M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Christian Manable. Mais il est aussi nécessaire de marquer une pause dans ce véritable big bang. La République s’est construite sur un triptyque hérité de 1789 : commune, département, Nation. La contre-révolution, parfois technocratique, bouleverse ce paysage : Commission européenne, grande région, métropole.
Si la République est une et indivisible, il faut rappeler le principe de la libre administration des collectivités territoriales. Il ne faudrait pas non plus assister à des phénomènes de recentralisation qui nous ramèneraient plusieurs décennies en arrière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Arnaud de Belenet et Mme Mireille Jouve applaudissent également.)
M. le président. Mon cher collègue, les autres orateurs ne devront pas suivre votre exemple, il leur faudra mieux respecter leur temps de parole…
La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien écouté le propos introductif de M. Manable. Je n’aurai pas le temps, en dix minutes, d’apporter des réponses sur l’ensemble des sujets, mais je pense que la série de vingt et une questions qui va suivre me permettra de le faire. Je vais plutôt, à cet instant de nos débats, vous donner le cadre général de l’action du Gouvernement.
Votre première préoccupation, monsieur le sénateur, concerne les relations entre l’État et les collectivités territoriales. Il est vrai que nous avons besoin de rétablir, de retisser cette relation, tant une certaine méfiance s’est installée. Sans accuser tel ou tel gouvernement, je crois que cette situation est le fruit de nombreuses années durant lesquelles diverses réformes ont entraîné, dans des territoires et chez certains élus, un sentiment d’abandon.
Rétablir la confiance, c’est exactement l’objectif affiché par le Président de la République au mois de juillet, lorsqu’il a lancé, ici même au Sénat, la Conférence nationale des territoires.
Cette instance, qui est destinée à discuter des différents sujets qui nous préoccupent et à les traiter, connaîtra bien évidemment des temps forts, comme la réunion de juillet ou celle qui va avoir lieu le 14 décembre, mais il serait restrictif de la limiter à ces moments.
Entre ces réunions, le dialogue se poursuit avec les acteurs locaux et le Gouvernement a lancé plusieurs missions d’expertise.
Par exemple, le Premier ministre a demandé au sénateur Alain Richard et à l’ancien préfet Dominique Bur de réfléchir aux aspects financiers qui constituent, monsieur le sénateur, la deuxième préoccupation que vous avez exposée.
Autre exemple, le Premier ministre m’a chargée d’une mission relative à l’eau et à l’assainissement, dont le transfert obligatoire de la compétence aux intercommunalités, prévu pour 2020, pose un certain nombre de questions.
Nous menons aussi des discussions avec les départements sur les allocations de solidarité et les mineurs isolés.
Vous le voyez, un travail de fond et de nombreuses discussions ont lieu pour essayer de répondre aux nombreuses questions qui se posent à l’échelon des différents niveaux de collectivité locale.
La question des compétences, vous en avez parlé, monsieur le sénateur, est également un sujet très important.
Le Président de la République a annoncé une orientation générale très claire : faire vivre les structures telles qu’elles sont et apporter, le cas échéant, les assouplissements nécessaires. Le Président de la République ne souhaite donc pas lancer une grande réforme territoriale, il entend plutôt achever ce qui a déjà été lancé.
Je vous donne un exemple : la compétence liée à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations, dite GEMAPI.
Une décision, que le Gouvernement soutient et qui résulte – je le rappelle – de l’adoption d’un amendement d’origine sénatoriale, a été prise il y a quelques années lors de l’examen de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM.
Or, la mise en œuvre de cette compétence mérite des améliorations et, après discussion avec des élus qui nous ont alertés, nous soutenons la nécessité de légiférer, non pas pour revenir sur le transfert de la compétence, mais pour en faciliter l’application.
Les départements, par exemple, ont demandé à être parties prenantes de cette compétence, car plusieurs d’entre eux, je pense aux départements littoraux, se sont déjà beaucoup engagés sur les questions de la submersion marine. Je peux vous dire que le Gouvernement est tout à fait favorable à ce que les départements participent à l’exercice de cette compétence.
Notre idée, vous le voyez, est assez simple : maintenir le cadre actuel, mais assouplir, là où c’est nécessaire. Nous réformerons en marchant… et en portant notre attention sur les éléments essentiels.
En ce qui concerne ce que vous avez appelé, monsieur le sénateur, la nécessaire autonomie fiscale des collectivités, nous sommes absolument d’accord avec ce principe, qui – je le rappelle – est d’ordre constitutionnel. Au-delà de son application, nous devons réussir à mettre en place une réforme fiscale.
Au sujet de la réforme de la taxe d’habitation, on ne peut pas la comprendre sans prendre en compte son aspect social. Elle va s’étaler sur trois ans, c’est l’État qui va se substituer au contribuable – c’est le principe du dégrèvement – et il faudra insérer ces changements dans une réforme de la fiscalité locale.
Nous devrons trancher les grands débats qui existent sur ces questions et qui concernent tous les niveaux de collectivité territoriale.
Vous avez par exemple cité comme positive l’attribution aux régions d’une part de TVA à la place de la DGF. C’est d’autant plus une bonne chose que cet impôt est dynamique, ce dont les régions vont bénéficier.
Je rappelle, par ailleurs, que les régions se sont vu transférer vingt-cinq points de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises des départements – la CVAE –, en fonction de leurs nouvelles compétences.
Pour en revenir à la TVA, qui est – est-il besoin de le rappeler ? – un impôt national, une question fondamentale peut se poser : restons-nous dans la tradition française, qui repose sur des impôts locaux levés par les collectivités locales et qui leur sont attribués, ou allons-nous vers un système de transfert d’un impôt national, comme on vient de le faire pour les régions et comme cela existe en Allemagne ? C’est une question qui me semble essentielle.
Je relève que les départements ont déjà évoqué la question de l’éventuelle attribution d’une part de la CSG.
C’est un vrai débat, sur lequel travaillent Alain Richard et Dominique Bur dans le cadre de la mission qui leur a été confiée.
Je le répète, nous n’envisageons pas de procéder à une nouvelle réforme des collectivités territoriales, mais nous apporterons des assouplissements là où c’est nécessaire. La Conférence nationale des territoires a d’ailleurs été créée pour traiter toutes les questions qui se posent.
J’évoquerai pour conclure deux sujets particuliers.
Vous vous êtes inquiété, monsieur le sénateur, de la pérennisation des crédits liés aux rythmes scolaires. Ils ont bien été votés, conformément à un engagement du Président de la République.
En ce qui concerne le logement social, les discussions avec les bailleurs sociaux ne sont pas terminées, mais le Premier ministre a déjà annoncé, hier, certaines décisions : premièrement, les garanties des collectivités locales aux bailleurs sociaux ne joueront pas ; deuxièmement, la baisse des APL s’opérera sur trois années, concomitamment avec une hausse de la TVA sur les loyers, ce qui réduira l’effet financier pour les bailleurs.
Nous avons la volonté d’aller plus loin dans la discussion et d’arriver à un accord avec l’ensemble des bailleurs sociaux.
Je vois que le temps passe vite… (Sourires sur plusieurs travées.) Je reviendrai donc tout à l’heure, pendant les questions, sur le sujet de la taxe d’habitation. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
Débat interactif
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que les auteurs de questions disposent chacun de deux minutes au maximum, y compris la réplique. Le Gouvernement a la possibilité d’y répondre pour une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2014, les conseillers métropolitains, tout comme l’ensemble des conseillers communautaires dans les communes de plus de 1 000 habitants, sont élus au suffrage universel par l’application d’un système de fléchage.
Lors des débats entourant l’élaboration de la loi MAPTAM, le principe de l’élection de ces conseillers au suffrage universel dans le cadre d’un régime électoral autonome à l’occasion du prochain renouvellement général des conseils municipaux a été retenu.
Il a été convenu de renvoyer ce débat et les modalités de cette élection à une loi ultérieure. Celle-ci devait initialement intervenir avant le 1er janvier 2017. Les dispositions introduites dans la loi relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain ont finalement repoussé cette échéance au 1er janvier 2019.
Comme vous le savez, madame la ministre, la perspective d’une élection des conseillers métropolitains au suffrage universel direct dans le cadre d’un régime électoral autonome est perçue au sein des communes concernées avec une très forte inquiétude.
Les maires ont démontré leur volonté d’accompagner les réformes votées par le Parlement, en s’associant pleinement à l’émergence des métropoles. Ils ont accepté d’exercer leurs compétences dans un cadre fortement élargi. Et ils ont aujourd’hui la légitime appréhension de se voir évincés par un système électoral, qui viendrait clairement dissocier représentation communale et métropolitaine.
Dans un souci d’efficacité de l’action publique et de proximité avec la population, une telle entreprise ne semble pas souhaitable.
Le groupe du RDSE avait d’ailleurs voulu, par voie d’amendement le 7 février dernier, acter l’abandon de cette hypothèse.
À la veille de l’ouverture du centième congrès des maires de France, M. le Premier ministre a rappelé par voie de presse que, dans ce débat, « tous les mécanismes qui remettraient en cause la place du maire ne [lui] semblent pas crédibles. »
Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur la position de l’exécutif vis-à-vis de l’évolution du mode d’élection des conseillers métropolitains ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, ce sujet a déjà été soulevé lors du débat auquel j’assistais ce matin au congrès des maires de France.
Vous avez rappelé vous-même que les conseillers métropolitains sont d’ores et déjà élus au suffrage universel direct, par fléchage au niveau de chaque commune – il est important de rappeler ce point.
Ce fléchage a eu lieu pour la première fois en 2014. Aujourd’hui, environ 10 % des communes membres des métropoles comptent moins de 1 000 habitants.
Par ailleurs, dans le cadre de la loi MAPTAM, le Gouvernement a conduit une réflexion sur l’évolution possible des modalités d’élection des conseillers métropolitains, un sujet sur lequel il n’y avait pas, à l’époque, de consensus.
En réalité, la question que vous posez aujourd’hui est celle de la généralisation du modèle électoral de la métropole de Lyon. Cette métropole à statut particulier ne peut pas être comparée aux autres métropoles, qui sont des EPCI, et donc, si je puis m’exprimer ainsi, de « super-communautés urbaines ».
Les principes de libre administration et de non-tutelle d’une collectivité sur une autre ne permettent pas, en droit, de reprendre le modèle lyonnais pour les autres métropoles.
Il importe par ailleurs que le mode électoral retenu favorise la stabilité de l’assemblée élue et soit intelligible pour les électeurs.
Aussi, à ce stade, le Gouvernement considère que le mode d’élection actuel, qui repose largement sur le suffrage universel direct, répond aux exigences juridiques et de démocratie citoyenne pour l’élection des conseillers métropolitains.
Je pourrais d’ailleurs étendre mon propos aux autres intercommunalités, car la même question se pose pour les communautés d’agglomération notamment.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite avoir des précisions concernant les emprunts toxiques, dossier qui inquiète encore localement.
Je pense en particulier au cas de fusion entre plusieurs EPCI dans le cadre de la loi NOTRe et du schéma départemental de coopération intercommunale, lorsque l’un des EPCI avait précédemment souscrit un emprunt structuré.
La loi a certes créé un fonds de soutien afin de permettre aux collectivités touchées par des emprunts structurés d’en sortir, à condition de renoncer au contentieux engagé contre la banque.
Certaines communautés de communes, bien qu’ayant reçu un avis favorable de l’État à l’octroi d’une aide du fonds de soutien, ont finalement préféré poursuivre le contentieux et ne pas donner suite à la proposition.
Entre-temps, la fusion est intervenue puisque la loi NOTRe a imposé des regroupements d’EPCI au 1er janvier 2017, c’est-à-dire dans un délai très proche de la fermeture du fonds de soutien. L’emprunt structuré a ainsi été transféré dans le budget du nouvel EPCI.
Aujourd’hui, certains de ces nouveaux EPCI issus du processus de fusion se retrouvent responsables du paiement des annuités d’emprunt liées au prêt toxique et sont engagés dans une procédure de contentieux contre la Société de financement local, la SFIL, qui s’est substituée à Dexia.
Par ailleurs, ils ne peuvent plus faire appel au fonds de soutien, celui-ci ayant été fermé quelques semaines avant la création de ces nouvelles communautés, et alors qu’il restait encore 300 millions d’euros non consommés.
Le Gouvernement a récemment annoncé : « la collectivité territoriale unique de Corse sera naturellement éligible au fonds de soutien destiné aux collectivités ayant souscrit à des emprunts toxiques […] dans le cadre de la réouverture de ce fonds pour les collectivités issues de fusion. »
Est-ce une disposition spécifique à la Corse ou d’autres collectivités ainsi que les EPCI sont-ils éligibles, comme le prévoyaient en 2014 les dispositions relatives au fonds de soutien aux collectivités territoriales et à certains établissements publics ayant souscrit des contrats de prêt ou des contrats financiers structurés à risques ?
Dans l’affirmative, madame la ministre, quelles seraient les modalités pratiques de son application ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Comme vous le savez, monsieur le sénateur, un fonds de soutien a été créé par la loi de finances initiale pour 2014. Sa capacité d’intervention a par la suite été portée à 3 milliards d’euros par l’article 31 de la loi de finances pour 2016. Pour bénéficier de ce fonds, les emprunteurs devaient déposer une demande d’aide avant le 30 avril 2015.
Le Gouvernement examine actuellement les conditions de réouverture du fonds de soutien aux collectivités territoriales au regard des risques juridiques identifiés.
En outre, cet examen approfondi nécessite une évaluation précise de la capacité de financement du fonds de soutien.
En effet, une telle réouverture implique de définir précisément des critères objectifs, juridiques et financiers, justifiant la prise en compte des situations spécifiques concernant des collectivités ayant fusionné après le 30 avril 2015.
La réouverture éventuelle du fonds de soutien est une question lourde de conséquences et qui nécessite un examen poussé. À ce stade, aucune décision n’a été prise.
Je précise que c’est le ministère de l’action et des comptes publics qui est responsable de ce dossier, même si le ministère de l’intérieur, en particulier la direction générale des collectivités locales, le suit également très attentivement. Et les deux ministères mènent ensemble des discussions en permanence.
Aujourd’hui, je ne peux pas vous répondre plus précisément, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. Je prends acte de votre réponse, madame la ministre. Elle n’est pas totalement négative… Je suivrai bien évidemment ce dossier de près et présenterai éventuellement un amendement au projet de loi de finances en ce sens.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.
M. Didier Rambaud. Madame la ministre, je vous poserai la première question concernant la taxe d’habitation.
L’article 3 du projet de loi de finances pour 2018 instituant un mécanisme de dégrèvement de la taxe d’habitation est, d’abord, la traduction législative d’un engagement majeur du Président de la République, auquel le groupe La République En Marche souscrit.
Voilà une mesure de justice sociale qui pose le premier jalon d’une refonte structurelle de la fiscalité locale sans amputer l’autonomie budgétaire des collectivités locales, par l’instauration corrélative de mécanismes de compensation.
La taxe d’habitation, en l’état, est un impôt profondément injuste. Elle pose de réels problèmes d’équité fiscale entre les habitants des communes riches et ceux des communes plus pauvres, en particulier en raison des valeurs locatives qui demandent à être révisées depuis des décennies, mais qui ne l’ont jamais été.
Globalement, elle frappe proportionnellement beaucoup plus durement les étudiants, les habitants des communes et quartiers populaires, ainsi que les personnes seules.
En conséquence, sa suppression progressive peut être saluée, d’autant qu’elle s’accompagnera d’un gain de pouvoir d’achat significatif pour les Français : 10 milliards d’euros d’impôts en moins !
Cette réforme est pourtant devenue un élément de cristallisation du dialogue parlementaire : on en a extrapolé la portée financière vis-à-vis des collectivités, on en a déformé la logique d’action et on en a caricaturé la philosophie générale.
Madame la ministre, peut-être ne serait-il pas inepte de rappeler aux membres de cet hémicycle et aux élus locaux qu’ils représentent que l’action de votre gouvernement a ceci de nécessaire qu’elle procède courageusement à la refonte d’un système qui, en l’état, galvaude l’autonomie fiscale ou financière des collectivités. L’existence des mécanismes de péréquation en atteste par ailleurs ! (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur Rambaud, vous avez rappelé l’engagement du Président de la République, l’aspect social de cette décision et, bien sûr, la garantie pour les collectivités territoriales de recevoir le montant attendu de la taxe d’habitation selon le taux voté en conseil municipal à partir des bases envoyées chaque année par la DGFiP, la direction générale des finances publiques. La première année, 30 % des contribuables seront dégrevés et l’État se substituera à ces derniers. La réforme montera ensuite en puissance au cours des deux années suivantes. Naturellement, in fine, nous nous fixons comme objectif une réforme de la fiscalité locale et une plus grande prévisibilité des recettes pour les collectivités territoriales.
Quand on a été élu un certain nombre d’années, on sait tous qu’une sorte de faiblesse collective a empêché de faire évoluer les bases cadastrales.
Nous avons assisté à des débuts de réforme avant que tout le monde ne fasse finalement machine arrière en découvrant les évaluations, craignant que l’augmentation massive de certaines taxes d’habitation ne suscite une révolution. Il faut avoir le courage de le dire aussi simplement : les élus avaient peur de se faire battre aux prochaines élections !
Nous devons donc revenir sur cette fiscalité locale et trouver des réponses pour avoir des impôts à la fois pérennes pour les collectivités et équilibrés pour le contribuable. C’est le but de la tâche confiée au sénateur Alain Richard et au préfet honoraire Dominique Bur, ancien directeur général des collectivités territoriales, dans le cadre de la mission préparatoire au pacte financier entre l’État et les collectivités territoriales.
Je précise également que le comité des finances locales, le CFL, travaille aussi dans cette direction.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le centième congrès des maires, qui se tient en ce moment même, se caractérise par une très forte participation des élus, lesquels sont également très nombreux au Sénat.
Ces élus nourrissent de vives inquiétudes : le gouvernement précédent a déjà privé les services publics locaux de 11 milliards d’euros. À présent, nous voilà à l’acte II : une réforme de la taxe d’habitation qui, selon moi, porte directement atteinte à l’autonomie financière des collectivités.
Concrètement, pour les communes de mon département, le Val-de-Marne, qui compte 1,4 million d’habitants, dont certains en grande difficulté, 253 millions d’euros pourraient être gelés à partir de 2020, soit l’équivalent du financement de la construction de 25 écoles ou de 75 crèches publiques… Je vous laisse imaginer les conséquences !
Je vous ai entendue ce matin à la radio, madame la ministre, et je vous crois de bonne foi. Vous avez parlé d’un mécanisme de compensation en faveur des communes pour pallier le manque de recettes, en déclarant que « l’État prendrait la place des 80 % de contribuables exonérés ». Vous avez brillamment expliqué que les 20 % de contribuables toujours assujettis ne paieraient pas pour les autres. Mais, comme les autres élus locaux, je suis moi aussi de bonne foi, et c’est pourquoi j’attends une réponse précise à trois questions.
Tout d’abord, que se passera-t-il en 2021, puis en 2022 et en 2023 ? Comment pallier la perte de recettes due au gel de la compensation ?
Ensuite, qui payera au final ? Vous allez à juste titre me dire que ce sera l’État. Mais, dans l’État, quels sont les contribuables qui vont payer ?
Enfin, n’allons-nous pas connaître avec la taxe d’habitation ce qui s’est passé avec la taxe professionnelle, c’est-à-dire une lente, mais régulière extinction de la compensation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Vous avez parlé des 11 milliards d’euros d’économies passés et des 13 milliards d’euros annoncés par l’actuel gouvernement, monsieur le sénateur. Il ne vous aura toutefois pas échappé que les 11 milliards d’euros étaient prélevés sur la DGF alors que les 13 milliards d’euros d’économies proposés sont un appel à la maîtrise de la dépense publique. Il s’agit, au fond, de faire en sorte que les dépenses des collectivités territoriales soient maîtrisées et ne dépassent pas 1,2 % de progression – ou 1,9 %, comme l’a voté le Sénat.
Il n’y a donc aucune baisse des dotations. La DGF reste stable.
En ce qui concerne la taxe d’habitation, je souhaite revenir sur une question de vocabulaire : ce n’est pas une compensation, mais c’est un dégrèvement. Chaque année, les services fiscaux qui envoient les bases aux collectivités tiendront compte des constructions nouvelles qui ont eu lieu : la dynamique de la taxe d’habitation sera par conséquent conservée et les collectivités pourront voter leur produit attendu et fixer librement leur taux, même si je précise que la prise en charge par le Gouvernement se fera, bien évidemment, au taux de 2017.
Il existe d’ores et déjà des dégrèvements pour la taxe d’habitation. Pendant trois années, l’État prendra la place du contribuable et les collectivités territoriales ne connaîtront pas de « gel de compensation », comme vous l’affirmez, le dégrèvement étant dynamique.
Je le dis avec simplicité, mais fermeté, monsieur le sénateur : vous n’avez pas à craindre une baisse de vos ressources de taxe d’habitation.
Quant à ce qui se passera après la période de trois ans, c’est l’objet de l’étude sur la révision de la fiscalité locale. Nous devrons évidemment prévoir un nouveau système qui permette aux collectivités locales d’obtenir des ressources : taxe d’habitation modulée et réformée, impôt sur les portes et fenêtres – c’est une plaisanterie, mais ce type d’impôt a vraiment existé jadis ! – ou autre mécanisme, je ne sais pas encore.
Nous devons trouver des impôts qui soient compris par nos concitoyens et justes pour les collectivités.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe Union Centriste.
M. Jean-Marie Bockel. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, que vous avez présidée, madame la ministre, va engager dans les prochaines semaines, à la demande du président Larcher et avec le concours de l’ensemble des groupes politiques présents en son sein, un travail sur le statut de l’élu local.
Avec la fin du cumul des mandats, le moment est opportun. Bien évidemment, le sujet fait figure de serpent de mer, mais nous ne partons pas de rien.
Trois textes successifs sont intervenus entre 1992 et 2015 et nous pouvons relever des avancées notables sur différents aspects – régime indemnitaire, droit à la réintégration des maires et adjoints dans leur emploi à l’expiration de leur mandat, droit à la formation…
Lors de la discussion de la loi constitutionnelle de 2008 à l’origine de la modification de l’article 34 de la Constitution, mon ancien collègue Jean-Jacques Hyest affirmait que la loi devait reconnaître un statut de l’élu local parfaitement clair et explicite.
Évidemment, de nombreux sujets sont sur la table. Il convient notamment de distinguer entre les différentes fonctions et les différents moments : l’entrée en responsabilité, l’exercice du mandat, l’après-mandat.
Les comparaisons avec d’autres pays sont intéressantes. En Allemagne, par exemple, un pays que je connais bien en tant que frontalier, il y a une notion de professionnalisme, avec des exigences de diplômes. Faut-il s’en inspirer ou conserver notre principe de liberté d’accès aux fonctions d’élu ? Pour ma part, je pense que ce principe doit être maintenu. Le professionnalisme naît aussi de l’expérience.
Toutes ces questions peuvent être surmontées s’il y a une réelle volonté d’avancer. Toutefois, avant d’engager ce travail, nous aimerions connaître l’état d’esprit du Gouvernement, madame la ministre.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, cher Jean-Marie Bockel, vous m’interrogez sur l’évolution du statut de l’élu.
Comme vous le savez, le Parlement, tout particulièrement le Sénat, a joué un rôle décisif dans la constitution progressive d’un réel statut de l’élu.
Vous avez eu l’amabilité de rappeler que la dernière étape en date était la loi du 31 mars 2015, issue de la proposition de loi que j’avais présentée dans cette assemblée avec Jean-Pierre Sueur. Ce texte a complété ce statut de l’élu en renforçant les garanties en matière d’exercice du mandat et de formation, afin de favoriser la réinsertion professionnelle des élus après la fin de leur mandat.
Le statut de l’élu est toujours perfectible et je sais que nous pouvons compter sur le Sénat pour formuler des propositions. Le président Larcher, à la suite de la Conférence nationale des territoires du 17 juillet dernier, vous a confié une mission de réflexion sur ce sujet.
Nous sommes pleinement ouverts à la discussion et le Président de la République lui-même a estimé que la fin du cumul des mandats était l’une des raisons fondamentales qui permettaient de reposer la question du statut de l’élu.
Moins de parlementaires, mais des élus plus protégés, mieux rémunérés et plus libres de leur action : telle est l’orientation donnée par le Président de la République.
S’agissant des élus locaux, nous avons déjà accompli beaucoup de progrès. Certes, on peut toujours faire mieux.
Quant à la comparaison avec l’Allemagne, elle trouve sa limite dans notre tradition d’élus républicains « bénévoles ». Mais, d’un autre côté, il y a l’enjeu de professionnalisation. C’est un vrai sujet.