M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Merci de votre réponse à la partie territoriale de ma question, monsieur le secrétaire d'État ; c’était très intéressant.
Je regrette que vous n’ayez pu vous exprimer – vous le ferez peut-être plus tard – sur le financement public de ces démarches, notamment en prévision de l’examen du projet de loi de finances pour 2018. De fait, il n’y a sans doute pas lieu d’attendre, tant la question du financement se pose d’ores et déjà. D’ailleurs, ce financement s’effectuera peut-être dans le cadre des projets industriels d’avenir.
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Notre débat permet de poser les limites économiques, juridiques et éthiques de l’intelligence artificielle. Je vous remercie par ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, d’avoir mentionné les occasions qu’elle offre en termes de développement économique pour notre industrie française et, en particulier, d’avoir cité Angers, mon territoire, où se déroule, en ce moment même et toute cette semaine, le World Electronic Forum.
Ce Forum international de l’électronique constitue une occasion extraordinaire de faire valoir nos savoir-faire et de défendre la filière électronique française. L’ensemble des décideurs du monde entier, de l’Inde, de la Chine ou des États-Unis s’y réunit pour débattre des grandes questions qui nous intéressent aujourd’hui : la vie digitale, l’industrie 4.0 ou l’écosystème numérique français.
Vous y serez demain et après-demain, monsieur le secrétaire d’État, et le Premier ministre y viendra vendredi. Il aura fallu, vous l’avez dit, un combat de plusieurs années, sinon de plusieurs décennies, ainsi qu’une volonté politique forte, pour faire venir ces décideurs en Anjou, sur notre territoire, et mettre ainsi en valeur nos savoir-faire.
C’est aussi l’accompagnement et le développement des réseaux French Tech dans le monde entier. Nous devons continuer à développer ces nouvelles technologies en nous appuyant sur notre filière industrielle d’excellence.
Telle est l’ambition du label French Tech qui est développé en ce moment, notamment à travers les réseaux que vous avez cités, monsieur le secrétaire d’État.
Malheureusement, face aux géants américains et chinois, nous devons aujourd’hui être plus offensifs dans la protection de nos intérêts. Notre pays doit rapidement s’engager dans une stratégie de souveraineté numérique. Cette dynamique peut d’ailleurs trouver un écho à l’échelon européen, comme l’a rappelé Claude Malhuret.
Ma question est simple : quelle est la volonté du Gouvernement et quels sont les moyens accordés par l’État à la défense de notre souveraineté numérique et au développement d’une filière industrielle française de l’intelligence artificielle ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, votre question me donne l’occasion de répondre sur le volet financier et de souligner également le dynamisme de Dijon, avec la Food Tech, à la première édition de laquelle je me rendrai la semaine prochaine ; j’y retrouverai d'ailleurs François Patriat.
M. François Patriat. Très bien !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. Il faut bien préciser qu’il n’y a pas qu’un seul territoire capable d’innover sur ces sujets.
Sur le financement, plusieurs annonces ont déjà été formulées. Je le répète encore une fois : je ne viens pas avec toutes les réponses. Dans la lettre de mission que nous avons adressée à M. Villani et dans les différents rapports qui ont été remis est affichée la volonté d’identifier les secteurs dans lesquels nous pensons qu’il faut mobiliser des moyens publics ou faciliter la mobilisation des moyens privés, et à quelle hauteur. Nous pouvons nous comparer aux Chinois ou aux Américains, mais nous devons le faire aussi avec nos amis européens et voir ce que nous sommes capables de faire ensemble.
Nous créons un fonds pour l’industrie et l’innovation. Ce sont les fameux 10 milliards d’euros que Bruno Le Maire a annoncés et que nous avons réussi à rassembler par la valorisation de titres déjà détenus dans d’autres entreprises. Cette somme, constituée en fonds, nous permettra de mobiliser plusieurs centaines de millions d’euros par an sur les fameuses technologies de rupture, qui ont aussi une composante d’intelligence artificielle.
En effet, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, les grandes innovations liées à l’intelligence artificielle sont surtout dans les usages finaux. J’ai évoqué la lauréate du prix StartHer, dont l’innovation consiste à personnaliser le traitement du cancer, à diviser par deux les quantités de soins à transmettre aux malades et à multiplier les capacités de survie des patients.
C’est sur de telles transformations qu’il nous faudra être capables de décider et de dire s’il faut d’urgence être compétitifs sur la santé ou au contraire sur l’agriculture. Ce qui est certain, c’est que nous n’avons pas les mêmes retards ni les mêmes chances dans toutes les technologies. Si des pays sont déjà allés très loin dans certains domaines, il n’est peut-être pas pertinent – sans pour autant renoncer – de mobiliser tous nos moyens sur ces secteurs.
Le PIA 3, c'est-à-dire le troisième volet du programme d’investissements d’avenir, constitue un autre élément très important. Il n’est qu’à voir les différents appels à projets dont les résultats ont été rendus publics ces derniers jours : des programmes de recherche, de nouvelles formations, de nouveaux instituts de recherche, de nouvelles écoles de recherche ont été labellisés et financés sur les technologies de rupture. Quel plaisir de constater que, en France, on peut avoir des centres de recherche sur des sujets dont les termes mêmes nous semblent exotiques et lointains, tellement ils incarnent la complexité scientifique !
Oui, en matière de recherche, la France est entrée dans une dynamique. Oui, nous investissons déjà. Oui, nous finançons déjà. Reste que l’enjeu même de cette stratégie, c’est d’être capable, au début de l’année 2018, d’annoncer ce sur quoi nous nous mobiliserons de façon majeure.
J’aurai sans doute l’occasion d’aborder un peu plus tard un autre volet, celui du cofinancement européen. (MM. André Gattolin et François Patriat applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à mon tour, je souhaite remercier Claude Malhuret d’avoir engagé ce débat important pour l’avenir de notre pays.
Les technologies fondées sur l’intelligence artificielle, dont l’apparition remonte déjà au milieu du XXe siècle, monsieur le secrétaire d'État, ont des effets substantiels tant sur les individus que sur l’économie et la société. Porteuses d’innovations fascinantes, elles posent des problèmes résultant de leur intégration au sein des « systèmes institutionnels » et suscitent aussi de vives inquiétudes en matière d’éthique, mais aussi et surtout d’emploi.
Tous les pays ne jouent pas à armes égales. En Suède, près de 6 % des salariés travaillent dans le secteur de la communication électronique, contre seulement 1,2 % en Grèce. La France, quant à elle, est dans la moyenne européenne, avec 3,6 %.
Lancée à la fin du mois de janvier, l’opération « France IA » a mis en place dix-sept groupes de travail mobilisant quelque cinq cents experts, chercheurs et représentants du monde de l’entreprise chargés de définir une stratégie de mise en valeur et de développement de cette filière.
Le rapport de « France IA » et celui de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques intitulé Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée, publiés au mois de mars dernier, ont mis en exergue une cinquantaine de recommandations pertinentes afin de réguler les bouleversements sociaux. S’il est vrai que les recherches actuelles en sciences économiques ne permettent pas encore d’apprécier précisément les effets de l’IA, elles pointent néanmoins les risques de destruction d’emplois ou de dénaturation des emplois induits.
Permettez-moi dans ce cadre, monsieur le secrétaire d’État, de faire un parallèle avec le plan pour la formation professionnelle présenté récemment par le Président de la République. Ma question est simple : les politiques publiques envisagées sont-elles suffisamment attractives pour permettre à ceux qui en auront besoin de se former ou de se reconvertir grâce à la filière de formation nationale sur l’intelligence artificielle ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, vous posez la question de la transformation des compétences, des emplois et des outils de formation et m’interrogez sur la façon dont nous sommes capables de mettre en place le pilotage de cette transformation. Sur ce sujet, nous avons décidé d’avoir une vision très pragmatique, qui traite à tous les étages des différents niveaux de compétences.
Ce sont d’abord les compétences numériques universelles, ou « littératie numérique », qui doivent être accessibles à tous : fonctionnaires, salariés et même personnes qui ne sont pas dans l’emploi. Quinze, vingt, trente, voire quarante heures sont indispensables pour acquérir les premières compétences numériques, celles qui semblent une évidence pour nous tous, mais qui, aujourd’hui, ne sont pas maîtrisées par près de 13 millions de Français, soit quasiment 20 % de la population. C’est un enjeu dans l’emploi et hors de l’emploi, sur nos territoires.
Ce sont ensuite les compétences professionnelles d’emplois nouveaux à créer et d’emplois nouveaux à conquérir. Certains, qui savent déjà très bien lire, très bien écrire, utiliser un ordinateur, vont voir une partie de leur emploi se transformer en emploi du numérique. Il faudra que notre outil de formation professionnelle soit capable de les accompagner en quelques mois.
Pour tous ceux qui sont hors de l’emploi et qui vont aller vers des métiers complètement nouveaux, deux possibilités existent. Pour la très haute compétence, l’université, dans le cadre du LMD, licence-master-doctorat, proposera de nouvelles formations.
Le PIA 3 contient d’ailleurs un chapitre intitulé « nouvelles formations ». Tout à l’heure, j’ai évoqué les nouvelles écoles de recherche. Les nouvelles formations qui viennent d’être retenues sont intéressantes : elles concernent des métiers et proposent des contenus pédagogiques que nous ne connaissons pas et qui formeront nos ingénieurs et nos experts de demain.
Par ailleurs, plusieurs centaines de milliers de techniciens doivent être formés. Là, notre outil de formation n’est pas prêt. C’est un véritable enjeu pour le ministre de l’éducation nationale, la ministre de l’enseignement supérieur, la ministre du travail et moi-même : nous travaillons à créer de la souplesse et de la capacité, avec des formations de type « Agile » ou d’un type nouveau, qui n’entrent pas forcément dans le cadre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur ou de la certification professionnelle.
Je pense ainsi à la Grande École du numérique, qui certifie plusieurs centaines de formations sur tout le territoire. Il en existe plusieurs près de chez vous, mesdames, messieurs les sénateurs : là, au sein de vos territoires, les gens sont formés sans discrimination de parcours préalable et obtiennent, dans des formations de six mois à deux ans – la durée est flexible –, non pas un diplôme, mais une certification et un ensemble de compétences sur des emplois nouveaux où il y a de la recherche d’emploi.
Aujourd’hui, la ministre du travail et moi-même menons une réflexion sur la façon de développer ce type de formation à une plus grande échelle. Nous avons en effet la conviction que, sur les emplois de techniciens et d’assistants-techniciens, dans la sécurité des réseaux, dans le e-commerce, dans l’assistance aux nouvelles technologies, nous aurons besoin de médiateurs entre les salariés, les clients et les technologies et qu’il est possible de former ces personnes.
C’est à nos yeux une occasion majeure ! Pour ma part, je crois très fortement aux techniciens. Je vous rappelle – c’est l’occasion de parler de soi de temps en temps ! (Sourires) – que j’ai été pendant neuf ans technicien réseau au sein d’une hotline : j’ai dépanné près de 9 000 Français au téléphone et je me fais une fierté d’avoir été de ceux qui accompagnent nos concitoyens à maîtriser les technologies. Je veux qu’il y en ait encore plus en France. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. Merci, monsieur le secrétaire d'État, de bien vouloir faire des réponses plus courtes, afin que nous puissions mener cette après-midi les deux débats prévus par l’ordre du jour.
La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier Claude Malhuret de son initiative. C’est un sujet important, que l’on ne traite pas suffisamment, alors qu’il risque dans les années à l’avenir de bouleverser nos vies.
Je suis l’auteur, avec notre collègue Gilbert Roger, d’un rapport d’information intitulé Drones d’observation et drones armés : un enjeu de souveraineté – le titre est important. Les drones sont en effet un enjeu de souveraineté, et je souhaite établir un parallèle avec l’intelligence artificielle, qui me semble également un enjeu de souveraineté de premier ordre.
Notre pays dispose d’importants atouts à faire valoir dans le domaine des technologies de l’intelligence artificielle. Certes, les États-Unis ou la Chine sont réputés être les pays les plus avancés, mais nous nous en sortons plutôt bien.
Les applications de l’intelligence artificielle peuvent concerner l’éducation, l’environnement, les transports, l’agriculture, mais ce qui m’intéresse aujourd’hui, ce sont les applications pour l’aéronautique, la sécurité et surtout la défense : oui, de nouvelles perspectives s’ouvrent en matière de défense avec l’intelligence artificielle. Le rapport Gillot-de Ganay préconise d’encourager la constitution de champions européens en intelligence artificielle et en robotique, tout en poursuivant le soutien aux PME spécialisées, en particulier les start-ups.
J’aimerais prolonger ce point par ma question. Nous assistons à domination de quelques entreprises, le plus souvent américaines, parfois chinoises, concernant l’intelligence artificielle. Je pense aux GAFA, qui représentent la pointe de la recherche, mais la Chine, avec les BATX, veille au grain.
Dans ce contexte, monsieur le secrétaire d'État, quelle place existe pour l’Europe et pour la France ? Quelles initiatives ou mesures le Gouvernement entend-il prendre pour contribuer à l’émergence de champions européens en intelligence artificielle ?
J’en arrive à ma question sur la défense. Comment le Gouvernement conçoit-il le rôle que peut jouer l’intelligence artificielle dans le secteur de la défense ? Quels projets envisage-t-il par exemple de soutenir pour favoriser des applications d’intelligence artificielle dans ce secteur ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, permettez-moi de revenir sur les questions relatives à la défense, laquelle constitue l’un des piliers de la souveraineté.
Certes, la souveraineté dépasse les simples questions de défense, elle concerne aussi nos réseaux, nos infrastructures majeures. Prenons l’exemple des infrastructures télécoms : aujourd’hui, nous avons un déficit de fournisseurs européens d’éléments matériels centraux dans nos réseaux, ce qui entraîne notre dépendance à l’égard de fournisseurs venus d’autres continents.
Dans le domaine de la défense, c’est encore plus essentiel, puisque nous sommes l’une des grandes nations qui participent à la protection de l’Union européenne. Il y va de la capacité de la France à innover, à investir, à identifier les technologies dans lesquelles elle doit, tout comme l’Europe, être souveraine.
La ministre des armées a annoncé voilà deux semaines la création, avec la BPI, d’un fonds stratégique d’investissement de 50 millions d’euros dans les PME de défense. C’est le début, et c’est une première. Cela me permet de revenir à la question que j’ai soulevée au début de ce débat, celle du pilotage, de la maîtrise et de la capacité à observer l’écosystème et les dispositifs existants.
Monsieur le sénateur, vous évoquez les drones. J’ai visité plusieurs pays récemment. Pendant que nous parlons de ces technologies, eux ont une mappemonde sur laquelle figurent toutes les technologies et sous-technologies existantes en la matière, de la verticale, de l’horizontale, de ses usages pratiques, des softwares, des différents types de drones possibles. Ce faisant, ils identifient les domaines dans lesquels ils connaissent des faiblesses et partent activement à la recherche de start-up à la pointe dans ces secteurs pour le financer.
En France, nous n’avons jamais entrepris une telle démarche. Elle est en train d’émerger, et je souhaite la développer dans certains domaines, notamment la défense, avec la ministre des armées, mais aussi la cybersécurité. Sur ce sujet spécifique, l’une des forces d’Israël, c’est sa capacité à toujours savoir si elle peut en permanence s’appuyer sur un nombre suffisant de chercheurs, si ceux-ci sont bien financés, si des start-up peuvent se créer, qui elles-mêmes parviennent à vendre leurs services au public et aux grandes entreprises privées.
Telle est la démarche que je souhaite voir développer à l’échelon militaire pour nos armées. Certaines technologies peuvent être secrètes, mais d’autres ne le sont pas. Il revient à l’armée de participer à leur financement, parce qu’elles permettent de conserver nos PME en France. Cela participe de la réflexion sur les fonds stratégiques d’investissement, qui ne se réduit pas à la performance financière à moyen ou long termes, mais concerne la nécessité souveraine d’investir dans un secteur plutôt que dans un autre.
Voilà qui nous ramène à la fameuse question du DARPA, le Defense Advanced Research Projects Agency, qui n’est pas la même chose que le Fonds stratégique d’investissement PME, lequel investit tout de suite dans une technologie utilisable dès maintenant. Les fonds DARPA sont une prise de risque sur l’avenir : ce sont des fonds qui investissent dans des technologies dont on ignore si elles aboutiront, dont on ne peut préjuger l’usage futur.
Monsieur le président, pardonnez-moi d’avoir dépassé mon temps de parole…
M. François Patriat. Ce n’est pas grave : vous êtes très bon !
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le secrétaire d'État, j’apprécie votre enthousiasme et votre fougue, même si le chronomètre en est parfois contrarié.
Ma question ne sera pas très « tech ». Catherine Morin-Desailly a affirmé qu’il fallait s’armer pour la guerre. Je fais miennes les nombreuses interrogations qui ont été soulevées sur les défis à relever, les potentiels, les sujets relatifs à l’éducation, les risques de rupture d’égalité, les problèmes de souveraineté… J’ai d’ailleurs quelques questions juridiques dans ma besace, si vous voulez.
Nous débattons aujourd'hui sur l’initiative de Claude Malhuret, que moi aussi je salue. J’entends bien que le Gouvernement s’est saisi pleinement de ce sujet, que de nombreux dispositifs ont été lancés, sont en cours et visent à répondre aux enjeux.
Pour ma part, je souhaite revenir sur la question de la liberté qu’a évoquée Gérard longuet, car elle me semble essentielle. La première des libertés, c’est celle de s’aliéner. Mais encore faut-il savoir à quoi on souhaite s’aliéner et avec quelle conscience.
Il me semble alors que la question du contrat social se pose. Cette dimension-là a-t-elle vocation à prospérer dans nos débats, notamment dans nos échanges avec le Gouvernement ? (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, si vous préférez des questions juridiques ou techniques, j’en ai aussi ! Certaines sont évidemment pertinentes, notamment celle de la propriété intellectuelle quand la création émane de l’intelligence artificielle elle-même sans la moindre intervention de personnes physiques – voilà un problème intéressant ! –, celle de la transparence ou, sur le sujet qui nous préoccupe à plus court terme, celle de la responsabilité, par exemple pour les véhicules autonomes.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je répondrai à votre question sur le contrat ou le pacte social et sur la manière que nous avons d’envisager notre façon d’être des hommes et des femmes ensemble, des citoyens en France, en Europe et dans le monde, et d’appréhender le rapport que nous avons avec les nations.
L’hypothèse que nous avons posée et que j’ai rappelée au début de ce débat, celle qui doit nous habiter en permanence, est la suivante : nous ne devons rien subir. Notre façon de vivre ensemble, nous, citoyens, l’avenir de ces technologies et le traitement de leurs conséquences : tous ces choix relèvent du politique.
Le modèle de financement de nos politiques sociales et de la solidarité constitue l’un des éléments essentiels de notre contrat social en France et en Europe.
Plus philosophiquement encore se pose la question de notre rapport à la politique, au pouvoir, à la décision, à l’autorité au sein de l’entreprise, à l’autorité politique, à l’autorité avec la police.
Dubaï annonce des robots autonomes pour assurer la sécurité au quotidien. Quel rapport d’autorité dois-je avoir avec un robot ? Si je crache sur un robot, ai-je la même responsabilité que face à un policier ? Si j’insulte un robot, puis-je être poursuivi de la même manière ? (Murmures.) Ces questions peuvent faire rire, mais ces robots s’annoncent déjà à Dubaï, et il nous faut donc être capables d’y répondre. Si ce robot a été programmé par un homme, celui-ci est-il responsable du comportement de cette machine ou bien est-ce l’État qui en aura pris la décision première ?
De très nombreuses questions ouvertes vont se poser à nous dans les années à venir. C’est pourquoi j’ai mentionné tout à l’heure la méthode du scénario. Il importe que nous soyons capables d’envisager ensemble des scénarios extrêmes, d’autres plus probables, en tout cas des situations que nous n’imaginons pas encore.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Nos collègues Dominique Gillot et Claude de Ganay ont rendu au mois de mars dernier, sur l’initiative de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, un copieux rapport sur l’intelligence artificielle. Sans que le bilan qu’ils dressent et les perspectives qu’ils proposent aient été réellement discutés, le Gouvernement a demandé à M. Cédric Villani un nouveau rapport sur le sujet, moins de six mois après le dépôt du précédent.
M. Cédric Villani est par ailleurs président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques : vous nous permettrez par conséquent de nous interroger sur le bien-fondé de ce cumul, qui nous semble déontologiquement discutable.
À l’occasion de ses nombreux entretiens avec la presse, M. Cédric Villani défend une approche globale de l’intelligence artificielle et, sur ce sujet, nous ne pouvons que partager son point de vue. Il nous semble, en effet, que ce dossier ne peut être dissocié des difficultés rencontrées par la culture mathématique, singulièrement par son apprentissage scolaire.
Pour n’en donner que quelques exemples, je rappelle qu’un quart des collégiens ont des difficultés en mathématiques. Pis, sur les 1 440 postes ouverts au CAPES de mathématiques, 375 sont restés vacants. De nouveau, cette année, depuis la rentrée, nous entendons dans nos départements la récurrente plainte des familles exaspérées par le non-remplacement des professeurs, qui touche principalement les disciplines scientifiques. Ne pensez-vous pas qu’une stratégie efficace en matière d’intelligence artificielle devrait en tout premier lieu renforcer la culture scientifique dans l’enseignement ?
Par ailleurs, le rapport de Dominique Gillot et Claude de Ganay faisait justement apparaître la nature essentiellement masculine de la recherche en intelligence artificielle. Environ 90 % des programmeurs et des développeurs sont des hommes. Pourquoi les femmes sont-elles exclues à ce point de ces disciplines ? Par quel processus mystérieux l’intelligence féminine ne pourrait-elle pas se développer dans le domaine de l’intelligence artificielle ? (Mme Marie-Pierre Monier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, j’aborderai deux points que votre question a soulevés et qui sont essentiels et conjoints : d’une part, la diversité des profils, qui passe par la culture et la sensibilisation, et, d’autre part, une pédagogie des sciences et des techniques, qui doit commencer très tôt en France.
En une dizaine d’années, on a quasiment vu disparaître 100 % des programmes audiovisuels consacrés à la pédagogie des sciences et du numérique, que ce soit sur les chaînes publiques ou sur les chaînes privées.
Voilà quinze, vingt, trente ou ans, quand j’étais moi-même un jeune enfant, plusieurs programmes de sensibilisation étaient proposés, qui trouvaient un écho à l’école, les professeurs pouvant les réutiliser. Au fur et à mesure, on n’a plus parlé de sciences, de mathématiques ; on a fait des exercices de mathématiques et de sciences et on a perdu ce goût heureux de la pratique sensible des sciences et des techniques. Résultat, ces sujets ont été réservés aux experts et à quelques-uns.
Vous avez rappelé les enjeux de la formation mathématique en France. Aujourd’hui, l’un de nos plus gros problèmes, c’est le nombre de candidats. Les professeurs de mathématiques ne demandent pas plus de nouvelles formations, ils demandent à les remplir !
Ce problème commence très tôt. Vous avez pris l’exemple des femmes : dès le début, on exclut, on ne cherche pas à inciter tout le monde à se diriger vers les sciences et à regarder avec amour cette discipline.
Il n’est qu’à voir la politique culturelle des sciences ! Paris compte le Palais de la découverte et, dans le XIXe arrondissement où j’ai été élu, la Cité des sciences et de l’industrie. Dans tous nos territoires, nous avons des musées des sciences. Pourtant, ils ne sont pas particulièrement remplis.
Quelques pays font un peu mieux que nous sur la place des femmes dans le numérique et dans les sciences. Ils ont traité cette question depuis le collège. Pour le ministre de l’éducation nationale et moi-même, l’enjeu consiste à faire très tôt la démonstration à nos jeunes que les sciences et techniques constituent un avenir potentiel pour eux.
Je vous invite à m’accompagner au prochain événement StartHer. Celui-ci ne rassemble que des femmes, mais nous y avons parlé non de femmes, mais de technologies et de la façon dont celles-ci sont en train de transformer le monde par la technologie. C’était un moment fabuleux ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)