui d’atteindre qu’à hauteur de 3 % l’objectif annoncé en matière de report modal.
Madame la ministre, quelle est la volonté du Gouvernement en matière de transport ferroviaire de marchandises ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, on ne peut en effet pas se satisfaire de la situation actuelle en matière de fret ferroviaire.
M. Charles Revet. Eh non !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Celui-ci a diminué d’un tiers en quinze ans, alors même que des files de poids lourds traversent notre pays. Ce sujet sera naturellement pris en compte dans les réflexions que nous sommes en train de mener.
À l’évidence, la question des infrastructures est importante. Vous évoquiez la situation de nos ports : en vue du développement de ceux-ci, la mise en œuvre d’une desserte fluviale ou ferroviaire de qualité constitue un élément majeur. Les volumes de conteneurs à transporter ne sont pas du tout absorbables par la route. Il s’agit donc d’un enjeu crucial pour la compétitivité de nos ports, qu’il s’agisse du Havre ou de Marseille. Pour ce qui concerne Le Havre, je souligne que l’on a enfin lancé les travaux de la ligne Serqueux-Gisors, qui doit permettre d’offrir un itinéraire de qualité pour le fret.
Néanmoins, le fret ferroviaire n’a pas, dans notre pays, la place qui devrait être la sienne. Les réflexions menées par SNCF Réseau sur la réorganisation par axes de la planification des sillons me semblent constituer un élément important. Cela permettra de disposer de sillons traversant le pays. Les chargeurs ont besoin d’avoir la garantie que les trains arrivent à bon port dans les délais prévus.
Par ailleurs, pour accroître rapidement les volumes transportés par le rail, je crois beaucoup aux autoroutes ferroviaires. La consultation sur l’autoroute ferroviaire alpine est en cours, et l’on vient de lancer un appel à manifestation d’intérêt pour l’autoroute ferroviaire atlantique.
Je pense que le ferroviaire doit reprendre toute sa place dans le transport de marchandises ; cela passera par des choix en matière d’infrastructures dont le Conseil d’orientation des infrastructures est en train de débattre, ainsi que par la mise en place d’une offre de sillons de qualité à destination des chargeurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cornu, pour le groupe Les Républicains.
M. Gérard Cornu. Les incidents et bugs informatiques à répétition du mois de décembre ne font que confirmer l’impression terrible d’une très grande difficulté de maîtrise technique par notre entreprise publique.
Au-delà, c’est la situation globale du groupe qui me paraît préoccupante. La dette, qui atteint désormais plus de 50 milliards d’euros selon le rapport de l’Agence des participations de l’État, avec une projection à 60 milliards d’euros à l’horizon de 2025, plombe le système. Sur ce point crucial, la question d’une reprise de cette dette par l’État, à l’instar de ce qui s’est fait en Allemagne, est clairement posée : je voudrais connaître votre sentiment à cet égard, madame la ministre.
Par ailleurs, des investissements dans le réseau ferroviaire sont indispensables, car celui-ci est largement vieillissant. J’approuve l’opération vérité que vous avez enclenchée, ainsi que votre vision politique, consistant à faire porter les efforts sur les déplacements du quotidien, de proximité.
Au-delà de la mobilisation des moyens financiers nécessaires pour maintenir notre patrimoine ferroviaire et le moderniser, nous devons définir une nouvelle vision de l’avenir de notre entreprise publique et du transport ferroviaire, qui doit, j’en suis convaincu, passer par un assainissement financier de SNCF Réseau et par l’ouverture à la concurrence pour stimuler SNCF Mobilités, afin d’améliorer sa compétitivité et de rendre un meilleur service aux usagers.
J’aimerais, madame la ministre, connaître votre position sur ces sujets.