Mme Michelle Meunier. Très bien !
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. Outre les personnes en situation de handicap, ce budget touche de plein fouet les personnes soumises à des mesures de protection, dont la moitié se situe déjà en dessous du seuil de pauvreté. Ce budget prévoit en effet la mise en œuvre, au 1er avril 2018, d’une réforme du barème de participation des personnes protégées, augmentant la part financée par ces dernières afin de compenser la baisse du financement public. Il s’agit là d’un regrettable désengagement de l’État.
Outre ces discrets coups de rabots budgétaires au détriment des plus fragiles, la hausse du budget de la mission masque également la baisse, à périmètre constant, de près de 2 % des crédits du programme 124 qui porte l’ensemble des crédits de soutien des politiques des ministères sociaux et la contribution de l’État au fonctionnement des agences régionales de santé, les ARS.
Les ministères sociaux ainsi que les agences régionales de santé sont ainsi touchés de plein fouet par des mesures de restriction budgétaire justifiées par le respect de la trajectoire financière fixée par le Gouvernement. La poursuite de ces économies et particulièrement de la réduction des effectifs, notamment au sein des ARS, interroge sur la capacité de ces organisations à fonctionner de façon viable et durable.
Ainsi, pour ces différentes raisons, j’avais, à titre personnel, émis un avis défavorable à l’adoption des crédits de cette mission. La commission des finances a finalement décidé d’adopter ces crédits tels qu’ils ont été modifiés par les amendements évoqués. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le temps imparti ne me permet pas de commenter autant qu’elle le mériterait l’augmentation sensible de 2,1 % des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Sixième mission budgétaire de l’État, elle arrive systématiquement en tête des ouvertures de crédits supplémentaires demandées dans les lois de finances rectificatives successives.
Avec plus de 1 milliard d’euros de rallonge, l’exercice 2017 ne fait pas exception au principe. Cela illustre le caractère fondamentalement imprévisible de la dépense publique en matière de solidarité et appelle du Parlement une vigilance particulière sur la sincérité des crédits demandés pour l’exercice à venir.
La prime d’activité nous en fournit depuis deux ans l’illustration. Voilà une prestation sociale dont le succès certes ne se dément pas, mais dont l’objectif repose sur une ambiguïté : nouveau minimum social ou incitation financière au retour à l’emploi ? Pour la très grande majorité de ses bénéficiaires, elle semble plutôt remplir le rôle d’un supplément de RSA.
Les chiffres figurant au bleu budgétaire confirment nos craintes. Le taux de sortie de la prime d’activité n’atteint pas 4 %. Il ne nous reste qu’à l’assumer et désormais à assurer son pilotage en tant que tel.
Un grand sujet, qui est aussi un grand projet, doit être pleinement évoqué : la réforme engagée par le Gouvernement de l’allocation aux adultes handicapés. La revalorisation substantielle de son montant, qui passera à 900 euros d’ici au 1er novembre 2019, est une bonne nouvelle.
Depuis le lancement en 2008 du plan pluriannuel de revalorisation de l’AAH, peu de projets aussi ambitieux en la matière ont été portés. Je tiens néanmoins, madame la secrétaire d’État, à vous exprimer mon attachement au caractère spécifique de l’AAH et au danger qu’il y aurait à calquer sur cette prestation les critères généraux des autres minima sociaux, qui sont pour leur part conçus pour inciter à la reprise d’une activité. Le rapprochement initié de l’AAH et du RSA, sous le prétexte de réunir sous des principes communs les différents leviers de la solidarité nationale, présente selon moi le danger de la perte d’une spécificité à maintenir.
De plus, nous veillerons à ce que vous puissiez apporter les corrections nécessaires pour que les différentes évolutions des périmètres d’éligibilité, la fusion du complément de ressources et de la majoration pour la vie autonome aient un effet limité sur les allocations des personnes handicapées.
Nous connaissons, madame la secrétaire d’État, votre mobilisation et votre engagement. Face à l’immense défi encore à relever de la construction d’une société vraiment inclusive, nous tenons à vous assurer du soutien du Sénat dans la poursuite de ce combat.
Outre ces observations générales sur les deux principaux programmes budgétaires de la mission, j’ai déposé, au nom de la commission des affaires sociales, un amendement visant à rétablir le niveau des crédits de l’action du programme 137 relative à la lutte pour la prévention de la prostitution et contre la traite des êtres humains.
Sous réserve de l’adoption de l’amendement et de la prise en compte de nos préoccupations concernant la réforme de l’AAH, c’est un avis favorable que la commission des affaires sociales a émis à l’adoption de ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Patricia Schillinger. (MM. Didier Rambaud et Claude Haut applaudissent.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les crédits de paiement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2018 s’élèvent à 19,4 milliards d’euros, soit une augmentation de 1,5 milliard d’euros par rapport à 2017.
Cette progression de 8,7 % représente un effort considérable concentré sur deux programmes de la mission : le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes », en hausse de 14,38 %, et le programme 157 « Handicap et dépendance », en hausse de 6,93 %.
Comme le projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce premier budget du quinquennat porte la double marque de la sincérité et de la lutte contre les exclusions ; nous nous en félicitons.
Sincérité d’abord, en anticipant autant que faire se peut le dynamisme des dépenses d’interventions qui représentent 92 % des crédits, afin d’enrayer la sous-budgétisation chronique de cette mission.
Lutte contre l’exclusion et solidarité surtout, puisque les deux principales mesures budgétaires de cette mission concernent la hausse de la prime d’activité et la revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés. Ce sont là des choix forts en soutien du pouvoir d’achat des salariés dont les rémunérations sont les plus faibles et qui expriment la solidarité de la Nation avec les plus fragiles d’entre nous.
Au sein du programme 304, soulignons la revalorisation de la prime d’activité, dès septembre 2018, de 20 euros par mois pour les allocataires dont les revenus sont compris entre 0,5 et 1,2 SMIC.
Un point de vigilance dans le programme 304 concerne l’action 14 sur l’aide alimentaire : en effet, la disparition de la réserve parlementaire va impacter en particulier les Restos du cœur et les Banques alimentaires. Comme le rappellent les rapporteurs spéciaux, ce sont près de 700 000 euros dont bénéficiaient « les Restos » au titre de la réserve en 2017, 193 500 euros pour les Banques alimentaires. Alors que la campagne d’hiver débute, les financements publics, nationaux comme européens, ne doivent pas faire défaut. Nous comptons sur vous, madame la secrétaire d’État, pour défendre une position volontariste dans les négociations européennes sur l’avenir du Fonds européen d’aide aux plus démunis.
Enfin, au sein de la mission 304, je veux saluer l’augmentation sans précédent du budget alloué à l’accueil et l’orientation des mineurs non accompagnés.
En y accordant 117 millions d’euros supplémentaires, le Gouvernement prend la mesure de l’urgence à gérer dans les départements, avec près de 25 000 mineurs pris en charge en 2017. Au-delà de l’urgence humanitaire et budgétaire, l’État assumera à l’avenir l’évaluation et l’hébergement d’urgence de ces jeunes, jusqu’à la confirmation de leur minorité. Le Premier ministre s’y est engagé.
S’agissant du programme « Handicap et dépendance », dont les crédits en hausse de 6,6 % sont portés à 11,3 milliards d’euros, l’objectif est de permettre aux 12 millions de Français touchés par le handicap de choisir librement leur mode de vie.
L’allocation aux adultes handicapés concentre 85 % des crédits du programme avec 9,7 milliards d’euros. Sa revalorisation exceptionnelle en novembre 2018 à 860 euros, puis à 900 euros par mois fin 2019 devrait permettre à 34 000 personnes supplémentaires de bénéficier de cette aide. Cela représente un effort budgétaire nouveau de plus de 2 milliards d’euros sur le quinquennat.
Parallèlement, les règles d’appréciation des revenus des bénéficiaires en couple seront rapprochées de celles d’autres prestations.
Concrètement, 876 000 bénéficiaires tireront profit de la hausse à taux plein, 155 000 bénéficiaires en couple verront une hausse de leur pouvoir d’achat et pour 7,5 % des bénéficiaires, l’effet sera neutre. Saluons cet engagement exceptionnel au service de la solidarité.
Je dirai quelques mots, pour terminer, sur le programme « Égalité entre les femmes et les hommes ». Quelques mots, car, bien entendu, ni la discussion de cette mission budgétaire ni même celle de l’ensemble des missions d’un projet de loi de finances ne pourront épuiser cette priorité culturelle, sociale, éducative, économique, et j’en oublie. Le Président de la République en a fait d’ailleurs la grande cause nationale du quinquennat, une cause qui doit mobiliser l’action de toutes les administrations, qui doit être le fil rouge des politiques publiques ; elle doit mobiliser des budgets dans chaque ministère évidemment ! Ceux de cette mission sont stabilisés pour 2018 ; si certains s’en inquiètent, je préfère relever le volontarisme du Gouvernement en matière d’égalité professionnelle, de conciliation des temps de vie et de lutte contre toutes les formes de violences sexistes et sexuelles.
Madame la secrétaire d’État, le groupe La République En Marche votera ces crédits sincères et solidaires, qui, de plus, s’inscrivent dans une trajectoire de croissance pour atteindre 21,5 milliards d’euros en 2020. Il y a tant à faire pour réformer et protéger ; nous sommes prêts ! (MM. Didier Rambaud et Claude Haut applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar.
Mme Nassimah Dindar. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs spéciaux, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, parce qu’elle porte les crédits des politiques s’adressant aux plus fragiles de nos concitoyens, les publics vulnérables comme les publics précaires, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » que nous portons aujourd’hui lors de cette discussion est une mission capitale. Cette importance est d’abord financière, avec une masse budgétaire au sixième rang et près de 20 milliards d’euros.
À qui sont destinés ces crédits ? Aux plus démunis pour l’aide alimentaire, à l’aide sociale à l’enfance et aux jeunes majeurs, aux mineurs non accompagnés, aux femmes victimes de violences, aux travailleurs précaires, aux personnes porteuses de handicaps, à la vie associative.
Oui, cette mission est essentielle, car elle porte pour la République la mission de la solidarité nationale. Aussi, mon groupe salue l’augmentation des crédits de 8,7 % qui porte sur les quatre programmes – cela a été souligné par les rapporteurs.
Ce budget se veut aussi plus sincère, et nous reconnaissons qu’il est difficile, pour ces dépenses particulièrement dynamiques, de prévoir les crédits nécessaires à l’attribution des deux principales allocations que sont la prime d’activité et l’AAH, comme l’ont rappelé nos rapporteurs qui redoutent encore pour cette année une sous-budgétisation sans vous en faire grief. Nous craignons cependant des artifices et ajustements en contradiction avec les annonces faites par le Gouvernement.
Concernant la prime d’activité, le Gouvernement a choisi d’exclure du calcul les rentes accidents du travail-maladies professionnelles et pensions d’invalidité, et a modifié la prise en compte de l’AAH comme revenu professionnel.
Que chacun en comprenne bien les conséquences : des personnes porteuses de handicaps peuvent être exclues du versement de la prime d’activité en fonction du taux applicable et du nombre d’heures travaillées, ce qui remet en cause le caractère universel de cette allocation.
Notre groupe soutiendra dès lors l’amendement des rapporteurs, visant à supprimer l’article rattaché à cette mission.
En contrepartie, le Gouvernement prévoit une augmentation des crédits alloués à l’AAH, sur laquelle je m’attarderai un peu plus. Comme mes collègues, je salue cet effort qui s’adresse à des personnes particulièrement vulnérables.
Je rappelle que l’AAH est attribuée de manière différenciée, en fonction du taux de handicap, de l’âge et des revenus notamment. Les crédits annoncés pour 2018 s’élèvent à 9,7 milliards d’euros. L’augmentation de ces crédits s’explique par la revalorisation de l’AAH dont nous nous réjouissons, qui devrait atteindre un maximum de 900 euros fin 2019.
Comme mes collègues cependant, je m’inquiète des conséquences du gel des compléments de ressources pour les couples. Comme eux, je m’inquiète de l’alignement des règles de prise en compte des revenus d’un couple bénéficiant de l’AAH sur celles qui sont applicables à un couple percevant le RSA.
Le diable se cacherait-il dans les détails ? Au fond, nous ne sommes pas dans la même logique, madame la secrétaire d’État, quand nous parlons de la précarité dans l’emploi que soutient la prime d’activité. D’ailleurs, même les étudiants ou les jeunes en contrat d’apprentissage sont susceptibles de toucher cette prime. Et nous ne sommes pas dans la même logique quand nous parlons pour les porteurs de handicaps de l’AAH, qui soutient la vulnérabilité dans le parcours de vie, le plan personnalisé de compensation, d’accompagnement de la personne, droit à la compensation inscrit dans l’esprit de la loi de février 2005.
Pour rappel, cette loi établissait la différence entre, d’une part, les ressources pour vivre et, d’autre part, la compensation financière des dépenses entraînées par le handicap.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, l’article 63 du projet de loi de finances opère bien un rétrécissement et un cloisonnement des publics qui va à l’encontre de l’objectif d’une société inclusive.
Pour ma part, je ne crois pas un seul instant que le Gouvernement ait voulu trouver des moyens discrets d’économie budgétaire. Je crois, comme le groupe Union Centriste, plutôt à une coordination des dispositifs et aides existants : entre l’AAH 1, l’AAH 2, le complément de ressources, la majoration pour la vie autonome, la MVA, l’allocation d’invalidité, le complément de l’allocation d’invalidité, la prestation de compensation du handicap, la PCH, versée par les maisons départementales des personnes handicapées – MDPH –, les compléments versés sur l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, l’AEEH, par la Caisse d’allocations familiales pour les jeunes de moins de vingt ans, autant de dispositifs qui constituent un véritable marasme pour les personnes porteuses de handicaps. C’est tout aussi compliqué que de se retrouver dans les couloirs du Sénat. (Sourires.)
Oui, une simplification et une coordination de toutes les aides humaines, animalières ou techniques des frais d’aménagement d’un logement – la MVA accompagne ceux qui ont un logement individuel – ou d’un véhicule devraient pouvoir être mises en œuvre.
Pour cette raison, et parce que la difficulté ne peut se transformer en discrimination, notre commission demande la concertation avant la fusion entre la MVA et le complément de ressources souhaitée par le Gouvernement.
Notre groupe milite pour le déplafonnement de la durée des droits de l’allocation éducation enfant handicapé jusqu’à la majorité, pour les enfants atteints de handicaps irréversibles qui n’ont pas été concernés par les réformes du décret de février 2017 qui allonge la durée maximale de leurs droits de dix à vingt ans. L’AAH était incluse dans le dispositif, mais pour les parents d’enfants porteurs de handicaps, c’est encore la croix et la bannière, puisqu’ils doivent tous les deux ou cinq ans refaire leur demande pour le versement de l’AEEH.
La protection et l’accompagnement des enfants et des familles vulnérables a aussi fait l’objet d’un effort financier particulier de la part du Gouvernement dans le programme 304. Nous pouvons nous en féliciter, puisque les crédits qui s’élevaient à 31,9 millions d’euros en 2017 vont passer à 143 millions d’euros pour 2018.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Nassimah Dindar. La prise en charge des mineurs non accompagnés pourra ainsi être facilitée. Les départements qui en assuraient la charge jusqu’à présent saluent cette initiative, comme l’avait souligné notre collègue Élisabeth Doineau.
C’est pourquoi le groupe Union Centriste votera, sous réserve de nos observations sur les amendements, favorablement ce budget de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Viviane Malet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai mon propos par quelques remarques générales.
L’examen de ce projet de loi de finances intervient dans un contexte de croissance retrouvée, grâce aux politiques conduites durant le précédent quinquennat. Les efforts de tous, les économies réalisées et les réformes structurelles autorisent de l’optimisme et des recettes supplémentaires.
Nous devrions être au moment de la juste répartition des fruits savoureux de la dynamique restaurée. Hélas, la plus grande partie de la corbeille a déjà été attribuée : 5 milliards d’euros accordés aux particuliers fortunés, déjà repus.
S’agissant de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », l’augmentation de ses crédits peut paraître confortable. En réalité, elle s’établit à 2,1 % par rapport aux dépenses réalisées cette année.
Ainsi, la solidarité n’est pas au hit-parade des priorités du Gouvernement… Elle est pourtant le plus sûr moyen d’assurer, par la cohésion sociale, un élan collectif pour une nouvelle croissance, ce que confirme, aujourd’hui, le FMI. Seulement voilà : les cadeaux aux plus riches obligent, malgré le surcroît de recettes, à en modérer les bénéfices pour les plus modestes – et à le dissimuler derrière un discours flatteur qu’aucun de nous ne renierait, si l’on ne reprenait en sous-main ce que l’on a accordé.
La prime d’activité fournit, une fois de plus, l’illustration d’une politique en parfait trompe-l’œil.
Vrai progrès pour les travailleurs modestes, la prime d’activité a contribué à réduire le taux de pauvreté et à augmenter le pouvoir d’achat de ses bénéficiaires. Elle a remplacé la prime pour l’emploi et le RSA chapeau, dont le taux de recours était inférieur à 35 %. Le nombre de ses bénéficiaires a crû très vite – pour un montant moyen d’environ 155 euros –, et elle a constitué une incitation au retour à l’emploi ou au maintien dans celui-ci.
Ainsi, dans une conjoncture difficile, 9 % des allocataires du RSA socle sont devenus éligibles à la prime d’activité en 2017, et 79 % des bénéficiaires ont conservé leur emploi.
La prime d’activité est promise à une augmentation de vingt euros par mois, mais à la fin de 2018, bien sûr…
Les dépenses réelles ont atteint cette année 6,5 milliards d’euros. L’inscription est au même niveau pour l’année prochaine, ce qui laisse entendre une volontaire sous-estimation, à moins que ce ne soit une réduction non avouée du périmètre des bénéficiaires.
C’est déjà le cas avec la suppression de la prise en compte comme revenus du travail des rentes AT-MP. Cette mesure est d’une grande violence à l’égard des personnes ainsi rendues inéligibles à la prime d’activité, alors qu’elles sont, justement, les victimes de leur travail.
Pour la prime de Noël, 476 millions d’euros sont inscrits, alors que l’année 2017 se soldera par une dépense de 556 millions d’euros.
Même sous-évaluation pour le RSA jeunes : 8 millions d’euros ont été dépensés en 2016 et presque 10 millions d’euros l’auront été cette année, mais seulement 5,4 millions d’euros nous sont proposés pour 2018.
À propos de sous-évaluation, permettez-moi d’évoquer un souvenir : le débat passionné sur la fameuse prime d’activité, en 2016. La majorité sénatoriale, voulant tenter de montrer sa capacité à proposer des économies, qu’on lui contestait, et, en même temps, pouvoir qualifier d’insincère – plaisir suprême ! – le projet de loi de finances, avait adopté un amendement dont l’objet se concluait ainsi : « Le présent amendement se veut plus réaliste et retient un taux de recours égal à celui du RSA, soit 32 %, et donc une réduction de 650 millions d’euros. » La vérité est cruelle, parfois : le taux de recours sera, à la fin de cette année, de 70 %…
Trompe-l’œil, encore, que les commentaires autour des crédits pour l’AAH du programme 157 : en réalité, ces crédits n’évolueront que de 3,9 % par rapport à la consommation réelle. Sans compter que l’augmentation est entachée de quelques artifices regrettables.
L’obsession d’alignement par le bas ou par décalage calendaire reporte au 1er novembre 2018 l’augmentation de l’AAH, comme la plupart des mesures sociales. Les mesures fiscales, elles, comme la hausse de la CSG, seront applicables dès le 1er janvier prochain… Un tel déferlement de reports en fin d’année constitue pour le budget 2019 une véritable bombe à retardement.
L’alignement par le bas touche aussi le RSA pour les couples de bénéficiaires de l’AAH : jusqu’ici, chacun recevait son AAH au taux plein ; désormais, le coefficient multiplicateur sera de 1,9, puis de 1,8, diminuant les ressources du ménage.
Reprendre d’une main ce qu’on a donné de l’autre, en communiquant seulement sur ce qu’on a donné, est devenu une règle, que nous ne saurions partager.
Que dire de la primauté exceptionnelle prise par le verbe sur l’action ? C’est un fossé, que dis-je, un ravin, un océan, qui sépare parfois le discours de la réalité !
Ainsi, pendant que l’égalité entre les femmes et les hommes est érigée au rang de grande cause nationale, les crédits de l’action en faveur de l’égalité professionnelle, politique et sociale entre les femmes et les hommes diminuent de 12 %…
Quant à ceux de l’action n° 15, Prévention et lutte contre la prostitution, ils sont amputés de 35 %.
Décidément, l’avenir, pour les plus modestes et les collectivités territoriales, ne se dessine pas sous les plus heureux auspices !
Par ailleurs, de nombreuses questions restent en suspens.
Ainsi, les allocations individuelles de solidarité grèvent dangereusement les budgets des départements. La négociation engagée par Manuel Valls sur la renationalisation du RSA n’a pas abouti, et la part des ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie affectées aux départements va encore baisser, de 70 % à 61,4 %.
Les déclarations du Président de la République lors de la Conférence nationale des territoires en faveur du regroupement des allocations individuelles de solidarité et leur reprise en main par l’État n’augurent rien de bon pour la population la plus vulnérable de notre pays.
Manifestement, la tentation libérale d’un welfare à l’américaine, globalisé et minimal, et d’une réduction des dispositifs d’insertion au profit de petits boulots sous statut d’autoentrepreneur demeure présente chez certains. Déjà, la diminution drastique des contrats aidés dans ce projet de loi de finances en est un signe précurseur.
Beaucoup de générosité pour les riches, un peu de compassion pour les pauvres… Voilà qui rend inacceptable, pour nous, le budget de cette mission ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » s’élèveront à 19,4 milliards d’euros en 2018, comme l’a rappelé le rapporteur pour avis, notre collègue Philippe Mouiller. Ce montant correspond à une augmentation notable de ce budget, de 8,9 %, par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2017.
De manière générale, cette mission a connu une augmentation structurelle de son niveau de dépenses au cours des huit dernières années : de 2009 à 2017, le montant des crédits de paiement, à périmètre constant, est passé de 11,5 milliards à 19,1 milliards d’euros.
Nous pourrions nous enthousiasmer, voyant dans cette augmentation de crédits une attention accrue des pouvoirs publics sur ce sujet de société ; mais la question n’est malheureusement pas si simple.
Cette mission est très importante pour les finances publiques et pour notre système de protection des plus vulnérables. De fait, elle se place au sixième rang des missions budgétaires de l’État.
À un tel niveau de dépenses, il serait légitime de pouvoir compter sur un pilotage sans faille. Pourtant, ces dépenses souffrent d’un éparpillement des responsabilités : nous avons parfois le sentiment d’avoir mis à la mer un navire sans pilote…
Il y a un grave dysfonctionnement, sur lequel notre groupe souhaite alerter le Gouvernement et le Parlement. En effet, alors que la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est au cœur de l’action publique en matière d’attention portée aux personnes les plus en difficulté, le rapporteur a fait état dans son discours d’une sous-budgétisation systématique des programmes depuis 2012. Le Gouvernement affirme avoir trouvé des remèdes. Nous analyserons attentivement vos propositions, madame la secrétaire d’État.
Deux programmes de cette mission méritent une attention plus particulière.
Le programme 104, « Inclusion sociale et protection des personnes », se caractérise par une hausse de 15 % de ses crédits, liée à l’augmentation de la prime d’activité. Il y a là un signe fort pour revaloriser le travail, mais il ne faut pas que le Gouvernement récidive dans les erreurs de chiffrage, qui ont eu de lourdes conséquences budgétaires ces deux dernières années.
Le programme 157, « Handicap et dépendance », est, lui aussi, marqué par une hausse de ses crédits, de 7,8 %, intégrant l’annonce d’une revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés. Notre groupe approuve cette mesure importante en faveur des personnes en situation de handicap.
Enfin, notre groupe aimerait attirer l’attention du Gouvernement sur la question des mineurs non accompagnés. Ils seront presque 25 000 en 2018, soit deux fois plus qu’en 2016, sous la responsabilité sociale et financière des départements. Cette charge est de plus en plus lourde et, à terme, insoutenable pour nos collectivités territoriales.
Les crédits consacrés à l’accueil de ces jeunes ont augmenté de 741 % entre 2017 et 2018. Il y a urgence à anticiper les effets de l’accueil de ces personnes sur notre système de sécurité sociale et à trouver de nouvelles sources de financement pour faire face à ces dépenses. Ce problème éminemment politique doit être réglé dans les plus brefs délais. Nous avons déposé plusieurs amendements pour tenter de résoudre ce défi.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’abstiendra sur les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». En effet, si nous saluons les initiatives prises par le Gouvernement en matière de solidarité, nous ne pouvons nous accommoder de la sous-budgétisation chronique de cette mission. En particulier, ce budget affiche en ce qui concerne les mineurs non accompagnés une trajectoire qui nécessitera un suivi approfondi et une meilleure anticipation en matière d’accueil.