M. le président. Merci, monsieur le secrétaire d’État.
Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Participation dans l’entreprise, outil de croissance et perspectives ». Et nous avons tenu les délais !
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité
Débat organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, sur le thème : « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité ».
Je vous rappelle que l’auteur du débat disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra.
Vont tout d’abord s’exprimer les orateurs de la commission qui a demandé ce débat.
Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous organisons ce soir à la demande de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable fait suite au rapport du groupe de travail que nous avons créé, avec mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ, au sein de notre commission.
Ce groupe de travail, nous l’avons mis en place en partant d’un constat que nous partageons tous, je crois : l’aménagement du territoire est, depuis maintenant un certain nombre d’années, le parent pauvre des politiques publiques.
Cette situation a des conséquences qui se répercutent, nous le voyons bien, lors des différents scrutins politiques.
Le constat que nous avons fait est clair : la fracture territoriale s’amplifie ; la croissance des métropoles, qui étaient censées irriguer l’ensemble du territoire, a plutôt un effet d’appauvrissement des zones les plus fragiles ; de nombreux territoires, qu’ils soient ruraux, urbains ou périurbains, connaissent un recul, en termes d’activité, d’emploi, de services publics et de dynamisme démographique.
Nous regrettons que, face à cette situation, l’État soit plus un spectateur qu’un acteur. Il nous paraît donc urgent de refonder la politique de l’aménagement du territoire.
Pour ce faire, nous avons élaboré vingt-six propositions, que le temps qui nous est imparti ne me permet pas de rappeler. Je voudrais néanmoins évoquer certaines d’entre elles.
Si nous considérons que le principal acteur en matière d’aménagement du territoire doit être le binôme région-EPCI, il n’en demeure pas moins que nous pensons indispensable que l’État redevienne stratège, qu’il ait une véritable vision, qu’on ait le souci de mesurer l’impact sur l’aménagement du territoire des politiques publiques mises en place – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui –, que les critères d’investissement de l’État soient liés à la question de l’aménagement du territoire.
Nous souhaitons également – et je regarde spontanément Rémy Pointereau – que l’on avance dans la simplification des normes, comme le demande notre collègue.
Par ailleurs, la politique d’aménagement du territoire doit essentiellement être basée sur la contractualisation.
En outre, il nous paraît nécessaire que les dotations et subventions aux collectivités territoriales soient plus transparentes et équitables, et qu’elles comportent un aspect incitatif au regard de l’aménagement du territoire.
Enfin et surtout, nous pensons indispensable de s’attaquer enfin, prioritairement et énergiquement, aux grandes fractures subies par les territoires – couverture mobile, aménagement numérique du territoire, lutte contre les déserts médicaux, accès aux services publics de proximité, existence d’infrastructures de qualité. Il y va réellement de l’intérêt des territoires et de notre pays.
Je laisse maintenant la parole à Louis-Jean de Nicolaÿ, qui va préciser un certain nombre de points de notre rapport. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vient de le dire parfaitement le président Maurey, au fil des années, l’aménagement du territoire est devenu le « parent pauvre » des politiques publiques.
Malgré le constat objectif d’une disparition progressive des services publics, notamment dans le monde rural, malgré le sentiment d’abandon d’un nombre important de nos concitoyens et malgré le cri d’alarme des élus locaux, rien – ou presque rien – ne change, monsieur le ministre !
Hervé Maurey vous a fait part des grands axes de propositions de notre groupe de travail.
Depuis des années, et quels que soient les gouvernements concernés, nos territoires fragiles ont été oubliés. Il est donc grand temps de s’emparer pleinement de ces propositions et d’agir !
Je vais prendre un premier exemple : celui de la désertification médicale. C’est une réalité désormais bien connue, durement subie par une part toujours croissante de la population de notre pays – plus de 5 millions d’habitants vivent dans ces zones.
Or, que font les pouvoirs publics pour y remédier ? Des plans ! Les mêmes plans depuis quinze ans ! C’est-à-dire un ensemble de mesures d’affichage ou à caractère incitatif qui ont fait la preuve de leur inefficacité et qui, aujourd’hui, ne sont clairement plus à la hauteur des enjeux.
Nous sommes persuadés, au sein de notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qu’il faut franchir une nouvelle étape et mettre en place une régulation de l’installation des médecins, comme cela existe pour les autres professions de santé. Cette mesure a été adoptée à plusieurs reprises par notre commission, mais a toujours été écartée des textes législatifs définitifs, alors qu’il s’agit d’une attente très forte des populations.
Or il y a urgence. Il faut de vraies mesures.
Deuxième exemple : la couverture mobile et numérique du territoire. Des objectifs ambitieux ont été fixés et réaffirmés voilà à peine un mois : il s’agit, d’une part, du déploiement du « bon haut débit pour tous » dès 2020, d’autre part, d’« une disponibilité généralisée de la 4G », toujours d’ici à 2020.
Mais que mettez-vous précisément, monsieur le ministre, derrière ces slogans, il est vrai séduisants ? Et quels sont les moyens que vous avez prévu d’y consacrer ? Nous étions déjà inquiets sur le respect des objectifs fixés pour 2022 ; comment allez-vous parvenir à les avancer, du moins pour partie, à 2020 ?
Troisième exemple : le développement des infrastructures. Que ce soit pour l’entretien des infrastructures existantes ou pour les projets de nouvelles infrastructures, il est grand temps, selon nous, que le critère de l’aménagement du territoire prenne le pas sur celui de la rentabilité économique. Il n’est plus possible de tout analyser sous le seul prisme de l’intérêt économique à plus ou moins court terme.
Ce calcul est de plus un mauvais calcul, car les choix que nous évitons ou reportons deviendront un jour ou l’autre nécessaires et infiniment plus coûteux.
Monsieur le ministre, nos préconisations ne sont clairement pas entendues pour l’instant. Or, je le redis, aux yeux de tous les membres du groupe de travail de notre commission, la prise en compte de l’aménagement du territoire dans l’ensemble des politiques publiques est une priorité qui ne peut plus attendre.
Pourriez-vous donc nous donner quelques éléments de nature à nous rassurer ? En effet, au-delà de nos propres interrogations, l’aménagement du territoire, l’égalité des territoires, la cohésion des territoires – peu importe comment on l’appelle, les problèmes se posent toujours dans les mêmes termes –, est bien le souci majeur des élus locaux et de nombre de nos concitoyens présents sur les territoires que nous représentons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – MM. Daniel Chasseing, Alain Marc et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien sûr plaisir à m’exprimer ici, du haut de cette tribune, dont j’ai un peu l’habitude.
J’ai écouté avec intérêt mes anciens collègues, qui ont présenté en commission, le 31 mai 2017, un excellent rapport, c’est-à-dire à un moment où ils ne pouvaient guère faire le bilan de l’action du nouveau gouvernement.
Ce que je souhaite dire de manière liminaire, c’est que vous avez fait le bilan de ce qui n’a pas été fait pendant une quinzaine d’années par les uns, par les autres, par nous tous ensemble. (M. le président de la commission opine.)
Vous conviendrez qu’en trois mois et demi – puisque j’ai fait un bref passage au ministère de l’agriculture –, il m’aurait été difficile de mettre en place une politique d’aménagement du territoire de nature à réparer les nombreuses fractures donc vous avez relevé l’existence.
Je vous remercie d’avoir rédigé ce rapport, dont je partage l’essentiel du bilan qu’il dresse, ainsi qu’un certain nombre des objectifs qu’il définit.
Le titre de votre rapport sonne comme un manifeste : Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité. Vous avez indiqué voilà quelques instants que l’aménagement du territoire avait été le parent pauvre des politiques publiques. Mais c’est que le fonctionnement de la République a évolué ces dernières décennies : la décentralisation a été mise en place et l’on constate que la politique d’aménagement du territoire s’est réduite au fil des années. Cela ne veut pas dire, d’ailleurs, qu’il ne faudrait point, par exemple, que les régions – et elles se lancent – ne s’occupent pas de l’aménagement de leur territoire. Et je sais qu’elles en ont bien la volonté.
Les dynamiques territoriales ne se réduisent pas à l’image simpliste, trop souvent relayée, qui conduit à opposer les territoires les uns aux autres. Je n’utilise jamais l’opposition urbain-rural, parce que la situation des territoires est très différente à l’intérieur des territoires urbains. Je le dis souvent : il y a des territoires urbains qui vont bien, il y en a qui vont mal, très mal – je pense à certains quartiers prioritaires de politique de la ville. Quant à nos territoires ruraux, nous le savons, il existe des distorsions considérables et une grande diversité. C’est d’ailleurs là aussi que s’aggrave ce que l’on appelle la fracture territoriale.
Dans votre rapport, vous citez le géographe Roger Brunet, pour qui nous serions passés d’un territoire « à aménager » à un territoire « à ménager ». Le mot est d’ailleurs intéressant. Pour lui, « aménager » renvoie à la fois à la protection, à l’équipement, aux actions curatives et à l’incitation. Ces divers sens du mot « aménager » répondent à la diversité des territoires en France.
Il faut aussi répondre à la plus grande variété de nos modes de vie. Le rythme des mutations technologiques et sociales est inégalé, lequel s’est accéléré. Ce que nous disons aujourd’hui en particulier sur ces mutations technologiques et sociales ne sera pas forcément vrai dans trois ou cinq ans.
Nous avons à revoir nos manières de communiquer, de consommer, de travailler.
Même s’il est difficile de faire un point complet en une dizaine de minutes, je n’oublie pas les questions liées à la programmation européenne, dont vous vous êtes préoccupés dans votre rapport, avec raison. La France doit y accorder un attachement particulier. Dès mon arrivée au ministère, j’ai rencontré la commissaire européenne roumaine chargée du dossier de la cohésion des territoires et des fonds.
En outre, lorsqu’on se déplace, on voit toute la nécessité de la coopération transfrontalière, sujet important.
Avec les transitions numériques et écologiques, l’évolution des mobilités – et on va connaître une accélération de ce mouvement –, nos territoires sont en pleine transformation et nous obligent à changer nos grilles de lecture habituelles. Vous avez raison de souligner « qu’il n’est plus possible, aux niveaux démographique et géographique, de considérer l’urbain et le rural comme deux entités bien définies qui s’opposeraient l’une à l’autre ». Nous sommes totalement d’accord.
Les visions sur la « France périphérique » sont une grille de lecture. Des éléments de constat nécessitent une action. Bien sûr, je sais qu’il ne faut pas être trop schématique, que ces visions englobent des espaces qui ne vivent pas la même réalité économique et politique, au sens premier du terme.
Et je ne veux pas non plus opposer les territoires. Je ne reviens pas sur le rapport de France Stratégie, que nous avons tous lu et relu, et, pour beaucoup d’entre nous, critiqué.
La France des métropoles serait la gagnante égoïste de la mondialisation et la France périphérique aurait tout perdu et n’aurait pas d’avenir. Or il est essentiel que cette France-là ait un avenir et que nous le construisions ensemble.
Nous devons aussi nous garder de cette vision théorique qui résumerait notre pays à des espaces dynamiques, en reléguant une partie du territoire au rang de zones interstitielles – mot que je n’aime pas du tout. Représentant d’un territoire dit « interstitiel », je considère que nous devrions bannir ce mot, car tous ces territoires ont vocation bien sûr à vivre, à se développer. C’est l’enjeu de ces prochaines années.
J’adhère en revanche à la vision que vous développez dans votre rapport à propos de la ruralité, en distinguant la campagne des villes, du littoral et des vallées urbanisées, où vivent 16 millions d’habitants dans plus de 10 000 communes.
Si l’on ne peut construire une politique de cohésion du territoire sur l’opposition entre les territoires favorisés et les autres, il ne s’agit pourtant pas de nier – ce que je ne ferai pas – que certains territoires connaissent des difficultés considérables, qui se sont aggravées ces quinze dernières années – vous avez raison.
Malheureusement – j’indique en toute loyauté que c’est une responsabilité collective –, c’est au moment où la France s’est le plus endettée pendant dix ans que nous avons le moins fait pour ces territoires. Cela doit aussi nous interpeller, et je ne fais de procès à quiconque.
Je pense à ce qui se passe au sein des villes, y compris les métropoles, qui comptent un certain nombre de quartiers en grande difficulté. Beaucoup a été fait pour les quartiers prioritaires, mais beaucoup reste à faire : le taux de chômage y est deux fois et demie supérieur à la moyenne nationale, le taux de pauvreté, deux à trois fois supérieur.
Je pense aussi à certains centres-bourgs et à certains centres de villes moyennes dévitalisés, qui sont aujourd’hui un enjeu considérable parce que si nous n’intervenons pas rapidement, ces villes moyennes – même si elles ne sont pas toutes, heureusement, dans cette situation-là – connaîtront des difficultés encore plus importantes, avec la fermeture de commerces, l’absence d’emplois ou de formations, la dégradation du bâti, enjeu important.
Dans les territoires peu denses, l’accès aux services est un problème primordial. Je connais les difficultés très concrètes liées à la fermeture progressive des services publics – pratiquement tous ici, nous l’avons vécue d’une manière ou d’une autre –, à la désertification de nombre de centres-villes, à la dégradation de l’habitat. C’est un constat, et face à cela, il nous faut agir.
Je veux revenir ici sur certains axes concrets d’intervention avant de partager avec vous ma vision de la méthode d’ensemble dont j’ai la charge comme ministre de la cohésion des territoires.
Pour nos quartiers, nous avons obtenu au plus haut niveau la reconduction des crédits d’intervention dédiés à la politique de la ville en 2018, soit 430 millions d’euros, avec une sanctuarisation pour l’ensemble du quinquennat. Sans compter le milliard d’euros supplémentaire attendu en faveur du nouveau programme de renouvellement urbain.
Nous allons également lancer une importante opération à destination des villes moyennes, qui en ont bien besoin, avec un plan spécifique que nous pourrons annoncer d’ici à la fin de l’année ou tout au début de l’année 2018, opération visant à favoriser la reconquête des centres. Nous agirons, bien sûr au côté des communes et des intercommunalités, sur le commerce, l’habitat, les services. Nous sommes en train de finaliser une convention avec Action logement, qui devrait normalement consacrer 1,5 milliard d’euros au logement et à la revitalisation de ces villes moyennes et de ces centres-bourgs, avec une concentration sur les opérations de restructuration d’immeubles ou d’îlots.
Par ailleurs, le prêt à taux zéro sera maintenu pendant deux ans dans le neuf, et pendant quatre ans dans l’ancien, afin d’assurer une visibilité sur plusieurs années et non pas année par année.
Je suis aussi attaché à ce que l’État se préoccupe de l’accessibilité de certains territoires enclavés, que je connais peut-être mieux que d’autres pour subir cet enclavement plus que d’autres. Et s’il a été annoncé qu’on mettrait un frein à certaines grandes opérations, en particulier la réalisation de lignes à grande vitesse, il est nécessaire d’entretenir nos routes nationales, il est nécessaire d’entretenir certaines voies ferrées qualifiées de « secondaires », car beaucoup de travaux n’ont pas été réalisés depuis longtemps.
Il est nécessaire aussi de lutter pour le maintien des services publics. Nous avons pris la décision d’accélérer le déploiement des maisons de services au public, d’en doubler le nombre. J’ai reçu le président-directeur général de La Poste, Philippe Wahl, pour mener une opération lourde en la matière, en coopération bien sûr avec les collectivités.
Comme vous l’écrivez, « la question n’est pas tant que le service soit rendu par l’État, un opérateur public ou une entreprise, mais qu’il soit répondu de la manière la plus efficace aux besoins exprimés ». Nous sommes totalement d’accord et c’est vers cela que nous travaillons avec l’accélération de ce plan de déploiement de maisons de services au public.
Vous avez parlé des déserts médicaux. Nous avons souvent échangé sur ce point dans cet hémicycle. Le plan qu’a présenté la ministre de la santé, au-delà du bilan qu’il dresse, prévoit un certain nombre d’actions, par exemple permettre à des médecins retraités de mener des interventions moyennant rémunération.
L’objectif est aussi de doubler le nombre de maisons pluridisciplinaires, sans compter les évolutions qui devront se faire jour. Vous avez évoqué une piste concernant la densité médicale. Mais ce que nous constatons aujourd’hui, c’est qu’il existe une surdensité dans certains territoires, et une sous-densité dans d’autres. Avant d’aborder la question du numerus clausus – ce que je n’ai pas le temps de faire –, nous devons d’abord nous interroger sur cette réalité-là.
Une des priorités de notre action, c’est le déploiement du numérique. Vous y avez insisté dans votre rapport : c’est essentiel pour réparer les fractures territoriales. Parce que nous ne pouvons pas prendre le risque, ni les uns ni les autres, d’aggraver la fracture territoriale numérique, nous avons pris la décision d’avoir comme objectif le bon débit pour tous d’ici à 2020, le très haut débit d’ici à 2022. J’ai réuni à deux reprises au ministère les opérateurs, pour leur demander de prendre des engagements contraignants, conformément à la dernière loi Montagne. Les discussions sont toujours en cours, mais je suis assez optimiste au regard des réponses qui commencent à nous être faites. C’est comme cela qu’on pourra avancer. Vous le savez aussi, l’État, dans son rôle d’État stratège auquel vous tenez, dispose de quelques moyens de négociation avec les opérateurs, et ces moyens seront utilisés si nécessaire.
Il est indispensable d’accélérer la couverture numérique par l’installation en particulier de plusieurs milliers de pylônes supplémentaires pour avoir le bon débit – la 4G d’ici à 2020 –, mais aussi d’utiliser des technologies alternatives, que ce soit la montée en débit, la 4G fixe, le satellite. Je l’ai dit, nous avons une position claire et ferme vis-à-vis des opérateurs, avec aussi la protection des réseaux d’initiative publique portés par les collectivités et qu’il ne faut pas mettre en danger.
Voilà des réponses précises à des questions précises.
Bien sûr, nous ne savons pas encore quels seront tous les impacts de cette révolution numérique sur nos territoires, mais ils seront considérables et ils vont s’amplifier. En particulier, en matière de domotique ou en matière de nouvelles mobilités, les choses vont avancer considérablement dans les quelques années qui viennent et beaucoup plus que nous ne l’imaginons.
Il est normal d’aborder la question du volontarisme politique lorsqu’on évoque l’aménagement du territoire. On ne peut pas dire que depuis quinze ou vingt ans, celui-ci ait été considérable. L’après-guerre a été une période d’aménagement du territoire et de planification, qui ont été poursuivis dans les premières années de la Ve République, mais qui petit à petit, malheureusement, ont été abandonnés.
Nous considérons aussi que les réformes territoriales ont entraîné un certain nombre de bouleversements. Je ne reviendrai pas sur la fusion des régions, sur ce que nous avons vécu. Nous n’allons pas refaire un « big-bang » territorial.
M. Roger Karoutchi. Même en Île-de-France ? (Sourires.)
M. Jacques Mézard, ministre. Non, monsieur le sénateur Karoutchi, il peut y avoir des exceptions heureuses. (Même mouvement.) Sans vouloir faire un aparté, je pense que la situation actuelle n’est pas forcément la meilleure à laquelle il aurait été possible d’aboutir, mais nous aurons l’occasion d’en reparler.
M. Roger Karoutchi. C’est clair !
M. Jacques Mézard, ministre. Je n’oublie pas le rôle d’aménageur du territoire de certaines collectivités – j’ai parlé des régions.
Le Président de la République a annoncé, ici au Sénat, le 17 juillet dernier, une pause dans ces réformes institutionnelles et que l’heure n’était plus au lancement de grands programmes publics d’aménagement.
Je note, pour m’en réjouir, que votre rapport exprime des réserves sur le rôle de facilitateur de l’État, parce que ce rôle est venu remplacer celui d’organisateur.
Ces craintes sont compréhensibles, mais tout de même, il vaut mieux que l’État soit facilitateur qu’empêcheur de conduire des projets sur les territoires !
Chaque fois que nous nous exprimons en particulier devant les services déconcentrés de l’État, le message que je transmets, c’est que l’État doit être facilitateur et qu’il faut faire le ménage dans les normes. J’y suis personnellement très attaché et je sais les efforts du sénateur Rémy Pointereau dans ce domaine. Nous devons travailler ensemble à cette fin.
L’État facilitateur n’est pas un État low cost ou diminué ; c’est un État qui prend ses responsabilités dans la conduite des politiques régaliennes. Sachez que nous nous y emploierons.
C’est un partenaire qui occupe une place particulière et qui doit mobiliser ses bras armés pour retrouver son rôle de stratège.
Je conclurai sur deux points.
La politique contractuelle est indispensable. Néanmoins, nous sommes en train de faire le bilan des différents contrats qui existent entre l’État et les collectivités. Nous en sommes à plus de 1 100 contrats différents, le ministère de la culture semblant même être en première position. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut de la contractualisation, mais qu’il faut la simplifier pour y voir clair. Parce que la multiplication de centaines et de centaines – plus de 1 000 ! – de types de contrat n’est quand même pas un très bon exemple.
Contrats de plan, contrats de ruralité, demain contrats de ville moyenne : nous allons poursuivre cette politique de contractualisation, mais en essayant de la simplifier, avec bien sûr le concours des collectivités locales.
Le Président de la République a également annoncé la création d’une agence nationale de cohésion des territoires. Nous y travaillons. Mais il n’est pas question de créer une usine à gaz supplémentaire.
Il existe deux sortes d’usines à gaz : celles qui fabriquent du gaz et celles qui n’en fabriquent pas ! (Sourires.) Essayons de faire des choses simples, qui permettent de déboucher sur des actions. Nous y travaillons et nous aurons l’occasion, dans les prochaines semaines et les prochains mois, de vous faire des propositions dans ce domaine. L’enjeu est d’importance. C’est une nécessité d’avoir des instruments qui permettent d’agir.
Dans votre rapport, vous avez réfléchi et l’État, je vous l’assure, a la volonté d’agir. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, pour la réplique.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je dispose d’un temps de réplique théorique de trois minutes, mais le ministre ayant dépassé de dix minutes le temps de parole qui lui avait été attribué par la conférence des présidents, j’imagine que la commission pourrait bénéficier de la même mansuétude… (Sourires.)
Vous l’avez dit, monsieur le ministre, ce rapport n’a pas pour objet de dresser un bilan de l’action du Gouvernement, puisque nous l’avons présenté au moment même où ce dernier prenait ses fonctions. Naturellement, il ne pouvait être question d’un bilan !
Il s’agissait bien davantage, en ce début de quinquennat, d’établir un état des lieux et de formuler des propositions pour que la politique d’aménagement du territoire retrouve son importance, en France, et la place qu’elle a perdue depuis un certain nombre d’années.
Parce que nous vous connaissons tous, nous vous savons, à titre personnel, très sensible à ces questions d’aménagement du territoire. Notre objectif n’est donc pas de vous faire des procès d’intention.
Une observation toutefois : dans les propos que vous venez de tenir, je n’ai à un aucun moment entendu que le Gouvernement envisageait de reprendre tout ou partie de nos vingt-six propositions. Je n’ai même pas entendu qu’une seule de nos propositions pourrait susciter, chez lui, un quelconque intérêt.
Il en existe pourtant une – je l’ai citée tout à l’heure à la tribune – qui ne coûterait rien et qui, à mon sens, serait tout à fait pertinente, tant sur le plan des symboles que sur celui de l’efficience. Elle consisterait, lors de la mise en place d’une politique publique ou du vote d’une loi, à systématiquement s’intéresser à l’impact sur l’aménagement du territoire, ce que nous ne faisons absolument jamais.
Je cite un exemple, sur lequel je reviendrai d’ailleurs plus tard : les questions de santé.
Je suis parlementaire depuis bientôt dix ans. Durant cette période, nous avons adopté deux lois sur la santé, l’une à l’époque de Mme Roselyne Bachelot, l’autre à l’époque de Mme Marisol Touraine. Jamais nous ne nous sommes interrogés quant à l’impact de ces mesures sur l’aménagement du territoire, alors que l’accès aux soins, on le sait très bien, est aujourd’hui l’une des principales priorités de nos territoires.
Qu’observe-t-on si l’on regarde les premières mesures du Gouvernement ? Des décisions ont été prises en matière d’accès aux soins, avec un plan censé s’attaquer à la question des déserts médicaux.
Je suis obligé, à cet instant, d’exprimer la déception qui est non seulement la mienne, mais aussi celle d’un grand nombre de mes collègues.
Comme Louis-Jean de Nicolaÿ l’a rappelé, la commission que j’ai l’honneur de présider a manifesté, à plusieurs reprises, sa volonté de voir prendre, dans ce pays, des mesures courageuses et, surtout, efficaces pour lutter contre les déserts médicaux. Or le Gouvernement n’a rien proposé d’autre que ce qui se fait depuis vingt-cinq ans, sans succès : des mesures incitatives !
Vous avez expliqué que les médecins retraités pourraient continuer à exercer. C’est formidable ! C’est déjà le cas !
Vous avez expliqué qu’on allait créer plus de maisons de santé. C’est formidable ! Mais qu’obtient-on lorsqu’on se retrouve avec des maisons de santé vides de médecin, si ce n’est une immense déception et de l’argent public gâché ?
En revanche, vous avez parfaitement raison d’évoquer des difficultés de répartition sur le territoire, monsieur le ministre. Je suis d’accord avec vous : il y a assez de médecins en France ; on n’en a jamais eu autant ! Le problème réside bien dans leur répartition sur le territoire, et le Gouvernement n’ose pas s’y attaquer.
Il ne s’attaque pas non plus à la question de la formation des médecins, lesquels sont formés pour être des praticiens hospitaliers, non des médecins de ville et, encore moins, des médecins de campagne.
Donc on ne peut qu’être déçu, force est de le constater, par cette première politique mise en place par le Gouvernement.
S’agissant du numérique – un sujet que vous avez également évoqué, monsieur le ministre –, le Président de la République a annoncé un objectif de développement d’une couverture haut débit pour tous à l’horizon de 2020. Nous sommes tous assez préoccupés par l’idée que cet objectif viendrait remettre en cause celui d’une couverture très haut débit à l’horizon de 2022 ! Sur cette question, nous n’avons aucune indication.
S’agissant de la téléphonie mobile – nous avons pu constater tout à l’heure, à l’occasion de l’audition du président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, menée conjointement avec la commission des affaires économiques que cette problématique était également un sujet de préoccupation sur toutes les travées de cet hémicycle –, le Président de la République s’est engagé à ce que nous ayons tous la 4G en 2020.
Après l’audition de cet après-midi, je suis malheureusement prêt à prendre les paris que, une fois de plus, la désillusion sera grande. Les annonces du Président de la République ne seront pas tenues. En tout cas, non seulement on ne nous donne aucune assurance qu’elles le seront, mais on ne nous dit rien non plus des méthodes que l’on compte mettre en œuvre pour qu’elles le soient.
Tels sont les quelques points sur lesquels je voulais insister, sans être trop long.
Vous avez conclu votre propos en évoquant la nécessité de simplifier les contrats. C’est une bonne idée ! Mais je crois qu’il faut aussi, peut-être même avant tout, simplifier les multiples zonages et schémas qui empoisonnent la vie des élus. Il y en a tellement que, parfois, on ne sait même plus dans quelle situation on se trouve et à quoi on peut prétendre !
Si vous vous attaquez au problème des contrats, examinez aussi cette question ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.)
Débat interactif