compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaire :
M. Dominique de Legge.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mardi 31 octobre 2017 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Remplacement d’une sénatrice nommée au Gouvernement
M. le président. Conformément à l’article 32 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, a fait connaître que, en application de l’article L.O. 319 du code électoral, M. Jean-Paul Prince a remplacé, en qualité de sénateur de Loir-et-Cher, Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Le mandat de notre collègue a débuté le vendredi 3 novembre dernier, à zéro heure.
3
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, lors du scrutin n° 4 du 31 octobre 2017, portant sur l’ensemble de la proposition de loi tendant à soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans la mission d’accueil des gens du voyage, Mmes Nathalie Delattre et Véronique Guillotin, MM. Stéphane Artano et Franck Menonville ont été déclarés comme ayant voté contre, alors qu’ils souhaitaient voter pour.
Par ailleurs, Mme Josiane Costes et moi-même souhaitions nous abstenir.
Ce sont, monsieur le président, de petits réglages de début de session… (Sourires.)
M. le président. Acte est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
5
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur du Sénat, une délégation de cinq parlementaires de l’Assemblée fédérale suisse, conduite par M. Fathi Derder, conseiller national. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, se lèvent.) Cette délégation est accompagnée par notre collègue Cyril Pellevat.
La délégation est en France pour une visite d’étude, centrée autour de trois thèmes : les liaisons, en particulier ferroviaires, entre la France et la Suisse,…
Mme Élisabeth Lamure. C’est un sujet, en effet.
M. le président. … l’innovation, dans la perspective d’un renforcement de la coopération dans les domaines de la science, de la recherche et des transferts technologiques et, enfin, les conséquences du nouveau découpage des régions sur les relations avec la Suisse.
La délégation s’est ainsi rendue hier après-midi au siège de la SNCF, à la Plaine Saint-Denis. Au Sénat, elle s’est entretenue avec les membres du groupe interparlementaire d’amitié France-Suisse et avec notre collègue Daniel Dubois, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, sur les crédits de la recherche.
Le Sénat français entretient d’excellentes relations de confiance et d’amitié avec l’Assemblée fédérale suisse, qu’illustre l’organisation l’an passé, au Palais du Luxembourg, d’un grand colloque sur le cinq-centième anniversaire du Traité de Fribourg instaurant la « paix perpétuelle » entre la France et la Suisse.
Mes chers collègues, permettez-moi de souhaiter, en votre nom à tous, à nos homologues du Parlement suisse la plus cordiale bienvenue, ainsi qu’un excellent et fructueux séjour. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent.)
6
Fin de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement (projet n° 21, texte de la commission n° 43, rapport n° 42, avis n° 46).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d’État.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, madame le rapporteur de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur de la commission du développement durable, saisie pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, chers amis, le projet de loi mettant fin à la recherche ainsi que, à terme, à l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels, selon l’expression consacrée, et portant diverses dispositions relatives à l’énergie est l’une des pierres angulaires de la stratégie de la France pour lutter contre le changement climatique.
Cela n’est pas un tout ni un aboutissement, c’est un axe qui doit guider, orienter nos politiques publiques dans les décennies à venir.
Il y a quelques jours, vous ne l’ignorez pas, le programme des Nations unies pour l’environnement a publié, comme par un fait exprès, un nouveau rapport ; malheureusement les rapports se succèdent et se confirment les uns les autres, ce qui fait que nous entrons dans une sorte d’accoutumance aux mauvaises nouvelles. Ce rapport indique que, sans ambitions supplémentaires de la communauté internationale – non pas seulement de notre pays, qui est plutôt en pointe sur ce sujet – par rapport aux engagements pris dans l’Accord de Paris, les chances de rester en deçà d’une augmentation de 2 °C sont proches de zéro.
Aussi je crains que, après avoir été victimes pendant des décennies d’une forme de scepticisme, nous basculions petit à petit, de manière indolente, dans une sorte de fatalisme. Pourtant, paradoxalement, nous ne pouvons pas être plus informés que nous ne le sommes sur les conséquences irréversibles d’un phénomène qui peut lui-même devenir irréversible ; mais la fenêtre d’opportunité dont l’Humanité, dans sa grande diversité, peut bénéficier pour empêcher cette irréversibilité est, c’est vrai, de plus en plus étroite…
Aujourd'hui encore, comme on l’a fait de tout temps, on me dit : « À quoi bon ? », « Pourquoi le faire tout seul ? », « On en fait trop… », « On n’en fait pas assez… », « Cela ne sert à rien… » ; mais, d’ajournement en résignation, de résignation en renoncement, nous sommes arrivés à un moment déterminant. Et ce texte nous permet de prendre notre part dans le rehaussement de nos ambitions ; j’espère, et même je ne doute pas, que, s’il est voté, si cette ambition est confirmée, elle fera contagion.
Voilà quelques jours, j’ai fait un aller-retour aux Fidji, non pas pour mon plaisir personnel, mais pour affirmer notre solidarité vis-à-vis des pays qui constatent clairement la menace et les conséquences des changements climatiques, même si nous ne sommes pas nous-mêmes épargnés. Je voulais simplement leur dire, dans la perspective de la COP23, qui a débuté cette semaine à Bonn, que la France est à leurs côtés, aux côtés de tous ceux qui subissent sans les avoir forcément provoquées les conséquences des changements climatiques.
C’est dans ce cadre, dans cet esprit, face à cet enjeu, auquel on risque de s’accoutumer, que ce projet de loi s’inscrit.
Peut-être aurez-vous à cœur de me dire, dans les discussions qui vont suivre, que ce texte seul ne suffit pas. Oui, ce projet de loi seul ne suffit pas, il vient se greffer sur d’autres dispositions.
La France a été incontestablement leader dans le partage du diagnostic et dans la prise de conscience ; il faut lui reconnaître que, dans l’Accord de Paris, qui tient presque du miracle diplomatique, elle a permis l’établissement de cette feuille de route ; mais une feuille de route ne vaut pas succès et nous entrons maintenant dans la mise en œuvre. Là aussi, nous devons être exemplaires.
Le principe même de l’Accord de Paris est de créer une dynamique irréversible, de nous mettre en mesure de faire collectivement et individuellement toujours plus, jusqu’à ce que nous retrouvions la trajectoire qui maintient le réchauffement en dessous de 2°C. Cette cible n’est pas un totem, les scientifiques, ainsi que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international eux-mêmes, affirment que, au-delà de cette limite, nous perdrons la main sur notre propre destin.
Ainsi, avec ce projet de loi, nous sommes, on peut le dire – les mots ont un sens –, à un carrefour de civilisation. Dit autrement, soit nous laissons l’avenir décider à notre place, soit nous nous mettons en situation, au travers de ce texte et de bien d’autres instruments qui en compléteront le dispositif, de décider nous-mêmes ce que nous voulons faire de l’avenir.
En rédigeant cette intervention, je pensais à cette phrase de Jean Monnet selon laquelle « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». Nous sommes déjà dans la crise climatique, qui a frappé durement, ai-je besoin de le rappeler ?, les Caraïbes, où s’est rendu le Premier ministre – il nous en a fait un compte rendu il y a quelques instants en conseil des ministres –, et qui ne cessera hélas de nous rappeler à l’ordre. La démonstration qui en a été faite à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, qui nous a probablement plus touchés en raison de notre proximité géographique, citoyenne et culturelle, n’est qu’un sinistre échantillon de ce qui risque de se répéter dans un avenir proche.
La tentation, face à la complexité de l’effort, que je ne sous-estime pas, serait de céder à la résignation, et c’est à cette tentation que je souhaite que nous essayions ensemble de renoncer, au-delà de nos divergences et de nos différences.
C’est en tout cas le choix du Gouvernement, et la France confirmera avec ce texte son souhait d’entrer dans l’ère de l’après-pétrole, de l’après-énergies fossiles, en devenant l’un des premiers pays à bannir de l’ensemble de son territoire la recherche de nouveaux gisements d’hydrocarbures, et à en limiter l’exploitation jusqu’à l’horizon 2040 ; notre pays aura ainsi définitivement renoncé à l’exploration d’hydrocarbures.
Pourquoi est-ce que j’insiste sur ce point ? Parce que, si l’on veut engager dans cette transition nos concitoyens, les acteurs économiques et les responsables, il faut faire preuve de cohérence. Je m’aperçois, je le dis sans procès d’intention, que, si tout le monde partage l’inquiétude et la volonté d’agir contre le changement climatique, je ne rencontre pas la même adhésion quand il s’agit d’entrer dans une dimension plus opérationnelle. Autrement dit, on est pour lutter contre les changements climatiques, mais on est parfois contre ce que cela implique.
Que nous disent les scientifiques, résumant ainsi l’équation assez lourde mais qui, bien appréhendée, peut faire d’une contrainte une opportunité ? Ils affirment que, pour avoir une chance de gagner la bataille climatique, une chance de ne pas entrer dans ce phénomène irréversible, nous devons renoncer volontairement à exploiter 70 % à 80 % des réserves d’énergies fossiles que nous avons, facilement accessibles, sous nos pieds.
Difficile de renoncer volontairement à une telle aubaine, tant nos sociétés ont été inféodées, associées aux énergies fossiles, et même dopées et aliénées par elles depuis cent cinquante ans. Mais si les énergies fossiles ont représenté, en partie, la solution, nous découvrons brutalement qu’elles seraient en passe de devenir plutôt le problème.
Cela dit, plus tôt nous nous mettrons en mesure d’organiser, de planifier, de projeter cette sortie des énergies fossiles, plus facile sera la transition et plus nous en tirerons, selon moi, les avantages économiques. Gardons-le à l’esprit, la transition énergétique, justifiée notamment par l’impératif climatique, est à l’œuvre, elle est partie. À quel rythme ? Qui sera dans les wagons de tête ? Qui sera dans les wagons de queue ? Telles sont en fait les seules questions qui se posent.
Pour être fidèles à l’Accord de Paris, nous devons atteindre aussi vite que possible, au milieu de ce siècle, la neutralité carbone, soit le fait de ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que ce que les écosystèmes ont la capacité naturelle d’absorber.
Nous devons donc entrer, pardonnez-moi l’expression, dans une sorte de cure de désintoxication, et nous libérer progressivement mais irrévocablement de notre dépendance aux énergies fossiles.
Avec l’adoption du plan Climat, la France a déjà fait sien l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Vous le savez, ce plan décline un certain nombre de moyens et d’actions permettant de réduire notre dépendance aux énergies fossiles.
Je me permets au passage une petite réflexion supplémentaire. Si l’impératif climatique ne nous précipitait pas dès maintenant dans l’obligation de sortir des énergies fossiles, nous aurions été de toute façon invités, à terme, à nous préparer à l’après-pétrole, à l’après-énergies fossiles, ne serait-ce que par l’épuisement naturel des ressources. Mais il est d’autres bénéfices à la sortie des énergies fossiles ; ainsi, j’essaierai de vous démontrer que cette contrainte, qui alourdit un peu le fardeau de nos sociétés, constitue aussi, certains d’entre vous en sont peut-être déjà convaincus, une opportunité qui tombe à pic.
D’abord, une dirigeante de l’Organisation mondiale de la santé l’a elle-même indiqué à plusieurs reprises, lutter contre les changements climatiques est aussi un agenda de santé publique. C’est d’ailleurs par ce biais que la Chine est entrée dans cette dynamique, en raison de la pollution et de ses conséquences sociales et sanitaires.
En outre, en nous affranchissant progressivement des énergies fossiles, si nous y arrivons, j’ai le sentiment que la France se libérera aussi de dépendances que nous avons vis-à-vis d’un certain nombre de puissances. C’est une raison supplémentaire pour produire à terme notre énergie à l’intérieur de nos frontières, grâce notamment aux énergies renouvelables ; cette indépendance énergétique, cette perspective de souveraineté, est un argument supplémentaire qui s’ajoute à l’enjeu climatique.
Pour réduire notre consommation, je propose un certain nombre de mesures. La première consiste à mettre fin à la production d’électricité à base de charbon d’ici à 2022,…
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission des affaires économiques. D’accord !
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ça…
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. … tout en proposant aux territoires et aux salariés concernés, dans ce domaine comme dans d’autres, des contrats de transition permettant d’offrir à tous des solutions de reconversion ; c’est une condition du succès de la transition.
J’observe que, depuis que nous avons pris cet engagement, d’autres pays – le Canada, le Royaume-Uni – se sont engagés dans la même direction. C’est important, car on me demande souvent pourquoi nous faisons les choses tout seuls. D’une part, chacun a sa stratégie – nous ne sommes pas les seuls à avoir pris des engagements à Paris et, pendant que nous bâtissons notre stratégie, d’autres définissent la leur – et, d’autre part, nous pouvons parfois donner l’exemple. Nous savons aussi que, depuis peu, l’Allemagne elle-même y réfléchit.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Il faut qu’elle réfléchisse vite…
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. Pour réduire notre consommation d’énergie, j’ai aussi proposé une série de mesures qui concernent directement les Français, pour les accompagner, car, oui, il faut être socialement aussi juste que possible dans cette transition, et mêler incitation et dissuasion pour ne mettre personne dans une impasse. Les dispositifs que j’ai définis dans le plan Climat ciblent en priorité les ménages les plus modestes, pour les inciter à sortir de leur dépendance aux énergies fossiles.
Le projet de loi de finances pour 2018 contient des mesures, dans ce que l’on a appelé « le paquet de solidarité climatique ». Il s’agit, sans entrer dans le détail, de la prime à la conversion pour acquérir des véhicules moins polluants, même d’occasion – cette prime pourra atteindre 3 000 euros pour les ménages modestes, voire 6 000 euros s’il s’agit d’un véhicule électrique –, ou pour changer de chaudière et passer du fioul aux énergies renouvelables, ainsi que de crédits d’impôt, qui seront bientôt transformés en primes. Bref, s’il n’y a pas une exigence sociale dans l’ensemble de notre stratégie, nous ferons face à un certain nombre de résistances justifiées ; ce souci d’équité ne doit en aucun cas nous échapper.
C’est à cette condition que nos politiques publiques seront en cohérence avec la loi de transition énergétique, qui prévoit, je le rappelle, d’atteindre 32 % d’énergies renouvelables en 2030 et de réduire de 30 % notre consommation d’énergies fossiles à la même date – j’y insiste, sinon, on ne comprend pas la pertinence du texte sur lequel je vous propose de débattre. Tous ces objectifs sont conformes à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, que le Parlement a adoptée, je le rappelle, en 2015.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Nous l’avons même enrichie.
M. Nicolas Hulot, ministre d'État. C’est dans le même esprit que nous avons annoncé la fin, d’ici à 2040, de la vente des véhicules émettant des gaz à effet de serre, avec, disons-le, un soutien assez spontané et rapide, dès lors que les règles du jeu ne changent pas, des constructeurs automobiles, qui y voient une chance unique de rupture technologique et d’innovation.
Là aussi, force est de constater qu’une dynamique internationale s’est créée très rapidement : la Norvège, le Royaume-Uni, l’Inde, la Chine se sont dotés dans la foulée d’objectifs ambitieux en matière de véhicules électriques ou de fin de production de véhicules émettant des gaz à effet de serre, avec parfois des calendriers plus serrés que le nôtre. J’ai écrit au commissaire européen chargé des transports pour l’encourager à adopter une réglementation plus ambitieuse pour l’Union en 2025 et en 2030.
C’est bien cet état d’esprit qui doit prévaloir, celui d’une France qui montre la voie et qui entraîne ses partenaires sur la voie de l’ambition. Je sais que l’on m’objectera, comme on l’a fait à l’Assemblée nationale, l’argument du « à quoi bon » : à quoi bon placer la France seule dans cette situation, qui peut paraître pénalisante dans un premier temps ?
D’abord, je ne pense pas qu’elle soit pénalisante, car elle nous permettra de nous mettre le plus rapidement possible en ordre de marche pour bénéficier des opportunités de cette transition énergétique. Ensuite, je ne peux pas me priver du plaisir de partager un mot d’un homme qui a siégé ici, bien avant vous. Victor Hugo disait ainsi : « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue. » J’espère qu’il en ira de même avec ces objectifs.
Ce projet de loi s’inscrit donc dans une logique d’ensemble qui vise à nous redonner, c’est très important, notre liberté de choix en matière de politique énergétique. Cette logique d’ensemble s’appuie sur deux piliers. Le premier consiste à réduire la consommation d’énergies fossiles, c’est la clef de notre indépendance. Le second consiste à construire la sortie progressive de la production de ces énergies ; c’est le sens de ce projet de loi.
Les énergies fossiles sont au cœur de notre économie, mais aussi, il faut le souligner, de la géopolitique mondiale. Notre dépendance aux hydrocarbures nous place aussi dans une situation de dépendance vis-à-vis des pays producteurs. En nous libérant des hydrocarbures, j’espère que nous nous libérerons de ce lien, qui ne nous donne pas toujours une liberté de parole ou d’action.
Cette dépendance est d'abord économique, puisque, chaque année, nous dépensons plus de 50 milliards d’euros pour acheter du gaz et du pétrole, un somme qu’il serait plus judicieux d’injecter dans notre économie plutôt que de la dépenser à l’extérieur de notre pays !
Mais cette dépendance est aussi géopolitique, parce que, comme la plupart des ressources naturelles, les énergies fossiles ne sont jamais très éloignées des sources de conflits auxquels nous avons assisté depuis la Seconde Guerre mondiale. J’ai tendance à penser que, en nous libérant de cette dépendance, nous nous soustrairons à autant de sources de conflits à venir.
C’est pourquoi je considère ce projet de loi comme un pilier d’une stratégie beaucoup plus globale, qui vise à rendre la France indépendante et autonome sur le plan énergétique. Cet objectif fait sens. Il est ambitieux, mais réaliste.
C’est le sens de la transition énergétique que le pays a entamée avant que j’accède à mes responsabilités et que j’espère accélérer sous ce gouvernement. Cette transition doit nous emmener vers une France peut-être pas exclusivement – l’avenir le dira –, mais majoritairement tournée vers les énergies renouvelables, dont on observe, contrairement à toutes les prédictions, qu’elles deviennent économiquement totalement envisageables, ce que je n’aurais pu affirmer de manière aussi nette voilà encore quelques années.
C’est dans ce cadre que je présenterai, dans les mois qui viennent, ce que j’ai appelé, pour une meilleure compréhension, un green New Deal – vous me pardonnerez, mesdames, messieurs les sénateurs, cette petite entorse à la langue française. Celui-ci doit viser à faire de notre pays un pionnier des énergies propres, dans le domaine du stockage, mais aussi dans celui de l’hydrogène. Nos petites, moyennes et grandes entreprises et nos industries couvrant l’ensemble de ces domaines, je suis intimement convaincu que nous pouvons également créer de nombreux emplois à l’occasion de cette transition.
J’en viens à un autre point important : avec ce projet de loi, le Gouvernement vous propose tout simplement d’aligner enfin notre droit avec nos objectifs de lutte contre le changement climatique, dans un souci de cohérence.
Jusque-là, malgré quelques avancées, permises notamment par la loi Jacob, qui a interdit la fracturation hydraulique et à laquelle je rends hommage, notre droit ne nous permettait pas de refuser des permis, alors même que nous avions adopté l’Accord de Paris.
De ce non-choix, de ce flou juridique a résulté une situation intenable, puisque nous étions contraints, par les simples injonctions de la justice, de renouveler les permis et d’en attribuer d’autres, tout en sachant bien que cela n’était pas conforme à notre ambition de chef de file dans la lutte contre le changement climatique. Ce texte aura entre autres mérites de clarifier la situation. Lorsque j’ai pris mes fonctions de ministre, j’ai moi-même découvert cette situation où prévalait un droit inadapté aux enjeux de notre siècle, où le droit de suite régnait en maître et empêchait le Gouvernement de refuser tout nouveau permis, alors même que nous savions que c’était contraire à nos objectifs de lutte contre le changement climatique.
Je veux maintenant vous préciser rapidement ce qu’est la philosophie du Gouvernement, pour que cette transition puisse être assumée.
Se pose d'abord la question des entreprises, des filières industrielles et des emplois. D’ici à 2040, une échéance à la fois proche et lointaine – c’est la vertu de la progressivité de ce projet de loi –, je pense que nous aurons le temps de construire, avec les entreprises, les salariés et, parfois, les collectivités, les évolutions nécessaires, pour ne laisser personne de côté.
Nous allons vite. Nous avons d'ores et déjà commencé à dialoguer avec les acteurs qui s’y préparent, pour identifier les compétences qui vont devoir se transformer et, dans le même temps, appréhender les reconversions possibles.
Je ne doute absolument pas que les énergies renouvelables puissent offrir des solutions de reconversion intéressantes, par exemple avec la géothermie. Des passerelles peuvent et devront être tissées entre ces acteurs. Cependant, et c’est d’ailleurs un sujet que j’ai évoqué avec Muriel Pénicaud, il faudra évidemment que des formations puissent également être proposées aux salariés.
Nous travaillerons avec les territoires qui seront concernés, pour que leur avenir ne dépende plus de la seule exploitation des énergies fossiles, mais s’appuie bien sur une diversité de ressources et d’activités.
En fait, tout bien considéré, ce projet de loi ne fait qu’accélérer un rythme normal, qui est celui de l’exploitation des ressources naturelles : il y a toujours eu des gisements qui s’épuisaient et des exploitations qui s’arrêtaient.
Ce sera aussi la logique des contrats de transition écologique que nous souhaitons élaborer, en 2018, avec, pour commencer, une quinzaine de territoires, dont certains pourraient justement faire partie de ceux qui sont concernés par l’arrêt de l’exploitation des hydrocarbures.
Pour être très franc avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le contenu de ces contrats est encore à inventer. Il doit être élaboré collectivement, avec les territoires et les entreprises concernés. Les contrats doivent présenter une certaine souplesse pour pouvoir s’adapter à chacun des cas, mais ils reposeront évidemment sur une mobilisation interministérielle des services nationaux, mais aussi, et surtout, territoriaux de l’État, avec l’aide de l’ensemble de nos opérateurs.
Ce sont environ 3 500 emplois qu’il faudra réinventer d’ici à 2040. C’est beaucoup, mais cet objectif ne me semble pas hors de portée compte tenu des gisements d’emplois qui pourront aussi se développer dans les autres domaines. Ainsi, l’éolien a permis, pour la seule année 2015, la création de près de 2 000 emplois. Le solaire, qui a connu un repli dans les années 2010-2014, repart à la hausse et crée lui aussi, chaque année, de nombreux emplois, lesquels sont répartis de manière assez équitable sur l’ensemble du territoire.
J’en profite d’ailleurs pour préciser que le Gouvernement a déposé, à l’Assemblée nationale, un amendement, qui a été adopté, visant à simplifier le raccordement des installations d’énergies renouvelables en mer.
Mais ce projet de loi est aussi une partie de notre réponse à ceux qui, notamment de l’autre côté de l’Atlantique, ont tenté de faire dérailler l’Accord de Paris, sans y parvenir tout à fait – mais ils ont entravé quelque peu son mouvement. En effet, contrairement à ceux qui jouent en solitaire, nous préférons être une nation solidaire.
Nous sommes donc là pour démontrer, qu’on le veuille ou non, que le train de l’Accord de Paris va quitter la gare, laissant sur le quai ceux qui pensent que l’économie du XXe siècle est la solution. J’espère que, grâce à vous – j’ai bien conscience que cela ne se fera pas sans vous –, cette dynamique va s’accélérer.
Oui, il faut maintenir l’Accord de Paris dans son intégrité. Cet accord est irréversible, d’abord parce que l’on ne négocie pas avec l’avenir de nos enfants ! Au-delà de cette formule usitée, si les mots ont un sens, si les rapports scientifiques en ont un, c’est bien cela qui est en jeu. C’est bien pour cela que, au-delà des différences culturelles, politiques, économiques, il serait presque indigne que, sur un tel sujet, d’habituelles divisions ou postures puissent resurgir – cela n’empêche pas des divergences d’appréciation –, au moins sur l’importance de l’objectif, qui conditionne tout ce qui est important à nos yeux.
En effet, si l’on regarde les scénarios du pire, dont nous ne sommes pas si éloignés, tous les acquis démocratiques et civilisationnels seront mis à mal par l’effet domino des conséquences des changements climatiques.
Ce projet de loi comporte aussi plusieurs dispositions qui permettent de répondre aux défis du climat, mais aussi de la sécurité de l’approvisionnement énergétique que nous devons aux consommateurs. Il ne vous a peut-être pas échappé, mesdames, messieurs les sénateurs, que, l’hiver dernier, nous ne sommes pas passés très loin d’un problème d’approvisionnement.
Ainsi, les articles 4 et 5 du projet de loi vont permettre d’engager, et c’est très important, une réforme du stockage souterrain de gaz naturel, pour à la fois améliorer notre système de stockage et mieux le réguler, préciser les compétences de la Commission de régulation de l’énergie et favoriser une concurrence juste et, surtout, sans surrémunération de certains acteurs.
Quant aux articles 6 et 7, ils transposent simplement des directives européennes. La première porte sur la qualité des biocarburants, afin simplement d’éviter que ceux-ci aient une empreinte carbone trop élevée, en provoquant, par exemple, la déforestation. La seconde directive prévoit la réduction des émissions de certains polluants de l’air, toujours avec ce même souci de protéger les Français et la planète.
Enfin, la prochaine étape, que je tiens à évoquer ici, pour avoir été interpellé à plusieurs reprises sur un certain nombre de sujets qui ne figurent pas dans le projet de loi, sera une réforme du code minier. Cette dernière s’appuiera notamment, dans le courant de l’année 2018, sur les débats qui ont déjà été menés au Sénat sur ce dossier, particulièrement sensible et, du reste, volumineux.
Aujourd’hui, avec le présent projet de loi, je pense que nous mettons fin, même si ce n’est peut-être pas de manière définitive, à cette hypothèque sur notre nature et sur notre futur. Nous donnons une chance à notre pays, qui n’a pas que des idées pour remplacer le pétrole, mais qui a bien aussi un projet de société et toute une gamme de solutions.
J’aspire à un consensus sur ce projet juste, humaniste, solidaire qui, s’il en est encore besoin – je pense toutefois que ce temps est révolu –, va démontrer que non seulement l’environnement – ou l’écologie, peu importe le vocable – n’est pas l’ennemi du développement de l’économie, mais qu’il en est justement la condition et l’opportunité.
C’est cette volonté d’une transition écologique et solidaire que j’aimerais construire et porter avec vous. (Applaudissements.)