M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.
M. Claude Bérit-Débat. Je soutiens l’amendement n° 59 rectifié bis du groupe socialiste, que j’ai cosigné, notamment, avec Roland Courteau.
Je ne vois pas pourquoi on ferait une exception pour la recherche. Aujourd’hui, le mode de recherche est toujours le même : il s’agit de la fracturation hydraulique.
Dans mon département – j’ai déjà évoqué cette problématique –, trois permis ont été refusés. En ce qui me concerne, s’il était question de faire des recherches par fracturation hydraulique sur des sites protégés pour ce qu’ils représentent sur le plan tant de l’histoire de l’Homme que de la biodiversité, je m’y opposerai très fortement.
Au nom de cette logique, je soutiens cet amendement, qui tend à interdire ce type de recherche, même lorsque l’objectif visé est une meilleure connaissance du sous-sol.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.
M. Roland Courteau. La dérogation prévue par la commission des affaires économiques est certes strictement limitée dans son objet comme dans ses modalités. Néanmoins, même si telle n’est pas votre intention, madame la rapporteur, nous craignons qu’une telle dérogation ne serve de cheval de Troie à ceux qui veulent prolonger l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures au-delà de 2040 et qui continuent de s’intéresser aux hydrocarbures de roche-mère, et que, par le biais de courts-circuits de l’histoire, elle ne soit utilisée à d’autres fins.
Je remarque que, dans le code minier, dont on parle tant, le mot « recherche » signifie « exploration » et qu’un lien y est établi entre exploration et exploitation, d’où notre prudence. Ce n’est pas sur vous que porte ce soupçon, madame la rapporteur, mais bien sur l’éventuelle utilisation de cette dérogation par certaines personnes malintentionnées. J’y insiste, c’est peut-être un cheval de Troie.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 59 rectifié bis et 107.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 16 rectifié, présenté par MM. Gay et Gontard, Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Cohen et Cukierman, M. Foucaud, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Collombat, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 18
Supprimer les mots :
, sauf dans le cas prévu à l’article L. 132-6
II. - Alinéa 20
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Cet amendement vise à supprimer du présent article la mention du « droit de suite » en matière d’exploitation d’hydrocarbures.
Ce fameux droit de suite, consacré par l’article L. 132-6 du code minier, permet au titulaire d’un permis d’exploration, dont la prospection est fructueuse, d’obtenir quasi automatiquement une concession pour exploiter son site, sans mise en concurrence ni autre procédure. Par cette disposition, le titulaire n’est donc pas soumis au dépôt d’un nouveau dossier complet auprès de l’autorité administrative. Dans les faits, ce droit ôte à la population locale toute possibilité de faire valoir son point de vue et à la puissance publique toute maîtrise des conditions d’exploitation du sous-sol.
Cet article du code minier a été rédigé au XIXe siècle et, de manière incompréhensible, n’a pas été modifié depuis lors. Il avait été imaginé à l’époque pour attirer les investisseurs, qui n’avaient alors rien à voir avec les gigantesques multinationales que nous connaissons aujourd’hui.
Se rangeant à l’avis du Conseil d’État, le Gouvernement n’a pas souhaité encadrer ce droit dans la version initiale du projet de loi, ce que je regrette. Plus volontaire, l’Assemblée nationale a obligé le Gouvernement à faire un compromis en inscrivant dans la loi la date butoir de 2040 pour toutes les concessions en cours issues d’un droit de suite, sauf si les industriels prouvent qu’ils n’ont pas rentabilisé leur investissement.
La commission des affaires économiques du Sénat est revenue en arrière en précisant que cette disposition ne s’appliquerait qu’aux permis accordés après le vote de la présente loi. Ainsi, les trente-trois détenteurs actuels de permis de recherches pourront obtenir leur concession comme si de rien n’était. Cette situation va à l’encontre de l’esprit même du présent projet de loi et elle est incompatible avec le respect des engagements de l’Accord de Paris.
Nous proposons donc d’en finir une bonne fois pour toutes avec cette disposition, que ce soit pour les permis de recherches en cours ou pour les permis futurs. Cette restriction est indispensable. Ne nous inquiétons pas d’une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les industriels. Nous considérons en effet que la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle, pourra être opposée à tout recours.
Comme vous l’avez précisé, monsieur le ministre d’État, « le droit de suite règne en maître ». Il est temps d’en finir.
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par Mme Férat, MM. Détraigne et Savary, Mmes Loisier, Sollogoub et Guidez, MM. Médevielle, Cuypers et Laugier, Mme Joissains et MM. Bonnecarrère, Janssens, Kern, D. Dubois et Adnot, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La fin de la recherche et de l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels est valable sous réserve de réciprocité de la fin de la recherche et l’exploitation de ces hydrocarbures par une majorité des États signataires de l’Accord de Paris.
La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Je souhaite revenir sur la notion de réciprocité.
Le présent amendement n’est finalement que l’application législative de l’article 55 de la Constitution, que j’ai précédemment évoqué devant vous.
S’il est important que la France soit le premier pays à prendre des mesures relatives à l’application de l’Accord de Paris sur le climat, je tiens à le redire, elle ne doit pas être la seule à le faire. Afin de ne pas pénaliser la compétitivité de l’économie française et surtout de respecter la hiérarchie des normes en appliquant scrupuleusement notre Constitution, il convient d’adopter cette mesure prévue dans l’Accord de Paris à condition qu’un nombre important d’États signataires de ce traité s’engagent également à renoncer à ces énergies fossiles. Une fois encore, il s’agit tout simplement de respecter notre Constitution.
Monsieur le ministre d’État, puisque ce projet de loi est la continuité du traité sur le climat, intégrons l’ensemble des règles régissant le respect des traités internationaux dans le corpus législatif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. L’amendement n° 16 rectifié vise à supprimer le droit de suite. Il s’agit d’une remise en cause des droits acquis qui, par ailleurs, ouvrirait droit à une indemnisation par l’État dont le montant pourrait être tout à fait considérable. L’avis est donc défavorable.
Pour ce qui concerne l’amendement n° 8 rectifié, sur le fond, je comprends la démarche de Mme Férat : elle souhaite que la France ne soit pas seule à se lancer. Je pense toutefois que cette disposition n’a aucune chance de prospérer dans le texte final. Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. La suppression du droit de suite proposée par les auteurs de l’amendement n° 16 rectifié porterait atteinte de manière disproportionnée aux droits acquis. J’ai tenu, lors de l’élaboration du plan Climat, à garantir celui-ci et à ne pas le fragiliser, compte tenu de l’avis du Conseil d’État. Je ne vous le cache pas, j’aurais souhaité que nous allions plus loin.
Nous ne pouvons pas revenir sur ces droits acquis. L’avis est donc défavorable.
Si nous conditionnons l’arrêt des activités de recherche et de production des hydrocarbures en France à l’application de l’Accord de Paris par les autres États signataires, comme le prévoit l’amendement n° 8 rectifié, nous y serons encore dans longtemps ! Il est contraire à la volonté du Gouvernement d’initier au niveau international une démarche volontariste. Je rejoins sur ce point l’argument développé par Ronan Dantec.
Même si cela est normal, car chacun est dans sa mission, je crois que vous sous-estimez, madame Férat, la difficulté diplomatique à laquelle la France est confrontée, qui relève en partie de mes responsabilités, pour convaincre d’autres États signataires, notamment en Europe, d’être encore plus ambitieux. C’est vrai dans le cadre de la COP23 et dans la perspective de la COP24, qui s’annonce particulièrement délicate. Vous ne pouvez pas imaginer combien cette initiative que nous allons prendre, si tant est que le présent texte garde son sens et son ambition, va nous aider.
On nous reprocherait de ne pas avoir pris cette mesure pour une petite fraction de notre économie, dont l’abandon sera largement compensé par d’autres opportunités. Il ne faut pas sous-estimer cet argument. Je le mentionne, car je l’entends au quotidien dans le cadre de mes responsabilités diplomatiques.
L’avis est donc défavorable sur l’amendement n° 8 rectifié. Une fois n’est pas coutume, nous partageons l’avis de la commission.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Ce qu’a dit Mme la rapporteur est absolument stratégique vis-à-vis de ce qui se passe dans notre pays. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mes chers collègues, remettre en cause des engagements pris auprès d’entreprises ayant investi à une époque où les règles du jeu étaient différentes en les empêchant d’exploiter les résultats de leurs recherches, c’est le meilleur moyen de faire fuir les investisseurs. C’est pourquoi je soutiens la proposition de Mme la rapporteur, qui a été adoptée par la commission. En effet, cette question dépasse largement le problème des hydrocarbures.
Le texte de la commission vise à faire appel à notre sens des responsabilités. On ne peut pas dire que la date butoir proposée par la commission entraîne un effet d’aubaine, puisqu’il est prévu un retour en arrière. C’est un signe fort, qui va bien au-delà de ce qui nous occupe aujourd’hui.
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. La logique du code minier, quel que soit le matériau en cause – or, minerai de fer, charbon, pétrole… –, est d’autoriser la recherche. Si le prospecteur ne trouve rien, il en est pour ses frais. En contrepartie, s’il trouve quelque chose, il bénéficie d’un droit prioritaire pour exploiter ce qu’il a trouvé. Sinon il n’y aurait plus de code minier en France ! Il est totalement irresponsable de dire que l’on va tirer un trait sur toutes les dispositions qui existent !
Cela me fait penser à certains pays arabes qui, à un moment donné, lorsque le prix du pétrole a monté, ont tout remis en cause. On n’en est tout de même pas réduit à fonctionner comme ces États qui, voilà vingt ou trente ans, ont profité de la conjoncture pour renier leur signature et tous les engagements qu’ils avaient pris !
C’est un problème de crédibilité. Si les agents économiques, dans le domaine minier mais aussi ailleurs, ne peuvent plus faire confiance à la parole de l’État, il n’y a plus qu’à mettre la clé sous la porte. De tels amendements sont irresponsables ! Il n’est pas pensable que l’on puisse, dans cette enceinte, proposer quelque chose d’aussi biscornu. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
L’État a pris des engagements conformes au code minier. Il est donc logique de les respecter. Si vous décidez de ne pas le faire, ayez au moins le courage de dire aux gens qu’il va falloir indemniser ceux qui auront été spoliés de manière injuste. On peut faire de la démagogie d’extrême gauche, mais il faut de temps en temps avoir le courage d’en assumer les conséquences.
M. le président. Madame Férat, l’amendement n° 8 rectifié est-il maintenu ?
Mme Françoise Férat. Monsieur le ministre d’État, c’est justement parce que je ne sous-estime pas votre pouvoir de persuasion que je vais maintenir cet amendement. Je pense que vous serez capable de faire entendre la voix de la France aux autres pays et que la possibilité de vous appuyer sur la Constitution sera un « plus » lors de ces échanges.
Madame la rapporteur, espérer est le propre de l’engagement en politique. Je vous avoue que, dans ce domaine, je suis tout à fait au point. (Sourires.)
Encore une fois, monsieur le ministre d’État, il s’agit d’appliquer notre Constitution. Je ne comprends donc pas vos réserves.
Considérant que cet amendement a toute sa légitimité, je le maintiens.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. J’ai cosigné cet amendement, car il est de bon sens.
Vous dites, monsieur le ministre d’État, que « nous y serons encore dans longtemps ! » Pensez-vous réellement que, en montrant l’exemple sur l’extraction de ces 1 % d’hydrocarbures et en n’exigeant pas la réciprocité, nous serons crédibles ? Je pense, pour ma part, qu’on va nous rire au nez ! On nous dira que nous ne prenons pas beaucoup de risque à montrer l’exemple et que la France est plus arrogante que déterminante dans le processus.
Autre incohérence : vous avez dit que les entreprises qui explorent notre sous-sol étaient à 80 % internationales. Cela veut dire qu’elles n’investiront plus en France, mais à l’étranger, pour extraire des hydrocarbures que nous allons acheter, puis importer. Le bilan carbone sera encore plus dénaturé !
La réciprocité permettrait d’avancer dans le dialogue et de rendre ce texte compréhensible sur le terrain. C’est la raison pour laquelle je continue de soutenir cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour explication de vote.
M. Philippe Adnot. Vous avez tous compris lors de la discussion générale que je souhaitais la suppression de l’article 1er du projet de loi. La sagesse aurait en effet voulu qu’on le supprime, puisqu’il est mauvais pour le bilan carbone, mauvais pour notre balance commerciale, mauvais pour l’emploi. Il s’agit donc là d’un amendement a minima.
Monsieur Dantec, penser qu’une mesure visant ces 1 % d’hydrocarbures donnera de la crédibilité à la France, c’est complètement illusoire ! Ce qui nous donnera de la crédibilité, c’est notre capacité à mettre en place les innovations qui nous permettront de produire des énergies renouvelables. Lorsque nous serons capables de faire la démonstration, grâce à ces innovations, que ces énergies renouvelables peuvent remplacer le pétrole, alors, nous serons crédibles. Pour l’instant, c’est illusoire, je le répète.
Je soutiens donc fortement cet amendement, et je vous invite, mes chers collègues, à le voter « a minima ».
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Je m’étais dit que je n’interviendrais pas trop souvent – même si je bous par moments –, mais là, tout de même…
Monsieur Savary, cela a dû être dur de vous élever si vous partiez du principe qu’il ne faut jamais être le premier à faire l’effort : « S’il ne le fait pas, moi je ne le fais pas non plus, nananère… » On a dû ramer !
Par ailleurs, d’où vous vient cette non-croyance en la capacité d’innovation de la France ? Comment peut-on considérer que la France est incapable en vingt ans, en une génération, de répondre au défi énergétique ? Je suis désolé, mais j’ai davantage confiance dans mon pays que vous. Croyez-vous vraiment que, dans vingt ans, en 2040 – si c’était dans trois ou quatre ans, je pourrais comprendre –, la cinquième puissance du monde ne sera pas capable de répondre à ce défi énergétique relatif à ce 1 % de production d’hydrocarbures ? Ce n’est pas sérieux !
Cela soulève la question de la bonne intelligence du monde. Quelques-uns de mes collègues et moi-même avons failli intervenir lorsque nous avons entendu ces mots, qui nous ont fait réagir. Je le redis, c’est la véritable question que soulève ce projet de loi.
Quelle est notre bonne intelligence du monde ? Je veux bien qu’il y ait des enjeux de développement dans vos territoires, et j’intègre parfaitement le fait que ces derniers sont plus concernés que le mien, qui va bien. Mais la bonne intelligence ne concerne pas seulement les habitants d’un territoire : elle porte aussi sur la crise syrienne. Celle-ci est partie d’une sécheresse en Chine qui a provoqué la hausse du prix des matières premières alimentaires sur le marché de Chicago et entraîné les premières émeutes de la faim, lesquelles ont d’abord conduit aux printemps arabes, que nous avons soutenus, avant d’aboutir à la crise syrienne. Cette crise a été amplifiée par les sécheresses, particulièrement par les sécheresses à répétition – Al Gore en parle souvent – qui ont conduit les paysans syriens dans les villes.
La bonne intelligence consiste peut-être alors en une autre solution : garder ses puits de pétrole et accepter un certain nombre de familles syriennes chez soi. C’est effectivement une forme de bonne intelligence dont on pourrait discuter. Mais il est préférable de vivre en bonne intelligence avec le monde entier que de penser qu’on peut le faire seulement sur son territoire, sans penser au reste du monde. (M. Joël Labbé applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. L’argument avancé par la commission pour justifier le rejet de cet amendement me laisse quelque peu dubitatif. Il n’est pas dit que l’amendement n’est pas bon, mais qu’il vaut mieux ne pas le voter parce qu’il risque de ne pas être adopté dans le texte final… Selon moi, le fait que cet amendement ne serait éventuellement pas suivi par l’Assemblée nationale ne constitue pas une justification. Il n’est pas du tout logique de se dire que nous ne votons pas un amendement parce qu’il n’a aucune chance d’aboutir !
Il ne me paraît pas inintéressant d’essayer de valoriser cette idée de réciprocité, même si elle ne chemine pas jusqu’à son terme, de la faire avancer. À entendre certaines personnes, la France pourrait donner des leçons au reste du monde. Mais avons-nous la taille suffisante pour donner l’exemple partout, nous sacrifier et être en première ligne quand les autres font exactement le contraire ? Je crois que l’idée d’une certaine réciprocité – on pourrait même la limiter à l’Union européenne, par exemple – ne serait pas aberrante et nous permettrait peut-être d’avancer.
Même si certains pensent que l’Assemblée nationale ne cautionnera pas cette vision, il ne faut pas céder, sinon le Sénat ne sert plus à rien ! Si l’on renonçait à faire tout ce que l’Assemblée nationale n’acceptera pas, simplement pour lui faire plaisir, alors on ne fera plus rien !
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Je veux répéter à Mme Férat ce que j’ai dit, me semble-t-il, en commission : sur le fond, nous comprenons tout à fait son amendement, qui est sans doute légitime. Mais la commission a travaillé à trouver un équilibre entre le texte proposé par le Gouvernement, sur lequel nous n’étions pas d’accord au fond, et les dérogations que nous avons apportées et que nous essayons de préserver. Ce sera justement la marque de fabrique de notre maison.
J’y insiste, si la commission a demandé le retrait de cet amendement ou y sera, à défaut, défavorable, c’est bien pour les raisons que je viens d’indiquer.
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Nicolas Hulot, ministre d’État. J’entends bien ce que vous dites : notre décision va prêter à sourire si nous pensons donner des leçons en nous affranchissant simplement des 1 % d’hydrocarbures que nous produisons sur notre territoire. Vous pourriez aussi inverser le raisonnement : si nous ne sommes même pas capables de le faire, que pourrons-nous faire ? Encore une fois, il faut relier cet objectif à tous les autres, car on évoque ce sujet comme s’il était isolé, que cette mesure constituait notre seule contribution et que nous n’avions pas d’autres plans d’action ou d’autres mesures.
D’abord, la France n’a pas vraiment de raison de donner des leçons – ça, c’est sûr ! –, notamment au moment où une grande partie du monde subit les conséquences d’un phénomène qu’elle n’a pas provoqué et qui est la conséquence d’un mode de développement dont elle n’a pas profité. Notre pays, pas plus que les autres, n’est donc en situation de donner des leçons. Il s’agit plutôt de remplir notre devoir d’humanité au regard des conséquences que nous infligeons aux uns et aux autres, y compris aux populations les plus vulnérables de notre propre territoire.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Nicolas Hulot, ministre d’État. L’idée est donc simplement d’essayer de donner l’exemple, mais, vous pouvez me croire, d’autres pays, dont certains que l’on ne soupçonne pas, comme l’Inde ou la Chine, n’ont pas nos états d’âme : ils y vont à fond et rafleront toutes les opportunités économiques de la transition énergétique.
Je dis seulement qu’il y a un avantage économique à se fixer des horizons à long terme, avec évidemment des points d’étape. Pardon de me répéter, mais nous avons beaucoup plus à gagner, y compris sur le plan économique, à essayer, à un moment ou à un autre, d’aligner les indicateurs et les objectifs.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 18 rectifié, présenté par MM. Gay et Gontard, Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Cohen et Cukierman, M. Foucaud, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Collombat, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Supprimer les mots :
pour une durée dont l’échéance excède le 1er janvier 2040
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Cet amendement, qui s’inscrit dans la philosophie du projet de loi, a pour objet de renforcer l’ambition et l’efficacité de celui-ci. Ainsi, le texte vise à parvenir à la fin de l’exploitation des hydrocarbures à l’horizon de 2040. Pour ce faire, il prévoit l’arrêt de toutes les concessions en cours à cette date.
Dans la réalité, les concessions dont l’échéance est plus tardive que 2040 pourront continuer leurs activités, puisque la loi n’est pas rétroactive. De plus, il existe une exception introduite par le texte pour les concessions qui n’auraient pas atteint leur « rémunération normale » en 2040, disposition que nous proposerons de supprimer au travers d’un prochain amendement.
Alors qu’existent déjà ces exceptions qui fragilisent cette date butoir, curieusement, le projet de loi laisse la possibilité de prolonger toutes les concessions en cours dont l’échéance arrive à terme avant 2040 jusqu’à cette date. Il va sans dire que cette disposition sera utilisée par tous les titulaires desdites concessions, ou presque, pour continuer leur activité économique jusqu’à la dernière minute. Dans une optique de transition énergétique efficiente, il nous paraît opportun que le texte prévoie plutôt, comme cela était envisagé initialement, que les concessions actuelles ne pourraient être prolongées au-delà de leur échéance, et ce dès la publication de la présente loi.
Personne ne demande un arrêt immédiat de toutes les concessions, comme fait semblant de le croire le Conseil d’État dans son avis ; il s’agit simplement de rendre impossible la prolongation des concessions qui arriveront à leur terme. Cette disposition permettrait un arrêt progressif entre 2018 et 2050, plutôt qu’un arrêt brutal des extractions d’hydrocarbures dans notre pays, tout en respectant les engagements contractés par l’État. Pour les chefs d’entreprise et leurs salariés, cela offrirait une visibilité accrue quant à l’échéance au-delà de laquelle ils devront avoir entamé une nécessaire transition.
Nous rappelons une nouvelle fois qu’il est indispensable d’extraire et de consommer moins de 20 % des énergies carbonées encore présentes dans les sous-sols de la Terre pour parvenir à l’objectif de l’Accord de Paris. Pourquoi ne pas commencer dès à présent avec cette mesure de bon sens ?
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme Férat, MM. Détraigne et Savary, Mmes Loisier, Sollogoub et Guidez, MM. Médevielle, Cuypers et Laugier, Mme Joissains et MM. Bonnecarrère, Janssens, Kern, D. Dubois et Adnot, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Remplacer l’année :
2040
par l’année :
2050
La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Cet amendement vise à reporter l’échéance maximale à 2050.
Monsieur le ministre d’État, je ne réitérerai pas les propos que j’ai tenus lors de la discussion générale, mais, en réalité, si votre projet de loi ne tend pas à supprimer l’utilisation des énergies fossiles, il prévoit la fin du « produire en France ». Si vous aviez rédigé le texte pour interdire la vente d’hydrocarbures à des fins énergétiques sur le territoire français à partir du 1er janvier 2040, cela aurait eu un sens en matière de bilan carbone. Mais ce n’est pas le cas.
J’aurais aimé que vous m’apportiez quelques précisions. Si j’ai bien compris, le texte tend à autoriser le dépassement de l’échéance de 2040 si le titulaire de la concession démontre que cette limitation ne lui permet pas de couvrir ses coûts de recherche et d’exploitation. Si ce n’est pas cela, alors je souhaite bon courage à ces entreprises !
Par ailleurs, je voudrais soulever une question très importante à laquelle je n’ai pas trouvé de réponse dans ce texte : dans le cas où un accord initial de concession dépasserait la date de 2040 – je parle bien d’un accord écrit, validé et signé –, honorerez-vous les engagements de l’État ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. L’amendement n° 18 rectifié vise à supprimer la possibilité de prolonger une concession existante dès la promulgation de la loi. Cette mesure reviendrait sur les effets légitimement attendus de la possession d’un titre en cours de validité et pourrait dès lors ouvrir la possibilité d’une indemnisation. L’avis est donc défavorable.
Quant à l’amendement de Mme Férat, il repose sur des arguments similaires, mais non identiques, à ceux qui sous-tendent la proposition de réciprocité. Un certain nombre de concessions s’achèveront à des dates ultérieures à 2040 en raison de leur durée – la plus lointaine en 2054. C’est la raison pour laquelle la commission a demandé le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.