Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2018 présente des crédits de 2,9 milliards d’euros, soit une hausse de 1,5 % par rapport à 2017. Dans un contexte de réduction de la dépense publique, cette augmentation des crédits accordés à la culture mérite d’être saluée, et, tenant compte du rôle primordial des questions culturelles dans notre société comme vecteur de cohésion sociale et comme objet de lutte contre les inégalités, notre groupe veut souligner cette initiative.
Cette politique de soutien financier à la culture trouve aussi un écho dans le renforcement des crédits accordés aux directions régionales des affaires culturelles, les DRAC. Celles-ci seront dotées, en 2018, d’un budget de 813 millions d’euros, en augmentation de 43 millions d’euros par rapport à 2017. Ce maillage culturel territorial et cette collaboration soutenue avec les collectivités territoriales sont plus qu’importantes. C’est en effet sur le terrain que ces projets culturels doivent être menés pour toucher le plus grand nombre de nos concitoyens ; sur le terrain, mais aussi, bien évidemment, dans nos écoles, où nos élèves se forment chaque jour à la lecture et aux pratiques artistiques.
L’augmentation du budget de l’éducation artistique et culturelle, pour atteindre 114 millions d’euros, soit une dotation supplémentaire de 35 millions d’euros en 2018, et votre engagement conjoint avec M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, à défendre ces pratiques sont des marqueurs forts de notre volonté de croire en notre jeunesse et de lui donner les moyens de s’émanciper dans cette nouvelle société.
Sur le programme 175 « Patrimoines », le budget devait répondre à de nombreux défis : l’étude des conclusions du rapport sur les musées au XXIe siècle, le projet d’année européenne du patrimoine, la poursuite de la mise en œuvre de la stratégie nationale pour l’architecture, etc. Ces défis nous semblent relevés. En revanche, notre collègue Philippe Nachbar, rapporteur pour avis de la commission de la culture, vous a alertée, en réunion de commission, sur le problème de la sous-consommation des crédits de l’action Patrimoine monumental de ce programme. Nous espérons que vous pourrez rapidement y apporter des solutions.
Par ailleurs, lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances, notre groupe, comme Mme la présidente de la commission de la culture, avait proposé d’exonérer d’impôt sur la fortune immobilière les monuments historiques ouverts au public, sous condition d’une détention d’au moins quinze ans. Notre patrimoine est « en péril ». Même si le mot est fort, il n’en demeure pas moins que nos monuments ont besoin d’être régulièrement entretenus. Si nous n’agissons pas, ce sont des pans entiers de notre histoire qui disparaîtront.
Le fait que 12 millions de Français se soient déplacés à l’occasion des Journées du Patrimoine prouve bien tout l’intérêt de nos concitoyens pour notre histoire. La création d’un fonds de soutien à la restauration du patrimoine protégé en milieu rural, doté de 15 millions d’euros, nous paraît aller dans le bon sens, et nous étudierons avec attention les propositions à venir de la mission conduite par Stéphane Bern sur le patrimoine en péril.
Sur les programmes 131, « Création », et 224, « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », vous proposez une expérimentation du « passeport culturel », qui sera dotée de 5 millions d’euros dès la rentrée prochaine. Nous sommes entièrement favorables à cette mesure, et nous espérons que la réunion de l’ensemble des acteurs concernés – acteurs publics et privés, élus, responsables de la vie culturelle et jeunes – permettra de donner à ce dispositif toutes ses chances de réussite.
Deux autres sujets me semblent importants pour la poursuite des débats. Ils nous ont d’ailleurs conduits à déposer des amendements.
Le premier concerne le financement du Bureau export de la musique française. L’Assemblée nationale a déjà voté une augmentation des crédits de cet outil important de rayonnement international de la scène française. Nous avons souhaité lui emboîter le pas pour aller plus loin et pouvoir ainsi faire concurrence aux géants anglo-saxons.
Le second amendement vise à revaloriser la subvention du ministère de la culture à l’Association pour le soutien du théâtre privé. Celle-ci connaît depuis plusieurs années un fort déficit structurel en raison de nombreuses contraintes financières. Nous avons souhaité l’accompagner.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur des crédits de la mission « Culture ». (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la ministre, vous avez déclaré que le projet de loi de finances pour 2018 était un « budget de transformation ». Les crédits de paiement prévus pour la mission « Culture » sont constants ; cette sanctuarisation est déjà un signal encourageant. La culture, dans son ensemble, sera pérennisée en 2018.
Tout en étant d’un naturel optimiste, je reste prudente, car je m’interroge : ces moyens seront-ils suffisants pour insuffler une dynamique de transformation ? Si l’on s’attache à l’évolution des crédits budgétaires ligne par ligne, mon analyse est plus nuancée.
Pour commencer, je tiens à relever la volonté de développer l’éducation artistique et culturelle. Le bien-fondé de l’effort budgétaire porté sur le financement de ces actions n’est plus à démontrer. C’est un outil très efficace pour démocratiser l’accès de tous les enfants à la culture. Les membres du groupe du RDSE et moi-même saluons cette orientation, qui sera très utile pour lutter contre les fractures culturelles et progresser vers l’égalité d’accès de tous à la culture. C’est en effet sur les bancs de l’école et dès le plus jeune âge que cela se joue. J’aurais néanmoins souhaité qu’un budget plus important y soit consacré, dès maintenant. Pour moi, cette dépense aurait dû être prioritaire par rapport au pass culture.
En effet, si je suis convaincue du bien-fondé de ce sésame, je serai vigilante sur les conditions de sa mise en œuvre, car beaucoup de questions d’ordre pragmatique se posent. Il me semble important de tenir compte des expérimentations qui se déroulent déjà sur notre territoire et de bien définir les conditions dans lesquelles les jeunes pourront bénéficier de ce dispositif. Si l’on ne leur offre aucune préparation ou aucun accompagnement dans leurs choix, je doute que le résultat soit à la hauteur de nos ambitions. Il est donc urgent de prendre du temps pour encadrer ce dispositif, comme l’a précisé notre collègue Sylvie Robert.
Je ne perds néanmoins pas de vue que ces crédits contribueront indirectement à redynamiser la demande auprès des artistes et du secteur de la création artistique et culturelle dans son ensemble. En effet, pour citer les paroles de l’acteur Philippe Torreton, « la culture est une force de frappe économique » ; comme lui, j’en suis persuadée.
Concernant l’augmentation de 3 millions d’euros des crédits alloués au plan Conservatoires, ce nom est presque une tromperie ! Il s’agit plutôt d’un plan Chorales, qui bénéficiera non pas directement aux conservatoires, mais bien aux établissements scolaires. Nous pouvions là aussi espérer davantage de progrès dans la mise en œuvre des réformes prévues par la loi LCAP.
Quant aux crédits relatifs au patrimoine, ils s’inscrivent désormais, fait important, dans la stratégie pluriannuelle que vous avez présentée. Je tiens d’ailleurs à souligner, comme M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis de la commission de la culture, que l’attrait nouveau des Français pour notre patrimoine national est entretenu par un intérêt croissant des médias. Cette dynamique s’est traduite par le choix de confier une mission sur ce sujet à M. Bern et, bien sûr, par le fameux loto.
Nous avons aussi pu bénéficier de deux rapports, celui de M. Malvy et celui de M. Dauge, qui ont permis de lancer des pistes de travail pour mieux valoriser le patrimoine de nos territoires.
Des expérimentations sont lancées dans trois régions pilotes pour évaluer la mise en œuvre des recommandations faites en vue de revitaliser les petites communes, les centres-villes et les villes moyennes. Il reste à espérer que les expérimentations réussies seront étendues au reste de notre territoire. En outre, une aide de 15 millions d’euros, transitant par les DRAC, est prévue pour aider les petites communes à faible potentiel financier à sauvegarder leur patrimoine historique.
Je voulais aussi vous faire part de mon incompréhension face à la diminution de moitié des crédits consacrés au FONPEPS. Ces crédits sont passés, en un an, de 55 millions à 25 millions d’euros alors que, d’une part, ce programme n’est pas encore arrivé à son terme et que, d’autre part, le secteur culturel dans son ensemble s’inquiète de l’annonce de l’arrêt des contrats aidés. Pourquoi procéder maintenant à cette coupe massive dans les crédits destinés à soutenir l’emploi dans le spectacle, avant même d’avoir évalué les premières mesures en question et essayé de les améliorer ?
Je conclurai mon propos en rappelant que les mesures de sécurité sont désormais devenues une dépense incontournable pour l’organisation de tout événement artistique et culturel. Nous devons prendre en compte cet état de fait dans la programmation budgétaire. En effet, il est à craindre que le budget consacré aux mesures de sécurité n’empiète sur celui de la création. Je pense, par exemple, à l’organisation de festivals dans nos départements et nos régions. C’est ce qui est ressorti de l’enquête réalisée auprès des sénateurs membres du groupe de travail sur les arts de la scène, de la rue et des festivals en régions, que je préside. Cette question est d’autant plus importante que le fonds d’urgence créé en décembre 2015 s’arrêtera à la fin de 2018. Madame la ministre, que pouvez-vous nous dire au sujet des crédits attribués au fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, qui est censé s’y substituer ?
En conclusion, compte tenu de la pérennisation du budget de la culture dans le projet de loi de finances pour 2018, j’indique que les membres du groupe du RDSE, dans leur ensemble, voteront en faveur des crédits de cette mission. (M. André Gattolin et Mme Sonia de la Provôté applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, cher collègue, j’aimerais commencer mon propos par une citation ; c’est une façon personnelle de rendre hommage à Jack Ralite, qui les aimait tant. Dans ses Caractères, Madeleine de Puisieux écrivait : « Il y a plus d’habilité à se tirer bien d’une aventure délicate qu’à l’entreprendre ; presque tous les commencements sont beaux, les milieux fatigants et les fins pitoyables. Il est rare qu’on finisse bien ce qu’on a commencé ; soit faute de lumière, soit faute de courage, on finit mal. Il y aurait un moyen d’arranger tout : ce serait de ne point commencer ou de ne jamais finir. »
Je vous souhaite donc, madame la ministre, beaucoup de courage pour retenir votre ministère dans la pente fatale vers laquelle l’entraînent des financiers zélés et lui éviter ainsi le dernier stade décrit par Madeleine de Puisieux. Il faut en effet toute l’habilité de vos services budgétaires pour nous expliquer que le budget est « en légère augmentation », alors que les crédits alloués à la culture passeront sous la barre symbolique de 1 % du budget de l’État, à périmètre constant.
Les rapporteurs spéciaux de la commission des finances ont clairement établi que c’est le rattachement extraordinaire à la mission du compte d’affectation spéciale « Pensions » qui permet de sauver les apparences et d’afficher cette pseudo-stabilité. Réduit à la seule mission « Culture », votre budget ne représente plus que 0,84 % de celui de l’État. M. Bruno Le Maire a fixé le cap en imposant « trois points de dépense publique en moins », et votre ministère n’échappe malheureusement pas à cet effort de contraction.
Cette baisse des apports de l’État s’ajoute à celle des dotations aux collectivités, qui contribuent pour les deux tiers aux dépenses culturelles dans les territoires. Elles sont à la fois destructrices pour l’infrastructure culturelle et économiquement absurdes, car les dépenses culturelles ont un fort effet de levier et participent efficacement aux politiques de redynamisation des territoires, à la condition qu’elles s’intègrent dans une démarche globale. Dois-je rappeler que la contribution de la culture à l’économie française représente 3,2 % du PIB ?
Avec un budget en réduction, vous avez donc choisi de définir des priorités pour tenter de mobiliser des moyens en leur faveur. Le patrimoine est l’une de ces priorités, ainsi que l’avait annoncé le Président de la République dans son discours de la Pnyx, prononcé quelques mois avant le lancement de l’année européenne du patrimoine culturel. Néanmoins, les mesures nouvelles que vous annoncez dans ce domaine sont financées par un redéploiement sévère au sein d’une enveloppe qui est, elle aussi, en baisse.
Cette mobilisation se fait surtout aux dépens du patrimoine des musées et des archives. Ces institutions subissent une ponction sévère qui nous préoccupe au plus haut point. La situation financière des musées a été particulièrement affectée par la baisse de fréquentation consécutive aux attentats. Le nombre d’entrées n’a toujours pas retrouvé son niveau antérieur à cette crise ; la diminution des recettes a eu quant à elle des conséquences fâcheuses sur l’accueil des visiteurs, dont l’insatisfaction a augmenté. Les restrictions budgétaires vont surtout toucher les petites structures qui ne bénéficient pas d’apports extérieurs. Enfin, votre budget, comme de nombreux autres avant lui, consacre l’abandon par l’État de toute politique volontariste en matière d’acquisition.
S’agissant du patrimoine monumental, qui constitue pourtant l’une des priorités déclarées de ce projet de budget, nous nous inquiétons de la baisse de 1,5 million d’euros des crédits de paiement. Cette baisse s’ajoute, pour l’ensemble du ministère, à une prévision de consommation de crédits de paiement pour des autorisations d’engagement antérieures qui s’élève à plus de 227 millions d’euros, soit 25 % des crédits de paiement du présent projet de budget. Ce rapport considérable est la conséquence de la difficulté chronique qu’éprouvent les services déconcentrés à monter des dossiers et consommer les crédits.
Force est de reconnaître que les capacités du ministère de la culture à programmer ou achever de grandes opérations de restauration du patrimoine sont devenues très limitées. Cette impéritie est d’autant plus inquiétante qu’elle concerne des biens prestigieux du Centre des monuments nationaux comme le Panthéon, le château de Pierrefonds, les remparts de la cité de Carcassonne ou – faute politique quand on vient présenter un budget au Sénat – les décors du château de Rambouillet. Ces faibles capacités d’investissement ne laissent pas d’inquiéter alors que ce ministère aura à conduire, dans les prochaines années, plusieurs lourdes opérations immobilières autour du Grand Palais, de la Cité du théâtre, du Centre national des arts plastiques ou du château de Versailles.
Nous avons un autre sujet d’inquiétude : la baisse du plafond d’emploi, alors même que celui fixé par le budget pour 2017 n’a pas été exécuté. Cette fragilisation des moyens humains de votre ministère, qui touche surtout vos services déconcentrés, risque de compromettre gravement la mise en œuvre de votre politique de partenariat avec les collectivités. Je pense plus particulièrement au mécanisme partenarial et incitatif d’aide à la restauration des monuments historiques des collectivités territoriales à faible potentiel financier, qui est pourtant l’une des priorités de ce projet de budget. Plus généralement, la baisse continue des moyens humains de votre ministère et de ses opérateurs aura des conséquences graves et irrémédiables sur l’action et l’offre culturelles : des musées et des monuments vont fermer, les collectivités vont perdre des interlocuteurs précieux.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, nous voterons contre ce projet de budget, qui est en contradiction avec les objectifs politiques de votre ministère. (M. Fabien Gay applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté.
Mme Sonia de la Provôté. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’évolution globale des crédits dévolus à la culture est rassurante. Je ne m’étendrai donc pas longuement sur le sujet, qui a été bien présenté par nos rapporteurs, dont je salue au passage l’excellence du travail.
La mission « Culture » comprend les programmes « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », « Création » et « Patrimoines ».
En ce qui concerne la transmission des savoirs et l’aide à la création, l’équilibre est respecté par rapport aux années passées. C’est une bonne chose, car le monde de la culture, dans son ensemble, a besoin de cet équilibre. J’appuierai donc mon propos sur les sujets particuliers qui nous interrogent.
Le premier sujet, vous vous en doutez, est le pass culture, qui mérite que l’on s’y attarde. Si nous mesurons bien son objectif politique, il n’en reste pas moins que nous nous demandons toujours vers quoi nous nous engageons.
Le présent projet de loi de finances prévoit de consacrer 5 millions d’euros pour initier la mise en œuvre de cette promesse de la campagne présidentielle. Ces 5 premiers millions sont destinés à la consultation des jeunes, à la recherche de partenaires, à la mise au point d’une application et à des expérimentations prévues en fin d’année.
On peut dès à présent lancer l’alerte sur plusieurs points.
D’abord, sur le plan financier, le pass culture devrait être financé à hauteur de 140 millions d’euros. Or le budget triennal prévoit seulement une augmentation de 50 millions d’euros sur l’ensemble de la mission. Le pass ne pourra donc être financé que par un redéploiement de crédits. Par conséquent, il apparaît utile d’anticiper, dès à présent, le contenu de ces redéploiements pour identifier quelles orientations budgétaires, et donc quelles politiques, pourraient à l’avenir faire les frais de ce choix.
Ensuite, en ce qui concerne les contenus, quels seront les objectifs culturels proposés dans le cadre du pass culture ? Il ne faut pas que celui-ci, qui part d’une bonne intention, devienne à l’usage le vecteur privilégié d’une offre culturelle standardisée qui ne donnerait accès qu’à une culture strictement calquée sur les goûts et appétences habituels du jeune ; on connaît la puissance des algorithmes individuels et l’usage dévoyé qui en est fait en la matière.
Notre souhait est bien que le jeune puisse accéder à une offre culturelle différente, moins spontanément attractive, mais source d’un enrichissement culturel et personnel à coup sûr bien meilleur. Autrement dit, l’objectif est bien celui d’un accès à d’autres propositions que celles qui inondent le marché privé de la culture, qui est dominé, notamment, par les offres des GAFA. Cet objectif, en réalité, est majeur. Si l’on y parvient, ce sera un puissant soutien de la diversité culturelle.
Enfin, sur la méthode, le pass culture n’a de sens que s’il est adossé à des dispositifs pédagogiques et de médiation. Ces dispositifs devront accompagner le jeune dans le temps, jusqu’à ses dix-huit ans et au-delà, bien sûr, afin de lui apporter le meilleur. Cela pose la question d’une politique très construite articulant la culture et l’éducation. Les deux ministères ont d’ailleurs fait savoir qu’ils souhaitaient travailler ensemble. Par-delà l’affichage, il faudra expliciter quels moyens financiers et humains seront mutualisés entre les deux ministères. Il faudra aussi clarifier les moyens et les outils pédagogiques et de médiation qui seront mis en œuvre en fonction de l’âge et du parcours de l’enfant, puis du jeune.
Le second sujet sur lequel je souhaitais appeler à la vigilance est celui des conservatoires. Si l’on ne peut que se réjouir de l’augmentation, à hauteur de 3 millions d’euros, des crédits qui leur sont alloués, on est encore loin d’avoir rattrapé le niveau atteint par ces crédits avant 2012. En outre, l’essentiel de ces nouveaux crédits est fléché vers le plan Chorales. La hausse budgétaire devient ainsi toute relative.
Nous ne sommes pas opposés, bien au contraire, au plan Chorales ; c’est même une bonne idée. Néanmoins, la question du recentrage des conservatoires sur leur vocation première, à savoir l’enseignement artistique, doit être posée ici avec fermeté. Il est nécessaire de réaffirmer la vocation de ces lieux, qui sont des références, d’où partent les formateurs et où se construit l’excellence ; c’est leur rôle.
Le risque est la dispersion des missions des conservatoires, qui n’auront pas les moyens de tout faire. Il faudra veiller à ce que leur cœur de métier soit préservé. Le budget qui leur est octroyé pour leurs missions premières reste extrêmement contraint. La part étatique du financement des conservatoires atteindra cette année 20 millions d’euros. Elle était de 35 millions d’euros il y a cinq ans !
Une fraction seulement des sommes qui seront déployées pour le pass culture aurait pu couvrir une partie de cet écart. Peut-être eût-il été utile, du moins dans un premier temps, de hiérarchiser les priorités pour conforter l’existant indispensable. En attendant, la réalité oblige les conservatoires à être principalement financés par les collectivités. Or celles-ci ne pourront pas pallier les besoins supplémentaires.
On peut donc affirmer que ces 3 millions d’euros d’augmentation n’ont rien d’un plan Conservatoires. Le sujet reste entier. Les conservatoires sont des pôles de ressources et de référence, et ils devront être confortés dans leurs territoires d’implantation.
J’en viens à la création. La priorité donnée à la vie culturelle dans les territoires et le renforcement des aides à la diffusion des œuvres est une bonne chose, car la diffusion est assez souvent ce qui fait défaut dans les territoires. Néanmoins, ce choix ainsi que l’orientation renforcée vers les labels appellent à une certaine vigilance en ce qui concerne la création et l’accompagnement des artistes. En effet, si l’on veut maintenir ce qu’on appelle « l’effervescence culturelle », ce qui fait la vitalité de la vie artistique dans tous les territoires, il faudra pallier la baisse des moyens des collectivités territoriales, dont les arbitrages en matière culturelle deviennent de plus en plus difficiles.
En outre, la disparition des emplois aidés, nombreux dans les structures culturelles, est un élément supplémentaire de fragilisation, par exemple pour le spectacle vivant.
Il faut donc de la vigilance, car la diversité et la liberté culturelles sont un combat plus qu’actuel, surtout face au risque porté par de grands groupes qui concentrent l’offre et proposent de plus en plus une culture uniformisée.
Enfin, en matière de patrimoine, le budget dans l’ensemble est positif ; il appelle néanmoins quelques remarques.
En premier lieu, la baisse des crédits alloués aux musées sanctionne en réalité la réussite des grands musées, qui sont parvenus à diversifier leurs ressources. Pour autant, rien n’est jamais inscrit dans le marbre, et les efforts consentis ne doivent pas occulter les besoins à venir.
En second lieu, nous nous réjouissons qu’une part des gains de la Française des jeux finance enfin le patrimoine, même si la fourchette reste large : 5 millions ou 20 millions d’euros, ce n’est pas tout à fait la même chose ! Il est pertinent d’avoir fléché cette participation vers la Fondation du patrimoine, dont le système est souple et réactif, et l’implantation territoriale performante. Ce sera particulièrement utile pour la protection du patrimoine non classé, patrimoine vernaculaire présent surtout dans les communes rurales : les églises, les halles, les lavoirs ou encore les granges. C’est tout ce qui appartient à notre mémoire collective. Les besoins sont grands.
Il faut malgré tout appeler l’attention de chacun sur l’enjeu que représente la mutation en cours du patrimoine. Qu’est-ce qui fait patrimoine ? On parle ainsi, à présent, du patrimoine du XXe siècle, dont les contours sont à déterminer avec précision. Je pense que le patrimoine de la reconstruction, qui concerne beaucoup de centres-villes et centres-bourgs, méritera d’être, pour une grande part, sauvegardé. Ce qui fait patrimoine relève de grands ensembles urbains, ce qui implique des coûts. On ouvre ici tout un pan de la dépense publique et de l’accompagnement de l’État, qui peut prendre des dimensions majeures. Il faudra donc déterminer, dans ce bâti gigantesque, dans ce nouveau patrimoine, ce qui mérite d’être accompagné et ce qui ne le nécessite pas. Nous devons, en tout cas, envisager dès à présent le coût potentiellement colossal de cette préservation pour trouver les ressources complémentaires nécessaires.
La commission de la culture entreprendra également de dresser un état des lieux de l’utilisation du mécénat, puisqu’il faudra aussi des ressources dans ce domaine. Il est indispensable que de nouveaux moyens soient trouvés pour les entreprises et les établissements publics nationaux. La réflexion sur les moyens est d’autant plus urgente que, pour l’heure, rien ne semble devoir remplacer la disparition de la réserve parlementaire et le rétrécissement des financements des conseils départementaux, appelés eux aussi à des arbitrages budgétaires de plus en plus complexes. Pour les petites communes, cela s’avère particulièrement vital.
On peut donc se réjouir de la préservation globale des crédits du patrimoine et, encore plus, de la création d’un fonds incitatif, doté de 15 millions d’euros, réservé aux collectivités territoriales à faibles ressources financières, même si nous estimons dès à présent que ce fonds sera probablement insuffisant.
En conclusion, j’indique que le groupe Union Centriste soutient les orientations financières globales du présent budget, mais il attend que, dès 2018 et dans le cadre du budget pour 2019, des clarifications soient apportées sur le pass culture, sur le devenir et l’accompagnement de la création, sur le soutien aux artistes, sur la proposition d’un véritable plan Conservatoires et, enfin, sur le suivi et l’adéquation des moyens mis en œuvre pour la préservation et la mise en valeur du patrimoine. Nous sommes donc favorables à ces crédits, sous les réserves précitées. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste –M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Presque tout ce qui caractérise l’humanité se résume par le mot culture », affirmait François Jacob. Vecteur de tolérance, d’émancipation et d’épanouissement, elle est tout à la fois porteuse de diversité dans les formes qu’elle revêt et gage d’unicité et de cohésion en ce qu’elle favorise les échanges et le partage, ce qui permet de « faire société ». Sans culture, point d’humanité : tel était le message de la déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, qui établissait celle-ci comme un droit fondamental. À l’aune d’un tel constat, l’enjeu du budget alloué pour 2018 à la culture apparaît primordial.
Nous nous félicitons, madame la ministre, que vous nous soumettiez un budget conforté. Cette légère hausse globale masque toutefois une certaine modification des équilibres internes : le programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation culturelle » bénéficie d’un effort plus important, tandis que les crédits du patrimoine sont en baisse.
Nous nous réjouissons de la priorité donnée à la jeunesse et à l’accessibilité de toutes et tous à la culture. Une véritable coopération entre le ministère de l’éducation nationale et le vôtre est attendue depuis de nombreuses années ; elle semble commencer, mais à hauteur de 3 millions d’euros seulement !
Pourtant, face à cette priorité affichée d’une démocratisation culturelle effective dans l’ensemble des territoires, certaines dispositions inquiètent les acteurs culturels et les élus.
En tant que compétence partagée, la politique culturelle doit faire l’objet d’une réelle collaboration entre l’État et l’ensemble des collectivités. Ces dernières investissent à hauteur de 57 %, et le Gouvernement se doit d’encourager leurs actions, garantes d’un développement de l’offre culturelle en tout point du territoire. Toutefois, à l’heure des budgets serrés, la culture constitue encore trop souvent la variable d’ajustement. Le risque qui en découle est bien celui d’une véritable fracture territoriale.
J’ai une autre inquiétude : l’annonce de la suppression des contrats aidés, qui constituent une part non négligeable des emplois du secteur artistique et culturel. Je rappellerai à ce propos que 35 000 structures publiques et associatives sont les vecteurs de la culture dans les territoires, car elles mettent en œuvre des propositions à destination de publics multiples et, notamment, des plus fragiles. Sans les contrats aidés, ces structures se trouvent bouleversées. Cela va à rebours d’un accès équitable à la culture. Ces contrats aidés, très souvent pérennisés, constituent en outre pour de nombreux jeunes artistes une première insertion dans la vie professionnelle en lien avec leur pratique. Les crédits du FONPEPS, dont le budget – j’insiste sur ce point – a été réduit de moitié, ne doivent pas constituer une solution d’urgence pour remplacer ces contrats aidés supprimés.
Vous avez marqué votre volonté de soutenir les artistes dans leurs conditions de vie, artistes sans lesquels toute politique culturelle serait vaine. Un effort budgétaire plus important pourrait être consenti afin de favoriser leur accompagnement vers la vie active : aujourd’hui, seuls 10 % des élèves diplômés parviennent à vivre exclusivement de leur pratique artistique, faute de moyens et d’accompagnement. Une telle déperdition de talents est extrêmement dommageable.
Notre rapporteur pour avis Sylvie Robert a évoqué la question des écoles d’art, que nous envient beaucoup de pays. La démocratisation culturelle et l’attention portée à la transmission des savoirs passent aussi par un nécessaire soutien à ces écoles et à leurs personnels.
Par ailleurs, je souhaiterais évoquer le mécénat culturel. S’il n’est pas question de le remettre en cause, il ne doit pas constituer un prétexte au désengagement financier de l’État. En effet, le mécénat des grands groupes comme celui des multinationales concerne surtout les grandes villes et peu les territoires ruraux : il s’agit là d’un autre point de vigilance, car il ne doit pas constituer une nouvelle fracture entre territoires.
Le budget dédié à la politique d’égalité entre les femmes et les hommes est transversal et concerne tous les ministères, mais le vôtre, madame la ministre, doit en être le porte-voix tant l’image que la culture française véhicule dans le monde est emblématique de notre société.