Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, la France n’est pas faite que de métropoles et de centres urbains qui concentreraient les actifs et les surdiplômés. (Eh non ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Je rappelle que plus de la moitié de la population vit dans une commune de moins de 10 000 habitants.
Or il se trouve que, depuis quelques années, l’État a particulièrement délaissé les habitants des territoires ruraux, qui ont le sentiment de ne plus exister, de ne plus être considérés par lui. Les manifestations de cet abandon sont multiples : fermetures régulières de services publics, recul de notre industrie, particulièrement dans les zones déjà fragilisées, disparition de commerces dans les centres-villes des petites communes, déserts médicaux et offre médicale qui reflue, et difficultés persistantes pour accéder au réseau numérique.
Pourtant, les Français qui habitent dans ces territoires attendent de l’État de pouvoir bénéficier de ces services essentiels à la vie sociale et à la vie tout court. Il n’y a pas que les centres métropolitains ; je crois même que la ruralité est un acteur essentiel et qu’elle dispose d’un potentiel largement oublié dans la stratégie de l’État et dans ses politiques publiques.
Je le sais, vous n’ignorez pas que les élus locaux de ces territoires se découragent et que même, parfois, ils désespèrent, alors qu’ils sont souvent le seul et le dernier interlocuteur public. Ils attendent une véritable politique d’aménagement du territoire qui ne fasse pas le choix du « tout-métropolitain ».
Ne pensez-vous donc pas qu’il est temps de répondre aux appels que nous lancent ces maires ruraux, qu’il est temps d’ajouter, au plan Banlieue, un plan Ruralité, qu’il est temps de rééquilibrer les politiques publiques entre grandes agglomérations et communes rurales ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Mireille Jouve applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de la cohésion des territoires.
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État auprès du ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, vous avez mille fois raison, il y a un sentiment de délaissement, et parfois d’abandon, chez un nombre incroyable de personnes habitant dans les territoires ruraux.
M. André Reichardt. Alors, que faites-vous ?
Mme Éliane Assassi. Allez en Seine-Saint-Denis, vous en verrez, de l’abandon !
M. Julien Denormandie, secrétaire d’État. Toutefois, permettez-moi de vous le dire, ce sentiment n’est pas nouveau, il ne date pas d’il y a six mois. Cela fait des années, vous l’avez dit, qu’il existe.
Le Gouvernement poursuit deux buts.
Premièrement, il ne faut pas opposer les territoires les uns aux autres ; arrêtons d’opposer la ruralité à la métropole, les quartiers aux centres-villes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.) Ce qui importe, c’est la cohésion des territoires. Cette cohésion des territoires, c’est-à-dire la lutte contre les fractures territoriales, est si importante que, lorsque l’on considère votre département, le Tarn-et-Garonne, on constate que c’est l’un de ceux où le taux de croissance démographique est le plus élevé de la France métropolitaine. Cela veut dire que la ressource, l’avenir se trouvent là et non pas uniquement dans le centre métropolitain, en l’occurrence Toulouse.
Deuxièmement, il faut absolument avoir une politique très forte en faveur de ces territoires ruraux, pour lutter contre ces fractures territoriales et retrouver cette cohésion des territoires.
Or que faisons-nous, quand nous lançons le plan Numérique – Mounir Mahjoubi et moi passons personnellement nos journées à faire en sorte que soient accessibles partout et pour tous les Français le haut débit en 2020 et le très haut débit en 2022 –, quand la ministre de la santé double le nombre de maisons de santé, lance le plan Santé sur les territoires et lutte contre les déserts médicaux, quand la ministre des transports organise des Assises de la mobilité centrées uniquement sur la mobilité du quotidien, notamment des territoires ruraux, quand le ministre de l’éducation nationale annonce certaines mesures, notamment les internats dans les territoires ruraux, quand on assure que l’ensemble des dotations de fonctionnement, dont vous avez tant discuté ici, ne diminuera pas et que les dotations aux investissements continueront ? Tout cela va dans le sens de cette cohésion des territoires.
Cela dit, in fine, notre seule boussole sera la perception des Français. Tant que la perception de ceux qui habitent en zone rurale n’aura pas changé, cela voudra dire que nous ne serons pas allés assez loin, et nous continuerons. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.
M. François Bonhomme. Monsieur le secrétaire d’État, je ne cherche pas à opposer les territoires ruraux aux territoires urbains, même si, cet été, vous avez signé un décret d’avance qui a supprimé à la fois la DETR et des crédits pour la politique de la ville.
M. Philippe Dallier. Eh oui !
M. François Bonhomme. Je dis simplement que les maires sont sortis laminés des réformes territoriales,…
M. Pierre Laurent. Autant de mesures que vous avez votées !
M. François Bonhomme. … qui ont été complètement ratées, et de tous les sacrifices qu’on leur demande. Ils ne veulent plus être le jouet et la variable d’ajustement des politiques publiques de l’État ; je ne dis que cela. Ils veulent, pour demain, une relation claire, durable, contractuelle et équilibrée ; voilà tout ce que je dis ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Mireille Jouve applaudit également.)
taxe sur les dividendes et taxe foncière
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour le groupe Les Républicains.
M. Sébastien Meurant. L’encadrement des ressources et des dépenses des collectivités, la diminution sans concertation des contrats aidés, les annulations de crédits, les engagements non respectés créent une grande inquiétude pour les élus locaux. Leur crainte est de ne plus pouvoir répondre aux demandes des populations, notamment des plus fragiles.
L’autonomie financière des collectivités locales, pourtant garantie par la Constitution, est battue en brèche. La réforme hâtive de la taxe d’habitation en est une nouvelle illustration. Cette réforme affaiblit le pouvoir fiscal des communes et menace la pérennité de leurs ressources. Le dégrèvement est un moyen pour l’État de reprendre la main et de revenir sur la décentralisation et l’autonomie des collectivités territoriales.
Cette réforme accroîtra les disparités entre communes riches et communes pauvres, elle frappera de plein fouet 20 % des Français qui acquittent déjà 80 % de l’impôt sur le revenu, elle affaiblira le lien entre le citoyen et le financement des services publics communaux. Dans 8 000 communes, on comptera moins de dix contribuables et, dans 3 000, moins de cinq…Voilà qui pose la question de l’acceptation de l’impôt, du respect de l’égalité devant l’impôt. Votre projet ne règle en rien les injustices qui résultent de l’obsolescence des bases locatives ; il les concentre sur quelques contribuables.
Pourquoi, alors, ne pas toucher à la taxe foncière, dont les bases de calcul sont à peu près similaires ? Quel manque de cohérence et de vision ! Ne croyez-vous pas, monsieur le ministre, qu’il serait préférable, au lieu de se précipiter dans une réforme mal ficelée, de construire avec les maires et le Sénat une fiscalité moderne qui garantisse l’autonomie fiscale des collectivités et qui assure un juste lien entre le citoyen et le contribuable ? Ne craignez-vous pas que l’histoire ne se répète et que, après l’annulation par le Conseil constitutionnel de la taxe sur les dividendes, votre réforme subisse le même sort ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Mireille Jouve applaudit également.)
M. Ladislas Poniatowski. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des foyers français a été approuvée massivement lors de l’élection présidentielle et des élections législatives qui ont suivi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Le Président de la République, à l’époque candidat à l’élection présidentielle, a mis au cœur de son projet l’objectif de rendre du pouvoir d’achat à nos concitoyens, qui l’ont entendu.
Vous appelez de vos vœux une remise à plat de la fiscalité locale, serpent de mer dans cet hémicycle, comme dans celui de l’Assemblée nationale, depuis plus de trente à quarante ans. Cela fait tellement longtemps que l’on en parle que peu ont engagé ce travail…
Vous le savez – le Premier ministre l’a rappelé dans son discours de politique générale –, nous sommes prêts à engager une réflexion avec l’ensemble des territoires et avec les deux chambres sur une refonte en profondeur de notre fiscalité locale. Qui peut ici considérer qu’il est juste que les personnes résidant dans le centre de Paris acquittent une taxe d’habitation trois fois inférieure aux habitants d’Argenteuil, à nombre de mètres carrés équivalent ?
La taxe d’habitation est injuste socialement et elle est inefficace. C’est la raison pour laquelle, dans un souci de redistribution du pouvoir d’achat, mais également au nom de l’équité fiscale entre les populations de territoires qui ne disposent pas des mêmes atouts, nous procéderons à sa suppression, étalée sur trois années, pour 80 % des foyers.
À n’en pas douter, nous aurons l’occasion d’en débattre dans quelques instants, après la séance de questions au Gouvernement. En tout état de cause, sachez que nous sommes déterminés à rendre du pouvoir d’achat à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Je rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mardi 28 novembre 2017 à seize heures quarante-cinq et seront retransmises sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Loi de finances pour 2018
Suite de la discussion d’un projet de loi
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2018, adopté par l’Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État auprès du ministre de l’économie et des finances, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer le retour de notre rapporteur général, Albéric de Montgolfier (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.), qui fait mentir le vieux proverbe français selon lequel « tout mal guérit par la patience ». C’est bien l’impatience d’être parmi nous pour assumer ses responsabilités qui l’a guéri, comme s’il s’agissait d’un miracle démocratique… (Sourires.) Merci, monsieur le rapporteur général, d’être avec nous cet après-midi !
Un budget, c’est une arithmétique, mais c’est d’abord une politique. C’est vrai de ce budget comme des autres, et même de ce budget plus que des autres. En effet, il s’agit du premier budget de ce gouvernement, donc du plus important. C’est un point de départ qui va déterminer la trajectoire économique, financière et politique du quinquennat. C’est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez compter sur le Sénat pour l’examiner sur le fond, avec cet esprit de responsabilité qui est notre marque de fabrique, sans complaisance – comptez sur nous (Sourires.) –, mais aussi, bien entendu, sans manque d’objectivité.
L’objectivité doit nous permettre de reconnaître – nous l’avons fait – que nous nous trouvons devant un budget sincère, contrairement à celui qui nous avait été présenté l’an passé et que nous avions dénoncé. Elle nous conduira à reconnaître les mesures qui vont dans le bon sens et que nous pourrons voter, à l’instar d’un certain nombre de missions budgétaires.
Pour être objectif, il faut pouvoir juger et apprécier un budget avec des critères. Je vous en propose deux, qui me semblent être les critères principaux.
Premièrement, ce budget apporte-t-il des réponses à la hauteur de la situation de la France ?
Deuxièmement, ce budget est-il à la hauteur de ce qu’en dit le Président de la République ? Est-ce un budget de transformation ?
Pour ce qui concerne les réponses du budget, il faut savoir que la France supporte aujourd’hui deux énormes handicaps, que résume finalement l’expression « déficits jumeaux » : le déficit budgétaire et le déficit commercial. Je vais les évoquer successivement.
Que dit le budget sur le déficit budgétaire ? Quelles solutions y apporte-t-il ?
Voilà quelques mois, j’entendais le Premier ministre s’exprimant à cette même tribune évoquer les habitudes budgétaires de la France et parler d’« une addiction française ». Mettez-vous fin à cette addiction ? Non !
Le déficit de l’État va augmenter. La dépense publique va augmenter. Certes, comme nous l’avons dit ce matin, vous n’êtes pas comptable de la dérive de la masse salariale, mais vous êtes comptable des efforts que vous pourriez faire et que vous ne faites pas, notamment en matière d’économies sur les postes de la fonction publique de l’État. Or on ne compte que 324 postes en moins.
Cette situation aura des conséquences. Nous sommes le premier pays européen dont le ratio d’endettement ne baissera pas, ainsi que M. le président de la commission l’a dit tout à l’heure. Nous sommes, avec l’Espagne, l’autre pays européen qui apparaît toujours sur le radar de la procédure de déficit excessif. La Grèce ne fait plus l’objet de cette procédure depuis septembre dernier…
Enfin, nous venons hier de faire l’objet de remontrances, d’un coup de semonce de la Commission européenne, qui a du mal à croire à la confirmation de vos hypothèses.
Votre volonté de mettre fin à la dérive de la dépense publique, qui est un mal français, pose donc problème.
Le déficit commercial, quant à lui, exprime, mois après mois, la dégringolade de la compétitivité française, de « l’entreprise France ». Quelles solutions y apporte le budget ? Aucune, puisque, en 2018, les entreprises devront supporter plus de 3 milliards d’euros – et plus encore – de charges supplémentaires. Vous allez même en faire des collecteurs d’impôts, avec la retenue à la source.
Albéric de Montgolfier a proposé d’autres formules, plus contemporaines. On peut à la fois être moderne et ne pas peser sur les entreprises avec des tracasseries administratives. Vous avez préféré la CSG à la TVA, qui était la seule façon de taxer les produits chinois,…
Mme Sophie Primas. Exact !
M. Bruno Retailleau. … d’imposer à nos frontières une sorte de régulation de la mondialisation sauvage et du dumping social. Vous ne l’avez pas fait.
Pour résumer, quels sont les reproches que nous adressons à ce budget ?
Premièrement, nous pensons – preuves à l’appui, que nous développerons – que c’est un budget non de transformation, mais de continuation.
Comme avant, vous ferez les efforts les deux dernières années du mandat. Comme par habitude, la France va rester championne de la dépense publique. Comme avant, la France va rester championne des prélèvements obligatoires et, comme par habitude, elle n’engagera pas de réforme structurelle. D’ailleurs, l’effort structurel est six fois moindre que ne l’exige la toise européenne.
Deuxièmement, nous pensons que ce budget ne fait pas porter une charge équivalente sur toutes les catégories de Français. Il fait des gagnants et des perdants.
Évidemment, comme cela a été dit, les plus grands gagnants sont les détenteurs des patrimoines les plus élevés, qui intègrent un maximum de valeurs mobilières. Les perdants, ce sont les familles.
Vous poursuivez le matraquage commencé avec M. Hollande, privant le pays d’un dynamisme démographique, le privant finalement de son propre avenir. Les perdants, ce sont les ruraux, la France pavillonnaire, les Français qui doivent utiliser leur voiture, qui consomment du diesel. Les perdants, ce sont les propriétaires et tant d’autres. Bref, ce sont les classes moyennes et les classes moyennes supérieures, qui supportent aujourd'hui l’essentiel de la charge publique, avec des impôts directs qui seront de plus en plus concentrés – c’est déjà le cas pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques, et ce sera encore plus le cas demain, avec la taxe d’habitation –, touchant ainsi au cœur même du principe du consentement à l’impôt et contredisant l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel la charge publique doit être supportée de façon équivalente et en fonction des possibilités de chacun.
Ce que nous reprochons à ce budget, c’est cette hyperconcentration de l’impôt direct et, bien évidemment, une formidable injustice à l’égard des collectivités locales. Je ne veux pas en parler maintenant. J’attends la déclaration du Président de la République, qui va peut-être s’exprimer incessamment devant les maires.
Quoi qu’il en soit, monsieur le secrétaire d'État, le Gouvernement sait désormais que votre réforme, sur laquelle vous vous êtes exprimé pendant les questions au Gouvernement, est anticonstitutionnelle. Vous allez sans doute devoir supprimer la totalité de la taxe d’habitation.
M. Philippe Dallier. C’est sûr !
M. Antoine Lefèvre. Il y a des chances !
M. Bruno Retailleau. En l’état, ce mécanisme de suppression partielle de la taxe d’habitation va créer une injustice, puisque les communes pauvres s’appauvriront, quand les communes riches, pouvant bénéficier d’un dynamisme fiscal plus important, s’enrichiront. C’est, finalement, le summum de l’injustice !
Monsieur le secrétaire d'État, comprenez-nous bien : nous essaierons évidemment d’être justes dans les débats. Nous ferons des propositions, et nous ne nous contenterons pas de nous opposer. Le rapporteur général a déposé, au nom de la commission des finances, un certain nombre d’amendements. Nos propositions porteront notamment sur les familles, sur la compétitivité de nos PME et sur le logement. Dominique Estrosi Sassone et Philippe Dallier y ont beaucoup travaillé. Bien sûr, nous ferons aussi des propositions visant à réaliser des économies.
De grâce, si j’ose dire pour conclure, ne gâchez pas une fenêtre de tir exceptionnelle. La croissance est en train de revenir. Demain, la situation sera peut-être moins bonne. Quand la croissance est là, il faut faire des réformes, parce que celles-ci sont alors plus indolores. Demain, les taux d’intérêt et le prix du pétrole peuvent remonter, et, ceux qui connaissent un peu ce phénomène économique le savent, quand le chômage s’ajustera à la limite du chômage structurel, la croissance s’alignera dans le même temps sur une croissance potentielle très faible, autour de 1 %. Ne gâchez donc pas cette chance pour la France ! Transformez vraiment, plutôt que de conserver les vieilles habitudes ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite d’abord partager avec vous une première satisfaction,…
M. Philippe Dallier. Ah !
M. Claude Raynal. … celle de faire, cette année, comme vous tous, mon travail de parlementaire.
MM. Philippe Dallier et Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous l’avons aussi fait l’année dernière !
M. Claude Raynal. L’année dernière, tout à votre primaire et à votre incapacité de vous mettre d’accord sur un programme présidentiel – quelles priorités ? Quel niveau d’économies : 50 milliards, 100, 120 ? Sur quelles missions ? –, vous avez, au nom d’une prétendue insincérité (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), préféré fuir le débat budgétaire. Rappelons que la correction des sous-budgétisations tant décriées portait, selon la commission des finances, sur environ 4 milliards d’euros, sur un budget total de 236 milliards d’euros, soit à peine plus de 1 % du budget.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et quid des hypothèses macroéconomiques ?
M. Claude Raynal. Il y avait vraiment de quoi s’affoler…
M. Dominique de Legge. Bien sûr que oui !
M. Claude Raynal. On se souviendra encore de cette magnifique envolée lyrique de notre rapporteur général – je peux le citer, puisqu’il est revenu parmi nous – stigmatisant, en novembre 2016, « une prévision de croissance qui frôle l’irréalisme ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et le rapport de la Cour des comptes ?
M. Claude Raynal. Je rappelle que le Gouvernement avait, à l’époque, tablé sur une croissance au taux « irréaliste » de 1,5 %. Finalement, ce taux s’établira, en cette fin d’année, à 1,7 %, voire 1,8 % !
M. Philippe Dallier. Et les dépenses ?
M. Claude Raynal. Je sais bien, monsieur Dallier, que, quand la croissance est faible, c’est toujours à cause du Gouvernement et que, quand elle est meilleure, c’est grâce à la conjoncture. C’est toujours comme ça !
Et si l’on s’en tenait aux faits, comme nous y invite, paraît-il, le nouveau monde ?
Et si l’on se disait qu’il est plus facile, grâce aux gouvernements successifs du Président Hollande, de faire un budget pour 2018 avec 3 % de déficit public et 1,8 % de croissance qu’un budget pour 2013 avec 5,2 % de déficit public et 0,2 % de croissance ?
Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, l’amélioration attendue d’à peine 0,1 % du déficit public en 2018 peut surprendre, surtout que ce résultat est essentiellement dû à l’effort demandé aux administrations de sécurité sociale et aux collectivités locales.
Pour autant, nous espérons vivement que notre pays pourra enfin sortir de la procédure de déficit excessif à laquelle nous sommes soumis depuis trop d’années. Malgré la récente position de la Commission sur le déficit structurel, ce pourrait être l’une des trop rares bonnes nouvelles de ce projet de loi de finances.
Ce dernier est avant tout marqué par deux grands types de mesures : d’une part, une réduction massive de la fiscalité sur le capital, dont le coût budgétaire est malheureusement gagé par des taxes nouvelles – tabac, diesel… – et des économies sur des politiques publiques profitant aux plus faibles, que ce soit en matière de contrats aidés ou de soutien au logement social ; d’autre part, un dégrèvement de taxe d’habitation dont le coût, sur trois ans, de 10 milliards d’euros, n’est pas sans rappeler le montant des économies de fonctionnement demandé aux collectivités locales… Vision certes schématique, mais pourtant assez juste.
La réforme de la fiscalité du capital mobilier constitue bien la mesure majeure de la première partie de ce PLF. Elle porte sur la suppression de l’impôt sur la fortune, remplacé par un impôt sur la fortune immobilière, ou IFI, et par un prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les dividendes, intérêts et plus-values mobilières. L’ensemble entraîne une perte de recettes d’au moins 4,5 milliards d’euros en 2018 et de 5,5 milliards d’euros en 2019. Comment ne pas s’interroger sur cette perte de recettes quand le Gouvernement poursuit parallèlement une politique de baisse de la dépense publique ?
Cette mesure ne saurait évidemment recueillir notre approbation et les raisons de s’y opposer sont nombreuses. Purement idéologique, elle repose sur des a priori d’inspiration libérale que nous ne partageons pas.
Elle rompt tout d’abord l’égalité que nous avions instaurée en 2013 entre revenus du travail et revenus du capital, au bénéfice de ces derniers.
Elle crée ensuite un biais entre investisseurs, au détriment de la pierre, et favorise par là même les plus gros revenus, ceux pour lesquels la part de l’immobilier dans le patrimoine est la plus faible. Notre commission des finances a ainsi appris de vos services que les 100 plus gros contribuables économiseront, grâce à cette mesure, près de 150 millions d’euros par an. Elle peut, de ce fait, avoir un impact sur la production de logements neufs dans notre pays.
Enfin, elle sous-tend l’idée que les bénéficiaires réinvestiraient immédiatement dans l’économie productive, ce qui relève plus de la foi du charbonnier que d’une réelle expertise. La confiance de vos services est d’ailleurs telle que le retour attendu à long terme du dispositif est estimé à 0,5 point de PIB et 50 000 emplois.
Par ailleurs, il est surprenant de constater, chers collègues de la majorité sénatoriale, que, partageant le même constat sur l’IFI, nous en tirions des conséquences aussi opposées. Votre volonté de supprimer totalement l’ISF se traduisant d’ailleurs par une aggravation du déficit d’environ 1 milliard d’euros que vous oubliez juste de compenser. Il aura fallu que La République En Marche ouvre la voie pour que, vous armant de courage, vous essayiez de tenir une promesse que vous n’aviez jamais jusqu’à ce jour osé concrétiser.
Il est tout de même permis de s’interroger : ces 5 milliards d’euros par an ne seraient-ils pas mieux utilisés, par exemple, à doter correctement la BPI, dont les résultats sont unanimement reconnus, voire l’Agence des participations de l’État ? En cette matière, on nous explique doctement chaque année que l’APE doit céder des parts d’entreprises pour investir dans les projets de demain ou pour conforter des fleurons nationaux. Au lieu de vendre des concessions autoroutières, des sociétés de gestion aéroportuaire ou, nous dit-on, des sociétés comme la Française des jeux, nous pourrions utiliser ces ressources en les fléchant directement vers le développement économique de notre pays.
Pour résumer, nous disons non à l’impôt sur la fortune immobilière, mais oui au rétablissement de l’impôt sur la fortune.
Par pure charité, je préfère passer sous silence les différentes taxes purement cosmétiques sur les yachts et les voitures de luxe dont nos collègues de l’Assemblée nationale auraient pu se dispenser.