M. le président. Il est minuit. Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à zéro heure trente afin de poursuivre l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. En tant que ministre des comptes publics, j’ai sous ma responsabilité le service des douanes. S’il n’est pas le seul à lutter contre le trafic de cigarettes, il joue quand même le rôle le plus essentiel pour combattre ce trafic dont les facteurs sont multiples et qui prend des proportions inquiétantes. Le ministre des comptes publics, vous le savez, a aussi un rapport direct avec les buralistes – M. le sénateur Daudigny a posé la question, d’autres ici s’en intéressent. J’interviens après Mme la ministre des solidarités et de la santé et profiterai de ce propos introductif pour détailler les choses, sans y revenir plus en amont lors de la discussion des amendements.
Aujourd’hui, le Gouvernement est engagé dans la voie d’une augmentation très forte du prix du tabac. Mme la ministre de la santé a expliqué les raisons pour lesquelles cette disposition est extrêmement importante. Certes, le gouvernement précédent a déjà fait des efforts, poursuivant l’action de ses prédécesseurs. Je le rappelle, c’est sous la présidence de Jacques Chirac qu’a été édictée l’interdiction de fumer dans les lieux publics.
Il y a, par ailleurs, des effets de bord. Ainsi, la contrebande permet de pratiquer une forme interdite de vente des cigarettes, laquelle n’a rien à voir avec les réglementations qui autorisent l’achat en toute légalité de cigarettes à l’extérieur de notre pays. Cette contrebande se développe dans des proportions importantes, profitant du développement d’internet, des prix pratiqués et des différences de législation. Et il est évident qu’augmenter le prix du tabac chez les buralistes, qui ont le monopole de la vente du tabac dans notre pays, sans pour autant lutter très fortement contre la contrebande, voire la contrefaçon, c’est effectivement louper quelque chose vis-à-vis des buralistes auxquels nous devons un accompagnement renforcé. C’est aussi louper quelque chose vis-à-vis d’un trafic qui, en dehors de son aspect très juteux, finance aussi le crime organisé et parfois d’autres réseaux (M. Yves Daudigny opine.) bien plus importants qu’un réseau de cigarettes vendues sous le manteau, si j’ose dire. On l’a vu également pour la contrefaçon, parfois les réseaux de contrefaçon peuvent financer des réseaux criminels extrêmement dangereux pour la concorde nationale. Je ne développerai pas davantage ce point.
C’est également laisser prospérer des lieux de délinquance dans nos campagnes et nos villes ; chacun peut malheureusement le constater.
Dans un tout premier temps, je voudrais dire que le projet de loi de finances qui va venir compléter le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit une augmentation des effectifs douaniers. Une augmentation des effectifs à Bercy est assez rare pour que je la souligne. Tout n’est pas affaire d’effectifs, mais c’est aussi une affaire d’effectifs.
J’ai eu à me rendre dans les Pyrénées le week-end dernier. J’accompagnais les douaniers dans leurs contrôles, notamment ceux qu’ils effectuent autour de la principauté d’Andorre. Leur cible dépasse ceux qui cachent dans le coffre de leur voiture quelques paquets supplémentaires de cigarettes. Si ce comportement personnel est bien sûr répréhensible, il ne relève pas de la grosse contrebande et de la contrefaçon.
Les services des douanes ont affaire à des réseaux criminels. Pour quelques dizaines d’euros, ceux-ci paient des malheureux – souvent des sans-papiers – qui chargent des sacs sur leur dos, marchent dans la neige à travers la montagne et parcourent quatorze, quinze, seize, voire vingt kilomètres, évitant les grandes routes où ils risqueraient d’être arrêtés par les douaniers et retrouvent les chemins bien connus par les maquisards espagnols de la guerre civile. Les douaniers luttent avec la plus grande vigueur contre ce genre de trafic. Pour ce faire, les effectifs doivent être au rendez-vous et ils seront renforcés par le projet de loi de finances pour 2018. C’est un premier point que je voulais évoquer devant vous.
Je voudrais aussi signaler que pour lutter contre ces trafics, il est très important de le faire de manière organisée. En effet, derrière ces trafics, il y a des bandes criminelles. Il existe des services de renseignement douaniers, comme TRACFIN. Il existe aussi la DNRED, qui est un service douanier des renseignements extrêmement efficace. Il s’emploie, comme ses homologues du fisc, de la police ou de la gendarmerie, à lutter contre ces réseaux. Nous allons continuer d’agir, notamment grâce à Cyberdouane, un service tout particulier récemment créé.
Il va cibler la vente de cigarettes par la voie d’internet, qui permet parfois de se faire livrer dans des territoires très reculés. En effet, monsieur le sénateur, la contrebande dépasse les territoires frontaliers et atteint des coins aussi peu frontaliers que la Corrèze ou la Creuse ! J’encourage votre commission, si elle le souhaite, à venir visiter Cyberdouane, ce service extrêmement intéressant qui travaille, en liaison avec les services postaux et de distribution des colis, à l’interdiction et à la pénalisation de la vente sur internet. Un accord très important a été passé avec la plupart des livreurs pour que la douane puisse désormais être présente dans ces zones de distribution. Nous allons accélérer le processus.
Vous en conviendrez avec moi, il faut revenir sur la différence de fiscalité entre les États membres de l’Union européenne, voire avec des pays qui sont en dehors de celle-ci – je pense notamment au cas tout particulier de la principauté d’Andorre. Il est bien légitime de constater que, si nous avons progressé en France dans la lutte contre le tabagisme, nous avons été très peu efficaces dans la voie de l’harmonisation fiscale des prix du tabac, créant ainsi de véritables opportunités qui vont en s’aggravant à mesure que nous augmentons le prix du tabac dans notre pays.
Sous l’autorité du Premier ministre, nous partageons trois axes très importants avec Mme la ministre de la santé publique.
Premier axe, si la santé publique est importante en France, elle l’est évidemment tout autant au niveau européen. Il faut que le Parlement européen, la Commission et le Gouvernement fassent prévaloir non pas une harmonisation fiscale qui dépend de l’unanimité des votes à la Commission et est du ressort de la souveraineté des États, mais soulignent ce qui relève du domaine de la santé publique.
Nous voyons que la Commission européenne et le Parlement européen sont très intéressés par les questions de santé publique ; ils sont sensibles aux aspects relatifs à l’alimentation ou aux problèmes provoqués par la pollution, je pense aussi aux difficultés liées aux particules fines ou aux perturbateurs endocriniens. Il n’y a pas de raison qu’ils ne s’intéressent pas également au tabac.
Pour tendre vers une harmonisation, la France réclamera un changement des modalités de vote au sujet de la fiscalité au sein de la Commission, demandant de passer de l’unanimité à la majorité. C’est bien sûr un travail très important que nos parlementaires doivent faire, indépendamment de ce qui se passe sur la traçabilité ; Mme la ministre en a parlé.
J’en viens au deuxième axe, la réglementation, notamment pour les frontières. Nous connaissons cela dans notre région, monsieur le sénateur, c’est aussi le cas dans l’Est, autour des Pyrénées et des Alpes, même s’il y a quelques différences naturelles. Il nous faut réglementer le nombre des cigarettes dans les paquets, intervenir sur les pots à tabac et sur quantité d’autres sujets où sont relevées de très fortes difficultés.
Nous devons agir sur les fabricants qui livrent dans ces pays. Je prends l’exemple assez étonnant de la Principauté d’Andorre. Alors que les fabricants nous disent lutter contre la contrebande, on a du mal à comprendre pourquoi ils livrent en Andorre un nombre de paquets de cigarettes qui dépasse très largement la capacité moyenne de consommation de ceux qui fréquentent les stations de ski de cette jolie principauté dont, vous le savez, le Président de la République est le coprince et dont l’activité tourne en effet autour du tabac que l’on peut y acheter. Je vous rappelle que puisqu’elle n’est pas dans l’Union européenne stricto sensu, on a droit à une cartouche et demie, chiffre qui est largement dépassé au vu du nombre des livraisons. Nous aurons cette action très importante vis-à-vis des fabricants pour que chacun tienne un langage de vérité.
Troisième axe, j’aimerais évoquer le fait que les services de police et de gendarmerie doivent davantage s’intéresser à ce trafic de cigarettes, jugé sans doute assez peu important eu égard aux difficultés rencontrées dans la lutte contre les stupéfiants, le terrorisme et la sécurité publique.
J’en ai parlé à M. le ministre d’État. Un nouveau directeur général de la police nationale a été nommé. Le directeur général des douanes a pris contact avec lui. Désormais, ils se verront tous les quinze jours et travailleront ensemble, en liaison avec le général de gendarmerie investi sur ce dossier important. À travers ce trafic de cigarettes, je l’ai dit, ce sont évidemment d’autres trafics qui sont mis en place.
Je travaillerai avec M. le ministre d’État pour que les douanes élargissent leur champ d’intervention au-delà des frontières et interviennent aussi sur les lieux où l’on sait de source évidente, parce que l’on est un élu local, qu’il s’y pratique des trafics à ciel ouvert. Il y en a à Paris, il y en a bien sûr partout ailleurs. Il faut donner aux douanes des moyens juridiques exceptionnels, à l’instar de ce qui était autorisé dans le cadre de l’état d’urgence, pour intervenir et lutter contre ces trafics.
Une pratique est très inquiétante et elle est constatée à proximité des établissements scolaires : dans des épiceries qui ne font pas la vente de tabac, il arrive que l’on rende la monnaie en cigarettes ou que l’on paie en cigarettes, lesquelles ne sont évidemment pas achetées chez le buraliste. Non seulement cette pratique met fin au monopole de la vente du tabac – si tant est que l’on puisse suivre la production du tabac –, mais en plus, cette démarche est tout à fait inquiétante sur le plan culturel. Nous devons travailler activement pour lutter contre ces trafics, ces habitudes et faire en sorte qu’elles ne deviennent pas culturelles.
C’est un plan extrêmement important. Vous citez des chiffres, mais il est toujours très difficile de connaître avec précision l’étendue de la fraude, la contrefaçon ou la contrebande. On peut imaginer qu’un petit tiers – c’est énorme et tout à fait inacceptable ! – relève de la contrebande. Le Gouvernement, dans le cadre du plan Tabac, fera ces efforts extrêmement importants. Je terminerai ainsi mes visites sur le sol national.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur le cas particulier de la collectivité de Corse, où le taux de cancer est extrêmement élevé. La fiscalité du tabac y est très particulière depuis un certain temps, sinon un temps certain. La recette de cet impôt revient à la collectivité locale. En parallèle, les Corses ont une consommation de tabac très importante, ce qui constitue une difficulté majeure.
Mme la ministre des solidarités et de la santé et moi-même avons alerté les élus corses sur cette question, et le Gouvernement ne reculera évidemment pas sur le travail que nous devons faire auprès de cette collectivité sur des questions de fiscalité ou de retour des recettes. D’ailleurs, lors de notre entrée en fonction, l’un des premiers sujets que le commissaire européen en charge de ces questions a évoqués avec moi était que la France était mise au ban du fait de cette fiscalité toute particulière. Dès lors, comme nous l’avons dit et redit, il faut sans doute trouver un moyen de préserver les recettes fiscales attribuées à la collectivité de Corse sans pour autant baisser les bras sur la question du tabac.
Vous avez par ailleurs évoqué, monsieur Daudigny, l’accompagnement des buralistes. Je voudrais rappeler que les buralistes ne sont pas des tabatiers. Certes, ils vendent du tabac ; ils en ont même le monopole et sont préposés de l’administration. Les buralistes font un métier difficile ; ils se lèvent tôt le matin et se couchent tard le soir, pour reprendre l’expression que nous avons eue à propos des agriculteurs avant-hier. Vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur : les bureaux de tabac sont souvent, dans certains quartiers et villages de France, les derniers lieux de vie et d’animation sociale.
Cela dit, il faut se départir de l’idée selon laquelle les buralistes sont incapables de se transformer. Ils ont su montrer qu’ils en étaient capables, notamment en se diversifiant : aujourd’hui, 50 % des clients qui entrent chez un buraliste ne viennent pas pour le tabac.
Derrière la question des buralistes se pose celle des nombreux articles qu’ils vendent, en particulier la presse, dont le système économique est aussi sans doute à revoir. Les journaux prennent énormément de place dans leur échoppe alors que le retour de bénéfices est pour eux minimal.
On peut aussi mentionner la loterie et les jeux. En tant que ministre des comptes publics, j’ai aussi sous ma responsabilité la Française des jeux, le PMU et toutes ces réjouissances qui plaisent parfois aux Français. Or, à mes yeux, les buralistes ont raison de demander un retour de bénéfice plus important, par exemple, sur la vente des produits de la Française des jeux, même si celle-ci éprouve elle-même des difficultés de transformation et de concurrence non seulement avec les jeux en ligne, mais aussi avec le PMU. C’est une question importante et compliquée, puisque le PMU lui-même doit restructurer une filière hippique qui est bien mal en point. Ajoutons enfin, parmi tous les services que rendent les buralistes, le Compte-Nickel.
Vous pouvez donc constater, mesdames, messieurs les sénateurs, que ces professions doivent se transformer très profondément.
Sur ce point, je voudrais saluer le grand esprit de responsabilité dont ont fait montre les buralistes dans un contexte difficile. Ils ont dû subir des suppressions de commerces, du fait de la désertification rurale et de difficultés économiques générales, mais aussi de leurs difficultés propres. Leur chiffre d’affaires n’est pas toujours en baisse, comme j’ai pu le constater en Ariège le week-end dernier. Certes, il n’y a peut-être pas de hausse naturelle, mais en tout cas il n’y a pas de baisse. Néanmoins, les buralistes ont peur, à raison, d’une transformation qui pourrait être ratée.
À ce titre, vous évoquiez, monsieur Daudigny, la cigarette électronique. Il faut avouer que, si l’État n’a parfois pas fait son travail d’accompagnement des buralistes, parfois ce sont quelques-uns des buralistes qui ont refusé les évolutions. Je rappellerai ainsi qu’ils ont refusé, lorsque l’État le leur a proposé, le monopole de la vente de la cigarette électronique. Alors, aujourd’hui, il ne serait pas raisonnable, à mon sens, de revenir sur cette situation, parce que d’autres commerces se sont créés. On voit bien néanmoins qu’il y a des évolutions techniques, et il est quand même dommage pour la profession de les avoir ratées. Il n’en reste pas moins qu’à certains moments l’État n’a pas été au rendez-vous de leurs demandes : il faut que chacun fasse son examen de conscience.
Nous allons prendre des mesures pour les buralistes. Je l’ai dit à leur congrès, où je me suis rendu. Je vais renégocier le contrat qui les lie avec l’État, contrat que M. Eckert avait signé l’année dernière dans un contexte très différent, avant l’augmentation jusqu’à dix euros du prix du paquet de cigarettes. Ce contrat porte notamment sur l’aide à l’installation, l’accès aux banques et le retour des bénéfices des jeux. Vous n’ignorez pas que la Confédération des buralistes est aussi actionnaire de la Française des jeux : on pourrait imaginer que le partage des recettes s’effectue de la sorte, même si le retour des recettes tel que pratiqué actuellement reste important.
Par ailleurs, le nouveau président de la Confédération des buralistes, qui m’a d’ailleurs accompagné toute une journée lors de mon déplacement en Ariège, et que mon administration a déjà rencontré plus de cinq fois depuis son élection le mois dernier, travaille activement dans un esprit de grande responsabilité. Il n’est pas du tout dans l’idée du Gouvernement de nier cette activité professionnelle très importante et que l’on doit désormais aider à se transformer.
En somme, monsieur le sénateur, je crois que le Gouvernement a pris en considération les demandes des parlementaires, notamment en ce qui concerne la lutte, très importante, contre la contrebande et la contrefaçon. À l’évidence, la contrebande fait, elle aussi, partie du problème de santé publique qui nous occupe ; nos efforts sinon n’auraient que peu de sens. Les douanes ont donc un rôle tout à fait important à jouer. Chacun peut d’ailleurs saluer, sur son territoire, le travail extrêmement important de ces agents, qui concourent également à la lutte contre le terrorisme, pour l’intérêt général.
Outre la lutte contre la contrebande, il nous appartient donc, en conclusion, de mener un accompagnement très fort des buralistes, dont je rappellerai qu’ils sont les seuls à pouvoir vendre du tabac, afin de les aider à transformer leur métier.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 379 rectifié ter est présenté par MM. Requier, Arnell, A. Bertrand et Castelli, Mme Costes et M. Gold.
L’amendement n° 521 est présenté par M. Ravier.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l’amendement n° 379 rectifié ter.
M. Jean-Claude Requier. Avec cet amendement, je vais quelque peu à contre-courant du discours ambiant, pour ne pas dire à contre-fumée ! (Sourires.)
L’article 12 introduit une nouvelle hausse importante des prix du tabac. Si nous ne sommes pas opposés par principe à une hausse, il conviendrait pour autant de ne pas faire de la hausse du tabac un élément que l’on retrouve chaque année dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale !
Deux éléments nous conduisent à proposer la suppression de l’article 12. Tout d’abord, comme la corrélation entre la hausse des prix du tabac et la baisse du nombre de fumeurs n’est pas établie, pourquoi renouveler sans cesse une mesure qui n’a pas prouvé son efficacité ? Ensuite, les hausses successives de ces dernières années ont eu pour conséquence de favoriser l’achat de produits du tabac dans les pays limitrophes, en particulier en Andorre, et d’encourager le marché parallèle.
Nous appelons le Gouvernement à instaurer un moratoire sur les prix du tabac et à diversifier les pistes permettant de lutter contre la consommation excessive de tabac.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour présenter l’amendement n° 521.
M. Stéphane Ravier. Je ne parlerai toujours pas d’immigration (Oh ! sur quelques travées.) : je ne voudrais pas gâcher cette fin de séance. Mais la patience est mère de toutes les vertus : ce sera pour demain !
Les buralistes ont une part active dans le maillage du territoire et dans le commerce de proximité. Sur les 24 000 buralistes en France, qui emploient quelque 100 000 personnes, 43 % exercent dans des communes de moins de 3 500 habitants.
Il s’agit donc d’une activité essentielle à la vie de nos régions et de nos départements. Une hausse du prix du tabac fragilise encore un peu plus l’équilibre précaire de nos territoires, notamment dans nos régions frontalières.
En effet, l’activité des buralistes est déjà gravement menacée par une forte contrebande qui compromet les actions entreprises pour la protection de la santé des Français. Nous savons bien qu’une hausse du prix du tabac profite grandement à cette contrebande que vos frontières passoires, désormais inexistantes, ne sont malheureusement pas en état d’endiguer.
Contrebande et contrefaçon – vous l’avez évoqué vous-même, monsieur le ministre – créent et développent une insécurité sanitaire. Ainsi, votre politique se fait au détriment des buralistes et n’a qu’un effet limité sur la consommation de tabac des Français. En effet, l’expérience ne démontre pas qu’une augmentation de prix soit durablement corrélée à une baisse de la consommation.
Vous évoquiez il y a quelques instants, monsieur le ministre, la vente sous le manteau de paquets de cigarettes de contrebande et de contrefaçon. Je peux vous assurer sans exagération aucune qu’à Marseille, sur la Canebière, qui devrait être un véritable sanctuaire, la vente de paquets de cigarettes de contrebande et de contrefaçon se fait non pas sous le manteau, mais à la vue et au su de tous, et ce à moins de 100 mètres du commissariat central, malgré l’investissement des policiers. Eh bien, ce trafic en plein jour ne cesse toujours pas !
De plus, une fois encore, la hausse du prix du tabac est une mesure fiscale qui va pénaliser les Français et, notamment, les plus modestes d’entre eux. Il est possible d’avoir une politique préventive sans matraquer fiscalement les fumeurs. La Suède, par exemple, a obtenu de bons résultats. Axons donc nos efforts sur la prévention et la pédagogie, en particulier auprès des plus jeunes, et évitons d’étrangler fiscalement les fumeurs et de mettre en péril une profession qui participe activement au lien social de nos territoires !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. J’ai écouté attentivement Mme la ministre et M. le ministre. S’il avait été nécessaire de me convaincre, leurs arguments m’auraient persuadé de la nécessité d’agir si l’on veut faire reculer la consommation du tabac. Les chiffres qui ont été évoqués nous ont permis de mesurer la nocivité de cette consommation.
La commission des affaires sociales est tout aussi convaincue que moi du bien-fondé de la mesure prévue à l’article 12 et nous n’en souhaitons donc absolument pas la suppression. Aussi, la commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Je vous proposerai simplement, monsieur Requier, de retirer cet amendement, car j’espère que nous vous avons convaincu. Si vous déclinez cette offre, l’avis du Gouvernement sur votre amendement, comme sur celui de M. Ravier, sera défavorable.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je voudrais dire quelques mots à M. Ravier, s’il me le permet, en tant qu’élu d’un territoire on ne peut plus frontalier. Sans nier que Marseille est à la frontière de bien des influences et des ouvertures, je peux témoigner d’une époque, dans ma jeune enfance, où les frontières existaient encore. Il était même coutumier, dans ma famille comme dans d’autres, d’aller acheter du chocolat, de l’alcool ou du tabac en Belgique, ou d’aller y jouer. Or, entre Tourcoing et Mouscron, en Belgique, il n’y a ni les Alpes ni les Pyrénées : dix-sept points de passage unissent les deux villes, et il existe même quelques rues où les numéros pairs sont en France et les numéros impairs en Belgique…
Si vous venez dans mon territoire, monsieur le sénateur, vous verrez un quartier, au carrefour de Tourcoing, Menin, Mouscron et Neuville-en-Ferrain, quartier construit voilà plus de soixante ans et nommé le Risquons-Tout. Vous aurez compris que ce nom fait référence aux risques que prenaient les contrebandiers en passant la frontière. Ces activités ne sont pas nouvelles, à l’évidence.
Je vous ai conté cette anecdote, monsieur le sénateur, pour démontrer que votre intervention sonne comme la dénonciation passéiste d’une situation qui ne date pas d’hier.
Vous avez qualifié, à raison, les buralistes de gens courageux. Simplement, je n’ai entendu de votre part aucune proposition de transformation. En effet, même en imaginant que, comme vous le proposez au travers de cet amendement, nous n’augmentions pas le prix du tabac, le problème majeur des buralistes ne sera pas réglé, car des différences de fiscalité déjà très importantes existent entre la France et les pays voisins.
Quant aux faits que vous évoquez, et que je ne nie absolument pas, ce qui se passe à Marseille comme à Toulouse, à Lille, à Paris ou dans toutes les grandes agglomérations, ces faits sont évidemment inacceptables, mais ils existent déjà.
Je constate donc que votre proposition n’en est pas une : vous suggérez simplement de ne rien toucher et de ne rien bouger. Vous le justifiez finalement par un argument très spécieux : selon vous, comme ce sont les Français les plus pauvres qui fument, taxer le tabac revient à les étrangler. Mais cela ne vous gêne pas que ce soient les plus pauvres qui meurent en premier ! C’est bien à l’hôpital de Lens et, plus généralement, dans les hôpitaux des zones les plus défavorisées qu’on traite le plus de cancers du poumon. En fait, ce qui vous intéresse, c’est qu’en attendant de mourir ces gens puissent fumer sans qu’on les étrangle financièrement : avouez que c’est un argument assez étonnant ! (Mme Françoise Gatel rit.)
M. Stéphane Ravier. Ce n’est pas ce que je disais !
M. Gérald Darmanin, ministre. Enfin, je voudrais vous répondre du point de vue de la lutte contre la délinquance, puisque c’est de la délinquance que de vendre, effectivement parfois à ciel ouvert, ces cigarettes de contrebande. Je suis pour ma part favorable – j’espère que nous nous retrouverons sur ce genre de sujets – à l’efficacité de la sanction. Or une sanction efficace, ce n’est manifestement pas ce qui est prévu aujourd’hui dans le code pénal. En effet, lorsque les policiers arrêtent quelqu’un qui vend du tabac de contrebande, sous le manteau ou non, eh bien, ils font autre chose… (M. Stéphane Ravier quitte l’hémicycle.) Il est dommage que vous partiez, monsieur le sénateur : cela vous gêne manifestement que nous parlions de solutions plus efficaces.
M. Stéphane Ravier. Votre remarque est déplacée. Vous devriez me présenter les excuses que vous m’avez demandées il y a quelques instants.
M. Gérald Darmanin, ministre. Non, monsieur, devant la démagogie, il n’y a pas d’excuses à présenter, il n’y a qu’un combat à mener !
M. Stéphane Ravier. Je ne vous souhaite pas le bonsoir !
M. Gérald Darmanin, ministre. Bonne soirée à vous ; je continuerai mon propos malgré tout, même si cela vous embête : je suis sûr que le compte rendu des débats vous donnera la possibilité de les lire.
Une amende, si elle est forte, est sans doute bien plus efficace qu’une peine de prison qui n’est pas appliquée et dont les tribunaux sont très engorgés. Selon moi, une amende extrêmement importante, que pourraient infliger immédiatement les services douaniers, la police ou la gendarmerie, serait bien plus utile pour lutter contre les trafics que M. Ravier, désormais absent, dénonçait. Il n’aura pas eu le temps de rester m’écouter, mais je suis sûr que, de là où il est, il nous entend ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe La République En Marche et sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Monsieur Requier, l’amendement n° 379 rectifié ter est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 379 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 521.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 131 amendements au cours de la journée ; il en reste 299.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.