compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

Secrétaires :

Mme Agnès Canayer,

Mme Annie Guillemot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean Peyrafitte, qui fut sénateur de la Haute-Garonne de 1980 à 1998.

3

 
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2017
Discussion générale (suite)

Projet de loi de finances rectificative pour 2017

Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, de finances rectificative pour 2017. (projet n° 84, rapport n° 85).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2017
Question préalable

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, si nous sommes de nouveau réunis dans votre hémicycle, pour une nouvelle lecture de ce premier projet de loi de finances rectificative, c’est parce que le Sénat n’a pas voté l’article 1er de ce texte en première lecture. Votre commission des finances a décidé, ce matin, de présenter une motion tendant à opposer la question préalable, confirmant ainsi l’opposition de principe du Sénat au projet de loi. Je regrette cette décision, car je pense, pour ma part, n’avoir jamais refusé la discussion.

Je sais qu’il s’agit d’une décision politique difficile. Je sais que nous demandons à nos grandes entreprises, celles dont le chiffre d’affaires dépasse 1 milliard d’euros, un effort important. Mais cet effort est nécessaire, et ce, d’abord, pour garantir la bonne tenue de nos comptes publics.

Il aurait été beaucoup plus facile pour moi de dire : puisque nous n’avons rien à voir avec ces 10 milliards d’euros, imputables à la gestion du gouvernement précédent, laissons faire et intégrons-les au déficit ! Mais ce n’est pas ma conception de ce que doit être la bonne tenue des comptes de la Nation.

Il aurait été beaucoup plus facile pour moi d’aller expliquer à nos partenaires européens que nous ne sommes pas responsables de ces 10 milliards d’euros et que, dès lors, nous laissons filer les déficits et ignorons nos engagements européens. Mais ce n’est pas ma conception de ce que doit être le respect de nos engagements à l’égard de nos partenaires européens et envers la construction européenne.

Je constate que vous avez pris la décision d’annuler cette proposition, mais que personne ne m’a fourni une proposition alternative qui puisse tenir la route.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Si !

M. Jean-François Husson. Les participations d’État !

M. Bruno Le Maire, ministre. Vous assumez donc cette idée d’avoir des déficits plus importants et de ne pas respecter nos engagements européens.

Nous avons une exigence de rendement – 5 milliards d’euros –, une exigence de solidité juridique et, enfin, une exigence comptable, qui consiste à pouvoir imputer ces 5 milliards d’euros sur l’exercice 2017, c’est-à-dire avant le 20 décembre. À tous ceux qui estiment que nous allons trop vite, permettez-moi de leur dire que, si nous n’allons pas à cette vitesse-là, il sera demain trop tard pour imputer ces 5 milliards d’euros sur l’exercice 2017, respecter nos engagements européens et, donc, assurer une bonne tenue des comptes de la Nation.

Monsieur le rapporteur général, je vous suis reconnaissant d’avoir admis que, au regard des exigences comptables, nous devions trouver ces 5 milliards d’euros pour 2017. Vous avez même formulé des propositions alternatives pour atteindre un tel objectif. Je le reconnais bien volontiers, même si nous n’avons pas pu trouver d’accord autour de ces propositions.

Je n’ai rien caché sur les effets de cette contribution exceptionnelle. J’ai toujours indiqué qu’il y aurait des gagnants et des perdants. J’ai toujours procédé avec la plus grande transparence, et je vous informe, mesdames, messieurs les sénateurs, que je transmettrai tous les chiffres relatifs à cette contribution exceptionnelle au Parlement, dans un rapport qui sera fourni en décembre. Des chiffres complémentaires seront apportés quand nous disposerons de l’intégralité des demandes de remboursement, dans le courant du mois de janvier. Je tiens, sur cette affaire, comme pour toute la gestion des comptes publics de la Nation, à ce que le Parlement soit intégralement informé et que la transparence soit de mise dans le cadre de nos discussions. Sans elle, en effet, il ne peut y avoir de débat responsable.

Je tiens à rappeler à ceux qui jugent cette contribution injuste que, ayant un caractère exceptionnel, celle-ci n’a pas vocation à être renouvelée, et elle ne le sera pas !

Je tiens également à rappeler que les grandes orientations du projet de loi de finances pour 2018 et les grandes orientations fiscales du Gouvernement ne sont en rien modifiées : baisser l’impôt sur les sociétés – de 33,3 % à 25 % –, mettre en place un prélèvement forfaitaire unique à 30 % sur les revenus du capital, supprimer l’impôt sur la fortune. Toutes ces décisions fiscales restent inchangées et cette contribution est bien exceptionnelle.

Je tiens enfin à ce que toutes les responsabilités soient établies, s’agissant de cette annulation de la taxe à 3 % sur les dividendes. C’est le sens du rapport que j’ai demandé à l’Inspection générale des finances et qui m’a été remis hier. L’objectif n’est pas de désigner un coupable et de se transformer en procureur. Là encore, il s’agit de faire toute la lumière sur ce qui nous a amenés à devoir rembourser 10 milliards d'euros dans des délais extraordinairement courts.

Ce rapport est à votre disposition. Je vous en recommande la lecture, car il est passionnant, remarquablement écrit et très précis, comprenant, notamment, une chronologie extrêmement fine. Ainsi, il établit que, au moment de la décision sur la taxe à 3 % sur les dividendes, personne n’a perçu la difficulté. Des parlementaires, notamment à l’Assemblée nationale, avaient évoqué des difficultés, mais ils les avaient soulevées sur le fondement du mauvais article de la directive concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, la directive mère-fille. Ils avaient effectivement évoqué son article 5, relatif à la retenue à la source de ce prélèvement, en s’interrogeant sur la légitimité d’une telle retenue, alors même que la Cour de justice de l’Union européenne et la Commission européenne, par la suite, devaient s’intéresser à la conformité de la taxe sur les dividendes avec l’article 4 de cette directive, soit à l’égalité de traitement entre les sociétés au regard de cette taxe.

Donc, il me semble que, en 2012, il était impossible d’établir les responsabilités des uns ou des autres. En revanche, je vous recommande de regarder attentivement les événements de 2015.

Une procédure est engagée par la Commission européenne en février 2015. Une note de la Direction de la législation fiscale alerte sur l’éventualité d’une annulation et les risques importants que celle-ci ferait peser sur les finances publiques françaises. Dès lors, vous pouvez constater une augmentation très marquée des contentieux à la fin de l’année 2015. Les entreprises, tenant compte de la procédure engagée par la Commission européenne et de l’avis de la Direction de la législation fiscale, multiplient les procédures à l’encontre de l’État français.

À partir de 2015, donc, il était clair que cette taxe était contraire au droit européen, que les risques d’annulation étaient réels et la menace pour les finances publiques, considérable.

Le plus important à mes yeux, c’est moins le passé que les leçons que nous pouvons tirer de cet épisode pour l’avenir. En conséquence, j’avance un certain nombre de propositions pour que les failles établies par ce rapport de l’IGF ne perdurent pas.

Nous sommes tous concernés : le Gouvernement, les parlementaires, etc. Il revient à l’ensemble des responsables politiques français d’améliorer les dispositions politiques et institutionnelles concernant la loi fiscale pour garantir à nos compatriotes la sécurité et la stabilité de la législation fiscale. Telles sont, en tout cas, les deux orientations que je fixe : sécurité et stabilité de notre législation fiscale dans les années à venir. À cette fin, je vous soumets trois objectifs.

En premier lieu, je vous propose de renforcer la sécurisation de la procédure d’élaboration de la loi fiscale, car on voit bien, à l’aune de cette affaire, que notre procédure est insatisfaisante, incomplète et insuffisamment rigoureuse. Nous devons prendre le temps de garantir la robustesse juridique des dispositifs votés. Nous devons davantage associer les parties prenantes : les entreprises, les contribuables, le Conseil d’État, la Commission européenne. Il faut davantage les consulter pendant la procédure d’élaboration de la loi fiscale.

En deuxième lieu, je vous propose une plus grande transparence sur les risques de contentieux. Une alerte de la Commission européenne ou de la Cour de justice de l’Union européenne ne doit pas rester confinée au secret au sein de l’administration fiscale ou du Gouvernement. Elle doit être relayée, et je vous propose qu’elle donne lieu à une information de la commission des finances de l’Assemblée nationale et de la commission des finances du Sénat, qui disposeront ainsi de toutes les informations nécessaires sur les risques de contentieux et en tireront les conséquences.

En troisième lieu, je vous propose de remettre à plat le dispositif administratif de suivi du contentieux fiscal, avec une procédure d’alerte plus efficace pour que, quand nous savons que le contentieux peut déboucher, les décisions nécessaires soient prises. Cela n’a pas été le cas pour la taxe à 3 % sur les dividendes.

Je souhaite que nous engagions un travail en ce sens. Je vous propose que Sénat, Assemblée nationale et Gouvernement travaillent ensemble sur le fondement de ces objectifs et des autres propositions formulées par l’IGF pour améliorer l’élaboration de la loi fiscale. J’y attache une très grande importance, car je considère que les événements qui se sont produits une fois, faisant peser une menace sur nos finances publiques et mettant à mal le respect de nos engagements européens, ne doivent pas se reproduire. Or ce n’est qu’en allant au fond du sujet, en traitant les problèmes à la racine que nous remédierons aux failles constatées au niveau de l’élaboration de la loi fiscale française.

Telles sont les propositions que je voulais vous faire aujourd'hui, en profitant de ce débat. Bien évidemment, elles sont ouvertes à discussion, et je souhaite que nous puissions continuer à échanger sur le sujet.

Nous aurons d’autres occasions pour évoquer plus globalement le projet de loi de finances pour 2018, et je défendrai devant vous, la semaine prochaine, la transformation en profondeur de la fiscalité de notre pays, telle que proposée par le Gouvernement. Mais ce n’est pas le sujet du présent débat. Il s’agit ici de tourner la page de cette histoire de taxe, d’arriver à financer le manque à gagner pour l’État et de garantir le respect de nos engagements européens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, demain, le conseil des ministres examinera le « vrai » collectif budgétaire, si je puis dire, celui qui procède traditionnellement aux ajustements nécessaires de fin d’année. Cet après-midi, nous sommes amenés à revenir sur un collectif budgétaire d’urgence – sujet que nous connaissons bien –, sur lequel, comme cela a été dit à l’instant, la commission mixte paritaire n’est pas parvenue à un accord.

Ce texte comptait six articles à l’issue de la discussion en première lecture à l’Assemblée nationale. Le Sénat en a adopté quatre conformes – ce n’était pas les plus importants – et en a modifié deux, ce qui a conduit à l’échec de cette commission mixte paritaire, réunie vendredi dernier. Notre divergence, vous le savez, porte sur l’article 1er du projet de loi, les modifications de l’article 3 – l’autre article n’ayant pas été adopté conforme – n’étant que des conséquences des premières modifications souhaitées. Le Sénat a effectivement refusé la création d’une contribution exceptionnelle et d’une contribution additionnelle de 15 % à l’impôt sur les sociétés touchant les grandes entreprises,…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … c'est-à-dire les entreprises qui enregistrent plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Comme le ministre vient de le redire à l’instant, le Gouvernement justifie cette imposition nouvelle par la nécessité de faire face aux remboursements de la taxe invalidée, sans pour autant compromettre le respect de l’objectif de sortie de la France de la procédure de déficit excessif en 2017.

Le Sénat a bien évidemment examiné l’incidence de cette taxe, qui touche particulièrement certains secteurs : le commerce, les services financiers, notamment les banques mutualistes. Cette incidence a été très largement soulignée lors de nos débats, de même que le message quelque peu contradictoire entre la baisse annoncée du taux de l’impôt sur les sociétés, dans le cadre du projet de loi de finances, et ces surtaxes, certes exceptionnelles. C’est la raison pour laquelle le Sénat les a supprimées.

En nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a souhaité revenir à son texte de première lecture, moyennant une légère correction rédactionnelle à l’article 1er au travers d’un sous-amendement du Gouvernement. Ce sous-amendement supprime, dans le rapport qui sera présenté au Parlement, les mentions d’entreprises « perdantes » et « gagnantes », pour les remplacer par une présentation plus large, à l’échelle de la société ou du groupe de sociétés, des effets de la suppression. Nous disposerons donc, dans quelques semaines ou quelques mois, de l’impact du projet de loi de finances rectificative que nous examinons aujourd'hui. Autrement dit, nous connaîtrons précisément les conséquences de ces mesures fiscales après leur adoption !

Pour être complet, j’ajoute que l’Assemblée nationale a adopté l’article 3 dans sa rédaction issue des travaux de première lecture.

Pourquoi avoir déposé une motion tendant à opposer la question préalable ? Je ne m’étendrai pas sur le sujet, car nous avons déjà eu un long débat et différentes positions se sont exprimées la semaine dernière. Nous sommes manifestement dans l’impossibilité de rapprocher les positions exprimées par l’Assemblée nationale, d’une part, et par le Sénat, d’autre part, ce désaccord ayant été confirmé en commission mixte paritaire.

La commission des finances n’entend pas approuver ou désapprouver la position du Gouvernement ; elle considère que le débat a largement eu lieu, qu’il n’est pas nécessaire d’y revenir et que les positions exprimées par les deux assemblées sont irréconciliables. Cela explique la présentation d’une motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi de finances rectificative. Il me semble que nous partageons tous, sur toutes les travées, une même opinion : il est temps de clore ce débat, qui appartiendra bientôt au passé.

M. le ministre a évoqué les conclusions de l’Inspection générale des finances. Pour ma part, ce n’est pas tant la partie sur le passé qui m’intéresse – le passé, c’est le passé –, ce sont plutôt les propositions qui viennent tout juste d’être formulées. Je souscris notamment à celles qui consistent à mieux anticiper, mieux préparer la loi de finances et mieux informer – je pense tout particulièrement à cette proposition très précise du rapport de l’IGF sur l’information des présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées sur le risque contentieux.

Oui, monsieur le ministre, nous souscrivons à ces propositions, et nous sommes tout à fait prêts à travailler pour une meilleure préparation de la loi et pour éviter, à l’avenir, de se retrouver confrontés à ce type de contentieux. Je citerai ici la taxe à 75 % des hauts revenus, pour laquelle, rappelez-vous, la commission des finances avait alerté le gouvernement de l’époque sur le risque constitutionnel. Nous n’avions pas été entendus !

Nous aurons effectivement à mieux prendre en compte les risques communautaires et constitutionnels à l’avenir.

À cet égard, monsieur le ministre, j’exprimerai une demande. Je le répète, nous souscrivons à ce que vous formulez aujourd'hui comme une bonne intention, mais celle-ci ne doit pas se restreindre aux projets de loi de finances : elle doit aussi concerner les projets de loi de finances rectificative. En effet, l’expérience le prouve, les collectifs budgétaires de fin d’année donnent souvent lieu à la présentation, parfois en séance, très tardivement ou dans la précipitation, d’amendements qui peuvent être techniques et qui, s’ils le sont moins, seront sans doute plus politiques. Il arrive que ceux-ci nous parviennent avec une absence totale ou quasi totale d’expertise juridique. Le Conseil constitutionnel est régulièrement amené à statuer, soit par des questions prioritaires de constitutionnalité, soit par une saisine initiale, et à annuler ces dispositions.

La précipitation et le bricolage fiscal, malheureusement, donnent de mauvais résultats. C’est peut-être l’enseignement que nous pouvons tirer de cette mauvaise passe, afin d’en sortir positivement.

Sans souscrire sur le fond, mes chers collègues, j’espère que vous voterez la motion tendant à opposer la question préalable, afin d’éviter de revenir sur un débat qui, malheureusement, ne nous rapprochera pas des positions adoptées par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les séances se suivent et, hélas, se ressemblent ! La lecture est nouvelle ; le débat l’est moins. C’est de bonne guerre ! N’y voyez pas là le signe d’un spleen baudelairien de l’automne : il s’agit plutôt d’une réelle déception, à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire de vendredi dernier.

Monsieur le rapporteur général, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, nous aurions pu nous mettre d’accord sur ce texte. Vous en avez décidé autrement – en six minutes chrono ! Je le regrette, car le sujet traité ici est grave.

Le Gouvernement a su tirer les conséquences budgétaires de la décision du Conseil constitutionnel rendue le 6 octobre 2017. Pas de dilution, pas de jeu de cache-cache : la sincérité ! Ce collectif budgétaire n’est pas qu’une affaire de chiffres, il est une affaire de souveraineté. La crédibilité budgétaire de notre pays est la condition sine qua non du retour de la France en Europe.

Depuis 2009 – des majorités se sont succédé –, la France est en procédure pour déficit excessif. Avec le texte proposé par le Gouvernement, nous avions une occasion de sortir par le haut de cette épreuve, en sécurisant la trajectoire de nos finances publiques. Vous en avez décidé autrement, chers collègues de la majorité sénatoriale. Vous auriez pu prendre des gants ; vous avez préféré rejeter tout de go la rédaction de l’article 1er, instituant deux contributions exceptionnelles à l’imposition sur les sociétés.

Je ne reviens pas sur le dispositif, mais je rappelle que le Gouvernement s’est efforcé de concentrer ces contributions sur les plus grandes entreprises bénéficiaires, et j’insiste à dessein sur le mot « bénéficiaires ». C’est le principe même de l’impôt sur les sociétés. Il ne faut donc pas dire que l’ensemble des grandes entreprises seront taxées. Comme dans tout dispositif fiscal, il y a des gagnants et des perdants, entre ceux qui seront remboursés au titre de la taxe sur les dividendes et ceux qui devront s’acquitter dans quelques semaines de la contribution exceptionnelle.

M. Gérard Longuet. C’est la loterie !

M. Julien Bargeton. Cela n’est en rien inhabituel, et le Gouvernement – ce rôle incombe d’ailleurs aussi aux parlementaires – veillera aux effets de transfert.

Vous avez donc préféré un texte déséquilibré, qui penche beaucoup, laissant apparaître la dépense de remboursement, sans la recette. Paradoxal pour les thuriféraires des équilibres financiers publics !

Je ne le mentionne pas parce qu’une exposition, que je vous invite à aller voir, est actuellement consacrée à René Goscinny à Paris, mais le texte du Sénat ressemblait d’une certaine manière aux constructions, quelque peu bancales, de Numérobis, l’architecte de Cléopâtre. (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Dallier. N’allez pas jusque-là !

M. Julien Bargeton. Il ne suffit pas de dénoncer les trains en retard, les déraillements à venir : il faut faire en sorte de ne pas laisser les Français sur une voie de garage. Comment qualifier autrement une attitude qui consiste à supprimer un dispositif permettant à notre pays de respecter ses engagements européens ?

M. Gérard Longuet. Ce n’est pas le seul !

M. Julien Bargeton. Comment expliquer à nos concitoyens qu’il est finalement urgent d’attendre ? Comment justifier cette décision devant nos partenaires européens ?

Je ne peux pas croire que vous ne partagiez pas mon jugement, monsieur le rapporteur général. Une impasse budgétaire est une impasse politique ; c’est une impasse démocratique !

Un texte d’urgence n’est pas le véhicule juridique approprié pour revoir les hypothèses de croissance, sauf à vouloir faire passer un chameau par le trou d’une aiguille. Je suis convaincu que nous parviendrons à travailler de nouveau de manière intelligente et constructive, une fois le mois de décembre passé. Vivement décembre, si j’ose dire !

La première partie du projet de loi de finances pour 2018 que nous allons examiner, demain, en commission, comporte des mesures extrêmement positives et attendues en faveur du pouvoir d’achat des ménages et de la compétitivité des entreprises. J’ignore à quoi il faut s’attendre de la part de la majorité sénatoriale, mais j’espère, plutôt qu’un rejet en bloc, une attitude responsable et constructive.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce sera le cas !

M. Julien Bargeton. L’état d’esprit du groupe La République en Marche est d’être résolument tourné vers l’avenir. Nous devons collectivement nous poser la question de savoir comment mieux travailler, nous, parlementaires, vous, représentants du Gouvernement, pour éviter ce genre d’OFNI, d’objet fiscal non identifié.

Je l’avais indiqué jeudi soir, et ma position est constante : je suis favorable à la mise en place de nouveaux outils de contrôle du suivi des contentieux fiscaux au Parlement. C’est d’ailleurs la partie la plus intéressante du rapport de l’IGF qui a été remis sur cette triste histoire : la sécurisation de l’élaboration de la loi fiscale. Nous avons le devoir de veiller à la bonne gestion des deniers publics par le Gouvernement, et cet épisode ne fait que renforcer cette exigence.

Les censures du Conseil constitutionnel ne sont que le reflet de nos insuffisances collectives. Il faut donc s’attacher à mieux prendre le temps de l’évaluation, plutôt que de céder, comme c’est parfois le cas, à l’emballement et à la précipitation.

Monsieur le ministre, vous avez formulé des propositions et, là encore, je ne doute pas de la bonne volonté de la majorité sénatoriale et, plus largement, de tous les groupes pour les examiner avec attention.

En résumé, et sans naïveté aucune, cette nouvelle lecture aurait dû être une invitation à renouer le dialogue. Cela aurait donné une belle image de notre assemblée à nos concitoyens. Nous leur aurions montré que, au-delà de nos parcours et couleurs politiques, nous savons aussi nous rassembler dans les moments difficiles.

La motion tendant à opposer la question préalable est l’ultime illustration de cette attitude d’obstruction, qui n’est pas à la hauteur des enjeux du texte. À défaut de vous convaincre, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, je regrette cette attitude, sans préjuger des débats plus fructueux à l’avenir, notamment sur les sujets de fond abordés par M. le ministre en matière d’élaboration de la loi fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un petit propos trivial pour commencer : j’ai l’impression, avec mon groupe, d’assister à une petite dispute des droites dans cette affaire. Pour deux raisons essentielles, qu’on peut comprendre, de nature politique : premièrement, vous êtes d’accord avec les contraintes posées par le traité voté il y a cinq ans – et vous les appliquez ! – ; deuxièmement, vous votez ensemble, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, la baisse de la dépense publique. Évidemment, je peux comprendre les difficultés qui peuvent survenir après.

M. le ministre nous a parlé des perdants et des gagnants. Je vais me permettre, monsieur le ministre, de vous livrer un exemple, celui d’une entreprise qui, auparavant, rapportait 15 milliards à l’État – et je ne me situe pas dans le passé –, ce qui est tout de même intéressant. Cette entreprise, c’est Orange.

L’opérateur historique du téléphone a, durant l’année 2016, généré un chiffre d’affaires de 23,5 milliards d’euros environ. L’excédent brut d’exploitation de l’entreprise est proche de 4 milliards, et sa politique de distribution de dividendes l’a amenée à accorder près de 1,6 milliard d’euros à ses actionnaires à ce titre. En 2016 – catastrophe ! –, Orange SA a été obligée de payer 200 millions d’euros d’impôt sur les sociétés. En tant que rapporteur spécial de la commission des finances de la mission « Remboursements et dégrèvements », je peux vous dire qu’elle n’a même pas payé ces 200 millions d’euros en fin de compte.

La surtaxe de l’impôt sur les sociétés peut se concevoir, mais elle a quand même quelques défauts et sa portée est limitée : si je fais un calcul, cela fait 0,2 % du PIB – sauf à ce que certains collègues me contredisent.

Vous le voyez, personne n’a le monopole de l’entreprise, et l’on pourrait prendre d’autres exemples. Parlons de l’entreprise, y compris ici, au Sénat, mais en donnant la réalité des chiffres !

Par ailleurs, on nous dit qu’on aurait pu laisser passer le contentieux et laisser se creuser le déficit de l’État. Vous allez me dire que le groupe communiste républicain citoyen et écologiste est irresponsable : il veut laisser se creuser le déficit de l’État ! Or l’État, c’est nous, ce sont les collectivités, ce sont les citoyens. Mais nous avons fait preuve de responsabilité, puisque, à travers nos amendements, tant à l’Assemblée nationale qu’ici, au Sénat, nous sommes allés chercher d’autres recettes – et nous aurions été irresponsables si nous ne l’avions pas fait. On nous répond que ça ne va pas du tout, que c’est la catastrophe. Or je viens de voir que l’Agence France Trésor a émis il y a un mois 4 371 millions d’obligations de moyen terme à taux zéro. Ce n’est quand même pas la grande catastrophe des comptes publics ! Et puis, si l’on voulait s’épargner tous ces désagréments, ne pas avoir à se jeter des mots à la figure, engager de fausses disputes ou inventer de fausses divergences pour masquer les accords, eh bien, il existait un truc très simple, mes chers collègues, qui ne soulevait aucun problème technique ou juridique : il fallait prolonger la majoration de l’impôt de solidarité sur la fortune !