M. Roger Karoutchi. Ah bon ?
M. André Gattolin. Si vous étiez membre de la commission des affaires européennes, vous le sauriez, mon cher ami !
De même, être parlementaire national, avec toutes les prérogatives de contrôle et de transposition des directives européennes dont nous disposons, supposerait qu’une part significative d’entre nous accepte d’être détachée pour une durée d’au moins trois mois au cours de leur mandat, soit dans un autre parlement national de l’Union, soit au sein du Parlement européen.
De cette appréhension très concrète d’une autre culture politique de l’Union, notre représentation nationale gagnerait, je le crois, en agilité européenne et donc en influence réelle sur la manière dont l’Europe, notre Europe, se construit.
En conclusion, ce n’est donc pas, mes chers collègues, à un « enlèvement d’Europe », comme cela a été écrit, mais bien à un « élèvement » de la France par l’Europe et pour l’Europe auquel le Président Macron nous convie.
Nous aurions tort, je crois, de ne pas relever le défi qui nous est lancé ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Mme Éliane Assassi. La droite va être d’accord !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, le 7 septembre, devant le Parthénon, symbole éternel de la sagesse grecque, sur la Pnyx, colline de l’exercice de la démocratie athénienne, premier gouvernement du peuple par le peuple, le Président Macron a posé cette question : « Qu’avons-nous fait, nous, de la démocratie ? »
Soixante ans après le traité de Rome, le bilan est en effet amer. Partout en Europe, les droits de l’homme régressent, alors qu’ils étaient considérés par les traités non seulement comme le fondement des institutions européennes, mais aussi comme le principe régulateur des relations avec nos voisins.
Au sein de l’Union, des droits fondamentaux sont bafoués, qu’il s’agisse de l’indépendance de la justice, de la liberté de la presse, des libertés académiques, des droits des syndicats, des minorités ou de ceux des femmes.
Alors qu’en juin dernier notre communauté nationale s’est retrouvée unie pour célébrer l’œuvre accomplie et le message délivré par Simone Veil, grande figure européenne qui fait notre fierté, l’accès libre des femmes au droit à l’intervention volontaire de grossesse est menacé dans plusieurs des États membres et de plus en plus entravé dans notre pays même.
Comment ne pas s’indigner en pensant à l’opprobre jeté à la face de celles et ceux qui ont choisi d’offrir le don d’amour à une personne du même sexe ?
Que dire de la honte qui nous accable en pensant au triste sort que nous avons réservé à nos sœurs et à nos frères en humanité fuyant la terrible guerre qui ravage, à nos portes, la Syrie, pays avec lequel nous partageons pourtant une frontière ?
La semaine dernière, l’Europe a offert au reste de l’humanité le spectacle affligeant du sang versé pour empêcher des citoyennes et des citoyens de voter. La Commission européenne justifie son lourd silence complice par son obligation de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État membre. Elle a été beaucoup moins neutre quand il s’est agi d’imposer au gouvernement grec de baisser les pensions de ses retraités les plus pauvres.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Pierre Ouzoulias. La solvabilité de la dette passe avant la défense du droit de vote !
Pourquoi continuer d’ignorer, dans le continent le plus riche de la planète, la misère croissante de celles et ceux qui sont privés de travail, qui n’ont plus de toit, qui ne peuvent plus se soigner et qui viennent chaque jour grossir les files des soupes populaires, comme aux heures les plus sombres de notre histoire européenne ?
Allons-nous effacer encore longtemps de nos consciences humaines la pitoyable existence de celles et ceux qui travaillent le jour et dorment la nuit dans leur voiture ?
En Allemagne, dans ce pays érigé en modèle pour une Europe que vous appelez de vos vœux, 22 % des salariés ont un salaire mensuel inférieur à 980 euros. Pis, près de 5 millions d’actifs vivent avec moins de 450 euros par mois. Cette misère sociale, cette incapacité croissante des salariés à vivre dignement des fruits de leur dur labeur attisent les braises de l’extrémisme et poussent les électeurs vers des partis antidémocratiques, racistes et xénophobes. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, 94 députés nazis vont siéger sous la coupole du Reichstag. Entendez ce coup de tonnerre d’un orage à venir qui pourrait être bien plus terrible !
Aujourd’hui, vous nous proposez d’appliquer à la France ces vieilles recettes en instaurant un gouvernement économique de la zone euro totalement soumis aux critères de l’ordolibéralisme allemand. Vous voulez priver notre Parlement de ses prérogatives budgétaires pour les confier au gouvernement des techniciens parce que vous jugez qu’en cette matière il est toujours plus efficace de donner le pouvoir à des personnes qui ne le détiennent pas du peuple.
Quelle est la puissance des dogmes qui vous aveuglent et vous empêchent de reconnaître que la précarité, sous le joug de laquelle vous assujettissez des pans toujours plus importants de nos sociétés, nous conduit à l’abîme ? Comment ne pas comprendre que les peuples refuseront maintenant d’être dépossédés de leur souveraineté au profit d’instances non élues qu’ils jugent responsables de la dégradation de leur condition matérielle ?
Oui, nous pensons avec vous qu’il faut refonder l’Europe, mais, par pitié, sur d’autres bases et avec d’autres principes que ceux qui, aujourd’hui, condamnent l’idée européenne dans son essence même.
Offrez aux peuples l’utopie mobilisatrice d’une République universelle, démocratique et sociale, un grand rassemblement des femmes et des hommes libérés de la peur du lendemain, rassurés sur leurs conditions d’existence et disponibles pour travailler ensemble à l’avènement d’une nouvelle République !
Retrouvez l’esprit qui anima jadis la démocratie athénienne, pour laquelle l’exercice du métier de citoyen imposait d’abord de vivre bien ensemble.
Je conclurai par ces fortes paroles de Victor Hugo, notre collègue, qui siégeait à la gauche de cet hémicycle, à la place aujourd’hui occupée par Mme Assassi.
En 1860, depuis son exil, refusant la soumission à la dictature de celui qu’il appelait « Napoléon le Petit », il déclarait : « Ô mes frères en humanité ; c’est l’heure de la joie et de l’embrassement. Mettons de côté toute nuance exclusive, tout dissentiment politique, petit en ce moment ; à cette minute sainte où nous sommes, fixons uniquement nos yeux sur cette œuvre sacrée, sur ce but solennel, sur cette vaste aurore : les nations affranchies, et confondons toutes nos âmes dans ce cri formidable digne du genre humain : vive la liberté ! » (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, débattre de l’avenir de l’Union européenne, c’est débattre de notre propre avenir, de celui de tous les Français, c’est donner une vision et un espoir pour les générations à venir. C’est, pour reprendre la formule que vous avez utilisée, monsieur le ministre, « quantifier la conscience de nos concitoyens d’être Européens ». C’est aussi retrouver l’esprit qui a guidé les Pères fondateurs de notre Union.
Lors de la campagne présidentielle, le candidat Emmanuel Macron s’était engagé à proposer une refondation de l’Union européenne. Force est de constater que, depuis son élection, le Président de la République ne s’est pas ménagé sur ce dossier, et je souhaite saluer sa détermination ainsi que le contenu des deux discours ambitieux qu’il a prononcés, début septembre à Athènes et il y a deux semaines à la Sorbonne. Le Président de la République a posé les bases de son engagement et de son ambition pour l’Europe.
Pour retrouver le souffle originel de l’Europe, deux piliers solides me paraissent importants à mettre en exergue : une Europe plus démocratique devrait permettre de renouer le lien avec les citoyens européens ; une Europe plus protectrice doit assurer un rôle concret aux institutions de l’Union.
Dans un premier temps, il apparaît une volonté de recréer une « Europe souveraine, unie et démocratique », comme énoncé dans le discours de la Sorbonne. Cette refondation démocratique ne pourra se faire qu’en associant l’ensemble des citoyens à la réflexion et aux décisions à prendre. Nous ne pouvons plus « jouer » avec l’opinion publique, comme cela a été souvent le cas lors des décennies écoulées, en particulier après différents référendums plus ou moins concluants.
Le Président de la République a proposé que soient organisées des conventions démocratiques en 2018 dans l’ensemble des États membres qui le souhaitent, afin d’écouter et de faire débattre les Européens entre eux. La reconstruction doit partir des peuples. C’est le meilleur moyen de donner l’envie d’Europe. C’est aussi une bonne manière d’intégrer des idées nouvelles soutenues par les citoyens.
Je pense que les parlements nationaux auront également toute leur place dans ces conventions. Il sera d’ailleurs important que notre commission des affaires européennes – n’est-ce pas, monsieur le président Bizet ? – contribue à ces débats. Nous savons, monsieur le président du Sénat, pouvoir bénéficier de votre soutien.
Nous avions produit l’année dernière un important rapport avec nos collègues de la commission des affaires étrangères, intitulé Relancer l’Europe : retrouver l’esprit de Rome. Il pourrait servir de base à une réflexion qui s’inscrit dans le cadre des propositions du Président de la République.
Redonner du sens à la démocratie européenne, c’est aussi redonner une légitimité au Parlement européen. La proposition de listes transnationales aux prochaines élections européennes va dans le bon sens : elle améliore le sentiment d’appartenance à une communauté de citoyens européens, la possibilité de partager un projet.
Cela devrait peut-être également passer par un rééquilibrage des pouvoirs entre les différentes institutions communautaires, avec un Parlement plus représentatif, plus démocratique. Vous connaissez aussi l’importance de la question des moyens, du montant du budget européen, de la possibilité de disposer d’un budget de la zone euro.
Étant donné l’état de l’opinion publique, et ce depuis de nombreuses années, il y a urgence à lancer ces débats. Les deux années à venir seront, je l’espère, celles de la reconstruction démocratique. Notre pays en sera acteur ; il est revenu dans le débat, il a retrouvé « une volonté d’Europe », « une exigence de responsabilité », pour reprendre les mots de M. le ministre.
Dans un second temps, et au-delà de la refondation démocratique de l’Union, il nous faut lui redonner du sens, à la mesure de sa dimension et à la mesure des attentes des citoyens, et j’entends, à cet égard, que tout n’est pas qu’économie sur ces sujets. Pour cela, l’axe principal sur lequel je souhaite m’attarder est celui d’une Europe qui protège. La protection peut couvrir des champs naturellement divers.
Une Europe qui protège, c’est une Europe qui tend vers une convergence des droits sociaux, des droits des salariés et de la fiscalité.
À cet égard, l’initiative lancée par la France sur la révision de la directive dite « travailleurs détachés » est un marqueur fort, et elle est assez différente de ce qui a été dit par l’orateur qui m’a précédé. Aujourd’hui, la situation n’est convenable ni pour les salariés ni pour les entreprises, tant sont déséquilibrées les conditions de travail et de protection sociale.
Dans ce domaine, nous devons également nous lancer – c’est aussi une réponse à l’intervention précédente – dans une refonte des bases de la fiscalité des entreprises. La convergence fiscale doit être recherchée pour limiter le dumping entre les différents États membres. Elle doit également nous permettre de nous protéger des stratégies à caractère d’optimisation fiscale et anticoncurrentiel de certaines multinationales ; vous aurez reconnu la problématique propre aux « GAFA ».
Une Europe qui protège, c’est une Europe favorable au développement économique, à la recherche et à l’innovation technologique, mais c’est aussi une Europe suffisamment unie et puissante pour adopter des règles justes vis-à-vis de ce type d’entreprises, qui ne peuvent pas se développer au détriment des citoyens ou au détriment de plus petites sociétés.
Enfin, une Europe qui protège, c’est aussi une Europe qui assume des choix clairs en matière de sécurité et de défense.
Depuis plus de deux ans, toute l’Europe est la cible d’attentats, sans cesse plus meurtriers. Une réponse concertée et une protection forte au niveau de l’Union sont indispensables.
En matière de défense, l’Europe pourrait aussi se doter d’une force commune d’intervention et d’un budget de défense commun, tel que l’a proposé le Président de la République et tel que vous l’avez évoqué dans votre intervention, monsieur le ministre.
N’oublions pas non plus la dimension du renseignement dans la lutte contre le terrorisme : celui-ci se coordonne, s’organise au niveau européen.
Pour conclure, vous l’aurez compris, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste que j’ai l’honneur de représenter aujourd’hui à cette tribune soutient totalement les démarches entreprises par le Président de la République pour refonder l’Europe et lui redonner tout son sens.
Pour la première fois depuis de nombreuses années, nous avons le sentiment que la France retrouve une place de leader, une parole dans la construction européenne, et ce dans un partenariat de bon aloi avec nos voisins allemands.
Oui, mes chers collègues, nous avons besoin d’Europe, et surtout d’une Europe forte qui puisse jouer un rôle de pivot et de stabilisateur. Nous ne partageons pas la vision, même si elle est bien sûr respectable, de mon prédécesseur à cette tribune, car il ne faut pas exploiter toutes les facettes d’une volonté de catastrophe ou de déclinisme. Pour être plus explicite encore, je dirai que nous sommes fiers de siéger dans cet hémicycle devant le drapeau tricolore, mais également devant le drapeau de l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe La République en marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, il y a quelques années encore, un débat sur « l’avenir de l’Union européenne » aurait paru incongru aux parlementaires que nous sommes tant la nécessité de la construction européenne ne faisait pas débat.
Nous nous accordions sur la réalité de cet avenir, sur le besoin de cet avenir et presque sur les modalités de cet avenir. Est-ce toujours le cas ? La question se pose et ce débat doit permettre d’y répondre. Monsieur le ministre, madame la ministre, avec le Gouvernement, vous devrez apporter ces réponses au peuple français.
Cette sérénité, cette confiance dans le projet européen nous ont fait oublier la nécessité de l’expliquer et, surtout, de le penser, voire de le repenser.
Aujourd’hui, l’Union européenne vit une crise majeure, une crise comme elle n’en a jamais connu auparavant qui peut avoir deux issues : la fin de l’idée européenne et de l’Europe telle que la battirent nos prédécesseurs – ce serait un désastre politique et humain –, ou alors le redémarrage d’une Europe de prospérité et de solidarité.
Nous devons avoir la volonté chevillée au corps de réinventer le rêve européen. Oui, monsieur le ministre, il faut un sursaut, un cap clair pour une véritable refondation de l’Europe.
Au moment où l’euroscepticisme gagne les rangs des Français, et plus largement des citoyens européens, où l’Union traverse des crises en donnant l’impression d’une totale non-maîtrise des événements, où les peuples d’Europe sont de plus en plus méfiants vis-à-vis du projet européen, ce type de débat est utile et devrait être plus courant.
Monsieur le ministre, je veux d’emblée vous assurer de notre soutien pour tout ce qui ira dans le sens d’un renforcement de l’Union, d’un approfondissement du projet européen et, surtout, d’une dynamique démocratique européenne.
Nous vous soutiendrons parce que notre pays en a besoin et parce que vous aurez besoin de la force du Parlement pour exprimer une position claire de la France sur la scène européenne. Nous croyons que c’est dans l’accomplissement d’un projet européen que les peuples d’Europe seront mieux protégés, en termes tant de sécurité physique que de garanties sociales.
Toutefois, sachez que notre exigence et notre vigilance seront fortes et constantes.
Nous croyons dans le projet européen, parce que nous reconnaissons ce qu’il a apporté aux peuples européens depuis soixante ans. Mais aussi parce que nous avons la volonté de corriger les erreurs qui ont pu émailler sa construction.
Contrairement à ceux qui ont baissé les bras, nous pensons l’Europe comme un enjeu politique primordial. Faire table rase serait une facilité et une erreur historique.
Quel reniement, quelle démission intellectuelle, quel déshonneur pour ceux qui veulent aujourd’hui faire disparaître les symboles européens comme le drapeau ! C’est absolument inacceptable ! Le Président de la République a annoncé qu’au prochain Conseil européen la France ferait une déclaration solennelle pour reconnaître le statut de l’hymne et du drapeau européens. Nous y sommes totalement favorables, car la politique et la construction européennes est aussi affaire de symboles.
Construire est bien évidemment plus complexe, plus long, plus difficile que de renier, mais bien plus utile aux peuples. C’est vers cette nouvelle construction européenne que nous souhaitons nous diriger.
À ce titre, je souhaite vous alerter sur deux dangers qui pèsent sur ce projet.
Le premier danger est celui de l’éclatement : il a déjà commencé. Les tenants de l’explosion ou de l’implosion du projet européen sont nombreux. Notre mobilisation, votre action doivent être totales contre ce risque. Nous devons y répondre en affirmant notre volonté d’une Europe intégrée et unie.
Le phénomène britannique n’est pas isolé. Dans notre pays, la dernière élection présidentielle a montré que la remise en cause de l’Union était de plus en plus forte. Sous deux formes différentes, à l’extrême droite et à l’extrême gauche, les opposants à l’Europe, les eurosceptiques, ont fait plus de 40 %.
En Allemagne, l’extrême droite est entrée au Parlement. En Hongrie ou en Pologne, les opposants au projet européen sont même au pouvoir.
La menace d’éclatement de l’Union européenne n’est pas uniquement virtuelle. Si une partie des Britanniques regrettent déjà leur sortie, personne ne peut dire ce qu’un référendum du même type donnerait aujourd’hui dans un autre pays. Ce mouvement pourrait devenir une lame de fond contre toute espèce de solidarité.
C’est d’ailleurs bien cette volonté « de ne pas payer pour les autres » qui a présidé pendant des années au traitement du dossier grec, jusqu’à ce que la menace du Grexit fasse évoluer les positions.
La France a été à la pointe et a joué un rôle déterminant dans le règlement de la crise grecque. La France compte et doit continuer à compter dans le concert des nations. Ce danger de l’éclatement doit donc nous rappeler au principe de solidarité au sein de l’Union. La construction purement économique a trop écarté ce besoin de solidarité entre les peuples, alors que nos sociétés sont devenues de plus en plus interdépendantes.
Ce paradoxe doit être résolu dans cette nouvelle phase du projet européen.
Certes, il faut aller dans le sens d’une union monétaire renforcée, d’un budget efficace aux ressources propres, de l’harmonisation des politiques, notamment fiscales, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre. Mais il est absolument indispensable d’aller vers une convergence sociale avec l’adoption d’un socle européen des droits sociaux, sous peine d’un retour en arrière de l’idée européenne par une grande majorité de citoyens européens.
La solidarité européenne, c’est aussi le partage de l’effort de sécurité. La France, d’autant plus avec le départ du Royaume-Uni, ne peut plus assumer seule, ou presque seule, la protection de tout un continent.
Le contexte terroriste et le besoin du renforcement militaire de notre pays ont montré l’urgence d’une plus grande unité militaire en Europe, et je parle devant l’expert que vous êtes, monsieur le ministre. Les propositions du Président de la République en la matière sont fortes. Espérons que le projet européen de défense puisse enfin voir le jour.
Le second écueil auquel nous serons vigilants est celui de la déconnexion du projet européen.
La perte d’espoir dans l’Europe ne vient pas de nulle part. Parmi les erreurs du passé, que j’évoquais il y a quelques instants, c’est bien l’éloignement des citoyens de ce qu’on appelle la technostructure qui a été la plus terrible.
De la directive Bolkestein à celle qui concerne les travailleurs détachés, de la politique agricole commune à Schengen, les Français sont souvent inquiets ou interrogatifs.
L’éloignement a attisé l’exaspération, pendant que la crise montrait d’autres failles du projet européen, notamment l’absence d’Europe sociale.
Il n’est plus temps de se satisfaire d’accords entre gouvernements, mais de satisfaire les attentes légitimes des citoyens. Ne refaisons pas les erreurs du passé. N’éloignons pas plus l’Europe des citoyens. Ne construisons pas de nouvelles instances sans lien démocratique. N’empilons pas les institutions comme on sait parfois si bien le faire.
Au contraire, monsieur le ministre, nous vous demandons de penser constamment tout nouveau projet, toute nouvelle institution européenne avec la volonté de mettre plus de démocratie dans l’Europe.
Le Parlement européen doit ainsi obtenir davantage de pouvoirs, parce qu’il représente la volonté citoyenne, celle du peuple, et la démocratie. C’est bien le lien entre décision et démocratie qu’il faut renforcer quand nous parlons de projet démocratique, bien avant les débats légitimes sur les modalités d’élection.
Nous veillerons à ce que vous preniez ce chemin d’une Europe plus démocratique. Là encore, vous aurez sûrement des opposants. Certains vous expliqueront que ce ne sont que des mots qui ne produiront aucun effet. Mais croyez-nous, la démocratie n’est pas qu’un mot, elle est un projet en elle-même, et l’Europe a besoin de ce projet démocratique, qui seul la rapprochera des citoyens.
Démocratie et solidarité : ce sont les deux principes que je voulais apporter, au nom de mon groupe, à ce débat sur l’avenir de l’Union européenne.
Parce que l’Europe doit s’affirmer comme une puissance souveraine – vous l’avez dit, monsieur le ministre –, notre projet européen a besoin d’une boussole, d’une identité, et ces principes peuvent y contribuer.
L’ancrage des symboles européens dans notre pays participera aussi à la progression du sentiment européen. Vous nous trouverez pour contribuer avec vous au débat. Vous nous trouverez aussi à vos côtés contre tous ceux qui veulent démanteler l’Europe, contre ceux qui prônent le repli et la suppression des symboles.
Au populisme sans limites, répondez par un projet démocratique. À la folie démagogique des extrêmes, répondez par l’aspiration à plus de solidarité.
Parce que la France a toujours été du côté des bâtisseurs de notre espace commun, parce que la France a un rôle éminent à jouer dans la nouvelle phase qui s’ouvre, parce que la France et l’Allemagne demeureront un moteur solide au milieu des autres nations, parce qu’un nouveau traité de l’Élysée sera vraisemblablement nécessaire, assumons ensemble, monsieur le ministre, notre volonté européenne inébranlable, assumons d’être les fers de lance de sa reconstruction, assumons notre histoire.
Quelles que soient les difficultés – il y en aura ! –, quels que soient le travail immense à accomplir – il faudra le faire – et les obstacles à lever, assumons de demeurer des travailleurs infatigables pour continuer à bâtir cette belle idée européenne et pour que demain nous puissions tous ensemble dire encore : Vive l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe La République en marche. – MM. Pierre Louault, Jean-François Longeot et Franck Menonville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe République et Territoires / Les Indépendants.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, le 25 mars dernier se déroulaient les célébrations du soixantième anniversaire du traité de Rome, un événement propice à dresser le bilan de la construction communautaire. De fait, si le projet européen a connu une progression incontestable – élargissements successifs, mise en place d’une citoyenneté européenne, espace Schengen, création de l’euro, programmes éducatifs –, de nombreux périls le menacent : le Brexit, la montée des populismes, la crise migratoire.
Mais l’Union européenne est une force pour la France et nous devons sortir des clichés sur l’Europe.
De nombreux responsables politiques dénoncent « Bruxelles », oubliant que les États membres gardent un rôle déterminant dans les prises de décision de l’Union. À titre d’exemple, ils dénoncent l’échec de Schengen tout en ayant refusé, pendant des années, de confier pleinement aux institutions communautaires le contrôle aux frontières et de donner un budget crédible pour assurer cette mission.
Nous devons être unis pour être souverains. Selon la trajectoire prévisionnelle actuelle, tous les dix ans un pays européen sortira du G8. Pour conserver une puissance politique majeure et maîtriser notre destin, nous devons présenter un front fort et uni. Les souverainistes français se trompent de combat en faisant de l’Union européenne un adversaire, alors qu’il s’agit d’un formidable levier de reconquête de notre souveraineté menacée par nos dettes ou par notre dépendance à certaines matières premières.
Nous avons besoin d’une Europe puissance : une Europe qui maîtrise ses frontières, qui soit plus cohérente économiquement et socialement afin d’éviter des concurrences déloyales entre les États membres ; une Europe qui protège son marché intérieur face à des produits qui ne respectent pas les normes que nous imposons à nos entreprises, à nos agriculteurs ; enfin, une Europe qui doit faire confiance aux territoires en respectant pleinement le principe de subsidiarité.
Sur certains sujets, l’échelon européen est adéquat ; sur d’autres, ce sont les États ou les collectivités locales qui sont plus efficaces. Reconnaissons cette réalité.
Le discours du Président de la République sur la question européenne va dans le bon sens. Il est volontaire, évoque plusieurs pistes de réflexion intéressantes en termes de souveraineté, d’unité et de démocratie. Le Gouvernement semble vouloir prendre à bras-le-corps le sujet européen trop souvent laissé aux extrémistes de tous bords et nous saluons cette volonté au sein du groupe République et Territoires / Les Indépendants.
Nous partageons par exemple pleinement le projet du Président de la République et du Gouvernement de donner des outils à l’Union européenne afin de garantir la sécurité à la fois en termes de lutte contre le terrorisme, de défense et de protection civile.
Nous partageons sa détermination à prendre en compte la question migratoire, toujours d’actualité.
Nous approuvons l’idée de faire de l’Union le leader mondial du développement durable.
Bien sûr, nous serons extrêmement vigilants sur l’application de ces orientations, leurs déclinaisons en propositions afin que ces mots soient réellement suivis de faits.
L’Union européenne ne peut se suffire de mots, il faut des actes.
L’idée européenne doit être partagée par le plus grand nombre. Les citoyens doivent se réapproprier la construction européenne. Je profite de ce débat pour soutenir l’idée des « conventions démocratiques sur la refondation de l’Union européenne », que le Président de la République a évoquée lors de son discours à Athènes. Nous devons reconnaître la défiance que certains citoyens français et européens ressentent face à la construction européenne ; même si l’image de cette dernière s’améliore auprès de nos concitoyens, nous ne pouvons ni ignorer ni nier cette réalité.
Il est indispensable de communiquer, d’échanger et d’agir pour redonner du souffle et de l’énergie au projet européen. Trop souvent dans le passé, les responsables politiques ont construit l’Europe sans les citoyens. Cela a créé de la défiance, de la méfiance. Cela a entraîné le « non » au référendum sur le traité constitutionnel en 2005.
Pourtant, l’Union européenne a engendré de belles réussites, notamment pour la jeunesse.
Cette année, le programme Erasmus fête ses trente ans. Le programme d’échange universitaire européen, rebaptisé Erasmus + en 2014, est l’un des plus grands et incontestables succès européens. Depuis 1987, année de sa création, plus de trois millions d’étudiants ont bénéficié du programme. Aujourd’hui, ils sont environ 270 000 à partir chaque année, confirmant la réussite d’Erasmus +, qui intègre désormais un volet professionnel, mais qui reste encore, à mon sens, trop peu utilisé. Il serait utile que nous abordions cette question lors du débat sur l’apprentissage.
En conclusion, l’Europe est une nécessité.
Les enjeux n’ont jamais été aussi forts et c’est la raison pour laquelle il faut associer plus largement encore les Français. Plus que jamais, les Européens doivent se retrouver pour défendre leurs valeurs et renforcer notre économie. Plus que jamais, les Européens doivent reprendre leur destin en main pour ne pas devenir, selon les mots de l’ancien commissaire européen Michel Barnier, un continent « sous influence ou sous-traitant ».
Le Parlement prendra évidemment toute sa place dans les débats à venir, notamment bien sûr via la commission des affaires européennes. Notre groupe République et Territoires / Les Indépendants s’investira également, tant cette question est au cœur de notre ADN.
Mes chers collègues, l’Union européenne est une chance pour la France. Nous n’avons pas le droit de la gâcher ! (Applaudissements sur des travées du groupe La République en marche. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)
(M. David Assouline remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)