M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial. Cet amendement a pour objet la ligne du compte d’affectation spéciale relative aux radars.
La dotation totale du programme 754, « Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières », prévue par le projet de loi de finances pour 2018 est en nette diminution – elle baisse de 22,3 % – par rapport aux crédits figurant dans la loi de finances initiale pour 2017. Au sein des crédits répartis entre l’État, l’ANTAI, et l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, la part qui est destinée aux collectivités territoriales baisse donc de 148 millions d’euros, se trouvant ainsi fixée à 516,6 millions d’euros.
Dans le passé, les collectivités bénéficiaient de l’intégralité du prélèvement de 170 millions d’euros, qui est issu des amendes forfaitaires dites « radars ». Conformément au projet de budget pour 2018, elles ne percevraient plus que 75 millions d’euros, ce qui représente une réduction de 95 millions d’euros.
Cette mesure est fondée sur l’anticipation des conséquences de la décentralisation du stationnement payant, qui ne commencera qu’au 1er janvier 2018 et dont l’impact financier est, au moins dans un premier temps, relativement incertain. En effet, si les collectivités peuvent percevoir plus de recettes, elles peuvent aussi être amenées à investir, la première année, pour changer de matériel ou de système.
Aussi, nous proposons, au travers de cet amendement, de maintenir les crédits de l’État au niveau du désendettement de l’an dernier – il n’y aura donc pas de ponction sur le désendettement de l’État –, tout en réaffectant 47,8 millions d’euros au programme 754, c’est-à-dire aux collectivités. Celles-ci verraient ainsi leur dotation diminuer de 15 % et non de 22 %.
Cela revient à un amortissement du dispositif gouvernemental, dont on peut accepter le principe, mais qui anticipe trop rapidement sur les conséquences des réformes envisagées en matière de décentralisation du stationnement.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur spécial.
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial. Notre proposition permettra de rétablir le niveau de garantie des collectivités, alors que, dans le dispositif actuel, c’est l’État qui se garantit au maximum.
Nous recherchons l’équilibre, monsieur le ministre d’État ; les crédits de l’État ne baisseront pas, mais les collectivités retrouveront 47 millions d’euros.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Il s’agit au fond de savoir quels seront les effets de la réforme qui s’appliquera à partir du 1er janvier 2018.
Même si la diminution exacte des recettes liées aux amendes de police ne peut être déterminée en amont de la mise en œuvre de la réforme, puisqu’elle dépend de facteurs imprévisibles par nature, tels que le comportement des automobilistes, la perte globale de recettes pour l’État a été estimée, à partir de la répartition de 2014 du produit des amendes de police – dernière répartition disponible lors de la réalisation des simulations –, à 200 millions d’euros.
La clef de partage du produit des amendes de police sur le compte d’affectation spéciale « Circulation et stationnement routiers » – 53 % pour les collectivités territoriales et 47 % pour l’État – a été appliquée à ces 200 millions d’euros, d’où une perte de 106 millions d’euros pour le programme 754 et de 94 millions d’euros pour le programme 755.
Afin de garantir, pour le budget de l’État, la neutralité de la réforme de la décentralisation du stationnement payant, ces 94 millions d’euros, que, je vous le concède, nous avons arrondis à 95 millions d’euros, financeront le désendettement de l’État.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les crédits du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », modifiés.
(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. J’appelle en discussion l’article 67, qui est rattaché pour son examen aux crédits du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
Contrôle de la circulation et du stationnement routiers
Article 67 (nouveau)
Au premier alinéa de l’article 3 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, le nombre : « sept » est remplacé par le nombre : « huit ». – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 67
M. le président. L’amendement n° II-312, présenté par M. Gabouty, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 67
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la troisième phrase du c du 2° du B du I de l’article 49 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Pour 2018, le montant de cette perte de recettes est calculé de sorte que le montant des versements au budget général soit égal à celui prévu par la loi de finances initiale pour 2017. »
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial. Les dispositions de cet amendement découlent de l’amendement précédent. Il s’agit de rendre opérationnel le virement de 47,5 millions d’euros du désendettement de l’État vers les collectivités territoriales.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Comme pour l’amendement précédent, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 67.
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Sécurités », ainsi que du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures quinze.)
M. le président. Je suis saisi par la commission d’une demande de priorité de l’article 52, afin qu’il soit examiné avant les crédits de la mission « Cohésion des territoires » durant la séance de l’après-midi du mercredi 6 décembre.
Selon l’article 44, alinéa 6 de notre règlement, la priorité est de droit quand elle est demandée par la commission saisie au fond, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. La commission a demandé cette priorité, sur proposition du rapporteur spécial Philippe Dallier, car elle a pensé qu’il serait plus pertinent pour la cohérence de nos débats de demain après-midi de commencer par l’examen de l’article 52 rattaché à la mission, avant de procéder au vote sur les crédits.
Je remercie le Gouvernement de son avis favorable.
M. le président. Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
Immigration, asile et intégration
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », figurant à l’état B.
La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, dans le cadre de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2018, je voudrais formuler quelques remarques préalables.
Tout d’abord, ce budget me semble insincère. La première chose qui saute aux yeux, à sa lecture, c’est qu’il n’est pas sérieux du point de vue financier et que les chiffres sont manifestement erronés.
Nous l’avons dit à maintes reprises en commission : cette mission est globalement très sous-budgétisée, même si elle l’est moins que l’année dernière, spécialement dans le contexte de crise migratoire que nous traversons depuis quelques années.
Ces chiffres sont non seulement fantaisistes, mais incohérents. Ainsi apprend-on que les crédits pour la lutte contre l’immigration irrégulière vont baisser de plus de 7 %, alors même que le Gouvernement nous annonce une hausse de plus de 10 % pour l’accueil des primo-arrivants. Peut-on m’expliquer par quel miracle nous pourrions accueillir davantage d’étrangers et que, dans ce contingent, il y aurait moins d’étrangers à reconduire à la frontière ?
Parmi les incohérences, je relève aussi que les demandes d’asile au titre de la procédure Dublin ne sont pas comptabilisées, alors même que ces demandes ont augmenté de 114 % en 2016. Excusez du peu !
Un dernier exemple : alors que le financement global de la mission est notoirement insuffisant, alors que l’on diminue le budget de la lutte contre l’immigration clandestine, on augmente de 62 % – je dis bien de 62 % ! – les crédits dédiés au financement des centres provisoires d’hébergement.
Le nom même de la mission est mensonger. Cette mission s’intitule « Immigration, asile et intégration ». La réalité, c’est que bien peu de choses y sont faites pour l’intégration : à peine 14 % du budget de la mission.
Pratiquement rien non plus n’est prévu pour bâtir une politique migratoire digne de ce nom. Savez-vous quelle part du budget de cette mission est consacrée à la lutte contre l’immigration clandestine ? 6 % seulement ! Le gros de la mission, c’est l’asile, avec 71 % des crédits.
Ne faisons pas semblant de discuter d’une politique de l’immigration, de l’asile et de l’intégration. Nous nous contentons de gérer, assez mal d’ailleurs, la crise des demandes d’asile, sans réfléchir à ce que nous souhaitons pour notre pays et pour son avenir.
Toutefois, même la politique de l’asile, qui se taille la part du lion dans cette mission, est dans un état calamiteux : en 2017, le délai moyen affiché de traitement d’un dossier s’élevait à 449 jours, soit deux fois plus que l’objectif affiché de 209 jours ! Et cela, en particulier, parce que l’asile a été presque totalement détourné de son objet naturel, pour devenir, nous le savons, une nouvelle filière d’immigration clandestine.
Nous n’avons pas de politique d’immigration digne de ce nom, et ce n’est pas nouveau, monsieur le ministre d’État, je vous le concède. Aujourd’hui, l’immigration clandestine n’est pas une façon de venir en aide aux persécutés, contraints de fuir leur pays ; cela seul aurait dû suffire à invalider totalement les chiffres du Gouvernement.
On estime en effet que le coût de reconduite à la frontière est de l’ordre de 4 200 euros par personne. Même en estimant, en fourchette basse, que seulement 30 000 personnes sont déboutées chaque année du droit d’asile, cela devrait entraîner un budget de reconduite à la frontière d’au moins 126 millions d’euros, au lieu de quoi, on nous propose un peu moins de 83 millions d’euros.
Cette politique est dangereuse pour la France, pour les Français et pour les étrangers.
Elle est dangereuse pour la France, qui se voit ainsi priver de ce choix élémentaire des nations souveraines : choisir qui nous voulons accueillir chez nous. Notre collègue Georges Patient évoquait le 17 octobre dernier la question de l’immigration clandestine, particulièrement dramatique en Guyane, et signalait même que certains, là-bas, parlaient de « génocide de substitution ». Le terme est fort, sans doute exagéré, mais qui peut nier que, avec 11 000 demandes d’asile pour 250 000 habitants, la situation soit difficilement supportable ?
Cette absence de politique est aussi dangereuse pour les Français.
Mme Éliane Assassi. Bien sûr ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. Je n’ignore pas qu’il n’est pas très bien vu de lier immigration, terrorisme et insécurité.
Néanmoins, je note d’abord que ce lien a été établi par l’État islamique lui-même, qui a invité les djihadistes à se glisser parmi les réfugiés. Surtout, le coordinateur pour l’Union européenne de la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, embraya avec des mises en garde particulièrement claires et nettes, que naturellement les commentateurs bien-pensants ont traitées par le mépris.
Enfin, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, notre absence de politique migratoire, doublée de toutes les pompes aspirantes que l’État-providence déploie pour attirer toute la misère du monde, est dangereuse pour les candidats à l’immigration eux-mêmes.
Le drame qui se joue actuellement en Méditerranée et l’esclavage qui se répand comme une traînée de poudre en Libye sont directement liés à notre laxisme migratoire, qui a donné des ailes aux passeurs et aux trafiquants de chair humaine.
« Si le Gouvernement le souhaitait réellement, l’armée pourrait mettre fin aux flux migratoires en quelques jours. », déclarait l’ex-numéro 2 de l’OTAN en Afghanistan, le général italien Santo. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Esther Benbassa. Enfin !
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. Cette absence de politique est aussi profondément injuste.
Je termine, mes chers collègues, en vous invitant, en cette période de Noël, à vous ressaisir d’urgence de cette question, vitale pour l’avenir de notre pays,…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. En cette fin d’année, je vous invite à lire ou à relire le livre de Michel Poniatowski, publié en 1991, Que survive la France. À force de retarder les décisions douloureuses, nous les rendons plus douloureuses encore. À force de différer, nous préparons les conditions d’une déflagration catastrophique.
M. le président. Votre temps est terminé !
M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. C’est à nous, parlementaires, qui avons l’honneur de représenter la Nation, qu’il incombe de nous en charger. Ne nous dérobons pas devant ce devoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, au nom de la commission des lois, j’ai trois minutes pour vous dire que le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » est certes en hausse de 10 % en autorisations d’engagement. Certes, le Sénat a été entendu, ce qui n’est pas toujours le cas, concernant la construction en 2018 de 3 000 nouvelles places pour les réfugiés dans les centres provisoires d’hébergement.
Toutefois, sur ce budget, trois grandes difficultés persistent.
La première, c’est une politique d’intégration en grande souffrance. Au-delà des mots, je donnerai deux exemples concrets.
La réduction de 76 % du nombre de visites médicales de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, entre 2016 et 2017, pose incontestablement un grave problème de santé publique, notamment dans les universités. De plus, près de 40 % des étrangers qui suivent les formations linguistiques du contrat d’accueil et d’intégration n’atteignent pas le niveau de français requis.
Alors que vous proposez, au travers du projet de loi de finances, une augmentation de 12 % des crédits consacrés à l’immigration régulière, il nous faut revoir, je le crois sincèrement, toute cette politique d’intégration. Au sein de celle-ci, il conviendrait sans doute d’abroger rapidement les circulaires dites « Valls » de novembre 2012, qui ont contribué par ailleurs à augmenter de 31,5 % le nombre de régularisations d’étrangers en situation irrégulière et qui constituent, de ce fait, un véritable appel d’air pour les passeurs.
J’en viens à la deuxième difficulté, les déboutés du droit d’asile. L’année dernière, environ 53 600 déboutés sont venus « engorger » – pardonnez-moi cette expression – le système d’accueil des demandeurs d’asile, au détriment des personnes persécutées dans leur pays ou victimes de la guerre ; ils alimentent bien sûr l’immigration irrégulière.
C’est bien là la troisième grande difficulté : l’immigration irrégulière en métropole, mais également sur nos territoires ultramarins.
Sur ce point, les crédits sont en baisse de 7 % par rapport à 2017. Certes, monsieur le ministre d’État, la fin du démantèlement de la jungle de Calais peut expliquer pour partie ce chiffre. Néanmoins, cet argument ne résiste pas longtemps à l’analyse, et ce pour trois raisons.
Tout d’abord, les 10,5 millions d’euros du démantèlement de la jungle de Calais auraient très bien pu être utilisés pour améliorer la politique d’éloignement.
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. Je rappelle que, pour la seule année 2016, quelque 75 587 personnes se sont maintenues sur le territoire français sans en avoir le droit. Nous ne pouvons pas, les uns et les autres, ignorer cette réalité.
Ensuite, l’enveloppe budgétaire dédiée aux éloignements forcés ne permettra, selon nos calculs, que 14 500 éloignements en 2018, c’est-à-dire nettement moins que sous le mandat précédent. Il faut, si l’on veut tenir l’engagement pris par le Président de la République, nettement augmenter les moyens de nos forces de police.
Enfin, le budget des centres de rétention administrative est légèrement inférieur à l’exécution de 2016, alors que leur taux d’occupation a augmenté de 40 %, notamment à la suite des malheureux événements de Marseille. Pour cela aussi, il faut se redonner les moyens.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. Face à l’impatience de M. le président de séance, je m’en tiendrai à exprimer, sur les crédits de cette mission, l’avis de la commission des lois, qui est défavorable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce budget est essentiel, puisqu’il semble traduire la volonté du Gouvernement de mieux maîtriser les flux migratoires, optimiser le dispositif de l’asile et renforcer les moyens dédiés à l’intégration.
Nous avons tous conscience de l’importance de ces enjeux sensibles et de notre responsabilité à en débattre sereinement.
La mission « Immigration, asile et intégration » est dotée de 1,3 milliard d’euros de crédits et progresse ainsi de 285 millions d’euros. Je tiens à saluer la décision du Gouvernement d’augmenter les moyens alloués aux dispositifs pour répondre à la pression migratoire exceptionnelle que connaît la France. Compte tenu du contexte budgétaire contraint, c’est évidemment une avancée.
En commission, notre rapporteur a présenté de nombreux chiffres. Certains d’entre eux se sont révélés incomplets. En effet, notre collègue Thani Mohamed Soilihi l’a lui-même souligné : l’immigration clandestine est mesurée à travers les bénéficiaires de l’aide médicale d’État. Or cette aide n’est pas applicable à Mayotte. Pourtant, vous en conviendrez, monsieur le ministre d’État, le recensement des clandestins est essentiel pour apporter une réponse adaptée.
Si les pressions migratoires auxquelles font respectivement face la Guyane et Mayotte sont souvent évoquées dans nos débats, la gravité de la situation reste largement sous-estimée. J’aimerais donc prendre un instant pour illustrer avec quelques chiffres l’ampleur de ces phénomènes.
Premier chiffre : le nombre moyen de reconduites à la frontière effectuées chaque année à Mayotte depuis 2010 est de 18 000. En 2016, ce sont plus de 22 600 retours qui ont été opérés. À titre de comparaison, le ministère de l’intérieur a annoncé pour la même année près de 13 000 reconduites aux frontières de l’Hexagone. Je rappelle que Mayotte détient par ailleurs le taux de natalité le plus élevé de France et que 70 % des femmes qui y accouchent sont en situation irrégulière.
Le second chiffre concerne la Guyane : le nombre de demandes d’asile enregistrées au cours des trois dernières années est de 11 000. Notons que ces demandes concerneraient au total plus de 20 000 personnes en comptant les familles. Là encore, c’est comme si la France comptabilisait chaque année près d’un million de demandeurs d’asile sur son seul territoire hexagonal.
Mes chers collègues, demander l’asile est un droit qu’il n’est pas question de remettre en cause. Mais c’est une réalité, la Guyane est aujourd’hui trop attractive pour les demandeurs d’asile qui ne sont pas en besoin manifeste de protection. En 2016, seuls 2,6 % des dossiers ont été acceptés par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA.
Les reconduites à la frontière sont importantes, mais elles sont coûteuses et souvent insuffisantes. Il nous faut aller plus loin, innover et développer des mesures structurelles.
En octobre dernier, le Président de la République a annoncé en Guyane plusieurs mesures qui visent le même objectif : la réduction à deux mois du versement de l’allocation pour demandeur d’asile, l’ADA, l’accélération des délais de traitement, le conditionnement de l’accès au revenu de solidarité active à quinze ans de résidence sur le territoire plutôt qu’à cinq ans ou encore la démonétisation du revenu de solidarité.
Récemment, un nouvel élan vient également d’être donné à la coopération avec le Surinam, voisin de la Guyane. Cela donne bon espoir que l’accord de réadmission signé en 2004 soit prochainement ratifié par notre voisin surinamais.
Par-delà ce budget, nous devons nous satisfaire de voir le chef de l’État et le Gouvernement ouverts à un dialogue franc et responsable sur la manière de mieux lutter contre l’immigration irrégulière dans ces territoires au bord de l’asphyxie.
Je souhaiterais maintenant appeler votre attention sur un autre point : la situation des mineurs non accompagnés ou isolés et l’accompagnement des départements. Le nombre croissant de ces jeunes se déclarant mineurs et isolés – passant de 4 000 en 2010 à 13 000 en 2016 pour atteindre près de 25 000 en 2017 – entraîne la saturation des dispositifs de protection de l’enfance. Les départements, qui doivent accueillir et prendre en charge ces mineurs, ne pourront faire face à cette évolution sans le soutien de l’État.
Le Premier ministre et la ministre de la santé ont confirmé un financement exceptionnel de l’État en 2018. Cependant, l’enveloppe de 132 millions d’euros annoncée semble en deçà de l’évaluation effectuée par l’Assemblée des départements de France, selon laquelle le coût total de la prise en charge des mineurs isolés s’élèverait à 1 milliard d’euros. Monsieur le ministre d’État, pouvez-vous nous éclairer sur cette situation d’urgence ?
Enfin, comment évoquer tous ces sujets sans penser aux drames humains qui se jouent en Méditerranée ? Éligibles ou non à l’asile, nous devons assistance à ces victimes de trafiquants qui, lorsqu’elles ne sont pas poussées à la mort en mer, sont vendues sur des marchés d’esclaves – c’est un véritable scandale mondial –, rappelant les heures les plus sombres de notre histoire.
C’est cette même assistance que l’aide médicale d’État, l’AME, apporte quotidiennement aux personnes étrangères sur le territoire national. Il faut le rappeler, cette aide vise un double objectif, humanitaire et sanitaire. Aussi, nous ne pouvons que regretter que la majorité sénatoriale ait décidé de diminuer ses crédits de 300 millions d’euros.
Ces situations en sont la preuve : en outre-mer comme dans l’Hexagone, les défis migratoires, d’asile et d’intégration ont profondément changé. Les réformes à venir ne peuvent donc se contenter d’être conjoncturelles.
Monsieur le ministre d’État, notre groupe soutiendra ce projet de budget, qui va dans le bon sens en prévoyant une hausse significative des crédits pour 2018. L’attention portée par le Gouvernement sur ces sujets et les efforts consentis dans cette mission marquent le point de départ de réformes ambitieuses capables de répondre, avec responsabilité et dignité, aux défis migratoires de la France et de ses outre-mer.
Nous espérons que le Gouvernement poursuivra ce travail avec le projet de loi relatif à l’asile et à l’immigration.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le 14 novembre dernier, la chaîne américaine CNN révélait au monde ce que nombre d’acteurs de la solidarité internationale dénonçaient déjà : la vente d’exilés noirs sur des marchés aux esclaves en Libye.
Ce trafic, qualifié par le président Macron lui-même de crime contre l’humanité, devrait nous ouvrir les yeux sur le sort de ceux qui sont jetés sur les routes ou à la mer par la misère, la guerre ou l’oppression. Il devrait nous ouvrir les yeux, dis-je, et nous inciter à une certaine pudeur.
Tous n’en semblent pas capables, hélas ! Je cite M. le rapporteur spécial : « L’allocation pour demandeur d’asile, l’ADA, est de 360 euros pour une personne seule non hébergée. Sans aller chercher au bout du monde, le salaire minimal en Roumanie est de 320 euros… Nous attirons l’immigration clandestine. » Pouvons-nous un instant décemment imaginer que des gens acceptent d’être réduits en esclavage, prennent le risque de se noyer dans la Méditerranée, de mourir en traversant nos montagnes, pour ces fameux 360 euros ?
Cette mission est de fait biaisée d’avance. Mettre ensemble « immigration, asile et intégration » est un tour de passe-passe politique visant à mêler, dans l’esprit de nos concitoyens, trois problèmes différents, et permettant à certains d’évoquer à tout propos et hors de propos, comme le fait le rapporteur spécial, M. Meurant, la « menace » qui pèserait sur notre « cohésion sociale ». Habile, n’est-ce pas ?
En 2016, notre pays a enregistré 1,17 demande d’asile pour 1 000 habitants, contre un taux moyen de 2,36 dans l’Union européenne, de 1,99 en Italie, de 4,61 en Grèce et de 8,83 en Allemagne. Avec 1,17 demande pour 1 000 habitants, comment pourrions-nous dire que nous n’avons pas les moyens d’accueillir ces réfugiés décemment ?
La hausse prévue par le budget dont nous débattons aujourd’hui ne saurait suffire à garantir ni un accès effectif à leurs droits pour les demandeurs d’asile ni des conditions dignes de subsistance.
Ce budget est finalement une illustration parfaite de ce qui caractérise le nouvel exécutif : une distorsion permanente entre les mots et les actes.
Le Président s’offusque, s’indigne et assure que tout le monde sera logé dignement d’ici à la fin de l’année. Dans le même temps, les préfets prennent des décisions illégales, les forces de l’ordre attentent chaque jour dans le Calaisis, dans la Roya, à Briançon, à la sécurité et à la santé des exilés, sans compter que M. Collomb envoie une circulaire aux préfets pour augmenter la répression à l’endroit des réfugiés. C’est une contradiction supplémentaire de ceux qui nous gouvernent !
Dans le même temps, des mineurs ne sont pas protégés, ils dorment dans la rue, certains étant même renvoyés depuis Menton vers l’Italie sans autre forme de procès. Dans le même temps, les militants associatifs, les bénévoles et les simples citoyens font l’objet de poursuites et d’intimidations de plus en plus nombreuses quand ils font simplement preuve d’humanité et de solidarité.
Nous ne voterons pas ces crédits, mes chers collègues, car ils sont à nos yeux tout à fait insuffisants pour relever le défi de l’accueil des réfugiés, tandis que la majorité sénatoriale, elle, votera contre aussi, mais parce que le budget des reconduites à la frontière est en baisse : un même vote, donc, traduisant en l’occurrence deux visions radicalement opposées de notre société et des devoirs de solidarité humaine qui s’imposent à elle, hors de tout prétendu irénisme. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)