M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, le texte de loi qui nous préoccupe aujourd’hui est hautement attendu par de nombreux élus, notamment en Haute-Savoie.
Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si les trois sénateurs de la Haute-Savoie et ceux qui les ont précédés ont, tour à tour, déposé des questions orales ou écrites, rédigé des propositions de loi et interpellé, comme je le fais depuis trois ans, les différents ministres de l’intérieur qui se sont succédé.
Madame la ministre, je vous remercie d’avoir répondu favorablement à ma demande de nous recevoir au ministère de l’intérieur avec l’ensemble des acteurs concernés par la thématique des gens du voyage. Vous avez pu constater que la situation sur le terrain était préoccupante et que nous sommes assis sur une véritable poudrière, qui peut s’embraser à tout moment, d’un côté comme de l’autre.
Afin de clarifier mes propos, je voudrais apporter quelques précisions.
Tout d’abord, nous devons différencier les gens du voyage qui respectent les règles et représentent une très large majorité de ceux qui, au contraire, se comportent comme des délinquants et ne respectent pas les lois de la République et les arrêtés des communes ou des EPCI.
J’ai été maire d’une commune rurale de 1 500 habitants de 2008 à 2016, et pas une année ne s’est écoulée sans que je sois concerné par des installations illicites, ce qui a été le cas de nombreux maires cette année encore. Je connais donc bien le sujet, et il est important que je puisse relayer auprès de vous de façon factuelle le quotidien de ces élus de terrain, que comprend forcément moins bien l’administration.
Les installations illicites se font durant des périodes de plus en plus longues : en Haute-Savoie, cette année, c’est le cas depuis février. La tension est de plus en plus importante : toujours en Haute-Savoie, nous avons connu, ces dernières années, deux incidents majeurs, à Neydens et Pers-Jussy, avec des menaces à l’arme à feu sur un maire et un gendarme.
Madame la ministre, les élus et les services de l’État s’investissent dans leurs missions. Les élus de mon territoire respectent leurs obligations légales, décidées dans le cadre du schéma départemental des gens du voyage. En effet, mon département dispose à ce jour de 16 aires d’accueil offrant une capacité de 488 places. Avec l’ouverture de l’aire de Reignier, l’ensemble du département est en conformité avec le schéma 2011-2017 concernant les aires d’accueil et de grands passages.
Malgré cela, certains groupes semblent s’affranchir de droits fondamentaux, tels que le droit de propriété, qui est régulièrement bafoué.
Concernant les petits groupes de gens du voyage, les troubles générés par les occupations illicites ont été particulièrement forts cette année en Haute-Savoie : 57 communes du département en ont subi au moins une et 103 demandes d’arrêtés de mise en demeure ont été formulées depuis le début de l’année, contre 89 en 2016 – plus de 70 % sont le fait de deux familles.
Concernant les grands passages, certains groupes se sont imposés, dans le département, par le nombre et la force, bien qu’un refus de séjour leur ait été notifié en début d’année, puis réitéré lorsqu’ils se sont annoncés la veille pour le lendemain. D’autres groupes arrivent aussi à leur convenance, méconnaissant les dates officielles de réservation.
Les élus locaux n’en peuvent plus de passer des jours et des nuits à gérer les installations illicites, à subir invectives, menaces et intimidations, à constater des dégradations sur des terrains de football ou des aménagements municipaux, sans jamais pouvoir se retourner contre ceux qui dégradent volontairement ces espaces.
Lorsque j’étais maire d’Arthaz-Pont-Notre-Dame, j’ai vécu, par trois fois, des installations illicites sur mon terrain de football : elles ont eu pour conséquence une détérioration totale de cette surface, alors que la commune venait d’effectuer 30 000 euros de travaux et que les licenciés reprenaient l’entraînement. Bien sûr, puisqu’il est impossible d’attaquer un groupe, nous ne pouvons pas porter plainte, et les dégâts sont à la charge de la commune. Il faut que cela change !
Les élus doivent aussi gérer les interrogations de la population, qui fustige une justice à deux vitesses et qui considère que nos lois sont bien trop permissives.
Les propriétaires privés ne comprennent pas que l’on puisse s’installer en toute impunité sur leur terrain et qu’ils doivent entamer des procédures longues.
Les chefs d’entreprises sont également concernés. Des groupes s’installent par exemple sur des parkings de commerces, provoquant leur fermeture provisoire et une baisse du chiffre d’affaires. Certains chefs d’entreprise se trouvent dans l’obligation de faire appel à des services de sécurité privés.
Autres professionnels lourdement importunés : les agriculteurs. Ils sont excédés, subissent des dégradations de leur outil de travail, avec toutes les nuisances que cela entraîne : pertes de récoltes, dégâts dans les champs dus aux détritus – lames de rasoir, déchets plastiques, etc. – et impact sur les appellations d’origine contrôlée. Je comprends ceux qui crient à l’aide et manifestent, comme récemment à Viry ou lors de la grande journée de mobilisation organisée en Haute-Savoie. J’étais, durant ces deux journées, à leurs côtés.
Les gendarmes aussi sont épuisés par cette situation : face à de grands groupes, ils sont mobilisés avec des effectifs limités, pendant des périodes de plus en plus longues, alors qu’ils ont de nombreux autres dossiers à suivre. Même s’ils ont un devoir de réserve, nous pouvons aisément sentir, sur le terrain, leur exaspération.
Les préfets et sous-préfets sont lassés de devoir continuellement répondre sur ce sujet aux élus locaux, à la population ou aux agriculteurs et de devoir lancer des procédures d’expulsion toujours plus nombreuses.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, il y a urgence ! Urgence à légiférer sur un nouveau texte, utile et applicable, grâce auquel l’État pourra mettre des moyens à disposition.
Comme je vous l’indique et comme vous l’avez déjà entendu de la part de l’ensemble des intervenants qui sont venus vous rencontrer place Beauvau, la situation est grave, très grave, et elle empire d’année en année. Nous frôlons le drame chaque semaine entre les communautés de gens du voyage et les gendarmes, élus locaux et paysans. Nous craignons que cela ne se solde par un cas mortel.
La proposition de loi de mon collègue Jean-Claude Carle, dont je suis cosignataire et qui a été inspirée par le sénateur honoraire Pierre Hérisson, et celle de Loïc Hervé visant à soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans leur mission d’accueil des gens du voyage apportent des réponses concrètes. Je souhaite aussi remercier ma collègue Catherine Di Folco de la qualité de son rapport.
Je souligne que ce texte comble un vide législatif important, en répondant aux problèmes rencontrés par les élus locaux à l’occasion des grands rassemblements et passages des gens du voyage.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Cyril Pellevat. Je conclus, madame la présidente. Vous aurez compris, mes chers collègues, que ce texte constitue une nécessité. Tous les acteurs concernés par ce sujet espèrent un vote au Sénat et une lecture rapide à l’Assemblée nationale, en vue d’une application dès la saison prochaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les occupations illicites sont inacceptables et les détériorations révoltantes. Toutefois, si toutes les émotions et la révolte que ces situations peuvent susciter sont compréhensibles, nous sommes ici, dans cette enceinte, pour voter la loi. Nous sommes là non pas pour amplifier les émotions, mais pour légiférer de manière efficace et utile.
Mme Françoise Laborde. Absolument !
M. Jean-Yves Leconte. C’est la raison pour laquelle il nous faut commencer par dire quelques vérités.
Monsieur Carle, vous nous présentez cette proposition de loi comme s’inscrivant dans la suite de la loi Besson et vous estimez que cette loi était équilibrée, mais qu’elle n’a pas bougé depuis son adoption. Vous avez raison, elle était équilibrée, mais vous avez tort, elle a bougé ! Des conditions nouvelles ont en effet conduit le gouvernement précédent à proposer, lors de l’examen de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, de modifier l’équilibre trouvé à l’époque. Ce ne sont donc plus les termes de la loi de 2000 qui s’appliquent, mais ceux de la loi de 2017, qui n’ont pas encore eu le temps de vivre.
Madame la rapporteur, vous parlez d’un désengagement de l’État. De quoi parle-t-on ? La loi Besson de 2000 fixe des obligations aux communes, assorties de subventions. Si les communes ne remplissent pas leurs obligations, elles ne perçoivent pas de subventions. Ce n’est pas un désengagement de l’État, c’est un fait ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Ce n’est pas du tout cela !
Mme Françoise Gatel. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Yves Leconte. Cela mérite pourtant d’être dit !
La loi relative à l’égalité et à la citoyenneté du 27 janvier 2017 a renforcé les procédures administratives de mise en demeure et d’évacuation forcée, ce qui était une nécessité. Aujourd’hui, la mise en demeure du préfet demeure valable sept jours en cas de réinstallation.
Cette nouveauté n’a été mise en place qu’au début de l’année et elle doit être replacée dans un équilibre d’ensemble avec une autre procédure, celle de la consignation, qui concerne les communes qui ne respectent pas leurs obligations. Il faut espérer que cette nouvelle procédure sera plus efficace que le pouvoir de substitution du préfet, qui existait auparavant et qui n’a jamais été mis en œuvre… En mettant en avant les limites du pouvoir préfectoral de substitution, la Cour des comptes avait d’ailleurs souligné l’urgence d’une disposition nouvelle, la consignation.
Vous voyez bien que nous avons fait vivre cet équilibre dans la loi Besson, et il ne devrait pas être question de le modifier, alors que les dispositions adoptées au début de l’année ne sont pas encore complètement mises en œuvre.
Par ailleurs, comme l’a souligné Mme la ministre, la loi Besson date de 2000 ; pourtant, 69 % des places prescrites pour les aires permanentes d’accueil sont disponibles.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. C’est un peu plus de 70 % !
M. Jean-Yves Leconte. En Île-de-France, sur 5 471 places envisagées, 3 100 sont encore à construire ! Seulement 17 départements respectent leurs obligations.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Non, 18 !
M. Jean-Yves Leconte. Peut-être 18 aujourd'hui, mais, selon le rapport de la Cour des comptes de février 2017, c’était 17 ! Enfin, 170 aires de grand passage ont été installées sur l’ensemble du territoire, sur les 348 prescrites. Voilà la situation ! Et elle n’est pas satisfaisante.
L’équilibre consiste à obliger à la fois les gens du voyage à respecter le droit – la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté est plus stricte encore – et les collectivités à remplir leurs obligations – les chiffres que je viens de citer et qui proviennent de la Cour des comptes ne vont pas dans ce sens.
Or ce sont les communes qui respectent leurs obligations qui sont victimes des autres. Il faut le dire clairement ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. N’importe quoi !
M. Loïc Hervé. On ne peut pas dire ça ! C’est inadmissible !
M. Jean-Yves Leconte. Pourquoi ne pourrait-on pas dire que les communes qui respectent leurs obligations sont victimes de celles qui ne le font pas, cher collègue ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Loïc Hervé. Ne montez pas les communes les unes contre les autres !
M. Jean-Yves Leconte. Que voulez-vous dire par vos protestations ? Que les collectivités qui ne respectent pas la loi ne sont pas responsables ?
M. Jean-Claude Carle. Sur le fond, vous avez raison ! (Brouhaha.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, seul M. Leconte a la parole.
M. Jean-Yves Leconte. Il est absolument indispensable de faire en sorte que la loi soit respectée par l’ensemble des collectivités.
Parlons un peu des gens du voyage ! Il y a un an, un rendez-vous important a eu lieu avec le Président de la République, François Hollande, qui a reconnu, à Montreuil-Bellay, sur le lieu du plus grand camp d’internement de Tsiganes, la responsabilité de l’État dans leur persécution.
M. Jean-Claude Carle. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Yves Leconte. Dans la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, portée en particulier par Patrick Kanner et Dominique Raimbourg, nous avons aboli le livret de circulation, qui fixait des obligations de pointage, et certaines conditions spécifiques à l’exercice du droit de vote.
Le texte que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans une logique absolument différente, et elle n’est pas acceptable.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Il faut que chacun respecte la loi, les collectivités comme les Français itinérants, et, pour ces derniers, les enjeux sont nombreux et différents. Si vous voulez régler le problème à long terme, il ne faut pas vous fixer uniquement sur une situation spécifique, qui a été analysée, je le rappelle, et pour laquelle un certain nombre de dispositions nouvelles ont été prises au travers de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Loïc Hervé. Venez donc faire un stage en Haute-Savoie !
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, les propositions de loi examinées aujourd’hui rappellent que l’encadrement juridique de l’accueil des gens du voyage est hautement perfectible, en raison de la sensation d’abandon ressentie par les élus, qui font face à des situations souvent critiques, généralement sources de conflits.
Avec dix-sept ans d’expérience, de retours du terrain, et alors même que les élus réclament les aménagements nécessaires, la loi doit être modifiée dans l’intérêt et le respect de tous.
En octobre 2016, lors de l’examen de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, le Sénat avait déjà manifesté sa volonté de rééquilibrer la loi Besson, de l’assouplir, mais sans succès face à l’Assemblée nationale, qui avait préféré le dogmatisme au pragmatisme. (M. Jean-Claude Carle et Mme Françoise Gatel approuvent.)
Alors que nous avons l’occasion de débattre à nouveau de ces enjeux un an après, j’espère que votre gouvernement, madame la ministre, se montrera, cette fois, plus à l’écoute des attentes des élus et des habitants, qui sont excédés par des comportements dépourvus de civisme, comme l’illustre le blocage, en juin dernier, de l’accès à la ville de Cannes, depuis l’autoroute, par 180 caravanes à la suite d’un refus de mise à disposition d’un terrain par le préfet.
M. Gilbert Bouchet. Oui, c’est scandaleux !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Malgré leurs efforts, les maires sont continuellement en position d’accusés, même lorsqu’ils doivent faire face à des agissements répréhensibles, à des dégradations d’infrastructures, à des installations sauvages, voire à des comportements violents.
D’une part, la question de l’évacuation est une préoccupation majeure des élus, tant sur les terrains privés que sur les aires dédiées. Face à des gens du voyage qui se déplacent de moins en moins, comme l’atteste la Cour des comptes, avec des aires permanentes d’accueil en partie détournées de leur vocation, certaines faisant même l’objet d’une appropriation par des groupes familiaux, la réponse législative actuelle est insuffisante, quel que soit le terrain.
Proposer un outil juridique pour une évacuation dans les meilleurs délais, afin d’éviter que les tensions ne se cristallisent et ne deviennent encore plus difficiles à régler, tout en renforçant les sanctions, apporte un signal fort et rassurant aux élus, qui, lorsqu’ils sont face à plusieurs centaines de véhicules, n’ont pas, actuellement, de moyens d’exécution.
Je pense tout particulièrement aux communes membres d’un EPCI où se situe une aire d’accueil et qui ont toujours respecté leurs engagements,…
M. Loïc Hervé. Absolument !
Mme Dominique Estrosi Sassone. … mais qui ne peuvent plus procéder aux évacuations, car la commune voisine, appartenant pourtant au même EPCI, n’a pas rempli les siennes.
M. Jean-Marie Janssens. Eh oui !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Pour les communes volontaires, c’est une double peine, puisque le préfet peut refuser l’utilisation de la force publique dans les communes disposant pourtant d’une aire.
En l’état du droit, les gens du voyage sont définis par la loi comme les personnes dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles. À ce jour, cette définition n’a fait l’objet d’aucune contestation, ni de la part des gens du voyage ni de celle des autorités publiques. C’est donc dans cet esprit que la loi doit être modifiée.
D’autre part, les élus ont une marge de manœuvre particulièrement étriquée sur le plan budgétaire. (Mme Françoise Gatel approuve.)
Cette compétence suscite un coût important, tant pour l’installation des emplacements légaux que pour la réparation de dégâts. En 2013, à Nice, le squat d’un terrain de rugby par les caravanes a entraîné des réparations d’un montant d’environ 620 000 euros, alors même que les emplacements d’accueil existaient depuis cinq ans.
Quant à la création d’emplacements légaux, leur coût n’est pas anodin, puisque, vous l’avez rappelé, la Cour des comptes l’a estimé à près de 35 000 euros en moyenne.
Même dans les communes volontaires comme Nice, où l’aire permanente, construite il y a 11 ans, est l’une des plus fréquentées de France, avec un taux de remplissage de 83 %, contre 55 % sur le reste du territoire, cette compétence représente une charge constante, dans un contexte budgétaire tendu. Ainsi, pour créer son aire d’accueil, Nice a dépensé, en 2008, quelque 2,4 millions d’euros et les frais de fonctionnement s’élèvent à 270 000 euros par an pour la gestion, la surveillance et l’entretien des lieux. La dépense nette et fixe atteint donc près de 2,5 millions d’euros, même lorsque l’aire d’accueil est inoccupée.
En outre, la détresse budgétaire s’accentuera dans le temps, puisque les collectivités ne peuvent plus s’appuyer, en partie, sur l’aide au logement temporaire, l’ALT, depuis qu’un décret de décembre 2014 relatif à l’aide versée aux gestionnaires d’aire d’accueil des gens du voyage a réformé ses modalités de calcul et d’attribution. Le précédent gouvernement, que j’avais interrogé sur ce point, m’avait confirmé sa volonté de moduler l’ALT en fonction du taux d’occupation des aires, alors même que, en parallèle, la Cour des comptes pointe le fait que de nombreuses aires sont peu fréquentées : entre 55 % et 60 % sont réellement occupées.
Dans la mesure où des aires d’accueil sont opérationnelles, il est regrettable que les communes qui consentent à faire des efforts pour prendre à bras-le-corps ce sujet soient à nouveau pénalisées.
Or forcer les maires à créer des aires d’accueil, en imposant de nouvelles contraintes financières, n’apportera pas la réponse aux blocages qui peuvent exister. Face à des frais importants, à la raréfaction des financements publics et aux risques pris à délivrer les autorisations d’installation, les communes et leurs groupements doivent avoir l’assurance que, en contrepartie de leurs efforts, elles n’en seront pas de leur poche et qu’elles auront l’appui de la force publique. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, accueillir les gens du voyage et offrir des conditions décentes à cette population font partie des objectifs qui sous-tendent les obligations faites aux collectivités territoriales de créer des lieux spécifiques. Cet accueil mérite l’attention de tous les acteurs concernés par cette problématique. Or, force est de constater que la réalité est différente : l’implication est souvent insuffisante et l’engagement financier de l’État en la matière a tendance à se réduire dangereusement.
Comme il était prévu par la loi NOTRe et comme il est devenu effectif depuis le 1er janvier dernier, l’aménagement, l’entretien et la gestion des aires d’accueil sont désormais une compétence des EPCI, qui deviennent les garants du respect de la loi en matière de réalisation d’aires d’accueil.
S’il n’est pas incohérent que les EPCI aient désormais cette compétence, qui peut s’intégrer à celle du logement, il est en revanche très pénalisant de l’exercer sans soutien de l’État.
À la suite de la loi Besson, pour impulser cette politique et inciter les créations d’aires, l’État avait accordé des subventions d’investissement. Aujourd’hui, ces aides ont disparu et laissent les collectivités financer intégralement cette compétence, tout en imposant des contraintes supplémentaires.
La répartition de la taxe sur les résidences mobiles ne semble pas compenser les aides initialement allouées et, en tout cas dans mon département, elle est à ranger au rang des inconnues : qui la perçoit ? Comment est-elle répartie ? Est-ce automatique ? Sur demande ? Selon quel critère ? Beaucoup de questions, pas de réponse !
En revanche, comme l’indique la circulaire du 19 avril 2017 relative à l’application de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, l’article 2 de la loi du 5 juillet 2000 a été complété et prévoit désormais qu’un décret en Conseil d’État déterminera un certain nombre de règles applicables à l’accueil des gens du voyage.
Certes, ces textes ne sont pas encore parus, mais parallèlement aux règles imposées, intègreront-ils un soutien financier ? J’en doute !
Or la réalisation de ces aires soulève quelques questions. Le critère démographique de 5 000 habitants, retenu pour leur création, est-il pertinent ? On peut légitimement s’interroger, quand on voit le taux de fréquentation de certaines aires d’accueil.
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Alain Milon. Sur le territoire d’une même intercommunalité, on va obliger, le cas échéant, à construire une ou plusieurs nouvelles aires, sans même se soucier de l’occupation des aires existantes. Or cela entraîne des coûts conséquents, en investissement et en fonctionnement, pour tous les partenaires.
Je ne reviendrai pas sur l’investissement et n’aborderai ici que le fonctionnement. Jusqu’en 2014, l’État subventionnait le fonctionnement des aires, en octroyant une aide de 132,45 euros par place et par mois.
Depuis lors, le dispositif a évolué, au détriment des collectivités territoriales, puisque, si l’enveloppe reste a priori similaire, elle se scinde en une part fixe de 88,30 euros et une part variable de 44,15 euros versée en fonction du taux d’occupation.
Cette modification, a priori anodine, entraîne pour les collectivités un surcoût non négligeable,…
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. Exactement !
M. Alain Milon. … puisque le taux d’occupation est rarement de 100 % et que le suivi des données entraîne des dépenses de personnel. La Cour des comptes constatait déjà, en 2012, que « le reste à charge pour les collectivités était significatif ».
En outre, comme je l’indiquais plus haut, dans la mesure où la création est liée à un critère démographique sans lien aucun avec la présence de gens du voyage, donc avec les besoins véritables, on se retrouve devant des situations ubuesques d’aires quasiment inoccupées.
Or, si cela a un coût considérable pour les collectivités, il en va de même pour l’État, qui verse une subvention fixe pour des places supplémentaires créées sans étude préalable.
Des contraintes importantes, des financements gaspillés, des besoins pas satisfaits : la politique en matière d’accueil des gens du voyage a encore beaucoup à s’améliorer. Serait-ce la raison pour laquelle l’État s’en est déchargé ? Le rapport de la Cour des comptes relevait déjà, en 2012, qu’il s’agissait « d’une politique insuffisamment pilotée ».
Outre ces questions d’infrastructures, les gestionnaires sont confrontés à des réalités, qui ne permettent pas toujours de garantir la sécurité.
Le législateur a englobé, dans un terme générique, des groupes aux histoires et réalités différentes ; ce souci égalitaire, concrétisé par la terminologie, ne parvient pas, pour autant, à occulter les dissensions qui existent entre communautés. Leur cohabitation est souvent difficile, source de tensions, en raison de modes de vie et de pensée bien différents.
Actuellement, l’arrivée de populations nombreuses d’Europe de l’Est, notamment croates, génère pour les gestionnaires d’aires d’accueil de grandes difficultés. Celles-ci sont accrues, dans certaines communes, par le fait que les forces de police nationale ou municipale refusent de rentrer sur les aires d’accueil, arguant de leur caractère privé, alors même que les maires ont conservé le pouvoir de police et que l’État est censé intervenir partout.
Ici, comme dans certains quartiers dits « sensibles », se développe un sentiment d’impunité et la loi du plus fort s’impose peu à peu : port d’armes, trafics et prostitution sont largement suspectés, mais, faute d’intervention de la police, difficiles à établir.
Pour conclure, madame la ministre, il est plus que nécessaire que l’État s’occupe des problèmes financiers liés aux aires d’accueil des gens du voyage, aide les collectivités territoriales à maintenir ces terrains en état et fasse en sorte que des populations qui ne s’apprécient pas puissent vivre en paix sur des aires d’accueil différentes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites
Chapitre Ier
Clarifier le rôle de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements
Article 1er
I. – La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage est ainsi modifiée :
1° L’article 1er est ainsi modifié :
a) Le sixième alinéa du II est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental. Celui-ci ne peut prévoir, à titre obligatoire, la réalisation d’aires ou de terrains mentionnés aux 1° à 3° du présent II sur le territoire d’une commune dont la population n’atteint pas ce seuil, à moins qu’elle n’appartienne à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre comportant, parmi ses membres, au moins une commune de plus de 5 000 habitants.
« Le schéma départemental ne peut prévoir la réalisation d’aires ou de terrains mentionnés aux 1° à 3° du présent II sur le territoire d’une commune que si le taux d’occupation moyen des aires et terrains existants dans le même secteur géographique d’implantation, constaté au cours des trois dernières années, est supérieur à un seuil défini par décret.
« Le schéma départemental définit la nature des actions à caractère social destinées aux gens du voyage. » ;
b) (nouveau) Le deuxième alinéa du III de l’article 1er est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est tenu compte, lors de sa révision, des évolutions du schéma départemental de coopération intercommunale. » ;
c) (nouveau) À la première phrase du premier alinéa du IV de l’article 1er, le mot : « public » est remplacé par le mot : « publics » ;
2° Les I et II de l’article 2 sont ainsi rédigés :
« I. – A. – Les communes figurant au schéma départemental et les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de création, d’aménagement, d’entretien et de gestion des aires d’accueil des gens du voyage et des terrains familiaux locatifs définis aux 1° à 3° du II de l’article 1er sont tenus, dans un délai de deux ans suivant la publication de ce schéma, de participer à sa mise en œuvre.
« B. – Les communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale compétent remplissent leurs obligations en accueillant sur leur territoire les aires et terrains mentionnés au A du présent I.
« L’établissement public de coopération intercommunale compétent remplit ses obligations en créant, en aménageant, en entretenant et en assurant la gestion des aires et terrains dont le schéma départemental a prévu la réalisation sur son territoire. Il peut retenir un terrain d’implantation pour une aire ou un terrain situé sur le territoire d’une autre commune membre que celle figurant au schéma départemental, à la condition qu’elle soit incluse dans le même secteur géographique d’implantation.
« L’établissement public de coopération intercommunale compétent peut également remplir ses obligations en contribuant au financement de la création, de l’aménagement, de l’entretien et de la gestion d’aires ou de terrains situés hors de son territoire. Il peut, à cette fin, conclure une convention avec un ou plusieurs autres établissements publics de coopération intercommunale.
« C. – Les communes qui ne sont pas membres d’un établissement public de coopération intercommunale compétent remplissent leurs obligations en créant, en aménageant, en entretenant et en assurant la gestion des aires et terrains dont le schéma départemental a prévu la réalisation sur leur territoire. Elles peuvent également contribuer au financement de la création, de l’aménagement, de l’entretien et de la gestion d’aires ou de terrains situés hors de leur territoire. Elles peuvent, à cette fin, conclure une convention avec d’autres communes ou établissements publics de coopération intercommunale compétents.
« II. – Les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale compétents assurent la gestion de ces aires et terrains ou la confient par convention à une personne publique ou privée. »
II. – Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Au début du d du 3° du I de l’article L. 3641-1, du 4° du I de l’article L. 5214-16, du 7° du I de l’article L. 5215-20, du 13° du I de l’article L. 5215-20-1, du d du 3° du I de l’article L. 5217-2 et du d du 2° du II de l’article L. 5219-1, il est ajouté le mot : « Création, » ;
2° Au 6° du I de l’article L. 5216-5, après les mots : « gens du voyage : », il est inséré le mot : « création, » ;
3° Le 8° de l’article L. 5214-23-1 est ainsi rédigé :
« 8° Création, aménagement, entretien et gestion des aires d’accueil des gens du voyage et des terrains familiaux locatifs définis aux 1° à 3° du II de l’article 1er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ; ».