Sommaire
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
Secrétaire :
M. Jackie Pierre.
2. Renforcement du dialogue social. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Amendement n° 42 rectifié de Mme Dominique Gillot. – Rejet.
Amendement n° 211 rectifié ter de Mme Pascale Gruny. – Retrait.
Amendement n° 223 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 122 de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 173 rectifié ter de Mme Pascale Gruny. – Retrait.
Amendement n° 172 rectifié ter de Mme Pascale Gruny. – Retrait.
Amendement n° 174 rectifié ter de Mme Pascale Gruny. – Retrait.
Amendement n° 195 de Mme Françoise Laborde. – Non soutenu.
Amendement n° 63 rectifié de M. Jean-Marc Gabouty. – Retrait.
Amendement n° 64 rectifié de M. Jean-Marc Gabouty. – Rectification.
Amendement n° 64 rectifié bis de M. Jean-Marc Gabouty. – Adoption.
Amendement n° 123 de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 175 rectifié ter de Mme Pascale Gruny. – Retrait.
Amendement n° 176 rectifié ter de Mme Pascale Gruny. – Retrait.
Amendement n° 65 rectifié de M. Jean-Marc Gabouty. – Retrait.
Amendement n° 44 rectifié de Mme Catherine Génisson. – Adoption.
Amendement n° 45 rectifié de Mme Dominique Gillot. – Adoption.
Amendement n° 177 rectifié ter de Mme Pascale Gruny. – Retrait.
Amendement n° 153 rectifié de Mme Sophie Primas. – Rejet.
Amendement n° 215 rectifié bis de M. David Assouline. – Rejet.
Amendement n° 19 rectifié bis de M. Philippe Mouiller. – Retrait.
Amendement n° 205 rectifié de M. Bruno Retailleau. – Retrait.
Amendement n° 206 rectifié de M. Bruno Retailleau. – Retrait.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
Mme Éliane Assassi ; M. le président ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail.
4. Renforcement du dialogue social. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Amendement n° 46 rectifié de Mme Catherine Génisson. – Rejet.
Amendement n° 66 rectifié de M. Jean-Marc Gabouty. – Retrait.
Amendement n° 128 de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 222 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 200 rectifié de M. Claude Nougein. – Retrait.
Amendement n° 202 rectifié de M. Bruno Retailleau. – Retrait.
Amendement n° 208 rectifié de M. Bruno Retailleau. – Retrait.
Amendement n° 203 rectifié de Mme Sophie Primas. – Retrait.
Amendement n° 219 rectifié bis de M. David Assouline. – Rejet .
Amendement n° 179 rectifié bis de Mme Françoise Gatel. – Non soutenu.
Amendement n° 178 rectifié ter de Mme Pascale Gruny. – Adoption.
Amendement n° 62 de Mme Dominique Gillot. – Retrait.
Amendement n° 220 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 237 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 247 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 129 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 133 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Adoption, par scrutin public n° 137, de l’article modifié.
Article additionnel après l'article 3
Amendement n° 132 de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 225 de M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 136 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 18 rectifié quinquies de Mme Catherine Génisson. – Adoption.
Amendement n° 143 de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 233 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 230 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 139 rectifié de M. Dominique Watrin. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l'article 5
Amendement n° 147 de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 226 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 86 rectifié de Mme Évelyne Yonnet. – Rejet.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l'article 7
Amendement n° 130 rectifié de M. Dominique Watrin. – Retrait.
Amendement n° 148 de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 20 rectifié bis de M. Philippe Mouiller. – Retrait.
Amendement n° 158 de M. Jean Desessard. – Rejet.
Adoption de l’article.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l'article 8 bis
Amendement n° 144 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 47 rectifié bis de M. Jean-Louis Tourenne. – Rejet.
Amendement n° 149 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.
Amendement n° 166 rectifié de M. Richard Yung. – Retrait.
Article 9 et article additionnel après l’article 9 (précédemment examinés)
Adoption, par scrutin public n° 141, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaire :
M. Jackie Pierre.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Renforcement du dialogue social
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (projet n° 637, texte de la commission n° 664, rapport n° 663, avis n° 642).
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons l’examen de l’article 3.
Article 3 (suite)
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin :
1° De renforcer la prévisibilité et ainsi de sécuriser la relation de travail ou les effets de sa rupture pour les employeurs et pour les salariés de droit privé, en :
a) Chargeant l’autorité administrative compétente de faciliter l’accès par voie numérique de toute personne au droit du travail et aux dispositions légales et conventionnelles qui lui sont applicables et en définissant les conditions dans lesquelles les personnes peuvent se prévaloir des informations obtenues dans ce cadre ;
b) Modifiant les dispositions relatives à la réparation financière des irrégularités de licenciement, d’une part, en fixant un référentiel obligatoire, établi notamment en fonction de l’ancienneté, pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l’exclusion des licenciements entachés par des actes de harcèlement ou de discrimination et, d’autre part, en modifiant en conséquence, le cas échéant, les dispositions relatives au référentiel indicatif mentionné à l’article L. 1235-1 du code du travail ainsi que les planchers et les plafonds des dommages et intérêts fixés par le même code pour sanctionner les autres irrégularités liées à la rupture du contrat de travail ;
c) Adaptant les règles de procédure et de motivation applicables aux décisions de licenciement ainsi que les conséquences à tirer du manquement éventuel à celles-ci, en amont ou lors du recours contentieux, en permettant notamment à l’employeur de rectifier dans la lettre de licenciement les irrégularités de motivation si elles sont sans incidence sur la cause réelle et sérieuse du licenciement ;
d) Réduisant les délais de recours en cas de rupture du contrat de travail, notamment en diminuant au moins de moitié le délai de contestation portant sur la régularité ou la validité d’un licenciement pour motif économique ;
e) Clarifiant les obligations de l’employeur en matière de reclassement pour inaptitude d’origine professionnelle ou non professionnelle et en sécurisant les modalités de contestation de l’avis d’inaptitude ;
e bis) (Supprimé)
f) Favorisant et sécurisant les dispositifs de gestion des emplois et des parcours professionnels ;
g) Favorisant et sécurisant les plans de départs volontaires, en particulier en matière d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel ainsi que d’accompagnement du salarié ;
2° De modifier les dispositions relatives au licenciement pour motif économique en :
a) Définissant les éventuels aménagements à la règle selon laquelle les difficultés économiques et la sauvegarde de la compétitivité d’une entreprise appartenant à un groupe sont appréciées au niveau des entreprises appartenant au même groupe, situées en France et relevant du même secteur d’activité ;
b) Prenant toute disposition de nature à prévenir ou tirer les conséquences de la création artificielle ou comptable de difficultés économiques à l’intérieur d’un groupe à la seule fin de procéder à des suppressions d’emploi ;
c) Précisant les conditions dans lesquelles l’employeur satisfait à son obligation de reclassement ;
d) Définissant les conditions dans lesquelles sont appliqués les critères d’ordre des licenciements dans le cadre des catégories professionnelles en cas de licenciement collectif pour motif économique ;
e) Adaptant les modalités de licenciements collectifs à la taille de l’entreprise et au nombre de ces licenciements ;
f) Facilitant les reprises d’entités économiques autonomes ;
3° De modifier les règles de recours à certaines formes particulières de travail en :
a) Favorisant le recours au télétravail et au travail à distance en vue d’assurer une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale ;
b) Prévoyant la faculté d’adapter par convention ou accord collectif de branche, dans les limites d’un cadre fixé par la loi, les dispositions, en matière de contrat à durée déterminée et de contrat de travail temporaire, relatives aux motifs de recours à ces contrats, à leur durée, à leur renouvellement et à leur succession sur un même poste ou avec le même salarié ;
c) Favorisant et sécurisant, par accord de branche, dans les limites d’un cadre fixé par la loi, le recours aux contrats à durée indéterminée conclus pour la durée d’un chantier ou d’une opération ;
d) Sécurisant le recours au travail de nuit, lorsque celui-ci relève d’une organisation collective du travail, en permettant une adaptation limitée de la période de travail de nuit de nature à garantir un travail effectif jusqu’au commencement et dès la fin de cette période, ainsi qu’en renforçant le champ de la négociation collective dans la définition du caractère exceptionnel du travail de nuit ;
e) Favorisant et sécurisant, par une adaptation des dispositions en droit du travail et en droit fiscal, le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif entre un groupe ou une entreprise et une jeune entreprise ;
4° D’encourager le recours à la conciliation devant la juridiction prud’homale, en modifiant les règles de procédure applicables durant la phase de conciliation, et de modifier le régime fiscal et social des sommes dues par l’employeur et versées au salarié à l’occasion de la rupture de contrat de travail, afin d’inciter à la résolution plus rapide des litiges par la conclusion de ruptures conventionnelles, de transactions, d’accords devant le bureau de conciliation et d’orientation, ou de toute autre modalité de règlement, notamment devant l’autorité mentionnée à l’article L. 5542-48 du code des transports ;
5° De prolonger jusqu’au 31 mars 2018 le mandat des conseillers prud’hommes sortants pour leur permettre de rendre les décisions relatives aux affaires débattues devant eux et pour lesquelles ils ont délibéré antérieurement durant leur mandat, à l’exclusion de toutes autres attributions liées au mandat d’un conseiller en exercice ;
6° De supprimer l’interdiction de cumuler le mandat de conseiller prud’homme avec, d’une part, celui d’assesseur du tribunal des affaires de sécurité sociale et, d’autre part, celui d’assesseur du tribunal du contentieux de l’incapacité.
M. le président. Nous en sommes parvenus, au sein de l’article 3, à cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 77 rectifié est présenté par M. Antiste et Mme Jourda.
L'amendement n° 121 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 7
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° 77 rectifié.
M. Maurice Antiste. L’alinéa 7 de l’article 3 tend à réduire les obligations de l’employeur en matière de reclassement pour inaptitude et à diminuer les protections légales dont bénéficient les salariés, y compris en ce qui concerne la contestation de l’avis d’inaptitude. C’est pourquoi je propose de le supprimer.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour présenter l’amendement n° 121.
M. Dominique Watrin. Une nouvelle fois, le Gouvernement cède au fantasme selon lequel faciliter les licenciements crée de l’emploi. En proposant d’alléger les obligations de l’employeur en matière de reclassement des salariés rendus inaptes à leur poste, il s’apprête malheureusement à mettre en place une véritable trappe à chômage.
On peut d’ailleurs s’interroger sur les objectifs qu’il vise, mais je me doute bien que le fait que le premier motif d’annulation des plans sociaux par la justice soit l’absence de plan de reclassement joue un rôle déterminant. En effet, si le Gouvernement cherche à revenir sur cette obligation de reclassement dans le cadre des plans sociaux, il ne pourra le faire que si les obligations de reclassement sont remises à plat totalement, y compris pour les cas d’inaptitude.
La mesure proposée nous semble incorrecte, tant le nombre d’accidents et de maladies du travail incapacitants est important, et ce malgré un taux de non-déclaration élevé.
Concrètement, cette disposition ne pourra qu’accentuer l’omerta sur les accidents du travail et les incapacités faisant prendre des risques non seulement aux salariés concernés, mais aussi à leurs collègues.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons supprimer cet alinéa.
M. le président. L'amendement n° 42 rectifié, présenté par Mme D. Gillot, MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
e) En prévoyant la faculté par accord de branche d’adopter une liste d’aptitudes reconnues suffisantes en cas de reclassement pour inaptitude au sein de la branche, en clarifiant les obligations de l’employeur en matière de reclassement pour inaptitude et en sécurisant les modalités de contestation de l’avis d’inaptitude ;
La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, la déclaration d’inaptitude professionnelle sont actuellement une double peine pour le salarié : d’une part, celui-ci subit les conséquences de son inaptitude dans sa vie quotidienne, en dehors du travail ; d’autre part, dans la très grande majorité des cas, l’avis d’inaptitude est suivi, à plus ou moins brève échéance, par un licenciement.
Dans son rapport du mois de novembre 2014 relatif aux liens entre handicap et pauvreté, l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, particulièrement François Chérèque, dont je tiens en cet instant à saluer la mémoire et l’engagement, dresse un constat plus qu’alarmant sur les conséquences de l’inaptitude professionnelle.
Ce rapport fait écho aux résultats d’enquêtes régionales et à des données nationales sur le sujet : ainsi, dans une région, 97,5 % des salariés déclarés inaptes ont été licenciés ; 94 % dans une autre. Dans ce deuxième cas, un an après leur licenciement, 27 % sont inactifs et 43 % sont toujours au chômage ; seules 18 % des personnes occupent un emploi. Par ailleurs, seule une petite moitié des personnes licenciées est inscrite à Pôle emploi.
Comme on peut s’y attendre, dans les avis d’inaptitude rendus, les études relèvent également une surreprésentation des salariés peu ou pas qualifiés – 80 % sont titulaires d’un diplôme infrabac –, ainsi que des plus âgés. Or il s’agit de deux populations qui parviennent plus difficilement à reconstruire un parcours de formation dans un autre secteur d’activité.
Il est impératif que nous sortions de ce paradigme de l’inaptitude, selon lequel les personnes sont jugées et stigmatisées pour ce qu’elles ne sont plus en mesure de faire, alors que nous devrions valoriser ce qu’elles sont aptes à réaliser, avec leurs capacités restantes, à développer ou acquérir.
Avec cet amendement, nous proposons une nouvelle rédaction de l’alinéa 7 qui va dans cette direction, puisque nous souhaitons autoriser chaque branche professionnelle à définir en son sein les aptitudes recherchées suffisantes pour occuper un poste, et ainsi valoriser les aptitudes de travailleurs handicapés, ce qui devrait leur permettre de conserver ou de retrouver par conversion un emploi dans leur secteur d’activité. Cette disposition a également pour objet de clarifier les obligations de reclassement de l’employeur, et de contribuer à la sécurisation du parcours des salariés.
La situation actuelle est inacceptable, et il est urgent d’agir pour améliorer le système d’aptitude-inaptitude professionnelle, actuellement responsable d’un immense gâchis humain. Votons cet amendement, et je suis convaincue que le Gouvernement et les partenaires sociaux prendront leurs responsabilités pour que les dispositions en résultant soient utiles à l’ensemble de notre société.
M. le président. L'amendement n° 211 rectifié ter, présenté par Mme Gruny, MM. Perrin et Raison, Mme Mélot, M. Mouiller, Mmes Morhet-Richaud et Canayer et MM. Cornu, Chasseing, Commeinhes et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Après le mot :
clarifiant
insérer les mots :
et simplifiant
La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Les procédures en matière d’inaptitude à l’emploi sont lourdes et compliquées. Il convient donc de les simplifier.
M. le président. L'amendement n° 223, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer les mots :
de l’avis d’inaptitude
par les mots :
des avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. En premier lieu, je vous prie d’excuser, mesdames, messieurs les sénateurs, l’absence de Mme la ministre du travail, Muriel Pénicaud, qui est retenue toute la matinée par des concertations qui se poursuivent avec le Premier ministre et les partenaires sociaux. Vous le savez, nous avons souhaité placer cette réforme sous le signe du dialogue et de la concertation, ce qui m’amène aujourd’hui à suppléer Mme la ministre.
Par cet amendement, le Gouvernement souhaite élargir le spectre des documents pris en compte aux propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail.
Cet amendement me semble positif et important.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur. Les amendements identiques nos 77 rectifié et 121 visent à supprimer l’habilitation sur les règles d’inaptitude telles qu’elles ont été modifiées par la commission. L’avis est donc défavorable.
L’amendement n° 42 rectifié pose trois difficultés. Sur la forme, il pourrait être perçu comme un élargissement du champ matériel de l’habilitation, ce qui serait contraire à l’article 38 de la Constitution. Sur le fond, je ne suis pas certain que le niveau de la branche soit adapté pour définir une liste de postes de reclassement pour les salariés inaptes. L’échelon de l’entreprise me semble plus pertinent. Enfin, la nouvelle rédaction proposée écrase la distinction introduite en commission entre inaptitudes d’origines professionnelle et non professionnelle.
Pour toutes ces raisons, la commission sollicite le retrait de cet amendement, faute de quoi elle y sera défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 211 rectifié ter, comme je l’avais déjà indiqué à ses auteurs la semaine dernière, je ne vois pas ce que la notion de simplification ajoute à celle de clarification. La commission ne souhaite pas alourdir le texte, et pense qu’il reviendra aux parlementaires de vérifier si le Gouvernement a rempli ses objectifs de simplification lors de la ratification des ordonnances. Elle demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle y sera défavorable.
Enfin, l’amendement n° 223, présenté par le Gouvernement, a pour objet de sécuriser les modalités de contestation des avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, et non plus seulement des avis d’inaptitude. La réforme de la médecine du travail prévue dans la loi Travail a en effet précisé la portée de ces différentes notions, notamment aux articles L. 1226-2 et suivants du code du travail qui traitent de l’inaptitude consécutive à une maladie ou à un accident non professionnel. La commission est favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Le Gouvernement a les mêmes avis que la commission, mais je vais quand même les développer.
Le Gouvernement est défavorable aux deux amendements de suppression de l’alinéa 7. Monsieur Antiste, monsieur Watrin, avec cette habilitation, il souhaite examiner toutes les pistes possibles pour permettre au juge prud’homal de prendre sa décision dans des délais plus réduits et des conditions plus optimales. On a remarqué qu’un certain nombre de conseils des prud’hommes avaient du mal à se prononcer sur les avis médicaux. Il y a là un enjeu important pour les salariés comme pour les employeurs. C’est pourquoi le Gouvernement ne peut souscrire à la suppression pure et simple de l’alinéa en cause.
Madame Gillot, je comprends la philosophie de votre amendement n° 42 rectifié et j’y souscris. Néanmoins, demander à l’accord de branche de définir une liste des aptitudes nécessaire empêcherait une réelle appréciation personnalisée et sur mesure. Or nous le savons, en l’espèce, il faut tenir compte des situations particulières. Le Gouvernement ne souhaite pas que cette liste d’aptitudes se transforme en liste de compétences minimales. Il ne faudrait pas que le mieux soit l’ennemi du bien. À ce stade, il vaut mieux en rester à la rédaction proposée par le Gouvernement et légèrement modifiée par la commission. L’avis est donc défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 211 rectifié ter présenté par Mme Morhet-Richaud, il me paraît aussi que la notion de simplification est incluse dans celle de clarification, donc la rédaction actuelle permet de satisfaire votre préoccupation, madame la sénatrice. Même si je partage la philosophie de cet amendement, j’émets un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 77 rectifié et 121.
M. Martial Bourquin. L’objectif visé par ces amendements de suppression est de garder des protections légales, lesquelles risquent d’être mises en cause avec les ordonnances. Cette question fondamentale a été abordée aussi bien par Mme Gillot que par M. Antiste. On s’aperçoit qu’il y a peu de reclassements et que les entreprises préfèrent régler les problèmes par un départ des salariés déclarés inaptes. Ces personnes connaissent par la suite de graves difficultés pour retrouver un emploi, ce qui a pour effet de créer des trappes à pauvreté.
Aussi vouloir garder des protections légales est vraiment une bonne solution. Je vais vous donner un exemple, mes chers collègues. Vous avez vu que la presse économique titre aujourd’hui sur le résultat exceptionnel de PSA : plus 10,7 % de bénéfices ; en bourse, cela se traduit par des gains de 3,18 % à 18,66 %. M. Tavares nous dit fort justement qu’il faut se féliciter de ces bons chiffres, qui vont permettre de couvrir les investissements uniquement par la trésorerie, mais il faut aussi se souvenir que ce résultat a été obtenu par des sacrifices extraordinaires du personnel.
Il doit donc y avoir des embauches et ce que l’on appelle du salaire indirect, mais il faut aussi que, en cas de maladies professionnelles et d’incapacités, l’entreprise remplisse ses obligations. Si vous diminuez ces dernières, cela se traduira toujours par des licenciements de personnes qui ne pourront pas retrouver un travail et tomberont dans des trappes à pauvreté.
Mes chers collègues, faisons attention à ce que nous faisons. À mon sens, ces ordonnances sont très malvenues, car elles vont porter sur des questions essentielles. Il en résultera une augmentation de la pauvreté dans les villes où nous sommes élus, avec des personnes victimes de maladies professionnelles se retrouvant au RSA quelques années après.
C’est pourquoi je pense qu’il faut soutenir les deux amendements de suppression.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 77 rectifié et 121.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, pour explication de vote sur l’amendement n° 42 rectifié.
Mme Dominique Gillot. Il est difficile d’imaginer que la liste des aptitudes décidée au niveau de la branche puisse se réduire ensuite à une liste de compétences minimales, ce qui créerait des obstacles au reclassement.
Néanmoins, il me semble important de considérer la personne handicapée en fonction de ses capacités et de ses aptitudes plutôt qu’en fonction de ses inaptitudes.
L’amendement du Gouvernement est dans cet esprit, mais je pense que confier cette responsabilité aux médecins du travail est un peu imprudent, compte tenu, non seulement, de la situation de la médecine du travail aujourd’hui, sujet dont nous avons abondamment discuté, mais également de l’inexpérience des médecins du travail sur les aptitudes nécessaires à un reclassement. Souvent, l’avis médical se conclut par une inaptitude au travail, qui se traduit par un rejet des capacités restantes, ou à développer, ou à acquérir.
Il est important d’avoir cette préoccupation. Il faut que la parole soit donnée au travailleur, au salarié, pour que, quand il est jugé inapte à un poste, il puisse prétendre à un autre poste dans la même branche, dans la même entreprise, en fonction des aptitudes restantes et en fonction des aptitudes qu’il peut développer par une formation adaptée ou par une adaptation de son poste de travail. Cela n’est pas forcément coûteux ou insupportable pour le chef d’entreprise.
C’est vraiment un changement de paradigme que j’appelle de mes vœux, pour nous éviter d’avoir 500 000 chômeurs en situation de handicap, et 150 000 supplémentaires chaque année, sans perspective de retrouver un emploi, frappés qu’ils sont par le classement « inaptitude au travail » ou « travailleur handicapé ». Il me semble que le dialogue social est le mieux à même de prendre cet aspect en considération. Peut-être faut-il privilégier le niveau de l’entreprise sur celui de la branche, mais il faut un guide. À mon sens, il n’est pas raisonnable de s’en remettre uniquement à l’avis du médecin du travail, qui, souvent, n’est pas qualifié pour proposer des reclassements.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Je reconnais beaucoup de cohérence à Dominique Gillot dans sa volonté, que nous avons prise en compte hier soir, de rendre effectif le droit des travailleurs handicapés à accéder à l’emploi. Ils doivent être pris en considération comme des citoyens souhaitant travailler avant d’être considérés comme des handicapés.
Nous avons quand même voté à l’article 1er des dispositions fondamentales qui portent sur l’articulation entre la branche et l’entreprise. Ce faisant, nous avons élargi le champ de la branche. En l’occurrence, il s’agit de postes de travail, donc c’est typiquement du niveau de l’entreprise. Il faut prendre en compte le secteur d’activité qui me paraît le critère le plus essentiel.
S’agissant des branches, nous avons adopté un amendement du Gouvernement, avec l’accord de la commission, qui réduit le délai dans lequel les branches doivent se structurer. Je rappelle qu’elles sont 650 aujourd’hui, or nombre d’entre elles ne correspondent plus à des métiers, et encore moins à des métiers de demain. Il faut prendre en considération cette situation.
Enfin, madame Gillot, vous avez évoqué la médecine du travail, que nous savons en carence. Hier soir, Mme la ministre a confirmé qu’elle avait demandé un rapport à l’IGAS, document qu’elle doit recevoir, je crois, à la fin du mois de septembre. À partir de là, il importe que la médecine du travail soit réformée, notamment que son attractivité soit améliorée. Cela fait partie des préoccupations du Gouvernement, mais aussi des nôtres. Il n’est qu’à se rappeler les débats que nous avons eus sur la loi dite « El Khomri ».
J’ai essayé de convaincre ma collègue en répondant à son argumentation, plutôt que de faire la sourde oreille, comme c’est le cas lors de l’examen de certains amendements…
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Cet amendement est très intéressant, et nous allons le voter.
Au-delà des explications qui viennent d’être données, en particulier sur l’intervention du médecin du travail pour apprécier l’aptitude, il faut toujours avoir à l’esprit qu’il importe de rechercher l’adéquation entre le poste proposé et l’appétence du salarié à l’occuper. C’est vraiment l’objet du colloque singulier et fondamental entre le médecin du travail et le salarié concerné. Il faut donc insister sur le sujet très important de la médecine du travail et de ses carences, dont nous sommes tous collectivement coupables.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. C’est un sujet intéressant, monsieur le secrétaire d’État. Il faut bien différencier les causes et les conséquences de l’inaptitude. Certaines causes sont liées au travail, tandis que d’autres sont liées à la vie domestique. C’est le cas, par exemple, d’un accident sportif, qui peut entraîner une inaptitude au travail. À mon sens, il ne doit pas incomber systématiquement à l’entreprise de prendre en compte toutes les conséquences de l’accident ou de la maladie. Il faut bien distinguer selon l’origine de la pathologie.
D’autre part, la question du reclassement est différente selon que l’on appartient à une petite ou à une grande entreprise. Dans ce dernier cas, il y a quand même un éventail assez large, alors que, dans le premier cas, le reclassement est un peu plus contraint.
La réflexion entre branches et entreprises a également ses limites. Quand on est qualifié dans une branche, il n’y a pas forcément des entreprises de cette branche dans le même bassin d’emploi. L’ordonnance doit permettre de mener une réflexion par bassin d’emploi pour bien prendre en compte le besoin d’intégration locale de la personne. Il serait intéressant de voir comment il est possible de travailler, à l’échelle de Pôle Emploi ou autre, à un reclassement dans le bassin d’emploi, avec des actions de formation, pour tenir compte du lieu de vie de la personne à reclasser.
Enfin, j’aborderai la télémédecine du travail, qui est une avancée significative de la loi Travail, même si les résultats ne seront visibles que dans quelques années. Elle permet localement d’avoir une vision des types d’emploi sur un bassin et de mieux reclasser les personnes en difficulté.
J’invite donc le Gouvernement à véritablement travailler toutes ces pistes dans le cadre des ordonnances. Cela apportera un progrès dans la prise en compte des gens qui connaissent ces problèmes d’inaptitude.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Pour répondre à Mmes Bricq et Gillot, ainsi qu’à M. Savary, sur ce sujet du handicap, je veux rassurer sur l’intention qu’a le Gouvernement de prendre en compte cette dimension.
D’ailleurs, le troisième plan Santé au travail, présenté il y a peu, comprend justement un volet qui apporte des réponses pour lutter contre la désinsertion professionnelle, notamment des personnes handicapées. Ce plan a recueilli l’assentiment de l’ensemble des partenaires sociaux. Soyez vraiment assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, de la détermination du Gouvernement à être concrètement aux côtés de ces personnes.
Cependant, compte tenu des cadres qu’il souhaite assigner à la loi et aux ordonnances, le Gouvernement préfère en rester à la rédaction de la commission. Je vous demande donc d’être compréhensifs devant l’avis défavorable que j’ai exprimé en son nom.
Je remercie par ailleurs Mme Bricq de ses précisions et M. Savary des perspectives qu’il trace sur des sujets, certes un peu distincts, mais qui sont vraiment très importants en ce qu’ils prennent en compte la notion de territoire.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Dans les petites entreprises, en cas d’inaptitude, souvent, malheureusement, aucun poste n’est à proposer. L’inaptitude entraîne alors le licenciement.
Dans certains cas, lorsque les employés ont une certaine ancienneté, le licenciement peut s’avérer financièrement très lourd, même s’il est aussi dramatique pour la personne concernée. L’entreprise peut même être obligée d’emprunter pour licencier. J’ai connu cela avec une entreprise de l’économie sociale et solidaire. À mon sens, l’inaptitude ne devrait pas entraîner de coût pour l’entreprise, qui n’est pas responsable de cet état. C’est pourtant l’entreprise qui est pénalisée, monsieur le secrétaire d’État.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je comprends tout à fait l’esprit de ces amendements sur ces sujets particulièrement sensibles de la médecine du travail, de l’inaptitude et du handicap. Dans nos départements respectifs, nous avons tous des ESAT, les établissements et services d’aide par le travail, que l’on appelait auparavant les ateliers protégés. Il faut savoir que les personnes concernées travaillent pour le secteur économique et industriel, notamment en sous-traitance. Mais il faut aussi noter un manque de places. Ce sont des budgets différents, mais je crois que tout est étroitement lié parce que l’activité économique repose sur l’ensemble des acteurs, qui doivent être pris en compte dans un souci d’accessibilité, avec beaucoup de discernement et de respect. Il faut essayer de répondre aux attentes, car chacun est utile.
De ce point de vue, ces amendements, qui visent à faire évoluer les choses positivement, peuvent être interprétés comme des amendements d’appel.
Toutefois, je suivrai les avis de la commission des affaires sociales.
M. le président. Madame Morhet-Richaud, l’amendement n° 211 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Patricia Morhet-Richaud. J’entends l’avis du rapporteur, c’est pourquoi je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 211 rectifié ter est retiré.
La parole est à Mme Dominique Gillot, pour explication de vote sur l’amendement n° 223.
Mme Dominique Gillot. Permettez-moi de revenir sur le débat que nous avons eu tout à l’heure concernant cet amendement du Gouvernement.
Son adoption constituerait effectivement un pas par rapport à la définition de l’inaptitude, mais je souhaite que chacun soit conscient dans cet hémicycle qu’une personne handicapée veut être considérée par rapport à ses aptitudes et non à son handicap. Quelles que soient les conditions d’acquisition de ce handicap, que ce soit dans le milieu du travail, domestique ou sportif, la personne qui devient handicapée vit avec son handicap et le dépasse. Elle puise au fond d’elle-même des ressources, des aptitudes, des facultés qu’elle aurait laissées en jachère sans son handicap, et qui constituent une chance, une possibilité de reconstruire sa vie.
Or aujourd’hui on considère le travailleur handicapé comme un poids pour l’entreprise et pour la société, avec l’obligation de reclassement. Essayons de changer de regard, de changer de paradigme et disons-nous qu’une personne qui souffre d’un handicap a également acquis des compétences, qu’elle est capable de dépasser sa situation, d’organiser sa vie tel un manager. Les personnes handicapées ont une force de vie, une force de travail qui est très intéressante, à la fois pour l’entreprise et pour la société.
Je pense qu’il est très important de changer la manière de considérer la personne handicapée, y compris au travail où elle est non pas un « boulet » ni une contrainte, mais une personne qui a des compétences et des aptitudes à mettre au service de la collectivité et des autres. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République en marche. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 122, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. L’alinéa 10 de l’article 3 prévoit de faciliter le recours aux départs volontaires dans le cadre des plans de licenciement. Nous demandons que cette facilitation soit abandonnée.
En effet, si les plans de départs volontaires peuvent être conçus comme une alternative aux licenciements « secs » lors des plans de sauvegarde de l’emploi, ou PSE, cette alternative n’a pas les mêmes conséquences pour les salariés. Ainsi, alors que les licenciements obéissent au cadrage légal du PSE, les départs volontaires sont le fruit de négociations avec l’employeur qui peuvent donc être moins favorables.
Bien sûr, ces plans peuvent, dans certains cas, répondre aux aspirations de certains salariés, personne ne le nie, mais ces dispositifs existent déjà et rien ne justifie de les faciliter plus encore, comme cela est proposé.
Inscrire dans le code du travail la simplification de cette démarche revient à casser les protections aujourd’hui offertes aux salariés.
Monsieur le secrétaire d'État, Mme la ministre Muriel Pénicaud a répondu à nos collègues de l’Assemblée nationale qui vous présentaient les mêmes réserves que « cette pratique résulte d’une combinaison d’articles du code du travail, du code civil et de la jurisprudence. Du coup, les obligations qui en découlent ne sont pas toujours lisibles et par conséquent pas sécurisées, ni pour les employeurs ni pour les salariés. C’est toujours la même idée : la clarté du droit permet le meilleur exercice du droit, pour les deux parties. »
Certes, mais en l’espèce, cette clarification bénéficiera surtout aux employeurs, de la même façon que la logique d’ensemble de ce texte. En facilitant le recours aux plans de départs volontaires, vous n’apportez aucune garantie supplémentaire aux salariés tandis que vous permettez aux grandes entreprises de tailler dans leur masse salariale à moindres frais.
De quel côté était le volontariat, la liberté de choix quand la direction d’Orange-France Télécom a annoncé ses plans de départs volontaires après avoir instauré un climat malsain au sein de l’entreprise ?
Le 20 juin dernier, Veolia a annoncé vouloir se séparer de près de 600 salariés dans sa branche « eau » d’ici à 2020, précisant qu’il s’agirait, là encore, de départs volontaires. Il est difficile de croire que ces 600 personnes aient toutes un projet pour se relancer. Pourtant, elles ne bénéficieront pas des avantages d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
M. le président. L'amendement n° 173 rectifié ter, présenté par Mmes Gruny et Morhet-Richaud, MM. Mandelli, Dallier, Rapin, Pellevat et Vaspart, Mme Canayer, M. Mouiller, Mme Di Folco, MM. Lefèvre, Perrin, Raison et Pierre, Mme Mélot et MM. Cornu, Chasseing, Commeinhes et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Après le mot :
Favorisant
Insérer les mots :
, notamment pour les petites entreprises
La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Cet amendement vise à faciliter le recours aux plans de départs volontaires, y compris pour les TPE et PME qui n’ont pas de représentants du personnel.
M. le président. L'amendement n° 172 rectifié ter, présenté par Mmes Gruny et Morhet-Richaud, MM. Mandelli, Dallier et Rapin, Mme Imbert, MM. Pellevat et Vaspart, Mme Canayer, M. Mouiller, Mme Di Folco, MM. Lefèvre, Perrin, Raison et Pierre, Mme Mélot et MM. Cornu, Chasseing, Commeinhes et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Après le mot :
Favorisant
Insérer le mot :
, simplifiant
La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Les plans de départs volontaires doivent être envisagés dans le cadre d’une procédure simplifiée dans l’intérêt des parties.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Concernant l’amendement n° 122, la commission estime qu’il est nécessaire de clarifier le régime juridique des plans de départs volontaires, car on lui applique quasi systématiquement les règles du licenciement économique même si aucun licenciement n’est prononcé in fine. Elle émet donc un avis défavorable.
Quant à l’amendement n° 173 rectifié ter, la commission juge que dans les petites entreprises le plan de départs volontaires n’est pas adapté. L’employeur et le ou les salariés concernés ont plutôt tendance à conclure une rupture conventionnelle, qui est un dispositif plus souple que le plan de départs volontaires. La commission demande par conséquent le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
S’agissant enfin de l’amendement n° 172 rectifié ter, l’objectif de « simplification » du plan de départs volontaires semble largement satisfait par celui de « sécurisation ». La commission ne souhaite pas ajouter systématiquement dans le projet de loi l’objectif de simplification pour ne pas alourdir le texte, car elle estime que le Gouvernement y souscrit comme elle, ou du moins le souhaite-t-elle !
La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet les mêmes avis que la commission. Permettez-moi, monsieur le président, de répondre en même temps à Dominique Watrin et à Patricia Morhet-Richaud. Comme vous l’avez souligné, madame la sénatrice, monsieur le sénateur, les modalités des plans départs volontaires, les PDV, sont souvent issues d’une conception jurisprudentielle. La mention des PDV dans le présent projet de loi puis dans une ordonnance permettra de graver dans le marbre de la loi un certain nombre de principes de clarification et d’éléments importants, ce qui constitue une forme de sécurisation qui devrait vous intéresser.
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. En même temps, madame Morhet-Richaud, le fait de réunir un certain nombre d’éléments pour l’instant épars dans des différents arrêts et différents codes au sein d’une même ordonnance contribuera à la simplification que, tout comme le Gouvernement, vous appelez de vos vœux.
S’agissant de l’amendement n° 173 rectifié ter visant à introduire les mots « , notamment pour les petites entreprises », l’adverbe « notamment » montre bien que les petites entreprises sont déjà prises en compte. Si elles le souhaitent, elles peuvent naturellement avoir recours à ce dispositif, même si M. le rapporteur a souligné à juste titre que d’autres dispositifs pouvaient être plus faciles à mettre en œuvre dans leur cas.
Le Gouvernement demande donc le retrait des amendements nos 122, 173 rectifié ter et 172 rectifié ter. À défaut, il émettra un avis défavorable sur chacun de ces trois amendements.
M. le président. Madame Morhet-Richaud, l'amendement n° 173 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Patricia Morhet-Richaud. Ayant entendu les arguments de la commission et du Gouvernement, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 173 rectifié ter est retiré.
La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour explication de vote sur l’amendement n° 172 rectifié ter.
Mme Élisabeth Lamure. Il n’est pas anodin de vouloir introduire de la simplification dans les procédures. La simplification, tout le monde en parle, mais je note qu’elle n’est pas beaucoup mise en œuvre.
Lors de son audition par la commission des affaires économiques voilà deux jours, le ministre de l’économie nous a indiqué qu’il ferait de la simplification la clé de voûte de son action pour la modernisation de notre économie.
Nous sommes donc au cœur du sujet, et il serait intéressant que cette volonté de simplification soit prise en compte à tous les niveaux.
M. le président. Madame Morhet-Richaud, l'amendement n° 172 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Patricia Morhet-Richaud. En espérant que la simplification soit réellement effective…
Mme Catherine Deroche. En marche arrière !
Mme Patricia Morhet-Richaud. … je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 172 rectifié ter est retiré.
Je suis saisi de seize amendements faisant l’objet d'une discussion commune.
Les quatre premiers sont identiques.
L'amendement n° 15 rectifié bis est présenté par Mmes Lienemann et Jourda, M. Labazée, Mme Yonnet, MM. Mazuir, Godefroy, Durain et Montaugé et Mme Monier.
L'amendement n° 78 rectifié bis est présenté par M. Antiste.
L'amendement n° 124 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 165 est présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 11 à 17
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour présenter l’amendement n° 15 rectifié bis.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Par cet amendement cosigné par bon nombre de mes collègues socialistes, je propose de supprimer les alinéas 11 à 17 de l’article 3.
Les mesures prévues dans ces alinéas constituent une véritable prime aux délocalisations. Ce n’était déjà pas brillant dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, mais force est de constater que les travaux de la commission ont rendu ces mesures encore plus antisociales et antiéconomiques.
En effet, les dispositions visées tendent à réduire le périmètre d’appréciation de la situation économique des entreprises pour justifier les licenciements économiques, les reclassements, etc.
Jusqu’alors, cette appréciation portait non seulement sur la situation sur le territoire national des entreprises d’un même groupe, mais sur la situation économique globale du groupe. En 1995, la Cour de cassation avait d’ailleurs consacré cette jurisprudence dans son arrêt Vidéocolor.
Cette philosophie se fonde sur le constat que la mondialisation ne peut pas aboutir à ce que les profits soient captés pour être envoyés à l’étranger tandis que les charges sociales et les conséquences sociales des délocalisations sont supportées à l’intérieur de notre seul pays.
Par ailleurs, les dispositifs par lesquels il est possible de faire payer aux pays le départ d’entreprises vers l’étranger sont bien connus. Comment fait-on ? Le mécanisme des prix de transfert permet de faire passer des profits et de la richesse produits par une entreprise en France dans un autre territoire. De fil en aiguille, on vide ainsi ces entreprises de leur capacité à produire de la richesse. Le constat, dramatique, s’impose alors : l’entreprise n’est plus rentable et il faut licencier ! Pas assez performante, pas assez compétitive !
Mais qui prend en charge de fait des conséquences sociales de la délocalisation ? C’est la France !
Ce mécanisme entraîne à mon sens deux effets : on accélère les possibilités de préparer des délocalisations, et on accélère l’optimisation fiscale parce que les entreprises ont maintenant tout intérêt à délocaliser étant donné qu’elles ne sont plus soumises à des critères liés à leurs profits globaux.
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° 78 rectifié bis.
M. Maurice Antiste. En plus des arguments très graves que vient de développer Mme Lienemann, l’alinéa 11 tend à assouplir considérablement le régime du licenciement économique, en permettant de revoir les conditions d’appréciation des difficultés de l’entreprise et en allégeant les obligations de reclassement.
En outre, cet alinéa rend possible une modification des critères d’ordre des licenciements, ainsi qu’un aménagement des seuils à partir desquels les ruptures de contrat de travail sont considérées comme des licenciements collectifs.
Enfin, il permet d’élargir les possibilités de licencier en cas de cession d’entreprise. Cet alinéa tend donc à accroître la précarité du travail.
Pour ces raisons, nous vous proposons la suppression des alinéas 11 à 17.
M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour présenter l’amendement n° 124.
M. Christian Favier. Nous sommes également favorables à la suppression des alinéas susvisés, parce que, au travers des dispositions qui y sont prévues, le Gouvernement entend assouplir l’ensemble du droit du licenciement économique.
Alors que les difficultés économiques d’une entreprise sont actuellement appréciées au niveau du groupe, à l’échelle internationale, le projet de loi permettrait qu’elles soient appréciées sur le seul territoire français, même si le groupe auquel appartient cette société est en bonne santé financière à l’échelon international. De nombreux groupes sont dans ce cas.
En outre, l’article 3 prévoit de simplifier l’obligation de reclassement, de modifier les critères d’ordre des licenciements, ainsi que les seuils à partir desquels les ruptures de contrat de travail sont considérées comme des licenciements collectifs qui obligent les entreprises à négocier un plan de sauvegarde de l’emploi.
Enfin, en facilitant les possibilités de licenciement en cas de cession d’entreprise, l’alinéa 11 remet en cause les protections légales dont bénéficient les salariés licenciés économiquement.
La rédaction de la commission des affaires sociales n’est qu’une transcription de cette volonté, c’est pourquoi nous demandons la suppression des alinéas en cause.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour présenter l'amendement n° 165.
Mme Corinne Bouchoux. Je ne reprendrai pas les excellentes démonstrations de mes trois précédents collègues, mais j’aimerais vous interroger de nouveau, monsieur le secrétaire d’État : quelles sont les études économétriques internationales montrant que ce que nous avons détricoté hier soir du point de vue de la micro-entreprise, et que ce que nous faisons ce matin à l’égard de la facilitation des licenciements en modifiant les périmètres, comme l’a indiqué Marie-Noëlle Lienemann, permettra de créer de vrais emplois pérennes à temps plein pour les travailleurs qui sont en France ?
Pardonnez-moi, mais ce que nous sommes en train de faire – je le dis en tant que Franco-Allemande et en tant que professeur d’économie que j’ai été et que je serai de nouveau à partir du 1er octobre prochain – n’est rien d’autre qu’une redite, mais vingt ans plus tard et à mon avis en moins bien, des emplois Hartz en Allemagne. En considérant que tout peut être externalisé, nous allons créer des travailleurs pauvres précaires dans les services. C’est ce processus qui est en train d’être mis en place.
Le dispositif qui a été prévu est l’équivalent de la double peine, et ce n’est pas rassurant. Comme le montraient déjà les deux rapports Bocquet que nous avons collectivement validés, les entreprises recourent massivement à l’optimisation fiscale, afin d’éviter de payer des impôts en France. En trois clics, le mécanisme des prix de transfert leur permet de rendre leur situation en France fictivement moins confortable. Ces entreprises ne payent presque pas d’impôts, et elles vont aussi pouvoir licencier plus facilement des salariés.
Nous sommes en train de mettre en place de véritables cliquets, qui, dans le contexte de la mondialisation que nous connaissons actuellement, vont fabriquer des travailleurs pauvres pour trente ans sans protéger ceux qui ont un emploi et sans créer d’emploi de manière durable.
Je comprends bien que les conditions que nous avons décrites hier soir et ce matin peuvent inquiéter certains chefs d’entreprise qui expliquent qu’ils ne peuvent pas embaucher s’ils ne savent pas s’ils pourront ou non licencier facilement, mais je demande de nouveau des preuves scientifiques de cela. Nous ne les voyons pas, y compris lorsque nous regardons l’économie allemande.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 196 est présenté par M. Arnell, Mme Laborde, MM. Bertrand, Castelli et Collombat, Mme Costes, M. Guérini, Mmes Jouve et Malherbe et MM. Vall et Collin.
L'amendement n° 218 rectifié bis est présenté par MM. Assouline, Durain et Roger, Mme Jourda, MM. Labazée, Cabanel, M. Bourquin et Montaugé, Mmes Guillemot et Monier et M. Marie.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l’amendement n° 196.
M. Guillaume Arnell. Actuellement, les difficultés économiques d’une entreprise qui licencie sont appréciées au niveau du groupe, à l’échelle internationale. L’article 3 – je le crains – permettrait de les apprécier sur le seul territoire français, même si le groupe auquel appartient l’entreprise est en bonne santé financière au niveau international.
Or, Mme la ministre Muriel Pénicaud l’a reconnu lors des débats à l’Assemblée nationale, une minorité – je dis bien une minorité – d’entreprises pourrait utiliser une disposition de ce type pour créer artificiellement des difficultés à l’échelon d’une société, dans le seul but de justifier des licenciements pour motif économique.
C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’alinéa 12.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour présenter l'amendement n° 218 rectifié bis.
M. David Assouline. L’alinéa 12 nous conduit à revenir sur un débat que nous avions déjà eu au moment de la loi El Khomri. Le curseur était alors bien tombé, mais chacun avait pu apprécier à quel point cette question était sensible. Comme l’a dit Marie-Noëlle Lienemann, se lancer dans cette aventure reviendrait à donner une prime aux délocalisations.
La Cour de cassation avait réussi à développer une jurisprudence protectrice et claire, qui invitait les juges du fond à apprécier la situation d’une entreprise au regard de celle de l’ensemble des sociétés du groupe appartenant au même secteur d’activité. On nous propose que cette situation soit appréciée désormais sur le seul territoire français, même si le groupe auquel appartient la société est en bonne santé financière au niveau international.
Ceux qui, comme chacun d’entre nous dans cet hémicycle, connaissent un peu le monde des entreprises n’ignorent pas que quelques multinationales savent habilement mettre leur filiale française dans le rouge et accumuler leurs profits dans des pays où les taxations sont moindres.
On nous invite à être dans les travaux pratiques et dans le concret, c’est un sujet concret ! On peut vérifier. Or l’alinéa 12 fait sauter le verrou existant.
Mme la ministre Muriel Pénicaud a expliqué devant l’Assemblée nationale qu’il s’agissait de mieux définir le périmètre du licenciement économique. Mais le risque est que le périmètre qui ressortira de ces ordonnances soit si restrictif qu’il laisse toute latitude aux entreprises pour manier des montages artificiels tout en privant le juge de marge de manœuvre.
À l’inverse, si cette définition était trop vague, elle pourrait remettre en cause notre jurisprudence sans apporter de sécurité juridique supplémentaire.
Par cet alinéa, nous comprenons que l’on veut envoyer un signe aux investisseurs étrangers, alors même que les investissements étrangers sont déjà à la hausse. Ce projet de loi est au service non pas des salariés, mais toujours des mêmes.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 43 rectifié bis est présenté par MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, M. Daudigny, Mmes Meunier et Yonnet, MM. Botrel, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.
L'amendement n° 232 rectifié est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 12
Rédiger ainsi cet alinéa :
a) Définissant le périmètre géographique et le secteur d’activité dans lesquels la cause économique est appréciée ;
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour présenter l’amendement n° 43 rectifié bis.
M. Jean-Louis Tourenne. La commission a apporté des restrictions à l’alinéa 12 en cantonnant le périmètre au territoire français. La rédaction de la commission préjuge encore une fois les résultats de la concertation avec les partenaires sociaux.
Il est surtout évident que cette rédaction a pour finalité de revenir sur une jurisprudence de la Cour de cassation qui exige de prendre en compte la diversité des situations des entreprises pour retenir un périmètre national, européen ou mondial.
Nous avons tous en mémoire des cas de leverage buy-out, ou LBO, dans lesquels la trésorerie des entreprises a été délibérément asséchée pour financer d’autres reprises dans un système de cavalerie mondialisée.
Nous avons aussi vu des groupes cesser tout investissement dans une filiale française pour investir dans d’autres pays, sur d’autres continents. Pas nécessairement sur des marchés plus porteurs parce que non encore saturés, mais tout simplement pour ne pas avoir à rémunérer une main-d’œuvre dépourvue de tous droits économiques et sociaux, quitte à faire revenir ensuite la production en Europe, où se trouvent encore des clients solvables, grâce à des coûts de transport réduits, mais une empreinte carbone élevée.
En tant qu’élus locaux, en tant que représentants des territoires de la République, nous avons tous eu à traiter les problèmes économiques et les difficultés sociales qui résultent immanquablement de ces comportements de prédateurs.
Mais sans même qu’il soit besoin de prendre en compte ces manipulations en vue de créer des difficultés à une filiale française dans un groupe multinational, la prise en compte de la situation globale du groupe doit demeurer un élément d’appréciation de la réalité des difficultés économiques.
Au-delà de la seule question économique, c’est un aspect de la souveraineté nationale qui est en cause. Considérez-vous que notre justice est légitime à prendre en compte les agissements d’un groupe multinational sur notre territoire, à mesurer ces agissements à l’aune des profits réalisés grâce à eux ?
Avons-nous le droit de sanctionner des agissements qui, sans être même délictueux, sont délibérément préjudiciables à notre économie et à nos citoyens ?
La réponse à cette question semble aujourd’hui négative, de votre point de vue. Pourtant, les conséquences économiques, sociales et évidemment politiques de cette soumission sont déjà bien présentes. Il est plus que temps de s’en inquiéter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État, pour présenter l’amendement n° 232 rectifié.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Si le Gouvernement partage le souci de mener une réflexion sur le périmètre, il ne souhaite pas que l’on tranche définitivement la question ce matin. Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, un certain nombre de concertations sont en cours. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis devant vous, Mme la ministre du travail étant, je le rappelle, présentement auprès des partenaires sociaux.
Nous ne souhaitons pas préempter l’issue d’un sujet aussi important qui a trait à l’attractivité du territoire. La rédaction qui vous est proposée prévoit ainsi que l’ordonnance définira le périmètre géographique et le secteur d’activité.
Pardonnez-moi d’insister, mais, comme vous le savez, il s’agit d’une réforme majeure, suscitant des attentes très fortes des différents partenaires sociaux, patronaux comme syndicaux. C’est pourquoi je pense que le temps du dialogue est nécessaire pour que les décisions soient les plus partagées possible. Le Gouvernement propose par conséquent de revenir à sa rédaction, tout en comprenant les préoccupations émises par la commission.
M. le président. L'amendement n° 174 rectifié ter, présenté par Mmes Gruny et Morhet-Richaud, MM. Mandelli, Dallier, Rapin, Pellevat et Vaspart, Mmes Canayer et Di Folco, MM. Lefèvre et Pierre, Mme Mélot et MM. Cornu, Chasseing, Commeinhes et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Au début, insérer les mots :
Prévoyant la possibilité pour l’employeur de licencier dès lors qu’il anticipe des difficultés économiques prévisibles et
La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Cet amendement tend à consacrer la jurisprudence de l’arrêt Pages jaunes.
Théoriquement, quand on licencie pour motif économique, on regarde la situation économique de l’entreprise au moment du licenciement. L’arrêt susvisé était intéressant puisqu’au moment du licenciement, la société se portait bien, mais elle invoquait des difficultés économiques objectivement prévisibles, ce qu’elle était en mesure de prouver.
Les tribunaux ont accepté la démonstration. Il faut insister sur le fait qu’il est possible de licencier pour motifs économiques avant qu’il ne soit trop tard et que la situation économique ne soit dégradée de manière irréversible. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 195, présenté par Mme Laborde, MM. Bertrand et Castelli, Mme Costes, M. Guérini, Mme Jouve, M. Collombat, Mme Malherbe et MM. Vall et Collin n’est pas soutenu.
L'amendement n° 63 rectifié, présenté par M. Gabouty, Mmes Billon, Férat et Joissains et MM. Capo-Canellas, D. Dubois, Kern et Longeot, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Supprimer les mots :
ou comptable
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Il s’agit d’une précision rédactionnelle visant à supprimer les termes « ou comptable ».
L’article 3 fait référence à la notion de « création artificielle ou comptable de difficultés économiques ». Or une création ne peut pas être à la fois artificielle ou comptable. Les termes sont mis sur le même plan, alors que l’aspect comptable n’est qu’une constatation de la réalité, qu’elle soit artificielle ou non.
M. le président. L'amendement n° 64 rectifié, présenté par M. Gabouty, Mmes Billon, Férat et Joissains et MM. Capo-Canellas, D. Dubois, Kern et Longeot, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Remplacer la seconde occurrence du mot :
ou
par les mots :
en termes de présentation
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Il s’agit d’un amendement de repli, car je souhaite d’abord connaître l’avis du Gouvernement et du Sénat sur l’amendement n° 63 rectifié.
Le présent amendement vise à remplacer le terme « ou » par les mots « notamment en termes de présentation ».
Je propose cette rectification pour élargir le champ visé et ne pas le réduire à une pratique comptable qui ne serait pas vertueuse. La rédaction suggérée, à savoir « Prenant toutes dispositions de nature à prévenir ou tirer les conséquences de la création artificielle, notamment en termes de présentation comptable, de difficultés économiques… », met l’accent sur l’aspect d’une compatibilité « arrangée » sans limiter le domaine d’intervention à cette seule possibilité.
En supprimant la conjonction « ou », ma proposition est plus précise. Une comptabilité se borne à constater d’éventuels détournements ou falsifications. On ne peut donc pas viser une création comptable de difficultés économiques.
M. le président. L'amendement n° 123, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Rédiger ainsi cet alinéa :
c) S’assurant que les propositions de reclassement sont loyales, sérieuses, individualisées et réalisées dans un délai précis ;
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Avec cet amendement n° 123, nous proposons de rédiger différemment l’alinéa 14 de l’article 3. Aujourd’hui, nombre des propositions de reclassement sont en effet faites a minima pour répondre à une obligation légale sans aboutissement réel envisagé. Cet amendement vise donc à renforcer les obligations de l’employeur quant à la crédibilité et au sérieux des offres de reclassement.
Mes chers collègues, nous avons malheureusement, toutes et tous, en tête des cas comme Société des polymères Barre Thomas, Carreman à Castres, Fralib à Gémenos, ou encore Continental à Clairoix : les offres d’emploi qui ont été faites aux salariés de ces entreprises, notamment les offres de reclassement en Pologne, en Roumanie ou en Tunisie, étaient plus une insulte à leur égard que de véritables offres de reclassement ! Pourtant, ces dernières offres sont vitales pour les salariés licenciés.
Cet amendement a par conséquent pour objet de renforcer l’exigence de maintien de nos concitoyennes et concitoyens dans l’emploi, tout en prenant en compte les réalités économiques des entreprises visées. Nous tentons, par cet amendement, de qualifier les propositions de reclassement, afin de sécuriser quelque peu les salariés licenciés.
M. le président. L'amendement n° 175 rectifié ter, présenté par Mmes Gruny et Morhet-Richaud, MM. Mandelli, Dallier et Rapin, Mme Imbert, MM. Pellevat et Vaspart, Mme Canayer, M. Mouiller, Mme Di Folco, MM. Lefèvre, Perrin, Raison et Pierre, Mme Mélot et MM. Cornu, Chasseing, Commeinhes et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Après le mot :
Précisant
insérer les mots :
et sécurisant
La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Nous souhaitons également sécuriser l’obligation de reclassement à laquelle sont tenus les chefs d’entreprise. Cette mention doit donc être inscrite dans la loi.
M. le président. L'amendement n° 176 rectifié ter, présenté par Mmes Gruny et Morhet-Richaud, MM. Mandelli et Dallier, Mme Imbert, MM. Pellevat et Vaspart, Mme Canayer, M. Mouiller, Mme Di Folco, MM. Lefèvre et Pierre, Mme Mélot et MM. Cornu, Chasseing, Commeinhes et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Après le mot :
Adaptant
insérer les mots :
et simplifiant
La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la procédure de licenciement est compliquée ! Il convient donc de la simplifier.
M. le président. L’amendement n° 65 rectifié, présenté par M. Gabouty, Mmes Billon, Férat et Joissains et MM. Capo-Canellas, D. Dubois, Kern et Longeot, est ainsi libellé :
Alinéa 17
Après le mot :
reprises
insérer les mots :
totales ou partielles
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 65 rectifié est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements restant en discussion ?
M. Alain Milon, rapporteur. Pour ce qui est des amendements identiques nos 15 rectifié bis, 78 rectifié bis, 124 et 165, la position de la commission est cohérente. Elle souhaite que le périmètre national soit retenu pour apprécier la cause économique d’un licenciement. En même temps, afin d’éviter les détournements par des groupes mal intentionnés, elle accepte l’habilitation demandée par le Gouvernement pour détecter les difficultés économiques artificielles ou comptables.
Cette position vise à mettre fin à une exception française en Europe. En effet, pendant des années, notre législation n’a pas défini la notion de difficultés économiques et a conféré au juge un rôle important afin de pallier ce vide juridique.
Cette position est un compromis. La commission ne retient ni le critère de l’entreprise ni le critère, européen ou mondial, du groupe. Elle cherche à renforcer l’attractivité de notre économie, car les investisseurs ne doivent pas se sentir prisonniers de leurs investissements en France en cas de difficulté.
J’émets donc, au nom de la commission, un avis défavorable sur ces amendements identiques.
J’en viens aux amendements identiques nos 196 et 218 rectifié bis. La commission des affaires sociales a modifié la rédaction de l’alinéa visé par ces amendements de suppression, afin de préciser que c’est bien le périmètre national qui doit être retenu pour apprécier les difficultés économiques rencontrées par une entreprise qui procède à des licenciements économiques.
Je le précise, une telle disposition figurait dans la version initiale du projet de loi Travail examinée l’année dernière et elle avait été supprimée par l’Assemblée nationale. Elle fut ensuite rétablie par celui qui était à l’époque le rapporteur au Sénat et qui siège désormais au banc du Gouvernement… (Sourires.)
En l’absence de définition juridique du périmètre géographique, le juge français apprécie bien souvent la situation économique de l’entreprise appartenant à un groupe international à l’échelon européen, voire mondial. Ainsi que le soulignait l’étude d’impact de la loi dite « El Khomri », une telle interprétation extensive pénalise l’économie française dans un contexte de concurrence mondialisée. En effet, le refus du juge de valider un licenciement économique en raison de la santé économique du groupe auquel appartient l’entreprise méconnaît la réalité de la vie économique et est de nature à décourager les investissements dans notre pays. L’appréciation au plan national des difficultés économiques, cohérente avec les règles en vigueur chez nos voisins européens, paraît donc pertinente.
Par conséquent, l’avis de la commission est défavorable sur les amendements identiques nos 196 et 218 rectifié bis.
S’agissant des amendements identiques nos 43 rectifié bis et 232 rectifié, le projet de loi Travail initial prévoyait un périmètre national pour apprécier la cause économique d’un licenciement. Face à l’opposition des syndicats, l’Assemblée nationale avait supprimé cette disposition.
La loi Travail a toutefois fait un premier pas en objectivant les critères des difficultés économiques. Si ces critères ne sont pas exempts de critiques, ils ont le mérite d’exister, comme la commission l’a largement souligné l’an dernier. Il faut maintenant franchir la deuxième étape, celle du périmètre d’appréciation, afin d’aligner notre législation sur la pratique observée chez la plupart de nos voisins européens. La commission est donc défavorable aux amendements identiques nos 43 rectifié bis et 232 rectifié.
J’en viens à l’amendement n° 174 rectifié ter. Son adoption constituerait un élargissement du champ de l’habilitation que le Gouvernement nous demande de lui accorder. Elle serait par conséquent contraire à la Constitution. Telle est la raison pour laquelle la commission ne peut qu’être défavorable à cette proposition.
Au demeurant, la sauvegarde de la compétitivité économique constitue déjà un motif de licenciement économique, comme la jurisprudence le prévoit depuis plus de vingt ans. Pour mémoire, depuis l’arrêt Vidéocolor du 5 avril 1995, la Cour de cassation admet que « lorsqu’elle n’est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité » La notion de sauvegarde de la compétitivité a d’ailleurs été consacrée dans le code du travail par la loi Travail. L’objet de cet amendement est donc d’ores et déjà satisfait par le droit actuel. C’est la raison pour laquelle je suggère aux auteurs de l’amendement n° 174 rectifié ter de bien vouloir le retirer. Sinon, l’avis serait défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 63 rectifié, l’article 30 du projet de loi Travail initial prévoyait que « ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique les difficultés économiques créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d’emplois. » La notion de difficultés comptables n’est donc pas évoquée. Toute difficulté artificielle ayant sa traduction dans la comptabilité de l’entreprise, la notion de difficultés comptables ne semble pas nécessaire, car elle est redondante. Peut-être le Gouvernement pourra-t-il nous éclairer sur ce point. La commission attend de connaître son avis sur cet amendement.
Il en va de même pour l’amendement n° 64 rectifié : la commission souhaite entendre l’avis du Gouvernement sur ce sujet.
Je partage les objectifs des auteurs de l’amendement n° 123. Toutefois, je pense que la rédaction retenue empêcherait le Gouvernement de prendre une ordonnance pour préciser les conditions du reclassement. Là encore, la commission attend de connaître l’avis du Gouvernement.
J’en arrive à l’amendement n° 175 rectifié ter. Si l’on peut comprendre l’objectif des auteurs de cet amendement, les doutes sont permis sur la portée de celui-ci. S’il s’agit d’une simple précision rédactionnelle, elle n’est pas forcément utile. En effet, soucieux de ne pas alourdir le texte, je ne souhaite pas systématiquement, pour chaque habilitation, rappeler les objectifs de simplification et de sécurisation juridique. C’est à nous, parlementaires, de vérifier si ces principes seront suivis lors de l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances. Je demande aux auteurs de l’amendement n° 175 rectifié ter de bien vouloir le retirer. Sinon, l’avis serait défavorable.
Il en va de même pour l’amendement n° 176 rectifié ter.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Sur le périmètre d’appréciation, le débat est dense et important. Il faut quand même reconnaître, madame Lienemann, que nous sommes les seuls à avoir ce type d’appréciation ! En fait, ce périmètre mondial est non une prime aux délocalisations mais une prime aux non-localisations. Il existe un grand nombre d’entreprises dont les sièges et les centres de décision sont situés à l’étranger. Lorsque la possibilité leur est offerte de choisir entre l’Italie, l’Allemagne et la France pour localiser une nouvelle activité qui pourrait nécessiter l’extension d’une usine en France ou la construction d’un nouvel établissement, ils décident malheureusement de partir ailleurs, chez nos voisins.
Je pense qu’il faut être vraiment très lucide par rapport à cela. Un exercice, certes difficile mais très intéressant, consisterait à comptabiliser le nombre d’emplois qui n’ont pas été créés en France faute d’un périmètre adapté permettant aux entreprises dont l’activité évolue de pouvoir ajuster leur outil de production.
Aujourd’hui, ce qui compte, c’est bien la capacité à réagir, à rebondir, à ajuster ses facteurs de production – capital, ressources humaines, technologies… – à une vie de plus en plus trépidante et à un contexte économique de plus en plus mouvant. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle.
Le Gouvernement a mis le sujet sur la table pour déclencher la discussion avec les partenaires sociaux et permettre une évolution. Nous avons travaillé sur la question, dans le cadre de la loi Travail, avec MM. Gabouty et Forissier. J’ai retrouvé les notes que j’avais prises lors de l’audition de l’un des dirigeants de Bosch. Et Bosch, ce n’est pas le capitalisme sauvage et dérégulé.
Mme Nicole Bricq. Non !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. C’est une entreprise assise sur une fondation qui fonctionne avec un certain nombre de règles dans l’esprit du capitalisme rhénan. Ce dirigeant nous a rapporté s’être parfois vu refuser la possibilité d’adapter son outil de production, faute de disposer des documents détaillant son activité au Japon. On peut en effet s’interroger sur la pertinence d’imposer ce formalisme. Du coup, Bosch est susceptible de prendre à l’avenir des décisions de délocalisation qui ne nous seront peut-être pas favorables. Il faut être lucide sur la situation, ne pas être dogmatique et parvenir à évoluer.
C’est la raison pour laquelle je comprends que la commission des affaires sociales, dans un souci constant de cohérence – je reprends le terme clin d’œil que le président Milon m’a adressé ! – souhaite d’ores et déjà inscrire un périmètre dans la loi.
Le Gouvernement pense que, à ce stade, compte tenu de la méthode qu’il a choisie pour faire aboutir ces réformes, ô combien importantes, il faut pouvoir continuer à en discuter avec les partenaires sociaux. Par définition, l’ordonnance fixera ultérieurement un niveau.
La rédaction issue des travaux de la commission montre, et j’en prends note, qu’il subsiste encore des interrogations. En effet, elle prévoit des aménagements au niveau qu’elle mentionne, c’est-à-dire la France. Je relève qu’il est question de définir d’éventuels aménagements à cette règle du périmètre national. Nous pourrions, me semble-t-il, utilement profiter des prochains jours et des prochaines semaines pour lever ces interrogations.
En attendant, je propose à la commission de se rallier à l’amendement n° 232 rectifié du Gouvernement. Cette solution permettrait de progresser au même rythme que les partenaires sociaux dans l’esprit de concorde qui, vous le savez, caractérise l’action du Gouvernement.
Cela étant, j’émets, au nom du Gouvernement, un avis défavorable sur les amendements identiques nos 15 rectifié bis, 78 rectifié bis, 124 et 165, comme sur les amendements identiques nos 196 et 218 rectifié bis.
L’amendement n° 43 rectifié bis étant identique à l’amendement n° 232 rectifié du Gouvernement, je suggère à ses auteurs de le retirer au profit de ce dernier.
J’en viens à l’amendement n° 174 rectifié ter relatif à l’arrêt Pages jaunes. La loi Travail adoptée l’année dernière a permis de légaliser un certain nombre de critères liés à la sauvegarde de la compétitivité qui nous semblent apporter des réponses substantielles aux problèmes soulevés par les auteurs de l’amendement. À mon sens, il n’est pas besoin d’aller plus loin à ce stade. C’est la raison pour laquelle je demande le retrait de cet amendement. Sinon, l’avis serait défavorable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis désolé de ces avis défavorables, mais je ne désespère pas que nous puissions trouver un point d’accord sur d’autres amendements.
Quoi qu’il en soit, je demande également le retrait de l’amendement n° 63 rectifié au profit de l’amendement n° 64 rectifié, qui a été oralement corrigé. Il faut bien prendre en compte cette rectification – l’ajout de l’adverbe « notamment » – qui permet au Gouvernement d’émettre un avis favorable.
J’en arrive à l’amendement n° 123, dont le rapporteur disait pouvoir partager la philosophie. À ce propos, je veux signaler que ces obligations de loyauté, de sérieux, d’individualisation et de chronologie précise sont des éléments garantis par la jurisprudence. On peut s’en tenir à cela, il n’y a pas de crainte à avoir. J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
S’agissant des amendements nos 175 rectifié ter et 176 rectifié ter, nous comprenons et partageons les objectifs de leurs auteurs. Les termes employés par le Gouvernement et repris par la commission y répondent assez largement. Le Gouvernement propose d’en rester à la rédaction sur laquelle il est tombé d’accord avec la commission et demande aux auteurs de ces amendements de bien vouloir les retirer.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Le Gouvernement revient à la charge avec le périmètre des licenciements économiques. La volonté de sortir d’une réflexion limitée à l’échelle nationale quand il y a une multinationale est-elle justifiée ?
D’abord, il faut dire ce qui est dans le viseur ! C’est l’arrêt de la Cour de cassation qui, comme l’a souligné M. Tourenne, oblige la société mère à venir au secours de sa filiale. Sachez-le, mes chers collègues, en ce moment, les investissements étrangers n’ont jamais été aussi importants dans ma région – mais je crois que cela vaut à l’échelon national.
La volonté d’Emmanuel Macron, lorsqu’il était ministre de l’économie, était de faire sauter ce verrou pour donner un signe symbolique et attirer les investisseurs étrangers. Et maintenant, que fait-il ? Il donne la préférence à la vieille revendication du MEDEF, qui demande que les licenciements économiques soient définis par l’accord d’entreprise, lequel s’impose au contrat de travail. Voilà ! C’est ainsi ! Il faut dire les choses ! On est en plein néolibéralisme et cela se traduira par une fragilisation terrible des salariés !
Ensuite, il faut parler du seuil de déclenchement des PSE. Selon l’ensemble des syndicats, le périmètre proposé pourrait faire baisser de 35 % les PSE.
Enfin, je veux évoquer les reclassements allégés. Il existe sur le sujet une jurisprudence rigoureuse de la Cour de cassation selon laquelle il faut tout faire pour préserver l’emploi, éviter les licenciements et s’employer à reclasser. Eh bien, cette jurisprudence est aussi dans le collimateur des ordonnances !
J’ai lu attentivement l’amendement n° 232 rectifié du Gouvernement. Pour reprendre un oxymore, on pourrait dire qu’il est d’une obscure clarté ! L’idée, c’est de noyer le poisson et de mettre en place des ordonnances qui seront explosives et se traduiront par une extraordinaire fragilisation des salariés !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’ai bien entendu l’argumentaire de M. le secrétaire d’État : il essaie de nous expliquer que c’est en permettant de licencier et de prendre en compte les seuls licenciements économiques sur le territoire national qu’on pourrait attirer les entreprises étrangères et les inciter à venir investir en France.
D’abord, il faut arrêter ce déclinisme ambiant ! Notre pays est l’une des terres les plus attractives pour l’investissement privé, lequel a d’ailleurs augmenté de 35 %. Mme la ministre du travail, qui est absente ce matin, le sait très bien puisque le rapport de Business France explique tout cela !
Si les étrangers viennent investir en France, c’est essentiellement pour la qualité de la main-d’œuvre, que les Chinois trouvent créative. Partout dans le monde, on apprécie notre innovation, le crédit d’impôt recherche et la qualité de nos infrastructures publiques. Toutes les enquêtes le montrent. C’est là-dessus qu’il faut communiquer ! C’est là-dessus qu’il faut jouer pour inciter les entreprises étrangères à venir s’installer sur notre territoire et leur dire qu’elles sont les bienvenues !
Et il faut combattre les prédateurs, ceux qui viennent chez nous uniquement pour voler des brevets, des marques, tirer des profits, bénéficier de subventions au titre du crédit d’impôt recherche et qui partiront ensuite ! Ce sont ceux-là qu’il faut combattre ! C’est pourtant à ceux-là qu’on fait des ponts d’or, les dispensant d’avoir à payer très cher les services offerts et leur facilitant les licenciements économiques dans nos entreprises ! Ce n’est pas la bonne stratégie pour être attractif et cela ne fait qu’accroître la fragilisation de nos concitoyens !
Nous avons besoin de reprendre pied dans notre industrie, de rétablir la confiance des salariés et des ingénieurs dans nos entreprises industrielles. On ne construira pas l’avenir de la France si ceux-ci sont menacés d’être blackboulés au moindre coup de vent de la conjoncture mondiale, s’ils sont à la merci d’une multinationale qui trouve finalement plus intéressant de s’installer ailleurs pour quelques bémols de profits supplémentaires ! C’est même l’inverse ! Vous êtes en train d’ouvrir la voie aux prédateurs et de leur faire un pont d’or ! Réservons nos efforts pour accueillir des investissements étrangers durables !
D’ailleurs, d’où vient le gros des investissements industriels en France ? Eh bien, figurez-vous qu’il vient de l’autre côté du Rhin ! Ce sont les Allemands qui investissent ! Oui, les Allemands, ceux dont on ne cesse de nous dire qu’ils sont tellement meilleurs que nous ! Ils investissent dans les croquettes pour chiens, dans toute une série de choses, il ne faut pas croire qu’ils n’investissent que dans l’industrie lourde !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Je veux dire quelques mots au sujet du périmètre d’appréciation des difficultés économiques et de la place de la France dans le monde.
Je commencerai par adresser mes félicitations au Gouvernement. Nous avons en effet appris la nationalisation des chantiers navals STX. Cela signifie que quand on a une vision élevée de la place de notre économie dans le monde, on peut prendre des décisions courageuses. Face à cette décision qui est ferme et conforme à l’intérêt économique de notre pays, comment expliquer l’amendement n° 232 rectifié, dont M. Martial Bourquin relevait avec justesse qu’il est confus à l’extrême, qui ménage la chèvre et le chou et favorise la prédation ?
M. le secrétaire d’État parlait d’une « prime aux non-localisations ». Si c’est pour permettre à des prédateurs de venir chez nous acheter des entreprises, prendre les brevets, licencier nos salariés, puis, repartir à l’étranger, alors, effectivement, ces localisations-là, nous n’en voulons pas ! Si cet amendement vise à préparer les prochains Molex, nous n’en voulons pas ! Nous sommes à un moment où le débat économique mondial est organisé autour des réflexions sur le big data, où Elon Musk et Mark Zuckerberg s’opposent sur l’intelligence artificielle, où certains, à l’autre bout de la planète, sont en train de mettre au point le véhicule autonome.
Si notre sujet, c’est d’abaisser nos défenses, d’organiser une forme de dumping généralisé pour favoriser plutôt le low cost que l’investissement productif ou l’investissement sur le capital humain, je pense que nous n’avons rien compris à l’évolution de l’économie mondiale ! Je rejoins Corinne Bouchoux et j’aimerais avoir quelques éléments pour étayer cette vision de l’économie. En quoi ce qui est fait, cette désorganisation des règles et cet abaissement des barrières protègent-ils nos entreprises, nos salariés, notre économie nationale ? En rien !
Je pense donc qu’il faut être ferme. Le Gouvernement a été capable de l’être à propos des chantiers navals STX. Il faut qu’il le soit sur le périmètre d’appréciation des difficultés économiques.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. C’est finalement la troisième année que nous discutons de ce sujet. En effet, ce débat, nous l’avons déjà eu longuement, à la fois sur le périmètre et sur les critères lorsque nous avons examiné, en 2015, le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Nous l’avons poursuivi lors de la discussion sur le projet de loi El Khomri à l’occasion de laquelle nous avons réglé une partie du problème en clarifiant les critères. Nous le reprenons avec ce projet de loi d’habilitation.
Aujourd’hui, on examine le texte de la commission sur lequel nous avons eu un désaccord, la commission ayant choisi de fermer la porte à l’opportunité de discuter de ce point important avec les organisations représentatives.
La concertation continue cependant. En effet, si Mme la ministre du travail n’est pas dans l’hémicycle, ce n’est pas parce qu’elle est à la plage ! (Sourires.) Elle est attelée à cette concertation.
Notre position est constante par rapport au texte de la commission. Il ne faut pas voter les amendements de suppression des alinéas 12 à 17. Je propose de nous rallier à l’amendement de M. Tourenne et du groupe socialiste et républicain dont le texte est identique à celui du Gouvernement. Peu importe celui qui sera choisi, on ne va pas faire de préséance, ils sont identiques ! Ils laissent ouverte la discussion et n’enferment pas le Gouvernement dans le périmètre strictement national. À défaut, ce n’est pas la peine d’avoir des discussions avec les organisations représentatives. C’est ce que je reproche à la commission.
C’est un projet de loi d’habilitation. Après, nous nous prononcerons sur la ratification. J’espère qu’elle traduira les discussions en cours. Je propose d’adopter soit l’amendement du Gouvernement, soit celui qu’a présenté M. Tourenne.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. À relire certaines pages du programme de M. Macron, je pensais que le Président de la République voulait, d’un côté, libéraliser – je comprends bien la logique, je ne suis pas une militante antilibérale farouche – et, de l’autre, sécuriser. Cette combinaison, à condition qu’il y ait équilibre, pourrait être quelque chose d’intéressant.
Néanmoins, dans le présent texte, surtout après que la commission lui ait laissé sa marque, on libéralise à tout va sans rien sécuriser. On déverrouille même, à tous les étages, des obstacles imaginaires en pensant que cela enverra des messages subliminaux aux investisseurs internationaux.
Or, à mon sens, ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent. Je me permets d’ailleurs de demander de nouveau à M. le secrétaire d’État quelles études d’impact prouvent, à l’échelon international, que les changements que projette le Gouvernement quant au périmètre parleront aux investisseurs japonais ou allemands intéressés par la France. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Nous sommes en train de prendre des décisions lourdes de conséquences. C’est juste cinquante ans de droit social et de négociations qu’on fait passer à la trappe ! Pourquoi pas ? Je ne me livrerai pas à une opposition de principe. Pour ma part, je demande simplement des preuves, un certain nombre d’éléments tangibles qui nous montrent que ces déverrouillages seront porteurs d’emplois pérennes et non délocalisables.
Pardonnez-moi d’insister, mes chers collègues, mais si nous ratons ce coup-là, ce sera la double peine : non seulement nous aurons complètement dérégulé notre marché du travail, mais de plus, comme l’ont expliqué avec éloquence Mme Lienemann et d’autres collègues, nous aurons ouvert la porte aux pilleurs qui vont spolier nos entreprises, prendre nos brevets et nos savoir-faire et ne nous laisser que nos chômeurs, qui ne sont pas délocalisables. C’est un vrai problème !
Par ailleurs, si je me réjouis toujours de voir M. Lemoyne, je me serais fait une joie, si Mme la ministre avait été présente ce matin, de lui poser quelques questions en toute courtoisie sur les excellentes opérations qu’elle est visiblement en mesure de faire, connaissant fort bien le système capitalistique. Évidemment, certaines personnes sont très douées pour être capables de gagner en une journée ce que gagnent ensemble des milliers de smicards ! Je pense que nous ne vivons pas dans le même monde, et je me demande vraiment quel modèle de société nous voulons. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Le périmètre d’appréciation des difficultés économiques d’un groupe fait l’objet d’un débat récurrent. Le choix du périmètre mondial est sans doute intellectuellement plus satisfaisant et plus juste – je le reconnais volontiers –, mais il n’est pas très opérationnel.
Toutes les grandes entreprises qui opèrent à l’échelon mondial peuvent déplacer partiellement la création de valeur ajoutée, de manière plus ou moins justifiée, en fonction de la fiscalité locale. Il ne faut pas se voiler la face : c’est une réalité, c’est une possibilité. Certaines le font légalement et dans des proportions acceptables, d’autres le font de manière éhontée. Mais ce n’est qu’une dimension d’un phénomène qui est absolument incontrôlable.
Cette pratique est aussi celle d’entreprises françaises, y compris de certaines dans lesquelles l’État a des participations financières. Je ne citerai pas d’exemple, mais il est indéniable que certaines entreprises à capitaux d’État, d’anciennes entreprises nationales, pratiquent ainsi pour certaines de leurs activités, notamment en matière de gestion de flottes de véhicules ou d’avions ; ces flottes appartiennent en général à une filiale ayant son siège à l’étranger.
Pour ma part, je considère que ce n’est pas en rigidifiant nos protections que nous empêcherons le départ de certaines entreprises de notre territoire : celles qui voudront partir, de toute façon, fermeront. (M. Martial Bourquin applaudit.) Il y aura de longs contentieux et cela ne servira à rien d’établir une protection artificielle. Nous serons au contraire moins attractifs pour attirer les investissements étrangers en France, ce qui affectera à mon avis la création d’emplois. En effet, outre d’autres critères qui ont été cités par Mme Lienemann, le régime fiscal et la flexibilité demeurent malgré tout un élément de localisation des investissements étrangers dans notre pays. Bien sûr, nous souhaitons que le périmètre européen soit à l’avenir le périmètre pertinent, mais cela suppose au préalable un petit peu plus d’harmonisation sociale et fiscale.
Mes chers collègues, je veux prendre un exemple. Supposons que, demain, Uber perde le contentieux qui l’oppose à l’URSSAF et que ses chauffeurs soient requalifiés en salariés. Si le périmètre international était retenu dans la loi, on serait amené à constater, au cas où Uber voudrait procéder à des licenciements, que cette entreprise est en très grande difficulté. En effet, à l’échelle mondiale, c’est le groupe le plus endetté, et ses résultats d’exploitation sont absolument catastrophiques. Or son modèle est complètement différent ailleurs dans le monde. Pourtant, cette analyse lui permettrait de licencier. C’est pourquoi il faut se montrer très attentif dans notre économie, qui n’est pas quelque chose de figé.
En conclusion, nous suivrons l’avis de la commission tout en reconnaissant la bonne foi du Gouvernement dans la manière dont il présente les choses.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Je souhaite revenir sur les amendements de suppression des alinéas concernés. À écouter Mme Bouchoux, pendant trente ans, nous allons créer des travailleurs pauvres et précaires. Je ne sais en revanche si, en tant que professeur d’économie, elle juge que nous avons créé, au cours des trente dernières années, une génération de chômeurs riches. En 1998, Martine Aubry déclarait qu’il valait mieux être chômeur en France que travailleur au Royaume-Uni. C’était il y a vingt ans ! Le modèle du chômage de masse n’enthousiasme pas notre jeunesse, qui souhaite un autre avenir ! Les entreprises se jouent des frontières.
M. David Assouline et Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et le Brexit ?
M. Olivier Cadic. Pour éviter des pratiques abusives, il faut, d’un côté, développer une approche européenne et, de l’autre, que ces pratiques soient connues du grand public. Au Royaume-Uni, les pratiques fiscales de certaines entreprises américaines, comme Starbucks, qui visaient à éviter de payer des impôts dans le pays, leur ont valu de gros dommages en termes d’image. C’est le client qui a influencé leur politique et leurs décisions : le client a beaucoup plus de force que la loi pour lutter contre les pratiques potentiellement abusives que certains dénoncent, parfois avec justesse. Nous ne voterons donc pas ces amendements de suppression.
Concernant l’amendement du Gouvernement, l’expérience professionnelle de Mme la ministre du travail, ses propos, ainsi que votre compréhension du sujet, monsieur le secrétaire d’État, vos remarques pertinentes et le fait que, comme vous l’avez rappelé, vous avez siégé parmi nous, tout cela nous incite à faire confiance au Gouvernement quant à sa capacité à évaluer et à appréhender avec pragmatisme la pertinence du périmètre.
Néanmoins, nous partageons l’avis de la commission et nous estimons que le périmètre national doit être préservé. Nous sommes convaincus que vous êtes capable de faire preuve de pragmatisme. Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, il nous faut, hélas, voter contre l’amendement du Gouvernement.
M. Yves Daudigny. C’est triste ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Concernant ces différents amendements, je peux comprendre les inquiétudes, dont bon nombre sont tout à fait légitimes, de mes collègues. Certains d’entre eux ont employé le terme « prédateur » ; je m’y associe volontiers. On s’aperçoit en effet que, s’il y a des chefs d’entreprise honnêtes, d’autres le sont beaucoup moins et ont moins de scrupules.
M. le secrétaire d’État connaît bien notre institution et nos départements. Néanmoins, dans nos départements respectifs, s’il est vrai que certaines entreprises ne fonctionnent pas mal, d’autres en revanche sont malheureusement en difficulté. Dans les Ardennes comme ailleurs, il y a des dossiers en attente : beaucoup de collègues peuvent en témoigner.
Le présent texte vise à simplifier, mais comment simplifier ? Quelle est la marge de manœuvre ? On s’aperçoit que bon nombre de chefs d’entreprise, en particulier de petites entreprises, galèrent entre procédures et difficultés.
Cela dit, je n’ai pas trouvé très lisible l’amendement du Gouvernement : « périmètre géographique », « secteur d’activité », ce n’est pas simple !
La transposition du droit européen impose aussi des contraintes : dans notre pays, on ne fait pas ce qu’on veut, on a beaucoup de comptes à rendre à l’Europe. Tout cela est source d’embûches.
Par ailleurs, les structures sont trop nombreuses et se renvoient souvent la balle, et bon nombre de chefs d’entreprise ne savent pas trop à qui s’adresser.
Alors, on sait bien que le présent texte permettra peut-être améliorer les choses, mais la tâche reste immense.
Cela dit, je continue de faire confiance à mes collègues de la commission des affaires sociales qui ont vraiment beaucoup travaillé sur ces différents amendements.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Je voterai contre les amendements de suppression des alinéas visés. Dans le même temps, je ne soutiens pas la position de la majorité de la commission des affaires sociales qui a décidé de retenir le périmètre national pour l’appréciation des difficultés économiques.
Le sujet est d’une grande sensibilité. Bien sûr, il existe des comportements voyous. Ainsi, dans le nord de la France, nous avons douloureusement vécu le traumatisme de la décision du numéro 2 de l’électroménager dans le monde de déplacer à Lodz, en Pologne, une usine qui fonctionnait parfaitement bien à Amiens. Heureusement, une solution de reprise a pu être trouvée. Néanmoins, de tels agissements ne valent pas, heureusement, jugement général sur les comportements de l’ensemble des chefs d’entreprise.
S’agissant de la modification du périmètre d’appréciation des difficultés économiques, j’entends bien, monsieur le secrétaire d’État, que nous faisons figure d’exception en Europe. J’entends également votre volonté affichée de lever le maximum de freins à l’implantation d’entreprises ou de groupes étrangers dans notre pays.
En revanche, la clarification que vous souhaitez des critères relatifs au licenciement économique ne doit pas revenir à créer un mode d’emploi qui pourrait être utilisé par les groupes pour contourner, par divers plans comptables, un certain nombre d’obligations.
Les modalités précises d’un contrôle de tels comportements doivent être établies.
À ce jour, il me paraît nécessaire de laisser au Gouvernement des marges de négociation avec les partenaires sociaux ; je soutiendrai donc l’amendement du Gouvernement et l’amendement identique qui a été présenté au nom de mon groupe par M. Tourenne. Nous jugerons du texte définitif de l’ordonnance lors de l’examen du projet de loi de ratification.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. De fait, notre discussion est menée à partir du présupposé suivant, que M. le secrétaire d’État a répété : il existerait, en France, des freins à l’investissement étranger qui occasionneraient des emplois perdus.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. David Assouline. Les alinéas en cause viseraient à lever l’un de ces freins.
Pour ma part, je veux plutôt croire Mme la ministre du travail, qui sera au banc du Gouvernement cet après-midi. Au mois de mars dernier, Mme Pénicaud était mise en avant dans un article du Monde dont le titre était Les investissements étrangers en France au plus haut depuis dix ans. Selon cet article, l’Allemagne est devenue championne des implantations dans l’Hexagone, avec une progression de 35 % du nombre de projets. Selon Mme Pénicaud elle-même, l’année 2016 était la meilleure depuis dix ans. Je ne comprends donc pas sa position actuelle. Certes, il existe sans doute des freins à la création d’emplois dans notre pays, et des ajustements sont possibles. Pourtant, quand Mme Pénicaud, analysant la situation au regard de sa fonction d’alors, se réjouissait de la vigueur, inédite en dix ans, des investissements étrangers, elle ne mentionnait pas que la priorité pour créer de l’emploi en France était de mener une telle réforme.
Le danger est bien de perdre des emplois si on lève le verrou. En effet, certaines entreprises implantées en France pourraient profiter de l’aubaine pour mettre dans le rouge les comptes de leur succursale française et ainsi délocaliser.
C’est pourquoi j’estime, comme d’autres orateurs l’ont souligné, que vous vous appuyez, monsieur le secrétaire d’État, sur un présupposé. Vous reprenez les exigences formulées par certains patrons – pas tous, d’ailleurs – qui veulent aller toujours plus loin dans la dérégulation. Or ce présupposé est si idéologique que vous ne nous dites jamais sur quelles évaluations vous vous fondez, ce qui pourrait nous convaincre. Jamais vous ne nous montrez un rapport dans lequel des experts évalueraient combien d’emplois seraient perdus du fait de ce blocage et du refus d’investisseurs étrangers de venir en France.
Ce que tout le monde sait, c’est que de plus en plus d’investisseurs, depuis dix ans, viennent en France pour la qualité de la vie, des transports, des infrastructures, ou encore de la recherche. Or plutôt que de valoriser cela, vous vous livrez à un bashing qui ne peut que dégrader l’image de la France auprès des investisseurs !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 15 rectifié bis, 78 rectifié bis, 124 et 165.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 196 et 218 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 43 rectifié bis et 232 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 136 :
Nombre de votants | 320 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l’adoption | 131 |
Contre | 188 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Madame Morhet-Richaud, l’amendement n° 174 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Patricia Morhet-Richaud. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 174 rectifié ter est retiré.
Monsieur Gabouty, l’amendement n° 63 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Marc Gabouty. Non, je le retire également, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 63 rectifié est retiré.
Monsieur Gabouty, confirmez-vous que vous rectifiez l’amendement n° 64 rectifié en ajoutant l’adverbe « notamment » avant les mots « en termes de présentation » ?
M. Jean-Marc Gabouty. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 64 rectifié bis, présenté par M. Gabouty, Mmes Billon, Férat et Joissains et MM. Capo-Canellas, D. Dubois, Kern et Longeot, et ainsi libellé :
Alinéa 13
Remplacer la seconde occurrence du mot :
ou
par les mots :
notamment en termes de présentation
Je le mets aux voix.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote sur l’amendement n° 123.
M. Dominique Watrin. Je souhaite revenir sur les arguments employés par M. le secrétaire d’État pour rejeter cet amendement.
Ces derniers jours, le Gouvernement a justifié les alignements par le bas auxquels il entend procéder dans les ordonnances par la trop grande complexité de la jurisprudence. Je pense en particulier à la qualification non économique du licenciement d’un salarié refusant un accord collectif : le Gouvernement entend sur ce point codifier par ordonnance la jurisprudence la moins favorable.
S’agissant du présent amendement, le Gouvernement s’appuie toujours sur la jurisprudence, mais pour refuser des clauses positives que le rapporteur a jugées tout à fait fondées et qui visent simplement à s’assurer que les propositions de reclassement sont loyales, sérieuses, individualisées et réalisées dans un délai précis. C’est quand même gros !
Chacun tirera de cet épisode les enseignements qu’il veut, mais, pour le groupe CRC, cela confirme l’analyse générale que nous faisons de ce projet de loi : il s’agit d’un ensemble de mesures déséquilibrées qui alignent vers le bas les protections des salariés, tant individuelles que collectives, au profit des grands groupes.
M. le président. Madame Morhet-Richaud, les amendements nos 175 rectifié ter et 176 rectifié ter sont-ils maintenus ?
Mme Patricia Morhet-Richaud. Non, je les retire, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 175 rectifié ter et 176 rectifié ter sont retirés.
L’amendement n° 44 rectifié, présenté par Mme Génisson, MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Remplacer le mot :
conciliation
par le mot :
articulation
La parole est à Mme Catherine Génisson.
Mme Catherine Génisson. Nous proposons de substituer, à l’alinéa 19 de l’article 3, au terme « conciliation » le mot « articulation », qui, en droit, permet de dénoncer de façon écrite et détaillée des faits dont on offre de rapporter la preuve en justice. Je fais référence à la loi fondatrice de l’égalité professionnelle, la loi du 13 juillet 1983, dite « loi Roudy ». L’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle était justement une priorité de ce texte ; Mme Roudy elle-même insistait énormément pour qu’on emploie ce terme, qui exprime une volonté beaucoup plus forte de réaliser cet enjeu. En citant Mme Roudy et la loi de 1983, je vous laisse le soin d’apprécier, mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, l’état de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; il y a encore beaucoup de travail à effectuer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Favorable, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je me réjouis que cet amendement, brillamment présenté par Catherine Génisson, ait reçu deux avis favorables. Mon groupe, quant à lui, le soutient totalement. Ce n’est pas un amendement de détail. Il est d’autant plus important par les temps qui courent : on observe en effet trop souvent des glissements linguistiques, et des mots sont employés quand d’autres seraient plus exacts. On dit trop souvent « équité » au lieu d’« égalité », concept complètement différent.
Quant à l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale, elle est très importante dans le combat pour obtenir l’égalité entre les femmes et les hommes, d’autant que, en ce moment, dans notre société, on observe de vrais retours en arrière sur cette question. Nous connaissons toujours, dans les entreprises, des inégalités dans tous les domaines, que ce soit du point de vue des salaires ou de celui de l’avancement.
Je me réjouis donc de cet amendement sur ce sujet extrêmement important, et j’espère qu’il sera adopté à l’unanimité.
M. le président. L’amendement n° 45 rectifié, présenté par Mme D. Gillot, MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Génisson, Féret et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Compléter cet alinéa par les mots :
et améliorer l’accès, le maintien et le retour à l’emploi des personnes handicapées
La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. Le développement et l’accessibilité de nouvelles technologies affectent l’organisation de nos sociétés, les relations entre les individus, la façon dont nous appréhendons et comprenons notre environnement, ainsi que le rapport à la culture, à l’activité et au travail. Dans cette période charnière, nous devons faire en sorte que ces innovations bénéficient au plus grand nombre et participent du progrès partagé.
L’alinéa dont nous discutons actuellement prévoit que les règles de recours aux nouvelles formes de travail – le télétravail ou le travail à distance – puissent être utilisées afin de mieux concilier la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale. Lors de sa prise de parole, Mme la ministre du travail a cité en particulier l’amélioration des conditions d’accès à l’emploi des personnes isolées géographiquement ou en situation de handicap.
Mon amendement vise à ce que le recours à ces nouvelles organisations du travail puisse être mieux utilisé au bénéfice de l’accès, du maintien ou du retour dans l’emploi des personnes handicapées, qui, plus que d’autres, peuvent avoir chaque jour des difficultés à surmonter pour rejoindre leur lieu de travail. Quand elles ont un emploi, elles s’efforcent d’en honorer les obligations, au prix parfois d’une fatigabilité aggravée et « handicapante » à plus ou moins long terme qui nécessite des phases de repos, voire une organisation du temps de travail adaptée.
Les personnes en situation de handicap ont trois fois moins d’opportunités d’occuper un emploi et deux fois plus de risques de connaître le chômage. Selon l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, le taux des salariés licenciés à la suite d’un avis d’inaptitude peut atteindre 97,5 % dans certaines régions, ce qui représente un énorme gâchis tant pour l’entreprise, qui perd une compétence et une forte adhésion à l’emploi, que pour l’employé, qui perd son identité sociale liée à son identité professionnelle.
Le télétravail et le travail à distance peuvent constituer une réponse pour maintenir un salarié dans un emploi adapté à la suite d’un avis d’inaptitude ou offrir une organisation concertée du travail permettant le recrutement d’un travailleur handicapé au sein de l’entreprise.
Bien sûr, le télétravail et le travail à distance doivent être utilisés avec précaution, dans le cadre d’un protocole où l’avis et l’expérience des salariés seront précieux, sur le plan de l’intégration du travailleur au sein de la vie de l’entreprise ainsi que sur celui du respect de ses conditions de travail matérielles ou de ses horaires.
La situation catastrophique de l’emploi des personnes handicapées impose d’envisager toutes les options, d’étudier toutes les pistes leur permettant d’accéder à, de conserver ou de retrouver un emploi.
C’est pourquoi je tiens à ce que le télétravail et le travail à distance soient des outils de l’effort indispensable à accomplir en faveur de l’emploi des personnes avec handicap.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Parmi les sept thèmes identifiés par les partenaires sociaux dans la lettre d’intention commune qu’ils ont envoyée au mois de juin dernier à la ministre du travail, le recours au télétravail pour les personnes handicapées n’est pas mentionné comme un axe à part entière.
Il pourrait être utile de donner un signal en ce sens au Gouvernement et aux partenaires sociaux, au risque d’ouvrir la boîte de Pandore de l’énumération de tous les cas de recours au télétravail.
C’est la raison pour laquelle la commission émet un avis de sagesse très positive sur cet amendement. (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Face à une présentation aussi convaincante et après les encouragements de la commission, le Gouvernement ne peut que souscrire à cette proposition.
Il est vrai qu’un certain nombre d’entreprises, comme Nestlé France ou Mediapost, ont d’ores et déjà prévu des modalités particulièrement intéressantes pour favoriser le recours à cette modalité d’exercice du travail à destination des personnes handicapées. Essayons de généraliser cette pratique.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. Jean Desessard. Que le Gouvernement est positif !
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, pour explication de vote.
Mme Dominique Gillot. Mes chers collègues, notre assemblée fait avancer la cause des travailleurs handicapés. Je voudrais que ce faisant nous soyons attentifs à ne pas considérer uniquement les personnes avec un handicap moteur, à qui l’on pense souvent quand on parle d’adaptation du lieu de travail. Les personnes qui ont des troubles neurodéveloppementaux peuvent aussi avoir du mal à travailler en collectivité, parce qu’elles doivent surmonter des problèmes de surcharge affective. Le travail dans un environnement familial et bien adapté peut leur permettre de donner le meilleur d’elles-mêmes dans une mission professionnelle. C’est très important.
Si cet amendement est adopté, nous aurons accompli un grand pas dans la reconnaissance des aptitudes des travailleurs avec handicap.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Je me réjouis de voter cet amendement, chère Dominique Gillot.
Il faut le plus possible élargir cette disposition. Ce serait notamment une très bonne idée de l’étendre à la fonction publique assez rapidement et d’aller au-delà des expérimentations, aujourd’hui très timides, mises en place dans les différentes collectivités.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Nous voterons cet amendement.
Comme quoi, monsieur le président de la commission des affaires sociales, et je m’adresse aussi aux membres de la majorité de la commission, un rapport peut être utile ! (Sourires.)
Cette habilitation s’inscrit en effet dans le droit fil des dispositions que nous avons votées à l’article 57 de la loi El Khomri. C’est en effet à la suite du rapport que prévoit cet article qu’une concertation, que vous avez citée du reste, a eu lieu avec les organisations représentatives. Elles ont donné sept pistes de travail et ont dit qu’elles voulaient négocier sur tous les points ; celui-ci va être intégré à l’habilitation.
J’ai un peu de suite dans les idées (Nouveaux sourires.) et je répète donc qu’il est parfois utile de demander au Gouvernement un rapport. Cela a produit ses effets : l’ouverture de l’habilitation à tout ce qui concerne le télétravail !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Bricq. (Exclamations amusées.)
Mme Laurence Cohen. Une fois n’est pas coutume !
M. Alain Milon, rapporteur. Oui, c’est un événement ! (Sourires.) Un rapport, ça peut servir, madame Bricq, mais à condition d’avoir été fait.
Mme Nicole Bricq. Celui-là l’a été !
M. Alain Milon, rapporteur. La plupart des rapports demandés ne le sont pas, vous le savez très bien, et ceux qui sont faits ne sont pas lus. Le problème est là.
Je rappelle encore une fois que – et M. le secrétaire d’État s’en souvient – plus d’une trentaine de rapports ont été demandés dans le cadre de la loi El Khomri. Dans celui de la loi Santé, dont j’étais le rapporteur, il y a eu cinquante demandes de rapport ! Si nous avions voté toutes ces demandes, pas un seul de ces cinquante rapports n’aurait pu être rédigé et l’être dans les délais.
Les rapports servent donc à quelque chose, mais uniquement quand ils sont faits et quand ils sont lus.
Mme Sophie Primas. Bravo !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Le télétravail est une source de développement : c’est l’avenir, comme les espaces tiers et le coworking ; il n’est pas réservé aux personnes en situation de handicap.
Mme Dominique Gillot. Bien sûr que non !
M. René-Paul Savary. Je suis toujours un peu inquiet quand on commence à parler de dispositifs « pour les personnes handicapées ». L’intégration réelle des personnes handicapées, qui est ce à quoi notre attention doit tendre, passe par leur intégration dans tous les dispositifs législatifs.
M. Jean Desessard. Bien sûr !
M. René-Paul Savary. Le télétravail est une des possibilités pour créer des emplois nouveaux dans les bassins de vie. On rejoint là, en matière d’aménagement du territoire, la question du développement du très haut débit et de la téléphonie, fixe ou mobile, développement pour lequel il faut continuer à nous battre, parce que c’est ainsi que nous sortirons les territoires enclavés de leur isolement.
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° 177 rectifié ter, présenté par Mmes Gruny et Morhet-Richaud, MM. Mandelli, Dallier, Rapin, Pellevat et Vaspart, Mme Canayer, M. Mouiller, Mme Di Folco, MM. Lefèvre et Pierre, Mme Mélot et MM. Cornu, Chasseing, Commeinhes et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Compléter cet alinéa par les mots :
et assouplissant la possibilité de modifier l’organisation du travail en cas de nécessité de retour du salarié dans l’entreprise
La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Dans un arrêt du 31 mai 2006, la chambre sociale de la Cour de cassation considère que l’employeur ne peut unilatéralement demander à un salarié travaillant à domicile d’exécuter sa prestation au siège de l’entreprise, une telle décision modifiant l’organisation contractuelle du travail. L’accord du salarié est ainsi requis, quand bien même son contrat de travail prévoirait une clause de mobilité.
Il convient d’assouplir cette règle, faute de quoi les employeurs risqueront de ne pas prévoir ce mode d’organisation, dès lors qu’il se révèle définitif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Malheureusement défavorable, mais le Gouvernement pourra peut-être enfin émettre un avis favorable sur l’amendement n° 178 rectifié ter, qui sera examiné plus tard…
Vous avez fait référence, madame Morhet-Richaud, à un arrêt de la Cour de cassation sur les travailleurs à domicile. Or cela répond à un régime dérogatoire n’ayant rien à voir avec celui des travailleurs ordinaires qui ont choisi des modalités d’exécution de leur travail leur permettant, de façon partielle, d’œuvrer dans ces lieux tiers qu’a mentionnés M. Savary. Il s’agit donc d’un sujet tout à fait distinct, pour lequel il ne semble pas à ce stade nécessaire de perturber l’équilibre.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Madame Morhet-Richaud, l'amendement n° 177 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Patricia Morhet-Richaud. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 177 rectifié ter est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 125 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 159 est présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 20
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 125.
Mme Laurence Cohen. Depuis 2015, la progression du nombre d’intérimaires serait de 16 %, s’approchant ainsi du record de 2007, avant la crise. Cette forme de travail voile d’incertitudes les lendemains de millions de travailleurs, précarisant leur travail et leur vie. C’est même un marché du travail précaire qui a explosé, faisant le bonheur d’un certain nombre d’entreprises.
L’alinéa 20 prévoit la possibilité de déroger par accord de branche à la législation relative au CDD et à l’intérim. C’est la raison pour laquelle nous en demandons la suppression. Nous avons, nous aussi, organisé des auditions et rencontré des organisations syndicales à ce sujet.
Si c’est la loi qui fixe les règles de recours au CDD et à l’intérim, c’est bien pour protéger les salariés, car, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Vous avez reconnu la célèbre citation de Lacordaire…
Le contrat de travail est un lien de subordination que vous semblez ignorer dans ce texte, monsieur le secrétaire d’État. Penser qu’employés et patrons discutent sur un pied d’égalité et dans la bienveillance serait une erreur.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 159.
M. Jean Desessard. En laissant la possibilité aux branches de déterminer les règles relatives au contrat à durée déterminée ou à l’intérim, le Gouvernement entend faciliter le recours à des contrats courts. Or ces contrats sont, par définition, précaires pour les travailleurs.
L’absence de salaire garanti à l’issue du contrat de travail a des conséquences néfastes sur la vie du salarié, nous l’avons souvent souligné, celui-ci ne pouvant se projeter dans l’avenir et mener des projets à long terme. Au quotidien, l’accès au logement est compliqué : les propriétaires exigent quasi systématiquement plusieurs bulletins de salaire et un contrat à durée indéterminée avant de louer leur bien. De la même façon, les banques imposent une certaine stabilité de revenus pour accorder des prêts, donc faciliter l’accès à la propriété. Au-delà des conséquences matérielles, le travail précaire engendre du stress, du mal-être et nuit à la santé des travailleurs.
Pour toutes ces raisons, la précarisation du monde du travail nous inquiète au plus haut point.
Si les contrats courts peuvent être nécessaires dans certaines situations, comme les remplacements ou les pics d’activité, ils doivent rester exceptionnels. En assouplissant trop la possibilité de recourir au contrat court, on affaiblit le CDI, pilier de notre droit du travail, et, avec lui, l’ensemble des chômeurs et des travailleurs précaires.
C’est pourquoi nous nous opposons à la facilitation des contrats courts à l’échelon de la branche.
Je ne peux pas m’empêcher de dire par avance à Mme Bricq, qui répondra que les contrats courts permettent de s’adapter à l’économie, que, quand on parle de la flexisécurité, il ne faut pas s’arrêter à « flexi », il faut aussi garantir la « sécurité ».
Ceux qui veulent un peu plus de flexibilité, quelle sécurité apportent-ils pour que les travailleurs précaires puissent avoir un accès au logement et à un prêt et que ces contrats courts soient sécurisés dans leur vie sociale ?
Vous créez le contrat court et multipliez la précarité sans rien en échange, alors que l’on sait que c’est néfaste !
M. le président. L'amendement n° 153 rectifié, présenté par Mme Primas et M. Mouiller, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Compléter cet alinéa par les mots :
, et permettant l’accès à ces contrats dans certains secteurs d’activité où les contrats d’usage sont par nature successifs et temporaires
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. J’ai déposé des amendements ayant un objet identique plusieurs fois, amendements que les gouvernements précédents m’avaient promis de considérer, mais, à l’évidence, le dossier n’avance pas.
Il s’agit des contrats à durée déterminée d’usage, notamment de ce que l’on appelle les extras dans la branche hôtels, cafés, restaurants, contrats prévus pour faire face à la fluctuation de l’activité auxquels recourent particulièrement les traiteurs.
Toutefois une jurisprudence de la Cour de cassation du 24 septembre 2008 a remis en cause les bases légales de ce dispositif, en considérant que la qualification conventionnelle de contrat d’extra dépendait de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère « par nature temporaire » de l’emploi.
Or la preuve du caractère par nature temporaire de l’emploi est bien souvent impossible à démontrer. En effet, le recours aux extras est une nécessité liée à un besoin temporaire, comme une réception ou un mariage. Les traiteurs sont souvent dans l’impossibilité d’avoir une vision claire de leur activité, qu’ils ne peuvent parfois prévoir à plus de quinze jours. En revanche, les emplois qualifiés de serveur ou de maître d’hôtel qui sont confiés aux salariés ne sont naturellement pas par nature temporaires.
Aussi, faute de pouvoir apporter la preuve du caractère par nature temporaire de l’emploi et même si l’employeur respecte strictement les dispositions conventionnelles, les juridictions requalifient la relation de travail en CDD en CDI, la relation de travail à temps partiel en temps complet.
Ces décisions, qui aboutissent à des condamnations de plusieurs centaines de milliers d’euros, risquent de conduire au dépôt de bilan plusieurs entreprises déjà fragilisées, notamment chez les traiteurs.
Parallèlement, dans un rapport d’évaluation publié au mois de décembre 2015, l’IGAS a proposé de transformer le contrat déterminé d’usage en contrat à durées déterminées successives, ce qui sécuriserait l’équilibre économique et social des secteurs concernés.
À ma connaissance, les auteurs de ce rapport n’ont pas auditionné les entreprises du secteur, notamment les représentants du petit syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs.
Dans un tel contexte, cet amendement vise à faire reconnaître dans la loi la nature successive et temporaire des contrats d’usage.
J’invite par là même le Gouvernement à se prononcer car, monsieur le secrétaire d’État, du fait de cette situation qui perdure depuis des années, des entreprises sont aujourd'hui confrontées à des difficultés majeures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 125 et 159.
J’en viens maintenant à l’amendement n° 153 rectifié.
En effet, par deux arrêts en date du 23 janvier 2008, la chambre sociale de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, en exigeant désormais que le recours à des contrats à durée déterminée d’usage successifs soit justifié par des raisons objectives, c’est-à-dire par l’existence d’éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.
En pratique, il ne suffit plus que l’emploi occupé relève de ceux pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir à des contrats à durée indéterminée ; il faut que l’employeur soit en plus capable de montrer, dans chaque cas de figure, que les conditions d’emploi concrètes rendent le poste temporaire.
Même si cette exigence paraît justifiée sur le fond, la mettre en œuvre est en pratique très compliqué, et vous avez eu raison de le souligner, ma chère collègue. Ce durcissement des règles entourant le CDD d’usage pose aux employeurs, dans un certain nombre de secteurs – cinéma, hôtellerie-restauration, loisirs, sport, BTP – des difficultés réelles, qu’il faudra bien un jour lever, comme l’avait reconnu M. Macron, en séance publique au Sénat, au mois de mai 2015.
Il avait alors dit que ce sujet pourrait être traité dans le cadre d’une loi sur le dialogue social, mais, depuis, aucune décision n’a été prise.
Comme vous, madame Primas, la commission demande donc au Gouvernement si l’ordonnance sur les CDD abordera la question des CDD d’usage et tirera les conséquences du rapport, très critique, de décembre 2015 de l’IGAS. Elle souhaite en outre connaître son avis sur l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Sur les amendements identiques nos 125 et 159, qui visent à supprimer purement et simplement l’alinéa 20 de l’article 3, l’avis est défavorable.
Du fait que les branches auront désormais pour mission de travailler sur la gestion et sur la qualité de l’emploi, il leur reviendra – et Mme Pénicaud l’a d’ailleurs dit lors de la discussion de l’article 1er –, dans le cadre de cette nouvelle mission qui a émergé des concertations de ces derniers jours avec les partenaires sociaux, d’adapter les curseurs pour les contrats de ce type au regard des spécificités de leur secteur d’activité.
Il est toujours mieux de faire du sur-mesure, et c’est d’autant plus un progrès que ce sera la branche elle-même qui sera amenée à conduire ce travail. Le souci qui avait été exprimé ici lors de la discussion de la loi El Khomri s’agissant du rôle des branches a donc été entendu.
S’agissant de l’amendement n° 153 rectifié, cela fait en effet plusieurs années que Mme Primas se penche avec attention sur les branches hôtels, cafés, restaurants et les contraintes de ces secteurs.
Grâce à l’innovation dans les missions des branches que je viens d’évoquer, les branches HCR et assimilées vont elles aussi pouvoir délibérer et intervenir sur la gestion et la qualité de l’emploi, et donc apporter des ajustements pour prendre en compte les spécificités.
Au-delà de cette réponse de principe – elle signifie tout de même, madame Primas, que la branche pourra s’emparer du dossier ! –, je suis très allant pour que nous regardions ensemble comment le dossier évolue et comment la branche, justement, s’en emparera.
Hier, j’ai reçu M. Héguy, président confédéral de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, l’UMIH, et M. Chenet, président du GNI-SYNHORCAT, à l’occasion d’un comité interministériel sur le tourisme. Naturellement, ces sujets sont au cœur de nos préoccupations pour que la destination France soit attractive et compétitive. M. le Premier ministre s’est lui-même assez fortement engagé avec Jean-Yves Le Drian sur ce dossier que je m’attacherai à suivre, à leurs côtés, dans le détail.
Si je m’engage à ce que nous le suivions ensemble, madame Primas, ce n’est pas une clause de style pour obtenir le retrait de votre amendement ! Je comprends que des travaux ont déjà été conduits, qu’il y a des attentes et que l’on ne peut pas se satisfaire de différer les solutions de débat en débat. Cet engagement de travail, je le prends, et je n’ai pas l’habitude de ne pas tenir mes engagements.
Au bénéfice de ces explications, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Pour certains d’entre vous, les contrats courts sont l’horreur absolue et synonymes de précarité. Il ne faut pas que les abus qui peuvent être commis, à savoir le recours systématique, répétitif et permanent aux contrats courts, disqualifient ces contrats qui ont des côtés positifs. Des abus ont d’ailleurs été commis dans le secteur privé, mais aussi dans le secteur public – le ministère de la justice et le groupe La Poste étaient quand même les grands spécialistes des contrats courts, avec des dizaines de CDD renouvelés. Le groupe La Poste a d’ailleurs été largement condamné voilà quelques années par les prud’hommes.
Je tiens à rectifier certains éléments qui ont été donnés de manière imprécise. Si 50 % des embauches aujourd’hui sont bien des CDD, le stock de CDI demeure stable, entre 85 % et 90 %. Cette distorsion entre le flux et le stock s’explique tout simplement par le fait que l’intérim et le CDD sont des moyens d’insertion dans la vie professionnelle. Lorsqu’une entreprise fait appel à un CDD ou à un intérimaire, elle peut de nouveau faire appel à lui en cas de besoin s’il a donné satisfaction, voire l’embaucher de façon définitive si le besoin devient permanent.
L’intérim et le CDD doivent être considérés comme pouvant être des moyens d’insertion dans le monde professionnel et dans l’entreprise. À cet égard, il est bien normal que la branche ait un rôle de régulateur et puisse étendre, restreindre ou encadrer le dispositif des contrats courts, qu’il faut cesser de diaboliser.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Cet alinéa 20 prévoit « d’adapter par convention ou accord collectif de branche […] les dispositions, en matière de contrat à durée déterminée et de contrat de travail temporaire, relatives aux motifs de recours à ces contrats, à leur durée, à leur renouvellement ».
Jean-Marc Gabouty parle de 50 % d’embauches en CDD ; les informations que je détiens indiquent 75 %, pour une durée maximale d’embauche de dix-huit mois d’embauche, ce qui est en effet très précaire…
Pourquoi pas un CDI, demanderont certains ? Si l’entreprise n’a pas la visibilité économique pour un CDI, l’employé doit être remercié. Il revient donc à la branche, au sein de laquelle siègent bien évidemment des représentants syndicaux, de mettre en place les dispositions pour que le contrat de travail temporaire soit plus long. Cet état de fait est très fréquent dans les entreprises, notamment les PME-TPE.
L’alinéa 20 prévoit donc pour moi une bonne mesure, à l’avantage de l’employeur, certes, mais aussi de l’employé, qui trouvera peut-être ensuite un CDI. Il faut donc le conserver.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Monsieur le secrétaire d’État, du sur-mesure sur les branches, cela s’appelle de l’élagage ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Trêve de plaisanterie : je sais que vous êtes partisan du revenu universel, que vous avez voté ici même.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. J’allais y venir ! Vous m’enlevez les mots de la bouche !
M. Jean Desessard. À titre personnel, vous proposez donc une solution au temps court et au temps partiel, celle d’assurer un revenu minimum pour tous, ce qui permettrait de garantir une certaine stabilité et de combiner la précarité avec un revenu assuré. Reste que ce n’est pas la position du Gouvernement aujourd’hui !
Par conséquent, ni les parlementaires du groupe La République en marche ni vous-même au nom du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, n’avez répondu à la question de la contrepartie à proposer face à l’accroissement de la précarité.
J’entends bien que, pour l’entreprise, le recours à de tels contrats permet de ne pas se mouiller, mais comment enchaîner les CDD et les contrats courts à l’échelle d’une vie ? D’ailleurs, les contrats courts ont augmenté et les contrats sont de plus en plus courts. Le temps d’embauche se réduit. L’employeur fait son marché et peut embaucher quelqu’un pour quinze jours.
Comment s’organiser sans avoir une vision à long terme ? Pour les citoyens, ce n’est pas une solution.
Les contrats courts peuvent présenter un intérêt pour les entreprises, mais ils ne sont pas une solution pour les salariés. Sinon en défendant à titre personnel le revenu de base universel, monsieur le secrétaire d'État, vous n’avez pas apporté de réponse à cette question au nom du Gouvernement, et les parlementaires d’En Marche non plus.
Il n’est toujours question que de flexibilité, et non pas de la sécurité de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je soutiens cet amendement, dont la dimension est bien plus vaste que celle que nous sommes en train de lui prêter. Sa portée va bien au-delà des besoins ponctuels des secteurs du tourisme ou de la restauration. Le secteur industriel et l’artisanat sont également concernés.
J’évoquerai un exemple que mes collègues de Franche-Comté connaissent très bien, celui du Mont d’Or. Réglementairement, cette spécialité fromagère ne peut être fabriquée que du mois de septembre au mois de mars. De fabrication souvent artisanale, elle nécessite une forte main-d’œuvre, dont j’ajoute qu’elle est souvent composée par des femmes et des hommes très heureux de le retrouver annuellement leur emploi.
Je pourrai également citer l’exemple des travaux publics évoqué par mon collègue ou de nombreux autres exemples industriels.
Je voterai l’amendement de Mme Primas si elle le maintient, car il représente un nombre significatif d’emplois dans nos territoires, pour les jeunes, mais aussi pour les moins jeunes.
Les contrats que nous évoquons constituent souvent une réponse sociétale satisfaisante pour les familles, en particulier dans le tourisme. Je pense ainsi au secteur des remontées mécaniques, où les emplois sont par nature saisonniers.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Mon explication de vote portera sur les amendements de suppression nos 125 et 159, et non pas sur l’amendement n° 153 rectifié, qui est différent.
À ceux qui prônent la suppression de l’alinéa 20, je rappellerai que, comme l’a déjà indiqué M. le secrétaire d’État dont je reprends une partie de l’argumentation, ce travail sera confié aux branches. Les branches, qui sont organisées par secteurs d’activité, sont capables de prendre en compte la diversité de notre tissu économique.
En général, pour répondre aux commandes, l’industrie – je pense à la mécanique, à la construction navale, au bâtiment bien sûr, secteur pour lequel les contrats de chantier ont été créés – a recours à la fois à de l’intérim et à une main-d’œuvre qualifiée, pour des durées variant entre deux et trois ans, voire cinq ans lorsque les commandes sont importantes. Mme la ministre du travail a cité l’exemple de STX. Sans cette souplesse, cette entreprise n’aurait pas décroché certaines commandes. Or je crois qu’à Saint-Nazaire on est plutôt content d’avoir des carnets de commandes pleins pour quelques années…
À l’inverse, les entreprises du secteur de la chimie, par exemple, ne sont pas très intéressées par les emplois temporaires ; elles préfèrent une main-d’œuvre au long cours.
Les branches sont capables d’apprécier ces situations. Le fait qu’elles soient capables de faire des propositions est tout de même un progrès. Cela donne une visibilité globale aux entreprises tout en leur apportant une certaine sécurité.
Mes chers collègues, vous avez beaucoup insisté l'an dernier pour que l’on privilégie les accords de branche plutôt que les accords d’entreprise. Que les branches s’intéressent à ce sujet est quand même un fait nouveau par rapport au début de la discussion, puisque c’est arrivé hier !
Enfin, je rappelle à M. Desessard, qui m’a interpellée, comme il a interpellé Gouvernement, ce que j’ai dit lors de la discussion générale : le véritable élément de sécurité professionnelle, c’est le volet, que je souhaite voir figurer en haut de l’agenda du Gouvernement, de la formation professionnelle et de l’élévation des compétences des travailleurs en France. C’est un véritable sujet de compétitivité.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Daniel Gremillet a évoqué l’exemple du Mont d’Or, excellent fromage, que je vous conseille, comme le comté d’ailleurs.
M. Antoine Lefèvre. Et le maroilles !
M. Martial Bourquin. Face à la précarité dans des secteurs tels que celui-ci, l’avancée la plus importante a été l’annualisation du temps de travail. Plusieurs entreprises du Haut-Doubs qui fabriquent ce fromage, mais aussi de la charcuterie, ont mis en place des horaires différents en hiver, où la demande est forte, et en été. C’est une première réponse, mais, ne nous voilons pas la face, l’appel à l’intérim reste massif.
Mme Isabelle Debré. De moins en moins !
M. Martial Bourquin. Mes chers collègues, nous ne pouvons pas toujours demander aux mêmes de faire des efforts et de subir la précarité. C’est terrible pour certains ! Je rencontre des personnes âgées de quarante ou quarante-cinq ans qui ont encore besoin, pour obtenir un prêt ou louer un appartement, de la caution de leurs parents. C’est ça la vie dans la précarité ! J’attire votre attention sur le fait que les dispositions qui nous sont proposées seront elles aussi sources de drames humains.
L’explosion de la précarité pose également de réels problèmes aux entreprises, à tel point que certaines d’entre elles commencent à se dire qu’elles sont allées trop loin. Cela fait un an que l’on dit aux dirigeants de PSA que, compte tenu du niveau de leur production et de leurs bénéfices, il faut qu’ils embauchent leurs salariés en CDI ; ils commencent à y réfléchir…
J’ajoute que 35 milliards d’euros ont été versés aux actionnaires au cours du premier semestre de cette année. La France, il faut le savoir, est championne d’Europe des versements aux actionnaires ! Ce que je vais dire n’est pas une attaque personnelle, mais, quand on gagne 1,3 million d’euros en une journée à la suite de la suppression de 900 emplois,…
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain. Des noms ! Des noms !
M. Martial Bourquin. … il est difficile de demander aux salariés d’en faire toujours plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Monsieur le secrétaire d’État, je vous demande de prendre en compte l’amendement de Mme Primas. Vous avez la possibilité d’étendre le champ des ordonnances ; nous, nous ne l’avons pas. Nous avons donc besoin de votre bénédiction, monsieur… Lemoyne. (Sourires.) Toutes mes excuses pour mon impertinence !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. On me la fait depuis mon enfance ! (Nouveaux sourires.)
M. René-Paul Savary. J’en reviens au texte. Les emplois dont nous parlons sont des emplois locaux, non délocalisables, qui peuvent être occupés par des personnes en difficulté, et, là, c’est le président d’un conseil départemental confronté au problème de l’insertion professionnelle qui parle. Les bénéficiaires de RSA occupant ces emplois percevront l’allocation de solidarité complémentaire entre deux contrats d’usage, mais le problème est que le montant versé en plus du revenu du travail est remis en cause chaque fois. Il s’agit en effet d’une allocation de subsidiarité dont le calcul est revu tous les trimestres.
La reconnaissance des contrats d’usage, monsieur le secrétaire d’État, permet d’avoir une action innovante dans le domaine de l’insertion, au-delà de la politique de l’emploi, afin de remettre le pied à l’étrier à un certain nombre de personnes.
Nous vous offrons donc une opportunité extraordinaire de prendre en compte les difficultés des bassins d’emploi grâce aux contrats d’usage.
Je prie donc ma collègue de ne surtout pas retirer son amendement, que nous pourrions soutenir largement. Son adoption constituerait une avancée allant dans le sens de ce que souhaite faire le Gouvernement : vous le voyez, monsieur le secrétaire d'État, nous sommes vraiment constructifs ! (M. le secrétaire d'État applaudit. – Sourires sur les travées du groupe La République en marche et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Je souhaite répondre à un certain nombre d’interrogations, de remarques ou de suggestions.
Je ne veux pas laisser accroire l’idée qu’il y aurait des méchants qui veulent absolument la précarité.
M. Martial Bourquin. Il y en a qui y gagnent !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Les mobilités, en premier lieu la mobilité sociale, sont au cœur du projet présidentiel sur lequel Emmanuel Macron a été élu. Il s’agit de faire en sorte que les salariés ne soient pas assignés à résidence et condamnés à occuper des emplois précaires.
Le Gouvernement a fait le choix de mettre le paquet sur la formation professionnelle. Un plan de 50 milliards d’euros sera mis en œuvre à l’automne, dont 15 milliards d’euros seront consacrés à ce sujet. Cet effort est sans précédent, car nous avons besoin d’enrichir nos ressources humaines. Comme disait Jean Bodin, « il n’est de richesses que d’hommes » : nous y croyons fermement.
Un certain nombre de mesures figurant dans le projet de loi visent d’ailleurs à favoriser le recours au CDI. Je pense à l’institution de barèmes et à la sécurisation des procédures de licenciement.
Mme Annie Guillemot. Et les parachutes dorés !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Des employeurs vont se rendre qu’ils peuvent embaucher en CDI, parce qu’ils pourront aussi adapter leurs facteurs de production le moment venu. Nous faisons le pari qu’il y aura de plus en plus de CDI. Aujourd'hui, on dénombre 86 % de CDI en France ; notre but, c’est de « tangenter » les 90 %, voire les 95 %.
Nous ne sommes pas là pour industrialiser la précarité et le recours à des formes de contrats courts. Cela étant dit, certains secteurs, de par leurs spécificités, par exemple un caractère saisonnier parfaitement évoqué par les Francs-Comtois et les Vosgiens, doivent pouvoir recourir à des formes particulières d’organisation. Notre objectif n’en reste pas moins clairement d’aller vers des formes de contrats aussi sécurisées que possible. Faites-nous crédit de cette ambition et de notre honnêteté dans notre démarche !
Je reviens sur l’amendement de Sophie Primas, sur lequel René-Paul Savary insiste beaucoup, et j’entends son insistance au regard des enjeux, pour le secteur du tourisme, mais pas seulement, comme l’a montré Daniel Gremillet.
Mais, franchement nous nous connaissons un peu : je ne vous invite pas à une grand-messe à la Saint-Glinglin. Nous allons nous pencher ensemble sur ce dossier, étant rappelé, encore une fois, que la branche HCR – même si, je l’entends, elle n’est pas la seule concernée – pourra prendre aussi la main. Selon ce qu’elle aura fait, nous déciderons ensemble. Nous avons une clause de rendez-vous qui n’est pas très lointaine : le projet de loi à venir sur la formation professionnelle et l’apprentissage. Si alors nous ne débouchons sur rien, vous serez fondés à nous critiquer, mais, pour l’heure, créditez-nous de notre souhait de prendre en compte la question que vous soulevez. Le Premier ministre a pris hier des engagements forts en termes de caps ; en termes de méthode, voilà celle que je vous propose en toute bonne foi. (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Vous l’aurez compris, monsieur le président, sous la pression amicale de mes collègues, je maintiendrai mon amendement.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous fais entièrement confiance, comme j’ai fait confiance auparavant à un certain M. Macron, qui préside aujourd'hui aux destinées de notre pays.
Cet amendement, s’il était adopté, vous permettrait de travailler tout à fait librement, car il vise simplement à permettre « l’accès à ces contrats dans certains secteurs d’activité où les contrats d’usage sont par nature successifs et temporaires ». Vous n’en serez pas prisonnier, vous pourrez mener vos négociations avec les différents syndicats et les différentes fédérations, car il ne fait qu’ouvrir le champ des négociations.
Je vous fais donc entièrement confiance, comme je faisais confiance aux précédents gouvernements et, en particulier, à M. Macron quand il a été ministre de l’un d’eux, mais je souhaite que cet amendement soit adopté pour être sûre que cette problématique sera bien traitée.
J’indique à M. Desessard que ces contrats temporaires ont des contreparties importantes compte tenu de la flexibilité demandée aux employés, à savoir un système d’assurance chômage très proche de celui des intermittents du spectacle.
Enfin, j’invite M. le président de la commission à lire attentivement le rapport de l’IGAS sur ce sujet, car il pointe notamment le déséquilibre des comptes sociaux concernant ces contrats. Pour ma part, je soulève la problématique de l’usage de ces contrats par les entreprises et de leur utilité. S’il y a des déficits sociaux, il faut les régler autrement, mais tel n’est pas l’objet de mon amendement.
Veuillez m’en excuser, monsieur le secrétaire d’État : je ne retire donc pas mon amendement, car je veux que cette problématique soit enfin traitée.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.
M. Dominique Watrin. Je souhaite répondre à l’argument que j’ai entendu deux fois selon lequel notre position serait contradictoire avec celle que nous avons défendue lors des débats sur la loi El Khomri. Nous avions en effet alors valorisé, à maintes reprises, le rôle de la branche et insisté notamment sur son rôle en matière de régulation.
Les petits entrepreneurs réclament d’ailleurs une telle régulation, car, si on laisse toute latitude aux petites entreprises, il existe des risques de dumping social. Telle est aujourd'hui la position de l’UDES, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, qui s’inquiète du texte des ordonnances et de ses répercussions en termes de dumping social dans les secteurs du sport, de l’animation ou de l’aide à domicile.
La question ici est non pas le rapport entre les branches et les entreprises, mais le fait que vous vouliez transférer aux branches l’encadrement des CDD, déjà prévu dans la loi. Pour ma part, je considère que c’est là un sujet d’ordre public. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le secrétaire d’État, 85 % des embauches aujourd'hui se font en CDD. C’est intolérable compte tenu de la précarité que cela entraîne pour les salariés.
Je pense qu’il est faux de dire qu’il faudrait confier ce sujet à la branche pour que chaque secteur d’activité s’adapte. Les règles nationales définissent les cas dans lesquels le recours au CDD est possible, tels que le surcroît d’activité ou le remplacement de salariés absents. Prévoir une souplesse supplémentaire ne ferait qu’accroître la précarité des salariés sans régler les problèmes économiques qui se posent. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Ma collègue Sophie Primas m’ayant recruté pour faire un extra, je voterai son amendement ! (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 125 et 159.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 153 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.) (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Desessard. C’est extra !
M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les amendements nos 51 rectifié bis, 126 et 164 sont identiques.
L'amendement n° 51 rectifié bis est présenté par MM. Tourenne et Botrel, Mmes Génisson et Jourda, MM. Labazée, Cabanel, Anziani et Godefroy, Mme Guillemot, M. Lalande, Mmes Lienemann et D. Gillot, M. J.C. Leroy, Mmes Perol-Dumont et Yonnet, M. Durain, Mmes S. Robert, Meunier et Monier, MM. Leconte, M. Bourquin, Mazuir, Assouline et Montaugé, Mme Tocqueville, M. Marie, Mme Blondin et M. Vandierendonck.
L'amendement n° 126 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 164 est présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 21
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour présenter l’amendement n° 51 rectifié bis.
M. Jean-Louis Tourenne. Nous allons maintenant avoir l’occasion d’apprécier ce que la sémantique a de plus délicieux ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – M. Jean Desessard s’exclame également.) Nous allons en effet évoquer les contrats à durée indéterminée pour une durée déterminée. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
En France, plus de trois millions de personnes travaillent avec un contrat précaire. Cette précarité n’a cessé d’augmenter. Elle est passée de 4 % à 15 % en moins de vingt ans. Le développement de cette forme d’emploi ne semble pas avoir été sérieusement entravé. Faut-il dans ces conditions créer un nouveau contrat, fût-ce en l’appelant CDI alors qu’il sera par définition à durée déterminée, sa durée correspondant à celle d’un chantier ou d’une opération ?
Il y a déjà là un abus de langage. S’adresse-t-on ici à notre intelligence, pour le dire avec délicatesse ?
Dans une interview accordée à la presse, la ministre du travail avait indiqué que le CDI resterait la norme. Il est surtout vrai qu’un CDI ne pourra être requalifié par le juge en CDI puisqu’il le sera déjà. C’est tout à fait astucieux pour limiter encore une fois le pouvoir du juge.
Et de quelle norme parle-t-on ici ? Quel serait l’encadrement de ce contrat de chantier ? Y aurait-il une durée plancher ou une durée plafond, par exemple ? Serait-il réservé à certains secteurs et à certaines classifications ? Est-on en train de nous faire comprendre, le moins brutalement possible, que le véritable CDI doit disparaître au profit d’une précarité généralisée et que ceux qui auront un contrat précaire de plus de deux ans seront les mieux lotis ?
En 2009, le ministre du travail de l’époque voulait déjà étendre les contrats de chantier à d’autres secteurs que le BTP. En 2013, le MEDEF avait proposé un CDI de projet de neuf mois minimum, mais cette mesure avait été retirée au dernier moment à la demande des syndicats.
Nous ne sommes donc pas étonnés de voir réapparaître ce contrat aujourd’hui. Nous espérons qu’il n’est pas le marqueur d’un « nouveau – et terrible – monde ». Nous y sommes donc opposés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)
M. Roland Courteau. Bien dit !
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour présenter l’amendement n° 126.
M. Dominique Watrin. Nous avons ici toujours défendu les contrats à durée indéterminée, qui sont une protection pour les salariés. Il n’est pas besoin de s’étendre sur ce point. L’alinéa 21 « délégitime » ce contrat en favorisant le recours aux contrats de chantier, qui s’appelleront demain « contrats de mission ».
Le Gouvernement s’inscrit dans une dynamique de flexibilisation du CDI. Il nous a déjà indiqué que, selon lui, c’est l’insécurité des salariés qui crée le dynamisme économique. Nous l’avons démontré, cette théorie part d’un postulat erroné, à l’origine de tous les échecs que nous avons connus depuis trente ans et qui méconnaît profondément le caractère nécessaire d’un CDI aujourd'hui.
Comment louer un appartement, contracter un emprunt ou effectuer un achat d’importance sans CDI ? Le CDI est une condition sine qua non pour s’installer et mener une vie digne de ce nom.
Si vous en doutez, demandez à tous ceux qui, aujourd'hui, ont un contrat CDI en intérim ce qu’on leur répond lorsqu’ils demandent un crédit ou cherchent un logement. On ne leur accorde pas de crédit ou de logement parce qu’il y a le mot intérim dans leur contrat. Il en sera de même demain pour ceux qui auront un CDI de chantier ou de mission : leurs demandes seront refusées. Il ne faut pas nous dire que les lettres C, D et I régleront le problème.
À notre avis, il faut régler le problème de la non-application des règles qui limitent le recours aux CDD. Beaucoup d’entreprises ont été condamnées. J’en ai déjà cité des exemples par le passé.
Si la situation actuelle n’est pas acceptable, ce que vous nous proposez ne ferait que l’aggraver.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 164.
M. Jean Desessard. Mon argumentaire vient à la suite de celui, éloquent et plein d’humour, de M. Tourenne, et de celui, puissant et étayé, de M. Watrin.
Avec le présent projet de loi, le Gouvernement entend développer les contrats à durée indéterminée conclus pour la durée d’un chantier ou d’une opération, les désormais fameux « CDI de projet ».
Seulement, l’idée de durée indéterminée n’apparaît que dans le nom de ce contrat, qui sonne aux oreilles comme un étrange oxymore. En effet, il s’agit plus d’un contrat à durée déterminée déguisé, car il prendra fin à l’issue de la mission accomplie par le salarié.
Autrement dit, ces salariés vont tout de même subir la précarité engendrée par les contrats de travail à durée déterminée et les conséquences néfastes qui les accompagnent. Je ne reviendrai pas sur les difficultés rencontrées par ces salariés tant sur le plan matériel que sur le plan physique.
Le Gouvernement prétend que cette appellation permettra aux salariés d’être plus facilement titulaires d’un bail ou de bénéficier d’un prêt… Or la simple lecture du contrat montrera l’artifice du dispositif. En outre, à ma connaissance – mais peut-être aurons-nous des précisions à cet égard ? –, ces salariés ne bénéficieront pas des rares avantages que procurent les contrats courts. Ainsi, ils ne connaîtront pas la date précise de la fin de leur contrat et ne pourront pas anticiper un autre emploi. Ils ne bénéficieront pas non plus de la prime de précarité.
On le comprend bien, les salariés titulaires de ces contrats à durée indéterminée pour la durée d’un chantier ou d’une opération se verront infliger une double peine.
M. le président. L'amendement n° 215 rectifié bis, présenté par MM. Assouline, Durain et Roger, Mmes Lepage, Guillemot et Monier et MM. Cabanel et Marie, est ainsi libellé :
Alinéa 21
Remplacer les mots :
par accord de branche
par les mots :
pour les entreprises mentionnées à l’article 44 sexies-0 A du code général des impôts
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Il s’agit bien entendu d’un amendement de repli, puisque je soutiens les amendements de suppression de l’alinéa 21.
N’inventons pas d’histoires ! Qui a demandé ce contrat ? Le MEDEF en 2013 ! Il est revenu à la charge en 2015. Vous dites que vous le mettez en œuvre pour le bien du monde du travail. Or, remettons les pendules à l’heure, cette demande n’émane pas du monde du travail.
Par ailleurs, j’ai l’impression que ce contrat est l’expression de tout le cynisme que l’on trouve parfois non seulement dans le monde politique, mais aussi chez un certain nombre de hauts fonctionnaires…
Franchement, reconnaissez qu’il s’agit en réalité d’un contrat à durée déterminée qui protège moins bien. Le salarié cumule les désavantages et de l’intérim et du contrat à durée déterminée. On pense avoir réglé le problème en parlant de contrat à durée indéterminée. C’est une façon d’habiller les choses : on fait du mal en se faisant passer pour gentil, mais aucun salarié n’est dupe ! À force, beaucoup vont être irrités.
Si, comme d’aucuns l’ont souligné, rien ne changera dans les secteurs qui, comme celui de la chimie, embauchent généralement en CDI, la précarité va s’accroître là où elle est déjà très forte. Aux Pays-Bas, où ce type de contrat a été expérimenté dans le but de favoriser la souplesse et donc l’embauche, il a été constaté que non seulement ce but n’avait pas été atteint, mais aussi que la situation des salariés déjà fragilisés au sein des entreprises avait été encore plus précarisée. Selon Le Monde d’hier, les Néerlandais envisagent de mettre fin à cette expérimentation pour revenir à leur ancien système et à une distinction claire entre contrat à durée indéterminée et contrat à durée déterminée.
J’ai déposé cet amendement de repli pour qu’une expérimentation suivie d’une évaluation puisse être engagée dans le secteur du numérique et des start-up si la suppression de l’alinéa 21 ne passe pas.
M. le président. L'amendement n° 19 rectifié bis, présenté par M. Mouiller, Mmes de Rose et Mélot, MM. Morisset, Commeinhes, César, Lefèvre, Bonhomme, D. Laurent, Savary et Gabouty, Mme Estrosi Sassone, MM. Pointereau, Longuet et de Legge, Mmes Morhet-Richaud, Billon et Imbert, MM. Rapin, Kern et Pellevat et Mmes Debré, Deromedi, Di Folco et Keller, est ainsi libellé :
Alinéa 21
Après les mots :
d'un chantier
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
, d'une opération ou d'un projet de croissance ;
La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. C’est aussi un amendement d’ouverture : je vous propose de créer un contrat de croissance !
M. Antoine Lefèvre. On en a vraiment besoin !
Mme Évelyne Yonnet. Cela va simplifier les choses…
M. René-Paul Savary. C’est mieux que la décroissance !
Il s’agirait d’un contrat à durée indéterminée basé sur des objectifs collectifs, liés à des indicateurs économiques prédéterminés, objectifs qu’il conviendrait d’atteindre au terme d’une période définie. Il serait tenu compte dans le contrat de travail de ces objectifs, tels que le développement des parts de marché ou le lancement d’une nouvelle activité, d’un nouveau produit ou service. L’atteinte de ces objectifs impliquerait automatiquement la poursuite du contrat de manière indéterminée. En revanche, le fait que les objectifs ne soient pas atteints au terme de la période définie constituerait une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Le contrat de croissance se différencierait du contrat conclu pour la durée d’un chantier ou d’une opération spécifique dans la mesure où il aurait vocation à ne pas avoir de terme, excepté si les objectifs collectifs liés aux indicateurs économiques prédéterminés n’étaient pas atteints. Le contrat de croissance favoriserait ainsi les emplois pérennes.
M. le président. L'amendement n° 205 rectifié, présenté par MM. Retailleau, Allizard, G. Bailly, Bas, Bonhomme, Buffet, Calvet, Cambon, Cantegrit et César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chatillon, Cuypers, Dallier, Danesi, Darnaud, Dassault, Delattre et del Picchia, Mmes Deroche, Deromedi et Di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, MM. Dufaut et Duvernois, Mme Estrosi Sassone, MM. Fontaine, J.P. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, MM. Genest, Grand, Gremillet, Grosdidier, Guené, Huré, Husson, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, de Legge, Leleux, P. Leroy, Longuet, Magras, Malhuret, Mandelli, A. Marc et Mayet, Mme Mélot, MM. Nègre, de Nicolaÿ, Panunzi, Perrin, Pierre, Pillet, Pointereau, Poniatowski et Poyart, Mme Primas, MM. Raison, Rapin, Reichardt, Revet et Savin, Mmes de Rose et Troendlé et MM. Vaspart, Vasselle et Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 21
Compléter cet alinéa par les mots :
ou en permettant, à défaut d’accord de branche, le recours à ces contrats par élargissement d’une convention ou d’un accord professionnel étendus, en application de l’article L. 2261-17 du code du travail
La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Le projet de loi restreint la possibilité de conclure des contrats de mission à l’adoption d’un accord de branche. Les entreprises ayant besoin de recourir à ce type de contrats risquent donc d’être bloquées si la branche de leur secteur professionnel n’a pas encore conclu de convention ou d’accord.
Afin de résoudre cette difficulté, le présent amendement tend à ce qu’un accord de branche qui aurait été conclu sur cette question au niveau professionnel ou interprofessionnel dans un autre secteur puisse être élargi au secteur professionnel ou à la branche d’activité concernée.
M. le président. L'amendement n° 206 rectifié, présenté par MM. Retailleau, Allizard, G. Bailly, Bas, Bonhomme, Buffet, Calvet, Cambon, Cantegrit et César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chatillon, Cuypers, Dallier, Danesi, Darnaud, Dassault, Delattre et del Picchia, Mmes Deroche, Deromedi et Di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, MM. Dufaut et Duvernois, Mme Estrosi Sassone, MM. Fontaine, J.P. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, MM. Genest, Grand, Gremillet, Grosdidier, Guené, Huré, Husson, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, de Legge, Leleux, P. Leroy, Longuet, Magras, Malhuret, Mandelli, A. Marc et Mayet, Mme Mélot, MM. Nègre, de Nicolaÿ, Panunzi, Perrin, Pierre, Pillet, Pointereau, Poniatowski et Poyart, Mme Primas, MM. Raison, Rapin, Reichardt, Revet et Savin, Mmes de Rose et Troendlé et MM. Vaspart, Vasselle et Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 21
Compléter cet alinéa par les mots :
ou en permettant la conclusion de tels contrats, à défaut de convention ou d’accord de branche conclu dans les douze mois de la publication de la loi n°…. du…. d’habilitation à prendre par ordonnance les mesures pour le renforcement du dialogue social
La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Cet amendement de même nature prévoit que, à défaut d’accord de branche conclu dans un délai de douze mois à compter de la publication de la future loi d’habilitation, des contrats de mission pourront être mis en place dans le secteur considéré.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Les partenaires sociaux semblent souhaiter donner le monopole aux accords de branche en matière de gestion et de qualité de l’emploi. Ce faisant, les accords de branche fixeraient les règles du recours aux CDD, aux contrats d’intérim et aux contrats de chantiers dans les entreprises relevant de la branche.
Je partage cette analyse qui permettrait de fixer un socle de règles communes pour éviter la concurrence sociale déloyale entre entreprises.
C’est dans cet esprit que la commission a souhaité préciser que le recours aux CDI de chantier devra respecter un cadre commun fixé par la loi, qui distinguera ce qui relève de l’ordre public absolu, des accords de branche et des dispositions supplétives.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 51 rectifié bis, 126 et 164.
L’amendement n° 215 rectifié bis soulève deux problèmes. Le premier est qu’il écraserait l’encadrement des accords de branche, auquel le Gouvernement, les partenaires sociaux et le Sénat sont attachés. Le second est que la notion d’expérimentation, mentionnée dans l’objet, n’apparaît pas dans le dispositif.
Par conséquent, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Concernant l’amendement n° 19 rectifié bis, la notion de projet de croissance, séduisante sur le plan intellectuel, n’a pas d’existence juridique.
Elle m’apparaît comprise dans la notion d’opération, qui est bien plus large que celle de projet de croissance. Vise-t-on les projets de développement de l’activité de l’entreprise, de l’emploi ? Comment identifier de tels projets ?
Le plus simple, selon moi, est justement de faire confiance aux partenaires sociaux de la branche pour définir les conditions de recours au CDI de branche, comme le prévoit l’habilitation. Le législateur ne peut pas prévoir a priori, et abstraitement, tous les cas de figure autorisant l’utilisation du CDI de chantier.
C’est pourquoi la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
L’amendement n° 205 rectifié, comme l’amendement n° 206 rectifié, tend à préciser le sens des mesures que le Gouvernement est habilité à prendre pour favoriser et sécuriser le recours aux contrats de chantier. Il vise à ce que, en l’absence d’accord de branche, les entreprises puissent avoir recours à des contrats de chantier sur la base d’un accord collectif conclu dans une autre branche et élargi par une décision du ministre du travail.
Je ferai deux remarques.
Tout d’abord, le droit en vigueur satisfait déjà la préoccupation des auteurs de l’amendement. Ensuite, l’élargissement n’a de sens que si la branche d’accueil présente des caractéristiques sociales et économiques proches de celles de la branche d’origine. Par exemple, un accord de la branche de la plasturgie pourra être élargi à la branche de l’imprimerie, mais pas à celle des architectes.
La commission s’en remet, mais de façon plutôt négative, à la sagesse du Sénat.
Elle sollicite le retrait de l’amendement n°206 rectifié ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Je souhaiterais d’abord apporter quelques précisions concernant la position du Gouvernement sur les CDI de chantier.
Il faut d’abord savoir de quoi on parle en termes de chiffres : 20 000 salariés, sur 23 millions, sont concernés, soit moins d’un pour mille.
Les modalités du CDI de chantier permettent manifestement de répondre à des besoins ponctuels et précis dans certains secteurs d’activité qu’on pourrait presque qualifier de niches.
Vous le savez, l’idée qui sous-tend ces CDI de chantier est d’offrir de la visibilité, tant pour le salarié que pour l’employeur. Il ne s’agit en effet pour le salarié non pas d’enchaîner des CDD de six mois, mais de signer un contrat pour effectuer une tâche dont la réalisation pourra s’étaler sur trois ou quatre ans.
On parle beaucoup de STX en ce moment, et le Gouvernement sera amené à s’exprimer à ce sujet cet après-midi, mais reprenons l’historique.
Les partenaires sociaux, employeurs comme salariés, étaient parvenus à un accord assez novateur : ils avaient conclu un pacte territorial qui prévoyait, sur le plan des ressources humaines, le recours, pour un certain nombre de personnes en recherche d’emploi, à des CDI de chantier accompagné de dispositifs de formation professionnelle afin que ces personnes puissent, à l’issue du chantier, continuer leur activité dans d’autres missions ou d’autres emplois, quelle qu’en soit la forme.
Malheureusement, ce pacte territorial n’a pu voir le jour justement parce qu’il a buté sur l’absence de dispositions législatives permettant de le sécuriser.
C’est pourquoi le projet de loi d’habilitation prévoit d’autoriser le Gouvernement à prendre des mesures « favorisant et sécurisant » ces CDI de chantier.
Je voulais rappeler les principes et le nombre de personnes concernées, rappeler aussi la dimension vertueuse que les partenaires sociaux ont voulu donner à ces contrats en prévoyant un volet formation.
On ne peut plus en rester à la toise unique du CDI de quarante ans dans la même entreprise, car le monde a changé et il serait vain d’ériger d’illusoires lignes Maginot. Il s’agit non pas de précariser les contrats, mais, au contraire, de trouver des modalités d’organisation qui permettent à des chômeurs de revenir à l’emploi et à des salariés de conserver le leur.
Je crois donc qu’il ne faut pas faire de mauvais procès au Gouvernement sur ce sujet.
Pour en revenir à la construction navale et pour conclure, je souligne que, faute pour STX d’avoir pu recourir à un tel dispositif, ce sont parfois des formes d’emploi encore moins sécurisées qui ont été mises en place.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Nous devons avoir un regard dépassionné.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet, comme la commission, un avis défavorable sur les amendements de suppression sèche de l’alinéa 21, c'est-à-dire les amendements nos 51 rectifié bis, 126 et 164.
Quant à l’amendement n° 215 rectifié bis, il prévoit une expérimentation dans le secteur du numérique.
Qui peut le plus peut le moins, monsieur Assouline, mais je comprends que, pour vous, « qui peut le moins » serait mieux, mais nous souhaitons garder l’épure et supprimer toute restriction à un seul domaine. En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
S’agissant de l’amendement n° 19 rectifié bis, malgré tous ses efforts, M. Savary n’a pas pu convaincre ni la commission ni le Gouvernement du caractère juridique des notions d’opération ou de projet de croissance.
Surtout, la rédaction actuelle recouvre ces notions.
Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Les auteurs de l’amendement n°205 rectifié envisagent le cas où aucun accord ne serait atteint dans une branche.
Il vaut mieux en rester tout simplement au droit commun, qui prévoit d’ores et déjà ce qu’il advient en cas d’échec des négociations. Rien n’interdirait en effet d’appliquer les dispositions de l’article L. 2261-17 du code du travail aux contrats de chantier, qui permet au ministre du travail de procéder à une extension. Le répéter dans le projet de loi d’habilitation serait redondant.
Alors que j’ai entendu s’exprimer sur ces travées le souhait de ne pas alourdir les pages d’un code déjà très fourni, je propose, par cohérence, le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
L’avis est identique pour l’amendement n° 206 rectifié, qui procède de la même philosophie.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 51 rectifié bis, 126 et 164.
Mme Nicole Bricq. Nous voterons contre ces amendements.
Petit rappel de l’histoire parlementaire : ce contrat, appelé tantôt contrat de mission, tantôt contrat de chantier et qui verra sa dénomination évoluer au terme du travail confié aux branches, porte un nom légal : contrat à durée déterminée à objet défini.
Son application a été assortie d’une expérimentation sur cinq ans dans la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail. Nous ne le découvrons donc pas à la faveur de ce projet de loi d’habilitation.
À l’issue des cinq années d’expérimentation, les règles de ce contrat ont été définies précisément par la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises, présentée par Thierry Mandon, alors secrétaire d'État chargé de la réforme de l’État et de la simplification.
J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de ce contrat de chantier ou de mission, limité à trente-six mois, non seulement pour l’emploi et les salariés, mais aussi pour les entreprises et l’économie de manière générale, car il donne en même temps souplesse et sécurité.
Ce que je tiens ici à souligner ici, c’est que, à la suite de la loi de 2014, les CDD à objet défini se sont révélés très utiles pour faire appel à des ingénieurs et à des cadres souvent de haut niveau, notamment dans ce qu’on appelle l’industrie du futur et la recherche des nouveaux process qui accroissent la compétitivité de notre industrie.
Il nous faut faire très attention, et c’est pourquoi il faut confier aux branches la définition des secteurs d’activité où ce contrat trouvera le mieux à s’appliquer.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans la pharmacie !
Mme Nicole Bricq. Je l’ai dit, ce contrat ne concerne pas le secteur de la pharmacie, madame Lienemann. Il est utilisé surtout dans des industries de haute technologie et de pointe.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il y a des exemples dans le secteur de la pharmacie.
Mme Nicole Bricq. Je ne crois pas.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’en connais !
Mme Nicole Bricq. Monsieur Watrin, vous préférez passer par la loi. Je le comprends : c’est votre position de principe.
Mme Éliane Assassi. C’est vous qui le dites !
Mme Nicole Bricq. Les branches ont cependant leur utilité en la matière.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Tous ces propos méritent quelques précisions et rectifications.
Si l’ambition est d’atteindre 90 % de CDI, je ne doute pas qu’avec ce système, qui, j’en suis persuadé, aura beaucoup de succès auprès des entreprises, vous parviendrez très vite à ce taux. Vous pourrez ensuite vous glorifier, statistiques à l’appui, d’avoir mis en place un dispositif efficace.
Le problème est et non pas la transformation des CDD en CDI, qui ne présente que des avantages ou, au moins, n’entraîne pas dégradation de la situation, mais la généralisation du CDI de chantier à la place du véritable CDI, car la tentation va être grande.
Je prendrai l’exemple de PSA. À Rennes, le nombre d’employés est passé de 12 000 employés à 4 000 sur une période de sept à huit ans. Aujourd’hui, PSA retrouve un peu d’oxygène, a du dynamisme, de la vitalité, et a par conséquent besoin de créer et crée des emplois.
Antérieurement, le cycle de fabrication d’un modèle voiture et, surtout, de sa mise et de son succès sur le marché étant en général de l’ordre de quatre à cinq ans, PSA ne pouvait se permettre de recruter en CDD. Les ouvriers étaient donc en CDI et, lorsque la voiture ne se vendait plus et qu’il fallait licencier, les licenciements économiques étaient assortis d’avantages financiers assez considérables et de mesures d’accompagnement au reclassement dans le cadre de plans de sauvegarde de l’entreprise.
Je prends le pari que, demain, la facilité et la commodité pour PSA, ce sera d’embaucher sous CDI de chantier plutôt que sous CDI, avec tous les inconvénients que cela entraînera : absence de prime de précarité, de licenciement économique ou encore d’accompagnement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Dominique Gillot. Bien sûr !
Mme Nicole Bricq. Comment pouvez-vous dire cela ?
M. Jean-Louis Tourenne. Je sais ce qui se passe à Rennes !
Mme Nicole Bricq. PSA va investir et recruter à Rennes. Vous devriez vous en réjouir !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur Tourenne, le vrai risque aujourd’hui est que, s’il doit augmenter ses effectifs pour une courte période, en Franche-Comté ou en Bretagne, PSA préférera fabriquer les productions supplémentaires dont il a besoin sur des sites implantés hors de notre territoire national…
M. René-Paul Savary. On aura tout gagné !
M. Jean-Marc Gabouty. … plutôt que de recourir à des CDI. C’est un risque qu’il faut bien prendre en considération. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) C’est comme ça, madame Lienemann !
Mme Éliane Assassi. Il n’y a pas de fatalité !
M. Jean-Marc Gabouty. S’agissant de l’amendement n° 19 rectifié bis, je m’en remets à l’avis de la commission et du Gouvernement.
Une opération ou un projet de croissance peut être une mission, un projet ou un marché. Il ne s’agit pas de la généralisation de ces contrats, car ils ne sont pas adaptés à toutes les activités. Vendre de la quincaillerie et construire un paquebot, ce n’est pas la même chose. Pour construire un nouveau modèle, il y a des à-coups qui peuvent être prévus sur une certaine durée. Puis, s’il y a récurrence de la croissance, il pourra y avoir des CDI « définitifs ».
Les marchés sont cependant de plus en plus fluctuants et la visibilité de plus en plus courte. Dans des PME de fabrication ou de services, à niveau de production équivalent, les plans de charge ont été divisés par deux, trois ou quatre suivant les professions en vingt ans. Même dans des entreprises de plusieurs centaines de salariés, la vision du plan de charge ne dépasse pas la semaine ! Comment être flexible et s’adapter s’il n’y a aucune souplesse sur marché du travail ?
On peut être contre le mode de fonctionnement de certains secteurs d’activité, mais on ne peut pas ne pas être attentifs aux évolutions. Si elles ne sont pas réactives, les entreprises, et avec elles des emplois, disparaissent. Des protections et des garanties sont nécessaires, mais il faut aussi une flexibilité qui permette de répondre aux conditions du marché, qui sont ce qu’elles sont - nous ne pouvons pas les transformer !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. N’a-t-on pas voulu, en qualifiant d’indéterminé ce qui est déterminé, affaiblir le contrat à durée déterminée, qui est assez difficile à rompre et assorti de la prime de précarité ? Ce serait le comble !
Je voudrais souligner qu’il existe de nombreux types de contrats différents. Selon le bilan de l’Inspection générale des affaires sociales, en 2014, les 3,2 millions d’embauches en CDD d’usage correspondaient à 126 000 équivalents temps plein. C’est dire la brièveté de ces contrats !
On me dit que l’amendement que je défends serait quasi irrecevable – il a néanmoins été reçu – et on me demande de le retirer parce qu’aucune expérimentation n’est prévue dans le texte ; je le regrette, d’autant que vous n’avez fait aucune étude d’impact réelle, par exemple sur le nombre d’embauches possibles.
Nous avons soulevé ici les graves dangers du dispositif, mais, si l’on vous prend au mot, pourquoi ne pas dire banco pour une expérimentation ? Mme Bricq a évoqué une expérimentation sur cinq ans. C’est donc légalement possible. Il serait bon parfois de tester les hypothèses en faisant des expérimentations et de tirer le bilan de celles-ci, comme aux Pays-Bas, qui vont revenir en arrière, les essais ayant complètement « foiré » ! Je l’ai dit, le résultat a été la précarisation à l’intérieur des entreprises et aucune embauche à l’extérieur.
Je propose de faire l’expérience dans un secteur, que Mme Bricq a d’ailleurs évoqué, celui du numérique et des start-up, où les contrats de projet peuvent avoir un sens.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Il y a dans l’alinéa dont nous demandons un complet glissement de langage, puisque l’on parle de contrat à durée « indéterminée », qualificatif qui a un sens, mes chers collègues, mais juste « pour la durée d’un chantier ou d’une opération ». On dit une chose et son contraire. C’est se moquer des gens !
Comment pourrait-il s’agir de contrats à durée indéterminée, puisqu’ils sont limités par le temps de la mission ? La précarité sera amplifiée.
Mme Nicole Bricq. Mais non !
Mme Laurence Cohen. En outre, la généralisation du dispositif est prévue, car, a-t-on dit dans cet hémicycle, elle serait positive pour l’entreprise et pour la productivité, le recrutement de cadres de haut niveau ayant été pris en exemple. Ainsi, les entreprises, en particulier les grands groupes, vont pouvoir « piocher », quand et comme ça les arrange, des salariés de haut niveau.
Mais il n’y aura pas que des salariés de haut niveau, mes chers collègues ! En fait, on est en train de construire un modèle de société où les salariés sont traités comme des Kleenex que l’on jette après les avoir utilisés.
Alors que, dans notre pays, le taux de chômage est énorme et qu’il est très difficile de retrouver un travail après une période de chômage, aucun argument développé dans cet hémicycle ne nous apporte la démonstration que ce texte va réduire le chômage et aider les salariés dans les entreprises, d’autant que toutes les barrières disparaissent peu à peu, en particulier avec la fusion des IRP et la suppression de toutes les protections en faveur des salariés. Sous couvert de faire attention à l’entreprise, on s’oriente vers l’explosion de la précarité.
Cet abus de langage est grave, car il dupe nos concitoyens et nous-mêmes, au Parlement.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 51 rectifié bis, 126 et 164.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 215 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Monsieur Savary, l'amendement n° 19 rectifié bis est-il maintenu ?
M. René-Paul Savary. Cet amendement étant satisfait, c’est bien volontiers que je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 19 rectifié bis est retiré.
Qu’en est-il des amendements nos 205 rectifié et 206 rectifié, madame Lamure ?
Mme Élisabeth Lamure. L’amendement n° 205 rectifié étant également satisfait par le droit commun. Dans un esprit de simplification, je le retire donc.
Je retire aussi l’amendement n° 206 rectifié, puisqu’il manque de précision s’agissant du secteur concerné.
M. le président. Les amendements nos 205 rectifié et 206 rectifié sont retirés.
Mes chers collègues, nous avons examiné 37 amendements ce matin ; j’indique qu’il en reste 49.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.
Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, hier au soir, le journal l’Humanité, daté de ce jour, a révélé des éléments sur l’énorme plus-value que vous avez réalisée le 30 avril dernier à l’occasion de la vente des stock-options que vous aviez obtenues pour vos états de service en tant que directrice des ressources humaines du groupe Danone. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC brandissent des exemplaires de l’Humanité.)
Cette plus-value s’élève à 1,129 million d’euros. Elle a été réalisée grâce à une flambée boursière en faveur de Danone faisant suite à l’annonce de la suppression de 900 emplois.
Ce point est extrêmement grave sur le plan éthique et, peut-être, sur le plan juridique : de par vos fonctions, vous avez organisé ce plan social et vous en avez récolté les fruits pour votre profit personnel. De là à parler d’initié, il n’y a qu’un pas à franchir…
De plus, cette révélation est grave sur le plan politique.
Madame Pénicaud, vous êtes ministre du travail. Or le projet de loi dont vous êtes chargée et dont nous discutons aujourd’hui porte en lui une véritable atomisation du code du travail, dont la conséquence sera la précarisation et l’appauvrissement de milliers et de milliers de salariés. Le plafonnement des indemnités de licenciement en est un exemple concret.
Madame la ministre, cette situation n’est pas supportable. À l’heure où votre gouvernement se livre à des comptes d’apothicaire pour serrer de plusieurs crans la ceinture de notre peuple – réduction des aides personnalisées au logement, les APL, gel des salaires de la fonction publique, casse des services publics –, nous apprenons, alors que vous occupez une fonction ministérielle de premier plan, que vous avez engrangé des bénéfices indécents sur le dos de 900 salariés, au prix de leur souffrance et de celle de leurs familles.
Des explications sont nécessaires, de toute urgence, alors que nous débattons du projet de loi que vous défendez. Nous vous demandons donc de nous apporter les éléments nécessaires en ce début de séance ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice, j’entends votre question.
Je pense que nous tous, dans cet hémicycle, sommes d’accord sur ce point : nous sommes ici pour fabriquer la loi, et non pour nous livrer à des approximations, voire à des propos démagogiques, au sujet de faits concernant une personne présente dans cet hémicycle - aujourd'hui moi, demain, il pourrait s’agir de quelqu’un d’autre.
Chacun, chacune peut avoir son appréciation quant au niveau de rémunération…
Mme Laurence Cohen. C’est plus qu’une rémunération…
Mme Muriel Pénicaud, ministre. … des dirigeants des grandes entreprises françaises présentes à l’international et performantes, en France et dans le monde. Chacun est libre d’exprimer son opinion sur ce sujet.
La seule chose que je veux dire ici, très fermement et avec force, c’est qu’il s’agit d’une rémunération décidée des années avant le plan de départs volontaires. Ce plan, qui a concerné 200 salariés chez Danone - au total, 233 solutions ont été trouvées – était donc bien ultérieur.
Par démagogie, laisser interpréter autre chose que les faits me semble aller hors du champ de la discussion sereine qui doit avoir lieu au Sénat. Si j’ai à m’exprimer sur ce sujet, je le ferai dans d’autres lieux et en d’autres temps.
Pour l’heure, je propose d’en rester aux faits, et, les faits, c’est que nous sommes ici pour fabriquer la loi : c’est notre responsabilité collective.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
4
Renforcement du dialogue social
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons l’examen de l’article 3.
Article 3 (suite)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les amendements nos 127 et 157 sont identiques.
L'amendement n° 127 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 157 est présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 22
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 127.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, avec cet alinéa 22, on continue dans la série des reculs sociaux. Votre gouvernement a toujours la même volonté de nous faire croire que les mesures avancées, toujours aussi floues, vont dans le sens de l’intérêt des salariés, de l’amélioration de leurs conditions de travail.
Ce qui est ciblé ici, c’est le travail de nuit, et le Gouvernement saisit une nouvelle fois l’occasion de déréguler un peu plus le code du travail.
Comme chacun le sait, le travail de nuit est aujourd’hui réglementé et limité par la loi aux cas exceptionnels : continuité du service public, obligation de maintien de la production, etc. Il présente des contreparties obligatoires en matière de repos et de rémunération. La période de travail de nuit correspond aux horaires effectués entre 21 heures et 7 heures du matin.
Le recours au travail de nuit suppose la conclusion d’un accord collectif, et je rappelle que les règles qui l’encadrent ont été considérablement modifiées, successivement par la loi Macron et par la loi El Khomri. Visiblement, ce n’était pas encore suffisant !
Vous essayez de nous rassurer en affirmant que les adaptations que vous proposez seront de portée limitée : il ne s’agirait que d’une fourchette de quinze à vingt minutes liée par exemple au temps d’habillage, de déshabillage ou de comptage de caisses. En définitive, il ne s’agirait là que de mesures assez techniques. Mais pourquoi n’avoir pas envisagé d’élargir ce qui définit actuellement la période de nuit plutôt que de la restreindre ? Cela ne constituerait-il pas une vraie valeur ajoutée pour les salariés ?
Comme vous le savez, dans notre pays, environ 3,5 millions de personnes travaillent de nuit, soit 15,4 % des salariés. Personne ne peut nier l’impact de ces horaires atypiques sur la santé : troubles du sommeil, augmentation du risque du cancer du sein, etc.
Nous sommes fortement inquiets, d’autant qu’avec votre logique, ce qui est aujourd’hui considéré comme exceptionnel et encadré pourra être discuté entreprise par entreprise.
Après l’élargissement du travail du dimanche, mené par l’actuel Président de la République lorsqu’il était ministre de l’économie, ce sont de nouvelles protections des salariés qui sont laminées. Vous comprendrez que nous demandions, au travers de cet amendement, la suppression de cet alinéa 22.
Une vraie mesure sociale aurait été de proposer la limitation du travail de nuit. Ce n’est pas le choix que vous avez fait : dans ce domaine, vous ouvrez encore un peu plus la brèche de la déréglementation, comme l’ont fait avant vous Myriam El Khomri et Emmanuel Macron.
Nous refusons de vous suivre sur ce chemin qui nuit à la santé des salariés. Vous le voyez, on est loin des stock-options. À l’évidence, il y a deux poids, deux mesures…
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 157.
M. Jean Desessard. Des effets avérés sur le sommeil, des effets probables sur la santé psychique, des performances cognitives diminuées, l’obésité, le diabète, les maladies coronariennes, le risque de développer un cancer : voilà, mes chers collègues, la liste des conséquences avérées du travail de nuit sur la santé des salariés.
Si l’Organisation mondiale de la santé, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, le Conseil économique, social et environnemental, le Centre international de recherche sur le cancer s’accordent pour donner l’alerte sur les risques qu’entraîne le travail de nuit, alors il est de la responsabilité du législateur d’en limiter les cas de recours.
À ces risques sanitaires s’ajoutent des conséquences sociales pour les travailleurs concernés, qui vivent à un rythme décalé de la majorité de nos concitoyennes et concitoyens. Demandez à une infirmière qui travaille la nuit comment elle concilie son métier avec sa vie familiale et sociale ; pourtant, elle est bien obligée de faire avec, elle !
Pour toutes ces raisons, nous nous opposons fermement à ce que le travail de nuit soit facilité, en particulier s’il s’agit, comme nous le craignons, de répondre à une demande de commerces ouverts tard le soir. Nous estimons que le travail de nuit doit rester exceptionnel et limité à certains secteurs d’activité. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’alinéa 22.
Madame la ministre, puisqu’il me reste un peu de temps de parole, je me permets de réagir à vos derniers propos.
Effectivement, nous sommes là pour faire la loi. Mais, au sein de cette assemblée, nous sommes un certain nombre à penser qu’il y a trop d’inégalités, et que ces dernières sont justement un facteur de pauvreté dans ce pays. Quel crédit pouvons-nous accorder à quelqu’un qui – certes, tout à fait légalement – a bénéficié d’une prime d’un montant mille fois supérieur à ce que touchent les salariés licenciés ? Ce n’est pas rien ! Cette personne nous écoutera-t-elle lorsque nous critiquerons les stock-options et les parachutes dorés ?
Je comprends qu’alors vos oreilles se ferment ! De fait, vous ne pouvez pas être sensible à nos arguments, puisqu’ils entrent en contradiction avec ce que vous avez pu vivre.
Ce n’est pas votre probité qui est mise en question, mais votre capacité à entendre des remarques de gauche, des remarques sincères sur la détresse des travailleurs. Cette détresse s’aggrave et, dans le même temps, beaucoup bénéficient de droits que, pour notre part, nous trouvons exagérés.
M. le président. L'amendement n° 46 rectifié, présenté par Mme Génisson, MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 22
Supprimer les mots :
ainsi qu’en renforçant le champ de la négociation collective dans la définition du caractère exceptionnel du travail de nuit
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Le travail de nuit est gravement nuisible pour la santé, chacun le sait. Il est démontré depuis longtemps que la durée de vie des personnes qui ont travaillé de nuit est réduite, ainsi que la durée de vie en bonne santé.
À ce titre, permettez-moi de citer deux sources.
En 2007, le Centre international de recherche sur le cancer a ajouté le travail posté à la liste des agents probablement cancérogènes.
De son côté, dans son rapport du 22 juin 2016, l’ANSES affirme que les risques de troubles du sommeil et de troubles métaboliques sont avérés. Il existe des risques probables de cancer, d’obésité, de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires, de troubles psychiques, et cette liste n’est sans doute pas complète !
La proposition de soumettre le caractère exceptionnel du travail de nuit à la négociation collective est donc particulièrement inquiétante.
Le travail de nuit n’est déjà que trop répandu. Il a malheureusement en partie perdu son caractère exceptionnel. Mais ce caractère exceptionnel est un élément de la protection sanitaire du monde du travail. À ce titre, il est un principe d’ordre public sanctionné par l’article L. 3122-1 du code du travail.
Vous prenez pour prétexte le fait que certaines cours d’appel ne suivent pas la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle, en application de ce principe, est évidemment restrictive.
Nous connaissons tous l’arrêt Sephora, grande enseigne des Champs-Élysées, en vertu duquel « le travail de nuit ne peut pas être le mode d’organisation normal du travail au sein d’une entreprise et ne doit être mis en œuvre que lorsqu’il est indispensable à son fonctionnement ».
En réalité, le Gouvernement entend revenir sur cette jurisprudence en « créant une forme de présomption de légalité du recours au travail de nuit dès lors que l’entreprise peut s’appuyer sur un accord collectif autorisant cet aménagement du temps de travail ».
Je vous rappelle que le Sénat a voté, contre notre avis d’ailleurs, une présomption de légalité de l’accord collectif.
En d’autres termes, il suffirait qu’un accord soit obtenu dans une entreprise, conclu par des délégués du personnel non mandatés ou par référendum sur l’initiative de l’employeur pour que le travail de nuit soit présumé légal. Il est aisé d’imaginer en quels termes la question serait en réalité présentée aux salariés et les conditions dans lesquelles un accord favorable au travail de nuit serait obtenu.
On voit, dans ces conditions, ce qu’il adviendra d’un principe d’ordre public protecteur de la santé des salariés.
Pour ces raisons, nous sommes opposés à l’introduction de cette disposition dans la loi.
Mme Évelyne Yonnet. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 66 rectifié, présenté par M. Gabouty, Mmes Billon, Férat et Joissains et MM. Capo-Canellas, D. Dubois, Kern et Longeot, est ainsi libellé :
Alinéa 22
Après le mot :
exceptionnel
insérer les mots :
ou non
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Il s’agit là de dispositions rédactionnelles, mais pas uniquement.
Le travail de nuit peut avoir un caractère exceptionnel. Il doit effectivement être encadré en fonction des professions et en priorité par les accords de branche.
Toutefois, si le travail de nuit n’est pas « naturel » – c’est le terme qu’il faut employer –, eu égard au rythme biologique de l’être humain, il n’a pas nécessairement de caractère exceptionnel. Il est inhérent à certaines fonctions, comme la continuité du service public, la sécurité et un certain nombre d’autres activités. Dire que le travail nocturne a un caractère exceptionnel pour un veilleur de nuit, c’est commettre un non-sens : pour lui, ce qui est exceptionnel, c’est le travail de jour.
À mon sens, il faut donc aborder le caractère exceptionnel ou non du travail de nuit.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur. Bien entendu, nous ne pouvons que partager totalement les préoccupations exprimées par les auteurs de ces quatre amendements : compte tenu des risques avérés qu’il fait courir à la santé des travailleurs, le travail de nuit ne doit pas être banalisé. Il doit rester exceptionnel ; mais cela n’empêche pas d’apporter quelques modifications à ce titre, notamment pour assouplir à la marge la plage horaire du travail de nuit.
Nous pourrons ensuite modifier, si nécessaire, l’ordonnance lors de l’examen du projet de ratification.
La commission émet donc un avis défavorable sur les amendements nos 127 et 157.
J’en viens à l’amendement n° 46 rectifié.
L’article L. 3122-1 du code du travail, tel que modifié par l’article 8 de la loi Travail, pose comme principe d’ordre public que le travail de nuit est exceptionnel. Son recours doit prendre en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, et il doit être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale, ces deux notions n’étant pas définies par la loi.
En même temps, l’article L. 3122-15 du code du travail renvoie à un accord d’entreprise ou d’établissement, ou, à défaut, à une convention ou à un accord collectif de branche, le soin de justifier le recours au travail de nuit.
Le cadre juridique actuel n’est donc pas satisfaisant, ce qui explique sans doute le manque de cohérence de la jurisprudence, qui a dû combler les lacunes de la loi.
Il est nécessaire de sécuriser juridiquement le travail de nuit sans perdre de vue la nécessité de protéger la santé des travailleurs.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 46 rectifié.
Enfin, l’amendement n° 66 rectifié vise à assouplir le recours au travail de nuit.
Monsieur Gabouty, je le répète, en vertu de l’article L. 3122-1 du code du travail, il convient de distinguer l’activité d’une entreprise, qui peut être normalement et habituellement effectuée la nuit, du travail des salariés la nuit, qui doit rester exceptionnel dans son principe.
La loi n’interdit pas le travail de nuit, mais elle l’encadre pour éviter sa banalisation. Cet équilibre a paru justifié à la commission des affaires sociales.
Je rappelle que les travailleurs de nuit bénéficient d’un « suivi individuel régulier de leur état de santé ». Aussi, la commission – et vous le savez d’autant mieux que vous en êtes membre –, demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle sera obligée d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Mesdames, messieurs les sénateurs, le présent texte ne prévoit en rien de remettre en cause le caractère exceptionnel du travail de nuit. Sur ce point, il devrait y avoir consensus sur les travées du Sénat.
De plus, il me semble que nous sommes tous très conscients des effets du travail de nuit sur la santé. C’est d’ailleurs pour cela que ce dernier fait partie des dix facteurs de pénibilité récemment confirmés par le Gouvernement.
Cela étant, le Gouvernement souhaite sécuriser les entreprises qui ont recours au travail de nuit tout en veillant à protéger la santé et la sécurité des salariés dans un cas de figure précis.
Tout d’abord, la plage horaire du travail de nuit couvre la période comprise entre 21 heures et 6 heures du matin. Or, sans un changement des règles du travail de nuit, les entreprises ne peuvent pas faire travailler de manière effective leurs salariés jusqu’à 21 heures ou avant 6 heures.
De quoi s’agit-il concrètement ? Certaines entreprises calent leurs horaires de travail sur l’horaire de fermeture à la clientèle, par exemple vingt et une heures. Or le salarié est souvent conduit à rester dans son entreprise quelques instants après 21 heures pour effectuer du rangement ou pour fermer les locaux. Le départ effectif des salariés a donc lieu après 21 heures, sans pour autant que l’employeur ni d’ailleurs les salariés perçoivent cette situation comme relevant intégralement du régime du travail de nuit.
Le Gouvernement entend prendre en compte cet effet de bord sans remettre en cause en quoi que ce soit l’encadrement juridique du travail de nuit. Je le répète, ce dispositif répond aux exigences en vigueur, qu’il s’agisse de protéger la santé ou la vie personnelle du salarié.
De plus, le Gouvernement souhaite sécuriser le recours au travail de nuit. À cette fin, il entend le présumer justifié, notamment au regard de son caractère exceptionnel, en le faisant reposer sur l’accord des partenaires sociaux.
Cette position est conforme à la celle qu’a prise la cour d’appel de Nîmes dans un arrêt rendu le 22 septembre 2016 à l’occasion d’un recours contre un accord d’établissement qui a adopté une interprétation laissant davantage de place à la négociation collective et à la présomption de justification sous réserve de cette négociation collective.
Il faut donc faire confiance aux partenaires sociaux, qui connaissent mieux que quiconque la nécessité de recourir ou non au travail de nuit, qui – j’insiste sur ce point – conservera son caractère exceptionnel.
D’après les chiffres établis par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, pour l’année 2014, en France, 15,4 % des salariés des secteurs public et privé confondus travaillent la nuit. Le secteur public en représente une proportion importante, tout le secteur hospitalier étant concerné.
Il ne s’agit en rien d’augmenter considérablement le nombre de salariés concernés. Il s’agit simplement de sécuriser à la marge les entreprises lorsqu’elles recourent au travail de nuit.
Pour ces raisons, je suis défavorable aux amendements nos 127, 157 et 46 rectifié.
Quant à l’amendement n° 66 rectifié, il vise à étendre le champ de l’habilitation afin que la négociation collective s’étende non seulement au travail de nuit, mais aussi à son caractère exceptionnel.
Ces dispositions se heurtent au principe que j’ai précédemment indiqué : conserver le caractère exceptionnel du travail de nuit. Toute ouverture en dehors de ce champ nous paraît inappropriée.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Madame la ministre, j’ai du mal à comprendre ce que vous avez dit. Il faudrait permettre des dérogations entre 21 heures et 21 heures 30 pour fermer le magasin ou ranger du matériel ? La boutique ne peut donc pas fermer à 20 heures 45 ?
M. Dominique Watrin. Voilà !
M. Jean Desessard. Vous êtes en train de déréguler tout le marché du travail pour quelqu’un qui va ranger les placards à 21 heures 15 ! Vous nous diriez que, grâce à ça, il va y avoir une expansion économique formidable, que les Chinois, on les connaît, viennent consommer entre 21 heures et 23 heures, que c’est un gros secteur d’activité et, donc, qu’il faut ouvrir, nous pourrions comprendre et, de notre côté, nous aurions alors défendu le social contre l’économie. Mais non, là, l’enjeu, c’est de ranger les balais ! On dérégule pour ranger les balais ! (Sourires sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Évelyne Yonnet et M. Dominique Watrin rient.)
C’est tout de même un argument formidable ! Pendant un siècle, on a fait des lois sociales, et, en dix minutes, pour ranger les placards, on dérégule tout ! Cette histoire est de moins en moins sérieuse… Il va être temps que cela s’arrête ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Martial Bourquin applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 127 et 157.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Monsieur Gabouty, l’amendement n° 66 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Marc Gabouty. En la matière, notre droit suit une approche un peu hypocrite : si le travail de nuit est bien exceptionnel dans son principe, il ne l’est pas dans la réalité, lorsqu’il n’a pas de caractère temporaire ou lorsqu’il n’existe pas de solution de substitution.
On se donne bonne conscience par un effet de langage, en classant le travail de nuit comme « exceptionnel », alors que, pour un certain nombre d’activités, il ne l’est pas.
M. Gérard Dériot, vice-président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Jean-Marc Gabouty. Cela étant, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 66 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 128, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 23
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Le présent alinéa pourrait avoir toutes les apparences du bon sens et du bien-fondé. La question posée semble la suivante : comment faire en sorte que, de manière ponctuelle, les compétences de certains salariés soient utilisées dans d’autres entreprises afin d’en assurer le fonctionnement pour telle ou telle problématique ?
Comme chacun le sait, le prêt de main-d’œuvre est une procédure autorisée, mais assez précisément définie par le code du travail.
Par ailleurs, il est évident que l’entreprise utilisatrice doit, dans un premier temps, s’être tournée vers d’autres modes de recrutement de personnels extérieurs, notamment au réseau des agences d’intérim.
Que signifie donc « favoriser et sécuriser », pour reprendre les termes de cet alinéa ? S’agit-il, comme nous sommes tentés de le croire, de favoriser le nomadisme professionnel plus ou moins organisé par les directions d’entreprise et de groupe en revenant, autant que faire se peut, sur l’abondante jurisprudence qui a souvent établi son caractère illicite ?
S’il s’agit de cela, pourquoi offrir cette nouvelle « souplesse » aux entreprises ? Encore un effort, et l’existence de voies de recours contre les abus de droit sera inutile, puisque tous les outils de l’ancienne fraude seront inscrits dans la loi !
Nous ne pouvons soutenir des mesures si négatives pour les salariés. Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 222, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 23
Compléter cet alinéa par les mots :
ou une petite ou moyenne entreprise
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Avec cet amendement, le Gouvernement souhaite assurer la montée en compétence au sein des PME et des TPE. À cette fin, il veut leur faire bénéficier des conseils d’entreprises de plus grande taille.
Depuis des années, beaucoup d’observateurs disent qu’en France les grandes entreprises n’aident pas assez les TPE et PME à monter en gamme. Au contraire, dans d’autres pays, il existe une véritable solidarité entre les grands groupes et les petites entreprises.
Un certain nombre d’entreprises comme L’Oréal, Carrefour et d’autres ont décidé de s’engager sur cette voie. Sur la base du volontariat, elles proposent à leurs salariés disposant d’une compétence forte qui n’est pas nécessairement disponible au sein d’une TPE, en général des cadres ou des techniciens, de venir, pendant un certain temps, aider et conseiller une petite entreprise.
Cette expérience entrepreneuriale est très demandée par les salariés concernés, car elle leur permet d’enrichir leur parcours et les rend prioritaires à leur retour dans leur entreprise d’origine.
Cette procédure est très demandée aussi par les TPE : ces dernières bénéficient ainsi de compétences de haut niveau qu’elles ne pourraient obtenir seules faute de disposer des moyens financiers nécessaires, compétences dont elles n’ont d’ailleurs pas forcément besoin très longtemps. Je pense par exemple à la mise en place d’un système marketing ou d’une nouvelle technologie.
Or il n’y a pas réellement de définition du prêt de main-d’œuvre à but non lucratif aujourd'hui. Si une grande entreprise prête un salarié volontaire à une TPE, cette dernière doit compenser intégralement à l’entreprise prêteuse les salaires, les charges et les frais professionnels, ce qui lui est impossible.
Cette situation correspond, par exemple, à l’accueil temporaire dans une start-up, afin d’assurer son développement, d’un cadre expérimenté, d’un conseiller juridique ou d’un comptable.
Nous avions prévu de limiter cette faculté aux jeunes entreprises innovantes, mais les TPE et les PME nous ont fait remarquer à juste titre que même les entreprises plus anciennes pouvaient avoir besoin du « coup de main » provisoire d’une compétence de très haut niveau, notamment sur les plans financiers, juridiques et comptables, ainsi que dans les domaines des ressources humaines, du marketing ou de la stratégie commerciale.
Le prêt de main-d’œuvre repose évidemment sur le volontariat des deux entreprises et de la personne concernée.
Cette pratique, qui, grâce à l’habilitation, sera encadrée, sécurisée sur le plan juridique et favorisée, me semble pouvoir contribuer au développement de nos TPE et de nos PME, tout en offrant une expérience professionnelle complémentaire intéressante pour le salarié prêté, qui, bien évidemment, garde tout son salaire, tous ses avantages et les mêmes conditions de travail que dans l’entreprise prêteuse.
Nous vous proposons donc d’en élargir le bénéfice aux TPE et PME, en réponse d’ailleurs à une demande du secteur et des partenaires sociaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. L’alinéa 23 a pour objet de favoriser le prêt de main-d’œuvre à de jeunes entreprises ainsi – sous réserve de l’adoption de l’amendement du Gouvernement – qu’à des TPE et PME ; il ne vise pas le prêt de main-d’œuvre intragroupe.
La commission partageant l’objectif du Gouvernement, elle est défavorable à la suppression de cet alinéa et donc à l’amendement n° 128.
L’amendement n° 222 complète le texte que nous avons adopté en commission et répond à un souhait que nous avions exprimé, mais que nous n’avions pas mis en forme d’amendement : l’avis est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 128 ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Alors que nous voulons élargir, avec la bienveillance de la commission, la pratique des prêts de main-d’œuvre aux TPE et aux PME, nous ne souhaitons bien évidemment pas la suppression de cette possibilité qui va les aider.
M. le président. L’amendement n° 200 rectifié, présenté par MM. Nougein, Allizard, G. Bailly, Bas, Bonhomme, Buffet, Calvet, Cambon, Cantegrit et César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chatillon, Cuypers, Dallier, Danesi, Darnaud, Dassault, Delattre et del Picchia, Mmes Deroche, Deromedi et Di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Estrosi Sassone, MM. Fontaine, B. Fournier, J.P. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, MM. Genest, Grand, Gremillet, Grosdidier, Guené, Huré, Husson, Joyandet, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, de Legge, Leleux, P. Leroy, Longuet, Magras, Malhuret, Mandelli, A. Marc et Mayet, Mme Mélot, MM. Nègre, de Nicolaÿ, Panunzi, Perrin, Pierre, Pointereau, Poniatowski et Poyart, Mme Primas, MM. Raison, Rapin, Reichardt, Retailleau, Revet et Savin, Mmes de Rose et Troendlé et MM. Vaspart, Vasselle et Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 23
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Permettant à une convention ou un accord d’entreprise ou, à défaut à un accord de branche, de fixer la durée minimale de travail à temps partiel ;
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Cet amendement vise à confier à la négociation collective d’entreprise ou, à défaut, de branche, le soin de fixer, de manière facultative, une durée minimale de travail à temps partiel, concept que nous avons découvert en 2003.
Le seuil de vingt-quatre heures retenu en 2013 ne correspond ni à la réalité des besoins de nombreux secteurs ni même aux demandes des travailleurs à temps partiel. Il a complexifié la vie des entreprises et des salariés. Je pense par exemple aux étudiants qui voudraient un temps partiel inférieur à vingt-quatre heures, mais sont bloqués par cette disposition.
Par cet amendement, nous proposons de laisser aux entreprises et aux salariés la possibilité de fixer une nouvelle durée minimale dans le cadre des accords de branche ou des accords collectifs l’entreprise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. On peut partager le souhait des auteurs de l’amendement d’assouplir les règles encadrant le recours au temps partiel, que nous dénonçons d’ailleurs ici depuis plusieurs années, mais cet amendement tend à ajouter un nouveau sujet à la liste déjà longue des points sur lesquels le Gouvernement nous demande de l’habiliter à prendre des mesures par ordonnances.
Son adoption constituerait, selon la commission, un élargissement du champ de l’habilitation et serait ainsi contraire à l’article 38 de la Constitution.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable.
En matière de temps partiel, il importe de préserver l’équilibre issu de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, transposé dans la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi.
L’instauration du principe d’une durée minimale constitue une réforme structurelle de l’organisation du travail à temps partiel. Celle-ci, à travers l’accord interprofessionnel et la loi qui a suivi, avait pour but de mieux lutter contre le temps partiel subi, qui touche en majorité les femmes et les salariés les moins qualifiés.
Le dispositif, un peu rigide, a été considérablement assoupli depuis lors, notamment parce qu’il est clair qu’une durée inférieure à vingt-quatre heures pouvait également intéresser les salariés.
Il peut déjà être adapté par accord de branche ou en fonction des besoins des salariés qui demanderaient à bénéficier d’une durée de travail inférieure afin de cumuler plusieurs activités ou de faire face à des contraintes personnelles.
Les étudiants salariés de moins de vingt-cinq ans, dont il avait beaucoup été question dans les débats à l’époque, bénéficient ainsi d’une dérogation de plein droit à la durée minimale applicable dans l’entreprise.
C’est également le cas pour les contrats de moins de sept jours ou pour les contrats de remplacement, qui sont exclus du champ.
Le rôle conféré à la branche dans la définition de la durée minimale ne nous apparaît pas comme une source de rigidité, puisque près de quatre-vingts nouveaux accords de branche ont été conclus depuis 2013 et couvrent déjà plus de 80 % des salariés à temps partiel.
Des solutions ont donc été trouvées presque partout et la quasi-totalité des branches qui sont parvenues à un accord se sont emparées de la possibilité de fixer une durée minimale inférieure à vingt-quatre heures, les conditions étant définies en fonction des spécificités des métiers.
Au regard des dispositions de l’article 1er relative au rôle des branches et des entreprises, et de notre intention, comme je vous l’ai dit, de prévoir par ordonnances, à la suite de la demande des partenaires sociaux, un item sur la gestion et la qualité de l’emploi, dont la durée du temps partiel relève intégralement, les branches seront donc amenées à se saisir pour les 20 % du champ qu’il reste à couvrir.
Puisque la dynamique est bonne, il nous semble prudent d’en rester à une approche de branche et de ne pas aller jusqu’à l’accord d’entreprise, sauf tous les cas de dérogation, mais il s’agit de dérogations de droit qui existent déjà.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.
Mme Catherine Procaccia. Mme la ministre a rappelé que les étudiants, dont l’objectif n’est normalement pas de faire plus qu’un mi-temps, pouvaient disposer de dérogations. Et, vingt-quatre heures, c’est en effet la moitié de quarante-huit heures, alors que la durée légale du travail est de trente-cinq heures. La durée minimale était donc dès l’origine bien élevée par rapport à la durée légale.
Or, dans certaines entreprises, et je peux citer par exemple le Sénat, le temps de travail minimal pour les étudiants est fixé à dix-sept heures trente, durée déjà importante qui me semble en contradiction avec les dérogations existantes.
C’est ce qui m’avait amenée à poser une question à la ministre précédente, question que je me permets de reposer à la nouvelle ministre : quelle est la base légale de ce seuil minimal de dix-sept heures trente ?
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Madame Primas, je vais vous surprendre : je ne suis pas loin d’être d’accord avec vous ! (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons voté la durée minimale de vingt-quatre heures dans cet hémicycle. Je n’avais alors rien dit, mais je n’étais pas d’accord. Je considérais que, s’il fallait fixer une durée pour le temps partiel, ce devait être la moitié du temps complet, ce qui convient à beaucoup d’activités, voire moins.
Je comprends la raison pour laquelle le seuil a été fixé à vingt-quatre heures. Pour la gauche traditionnelle, il s’agissait justement d’éviter le mi-temps.
Le mi-temps correspond pourtant à une réalité, me semble-t-il.
Au Sénat, nous sommes nombreux à employer deux assistants et demi. Évidemment, ils signent un papier dans lequel ils donnent leur accord pour faire un mi-temps, mais ont-ils le choix ? Je ne sais pas… Certainement souhaitaient-ils vraiment travailler à mi-temps, mais, de toute façon, ils n’avaient pas eu le choix puisqu’on ne leur proposait pas de plein-temps ! (Sourires.)
En tout état de cause, je considère que la limite de vingt-quatre heures n’est pas adaptée.
Pour autant, au risque de vous décevoir, madame Primas, je ne voterai pas votre amendement. Vous proposez en effet de descendre au niveau de l’accord d’entreprise et vous connaissez mes réticences envers les négociations à ce niveau.
Par contre, je trouverais intéressant que l’option d’une durée minimale correspondant à un vrai mi-temps au lieu de vingt-quatre heures soit examinée au niveau des branches.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Vous voulez apporter de la souplesse avec vos projets d’ordonnances, madame la ministre : nous vous fournissons là un terrain pour le faire !
En effet, beaucoup de gens voudraient cumuler deux mi-temps. Or, deux fois vingt-quatre heures par semaine, cela fait trop d’heures.
Vingt-quatre heures, cela peut aussi être trop pour un employeur qui voudrait recourir à un salarié à temps partiel et qui préférera alors ne pas embaucher.
Par ailleurs, il existe beaucoup d’exceptions qui autorisent à demander au salarié son accord pour travailler moins de vingt-quatre heures.
On a là un taquet qui a finalement pour effet soit de maintenir les gens dans la précarité, soit de bloquer le développement de l’emploi.
Vous voulez favoriser l’emploi, madame la ministre. Voilà une occasion ou jamais de revenir, en supprimant ce taquet, sur une mesure plus limitative qu’ambitieuse.
M. le président. Madame Primas, l’amendement n° 200 rectifié est-il maintenu ?
Mme Sophie Primas. Je ne ferai pas, monsieur le président, l’affront à la commission des affaires sociales de le maintenir. (Sourires.)
Je veux seulement ajouter que nous sommes là dans un processus de dérogation, comme Mme la ministre l’a exposé assez longuement. Tous, dans cet hémicycle, nous essayons de trouver des processus de simplification de la vie des entreprises et des salariés. Or il me semble qu’il est plus simple de s’en remettre à un accord d’entreprise ou de branche prenant en compte la spécificité des activités que d’avoir à demander des dérogations.
Compte tenu de l’avis de la commission, je retire néanmoins mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 200 rectifié est retiré.
L’amendement n° 202 rectifié, présenté par MM. Retailleau, Allizard, G. Bailly, Bas, Bonhomme, Buffet, Calvet, Cambon, Cantegrit et César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chatillon, Cuypers, Dallier, Danesi, Darnaud, Dassault, Delattre et del Picchia, Mmes Deroche, Deromedi et Di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, MM. Dufaut et Duvernois, Mme Estrosi Sassone, MM. Fontaine, B. Fournier, J.P. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, MM. Genest, Grand, Gremillet, Grosdidier, Guené, Huré, Husson, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, de Legge, Leleux, P. Leroy, Longuet, Magras, Malhuret, Mandelli et Mayet, Mme Mélot, MM. Nègre, de Nicolaÿ, Nougein, Panunzi, Perrin, Pierre, Pillet, Pointereau, Poniatowski et Poyart, Mme Primas, MM. Raison, Rapin, Reichardt, Revet et Savin, Mmes de Rose et Troendlé et MM. Vaspart, Vasselle et Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 23
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Permettant, à défaut d’accord collectif dans les entreprises de moins de cinquante salariés, la conclusion de conventions individuelles de forfaits en jours et en heures sur l’année, sous réserve que l’employeur fixe les règles et respecte les garanties prévues aux articles L. 3121-62 et L. 3121-63 du code du travail ;
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Cet amendement a pour objet de faciliter le recours aux conventions de forfait dans les entreprises de moins de cinquante salariés, sans pour autant diminuer les garanties et les protections offertes aux salariés concernés.
Cette disposition, qui figurait dans l’avant-projet de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, exonère les entreprises de l’obligation de conclure un accord collectif pour mettre en place cette forme d’organisation du travail.
Toutefois, ces entreprises devront se soumettre aux conditions introduites par la loi Travail pour assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés en forfait, c'est-à-dire un suivi renforcé de l’activité et un contrôle, sous la responsabilité de l’entreprise, de l’adéquation de la charge de travail avec les temps de repos.
Une telle mesure est particulièrement intéressante pour les entreprises innovantes en phase de croissance, dont les jeunes cadres ont depuis longtemps abandonné les horaires fixes et le travail au bureau.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. J’en suis désolé, madame Primas, mais cet amendement tend manifestement à élargir le champ de l’habilitation et est donc, comme le précédent, contraire à l’article 38 de la Constitution.
L’une des pistes pour encourager le développement des conventions de forfait est l’élargissement des accords de branche, qui lui est prévu à l’article 4 du projet de loi. Mme la ministre pourra peut-être nous éclairer sur ce point.
S’agissant directement de votre amendement, madame Primas, ce sera donc une fois de plus une demande de retrait ; à défaut, l’avis ne pourrait qu’être défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Comme M. le rapporteur, je suis désolée d’avoir à émettre, pour des raisons de cohérence, un avis défavorable.
C’est en effet une question de logique d’ensemble. D’une part, nous avons prévu que les sujets de cette nature seront traités au niveau de la branche, avec des accords types pour les petites entreprises. D’autre part, les dispositions qui vont permettre de développer le dialogue social et favoriser la conclusion d’accords dans les entreprises ouvriront aussi le champ au niveau de celles-ci.
Nous disposons donc déjà, sans qu’il soit nécessaire de détricoter le reste du dispositif, de deux leviers. Nous voulons développer l’accord d’entreprise et nous nous donnons les moyens de le faire en élargissant les formes de négociation. Il ne faudrait pas, dans le même temps, donner l’impression que l’on n’a pas besoin de l’accord d’entreprise parce que l’on va se débrouiller autrement !
M. le président. Madame Primas, l’amendement n° 202 rectifié est-il maintenu ?
Mme Sophie Primas. Je suis sensible aux arguments constitutionnels de la commission et aux précisions de Mme le ministre : je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 202 rectifié est retiré.
L'amendement n° 208 rectifié, présenté par MM. Retailleau, Allizard, G. Bailly, Bas, Bonhomme, Buffet, Calvet, Cambon, Cantegrit et César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chatillon, Cuypers, Dallier, Danesi, Darnaud, Dassault, Delattre et del Picchia, Mmes Deroche, Deromedi et Di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, MM. Dufaut et Duvernois, Mme Estrosi Sassone, MM. Fontaine, B. Fournier, J.P. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, MM. Genest, Grand, Gremillet, Grosdidier, Guené, Huré, Husson, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, de Legge, Leleux, P. Leroy, Longuet, Magras, Malhuret, Mandelli et Mayet, Mme Mélot, MM. Nègre, de Nicolaÿ, Nougein, Panunzi, Perrin, Pierre, Pillet, Pointereau, Poniatowski et Poyart, Mme Primas, MM. Raison, Rapin, Reichardt, Revet et Savin, Mmes de Rose et Troendlé et MM. Vaspart, Vasselle et Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 23
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Permettant à l’employeur, à défaut d’accord collectif dans les entreprises de moins de cinquante salariés, de mettre en place une répartition des horaires sur une période ne pouvant être supérieure à douze semaines ;
La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Nous proposons de porter de neuf à douze semaines la durée de la période de référence sur laquelle un dispositif d’aménagement du temps de travail peut être mis en place unilatéralement par l’employeur dans les entreprises de moins de cinquante salariés, disposition qui figurait dans l’avant-projet de loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Cette disposition permet aux entreprises de mieux s’organiser pour s’adapter aux évolutions et aux contraintes de leur activité, même lorsqu’elles ne sont pas en mesure, comme les TPE et PME, de négocier et de conclure un accord collectif sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Sur le fond, les auteurs de l’amendement auront peut-être gain de cause si le Gouvernement encourage résolument le recours aux accords types ou la signature d’accords collectifs avec les délégués du personnel dans les entreprises dépourvues de délégué syndical.
Cependant, sur la forme, cet amendement tend à élargir, une fois de plus, et j’en suis désolé, madame Lamure, le champ de l’habilitation. Il est contraire à l’article 38 de la Constitution.
Je demande donc aussi son retrait ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Mon avis est également, j’en suis désolée aussi, défavorable.
La loi du 8 août 2016 a déjà porté la durée de la période de référence de quatre à neuf semaines.
Je rappelle aussi que, par accord, nous sommes là dans un cadre annuel, voire pluriannuel.
Nous voulons encourager la négociation. Laissons donc du grain à moudre aux accords de branche et d’entreprise. Il me semble préférable de parier sur l’élargissement du champ de la négociation plutôt que de soustraire de celui-ci des sujets en les traitant à la marge.
M. le président. Madame Lamure, l’amendement n° 208 rectifié est-il maintenu ?
Mme Élisabeth Lamure. Il est important que nous soyons d’accord sur le fond, et j’en suis ravie, monsieur le rapporteur, mais, puisque mon amendement se trouve en dehors du champ, je le retire.
M. le président. L’amendement n° 208 rectifié est retiré.
L’amendement n° 203 rectifié, présenté par Mme Primas, MM. Allizard, G. Bailly, Bas, Bonhomme, Buffet, Calvet, Cambon, Cantegrit et César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chatillon, Cuypers, Dallier, Danesi, Darnaud, Delattre et del Picchia, Mmes Deroche, Deromedi et Di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, MM. Dufaut et Duvernois, Mme Estrosi Sassone, MM. B. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, MM. Genest, Grand, Gremillet, Grosdidier, Guené, Huré, Husson, Joyandet, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, de Legge, Leleux, P. Leroy, Longuet, Magras, Malhuret, Mandelli, A. Marc et Mayet, Mme Mélot, MM. Nègre, de Nicolaÿ, Nougein, Panunzi, Perrin, Pierre, Pillet, Pointereau, Poniatowski, Poyart, Raison, Rapin, Reichardt, Retailleau, Revet et Savin, Mme Troendlé et MM. Vaspart, Vasselle et Vogel, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 23
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Permettant à un salarié de renoncer à tout ou partie de ses jours de repos ou de ses jours de congés payés, en contrepartie d’une majoration de salaire ;
La parole est à Mme Sophie Primas.
Mme Sophie Primas. Cet amendement, qui va nous rappeler quelques devises des années passées, vise à permettre à un salarié de renoncer à tout ou partie de ses jours de repos ou de congé en contrepartie d’une majoration de salaire.
Ce dispositif est particulièrement attendu par les plus jeunes salariés, car ils y gagneraient une augmentation ponctuelle de leur pouvoir d’achat contre un peu plus de travail.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Jamais deux sans trois, madame Primas ! Cet amendement contrevient également à l’article 38 de la Constitution : avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable.
Vous faisiez allusion à d’anciennes devises, madame Primas… Je rappelle qu’aux termes de l’alinéa 11 du Préambule de 1946 « la Nation garantit à tous […] la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », disposition qui a depuis été transposée dans le code du travail.
En outre, votre amendement serait contraire à la directive européenne relative au temps de travail qui pose comme principe que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines » et que « la période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière ».
Sur les cinq semaines de congés payés, quatre doivent donc forcément être prises sous forme de repos effectif par les salariés.
Toutefois, ce que vous demandez est déjà concrètement possible en France, dans le respect du droit de l’Union européenne, par le biais des RTT. Les salariés en forfait jours peuvent en effet demander le rachat de leurs jours de RTT, à condition que soit prévu un avenant à la convention individuelle de forfait fixant le taux de majoration du salaire, lequel ne peut être inférieur à 10 %.
Pour les autres salariés, ce n’est pas possible, mais, s’il y a un accord relatif au compte épargne-temps dans leur entreprise, ils peuvent affecter à ce compte leurs droits aux congés non utilisés au-delà des quatre semaines imposées.
Sous ces deux formes, qui ne sont d’ailleurs pas toujours connues des employeurs non plus que des salariés – il y a là un sujet de communication –, il est donc déjà possible de mettre en pratique votre proposition tout en respectant à la fois notre Constitution et la directive européenne.
M. le président. Madame Primas, l’amendement n° 203 rectifié est-il maintenu ?
Mme Sophie Primas. Madame la ministre, je vous remercie de ses explications : comme sans doute un grand nombre de salariés et d’employeurs, je ne connaissais pas ces dispositions permettant d’aboutir de façon légale à l’effet que je recherchais.
Je retire donc mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 203 rectifié est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 219 rectifié bis, présenté par MM. Assouline et Durain, Mmes Lienemann et Jourda, M. Labazée, Mme Meunier, M. Roger, Mme Yonnet, MM. Mazuir, Godefroy, Montaugé, Cabanel et M. Bourquin et Mmes Blondin, Guillemot, Monier et Lepage, est ainsi libellé :
Alinéa 24
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 24, lequel ouvre la voie à une réforme de la procédure prud’homale.
Une étude récente fait état d’une chute libre du nombre d’affaires soumises à la justice prud’homale. Quelles en sont les causes ? Est-ce le signe qu’un plus faible nombre de cas prêtent à contentieux ? Non !
D’aucuns considèrent qu’une des causes de ce phénomène tient à la nécessité, introduite par la loi Macron, de remplir un formulaire de sept pages, contre une seule précédemment, nécessité qui constitue un obstacle à la saisine de la juridiction.
M. Jean Desessard. Évidemment !
M. David Assouline. Je le rappelle en passant, tant on nous abreuve de la nécessité de simplifier. L’actuel Président de la République aura tout de même laissé son nom à un texte qui a nettement dissuadé d’engager ces procédures, au nom de la nécessité d’aller plus vite.
Une autre raison de cette baisse est peut-être la longueur des procédures devant les prud’hommes. Mais, là comme ailleurs, ces délais s’expliquent par le manque de moyens, notamment dans les greffes et dans les secrétariats.
M. Jean Desessard. Évidemment !
M. David Assouline. De surcroît, les réformes qui se sont succédé depuis la loi Dati ont eu pour effet le regroupement des tribunaux et la suppression des juridictions de proximité. Elles ont ainsi augmenté les embouteillages dans le traitement des affaires.
Pour raccourcir les délais d’instruction, il n’est pas nécessaire de limiter l’accès au juge : il faut simplement renforcer leurs moyens. Vous obtiendrez alors une justice efficace et de proximité.
Pierre Joxe s’est exprimé récemment sur ce sujet, rappelant que certains pays européens – la Belgique, la Suisse ou l’Allemagne – font bien plus que nous pour leurs juridictions sociales et obtiennent de meilleurs résultats.
L’engorgement des tribunaux n’est pas un phénomène récent : la juridiction administrative l’a déjà connu dans les années quatre-vingt. La réponse apportée alors, avec succès, fut le développement des tribunaux administratifs et des formations de jugement restreintes.
En 2015, nous avons déjà réformé la procédure prud’homale. Avant de légiférer à nouveau, il importe d’établir le bilan de cette réforme – nous vous le répétons depuis le début de ce débat –, laquelle a enrichi le rôle du bureau de conciliation et a créé une formation de jugement restreinte afin d’améliorer la qualité des jugements rendus et de raccourcir les délais.
M. le président. L’amendement n° 179 rectifié bis, présenté par Mme Gatel et MM. Guerriau, Longeot, Capo-Canellas et Médevielle, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 178 rectifié ter, présenté par Mmes Gruny et Morhet-Richaud, MM. Mandelli, Dallier, Rapin, Pellevat et Vaspart, Mme Canayer, M. Mouiller, Mme Di Folco, MM. Lefèvre et Pierre, Mme Mélot et MM. Cornu, Chasseing, Commeinhes et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 24
Après le mot :
modifier
Insérer les mots :
et simplifier
La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Cet amendement a pour but de rappeler qu’il ne suffit pas de modifier le régime fiscal et social des sommes versées en cas d’indemnités abusives ; il convient également de simplifier le régime applicable, devenu beaucoup trop compliqué.
En effet, si l’on souhaite encourager la conciliation, il faut créer des règles fiscales et sociales simples et attrayantes, ce qu’elles ne sont pas toujours aujourd'hui. Les règles qui se sont superposées relèvent parfois de l’usine à gaz, sans cohérence entre les dispositions fiscales et sociales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Le Gouvernement souhaite favoriser le recours à la conciliation afin de réduire le volume du contentieux traité par les conseils de prud’hommes.
La commission partage cet objectif. Il est en effet préférable de résoudre les conflits qui peuvent survenir entre un employeur et son salarié par la voie de la conciliation, plutôt que d’en arriver à la voie juridictionnelle.
Elle est donc défavorable à l’amendement n° 219 rectifié bis
Notre collègue Antoine Lefèvre a parfaitement raison, les règles fiscales relatives aux indemnités de rupture de contrat de travail sont extrêmement complexes et inéquitables. Elles ont d’ailleurs été critiquées récemment par la Cour des comptes.
Pour autant, je ne vois pas la nécessité de mentionner le terme « simplifier ». L’habilitation demandée par le Gouvernement pour modifier le régime fiscal applicable vaut habilitation pour le simplifier.
La commission demande donc le retrait de l’amendement n° 178 rectifié bis ; à défaut, elle y serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’avis du Gouvernement est défavorable sur l’amendement 219 rectifié bis.
Monsieur Assouline, l’alinéa dont vous demandez la suppression n’a nullement vocation à habiliter le Gouvernement à engager une nouvelle réforme de la procédure prud’homale.
Une réforme importante a déjà été menée, sa mise en œuvre touche à sa fin, elle a fait l’objet d’un premier bilan transmis au Premier ministre du gouvernement précédent le 19 avril 2017.
Dans le présent texte, il s’agit seulement de favoriser la conciliation par des ajustements en phase de conciliation devant le conseil des prud’hommes, dans la ligne des progrès réalisés dans le passé.
En outre, cette habilitation vise à prévoir une éventuelle modification – rien n’est décidé – du régime fiscal et social des sommes dues par l’employeur et versées aux salariés à l’occasion de la rupture du contrat de travail.
Aujourd’hui, les dispositions fiscales et sociales sont beaucoup plus favorables en phase de contentieux qu’en phase de conciliation, ce qui un peu contre-intuitif.
Nous voulons garder la possibilité d’ajuster ces dispositions et donc maintenir l’alinéa 24 : l’avis est défavorable.
Contrairement à la commission – nous avons un désaccord, monsieur le rapporteur (Sourires.) –, le Gouvernement est en revanche favorable à l’amendement n° 178 rectifié ter.
Il s’agit non seulement de modifier, mais aussi de simplifier le régime fiscal et social des sommes versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail. Nous sommes au stade de l’habilitation : examiner tout ce qui peut être modifié et simplifié pour être rendu plus accessible et compréhensible ne nous paraît pas une mauvaise idée.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. C’est l’intervention de M. Assouline qui me conduit à intervenir.
Nous avons discuté de la réforme des prud’hommes il n’y a pas si longtemps. Nous étions un certain nombre, nos camarades communistes et nous les écologistes, à être opposés à cette réforme… (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Oh, allons-y : et les socialistes ! Nous étions ensemble à gauche !
M. Assouline a tout dit. Sept pages ! Cela signifie que seuls les cadres vont porter plainte aux prud’hommes.
Mme Sophie Primas. Même pas !
M. Jean Desessard. C’est donc un système censitaire ! Alors que les plus démunis ont déjà du mal, financièrement et culturellement, à engager une action – heureusement, ils sont aidés par les syndicats –, on fait en sorte que ce soit de plus en plus en plus difficile !
Madame la ministre, j’ai bien compris que vous n’étiez pas favorable à l’amendement n° 219 rectifié bis, mais vous auriez pu répondre à M. Assouline que, étant en empathie avec la classe ouvrière et les travailleurs les plus précaires, vous alliez mettre en œuvre tous les moyens pour que ceux qui souffrent le plus aient un accès libre au tribunal et puissent facilement porter des recours.
J’aurais aimé entendre, madame la ministre, l’expression de cette empathie envers les plus démunis de notre société qui sont aussi souvent ceux qui, justement, souffrent le plus de l’arbitraire patronal.
J’aurais aussi aimé que, dans vos projets pour favoriser la conciliation, vous teniez compte du fait que les cadres y sont plus habitués…
Mme Sophie Primas. Pourquoi donc ?
M. Jean Desessard. … et qu’il faut donc aider les plus défavorisés.
Pourquoi, madame Primas ? Parce que ceux qui profitent le plus de la formation aujourd’hui, ce sont les cadres, pas les ouvriers ! Ceux qui profitent le plus des prud’hommes, ce sont les cadres, pas les ouvriers ! Je pourrais vous donner des exemples à foison…
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Pour rafraîchir la mémoire du Sénat, je rappelle que le groupe socialiste a voté la réforme des prud’hommes…
M. Jean Desessard. Il me semblait bien…
Mme Nicole Bricq. … dans le cadre de la loi relative à la croissance, à l’activité et à l’égalité des chances économiques.
Il fallait aller beaucoup plus vite ! La lenteur était préjudiciable à la fois aux employeurs et aux salariés. Les procédures duraient des mois, parfois plus. Le barreau de Meaux a ainsi été conduit à introduire un recours devant le Conseil d’État qui a abouti à la condamnation de l’État en raison des retards dus à l’engorgement du tribunal du ressort.
C’était bien sûr avant que la loi Macron ne porte ses effets.
Aucun lien direct n’a pu être établi entre la baisse du nombre d’affaires devant les conseils de prud’hommes et le fait que soient demandés, en amont de la procédure, le plus de renseignements possible.
M. David Assouline. Mais si !
Mme Nicole Bricq. L’objectif est d’aller plus vite, et aussi de favoriser la conciliation.
En revanche, il existe un lien entre les règles de procédure applicables dans la phase de conciliation et la modification du régime fiscal et social. C’est pourquoi les deux font partie du champ de l’habilitation : dans un souci de cohérence, il convient de mettre en harmonie le souhait du législateur de 2016 et la modification du régime fiscal et social, afin que la conciliation soit privilégiée y compris au niveau de ce régime. Mais il n’est pas question de faire une nouvelle réforme !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Il est facile de répondre à chacune de nos questions, surtout quand elles dérangent, qu’« il n’est pas question de », ou bien que ce n’est pas forcément ce qu’il y aura dans l’ordonnance. Et pour cause : ce qui est déjà écrit, madame la ministre, vous ne nous le montrez pas, et nous n’avons pas le droit d’en discuter !
Je ne vous fais pas de procès d’intention ; je constate simplement qu’une possibilité est ouverte.
Par ailleurs, il est tout de même un peu fort de café de soutenir qu’il n’y a pas de lien entre une réforme qui réduit sept pages en une et la diminution de 30 % que l’on observe depuis ce moment précis, sans qu’on nous fournisse d’autres raisons,…
M. Jean Desessard. C’est le réchauffement climatique !
M. David Assouline. … du nombre des recours devant les prud’hommes. Il n’y a pas de lien direct, affirment ceux qui se réclament d’une science dont, au demeurant, ils n’ont pas beaucoup fait preuve par le passé…
Mme Nicole Bricq. Je sais de quoi je parle, contrairement à vous !
M. David Assouline. Bien entendu, ma chère collègue : nous savons bien que vous êtes toujours, en tous lieux et dans tout débat, la seule qui sache de quoi elle parle. C’est sans doute pour cela que vous répondez souvent à la place des ministres : ministre, parlementaire, experte, vous êtes tout cela à la fois !
M. Jean Desessard. En même temps ! (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Je travaille, c’est tout !
M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser l’orateur poursuivre.
M. David Assouline. Voilà un certain nombre d’années que, comme nombre d’entre nous, je siège dans cet hémicycle. Dans chaque discussion, nous débattons d’amendements qui, pour certains, ont une portée importante et, pour d’autres, ne visent qu’à préciser ou améliorer les dispositifs, même si leurs auteurs ne sont pas d’accord avec le texte. Lors de l’examen de la révision constitutionnelle de M. Sarkozy, que pourtant je rejetais, j’avais trouvé que les dizaines d’heures de débats dans l’hémicycle n’avaient pas été vaines, parce que nous avions obtenu telle ou telle modification.
Vous, en revanche, madame la ministre, commencez très mal. Au point que, franchement, nous allons commencer à nous demander ce que nous faisons ici… Sur très peu de propositions, et sur aucune venant de la gauche, vous n’avez daigné faire un petit pas ! Sauf un, me semble-t-il, hier ; mais, pour le reste, ce ne sont qu’avis défavorables et demandes de retrait !
Madame la ministre, je vous préviens : cela ne durera pas cinq ans. À un moment donné, nous allons nous révolter !
M. Antoine Lefèvre. Des menaces ! (Sourires.)
M. Jean Desessard. Vous voilà prévenue ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. En arrivant dans cette assemblée, je m’attendais tout de même à autre chose qu’à des échanges d’affirmations péremptoires et non démontrées, qui servent, semble-t-il, de pseudo-vérités. Plutôt que de nous lancer à la figure des choses non prouvées, il me semble que nous pourrions faire l’effort de rechercher les informations nécessaires pour démontrer ce que nous avançons !
« Conciliation » : le mot a une connotation extrêmement favorable et suggère la volonté de travailler ensemble pour essayer de trouver des solutions communes. J’avais tendance à penser que cette volonté était réelle, et que cet état d’esprit se retrouverait dans l’article 3.
Seulement voilà : entre les belles déclarations qui entourent le projet de loi d’habilitation, les intentions affirmées – dialogue social, sécurisation des parcours professionnels, protection des salariés, compétitivité –, toutes nobles et qui me paraissaient de bon augure, et la réalité du texte et des débats, je constate un écart considérable. Moi qui avais pensé que le débat serait intéressant et amènerait des progrès dans tous les domaines, de sorte qu’on pourrait dire aux salariés : nous avons amélioré vos conditions de travail…
Alors, quand on parle de favoriser la conciliation devant les tribunaux prud’homaux, je me dis qu’il y a encore une intention cachée… Cette intention, du reste, vous la donnez, madame la ministre, puisque vous dites qu’il faut que moins d’affaires soient soumises aux prud’hommes.
Mme Nicole Bricq. Mais non !
M. Jean-Louis Tourenne. C’est écrit ! De là à penser qu’on va mettre en place tous les moyens nécessaires pour faire pression sur les plaignants, pour les dissuader d’aller jusqu’au bout… Peut-être que j’exagère ; c’est une supposition. Mais, avec ce texte, j’ai appris à être extrêmement prudent ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur. Il est naturel que la question des prud’hommes suscite d’abondantes discussions, car elle est de la plus haute importance.
Nous savons tous que le système actuel fonctionne mal, que, pour des affaires similaires, les jugements peuvent être différents d’un tribunal à l’autre et que, dans près de 80 % des cas d’appel, les cours d’appel cassent les jugements de première instance. Nous savons tous aussi qu’il n’est pas dans les intentions du Gouvernement, du moins pour l’instant, de réformer quoi que ce soit s’agissant des prud’hommes ; l’habilitation porte sur le code du travail, pas sur la réforme des tribunaux prud’homaux.
Monsieur Tourenne, j’ai proposé à la commission des affaires sociales, qui l’a accepté, de constituer un groupe de travail sur les prud’hommes, afin de réfléchir aux propositions d’amélioration qui pourront être faites dans le cadre d’un rapport du Sénat. Je lui ai également demandé l’autorisation de prendre contact avec le président de la commission des lois en vue d’un travail commun de nos deux commissions. Philippe Bas m’a évidemment donné son accord, d’autant que lui-même a élaboré un rapport sur la partie juridique et juridictionnelle, sans s’intéresser aux affaires traitées par les prud’hommes.
À la rentrée, donc, ce groupe de travail commun aux deux commissions sera mis en place, et nous travaillerons ensemble sur les prud’hommes. Vous savez que j’aime bien que l’on travaille ensemble ; ainsi, j’ai salué hier un rapport préparé par trois de nos collègues : un communiste, un socialiste et un membre des Républicains. Je pense que, de la même façon, le travail commun sur les prud’hommes donnera des résultats extrêmement intéressants, que nous pourrons ensuite proposer au Gouvernement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 219 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 62, présenté par Mme D. Gillot, MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau, Magner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° De faciliter l’accès, le maintien et le retour dans l’emploi des personnes handicapées et de leurs proches aidants.
La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. J’aborde un sujet un peu plus consensuel en présentant cet amendement, forcément d’appel, qui viserait, si la Constitution le permettait, à étendre le champ des ordonnances pour définir ce qui doit constituer, selon moi et, surtout, selon la commission Travail, emploi, formation du Conseil national consultatif des personnes handicapées, une priorité en matière de politique de l’emploi.
Au fil de la discussion, les amendements que j’ai défendus, accueillis souvent avec bienveillance par vous-même, madame la ministre, et de manière unanimement favorable par mes collègues, ont permis de faire évoluer le regard porté sur le l’accès et le retour à l’emploi, ainsi que le maintien dans l’emploi, des personnes handicapées.
Toutefois, face à l’inertie et la rigidité des outils conçus au fil du temps, il est utile, même urgent, de revoir la politique d’insertion dans l’emploi des personnes handicapées pour éviter l’augmentation des inégalités et les trappes à exclusion que représentent trop souvent l’inaptitude au travail, voire la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, la RQTH, et la désinsertion professionnelle.
Pour ce faire, il faudrait que, grâce au dialogue social renforcé, les politiques publiques soient réellement décloisonnées, transversales, pour qu’elles soient efficientes, et que leurs effets sur l’emploi des personnes handicapées et des proches aidants soient réellement mesurés ; que la primauté du droit commun soit être un élément fondamental recherché de l’insertion ; et que toutes les parties prenantes concernées soient sollicitées systématiquement et suffisamment tôt. En effet, les pouvoirs publics doivent veiller à la participation des personnes handicapées, ainsi que des représentants et des proches de celles-ci, au processus de décision.
Enfin, une stratégie pluriannuelle devrait être définie, intégrant l’objectif de réduction du chômage des travailleurs handicapés et d’accès de ceux-ci à un emploi de qualité, avec le déploiement de données et de règles de connaissance à partager dans la transparence.
C’est à ces conditions que les parcours vers et dans l’emploi seront sécurisés pour tous.
Le Président de la République a fait du handicap l’une de ses priorités. Cette priorité ne peut être à la marge, soumise à l’opportunité d’un volet handicap ou d’une communication bienveillante. Elle doit s’inscrire dans la continuité et dans la mise en œuvre des grandes lois d’affirmation des droits imprescriptibles des personnes handicapées, dans le cadre d’une politique inclusive unissant toutes les politiques publiques.
C’est dans cet esprit que je plaide pour que les ordonnances s’attachent à faciliter l’accès et le retour à l’emploi, ainsi que le maintien dans l’emploi, des personnes handicapées et de leurs proches aidants, un objectif actuellement absent du projet de loi d’habilitation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Comme Mme Gillot l’a reconnu, son amendement est, sur la forme, contraire à la Constitution : il contrevient à l’article 38 de celle-ci en visant à élargir le champ de l’habilitation. Je lui demande donc de le retirer, étant entendu que, sur le principe, nous sommes évidemment tous favorables à sa proposition.
Au reste, nous avons adopté ce matin l’amendement n° 45 rectifié, qui visait les mêmes objectifs, mais pouvait être rattaché au projet de loi, dans la mesure où il se rapportait au télétravail.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je souscris évidemment à l’analyse juridique de M. le rapporteur.
Je tiens cependant à vous signaler, madame la sénatrice, que le troisième plan de santé au travail, approuvé par l’ensemble des partenaires sociaux, prévoit des actions spécifiques pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Devant le COCT, le Conseil d’orientation des conditions de travail, que j’ai réuni voilà quelques jours, j’ai souligné que ce plan était l’une de nos priorités communes.
Je pense que, aujourd’hui, c’est surtout sur le terrain que la bataille se joue. Il faut gagner la mobilisation des acteurs, et cela dépend de nous tous. Je prends ma part de cet effort, avec le ministère du travail.
M. le président. Madame Gillot, l’amendement n° 62 est-il maintenu ?
Mme Dominique Gillot. Non, monsieur le président, je vais le retirer ; il est inutile qu’il soit maintenu pour être rejeté.
Madame la ministre, j’apprécie beaucoup l’écoute dont vous faites preuve depuis le début de la discussion. Simplement, évoquer le troisième plan de santé au travail me paraît insuffisant, puisque c’est encore rattacher la politique du handicap à la santé, alors que le Président de la République a bien décidé de sortir cette politique de la tutelle de la santé, sans bien sûr que ce ministère doive pour autant se désintéresser de la santé des personnes handicapées.
De fait, le travail des personnes handicapées ne relève pas seulement de la santé : il y a des personnes en situation de handicap qui ne souffrent d’aucun problème de santé, mais d’autres problèmes qui doivent être réglés, dans le colloque du dialogue social, par l’ensemble des partenaires.
Puisque deux amendements du Gouvernement doivent être examinés après celui-ci, vous auriez pu, madame la ministre, reprendre une partie de ma proposition dans l’un ou dans l’autre. Cela aurait permis d’inscrire dans les ordonnances, en respectant le cadre constitutionnel, la question de l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés, à laquelle vous avez prêté un intérêt particulier.
Je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 62 est retiré.
L’amendement n° 220, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° De préciser les modalités du suivi médical exercé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration et les conditions de recrutement de ses personnels médicaux.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Permettez-moi, monsieur le président, de compléter ma réponse à Mme Gillot.
Je vous signale, madame la sénatrice, que l’emploi des personnes handicapées est explicitement prévu dans le champ de compétence des branches. De fait, le ministère du travail et les partenaires sociaux ont beaucoup à faire dans ce domaine !
L’amendement n° 220 porte sur le suivi médical exercé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, et les conditions de recrutement de ses personnels médicaux. Nous avons examiné de nombreuses questions de fond ; il s’agit, cette fois, d’un problème pratique et immédiat.
La visite médicale réalisée par l’OFII a pour objet d’offrir aux primoarrivants une première prise en charge à visée médicale, la prévention de l’introduction sur le territoire national de pathologies infectieuses en provenance de pays tiers relevant davantage du contrôle sanitaire aux frontières.
Il est donc proposé de remplacer l’expression « contrôle médical », qui qualifie de manière inadéquate cette activité de l’OFII, par l’expression, neutre, de « visite médicale », mieux à même d’accompagner l’évolution de cette mission.
Par ailleurs, parce que les médecins de l’OFII ont une compétence reconnue dans le domaine de la santé du public migrant, il serait souhaitable de pouvoir prolonger l’activité de ceux qui sont actuellement en poste et qui atteignent l’âge de la retraite. Je conviens, monsieur le rapporteur, que c’est un peu une rustine, mais nous en avons besoin !
En effet, comme dans la médecine du travail, les postes et les moyens existent, mais les candidats manquent. La poursuite d’activité, sur une base volontaire, des médecins atteignant l’âge de la retraite permettra, à court terme, d’éviter des files d’attente qui deviennent inhumaines – sans dispenser, bien sûr, de traiter par ailleurs la question à long terme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Au cours des campagnes présidentielle et législative qui viennent de s’achever, il a beaucoup été question de « dégagisme » et de mettre les vieux à la porte le plus vite possible… Je constate que l’on a de nouveau besoin des vieux ! (Sourires.)
La commission des affaires sociales avait supprimé cet alinéa inséré dans le projet de loi par l’Assemblée nationale. Le Gouvernement propose de le rétablir.
Il ne faudrait pas, madame la ministre, que le présent projet de loi, relatif au dialogue social, serve de véhicule à toutes les mesures que vous voudriez inscrire dans la loi.
Toutefois, nous sommes prêts à faire un geste de mansuétude : j’en appelle à la sagesse de notre assemblée…
M. le président. L’amendement n° 237, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° De sécuriser et de compléter l’article L. 1224-3-2 du code du travail, notamment en ce qui concerne son application dans le temps.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Merci de votre compréhension, monsieur le rapporteur, sur le précédent amendement. On en a éliminé beaucoup, mais celui-là est passablement urgent…
Certains secteurs très concurrentiels, notamment du nettoyage, ont mis en place avec les partenaires sociaux des modalités pour préserver l’emploi en organisant le transfert des personnels en cas de succession d’employeurs sur un même site ou à la suite de l’attribution d’un marché ou d’un changement de prestataire.
Ce système, qu’on appelle le transfert conventionnel, est destiné à éviter que, chaque fois qu’un marché change de mains, tous les salariés perdent leur emploi. Plus précisément, en cas de changement de titulaire d’un marché, les salariés voient leur contrat et ses principales conditions reprises par le nouveau prestataire.
La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a reconnu la légitimité de cette pratique et sécurisé le cadre de celle-ci, afin que la succession des entreprises sur un même site puisse s’effectuer dans le respect des règles propres à chaque site.
Toutefois, il est aujourd’hui impossible aux entreprises qui envisagent de répondre à un appel d’offres ou à une proposition de changement de prestataire, en même temps que de respecter les conditions de travail et les rémunérations propres au site en question, d’étendre ces conditions à l’ensemble de leurs salariés employés sur les autres sites. En somme, on ne peut pas envisager que les conditions maintenues aux salariés d’un site par l’entreprise qui reprend celui-ci soient étendues aux salariés de tous les sites de cette entreprise.
C’est pourquoi nous proposons de préciser le régime juridique applicable lorsqu’un accord de branche étendu prévoit la poursuite des contrats de travail entre deux entreprises prestataires se succédant sur un même site.
J’attire votre attention sur le fait que 500 000 salariés de 43 000 entreprises sont concernés, essentiellement dans le secteur de la propreté. Préserver leur emploi et les conditions qui leur sont faites est un enjeu d’intérêt général !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement du Gouvernement vise à sécuriser les transferts conventionnels, fréquents, notamment dans le domaine de la propreté.
Je rappelle que certaines conventions collectives contiennent des stipulations obligeant l’entreprise qui remporte un nouveau contrat avec un client à reprendre l’ensemble des salariés de l’entreprise évincée, dès lors qu’ils travaillaient sur le site du client.
La Cour de cassation a toutefois considéré, le 15 janvier 2014, que les transferts conventionnels ne constituaient pas une raison objective et pertinente justifiant une différence de rémunération entre salariés. C’est toute la construction des transferts conventionnels qui risquait de s’écrouler.
C’est pourquoi l’article 95 de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a prévu que, en cas de transfert conventionnel de salariés d’une entreprise vers une entreprise d’accueil à la suite de la perte d’un appel d’offres, les salariés de l’entreprise d’accueil employés sur d’autres sites ne sont pas fondés à invoquer les différences de rémunération résultant d’avantages obtenus avant le transfert.
Cette question, très technique, justifie l’extension du champ de l’habilitation demandée par le Gouvernement. La commission a donc émis un avis favorable sur l’amendement.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Évelyne Yonnet. Dans le temps, madame la ministre, il existait des fusions-absorptions d’entreprises. Pourquoi ne privilégie-t-on pas ce mécanisme, qui assure une meilleure protection aux salariés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame la sénatrice, les fusions-absorptions existent toujours, mais il s’agit d’une situation tout à fait différente.
Mme Nicole Bricq. Évidemment !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. En l’espèce, il s’agit d’appels d’offres relancés tous les ans ou tous les trois ans, notamment dans le secteur de la propreté. Il n’est donc pas question d’absorption : le transfert conventionnel permet aux salariés de l’entreprise évincée d’être repris par l’entreprise retenue, ce qui assure la préservation de l’emploi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la ministre, je ne comprends pas pourquoi vous restreignez l’application de ce dispositif aux entreprises de nettoyage. En réalité, tous les marchés sont concernés, notamment ceux qui sont conclus par les collectivités territoriales, qui portent sur des montants extrêmement importants, non seulement dans le domaine du nettoyage, mais aussi dans ceux du transport collectif, de la restauration collective, de la santé ou de la collecte et du retraitement des ordures ménagères.
Par ailleurs, je ne crois pas avoir vu écrites les conditions dans lesquelles ce transfert a lieu pour les salariés : conservent-ils leur statut et les avantages antérieurs ? Madame la ministre, rassurez-moi sur ce point.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de m’inviter à apporter une importante précision.
Le secteur de la propreté n’est qu’un exemple. Je précise que le système du transfert conventionnel suppose une convention de branche. Aujourd’hui, trois secteurs sont concernés : celui de la propreté, donc, ainsi que ceux de la manutention ferroviaire et de la prévention-sécurité.
Demain, d’autres secteurs pourront l’être aussi, si d’autres accords de branche sont conclus.
Par ailleurs, il est bel et bien prévu que les salariés transférés gardent toutes leurs conditions, sauf si celles qui sont proposées par l’entreprise d’accueil sont plus avantageuses. En somme, ce dispositif évite non seulement la perte d’emplois, mais aussi le dumping social. Il faut donc l’encourager !
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. J’appuie cet amendement qui, d’après les informations dont nous disposons, est très attendu par les fédérations professionnelles.
M. le président. L'amendement n° 247, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° De diminuer ou supprimer la durée d’ancienneté minimale, prévue à l’article L. 1234-9 du code du travail.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je vous dois d’abord des excuses, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour n’avoir déposé qu’aujourd'hui, et de plus tardivement, cet amendement. Relatif aux indemnités légales de licenciement, il amendement est un fruit récent de la concertation. Ayant conscience que ce n’est pas tout à fait le cas normal, je m’efforcerai d’être d’autant plus convaincante dans l’argumentaire…
Aujourd’hui, l’article L. 1234-9 du code du travail prévoit que le salarié en contrat à durée indéterminée a droit à une indemnité légale de licenciement dès lors qu’il compte, depuis la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, une année d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur.
Cette disposition exclut donc du bénéfice de l’indemnité de licenciement, quel que soit le niveau de celle-ci, une partie non négligeable des salariés, alors même qu’un licenciement marque toujours une rupture dans la vie professionnelle du salarié, qu’il intervienne au bout de quelques mois ou de plusieurs années. En outre, elle induit des effets de seuil très importants pour les salariés licenciés disposant d’un peu moins d’une année d’ancienneté.
Le présent amendement a pour objet de permettre au Gouvernement d’abaisser, voire de supprimer, la condition d’un an d’ancienneté nécessaire à l’ouverture de droits à l’indemnité de licenciement, étant entendu que l’ancienneté sera bien entendu toujours prise en compte pour le calcul du montant de l’indemnité : le salarié licencié au bout de trois mois ne percevra pas la même indemnité que celui licencié après un an. Il s’agit d’éviter le couperet à un an d’ancienneté en prenant en compte un certain nombre de situations dans lesquelles, actuellement, des salariés licenciés ne perçoivent pas d’indemnité légale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Madame la ministre, je ne peux que regretter le dépôt bien tardif de cet amendement, quelques minutes seulement avant son examen en séance. Vous aviez, il est vrai, annoncé votre intention à l’Assemblée nationale voilà deux semaines.
Sur le fond, l’amendement vise à permettre au Gouvernement de faire bénéficier de l’indemnité légale de licenciement des salariés ayant moins d’un an d’ancienneté. Il offre donc potentiellement de nouveaux droits aux salariés.
La commission n’a pas pu se réunir pour examiner cet amendement ; je m’en excuse auprès de ses membres. À titre personnel, j’émets un avis de sagesse positive, mais en demandant à Mme la ministre de veiller à ne pas alourdir excessivement les charges pesant sur les entreprises, surtout les petites, en augmentant de manière inappropriée le montant de l’indemnité légale par voie réglementaire.
Je lui demande aussi d’adopter une approche globale lorsqu’elle fixera les montants des barèmes obligatoires en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui sont cumulables avec les indemnités légales de licenciement.
M. le président. L'amendement n° 129 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le paragraphe 2 de la sous-section 1 de la section 4 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail est ainsi modifié :
1° À l’intitulé, les mots : « dix refus ou plus » sont remplacés par les mots : « plusieurs refus » ;
2° À l’article L. 1233-25, les mots : « Lorsqu’au moins dix » sont remplacés par les mots : « Lorsque plusieurs ».
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Actuellement, les entreprises ne sont pas dans l’obligation de présenter un plan de sauvegarde de l’emploi lors de licenciements économiques effectués à la suite d’un refus de modification du contrat de travail quand le nombre d’emplois concernés est inférieur à dix dans la durée d’un mois.
Or, dans de nombreux cas, les entreprises contournent l’obligation, par exemple en jouant sur la durée de trente jours consécutifs ou en contraignant les salariés à refuser une modification substantielle de leur contrat de travail, ce qui les conduits à être licenciés. Pourtant, le plan de sauvegarde de l’emploi représente souvent l’unique possibilité pour les salariés de retrouver un emploi à la suite d’un licenciement économique.
C’est pourquoi nous proposons de remplacer les mots « dix salariés » par les mots « plusieurs salariés ». Ainsi, il deviendra beaucoup plus difficile de déguiser un licenciement économique de plus de dix salariés en le fractionnant en plusieurs licenciements de différents types et en l’étalant sur la durée.
Il incombe au législateur de veiller au respect de l’esprit de la loi, surtout quand celle-ci offre aux salariés une seule et unique possibilité de ne pas se retrouver dans des situations dramatiques comme il y en a trop souvent lors de licenciements.
La loi prévoit que les règles du licenciement collectif s’appliquent au-delà de dix-huit licenciements économiques sur une année civile et au-delà de dix licenciements sur une période de trois mois consécutifs. Notre amendement vise à abaisser ce seuil de dix refus au-delà duquel on entre dans le périmètre du licenciement économique.
Madame la ministre, vous venez enfin de présenter un amendement positif pour les salariés… J’espère que vous continuerez dans cette voie en émettant un avis favorable sur notre amendement !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Pour les auteurs de l’amendement, le seuil de déclenchement d’un licenciement collectif doit être fixé à deux salariés. En effet, ma chère collègue, le mot « plusieurs », ici, signifie « à partir de deux ». (Sourires.)
L’amendement est contraire à la directive du Conseil du 20 juillet 1998, qui fixe a minima un seuil de dix salariés ou de 10 % des effectifs. En outre, il est contraire à l’habilitation demandée par le Gouvernement à l’article 3.
C’est pourquoi la commission demande à ses auteurs de bien vouloir retirer leur amendement ; à défaut, elle y sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à l’amendement.
Celui-ci pose un problème de cohérence par rapport au droit actuel, dans la mesure où le seuil des dix salariés refusant la modification d'un élément essentiel de leur contrat de travail est calqué sur le seuil des licenciements collectifs, dont le régime est prévu aux articles L. 1233-21 et suivants du code du travail, et qui prévoit le licenciement de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours.
Le mot « plusieurs » figurait dans le code du travail jusqu’à la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. À cette époque, il a été abandonné au profit de la référence au nombre « dix » pour que les employeurs ne soient pas contraints de respecter la procédure de licenciement pour motifs économiques, dès lors qu’ils envisageraient de procéder à un nombre infime de licenciements.
Pour la bonne information du Sénat, je rappelle à ce sujet que la directive européenne va au-delà de ce seuil de dix salariés. Pour le moment, la France conserve ce seuil, quelle que soit la taille des entreprises, alors que la directive européenne le fait varier en fonction de leur importance.
M. le président. L'amendement n° 133 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – L’article L. 1235-10 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 1235-10. – Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciements dont le motif doit être conforme à l’article L. 1233-3 concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, la procédure de licenciement est nulle tant que le plan de reclassement des salariés prévu à l’article L. 1233-61 et s’intégrant au plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas présenté par l’employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés.
« La réalité et le sérieux du motif économique sont appréciés au niveau de l’entreprise ou de l’unité économique et sociale ou du groupe.
« La validité du plan de sauvegarde de l’emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l’entreprise ou l’unité économique et sociale ou le groupe.
« Le respect des obligations en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que la nécessité d’informer le plus en amont possible les représentants du personnel doivent être également pris en compte.
« La nullité du licenciement peut être prononcée par le juge dès lors que l’information et la consultation ne revêtent pas un caractère loyal et sincère ou lorsqu’elles ne comprennent pas un effet utile lié à la consultation.
« Le premier alinéa n’est pas applicable aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaires. »
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. La loi El Khomri, dont vous amplifiez les dispositions au travers de ce texte, a facilité les licenciements économiques.
En effet, depuis l’entrée en vigueur de cette loi, les difficultés économiques d’une entreprise peuvent résulter soit d’une baisse de ses commandes ou de son chiffre d'affaires, soit de pertes d'exploitation, soit d’une dégradation de sa trésorerie. Le salarié devient donc clairement une variable d'ajustement.
Par ailleurs, le pouvoir d’appréciation du juge sur le fond du motif réel et sérieux d’un licenciement a été mis à mal. Pourtant, cette latitude laissée au juge est à l’origine d’une jurisprudence considérable qui, bien souvent, a contribué à la protection des salariés.
Puisque vous défendez un projet de loi qui entend promouvoir le dialogue social, madame la ministre, vous vous honoreriez de restaurer l’intervention du juge dans sa plénitude.
Avec cet amendement, le groupe CRC propose de donner la possibilité au juge d’intervenir sur le fond et non plus simplement sur la forme. Après avoir restauré de véritables motifs réels et sérieux de licenciement, nous précisons à cette fin que « la nullité du licenciement peut être prononcée par le juge dès lors que l’information et la consultation ne revêtent pas un caractère loyal et sincère ou lorsqu’elles ne comprennent pas un effet utile lié à la consultation. »
Vous l’avez compris, cet amendement s’inscrit dans la suite logique de l’amendement que j’ai défendu ici même hier, et qui visait à interdire les licenciements présentés comme économiques, alors qu’ils sont en réalité uniquement motivés par des intérêts particuliers, les intérêts exclusifs des actionnaires.
Tandis que certains se gavent de stock-options, de dividendes à la hausse, d’autres, les salariés, souffrent !
Dans une étude récente, l’INSEE relève que seuls 15 % des personnes qui sont jetées au chômage après un licenciement économique, une faillite ou une cessation d’activité ont retrouvé un emploi trois mois plus tard ; d’après la même étude, 37 % des personnes licenciées pour raisons économiques doivent accepter des baisses de salaire lorsqu’elles retrouvent un emploi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Sans revenir sur les travaux menés l’an dernier dans le cadre de la loi Travail, je tiens à redire à notre collègue Dominique Watrin que son amendement ne tient pas compte de la réforme du PSE, le plan de sauvegarde de l'emploi, qui a été conduite dans le cadre de la loi relative à la sécurisation de l'emploi en 2013.
Le législateur avait alors fait le pari de confier aux syndicats et aux employeurs le soin de fixer le contenu du PSE. Les résultats sont très positifs, puisque deux tiers des PSE dans les entreprises in bonis sont définis par accord majoritaire, contre un tiers de PSE décidés unilatéralement par l’employeur.
La commission est naturellement défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement créerait plus de difficultés qu’il n’en réglerait.
M. le rapporteur a rappelé la réforme menée en 2013 : le fait d’attribuer aux partenaires sociaux le pouvoir d’intervenir sur les PSE a contribué à faire baisser le nombre de contentieux. Grâce à cette clarification, le dispositif est aujourd'hui beaucoup plus simple.
Monsieur le sénateur, votre amendement vise à récrire l’article L. 1235-10 du code du travail. Il tend à sanctionner de nullité un licenciement en cas d’absence de décision d’une direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la concernant la validation ou l’homologation d’un PSE, en cas de décision négative de validation ou d’homologation émise par cette même DIRECCTE, ou en cas d’annulation par le juge administratif d’une décision de validation ou d’homologation du fait de l’insuffisance d’un PSE. Ces dispositions ne s’appliqueraient pas aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaire.
En outre, et en dehors de toute considération de nullité, vous mélangez plusieurs notions, notamment le régime du licenciement économique, avec des éléments de définition du motif économique.
Sans chercher à être exhaustive, j’ajoute que votre amendement aurait pour effet de cantonner la nullité d’un licenciement à la seule hypothèse d’une absence de présentation par l’employeur d’un plan de reclassement des salariés aux IRP, alors que le dispositif de l’article tel qu’il est rédigé est plus large.
Je vous prie de m’excuser d’être un peu technique, mais tout cela est compliqué.
Vous introduisez également des critères de définition du motif économique qui figurent aujourd'hui à l’article L. 1233-3 et non à l’article L. 1235-10 du code du travail, si bien que vous laissez un libre choix du périmètre d’appréciation qui est très insécurisant pour les parties.
Enfin, vous évoquez, mais trop vaguement, le périmètre à prendre en considération pour apprécier les moyens du PSE, alors qu’il est clairement défini. En effet, le PSE est apprécié au regard des moyens dont disposent les entreprises. Si l’entreprise appartient à un groupe, le PSE est apprécié au regard des moyens du groupe, tel qu’il est défini à l’article L. 233-1 du code de commerce.
Pour toutes ces raisons, monsieur le sénateur, votre amendement apporterait plus de confusion que de clarté dans un domaine qui a été simplifié et sécurisé ces dernières années. Le Gouvernement y est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 137 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 295 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 108 |
Le Sénat a adopté.
Article additionnel après l'article 3
M. le président. L'amendement n° 132, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
1° L’article L. 2323-3 le code du travail est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il peut également élaborer des propositions complémentaires ou alternatives aux projets de l’employeur. » ;
b) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’employeur est tenu de prendre en considération avis, vœux et propositions après les avoir mis à l’étude et en débat. Il rend compte, en la motivant, de la suite donnée aux avis, vœux et propositions. » ;
2° L’article L. 2323-17 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les modalités de recours aux contrats de travail à durée déterminée et aux salariés des entreprises de travail temporaire font l’objet d’une consultation annuelle du comité d’entreprise et d’un avis conforme. Les contrats ne peuvent être conclus que s’ils respectent les modalités de recours ayant reçu l’avis conforme du comité d’entreprise, qui peut saisir l’inspecteur du travail. »
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Avec cet amendement, nous vous proposons de renforcer les droits des comités d’entreprise dans notre code du travail.
Pour rappel, aujourd’hui, toute entreprise d’au moins cinquante salariés doit mettre en place un comité d’entreprise, composé de représentants du personnel et de représentants syndicaux, et présidé par l’employeur.
Ces comités d’entreprise disposent d’ores et déjà d’attributions économiques, sociales et culturelles. Comme le prévoit le premier alinéa de l’article L. 2323-3 du code du travail, il peut, par exemple, émettre des avis et des vœux, mais uniquement « dans l’exercice de ses attributions consultatives », c’est-à-dire qu’il peut formuler des propositions en lien avec les projets de l’employeur.
Nous suggérons que les comités d’entreprise puissent véritablement devenir force de propositions au sein de leur entreprise en leur permettant d’élaborer des propositions complémentaires ou alternatives aux projets de l’employeur. Nous suggérons également que ces propositions soient sérieusement considérées, mises à l’étude et en débat par l’employeur. Cela permettrait aux représentants du personnel et aux représentants syndicaux de se constituer en pouvoir de contre-proposition effectif, au besoin. Il s’agirait là d’une évolution indéniable dans la prise en compte des salariés, et d’une évolution positive pour toutes les parties prenantes.
En parallèle, nous proposons un renforcement des pouvoirs du comité d’entreprise en cas de recours par l’entreprise à des formes précaires de contrat de travail. L’avis conforme du comité d’entreprise serait requis, afin de prévenir de manière efficace le développement de contrats atypiques au sein du collectif de travail, ce qui apparaît d’autant plus nécessaire que nous sommes dans un monde où tous les types de contrats tendent à se précariser.
Ce renforcement des pouvoirs des comités d’entreprise nous semble indispensable à la lecture de ce projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement vise à donner de nouveaux pouvoirs aux comités d’entreprise. Aujourd'hui, nous le savons, le comité d’entreprise est pour l’essentiel un organisme qui doit être informé et consulté par l’employeur sur la marche de l’entreprise.
Si nous adoptions l’amendement de notre collègue Christian Favier, il pourrait à l’avenir formuler des propositions complémentaires ou alternatives au projet de l’employeur. Ce serait une évolution majeure de notre droit, dont nous ne mesurons pas toutes les conséquences, et qui doit être conciliée avec le pouvoir de direction de l’employeur.
En tout état de cause, cet amendement empiète sur l’habilitation demandée par le Gouvernement à l’article 2, qui vise à créer une instance unique. La commission y est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à l’amendement.
Dans le cadre du projet de loi d’habilitation, nous proposons déjà la mise en place d’un comité social et économique qui réunira les trois instances d’information et de consultation actuelles.
Monsieur le sénateur, vous souhaitez d’aller au-delà du rôle d’information et de consultation des comités d’entreprise. Ce serait une réforme majeure, qui ne peut s’envisager sans une réflexion d’ensemble et l’analyse de toutes ses incidences.
Dans le présent projet de loi, nous prévoyons également que l’employeur et les organisations syndicales puissent décider, après accord majoritaire d’entreprise, de mettre en place un conseil d’entreprise dont l’avis conforme serait en revanche requis sur des sujets convenus de concert, dans la logique de ce que vous suggérez.
Un dispositif fondé sur le volontariat a donc été voté hier. Une telle piste pourra être creusée dans le futur sous la forme de cet accord majoritaire d’entreprise. Il s’agit d’une révolution largement suffisante pour expérimenter un vrai dialogue social et constructif sur ces sujets-là, dialogue dont je me réjouis qu’il soit souhaité de tous.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 132.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 4
(Non modifié)
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi permettant de favoriser le développement de la négociation collective pour les salariés et employeurs de droit privé et de sécuriser les accords collectifs en :
1° Complétant les règles d’extension des accords collectifs afin d’améliorer et de sécuriser juridiquement le dispositif d’extension, en précisant les conditions dans lesquelles les organisations d’employeurs peuvent faire valoir leur opposition à une extension ainsi que les pouvoirs du ministre chargé du travail en matière d’extension ;
2° Définissant les conditions dans lesquelles tout ou partie des stipulations d’une convention ou d’un accord étendu peuvent être élargies aux entreprises, le cas échéant sous condition de seuil d’effectifs, relevant d’une branche d’activité ou d’un secteur territorial déterminé et se trouvant dans l’impossibilité de conclure une convention ou un accord ;
3° Tirant les conséquences des regroupements opérés entre les organisations professionnelles d’employeurs en procédant à la redéfinition des secteurs relevant du niveau national et multi-professionnel ;
4° Adaptant les modalités de fonctionnement du fonds paritaire prévu à l’article L. 2135-9 du code du travail et de versement des crédits par ce fonds aux organisations syndicales de salariés et aux organisations professionnelles d’employeurs pour permettre de tirer les conséquences, d’une part, des mesures de l’audience syndicale et patronale et, d’autre part, des opérations de restructuration des branches.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.
Mme Laurence Cohen. Contrairement à ce que certains avancent, l’article 4 n’est pas seulement un article technique. D’ailleurs, sous couvert de technicité, on pourrait vouloir passer rapidement sur cet article.
Or la procédure d’extension permet à notre pays d’avoir le pourcentage de salariés protégés par un accord de branche le plus élevé au monde. Jusqu’à présent, cette procédure donne au ministère du travail la possibilité d’étendre les accords de branche. Ainsi, cette extension a force de loi et s’applique à l’ensemble des salariés du secteur, y compris celles et ceux dont les entreprises ne sont pas adhérentes aux branches.
Il s’agit d’une procédure importante pour les salariés des TPE et PME qui n’ont pas de représentants syndicaux, comme cela peut être le cas, en particulier, pour les employés du secteur des services à domicile, dont on connaît les conditions précaires et flexibles de travail.
Depuis la loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale de 2014, une ou plusieurs organisations patronales, dont les entreprises adhérentes emploient plus de 50 % des salariés des entreprises affiliées, peuvent déjà s’opposer à un accord de branche.
Ouvrir la possibilité de s’opposer encore davantage à l’extension et l’élargissement des accords de branche, ainsi qu’au pouvoir de la ministre, comme le laisse entrevoir cet article, priverait de très nombreux salariés des petites entreprises du bénéfice des accords signés par les branches.
En effet, la procédure d’extension, créée grâce à la mobilisation de 1936, permet de se servir de l’accord collectif comme d’un moyen d’uniformiser les conditions sociales de la concurrence et de rendre ce rôle effectif pour la branche.
Madame la ministre, vous nous dites que vous voulez prendre en compte les objectifs de la politique économique et sociale. Mais, dans les faits, ce sont principalement les accords de branche sur les salaires qui ont permis aux salaires de continuer à augmenter en France malgré la crise. Et vous voulez les faire voler en éclats !
Ce n’est pas en créant de nouveaux droits pour les salariés que vous porterez atteinte à la compétitivité des entreprises françaises. Bien au contraire, cela permettrait d’améliorer leur rentabilité, même si vous le réfutez malheureusement ! Il faut dire que la création de nouveaux droits pour les salariés n’est pas du goût du MEDEF. C’est sans doute la raison de votre positionnement !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, sur l'article.
Mme Sophie Primas. Je vais évidemment émettre une opinion assez différente.
L’article 4 aborde la question de l’extension et de l’élargissement des accords. Aussi me semble-t-il utile, au nom de ma collègue Élisabeth Lamure, de rappeler les conclusions de l’étude que la délégation aux entreprises a fait réaliser l’an dernier par l’institut allemand IFO pour comparer les pouvoirs et la représentativité des représentants de salariés dans l’entreprise en France et en Allemagne.
Cette étude montre notamment les incidences économiques de l’organisation du dialogue social. L’IFO indique qu’en France, l’extension quasi automatique des accords collectifs par l’État et par le ministre du travail, donc, aboutit à un taux de couverture de la négociation collective de 98 %, soit un chiffre bien plus élevé que le taux de salariés travaillant dans des entreprises membres d’une organisation patronale.
En Allemagne, ces deux taux sont équivalents et s’établissent autour de 57 %. Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, ce taux de couverture des conventions collectives est seulement de 23 %, la procédure de l’extension y étant plutôt rare.
L’IFO est très critique à l’égard de l’extension à la française, tant en termes d’effets sur le chômage, puisqu’elle renforce la dualité du marché du travail, que d’effets sur la concurrence. D’ailleurs, je rappelle que le Conseil d’État a déjà censuré l’extension de stipulations portant une atteinte excessive au principe de la libre concurrence.
Analysant les propositions du rapport Combrexelle, l’IFO a même suggéré de supprimer l’extension des accords de branche par le ministre du travail, afin de stimuler la concurrence et d’encourager la création d’emplois.
Les petites entreprises nous le confirment : elles ont besoin de plus de marges de manœuvre. Elles souhaitent notamment pouvoir conclure des accords d’entreprise, même en l’absence des délégués syndicaux : c’est la deuxième priorité mise en avant par les chefs d’entreprise que nous avons rencontrés sur le terrain, quand nous les avons sondés au printemps 2016 sur les réformes à mener en matière de droit du travail.
C’est pour prendre en compte la situation des plus petites entreprises que nous avons adopté un amendement lors de l’examen du projet de loi Travail au Sénat, lequel rend obligatoire l’adaptation des accords de branche pour les entreprises de moins de cinquante salariés.
Je le répète, il faut favoriser la prise en compte des contraintes des petites entreprises, quels que soient leur activité et leur secteur territorial.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, sur l'article.
M. Jean-Louis Tourenne. Comme vient de le dire Laurence Cohen, l’article 4 n’est pas seulement technique, malgré les apparences. Pour citer l’un des écrivains les mieux classés au hit-parade de cette assemblée, et qui sert d’étalon en matière d’oxymore, je veux parler de Victor Hugo, c’est véritablement d’une « obscure clarté » ! (Rires.)
Les troisième, quatrième et cinquième alinéas ne me semblent pas poser de problème majeur.
Le quatrième alinéa tire les conséquences des nouvelles dispositions en matière de représentation patronale à la suite de la loi de 2008 et du regroupement d’organisations dans l'U2P, l’Union des entreprises de proximité.
Le cinquième alinéa se situe dans la même perspective quant au fonctionnement et au financement du fonds paritaire. Il appartient aux organisations représentatives de régler ces questions.
Le troisième alinéa traite de l’élargissement d’un accord collectif, procédure qui permet au ministre du travail de rendre obligatoires, dans un secteur géographique ou professionnel qui n’a pas conclu un accord de branche depuis au moins cinq ans, les stipulations d’une convention de branche déjà étendue dans un secteur analogue. Cette disposition est en rapport avec le regroupement et la réorganisation des branches qui sont en cours. Elle est intéressante pour les petites entreprises qui pourront ainsi être couvertes par un accord.
En revanche, l’alinéa 2 vise à améliorer et sécuriser juridiquement l’extension des accords collectifs en précisant les conditions dans lesquelles les organisations représentatives d’employeurs peuvent s’y opposer et en réaffirmant les pouvoirs du ministre, ce qui concrètement pose question.
C’est la loi du 5 mars 2014 qui, en fixant les règles de représentativité des organisations patronales, a créé un mécanisme d’opposition à l’extension d’un accord de branche sur leur initiative. Dans ces conditions, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer ce que vous entendez exactement par « améliorer et sécuriser juridiquement le dispositif d’extension », ainsi que vos pouvoirs en la matière ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 57 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 84 rectifié est présenté par Mmes Yonnet, Lienemann et Jourda, M. Labazée, Mme Monier et M. Manable.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Dominique Watrin, pour présenter l'amendement n° 57.
M. Dominique Watrin. Quel est l’objet de cet article 4 ? Il organise tout simplement la suppression du principe d’extension, c’est-à-dire la possibilité d’étendre le bénéfice d’un accord collectif à l’ensemble d’une branche professionnelle.
C’est pourtant grâce à ce principe que les salariés français sont parmi les salariés européens les mieux couverts au niveau de la branche. C’est aussi ce principe qui sert à lutter contre le dumping social puisque, quelle que soit l’entreprise dans laquelle il est employé, un travailleur de la métallurgie sera protégé à un niveau équivalent. Il n’y aura donc pas de course à l’abaissement des conditions de travail dans ce secteur d’activité. C’est cet acquis du Front populaire qui a contribué à l’uniformisation actuelle des conditions sociales des travailleurs d’une même branche.
Par ailleurs, et en totale contradiction avec ce que j’évoquais précédemment, l’article prévoit la possibilité d’une extension extra-branche. En résumé, une entreprise ne serait plus obligée d’appliquer l’accord de sa branche et pourrait appliquer l’accord d’une autre branche. On autorise ainsi les entreprises à appliquer les accords qui penchent vers le moins-disant. Une entreprise de la métallurgie qui n’arriverait pas à signer d’accord de baisse des rémunérations pourrait appliquer l’accord de la branche Syntec, qui couvre les sous-traitants avec un niveau de protection plus faible.
Cet article nous paraît dangereux, raison pour laquelle nous proposons de le supprimer.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour présenter l'amendement n° 84 rectifié.
Mme Évelyne Yonnet. Mon amendement vise à supprimer l’article 4, qui prévoit de limiter l’extension des accords collectifs au sein de l’entreprise.
En effet, il est de mon avis qu’une telle mesure contraindra et musellera le dialogue social au sein des entreprises. L’adoption de ces réformes en procédure accélérée et par ordonnances ne me semble pas judicieuse si l’on souhaite réellement renforcer le dialogue social.
Alors que la majorité des effets de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ne sont pas encore évalués, il paraît peu opportun de modifier les règles qui exonéreraient certaines entreprises d’accords collectifs ou de conventions collectives.
Madame la ministre, votre volonté d’introduire davantage de souplesse dans le code du travail et davantage de libéralisme sur le marché du travail risquerait d’amplifier le dumping social à l’intérieur de notre territoire. Nos économies ont déjà suffisamment souffert et continuent suffisamment de souffrir de la concurrence déloyale en partie causée par les exigences de la mondialisation pour que, nous représentants de la Nation, n’amplifiions pas nous-mêmes ce phénomène !
Je tiens par ailleurs à rappeler la position émise fin mai par la Commission européenne : celle-ci ne plaide pas pour que la France mène plus loin la réforme du code du travail. Elle ne recommande pas non plus une libéralisation du marché du travail par la refonte du code du travail. Nul besoin donc d’aller plus loin en détricotant encore davantage les relations sociales ! Le silence de Bruxelles, qui ne s’oppose pas au projet présidentiel, sous-entend que ce projet de loi n’apportera rien à la croissance de la France ni à la compétitivité des entreprises tricolores.
Dans cette mesure, je ne peux que demander la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Les auteurs des amendements nos 57 et 84 rectifié ont manifestement mal interprété cet article 4. En effet, celui-ci ne permet en aucun cas à une entreprise de s’émanciper d’une convention de branche étendue et n’a absolument pas pour effet de favoriser le dumping social.
La commission est donc défavorable à ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à ces amendements.
En effet, il n’est pas question de supprimer les obligations en vigueur dans le cadre d’accords étendus. En revanche, je conçois parfaitement que la rédaction de l’article puisse paraître un peu complexe, dans la mesure où l’on traite de quatre sujets différents.
Je vais revenir un instant sur ces différentes dispositions pour examiner en toute clarté de quoi nous parlons, ce qui était d’ailleurs un peu le sens de votre question, monsieur Tourenne.
S’agissant du 1° de l’article, le Gouvernement souhaite codifier la jurisprudence du Conseil d’État pour préciser les pouvoirs du ministre du travail en matière d’extension. Le Conseil d’État autorise et même impose dans certains cas au ministère de prendre en compte une atteinte excessive à la concurrence et à l’intérêt des tierces parties à l’accord. Par exemple, dans le secteur de l’assainissement et de l’eau, un arrêté d’extension a été annulé sur ce motif.
Il s’agit ici de faire respecter les règles de la concurrence entre entreprises et les conséquences de certains avis d’extension. Comme nous le demande le Conseil d’État, nous souhaitons renforcer la prise en compte des besoins des petites entreprises, fil rouge de cette réforme, et de l’impact des accords de branche étendus en termes d’emplois.
Pour ce faire, nous pensons qu’il ne faut pas s’en tenir à l’appréciation du ministre. Nous allons donc regarder comment le ministre du travail, c’est-à-dire moi ou mes successeurs, pourra recourir à des avis d’experts pour prendre des décisions pertinentes et éclairées, tenant compte des besoins des petites entreprises, de l’impact en matière d’emploi et de l’intérêt de l’extension.
Il faut mesurer les conséquences de ces extensions et mettre en place un véritable processus qui permette de les mesurer de façon équilibrée et réaliste. Encore une fois, l’intérêt de ces extensions peut être assez différent d’un secteur d’activité à l’autre, car la situation est tout à fait différente selon les secteurs, que ce soit en matière de concurrence ou dans les rapports qu’entretiennent petites et grandes entreprises entre elles.
Le 2° vise à permettre l’élargissement partiel, à l’image de ce que nous venons de discuter, par exemple, sur les forfaits jours. Aujourd'hui, l’élargissement est total ou inexistant. Or de mon point de vue, cela peut faire sens qu’il soit partiel et ne concerne qu’un thème donné.
Le 3° porte sur la clarification et la redéfinition des secteurs relevant du niveau national et multi-professionnel. Ces évolutions sont absolument nécessaires dans la mesure où depuis le regroupement de plusieurs représentations patronales pour former l’U2P les professions libérales relèvent dorénavant de l’interprofessionnel.
Le 4°, enfin, vise à adapter les modalités de fonctionnement du fonds pour le financement du dialogue social, dont l’AGFPN, l’association de gestion du fonds paritaire national, a la charge.
Des discussions ont récemment eu lieu au sein du conseil d’administration de cette structure. Celle-ci nous demande un certain nombre d’évolutions pour éviter certaines procédures qui, à l’expérience, se révèlent relativement lourdes et complexes, sans apporter aucune valeur ajoutée aux entreprises et aux salariés. Cet alinéa a donc pour objet de répondre à la demande paritaire émanant de l’AGFPN, pour un meilleur fonctionnement du dispositif.
Tel est le contenu de cet article 4, mesdames, messieurs les sénateurs. Cela fait beaucoup, je le conçois, et j’espère que mes explications ont été suffisamment claires pour que vous puissiez, en toute connaissance de cause, rejeter ces amendements et adopter l’article.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. J’avoue ne pas avoir toujours saisi la différence, du point de vue administratif, entre extension et élargissement : dans un dictionnaire, les deux termes ne seraient pas loin d’avoir la même signification… En tout cas, vous venez de m’éclairer sur la question, madame la ministre.
En revanche, j’observe tout de même une particularité française : alors que nous comptons 4 % de représentants syndicaux – un niveau tout de même très faible, surtout lorsqu’on le compare au niveau européen –, notre couverture conventionnelle atteint 100 % ! Comment tout cela s’articule-t-il ?
Du fait d’une extension administrative, je l’ai bien compris, toutes les entreprises de la branche peuvent être concernées par un accord conventionnel. Mais, très souvent, les accords de branche sont négociés avec les représentants des grandes entreprises, et non avec ceux des petites entreprises. Nous en avons parlé toute la journée d’hier, ainsi que celle d’avant-hier.
Ces petites entreprises, qui n’ont pas été représentées durant la négociation, peuvent connaître des situations économiques très différentes de celles des grandes entreprises.
M. Jean Desessard. Vous auriez pu le dire voilà un an et demi !
Mme Nicole Bricq. Il faut se plonger dans tous ces éléments pour bien comprendre les options retenues par le Gouvernement !
M. Savary a évoqué, ce matin, je crois, les entreprises en croissance. Appliquer, à ces entreprises qui doivent avoir toute capacité à se développer, un accord de branche négocié sans elles et ne correspondant pas du tout, par définition, à leurs besoins de développement économique, c’est leur faire entrave !
Je comprends donc que le Gouvernement veuille regarder de près cette question, à laquelle, d’ailleurs, l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, a consacré un rapport.
Il est souhaitable, avant de procéder à une extension d’origine administrative, de pouvoir en mesurer, de manière indépendante, les coûts et les avantages pour arbitrer en bonne et due forme, mais aussi d’apprécier la représentativité des organisations, notamment patronales, ayant participé aux négociations, afin de s’assurer que toutes les entreprises ont bien été représentées.
De telles dispositions favoriseront les petites entreprises, particulièrement celles qui naissent et ont des difficultés à grandir dans notre pays.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Évelyne Yonnet. Je vous remercie de vos réponses, madame la ministre. Cependant elles sont d’une grande technicité, et je ne parviens pas à les analyser sur un plan politique.
Si j’ai bien compris, cet article tendrait à instaurer une sorte de tutelle de l’État à l’égard des petites entreprises, puisque celui-ci déciderait des seuils d’effectifs ou encore des branches susceptibles de se rapprocher. (Mme la ministre proteste.)
Madame la ministre, avec tout le respect que je vous porte, permettez-moi de dire que vous nous donnez des réponses techniques, qui sont de votre niveau, mais qui, pour ma part, ne m’éclairent absolument pas !
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Soutenant la ministre dans son projet, je ne voterai pas ces amendements de suppression.
Il faut permettre aux entreprises de s’opposer à l’extension d’un accord, si elles ne souhaitent pas être soumises à celui-ci.
Le périmètre de la branche peut être utile, mais uniquement à la condition que les entreprises adhèrent pleinement aux conventions qui y sont négociées. Le seul périmètre à prendre en compte doit être celui des entreprises. C’est à cet échelon que tout se joue.
La philosophie des habilitations que nous examinons est bien de donner plus de liberté aux entreprises, à travers les définitions des règles qui leur sont applicables.
C’est pourquoi je soutiens pleinement l’article 4.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les remarques du président-rapporteur, ainsi que l’intervention de Mme la ministre sur ces amendements de suppression de l’article 4.
On peut comprendre les interrogations de ceux de nos collègues qui les ont cosignés. Tout comme les autres articles de ce projet de loi, l’article 4 est complexe. Certains ont évoqué sa technicité.
Les interventions de nos collègues de la délégation sénatoriale aux entreprises, Mme Lamure, sa présidente, et Mme Primas, ont elles aussi étaient éclairantes.
Dans nos départements, nous rencontrons régulièrement des chefs d’entreprise, notamment de petites entreprises, dont les attentes sont légitimes.
À un moment donné, il faut faire confiance aux pouvoirs publics, ce qui n’empêche pas d’être vigilants.
J’irai pour ma part dans le sens de l’avis de la commission des affaires sociales.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je voterai les amendements de suppression pour une raison simple.
Hier, nous avons eu un débat sur l’importance que revêt en France l’extension des conventions collectives. Ce mécanisme garantit qu’une convention collective, une fois signée, bénéficie à tous les salariés de la branche, contrairement à ce qui se produit dans certains pays, où seuls les signataires d’un accord en bénéficient.
Réduire le champ de l’extension des conventions collectives présente un grand risque.
Le principe, déjà, c’est de réduire ce qui relève de l’ordre public social, c'est-à-dire de la loi, en sollicitant davantage les branches, mais aussi les entreprises. Si ayant réduit la part de la loi, on limite maintenant la capacité d’extension des conventions collectives, on favorise l’individualisation, par entreprise, secteur ou sous-branche, du droit.
M. Jean Desessard. Évidemment !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Comme je l’expliquais, la crise de l’égalité est un phénomène fondamental dans notre pays.
M. Jean Desessard. Oui !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. On vient nous expliquer que les branches ne sont pas toujours compétentes pour négocier, qu’elles pourraient ne pas tenir compte des petites entreprises dans leurs négociations et que l’on saurait mieux qu’elles comment prendre en considération les besoins des petites, comme des grandes entreprises.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous nous parlez de confiance, madame la ministre. Faites confiance aux branches : une fois que les négociations ont abouti, confiance et extension de la convention collective !
M. Jean Desessard. Bien sûr !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous avez, me semble-t-il, la confiance à géométrie variable !
Vous optez pour l’hyper fragmentation afin de permettre aux entreprises de jouer de la différenciation. À terme, cela comporte des risques de dumping social. Il ne faut surtout pas réduire le champ et les mécanismes d’extension des conventions collectives !
Derrière la technicité, on camoufle une orientation de plus en plus forte vers un droit social à la carte !
Ce n’est ni le projet porté par la République ni conforme à l’histoire de notre modèle social, qui n’a en rien été un handicap pour le développement de notre pays. Le « déclinisme », cela commence à bien faire ! Nous sommes tout de même la cinquième puissance économique du monde. Nous ne sommes pas au bord du gouffre. Certes, il y a des problèmes, mais ce n’est pas en choisissant la régression sociale que nous les résoudrons !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je reprends la parole, car, manifestement, je n’ai pas été suffisamment claire dans ma tentative de pédagogie.
Le principe de l’extension est le suivant : depuis 1936, le ministre du travail, après consultation de la Commission nationale de la négociation collective, la CNNC, a le pouvoir d’étendre ou pas – il ne le fait pas toujours – un accord de branche à l’ensemble des entreprises du champ concerné, qu’elles soient ou non adhérentes. En France, la question de l’adhésion ne se pose pas.
Le Gouvernement n’a aucune intention d’accroître son contrôle sur un dispositif qui, depuis 1936, est déjà aux mains du ministre. Mais nous considérons avec attention ce que dit le Conseil d’État, lequel a déjà rejeté certains arrêtés ministériels au motif que l’accord était étendu de manière automatique, sans considération d’une éventuelle atteinte excessive à la concurrence et de l’intérêt des parties à l’accord. Il s’interrogeait donc sur les impacts de l’extension.
Notre souhait est de renforcer le processus, tout en continuant, bien évidemment, à consulter les partenaires sociaux dans le cadre de la CNNC.
Par ailleurs, cela a été évoqué, nous allons demander de plus en plus aux branches de prendre en compte la situation des PME et des TPE. Tout cela va dans le même sens !
En attendant que l’ensemble de ce mécanisme soit parfaitement huilé, il importe d’écouter le Conseil d’État, faute de quoi celui-ci risque, de toute façon, de casser un certain nombre d’arrêtés ministériels, considérant que l’atteinte excessive à la concurrence, évoquée sur certaines travées de l’hémicycle, n’a pas été prise en compte.
En procédant de la sorte, nous pourrons continuer à consulter les partenaires sociaux, tout en recueillant l’avis d’experts – avis qui intéresseront les partenaires sociaux eux-mêmes – sur les conséquences d’un éventuel arrêté d’extension du ministre.
Tout cela interviendra en amont de la décision, qui sera prise dans les mêmes conditions que par le passé, c'est-à-dire après avis de la CNNC.
Nous devons veiller à tenir compte des conséquences éventuelles d’une extension au regard de la concurrence, de l’emploi ou de la situation des TPE et PME. C’est un devoir, dirai-je, de transparence, de pédagogie et d’enrichissement d’une décision publique vieille de plusieurs décennies et que nous ne remettons pas en cause.
Il faut éclairer et la CNNC, et le ministre chargé de prendre la décision, sur les conséquences de cette dernière. C’est ce que demande le Conseil d’État, et ce que nous proposons.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En quoi y a-t-il besoin d’une loi ?
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. J’interviendrai en complément de Mme Marie-Noëlle Lienemann, que j’ai parfaitement comprise ! Tout cela peut en effet aboutir à une individualisation du droit et au renforcement des entreprises au détriment des branches.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En même temps !...
M. Jean Desessard. Madame la ministre, vous êtes très forte !
Personne ne voyait Emmanuel Macron gagner l’élection présidentielle. Puis personne n’a vu venir les ministres du nouveau gouvernement non plus que les plus de 300 députés d’En Marche à l’Assemblée nationale, dont certains n’étaient d’ailleurs visiblement pas préparés à leurs nouvelles fonctions. Cela étant, nous ne nous attendions pas non plus à leur élection !
Tout cela arrive très vite, et pourtant vous avancez un programme hypercostaud jusque dans les détails. Je me pose la question : d’où vient ce programme ?
Et d’où vient cette expérience ? Ce n’est pas l’expérience syndicale… Peut-être l’expérience de DRH ? Le niveau d’empathie n’est en tout cas manifestement pas le même envers les cadres et envers les salariés qui souffrent le plus !
On va me dire que le projet était dans les cartons du ministère du travail… Je croyais pourtant que tout était réglé avec la loi El Khomri, mais, visiblement, non !
Nos collègues de la majorité sénatoriale n’hésitent d’ailleurs pas à en rajouter. C’est le Toujours plus ! de François de Closets. Mais, qu’ils cherchent à grignoter davantage est de toute façon une constante et eux au moins avaient un programme, même si François Fillon a été empêché de le porter jusqu’au bout…
Mais d’où les gens autour d’Emmanuel Macron tirent-ils leur programme ? En plus, ils procèdent à toute vitesse par ordonnances. Il faut croire que ça urgeait !
Jusqu’à présent, on a débattu de choses dont on pouvait dire que c’était le programme présidentiel, mais pas là, madame la ministre ! Comme vous l’avez dit, vous avez la main sur les extensions et donc le temps de réfléchir. Qu’avez-vous besoin de prévoir de passer par une ordonnance maintenant ?
Si vous agissez de la sorte, c’est qu’il y a un loup, et ce loup, Mme Marie-Noëlle Lienemann l’a débusqué tout à l’heure ! (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 57 et 84 rectifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 138 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 258 |
Pour l’adoption | 28 |
Contre | 230 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 225, présenté par MM. Vanlerenberghe et Cadic, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
de droit privé
par les mots :
mentionnés à l'article L. 2211–1 du code du travail
La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Cet amendement – rédactionnel ou de précision, selon les observateurs – reprend une proposition que nous avons déjà avancée aux trois précédents articles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement, tout comme l’amendement n° 199 présenté à l’article 2, est plus que rédactionnel, et M. Olivier Cadic le sait. (Sourires.)
L’extension du champ de l’article 4 aux établissements publics à caractère industriel et commercial ainsi qu’aux établissements publics à caractère administratif se justifie moins que dans le cas de l’amendement n° 199 précité. Nous traitons effectivement ici de l’extension et de l’élargissement des accords de branche, ou encore de la représentativité nationale et multi-professionnelle, qui ne concernent pas directement ces établissements.
Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Nous devons être cohérents. Sur plusieurs points, nous avons décidé que tous les salariés de droit privé seraient couverts par l’ensemble des dispositifs que nous votons. On me confirme de plus qu’il s’agit bien d’une simple précision.
En ce sens, mon avis sera favorable.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. La proposition ayant déjà été adoptée trois fois, nous pouvons parler d’un amendement de cohérence. Je le maintiens et demande à mes collègues de bien vouloir le soutenir.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 225.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.) - (M. Olivier Cadic applaudit.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Article 5
(Non modifié)
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi pour :
1° Modifier, à des fins de simplification, de sécurisation juridique et de prévention, les règles de prise en compte de la pénibilité au travail, en adaptant les facteurs de risques professionnels mentionnés à l’article L. 4161-1 du code du travail, les obligations de déclaration de ceux-ci, les conditions d’appréciation de l’exposition à certains de ces facteurs, les modes de prévention, les modalités de compensation de la pénibilité ainsi que les modalités de financement des dispositifs correspondants ;
2° Modifier la législation applicable en matière de détachement des travailleurs, en l’adaptant aux spécificités et contraintes de certaines catégories de travailleurs transfrontaliers, notamment en ce qui concerne les obligations incombant aux employeurs.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l'article.
M. Roland Courteau. Je considère que la philosophie même du compte pénibilité risque d'être profondément modifiée par cet article. En effet, pour quatre des dix critères, c’est un retour en arrière, avec une vision médicalisée a posteriori et restrictive de la pénibilité, bref le contraire d’une politique de prévention pour des personnes qui manipulent des charges lourdes, subissent des postures pénibles, des vibrations mécaniques, ou sont exposées à des risques chimiques.
On nous dit que c’est l’expertise médicale qui décidera si elles doivent rester à leur poste. Or obtenir la reconnaissance d’un taux d’incapacité de 10 % s’assimile souvent à un parcours du combattant.
Quant aux autres, elles partiront en bonne santé à la retraite – du moins le croient-elles –, mais elles seront rattrapées quelque temps plus tard par le déclenchement d’une maladie.
Donc, pas de prévention et pas davantage de réparation : c’est la double peine pour certains travailleurs qui ont le nombre d’années d’incapacité le plus élevé et l’espérance de vie la plus courte.
Revenir sur ces critères, c’est aller à l’encontre d’un principe de justice et de lutte contre les inégalités. Car, rappelons-le, les inégalités de santé se constituent principalement dans le monde professionnel.
Vous proposez même de modifier l’intitulé de la réforme en effaçant le mot « pénibilité », ce qui pourrait signifier : « Cachez donc ces conditions de travail que nous ne saurions voir ! »
M. Martial Bourquin. Très bien !
M. Roland Courteau. Il semblerait que certains considèrent que l’emploi du mot « pénibilité » induit que le travail serait une souffrance. Bien sûr qu’il l’est, pour des centaines de milliers de Français, et c’est ignorer bien des choses que d’ignorer cela ! En effet, le nombre des maladies professionnelles augmente de 4 % par an. Que l’espérance de vie d’une ouvrière ou d’un ouvrier soit inférieure de six années à celle d’un cadre, est-ce un signe de bien-être au travail ou est-ce un signe de pénibilité ? S’il vous plaît, nommons les choses telles qu’elles sont, sans occulter de tristes réalités ! Le psychanalyste Jacques Lacan avait raison d'écrire que ce qui n’est pas nommé n’existe pas. Nommons ces choses-là, car elles existent, et n’en ayons pas honte ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, sur l'article.
Mme Évelyne Yonnet. Madame la ministre, cet article traite du compte pénibilité, que vous souhaitez supprimer pour lui substituer un compte professionnel de prévention.
Sous prétexte de simplification pour les entreprises, vous poursuivez le recul des droits acquis engagé durant le précédent quinquennat.
Madame la ministre, pensez-vous qu’il n’a pas été difficile de mettre en place la loi de 1936 ? Le législateur de l’époque n’est pas, pour autant, revenu dessus l’année suivante en n’accordant plus qu’une seule semaine de congés, sous réserve d’un état de fatigue avancé !
Vous envisagez de supprimer quatre des dix critères prévus : la manutention des charges lourdes, l’exposition à des postures pénibles, à des vibrations mécaniques ou à des risques chimiques. Pis, vous changez le principe même du dispositif initial pour les six critères restants. Vous préférez guérir plutôt que prévenir ! Non, vous préférez accorder des soins palliatifs plutôt que de prévenir, tout en sachant que des maladies chroniques se déclareront !
Le principe retenu partait d’un constat simple : l’état de santé de nombreux salariés, qui souvent occupent des emplois peu qualifiés, est plus dégradé que celui des autres en raison de leur travail, quand leur espérance de vie n’est pas plus courte. Il s’agissait donc de rattraper un déséquilibre face à la vie, souvent lié au milieu social dont est issu le salarié. Pourquoi un ouvrier qui vit en moyenne moins longtemps qu’un dirigeant de grande entreprise ne pourrait-il pas partir plus tôt à la retraite, d’autant qu’il ne bénéficiera ni du même montant de ressources ni du même état de santé pour en profiter ?
Je ne veux pas, mes chers collègues, faire ici l’apologie de la lutte des classes. Néanmoins, les études sur les inégalités à la naissance et les chiffres sont têtus.
Par ailleurs, vous changez radicalement le mode de financement : plus de cotisations patronales, tout à la charge de la branche accidents du travail-maladies professionnelles ! Ne pouviez-vous pas, par exemple, répartir le coût par moitié entre celle-ci et celles-là ? Après tout, ce sont bien les conditions de travail qui créent ces maladies. Pourquoi, dès lors, cesser de faire contribuer les cotisations patronales au financement ?
Ne subsiste, dans votre projet de réforme, ni le fond ni la forme du compte pénibilité, qui n’était qu’un simple dispositif d’équité pour les salariés dont l’espérance de vie est plus courte et dont les conditions de retraite sont moins bonnes que celles des autres, que les nôtres, mes chers collègues. Cette réforme marque un nouveau recul pour les salariés, et un gain, en revanche, non pas pour les petits patrons qui se préoccupent de leurs salariés, mais pour les grandes entreprises et leurs dirigeants.
Mes chers collègues, ce texte manque vraiment d’équilibre. Pourquoi finalement ne pas l’appeler « projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances des mesures déstructurant le dialogue social » ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l'article.
M. Dominique Watrin. Le groupe CRC, en ce qui le concerne, n’a jamais été « fan » du compte pénibilité. Je vous rappelle, chers collègues de gauche comme de droite, qu’il a été inscrit dans la loi sur les retraites de 2013 comme une contrepartie d’un nouveau recul de l’âge du départ à la retraite.
MM. Roland Courteau et Jean Desessard. Exactement !
M. Dominique Watrin. Ce n’est donc pas un progrès social, mais un moindre mal, le salarié cumulant le maximum de points pouvant au mieux ne pas être pénalisé par la contre-réforme de 2013. On est très loin de satisfaire la revendication légitime du départ à la retraite à 55 ans pour ceux qui exercent un métier pénible.
Mais revenons-en aux ordonnances.
De toute évidence, le Président de la République et le Gouvernement cèdent au MEDEF et aux organisations patronales, qui n’ont eu de cesse de décrier ce compte pénibilité. La mise en œuvre de celui-ci est sans doute complexe, s’agissant de la prise en compte de certains facteurs de pénibilité, mais – c’était son atout principal – il devait favoriser la prévention plutôt que la réparation. Il a suffi, là encore, que le patronat crie « au loup ! » pour que l’exécutif cède !
Concrètement, quelles seront les conséquences de cette réforme pour les 800 000 salariés qui ont bénéficié du compte pénibilité en 2016 et pour les 18 000 salariés qui, selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse, auraient dû bénéficier d’un départ anticipé en 2018 ? La régression qui se profile nous paraît tout à fait malvenue quand on sait que 48 % des ouvriers sont exposés à un facteur de pénibilité et qu’un salarié sur huit, selon l’Agence nationale de santé publique, est exposé à un facteur cancérigène.
Enfin, le nouveau dispositif sera financé dans le cadre de la branche AT-MP – dont les ressources proviennent certes des seules cotisations des employeurs –, au détriment de ses excédents financiers actuels, qui auraient pu être utilisés, par exemple, pour ouvrir une voie complémentaire à la retraite anticipée pour les victimes de l’amiante. En définitive, les entreprises seront exonérées des deux taxes – d’un montant pourtant modeste – qui étaient prévues !
Je conclurai d’un seul mot : lamentable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, sur l'article.
M. Jean Desessard. L’article 5 du projet de loi prévoit de confier le soin au Gouvernement de « simplifier » et de « sécuriser juridiquement » – le mot « sécuriser » revient souvent – les nouvelles dispositions du code du travail relatives à la pénibilité.
Le Gouvernement invoque la difficulté, pour les chefs de petites et moyennes entreprises, à faire face à ces nouvelles obligations, qui ne sont pas exemptes, il est vrai, d’une certaine lourdeur administrative.
Qu’il faille entendre les difficultés de ces chefs d’entreprise, c’est une évidence. Mais, plutôt que d’imaginer un accompagnement par la puissance publique, le Gouvernement nous demande de l’autoriser à simplifier le compte pénibilité, mis en place sous le quinquennat précédent.
Dès lors, au regard des éléments à notre disposition, l’inquiétude est de mise. Le 29 mars dernier, le candidat Macron déclarait devant le MEDEF qu’il n’aimait pas le terme « pénibilité »…
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jean Desessard. … et qu’il entendait le supprimer, car il « induit que le travail est une douleur », ajoutant que « le mot “pénibilité” ne correspond pas à ce dont nous avons besoin, parce que le travail c’est l’émancipation, c’est ce qui vous donne une place dans la société ».
Le 8 juillet, en parfait accord avec cette déclaration, le Premier ministre a précisé la volonté présidentielle : exit le compte personnel de prévention de la pénibilité, bienvenue au compte professionnel de prévention.
On sait l’attachement du Président de la République aux symboles, mais, en l’occurrence, le changement n’est pas que sémantique…
Ainsi, quatre des dix critères de pénibilité, ceux qui déplaisaient le plus au patronat, seront modifiés et ne seront plus pris en considération au titre du compte à points : la manutention de charges lourdes, l’exposition à des postures pénibles, à des vibrations mécaniques, à des risques chimiques.
Les salariés exposés à ces risques-là pourront encore bénéficier d’un départ anticipé à la retraite seulement quand « une maladie professionnelle a été reconnue » et quand « le taux d’incapacité permanente excède 10 % », précise la lettre du Premier ministre.
En ces termes, comment accorder confiance au Gouvernement ? Par cette ordonnance, il entend donner pleine et entière satisfaction au MEDEF, sans considération pour la souffrance des 800 000 salariés déclarés au titre du compte personnel de prévention de la pénibilité.
Je rappellerai au Président de la République, qui est féru de philosophie, que le mot « travail » vient du latin tripalium, qui désignait un instrument romain de torture destiné à punir les esclaves rebelles… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) De fait, des années de controverses philosophiques n’ont pas permis de déterminer si le travail était avant tout source d’émancipation ou d’aliénation.
Madame la ministre, je vous conseille d’attendre la fin du quinquennat de M. Macron pour voir si, à l’issue de celui-ci, l’ensemble des salariés se sont émancipés dans leur travail et sont heureux de leurs conditions de travail. Après seulement, nous pourrons discuter de la pénibilité !
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.
M. Yves Daudigny. Notre collègue Nicole Bonnefoy, qui, à son grand regret, ne pouvait être présente parmi nous cet après-midi, aurait souhaité s’exprimer dans les termes suivants :
« L’article 5 prévoit de modifier les règles de prise en compte de la pénibilité au travail dans le sens d’un allégement des obligations de déclaration des expositions à certains facteurs de pénibilité et de compensation, en redéfinissant les conditions d’appréciation de l’exposition.
« Je souhaite m’arrêter sur la question de l’exposition aux risques chimiques, dont la déclaration et la mesure dans le compte pénibilité furent un progrès important du dernier quinquennat.
« Cette avancée devait notamment contribuer à la prévention de ces maladies contractées au travail, qui, nous devons le rappeler, tuent encore régulièrement et ne font que rarement et dans une faible mesure l’objet de reconnaissance en tant que maladies professionnelles.
« Le Premier ministre a indiqué aux organisations syndicales le sens de la réforme voulue : les travailleurs soumis acquerront des “droits à départ anticipé à la retraite” s’ils développent une “maladie professionnelle” ayant été “reconnue” et entraînant un taux d’incapacité permanente supérieur à 10 %.
« Nous allons sortir d’une démarche de prévention pour passer à une logique de réparation. Avec le dispositif ainsi remanié, il ne s’agit pas de réduire l’exposition des travailleurs aux facteurs de pénibilité ; il importe qu’ils soient en mauvaise santé pour pouvoir bénéficier du dispositif…
« S’agissant des cancers professionnels, et plus généralement des “risques invisibles”, dont la matérialité n’est établie que lorsque s’en manifestent les effets, le problème essentiel réside dans le temps de latence entre l’exposition et l’apparition de la pathologie, laquelle survient souvent après la retraite : le dispositif risque donc d’être peu opérant et extrêmement injuste.
« Il risque en outre d’entretenir la faible connaissance des effets sanitaires et environnementaux de l’extrême contamination chimique dans l’activité au travail, laquelle contribue essentiellement à l’insuffisante protection des travailleurs et citoyens contre les risques chimiques.
« Le suivi lacunaire de l’exposition rend régulièrement impossible la détermination des causalités et des responsabilités dans l’empoisonnement. La très récente demande de non-lieu formulée par le parquet dans le volet pénal du dossier de l’amiante, en raison de la présumée impossibilité de dater le début de l’intoxication des victimes, en est un témoignage éloquent.
« Plus fondamentalement, le problème posé est celui de l’inscription dans notre droit de la légitimation de l’exposition en pleine connaissance de cause des travailleurs à des risques connus.
« Plutôt que de poursuivre l’objectif de faire cesser le scandale de l’empoisonnement, parfois mortel, des travailleurs exposés à des agents chimiques sur leur lieu de travail, le Gouvernement privilégie la logique d’une indemnisation censée compenser ce qui ne peut l’être : les atteintes irréversibles à la santé des travailleurs. » (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, sur l'article.
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, je ne saurais mieux m’exprimer que les orateurs du groupe socialiste et républicain qui m’ont précédé. Je passe mon tour et laisserai à Catherine Génisson le soin d’exposer la position de notre groupe dans cette triste affaire.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.
Mme Laurence Cohen. Le compte personnel de prévention de la pénibilité, auquel nous n’étions pas particulièrement favorables, comme l’a rappelé Dominique Watrin, est certes un dispositif difficile à mettre en œuvre, mais il avait le grand mérite de reconnaître la pénibilité de certains travaux et de certains secteurs d’activité et ouvrait ainsi la voie à la responsabilité sociale de l’entreprise. Surtout, il visait à permettre aux salariés d’arriver à la retraite en bonne santé.
Les simplifications annoncées par le Premier ministre pour satisfaire à la demande du patronat vont à l’encontre de ces objectifs, tant dans l’esprit que dans le financement. Elles nuiront, à mon sens, à la bonne performance de l’entreprise.
Ainsi, le projet de loi prévoit d’autoriser le départ à la retraite anticipée des seuls salariés qui auront développé une maladie professionnelle et pour lesquels un taux d’invalidité de 10 % au moins aura été reconnu. Quid de celles et de ceux dont les symptômes apparaissent après leur départ de l’entreprise, comme cela est fréquent dans le secteur de la chimie, pour l’exposition à l’amiante notamment ?
Je rappelle que l’espérance de vie en bonne santé des salariés effectuant des travaux pénibles est plus faible que celle des cadres. Ils ne pourraient partir plus tôt que s’ils sont déjà malades : c’est vraiment inacceptable, tout comme le transfert du financement à la branche AT-MP, qui n’a d’autre motif et n’aura d’autre effet que de déresponsabiliser les employeurs et d’alléger leurs obligations en matière de prévention, plus encore avec la réduction des moyens du CHSCT ou sa dilution dans la délégation unique du personnel, car l’on ne peut pas croire que cela se fera à moyens constants.
Nous sommes loin du plan « santé au travail », qui tend à agir contre les risques professionnels prioritaires et à favoriser la prévention, en tant que levier de la performance des entreprises. Il s’agit d’un retour en arrière inquiétant pour la santé des travailleurs, substituant une logique de réparation à la logique de prévention.
Pourtant, lorsqu’on voit les efforts du patronat pour s’exonérer de toute obligation en matière de protection des salariés, de contentieux et de recours en justice, on est en droit de s’interroger : de quel niveau de compensation ces salariés pourront-ils bénéficier ? Malheureusement, cet article n’apporte aucune réponse.
M. le président. La parole est à Mme Stéphanie Riocreux, sur l’article.
Mme Stéphanie Riocreux. Madame la ministre, je me fais le relais de notre collègue Anne Émery-Dumas, qui a dû nous quitter et qui souhaitait intervenir sur l’article 5, plus particulièrement sur l’alinéa 3 de celui-ci.
Comme l’indique à juste titre l’étude d’impact, en matière de détachement des travailleurs, le contexte est celui d’une augmentation constante du nombre de déclarations de prestations de services réalisées par des entreprises étrangères et des travailleurs détachés.
Nous avons pu constater que la priorité donnée à la lutte contre les fraudes au détachement, avec les moyens offerts tant par les dispositions de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques et de la loi « travail » que par le dispositif opérationnel mis en place au niveau de l’inspection du travail, a permis l’augmentation sensible du nombre des déclarations. C’est donc un dispositif qui fonctionne bien et donne des résultats en matière de lutte contre le travail illégal et la fraude au détachement.
En matière d’encadrement du travail détaché, dont personne ne remet en question le principe, une avancée de la réglementation européenne est nécessaire. Nous nous félicitons que le Président de la République ait donné une impulsion forte à cet égard dès sa première rencontre avec nos partenaires européens.
C’est pourquoi, madame la ministre, la rédaction de l’alinéa 3 nous avait laissés quelque peu perplexes. Même si nous avons bien noté que le Gouvernement a déposé un amendement tendant à expliciter les choses, je souhaiterais que vous nous précisiez la nature des assouplissements que vous envisagez et quels seraient les prestataires frontaliers particulièrement concernés par le dispositif de cet alinéa 3.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, sur l’article.
Mme Catherine Génisson. C’est la loi Fillon sur les retraites qui, pour la première fois, a introduit dans notre législation la notion de pénibilité. À gauche de l’hémicycle, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, nous nous étions alors opposés à la philosophie sous-tendant cette reconnaissance de la pénibilité, dans la mesure où il s’agissait de reconnaître une inaptitude consécutive à une maladie professionnelle.
Nous sommes revenus sur la notion de pénibilité à l’occasion de l’examen de la loi de réforme des retraites de 2013, dont la philosophie était tout autre, puisqu’elle reconnaissait une différence d’espérance de vie – en particulier d’espérance de vie en bonne santé – entre cadres et ouvriers, ainsi que la nécessité fondamentale de prévenir les risques professionnels.
Comme l’a rappelé M. Watrin, le dispositif permettait la reconnaissance de la pénibilité par le biais d’un système de points, le maximum étant 100, et ouvrait trois possibilités aux salariés concernés : accéder à des formations en vue d’exercer un autre métier, moins pénible, travailler à temps partiel, partir à la retraite plus tôt.
Ce qui nous est proposé aujourd’hui nous laisse très perplexes et crée un doute très profond. M. le Président de la République a associé la notion de douleur, de souffrance, à celle de pénibilité. Bien sûr, il existe des métiers pénibles et des façons pénibles d’exercer un métier. Pour ne prendre que l’exemple du secteur sanitaire, le métier d’aide-soignant est pénible, d’autant plus qu’il est exercé par postes et souvent de nuit. Pour autant, la très grande majorité des hommes et –principalement – des femmes qui exercent ce métier le font avec plaisir. Personnellement, j’ai beaucoup travaillé la nuit et je ne suis pas pour autant, que je sache, une mater dolorosa ! Il est donc difficile de parler de douleur. En revanche, il est important de reconnaître la pénibilité de l’exercice de ce métier et de donner la priorité à la prévention.
Ce qui introduit un doute profond dans notre esprit, c’est que le présent projet de loi revient sur quatre des dix critères fixés par la loi que nous avions votée. On en revient à la logique de réparation en cas de maladie professionnelle déclarée de la loi Fillon. C’est inacceptable !
Nous comprenons que la prise en compte de ces quatre critères pose des difficultés, mais la solution proposée ne nous convient pas, d’autant que le nouveau dispositif sera financé par la branche AT-MP, ce qui conforte cette logique de réparation.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Catherine Génisson. Certes, la branche AT-MP est financée par des cotisations patronales, mais il faudrait vraiment que cette disposition ne soit que temporaire, car elle est inacceptable !
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. L’article 5 est très important. Son dispositif est très attendu par les entreprises, qui sont pour l’heure dans l’incapacité d’appliquer les critères de pénibilité.
Les salariés exposés au travail pénible doivent bénéficier de garanties, notamment en matière de départ à la retraite anticipée. Toutefois, il faut que les entreprises puissent appliquer les règles de mesure de la pénibilité ; or certaines d’entre elles sont totalement inapplicables par les TPE-PME.
Bien sûr, il ne faut pas abroger ce compte pénibilité, mais le simplifier et le rendre applicable. Les critères relatifs au travail en milieu hyperbare, de nuit, répétitif, en équipes successives, par alternance, avec exposition aux bruits, à des températures extrêmes sont clairement applicables. En revanche, il faut simplifier, quantifier et préciser les critères en matière de postures pénibles, d’exposition aux vibrations mécaniques, de manutention de charges lourdes, de risques chimiques ; ils sont inapplicables en l’état par les entreprises.
Aux termes de l’alinéa 2, la prévention de la pénibilité sera prise en compte dans le cadre d’accords collectifs, ainsi que les modalités de déclaration et de compensation par les entreprises.
Je le répète, cet article est très important, car il permettra aux entreprises d’appliquer la loi, au profit des travailleurs.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l'article.
M. Didier Guillaume. Le compte pénibilité est une grande avancée mise en place par la précédente majorité. Certains ont tendance à rejeter ce qui a été fait, mais, en ce qui me concerne, je suis fier d’avoir soutenu la loi El Khomri que le compte pénibilité y ait été intégré.
Votre texte, madame la ministre, conserve six critères de pénibilité, ce qui nous convient, et en supprime quatre. Certes, ces derniers, tout le monde le sait, étaient inapplicables, aussi bien pour les entreprises que pour les salariés. Cependant, comme vient de le dire Mme Génisson, ce que vous proposez ne nous convient pas totalement. J’ai conscience qu’il peut s’agir d’une solution transitoire, mais il faudra chercher comment améliorer le dispositif pour ces quatre critères. La réparation ne doit pas être la seule dimension de la prise en compte de la pénibilité. Il faut tenir compte en amont de ce que vivent réellement les femmes et les hommes exposés à ces quatre critères.
Toutefois, je comprends que vous ayez voulu écarter ces quatre critères, dont chacun reconnaît qu’ils étaient inapplicables. Il ne sert à rien de s’enfermer dans une posture dogmatique. En revanche, à un moment ou à un autre, il faudra aller plus loin pour redonner une portée concrète ces critères, au bénéfice des salariés, dans une logique de prévention et non de réparation.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, sur l'article.
M. Martial Bourquin. Le CHSCT est le meilleur endroit pour faire de la prévention. Dans Le Monde, voilà quelques jours, le fondateur de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, M. Desriaux, déclarait que la suppression des critères de la manutention lourde, des postures pénibles, de l’exposition aux vibrations mécaniques et, surtout, aux agents chimiques, constituait un recul terrible. Rappelons que 2,5 millions de salariés sont exposés à une substance cancérigène.
La prévention est essentielle, mais il faudra aussi réparer, parce que des salariés sont devenus handicapés du fait de leur exposition à des facteurs de pénibilité. Ils devront donc pouvoir partir à la retraite plus tôt. Si nous supprimons les quatre critères en question, on va inévitablement laisser des milliers de personnes sur le bord de la route.
En rédigeant les ordonnances, madame la ministre, vous ne pourrez pas aller au bout de votre projet. M. Macron a tort : la pénibilité existe. Dans ma mairie, j’ai supprimé les brosses électriques, parce que leurs utilisateurs avaient de graves problèmes à l’épaule ; certains ont dû être opérés. Les carreleurs qui ont les genoux cassés à la cinquantaine peuvent eux aussi témoigner que la pénibilité, cela existe !
Faites attention, madame la ministre ! Tout à l’heure, nous avons évoqué la facilitation des licenciements. Un simple formulaire CERFA suffira. En revanche, pour saisir les prud’hommes, il faudra remplir un document de sept pages ! Et maintenant, le compte pénibilité : où cela va-t-il nous mener ? Les salariés les plus humbles vont encore une fois « déguster »…
Madame la ministre, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Conservez le compte pénibilité ! C’est l’honneur de l’Assemblée nationale et du Sénat de l’avoir mis en place. Peut-être faut-il le simplifier, mais gardons-le, avec l’ensemble des critères, car ils concernent des personnes devenues handicapées du fait de conditions de travail difficiles. (MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Louis Tourenne applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. On tire prétexte du fait que quatre critères difficilement applicables pour remettre en cause une logique. Mais c’est la logique qui importe le plus ! Le reste, on peut le régler, le préciser par la concertation.
Qui a demandé le retrait de ces quatre critères ? Des salariés ou des syndicats de salariés ? Non ! Cette demande émane encore du patronat.
Comme Catherine Génisson l’a parfaitement résumé, on ne peut pas, au motif que le dispositif est difficile à appliquer, changer la logique qui le sous-tend. Celle-ci revêt une importance fondamentale pour les travailleurs. L’objectif du compte de prévention de la pénibilité mis en place sous la gauche, qui rompt avec la logique d’individualisation et de réparation précédemment en vigueur, est qu’ils puissent vivre en bonne santé le plus longtemps possible. Dans cette perspective, la prévention est essentielle : il faut permettre aux salariés concernés de partir plus tôt à la retraite, de changer de métier…
Par conséquent, madame la ministre, voyez comment rendre ces quatre critères applicables, plutôt que de préconiser un changement complet de logique qui reviendrait sur un progrès ayant permis de rompre avec une situation absolument insupportable.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 58 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 216 rectifié ter est présenté par MM. Assouline et Durain, Mme Jourda, MM. Labazée et Cabanel, Mmes Monier et Blondin, MM. M. Bourquin et Montaugé et Mme Lepage.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Thierry Foucaud, pour présenter l’amendement n° 58.
M. Thierry Foucaud. Les interventions de MM. Watrin, Courteau, Desessard et Bourquin et de Mme Génisson valent défense de cet amendement.
M. Jean Desessard. Bonne intervention, mon cher collègue ! (Sourires.)
M. Thierry Foucaud. En revanche, je ne partage pas du tout la position de M. Guillaume. Vanter la loi El Khomri, c’est faire fi de l’opinion des millions de salariés qui ont tranché en exprimant leur opposition à cette loi. Le projet de Mme la ministre amplifie encore le dispositif de la loi El Khomri.
Le Président de la République a déclaré vouloir supprimer le terme de pénibilité, car « le travail n’est pas une souffrance », mais pense-t-il sérieusement qu’en supprimant le mot il supprimera la réalité ? Nier la souffrance au travail et les conséquences de cette dernière sur la santé n’est franchement pas acceptable. Faut-il rappeler encore une fois que l’espérance de vie d’un ouvrier est en moyenne de près de sept ans inférieure à celle d’un cadre ? Quand on invoque la mondialisation et la compétitivité, cela implique que les salariés, y compris le maçon qui manie chaque jour plusieurs tonnes d’agglos ou le travailleur de la chimie qui ne bénéficie pas toujours des protections appropriées, doivent travailler un peu plus vite.
J’espère que vous entendrez ces arguments, madame la ministre, d’autant qu’ils émanent de diverses travées de notre assemblée.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour présenter l’amendement n° 216 rectifié ter.
M. David Assouline. Cet amendement de suppression vise à remédier à une incohérence du Gouvernement. En effet, dans son discours de politique générale, le Premier ministre avait fait de la prévention une dimension phare du futur plan santé, or il nous est proposé ici d’en supprimer le principal outil.
Un récent rapport soulignait que les inégalités de santé se formaient principalement dans le monde professionnel. Plus précisément, ces inégalités sont principalement déterminées par « des expositions aux agents cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, des expositions à des facteurs de pénibilité – contraintes physiques marquées, environnement agressif, rythmes de travail contraints – et expositions à des facteurs de risque psychosociaux ».
Selon ce même rapport, en 2010, plus de 8 millions de salariés français, soit près de 40 % du total, étaient exposés à au moins un facteur de pénibilité, et 12 % à au moins un agent cancérogène.
Comme certains de mes collègues l’ont déjà dit, cet article marque le passage d’un système de prévention à un système de réparation. Cela pose notamment la question des effets qui se manifesteront après le départ à la retraite et qui, de ce fait, ne seront plus pris en compte. On ne peut pas ne pas évoquer l’exemple de l’amiante, qui illustre l’impossible réparation de maladies professionnelles qui se déclarent après le départ à la retraite.
Certes, vous avez raison de dire que, en principe, les entreprises ont un intérêt au moins économique à miser sur la prévention et à prendre soin des salariés. Le problème, c’est que cette logique, ou ce bon sens, n’est pas partagée par tous les chefs d’entreprise. Certains sont court-termistes et ne voient pas que, à moyen et long termes, la question de la prévention et de la santé est essentielle non seulement pour les salariés, mais aussi pour les performances économiques de leur entreprise.
Il ne faut pas que, sous couvert de lutter contre la bureaucratie, le dispositif des ordonnances désavantage les salariés. Nous attendons des réponses sur cette question sensible, madame la ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
M. David Assouline. Voilà un argument…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il s’agit d’un sujet de fond extrêmement important.
Quelle situation avons-nous trouvée lorsque nous sommes arrivés aux affaires, voilà deux mois ? Le compte pénibilité répondait à un principe juste, mais inapplicable pour partie.
Un principe juste, parce que certaines situations de vie professionnelle créent de véritables difficultés et ont des conséquences sur la santé des salariés et leur espérance de vie. C’est un constat entièrement partagé aujourd’hui, reconnu, objectivé. Permettre à ces salariés de partir à la retraite à taux plein deux ans plus tôt nous paraît répondre à un principe de justice sociale qu’il faut absolument conserver. Il n’y a donc pas de débat sur le principe.
Simplement, nous avons constaté que, pour quatre facteurs de pénibilité – manutention de charges lourdes, postures pénibles, exposition aux vibrations mécaniques ou à des agents chimiques dangereux –, dont les déclarations devaient être faites avant le mois d’octobre 2017, les petites entreprises étaient dans l’incapacité de remplir leurs obligations. Seulement 13 branches sur 750 étaient parvenues à établir des référentiels – dans les autres, les entreprises étaient donc laissées seules face au problème –, et 700 000 déclarations avaient été faites, sur 3 millions attendues. Les entreprises allaient se trouver en défaut sans pour autant que les droits des salariés soient protégés, ces derniers n’étant pas déclarés. Se posait donc potentiellement un énorme problème d’accès au droit.
Les différents critères relèvent de modes d’analyse très divers. Le travail de nuit, le travail en équipes successives, le travail répétitif, le travail en milieu hyperbare sont déjà connus, répertoriés, documentés ; pour ces critères, il n’y a donc aucune difficulté, même une petite entreprise est en mesure de remplir ses obligations déclaratives. En ce qui concerne le bruit et la température extérieure extrême, la mise en application nous a paru également tout à fait réalisable.
Par conséquent, pour ces six premiers critères, nous avons considéré que les modalités d’application prévues étaient tout à fait réalistes et devaient donc être mises en œuvre dans le cadre du C3P tel qu’il a été conçu.
En revanche, en l’absence de dispositif approprié, la prise en compte des trois critères ergonomiques – je reviendrai après sur l’exposition aux agents chimiques, qui est un autre sujet –, que sont la manutention lourde, les postures pénibles et l’exposition aux vibrations mécaniques, a provoqué une véritable angoisse dans les toutes petites entreprises, essentiellement chez les agriculteurs et les artisans, qui ne peuvent pas être tous les jours derrière leurs salariés pour mesurer leur exposition à ces facteurs de pénibilité. Ubu se transformait en personnage de Kafka ! On risquait donc de se trouver face à un immense constant de carence. Les entreprises auraient été en faute et les salariés n’auraient pu accéder à leurs droits.
La responsabilité conjointe de l’exécutif et du législateur est d’élaborer des dispositifs justes, mais aussi applicables. Un droit non exerçable, non applicable, n’est pas un vrai droit.
Pourquoi avons-nous choisi pour véhicule ce projet de loi d’habilitation ? Parce que l’échéance était en octobre. Nous ne pouvions pas prendre un ou deux ans pour réfléchir, sauf à courir le risque d’un blocage complet.
Comme je l’ai indiqué au comité d’orientation des conditions de travail la semaine dernière, nous avons choisi de conserver les dix critères, contrairement à ce que j’ai pu entendre dire et à ce que certains auraient souhaité, car nous considérons qu’ils sont justes. Les six premiers critères s’inscriront dans le dispositif du C3P, avec le système de comptage de points. S’agissant des quatre derniers, nous proposons que les salariés qui y ont été exposés puissent partir à la retraite immédiatement après un examen médical conduit dans des conditions à définir, si leur taux d’incapacité est d’au moins 10 %.
Tout système présente des avantages et des inconvénients, et je ne prétends pas que le nôtre est parfait, mais je pense que c’est le plus juste qui soit applicable en l’état actuel des choses. Grâce à lui, environ 10 000 personnes pourront partir en retraite anticipée à taux plein dès l’année prochaine. Avec le système de points, cette génération n’aurait pas pu en profiter. En effet, sauf pour ceux nés avant 1955 et qui avaient une bonification, il fallait attendre dix ans, soit 2027, en cas d’exposition à plusieurs facteurs, et vingt ans, soit 2037, en cas d’exposition à un seul facteur.
Oui, ce dispositif repose davantage sur la réparation que sur la prévention, mais il est applicable et juste : il va permettre à des personnes ayant subi des conditions de travail difficiles de partir à la retraite dès l’année prochaine.
Concernant la prévention, il s’agit en effet d’un sujet essentiel. La prévention sera toujours préférable, mais elle ne peut pas marcher à 100 %, donc il faut toujours prévoir un volet réparation.
En matière de prévention, nous entendons agir sur trois leviers.
En premier lieu, la prévention de la pénibilité relèvera expressément de la responsabilité des branches. Ce sera inscrit en toutes les lettres dans les ordonnances. En effet, les spécificités des métiers et des secteurs sont extrêmement importantes à cet égard. Les facteurs de pénibilité les plus fréquents ne sont pas les mêmes d’une branche à l’autre.
En deuxième lieu, la semaine dernière, nous sommes convenus, avec le comité d’orientation des conditions de travail, que la prévention primaire était prioritaire dans le cadre du troisième plan « santé au travail ». Nous allons suivre ce point de près avec les partenaires sociaux.
En troisième lieu, le financement sera assuré par la branche accidents du travail-maladies professionnelles de la sécurité sociale. Comme elle est financée par les cotisations des employeurs, ceux-ci sont incités à être attentifs à la prévention de la pénibilité pour éviter que trop de gens ne partent à la retraite de façon anticipée, ce qui aboutirait à alourdir les cotisations.
La philosophie générale est donc la suivante : la prévention sera toujours préférable, mais un droit non applicable ne constitue pas un progrès pour les salariés. Nous verrons comment progresser sur ces sujets à l’avenir.
En ce qui concerne l’exposition aux agents chimiques, il s’agit bien d’un critère spécifique, car il y a des effets différés à plus long terme. Aujourd’hui, la réglementation et les accords de branche prévoient beaucoup d’éléments importants, en matière tant de prévention que de réparation. Nous voulons que les branches continuent à jouer ce rôle, mais j’ai tout de même demandé à des experts de vérifier que ce qui est en place est suffisant et pertinent au regard de l’esprit de prévention que nous souhaitons privilégier. C’est un sujet sur lequel et les branches de la chimie et le COCT vont continuer à travailler, même si on a déjà beaucoup progressé. La science fait des découvertes tous les jours, et il faut donc rester en alerte.
J’ai été un peu longue, mais je voulais vraiment préciser ces points, afin que vous ayez l’assurance que nous partageons complètement l’idée que, pour les salariés ayant eu une vie professionnelle pénible, partir à la retraite à taux plein deux ans plus tôt est un élément de justice sociale. Cependant, un droit qui n’est pas applicable ne profite à personne, et il est donc de notre responsabilité de faire en sorte que le principe puisse trouver une application. On peut se réjouir que ce texte permette à 10 000 personnes de prendre une retraite anticipée dès l’année prochaine. Certes, il ne s’agit que de réparation, mais la réparation, c’est aussi une mesure de justice.
Notre système n’est peut-être pas parfait, mais je demande le retrait de ces amendements de suppression, afin de permettre un progrès immédiat pour un certain nombre de personnes et de rendre applicable un principe juste que vous avez adopté.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je vous remercie de ces explications détaillées, dont je prends acte. Que 10 000 personnes puissent partir tout de suite à la retraite constitue en effet un progrès, mais cela ne peut pas servir d’argument pour remettre en cause le principe des quatre derniers critères. La logique de prévention doit continuer à prévaloir.
On peine à déterminer comment appliquer ces quatre critères. Vous avez raison de dire, madame la ministre, qu’un droit inapplicable n’est que formel, mais il revient alors au législateur d’y remédier, plutôt de remettre en cause ce droit.
M. Philippe Dallier. Vous l’avez déjà dit !
M. David Assouline. Madame la ministre, vous avez cité l’exemple des agriculteurs, mais je pourrais vous citer des métiers pour lesquels le système est parfaitement applicable. Le travailleur qui utilise un marteau-piqueur, pour ne prendre que cet exemple, est clairement exposé à un facteur de pénibilité.
Personne ne nie ici qu’un problème d’applicabilité se pose pour quatre critères. Il faut donner du temps aux partenaires sociaux – l’ordonnance peut le permettre – pour qu’ils précisent les choses, en leur fixant une obligation de résultat.
Je salue le progrès que constitue la mesure de réparation permettant à certaines personnes de partir à la retraite dès l’année prochaine, mais les difficultés d’application constatées ne doivent pas conduire à substituer à la logique de prévention une logique de réparation pour quatre critères, avec le risque que, demain, cette dernière soit étendue aux autres critères.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Je remercie Mme la ministre d’avoir pris le temps de décrire avec précision son projet sur un point que je sais sensible.
Je voudrais simplement rappeler que la notion de pénibilité a été introduite dans la loi sur les retraites de 2010. Nous sommes à la mi-2017 : cela fait donc sept ans, et ce droit n’est toujours pas ouvert. Nous sommes devant une question de responsabilité politique : soit on considère que l’effectivité du droit est essentielle, soit on se fait plaisir en gardant le compte pénibilité tel qu’il est aujourd’hui.
Je souligne que les branches seront compétentes en matière de prévention. S’agissant des risques chimiques, le Premier ministre a été très clair dans la lettre qu’il a adressée aux partenaires sociaux : ils feront l’objet d’une réflexion spécifique et ne sont bien sûr pas négligés.
Je le répète, il s’agit de savoir si nous nous préoccupons de l’effectivité du droit ou si nous faisons du C3P tel qu’il existe un totem, en nous satisfaisant qu’une disposition votée voilà plus de sept ans ne soit toujours pas appliquée.
M. David Assouline. Cela ne fait pas sept ans !
Mme Nicole Bricq. Le décret n’a été pris qu’il y a quelques mois, et il a été d’emblée contesté ! Peut-être n’étiez-vous pas présent, monsieur Assouline, mais nous avons déjà eu ce débat à plusieurs reprises, en commission comme en séance publique.
Je ne pense pas que ceux qui partiront à la retraite anticipée l’année prochaine se poseront la question de savoir s’ils bénéficient d’une mesure de réparation ou d’une mesure de prévention. Ils constateront que leur situation a été prise en compte. C’est ce qui me paraît important.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les explications qui ont été données par Mme la ministre, qui a beaucoup insisté sur les notions de pénibilité et de prévention. Cela fait de nombreuses années que l’on évoque ces sujets dans cette enceinte. Nous avons tous en mémoire la réforme des retraites de 2010, qui avait déjà donné lieu à de longues discussions.
Nous avons chaque année l’occasion d’aborder le volet financier lors de l’examen du budget de la branche AT-MP de la sécurité sociale, mais nous donnons bien sûr la primauté à l’aspect humain et au respect des salariés. Nous rencontrons beaucoup de personnes qui exercent encore des métiers particulièrement difficiles, par exemple dans le bâtiment et les travaux publics ou dans la grande distribution. Je pense aussi aux personnes qui travaillent des journées entières devant un écran. Outre la prévention, Mme Génisson a eu raison d’évoquer la notion de reconnaissance.
Je suivrai la commission des affaires sociales sur ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Je suis toujours un peu surpris d’entendre certains tenir un discours à géométrie variable, variant en fonction des époques et des appartenances… J’admire que l’on puisse défendre aujourd'hui ce que l’on condamnait hier !
M. Jean Desessard. De qui parlez-vous ? (Sourires.)
Mme Laurence Cohen. Il y en a beaucoup !
M. Jean-Louis Tourenne. Ils se reconnaîtront !
Nous convenons tous, madame la ministre, qu’il est particulièrement difficile d’apprécier et surtout de quantifier la pénibilité au regard des quatre critères en question. Nous sommes parfaitement d’accord sur ce point, mais vous avez fait montre de telles capacités d’imagination, d’une telle faculté à agir vite, en recourant aux ordonnances, que je m’étonne que, sur ce point particulier, vous ne manifestiez pas la même efficacité !
En outre, s’agissant d’un projet de loi d’habilitation au travers duquel vous vous êtes fixé des objectifs, je m’étonne que vous n’y indiquiez pas de quelle façon vous comptez essayer de faire en sorte d’intégrer ces quatre critères dans le dispositif d’ensemble, d’ici à l’automne, pour que les ordonnances permettent de résoudre le problème qui nous occupe. En effet, on ne peut pas rester dans la situation que nous connaissons aujourd'hui, avec des gens dont on se borne à constater la dégradation de l’état de santé, sans avoir rien fait auparavant pour empêcher celle-ci !
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Mme la ministre nous a dit des choses intéressantes, notamment quand elle indiqué que la mise en œuvre du système par points ne produirait ses effets, pour les salariés concernés, qu’en 2027 au plus tôt. Je rappelle que notre groupe avait prévenu, lors de l’instauration du compte pénibilité, que, à cette échéance, nombre de ces salariés ne seraient malheureusement plus en vie…
Le projet du Gouvernement revêt une dimension idéologique. En effet, supprimer la cotisation des employeurs revient à écarter de facto le principe de responsabilité des entreprises. Avez-vous consulté les représentants des salariés ? Je suis persuadé, madame la ministre, qu’eux aussi ont des propositions à formuler.
Si notre groupe est opposé au compte pénibilité, c’est parce qu’il nie l’universalité de la sécurité sociale en tendant à l’individualisation des protections. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il faut examiner comment passer à une reconnaissance générale des métiers pénibles. Je crois savoir que les organisations syndicales ont, comme nous, des propositions à faire sur le sujet. Il y a des solutions, madame la ministre.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Le Premier ministre a donné les premières pistes de simplification du compte pénibilité dans un courrier adressé aux partenaires sociaux ; je m’en réjouis. Je vous remercie, madame la ministre, pour les éclaircissements complémentaires apportés aujourd'hui.
La pénibilité est un véritable sujet. Devoir subir une succession de prises de parole répétitives sur l’article 5 en a été une illustration pour certains d’entre nous ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
Personne ne remet en cause la difficulté de certains métiers et ses conséquences potentielles sur la santé. Mais plutôt que d’essayer à tout prix de déterminer le degré de pénibilité salarié par salarié, tâche par tâche, il faut améliorer les conditions de travail et la prévention. C’est le choix de l’Allemagne et des pays scandinaves, notamment.
En cas de métier pénible, devenu dangereux l’âge avançant, il faut privilégier le reclassement dans un emploi moins rude, toujours grâce à la formation. La France fait le choix de prévoir des départs anticipés à la retraite. On attend le dernier moment pour agir, en indemnisant plutôt qu’en protégeant.
La pénibilité d’une carrière pourra évidemment être prise en compte pour un départ anticipé à la retraite, mais cela impliquera, pour assurer la pérennité du système, que les régimes spéciaux soient entièrement revus (M. Jean Desessard rit.), car il n’est plus acceptable que des salariés bénéficient de conditions de départ en retraite plus que favorables sans avoir exercé un métier plus pénible qu’un autre, quand d’autres doivent attendre plusieurs années supplémentaires pour accéder à une retraite à taux plein. Nous attendons donc beaucoup de la réforme des retraites avancée par le Gouvernement.
Je voterai contre les amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Adopter aujourd'hui ces amendements, c’est empêcher des milliers de personnes de percevoir des indemnités et de partir à la retraite de manière anticipée, c’est refuser un progrès au nom d’une position maximaliste.
Si je ne suis cependant pas favorable à la solution proposée par le Gouvernement à propos des quatre derniers critères, c’est parce qu’elle ne peut être que temporaire. Cet article sera sans nul doute maintenu dans le texte après la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale et la commission paritaire se réunira, mais je suis convaincu qu’il sera nécessaire de revenir sur le sujet, peut-être dans le cadre de la réforme des retraites.
Un certain nombre de collègues trouveraient préférable de poser un acte politique en supprimant purement et simplement cet article. Je respecte leur position, mais j’estime pour ma part que cela comporterait un risque. Il faut aussi penser à ceux qui vont bénéficier du dispositif.
Nous avons inscrit la notion de pénibilité dans le dispositif du compte personnel d’activité lors de l’élaboration de la loi El Khomri. Dans les mois à venir, il faudra aller plus loin, afin de trouver une autre façon d’aborder le sujet. Nous l’avons tous dit, la prévention est nécessaire, car la réparation ne suffit pas.
Les petits arboriculteurs de ma région me disent que, dans le secteur agricole, il est impossible de mettre en œuvre le compte pénibilité. Ils ne savent pas faire. Les patrons de PME, y compris les artisans maçons, disent la même chose. Il faut prendre les problèmes les uns après les autres.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je rappelle que le groupe écologiste partageait la position du groupe CRC au sujet du compte pénibilité. Nous étions opposés à un relèvement du nombre d’annuités nécessaires pour pouvoir partir à la retraite, pensant qu’il y avait d’autres solutions. Pour les communistes, il fallait trouver des solutions de financement complémentaires, taxer les stock-options, le capital. Pour notre part, nous prônons aussi le partage du travail à l’échelle d’une vie.
Je rappelle en outre que, pour la gauche, la création du compte pénibilité était la contrepartie de l’allongement de la durée de cotisation. Et maintenant, une partie de cette gauche se ravise, au motif de difficultés d’application du dispositif !
M. David Assouline. C’est surtout La République en marche, ils ne sont pas de gauche !
M. Jean Desessard. Je sais, mais tout de même ! Nous, écologistes, nous nous sommes battus au côté des communistes comme des beaux diables contre cette mesure, en vain, et puis, quelques mois plus tard, ceux qui l’avaient votée nous disent que cela ne marche pas !
Mme Sophie Primas. Nous, nous l’avons toujours dit !
M. Jean Desessard. Je le sais bien, vous vouliez carrément nous faire travailler jusqu’à 70 ans ! Votre logique n’est vraiment pas bonne, mais au moins vous vous y tenez !
Mme Sophie Primas. Vous pouvez tenir jusque-là, regardez la forme que vous avez encore ! (Sourires.)
M. Jean Desessard. Franchement, quel bilan ! Je vais partir en vacances et achever mon mandat sur une note vraiment désespérée ! Je comprends que la dynamique En marche a complètement bouleversé les choses, mais il faut tout de même un peu de sérieux en politique !
Les écologistes et les communistes étaient partisans de ne pas repousser l’âge de départ à la retraite. Cette mesure a été votée à l’Assemblée nationale et, en contrepartie, il était convenu que les travailleurs exerçant des métiers pénibles ne seraient pas concernés. Il faut continuer selon cette logique !
Je viens d’entendre affirmer que ce n’est pas possible et que si on vote les amendements de suppression, on supprimera toute protection pour les salariés concernés : non, ce sont les dispositions actuelles qui continueront à s’appliquer !
Mme la ministre nous a dit qu’il était pénible pour un chef d’entreprise de mesurer la pénibilité. Si cela peut être utile, je veux bien que l’on rajoute un onzième critère, celui de la pénibilité supportée par l’employeur contraint de quantifier la pénibilité subie par ses salariés… (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Sophie Primas. Vous devriez faire un « Vis ma vie » avec un chef d’entreprise !
M. Jean Desessard. J’ai été chef d’entreprise !
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Sur ce sujet, il ne faut pas dire n’importe quoi : 1 300 000 salariés vont bénéficier du dispositif, la moitié des grandes entreprises ont mis en place le compte pénibilité. À cet égard, il faut le dire, les PME ont été beaucoup plus vertueuses.
Il faut arrêter de dire que l’on ne peut pas appliquer ce droit ! Gardons le compte pénibilité en le simplifiant !
M. Jean Desessard. Oui !
M. Martial Bourquin. Mettons en place un groupe de travail pour cela, mais ne supprimons pas les quatre derniers critères ! Nous le devons aux salariés qui subissent de mauvaises conditions de travail ! Il y a des gens qui meurent de maladies professionnelles, qui se trouvent définitivement handicapés.
M. Jean Desessard. Vous avez raison !
Mme Sophie Primas. Personne ne dit le contraire !
M. Martial Bourquin. Aurait-on reconnu les victimes de l’amiante si on avait supprimé ces critères ? Vous rendez-vous compte de ce qu’on s’apprête à faire ici aujourd'hui, sous prétexte de complexité ? On va mettre de côté des milliers de salariés qui subissent la pénibilité et des conditions de travail qui portent atteinte à leur santé !
Arrêtons de tourner autour du pot : le Gouvernement fait droit à une demande forte du MEDEF ! Quand M. Macron dit que le mot « pénibilité » ne lui plaît pas, il commence à dresser la table ! On va tout bonnement éviter de mettre en place le compte pénibilité.
M. René-Paul Savary. Ça ne marche pas !
M. Martial Bourquin. C’est l’honneur du gouvernement Ayrault que d’avoir mis en place ce compte pénibilité ! Examinons les difficultés que pose son application, mais ne le supprimons pas : nous le devons à ces salariés !
S’agissant d’un projet de loi d’habilitation, le Gouvernement sera libre d’écrire ce qu’il voudra dans les ordonnances une fois que vous l’aurez voté, mes chers collègues ! C’est le principe des ordonnances !
Mme Éliane Assassi. On n’a pas fini…
M. Martial Bourquin. Moi, je vous le dis franchement, au vu de ce qui se passe, je ne suis pas très confiant pour la suite !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 58 et 216 rectifié ter.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 139 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 250 |
Pour l’adoption | 33 |
Contre | 217 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 136 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Au début de cet article
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le code du travail est ainsi modifié :
1° L’article L. 1242-2 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 1242-2. – Le contrat de travail ne peut être conclu pour une durée déterminée que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cas suivants :
« 1° Remplacement d’un salarié en cas d’absence ou de suspension de son contrat de travail et pour pourvoir directement le poste de travail du salarié absent ;
« 2° Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise. Au titre de ce motif, le nombre de salariés occupés en contrat de travail à durée déterminée ne peut excéder 5 % de l’effectif moyen occupé au cours de l’année civile précédente. Le nombre obtenu est arrondi à l’unité supérieure. En cas de dépassement de ce taux, les contrats de travail excédentaires et par ordre d’ancienneté dans l’entreprise sont réputés être conclus pour une durée indéterminée ;
« 3° Emplois à caractère saisonnier de courte durée définis par décret ou pour lesquels dans certains secteurs d’activité définis par décret, il est d’usage constant et établi de recourir à des emplois temporaires en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ;
« 4° Remplacement d’un chef d’entreprise temporairement absent ;
« 5° Contrats d’apprentissage. » ;
2° Les articles L. 1242-3 et L. 1242-4 sont abrogés.
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Cet amendement vise à modifier quelque peu le code du travail – preuve que nous ne sommes pas contre toute évolution – afin de mieux encadrer l’usage du contrat de travail à durée déterminée.
Le code du travail précise que « le contrat de travail à durée déterminée ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. »
Pourtant, jamais on n’a signé autant de CDD en France. La part des CDD dans les embauches a atteint 87 % en 2015 : un record depuis quinze ans! Une étude du ministère du travail portant sur la période 2000-2012 indiquait que le nombre de contrats à durée déterminée avait progressé de plus de 75 % en France.
En dix ans, le nombre de CDD de moins d’un mois a plus que doublé, passant de 1,8 million à 3,7 millions entre les troisièmes trimestres de 2003 et de 2013.
Certes, le CDI reste le contrat de travail le plus représentatif du salariat en France, mais une majorité des embauches se font donc désormais en CDD. Ces contrats temporaires touchent surtout les jeunes et les moins qualifiés, avec toute la précarité que cela entraîne.
Compte tenu de ces éléments, et puisque vous avez l’ambition de modifier le code du travail pour apporter plus de protection aux salariés, nous vous proposons d’adopter notre amendement, qui vise à limiter le recours aux CDD à des cas précis. Nous souhaitons qu’ils cessent d’être utilisés comme des variables d’ajustement des entreprises, qui dérogent allègrement à la réglementation en les substituant très souvent à des emplois permanents.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement, qui tendait initialement à insérer un article additionnel après l’article 3, est contraire à l’habilitation que nous voulons donner au Gouvernement, à ce même article, pour fixer les règles du recours aux CDD dans les limites fixées par le droit. J’émets, au nom de la commission, un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les amendements nos 48 rectifié et 142 sont identiques.
L'amendement n° 48 rectifié est présenté par MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.
L'amendement n° 142 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Catherine Génisson, pour défendre l’amendement n° 48 rectifié.
Mme Catherine Génisson. Je veux, à mon tour, vous remercier, madame la ministre, pour les longues explications que vous nous avez données concernant le difficile sujet de la pénibilité. Nous prenons bien évidemment acte du fait que le dispositif mis en place pour les quatre critères permettra à 10 000 personnes de partir à la retraite dès l’année prochaine, mais ce n’est pas pour solde pour tout compte.
Nous sommes tous d’accord, me semble-t-il, pour dire qu’il ne peut pas y avoir deux logiques antagonistes pour promouvoir la reconnaissance de la pénibilité. Les organisations patronales, peut-être plus encore la CGPME que le MEDEF, et les organisations syndicales des salariés nous ont les unes et les autres indiqué qu’il est très difficile de quantifier la pénibilité à l’aune des quatre critères en question. Néanmoins, nous avons été nombreux à dire que la solution proposée ne peut être que temporaire et ne saurait valoir sur le long terme.
Vous avez également dit, madame la ministre, que la prévention, notamment primaire, est fondamentale. Pouvez-vous nous donner quelques indications sur les moyens que le Gouvernement entend mettre en place en faveur de cette prévention primaire ? La médecine du travail, qui est dans une triste situation, a un rôle important à jouer, mais elle n’est pas seule concernée : c’est toute l’organisation du travail à l’intérieur de l’entreprise qui doit être prise en compte.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l'amendement n° 142.
Mme Laurence Cohen. Nous demandons la mise en place de critères collectifs de reconnaissance de la pénibilité dans chaque branche, remplaçant les fiches individuelles qui rendent complexe la prise en compte de la pénibilité et permettant, en fonction du nombre de critères de pénibilité dans chaque métier – travail de nuit, horaires décalés, chaleur, vibrations… –, d’obtenir notamment des départs anticipés à la retraite.
M. le président. L'amendement n° 18 rectifié quinquies, présenté par Mme Génisson, M. Cabanel, Mmes Campion, Conway-Mouret, Féret, D. Gillot et Guillemot, MM. Jeansannetas, Lalande, Tourenne, Daudigny, Duran et J.C. Leroy, Mmes Meunier et Monier, MM. Raoul, M. Bourquin, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Avant le mot :
compensation
Insérer les mots :
reconnaissance et de
La parole est à Mme Catherine Génisson.
Mme Catherine Génisson. Je ne suis pas certaine que nous accordions tous exactement le même sens aux mots « reconnaissance » et « compensation ». Nous parlons pour notre part de la reconnaissance de la pénibilité telle qu’elle a été mise en place par le précédent gouvernement. Dès lors que la pénibilité est reconnue, il doit y avoir compensation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Les amendements nos 48 rectifié et 142 visent à supprimer la réforme du compte personnel de prévention et de pénibilité que le Premier ministre a annoncée dans un courrier aux partenaires sociaux et dont Mme la ministre vient de préciser les modalités.
Nous considérons que cette réforme est indispensable, mais elle ne doit pas pour autant conduire à remettre en cause le principe d’une prévention et d’une compensation de la pénibilité. Elle assurera, en tout cas, une plus grande égalité entre les salariés de toutes les entreprises, alors que, à l’heure actuelle, les TPE ne sont pas en mesure d’évaluer précisément l’exposition de leurs salariés à certains facteurs de pénibilité.
Pour ces raisons, l’avis de la commission est défavorable aux amendements identiques nos 48 rectifié et 142.
L’amendement n° 18 rectifié quinquies a été rectifié pour tenir compte des observations que j’avais formulées en commission. En conséquence, l’avis est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement est défavorable aux amendements identiques nos 48 rectifié et 142. Les branches vont bien évidemment continuer à travailler sur le sujet.
J’émets, au nom du Gouvernement, un avis favorable sur l’amendement n° 18 rectifié quinquies, car il va tout à fait dans le sens de ce que j’ai indiqué.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 48 rectifié et 142.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 140 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 120 |
Contre | 217 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote sur l’amendement n° 18 rectifié quinquies.
M. Jean Desessard. Je ne voterai pas l’amendement présenté par Mme Génisson. En effet, la compensation de la pénibilité importe plus à mes yeux que sa reconnaissance ! La compensation, c’est du concret, ça se compte en nombre de mois en termes de départ anticipé à la retraite !
Mme Catherine Génisson. L’amendement a été rectifié !
M. Jean Desessard. Je suis le seul à ne pas être au courant ! (Sourires.)
M. le président. Monsieur Desessard, l’amendement de Mme Génisson a été rectifié. Nous votons sur l’amendement n° 18 rectifié quinquies, quand vous avez encore sous les yeux l’amendement n° 18 rectifié quater.
M. Jean Desessard. Alors j’abandonne la partie ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 143, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. L’alinéa 3 porte surtout sur l’adaptation de la législation du travail détaché à certaines spécificités. On ne peut néanmoins voter ce projet de loi d’habilitation sans traiter du sujet d’ensemble. Alors que l’Europe travaille en ce moment même à une refonte de sa directive sur le travail détaché, nous n’avons de fait aucune garantie que les demandes portées par la France seront satisfaites, qu’il s’agisse du contrôle à la source de l’entreprise qui envoie des travailleurs détachés, de la réduction de la durée du détachement, du cabotage ou des sociétés boîtes aux lettres.
Madame la ministre, c’est le principe même de la directive européenne sur le travail détaché qui doit être revu. Il n’est pas acceptable que des entreprises qui envoient des salariés détachés en France ne paient pas les cotisations sociales qui sont exigées des entreprises françaises.
M. le président. L’amendement n° 233, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Modifier la législation applicable en matière de détachement, en l’adaptant aux spécificités et contraintes de certains prestataires accomplissant habituellement leurs prestations en zone frontalière ou intervenant de façon récurrente pour des prestations de courte durée dans des secteurs définis ou dans le cadre d’événements ponctuels.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il n’a échappé à personne que la France et l’Allemagne ont pris une position forte sur le sujet des travailleurs détachés. Nous avons finalement obtenu le soutien d’autres pays, qui ont accepté, au Conseil des ministres du travail du 15 juin, que nous ne nous prononcions pas sur le projet de directive qui était proposé par la présidence actuelle et dont nous avons estimé qu’il était insuffisant.
Ce sujet est donc remis à l’ordre du jour, et nous travaillons de concert avec plusieurs pays pour améliorer significativement le texte sur plusieurs points très importants que vous avez évoqués. J’en ajouterai un, selon moi le plus important : le respect du principe fondamental selon lequel « à travail égal, salaire égal ». La discussion sur ce principe est a priori bien engagée. Nous discutons également des sociétés boîtes aux lettres, du contrôle transnational et des transports, en particulier le cabotage. Il n’est donc pas question de traiter tous ces sujets maintenant, puisque nous y travaillons encore avec nos partenaires européens.
La question qui nous occupe ici est d’ordre est plus directement opérationnel. Aujourd’hui, la France impose des formalités administratives qui vont au-delà de ce qu’imposent les directives européennes. Ces formalités ne permettent pas un meilleur contrôle, mais elles représentent des coûts et des lourdeurs accrus pour les prestataires. Tel est notamment le cas pour les prestations de très courte durée. Aujourd’hui, on applique les mêmes règles de déclaration de détachement aux personnes qui viennent pour six mois d’un pays lointain et à celles qui entrent en France pour participer à une foire, à un salon ou à un événement sportif ou culturel – il s’agit alors davantage, à mon sens, de mouvements transfrontaliers que de détachements. Seule la France demande des déclarations de détachement dans de telles situations, qui sont juridiquement traitées comme relevant du détachement !
Nous souhaitons donc alléger ces règles. Cela montrera à nos voisins que nous allons de l’avant. Surtout, on pourra alors se concentrer sur les sujets essentiels liés au détachement, en vue de mieux protéger nos salariés et nos PME.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Concernant l’amendement n° 143, qui vise à supprimer l’habilitation relative au détachement des travailleurs, le Gouvernement vient de préciser quelque peu ses orientations en la matière. Cette habilitation est destinée à faciliter les démarches administratives pour les travailleurs détachés frontaliers. Les craintes que vous aviez, mon cher collègue, auront certainement été apaisées par les propos de Mme la ministre. Je vous invite donc à retirer cet amendement, faute de quoi la commission sera obligée d’émettre un avis défavorable.
Pour ce qui est de l’amendement n° 233, le Gouvernement souhaite élargir le champ d’habilitation relatif aux travailleurs frontaliers. Il désire en effet assouplir les règles de détachement applicables aux entreprises étrangères qui réalisent régulièrement de courtes prestations sur le territoire national. Sont notamment visés les sportifs, les artistes ou encore les scientifiques. Le renforcement des règles relatives à la déclaration préalable de détachement issu de la loi dite « Savary » du 10 juillet 2014 permet d’améliorer la lutte contre les fraudes qui déstabilisent nos entreprises et minent notre modèle social. Ces règles doivent toutefois être assouplies dans les secteurs qui ne sont pas exposés au risque de fraude, faute de quoi les échanges entre la France et l’étranger risquent d’être freinés. La commission a donc émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 143 ?
M. le président. L’amendement n° 230, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° Améliorer et simplifier la gestion et le recouvrement de la contribution prévue à l’article L. 1262-4-6 du code du travail, ou à défaut supprimant cette contribution.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Là aussi, la France s’est singularisée en créant un droit de timbre de 40 euros pour chaque travailleur détaché. Ce n’est pas cela qui va empêcher le détachement dans des conditions qui ne nous conviennent pas ! Nous devons soit adapter cette disposition, qui est mal perçue, soit la supprimer. Là encore, nous voulons nous concentrer sur les grandes choses, et non pas sur les petites. Nous avons beaucoup à faire sur le détachement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Le système d’information-prestations de services internationales, ou SIPSI, est un système dématérialisé de déclaration et de contrôle du détachement des travailleurs en France. Un décret du 3 mai 2017 a fixé la contribution versée par les employeurs pour couvrir ses coûts de fonctionnement à 40 euros par salarié détaché. Nous n’avons pas d’opposition de principe à sa simplification. Il est toutefois regrettable qu’il faille la simplifier moins d’un an après qu’elle a été instituée… Cela dit, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. À deux ou trois reprises déjà, au cours de l’examen de ce texte, des dispositions prises antérieurement n’étant pas appliquées, on a légalisé l’illégalité. C’est un aveu d’impuissance : le politique perd toute crédibilité.
M. le président. L’amendement n° 139 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le code du travail est ainsi modifié :
1° L’article L. 8221-6 est ainsi rédigé :
« Art. L. 8221-6. – Est réputé salarié tout travailleur qui exerce son activité dans des conditions de droit ou de fait caractérisant un lien de subordination juridique ou un lien de dépendance économique vis-à-vis d’une autre personne physique ou morale.
« Est présumé être l’employeur de ce salarié la personne physique ou morale qui utilise directement ou indirectement ses services.
« Outre les clauses du contrat conclu entre les parties, le lien de subordination juridique et/ou le lien de dépendance économique sont établis notamment :
« 1° Lorsque le travailleur ne possède pas la maîtrise des moyens matériels ou immatériels utilisés pour la production des biens ou services ;
« 2° Ou lorsque le travailleur ne peut entrer en relation avec l’utilisateur final des services que par l’intermédiaire obligé d’un tiers ;
« 3° Ou lorsqu’un tiers, gérant une plate-forme numérique de mise en relation entre le travailleur et les clients peut librement radier le travailleur de la liste des prestataires figurant sur la plate-forme ;
« 4° Ou lorsque le travailleur, prétendument indépendant, ne fixe pas lui-même, ou par entente avec le client, le prix de ses prestations ;
« 5° Ou lorsque le travailleur, pour l’exécution de ses prestations, applique des instructions ou sujétions telles que celles portant sur des horaires ou des méthodes de travail, émises par une personne physique ou morale autre que l’acheteur final des services ;
« 6° Ou lorsque le travailleur se voit imposer la vente de telles marchandises à l’exclusion de toutes autres ou se voit imposer le prix de vente de ces marchandises. » ;
2° Après l’article L. 8221-6-1, sont insérés des articles L. 8221-6-2 à L. 8221-6-4 ainsi rédigés :
« Art. L. 8221-6-2. – Lorsque le travailleur, utilisé dans les conditions prévues par l’article L. 8221-6 du présent code, emploie lui-même d’autres salariés, ceux-ci sont réputés être liés par contrat de travail au même employeur.
« Art. L. 8221-6-3. – La sous-traitance de toute activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce est prohibée au-delà du second rang. Les travailleurs occupés en méconnaissance de cette interdiction, y compris ceux visés à l’article L. 8221-6-1, sont réputés être salariés du sous-traitant de second rang.
« Art. L. 8221-6-4. – Toute décision de faire appel à la sous-traitance d’une partie de l’activité ou des fonctions de l’entreprise est soumise à l’avis conforme du comité d’entreprise. »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement tend à protéger les salariés de l’ubérisation. À cette fin, nous proposons d’instaurer une présomption de salariat reposant, conjointement ou alternativement, sur la subordination juridique et la dépendance économique.
Notre amendement vise aussi à encadrer le recours à la sous-traitance par sa limitation légale à deux degrés et son contrôle par les travailleurs. Le recours à la sous-traitance serait soumis à l’avis conforme du comité d’entreprise, qui a toute compétence pour apprécier les besoins et possibilités de l’entreprise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement, qui visait initialement à créer un article additionnel après l’article 3, tend à protéger les salariés de l’ubérisation. C’est un amendement très intéressant, car les critères proposés pour établir l’existence d’une relation salariale sont pertinents. Tel n’est cependant pas l’objet de ce projet de loi d’habilitation. Il nous faudrait beaucoup plus de temps et procéder à des auditions complémentaires pour traiter cette question. J’invite donc ses auteurs à le retirer, faute de quoi l’avis de la commission sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il est lui aussi défavorable, bien que le sujet des travailleurs du numérique soit extrêmement important et qu’il faille prendre en compte cette évolution des organisations de travail. Selon moi, les mesures entérinées l’an dernier en faveur de la reconnaissance des droits sociaux de ces travailleurs ont déjà représenté un progrès. Pour aller plus loin, il faudra mener une réflexion de fond et de long terme, après une expertise beaucoup plus approfondie et un dialogue avec les partenaires sociaux.
M. le président. Monsieur Foucaud, l’amendement n° 139 rectifié est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud. Non, monsieur le président, je suis l’avis de notre rapporteur et je le retire.
M. le président. L’amendement n° 139 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 5, modifié.
(L’article 5 est adopté.)
Article additionnel après l'article 5
M. le président. L’amendement n° 146, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La deuxième phrase du II de l’article L. 4624-2 du code du travail est complétée par les mots : « dans un délai fixé par décret en Conseil d’État, le salarié devant bénéficier d’une visite de contrôle a minima tous les deux ans ».
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. La loi El Khomri a profondément réduit les capacités de la médecine du travail. Au motif du manque de praticiens, le gouvernement dirigé par Manuel Valls avait décidé de réduire des visites médicales jugées trop nombreuses et trop souvent inutiles, plutôt que de s’attaquer aux raisons de la pénurie de médecins du travail.
Notre amendement vise à revenir sur cette modification de la médecine du travail, qui prévoit un suivi attentif uniquement pour les salariés exerçant des métiers dits « pénibles ». Nous ne pouvons que nous étonner d’une telle conception de la médecine du travail, qui ne serait plus là pour veiller à la santé de tous les travailleurs.
Permettez-moi de revenir sur deux raisons qui expliquent notre position.
En premier lieu, tout type d’emploi et de fonction est potentiellement à risque. Bien évidemment, il ne s’agit pas de prétendre que tous les risques ont le même degré de gravité : la différence d’espérance de vie moyenne entre les cadres et les ouvriers est là pour montrer que tel n’est pas le cas. Cependant, à quel moment commence la pénibilité ? Devons-nous considérer qu’une personne travaillant à la caisse dans un supermarché ne souffre ni physiquement ni psychologiquement dans son emploi ? Le développement des troubles musculo-squelettiques tend à montrer le contraire.
En second lieu, le médecin du travail devrait être, avec le CHSCT, le plus à même de constater les troubles physiques et psychiques des salariés. Combien faudra-t-il de drames ? Je pense notamment à France Télécom ou à La Poste, mais aussi aux hôpitaux, où le nombre des suicides a considérablement augmenté. Il est important de prendre des mesures à ce sujet afin de pouvoir offrir une médecine du travail de qualité. Il s’agit de revaloriser la médecine du travail et de lui donner les moyens de fonctionner. Ce n’est pas du tout l’esprit de ce projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. C’est une question particulièrement intéressante. En effet, on manque de médecins du travail sur l’ensemble du territoire national. On en a beaucoup discuté lors de l’examen de la loi « santé » et de la loi El Khomri. Pour l’instant, aucune solution n’a été proposée.
On sait très bien que le métier de médecin du travail n’est pas très attirant pour les docteurs en médecine. Il faut donc essayer de trouver des solutions pour rendre ce métier attractif. Nous devons également faire en sorte que la ministre du travail et la ministre de la santé mènent un travail en commun pour que les docteurs en médecine qui sortent de la faculté s’intéressent à cette spécialité. En tant que médecin, je crois qu’il y a des spécialités plus intéressantes que celle-là…
Cela dit, il faut des médecins du travail. Le travail en commun entre les deux ministères que j’ai cités devra aussi impliquer le ministère de l’enseignement supérieur, ainsi que les doyens de la faculté de médecine, qui ne trouvent pas non plus un grand intérêt à inciter leurs étudiants à aller travailler dans ce domaine.
L’avis de la commission sur cet amendement est défavorable, parce que ce sujet ne rentre pas dans le cadre du présent projet de loi. Il était toutefois intéressant de pouvoir en parler à nouveau.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je pense qu’il y a une erreur de rédaction dans votre amendement, madame la sénatrice. Il tend en effet à modifier le II de l’article L. 4624–2 du code du travail. Or cet alinéa traite des salariés qui sont déjà en surveillance renforcée et bénéficient donc déjà d’une visite médicale tous les deux ans.
Cela dit, sur la question de fond de la médecine du travail, je crois avoir dit hier que ma collègue Agnès Buzyn et moi-même attendons la remise, d’ici à environ un mois, d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur la médecine du travail. Il existe un problème d’attractivité de la fonction de médecin du travail. C’est un sujet que nous devons rapidement reprendre sur le fond à un échelon interministériel.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Je me permets d’exprimer un désaccord avec notre rapporteur : le métier de médecin du travail est tout à fait intéressant. Il s’agit d’une forme de médecine sociale passionnante.
Je voudrais par ailleurs évoquer un sujet qui n’a pas été abordé concernant le statut du médecin du travail : celui de son indépendance. Dans les services interentreprises, le médecin du travail se sent plus protégé que ses collègues qui travaillent dans une entreprise spécifique : ceux-ci peuvent avoir l’impression, parfois justifiée, d’être fortement dépendants de la direction de l’entreprise. J’estime donc que l’indépendance du médecin du travail est un sujet qu’il ne faut pas oublier de traiter.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Nous maintenons notre amendement, non par obstination, mais parce que le problème est réel. J’entends tout à fait positivement les remarques de notre rapporteur et de Mme la ministre. Effectivement, il faut travailler sur le sujet, car tout cela ne se fait pas, nous en sommes bien conscients, d’un coup de baguette magique. La médecine du travail a été tellement affaiblie qu’il y faut des moyens.
Cela étant, il est problématique que les visites médicales soient réservées aux travailleurs reconnus comme soumis à des facteurs de pénibilité. Nous pensons nécessaire de prévoir une visite pour l’ensemble des travailleurs. C’est pourquoi nous maintenons notre amendement, qui doit faire office de rappel.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Évelyne Yonnet. Je soutiendrai cet amendement. Je lie cette question de la médecine du travail à celle du maintien du CHSCT. Il me paraît important qu’il reste une trace, dans cette discussion, des engagements pris par Mme la ministre de prendre l’attache de la ministre de la santé.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur. Encore une fois, il faudra rendre le métier attractif, sinon il n’y aura pas d’étudiants qui se destineront à la médecine du travail.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 5.
Article 6
(Non modifié)
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin d’harmoniser l’état du droit, d’assurer la cohérence des textes, d’abroger les dispositions devenues sans objet et de remédier aux éventuelles erreurs en :
1° Prévoyant les mesures de coordination et de mise en cohérence résultant des ordonnances prises sur le fondement de la présente loi ;
2° Corrigeant des erreurs matérielles ou des incohérences contenues dans le code du travail à la suite des évolutions législatives consécutives à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels et à la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté ;
3° Actualisant les références au code du travail modifiées à la suite des évolutions législatives mentionnées au 2° du présent I dans les codes, lois et ordonnances en vigueur.
II. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, et jusqu’au 31 octobre 2017, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi mentionnées aux 1° et 2° du III de l’article 120 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, en tenant compte des modifications du droit résultant des ordonnances prises sur le fondement de la présente loi.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 59 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L’amendement n° 80 rectifié bis est présenté par M. Antiste et Mme Jourda.
L’amendement n° 85 rectifié ter est présenté par Mmes Yonnet et Lienemann, MM. Labazée et Manable et Mme Monier.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Dominique Watrin, pour présenter l’amendement n° 59.
M. Dominique Watrin. L’article 6 habilite le Gouvernement à modifier le code du travail en vue d’harmoniser l’état du droit pendant douze mois après la promulgation du présent projet de loi.
Sous couvert de coordination et de mise en cohérence rédactionnelles, cet article laisse de trop grandes marges de manœuvre, selon nous, au Gouvernement pour modifier le code du travail sur le fond, les réécritures du code étant rarement faites à droit constant.
Pour ces raisons, les auteurs de cet amendement demandent la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° 80 rectifié bis.
M. Maurice Antiste. L’article 6 habilite le Gouvernement à modifier le code du travail en vue d’harmoniser l’état du droit pendant douze mois après la promulgation du présent projet de loi.
Cette habilitation très large laisse au Gouvernement une marge de manœuvre excessive, des modifications notables du code du travail pouvant être introduites au nom de la mise en cohérence des textes. Compte tenu de l’objet du texte, qui touche aux bases mêmes du droit social, une habilitation aussi vague dessaisit à l’excès le Parlement.
Pour ces raisons, je propose la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour présenter l’amendement n° 85 rectifié ter.
Mme Évelyne Yonnet. Cet article autorise le Gouvernement à harmoniser l’état du droit, à assurer la cohérence des textes, à abroger les dispositions devenues sans objet et à remédier aux éventuelles erreurs. En l’état, il permet au Gouvernement de modifier le code du travail en l’alignant sur la philosophie, présumée fortement libérale, des ordonnances. Cet amendement a donc pour objet la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Il est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il est lui aussi défavorable. C’est une disposition assez classique. Il faut toujours un certain temps pour assurer une codification « nickel » et procéder à la correction des renvois ou à l’élimination des coquilles. Nous ne demandons ici rien d’exceptionnel.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Je ne comprends pas pourquoi vous voulez supprimer cet article, mes chers collègues. C’est l’occasion d’harmoniser le droit. Je vous signale que, depuis 2015, c’est la quatrième fois qu’on modifie le code du travail. Il est donc normal que l’exécutif, quel qu’il soit, regarde si toutes les dispositions sont cohérentes entre elles et les codifie au mieux.
Je signale aussi que, souvent, dans des textes législatifs, on corrige des erreurs qui ont été faites dans une loi antérieure et dont l’administration s’est aperçue ensuite. Il faut procéder à ces corrections.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Depuis trois jours, nous sommes confrontés à des formulations qui laissent une latitude un peu excessive au Gouvernement pour la rédaction des ordonnances ; en l’occurrence, la formulation de cet article permet vraiment presque tout ! Votre argument n’est guère recevable dans le cas d’ordonnances, madame Bricq. Permettez que nous soyons méfiants, car il y a de quoi l’être !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 59, 80 rectifié bis et 85 rectifié ter.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 147, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Après le mot :
harmoniser
insérer les mots :
à droit constant
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Sous couvert de coordination et de mise en cohérence rédactionnelles, cet article laisse de grandes marges de manœuvre au Gouvernement pour modifier le code du travail sur le fond, les réécritures du code étant rarement faites à droit constant. Pour cette raison, les auteurs de cet amendement proposent d’ajouter la mention « à droit constant ». Je pense que Mme Bricq sera d’accord avec nous !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Je comprends bien l’intention des auteurs de cet amendement, mais l’habilitation prévue à l’article 6 ne permet pas au Gouvernement de modifier le fond du droit. La correction des erreurs matérielles et des incohérences qui sont le legs des réformes qui se sont succédé ces dernières années, tout comme les moyens d’assurer la bonne insertion dans notre ordre juridique des modifications apportées par les ordonnances, ne peuvent mécaniquement pas se faire à droit constant par rapport à la situation actuelle, c’est-à-dire antérieure à la publication des ordonnances.
Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Foucaud, l'amendement n° 147 est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 226, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après les mots :
code du travail
insérer les mots :
ou d’autres codes
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il convient de compléter l’habilitation pour permettre que la correction des erreurs matérielles et des incohérences ne se limite pas au seul code du travail, mais concerne aussi les autres codes. Il s’agit non pas d’apporter des modifications, mais de corriger les renvois à des articles d’autres codes, pour ne pas créer d’incohérences entre les codes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
I. – Au second alinéa du I et au deuxième alinéa du II de l’article 257 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, le mot : « vingt-quatrième » est remplacé par le mot : « trente-sixième ».
II. – Le I du présent article entre en vigueur le 31 juillet 2017.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.
Mme Laurence Cohen. L’article 7, tel que modifié par la majorité sénatoriale en commission, prolonge la période transitoire relative à la mise en place du nouveau zonage dérogatoire au repos dominical prévu par la loi Macron. Les membres du groupe CRC s’étaient déjà opposés à cette loi d’inspiration libérale qui a étendu de fait le champ du travail le dimanche et ils maintiennent leur refus de ce qu’ils considèrent comme une régression sociale.
Les sociologues Laurent Lesnard et Jean-Yves Boulin ont publié une enquête très intéressante intitulée « Travail dominical, usages du temps et vie sociale et familiale », qui analyse les conséquences du travail dominical sur la vie personnelle des salariés du privé et des fonctionnaires mobilisés ce jour-là.
Hors agriculture, on estimait à 6,5 % la part de la population active qui travaillait le dimanche en 1970. En 2010, cette proportion est passée à 14 %. Elle ne cesse d’augmenter. Nous sommes face à un renversement que l’on peut qualifier d’historique : jusqu’à présent, le droit au repos obligatoire le dimanche était la règle.
Par ailleurs, le travail dominical a des conséquences sociales. Avec un dimanche entièrement travaillé à l’extérieur, les temps de sociabilité diminuent. En effet, ce jour est consacré aux liens familiaux, notamment entre parents et enfants, et à la sociabilité amicale.
Le travail dominical hors domicile est aussi un facteur d’inégalités sociales, car il concerne surtout les ouvriers, les employés du commerce et des services, notamment publics, par exemple les transports.
« Qui détermine vos horaires de travail ? » À cette question, 86 % des personnes travaillant le dimanche ont répondu que leurs horaires leur étaient imposés, seuls 4 % s’estimant libres de choisir. À l’évidence, le rapport de force n’est pas du tout en faveur des salariés appelés à travailler le dimanche, quelles que soient les compensations.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 60 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 163 est présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Christian Favier, pour présenter l’amendement n° 60.
M. Christian Favier. Il est proposé de supprimer cet article qui prévoit de proroger l’échéance de la période transitoire prévue en matière de travail du dimanche aux I et II de l’article 257 de la loi de 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, s’agissant des « communes d’intérêt touristique ou thermales », des « zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente » et des « périmètres d’usage de consommation exceptionnelle ».
Alors même que la commission des affaires sociales du Sénat a porté le délai de douze mois à trente-six mois, cet article constitue un recul sévère pour les droits des salariés tout autant qu’un danger pour le petit commerce local.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 163.
M. Jean Desessard. Nous avons déjà débattu de ces questions cet hémicycle. Doit-on travailler le dimanche ? Doit-on banaliser le dimanche ? Doit-on faire travailler les salariés pour vendre des sandwiches dans les centres commerciaux, alors qu’ils seraient mieux en famille, à s’occuper de leurs enfants ? Je ne prolongerai pas ce débat jusqu’à dimanche… (Sourires.)
Les écologistes sont opposés au travail dominical. Il faut conserver cette pause importante pour la convivialité citoyenne. C’est la raison pour laquelle je me rallie à la position de mes collègues du groupe CRC.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 60 et 163.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 86 rectifié, présenté par Mmes Yonnet, Lienemann et Jourda, M. Labazée et Mme Monier, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer le mot :
trente-sixième
par le mot :
trentième
La parole est à Mme Évelyne Yonnet.
Mme Évelyne Yonnet. Cet article prévoit de proroger d'une année supplémentaire la période transitoire prévue en matière de travail du dimanche par l'article 257 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
Au regard de l'application d'ordonnances remettant en cause les modalités de négociation des accords et conventions dans le domaine salarial, il convient que cette prorogation ne s’étende que jusqu'à l'application du droit actuel. Cette mesure permettrait aux entreprises qui n’auraient pas trouvé un accord collectif concernant le travail dominical dans les zones touristiques internationales de disposer d’un délai supplémentaire de six mois pour mettre en place un tel accord.
Cet amendement vise donc à modifier l’article 257 de la loi du 6 août 2015 pour porter à trente mois la période transitoire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement. La durée de trente-six mois que prévoit l’article 7 correspond en effet à la position du Sénat en 2015.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 7
M. le président. L'amendement n° 130 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La section 2 du chapitre II du titre III du livre Ier de la troisième partie du code du travail est ainsi modifiée :
1° L’article L. 3132-3 est ainsi rédigé :
« Art. L. 3132-3. – Dans l’intérêt des salariés, de leurs familles et de la société, le repos hebdomadaire est donné le dimanche.
« Aucune dérogation à ce principe n’est possible à moins que la nature du travail à accomplir, la nature du service fourni par l’établissement ou l’importance de la population à desservir ne le justifie. » ;
2° Le premier alinéa de l’article L. 3132-13 est ainsi rédigé :
« Dans les commerces de détail alimentaire d’une surface inférieure à 500 mètres carrés, le repos hebdomadaire peut être donné le dimanche à partir de treize heures. Le seuil maximal de 500 mètres carrés n’est pas applicable dans les communes d’intérêt touristique ou thermales et dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente. » ;
3° L’article L. 3132-23 est ainsi rédigé :
« Art. L. 3132-23. – Le principe du repos dominical ne peut pas être considéré comme une distorsion de concurrence. » ;
4° L’article L. 3132-25 est ainsi rédigé :
« Art. L. 3132-25. – Sans préjudice de l’article L. 3132-20, dans les communes d’intérêt touristique ou thermales et dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente, il peut être dérogé au principe du repos dominical, après autorisation administrative, pendant la ou les périodes d’activité touristique, dans les établissements de vente au détail qui mettent à disposition du public des biens et des services destinés à faciliter son accueil ou ses activités de détente ou de loisirs d’ordre sportif, récréatif ou culturel.
« La liste des communes d’intérêt touristique ou thermales est établie par le préfet, sur demande des conseils municipaux, selon des critères et des modalités définis par voie réglementaire. Pour les autres communes, le périmètre des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente est délimité par décision du préfet prise sur proposition du conseil municipal.
« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. » ;
5° L’article L. 3132-25-3 est abrogé ;
6° L’article L. 3132-25-4 est ainsi rédigé :
« Art. L. 3132-25-4. – Les autorisations prévues aux articles L. 3132-20, L. 3132-25 et L. 3132-25-1 sont accordées pour une durée limitée, après avis du conseil municipal et de la chambre de commerce et d’industrie, de la chambre des métiers et des syndicats d’employeurs et de salariés intéressés de la commune. » ;
7° L’article L. 3132-27 est abrogé ;
8° Le paragraphe 3 de la sous-section 2 de la section 2 est complété par un sous-paragraphe ainsi rédigé :
« Sous-paragraphe …
« Garanties et protections pour les salariés qui travaillent le dimanche
« Art. L. 3132-27-1-1. – Dans le cadre des dérogations prévues aux articles L. 3132-20 à L. 3132-27-1, seuls les salariés ayant donné volontairement leur accord par écrit peuvent travailler le dimanche.
« Une entreprise bénéficiaire d’une telle dérogation ne peut prendre en considération le refus d’une personne de travailler le dimanche pour refuser de l’embaucher.
« Le salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une telle dérogation qui refuse de travailler le dimanche ne peut faire l’objet d’aucune mesure discriminatoire dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.
« Le refus de travailler le dimanche pour un salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une telle dérogation ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement.
« Art. L. 3132-27-1-2. – Le salarié qui travaille le dimanche, à titre exceptionnel ou régulier, en raison des dérogations accordées sur le fondement des articles L. 3132-20 à L. 3132-27-1, bénéficie de droit d’un repos compensateur et perçoit pour ce jour de travail une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente.
« Un décret précise les conditions dans lesquelles ce repos est accordé soit collectivement, soit par roulement dans la quinzaine qui précède ou suit la suppression du repos.
« Si le repos dominical est supprimé un dimanche précédant une fête légale, le repos compensateur est donné le jour de cette fête.
« Art. L. 3132-27-1-3. – Sans méconnaître les obligations prévues à l’article L. 3132-27-1-2, toute entreprise ou établissement qui souhaite déroger au principe du repos dominical sur le fondement des articles L. 3132-20 à L. 3132-27-1 présente à l’autorité administrative compétente pour autoriser la dérogation un accord de branche ou un accord interprofessionnel, fixant notamment les conditions dans lesquelles l’employeur prend en compte l’évolution de la situation personnelle des salariés privés de repos dominical et les contreparties accordées à ces salariés.
« Art. L. 3132-27-1-4. – L’employeur demande chaque année à tout salarié qui travaille le dimanche s’il souhaite bénéficier d’une priorité pour occuper ou reprendre un emploi ressortissant à sa catégorie professionnelle ou un emploi équivalent ne comportant pas de travail le dimanche dans le même établissement ou, à défaut, dans la même entreprise. L’employeur l’informe également, à cette occasion, de sa faculté de ne plus travailler le dimanche s’il ne le souhaite plus. Le refus du salarié prend effet trois mois après sa notification écrite à l’employeur.
« Le salarié qui travaille le dimanche peut à tout moment demander à bénéficier de la priorité définie au premier alinéa.
« Le salarié privé de repos dominical conserve la faculté de refuser de travailler trois dimanches de son choix par année civile. Il en informe préalablement son employeur en respectant un délai d’un mois.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.
« Art. L. 3132-27-1-5. – Aucune sanction l’encontre d’un établissement ou d’une entreprise méconnaissant la législation sur le repos dominical ne peut avoir pour conséquence le licenciement des personnels employés et affectés au travail ce jour. Ces salariés conservent le bénéfice des rémunérations et des primes qu’ils percevaient antérieurement à la sanction administrative ou financière. »
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Cet amendement est retiré, monsieur le président. Nous le représenterons à une autre occasion.
M. le président. L'amendement n° 86 rectifié est retiré.
L'amendement n° 148, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 3132-26 du code du travail est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase du premier alinéa, le mot : « douze » est remplacé par le mot : « cinq » ;
2° Les deuxième et troisième alinéas sont supprimés.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 20 rectifié bis, présenté par M. Mouiller, Mmes de Rose et Mélot, MM. Morisset, Commeinhes, César, Lefèvre, Bonhomme, D. Laurent et Savary, Mmes Lopez et Estrosi Sassone, MM. Pointereau, Longuet et de Legge, Mmes Morhet-Richaud et Billon, MM. Rapin, Kern et Pellevat, Mmes Debré, Deromedi et Di Folco et M. Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le début de la première phrase du premier alinéa de l’article L. 3132-29 du code du travail est ainsi rédigé : « Lorsqu’au sein d’une zone géographique déterminée, un accord sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d’employeurs représentatives d’une profession, le préfet… (le reste sans changement) ».
La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Il s’agit de s’assurer que les accords sociaux concernant le travail du dimanche soient conclus par des interlocuteurs représentatifs des professions concernées.
Le parallélisme des formes doit être rétabli. Dès lors que des organisations syndicales représentatives peuvent demander au préfet l’abrogation de l’arrêté, il est logique de prévoir que les organisations syndicales demandant au préfet l’adoption de cet arrêté soient, elles aussi, représentatives.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission demande l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il s’agit d’un sujet technique. Cet amendement vise à ajouter une condition à l’édiction des arrêtés préfectoraux de fermeture dominicale prévue à l’article L. 3132-29 du code du travail. Les accords sur lesquels ils s’appuient devraient être conclus par des organisations représentatives.
Une telle mesure est difficilement applicable, car les périmètres des arrêtés de fermeture sont aujourd’hui départementaux et infradépartementaux. La profession à laquelle ils peuvent s’appliquer peut recouvrir de nombreuses branches – ainsi, pour la vente de pain, le commerce de détail alimentaire, la boulangerie-pâtisserie… Prendre en compte la représentativité des organisations syndicales d’employeurs à un échelon infradépartemental et intermétiers poserait une multitude de difficultés. Cela deviendrait rapidement une usine à gaz et compliquerait le travail des préfets.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis tout à fait défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Cela ne règle pas le problème ! La situation est confuse, les arrêtés du préfet pouvant être remis en cause par certains.
Je retire cet amendement, mais il faudra éclaircir ce point, madame la ministre !
M. le président. L'amendement n° 20 rectifié bis est retiré.
Article 8
(Non modifié)
Pour chacune des ordonnances prévues aux articles 1er à 7, un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de sa publication.
M. le président. L'amendement n° 158, présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. La discussion s’accélère… (Sourires.)
Cet amendement vise justement à critiquer la précipitation de la méthode des ordonnances. Les sujets abordés auraient mérité de plus amples débats. Il aurait fallu connaître les positions des organisations syndicales,…
Mme Éliane Assassi. C’est vrai !
M. Jean Desessard. … étudier les exemples qu’a donnés à foison Mme la ministre, bref mieux travailler le dossier.
À cet égard, je regrette que le groupe CRC ait retiré son amendement sur l’ubérisation. Sur ce sujet, il y a urgence ! Nous avons besoin d’un débat sur l’ubérisation de notre économie et les moyens de financer la sécurité sociale. Cet amendement posait une vraie question qui méritait d’être traitée en urgence.
Mme Laurence Cohen. Il fallait le reprendre !
M. Jean Desessard. Je maintiens cet amendement, mais je comprends que vous vouliez aller encore plus vite, madame la ministre, monsieur le rapporteur ! Ce n’est plus « en marche », c’est « au galop » ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Je vais tout de même prendre le temps de souligner la malice de M. Desessard et des cosignataires de cet amendement de suppression !
L'article 8 fixe le délai de dépôt des projets de loi de ratification à trois mois à compter de la publication des ordonnances. Il s’agit d’une obligation constitutionnelle, dont le non-respect entraînerait la caducité des ordonnances…
M. Jean Desessard. Vous l’avez vu ? C’est dommage !... (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je salue également l’habileté de la tentative, mais suis bien évidemment défavorable à cet amendement, pour les mêmes raisons que la commission.
M. le président. Je mets aux voix l'article 8.
(L'article 8 est adopté.)
Article 8 bis
(Non modifié)
Dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement afin de procéder à une évaluation précise de l’effet des ordonnances prises sur le fondement des articles 1er à 8. Ce rapport doit plus particulièrement permettre de mesurer l’impact des mesures prévues par ces ordonnances sur la compétitivité des très petites entreprises et des petites et moyennes entreprises, ainsi que sur la protection des salariées et des salariés. Un débat peut être organisé au Parlement sur la base des conclusions de ce rapport.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur. Nous clôturons nos travaux sur ce projet de loi par l’examen d’un article et de quatre amendements portant article additionnel visant à demander au Gouvernement de réaliser des rapports à destination du Parlement. Je réitérerai sur mon opposition et celle de la commission des affaires sociales – bien ancrées, mais pas absolues – à cette pratique, en me fondant sur des exemples récents tirés de la discussion des dernières lois majeures relatives au droit du travail.
Dans la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, le Gouvernement s’était engagé à remettre au Parlement quinze rapports, le dernier au plus tard le 31 décembre 2015. Seuls deux nous ont été communiqués.
Aucun des cinq rapports prévus par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale n’a été transmis au Parlement. Idem pour les trois rapports prévus par la loi Rebsamen du 17 août 2015.
Enfin, ce sont déjà cinq rapports prévus par la loi El Khomri du 8 août 2016 qui sont en retard. Je vous informe d’ailleurs, madame la ministre, que vous devez transmettre au Parlement, avant le 8 août prochain, un rapport dressant le bilan de la mise en œuvre de la base de données économiques et sociales – c’est l’article 20 de la loi El Khomri –, un rapport sur l’état des discriminations syndicales en France – c’est l’article 30 –, ainsi qu’un rapport présentant des propositions pour renforcer l’attractivité de la carrière de médecin du travail – c’est l’article 104.
Mme Éliane Assassi. Bonnes vacances, madame la ministre ! (Sourires.)
M. Alain Milon, rapporteur. Je peux dire, à titre d’exemple, que nous espérons toujours obtenir un jour le rapport sur l’articulation entre le code du travail et les statuts des personnels des chambres consulaires, qui aurait dû être remis le 31 décembre 2013, en application de l’article 26 de la loi du 14 juin 2013, ou encore celui sur la redéfinition, l’utilisation et l’harmonisation des notions de jour dans le code du travail, que je sais cher à Nicole Bricq et qui aurait dû nous être remis avant le 9 mai dernier en application de l’article 13 de la loi El Khomri.
Je tiens enfin à lever un malentendu qui est apparu lors de la discussion ce matin de l’amendement n° 177 rectifié ter à l’article 3, relatif au télétravail. À cette occasion, il a bien été fait mention d’un rapport, très utile d’ailleurs, sur ce thème. Il s’agit toutefois non d’un rapport du Gouvernement au Parlement, mais du résultat de la concertation engagée par les partenaires sociaux en application de l’article 57 de la loi El Khomri.
C’est l’occasion de souligner, pour conclure, que ce même article prévoyait que le Gouvernement remettrait au Parlement avant le 1er décembre 2016 un rapport sur l’adaptation juridique des notions de lieu, de charge et de temps de travail liée à l’utilisation des outils numériques. Comme vous vous en doutez, mes chers collègues, nous l’attendons toujours… (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Je partage tout à fait l’analyse du rapporteur. En disant cela, je ne me prononce pas sur les demandes de rapport que nous aurons à examiner dans quelques instants.
Lorsque je présidais la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, qui a été dissoute depuis et dont les travaux ont été salués, j’ai redit tous les ans que le Parlement ne s’honorait pas à faire des demandes auxquelles il ne croyait pas lui-même.
M. Gérard Dériot, vice-président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
M. David Assouline. En effet, ce faisant, il dévalorise son propre travail. Le taux de remise des rapports prévus dans la loi est tellement ridicule qu’il devient presque humiliant de continuer à faire semblant… La pratique a peut-être un peu décliné, mais elle perdure. On m’avait même appris, lorsque j’étais jeune sénateur, que si l’amendement que je souhaitais présenter n’était pas recevable, il suffisait de demander un rapport pour être sûr que le sujet serait abordé !
M. Antoine Lefèvre. C’était la vieille école !
M. Roger Karoutchi. C’était le monde d’avant !
M. David Assouline. Il n’est guère souhaitable que la Haute Assemblée poursuive dans cette attitude quelque peu adolescente. Je ne suis pas opposé par principe aux demandes de rapport, mais quand on en présente systématiquement et à tout propos, le Gouvernement ne se sent plus tenu à aucune obligation à cet égard, la tâche étant impossible, sauf à ne se consacrer qu’à cela.
M. le président. Je mets aux voix l'article 8 bis.
(L'article 8 bis est adopté.)
Articles additionnels après l'article 8 bis
M. le président. L'amendement n° 144 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 8 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement présente, au plus tard le 31 décembre 2017, un rapport d’évaluation sur les dispositifs de sécurisation de l’emploi existants et les axes d’amélioration en vue de mettre en place une sécurité sociale professionnelle pour tous les salariés.
Ce rapport s’attache plus particulièrement à présenter les pistes de réflexion permettant d’assurer à chacun un travail décent ou un revenu de remplacement, ainsi que des droits sociaux continus en matière de salaire, de formation, de qualification, d’ancienneté, et de représentation syndicale.
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement vise précisément à demander au Gouvernement la remise, au plus tard le 31 décembre 2017, d’un rapport d’évaluation des dispositifs de sécurisation de l’emploi existants et des axes d’amélioration, en vue de mettre en place une sécurité sociale professionnelle pour tous les salariés. Je ne rappellerai pas ici les propos tenus par Ambroise Croizat et les membres du Conseil national de la résistance lorsqu’ils ont mis en place la sécurité sociale. Peut-être pourraient-ils figurer dans ce rapport…
S’appuyant sur la proposition de loi n° 4413 pour une sécurité de l’emploi et de la formation, déposée le 25 janvier 2017, cet amendement vise à lancer le débat sur la mise en œuvre d’une véritable sécurité sociale professionnelle pour tous.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Compte tenu des plaidoyers du rapporteur et de M. Assouline, avis défavorable !
M. le président. L'amendement n° 47 rectifié bis, présenté par MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 8 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le 30 juin 2018, le Gouvernement présente au Parlement un rapport examinant la possibilité de conserver au salarié concerné par un licenciement économique les éléments du statut de salarié lui permettant de maintenir un lien avec l’entreprise pendant la durée d’une formation qualifiante.
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Il y a une erreur dans la rédaction de cet amendement : c’est non pas un rapport, mais une réflexion qui est demandée au Gouvernement ! (Rires.)
Nous vivons une période de chômage qui dure depuis plus de trente ans et la vérité, c’est que le chômage ne disparaîtra pas. Il connaîtra peut-être des reculs, mais ils seront suivis de périodes de recrudescence, car nous sommes dans une économie qui évolue.
Or, même s’il pourrait ne pas en être une, le chômage est vécu comme une malédiction pour celui qui le subit, autant pour des raisons financières lorsqu’il se prolonge que pour des raisons psychologiques et sociétales. Il induit un sentiment d’humiliation, la perte d’estime de soi, la peur du regard des autres, la perte des savoir-faire.
Le nombre de suicides liés au chômage est considérable. Selon une étude, dont j’ignore si elle est véritablement scientifique, 500 000 cancers dans le monde seraient liés au chômage. Les traumatismes subis sont souvent irréversibles et ont des conséquences sur la vie familiale, la capacité éducative – quand on a perdu l’estime de soi, on ne peut plus s’intéresser aux autres, en particulier à ses enfants –, et peuvent entraîner des conduites addictives et l’exclusion sociale.
Le maintien d’un lien avec l’entreprise, lorsque celle-ci n’a pas disparu, permettrait d’éviter ce type de trauma, sans entraîner de coût supplémentaire.
L’indemnisation du chômage représente 40 milliards d'euros. La formation des chômeurs coûte 30 milliards d’euros. Ces 70 milliards d’euros dépensés chaque année seraient peut-être mieux utilisés s’ils permettaient de conserver au salarié son statut pendant la période de formation, ce qui éviterait cette humiliation, ces difficultés, ces traumatismes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. L’amendement prévoit explicitement la remise d’un rapport, et c’est sur cette rédaction que la commission doit s’exprimer, même si je suis d’accord avec les remarques qui ont été formulées, en particulier sur les difficultés de santé que peut entraîner le chômage.
Sur la forme, je l’ai dit, je ne suis pas favorable aux demandes de rapport.
Sur le fond, nous avons déjà eu ce débat il y a un an lors de l’examen de la loi « travail ». Je rappelle que, dans les entreprises employant plus de 1 000 salariés, les salariés licenciés pour motif économique bénéficient d’un congé de reclassement qui leur permet justement de rester liés contractuellement à leur entreprise d’origine pendant leur formation. Toutefois, une telle obligation ne pourrait pas être généralisée à toutes les entreprises en deçà de ce seuil.
Je crois savoir que le Gouvernement et les partenaires sociaux souhaitent améliorer le contrat de sécurisation professionnelle auquel ont droit tous les salariés licenciés pour motif économique dans les entreprises de moins de 1 000 salariés. Peut-être souhaiteront-ils explorer la piste ouverte par M. Tourenne, pour créer un préavis plus long. Laissons la réflexion se poursuivre sur ce point et revoyons ce sujet dans quelques mois, lors de l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances. Peut-être pourrons-nous alors demander ensemble un rapport…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Même avis défavorable sur cette demande de rapport, mais une telle réflexion doit être menée.
M. le président. Monsieur Tourenne, l'amendement n° 47 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Louis Tourenne. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 149 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 8 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation sur la mise en œuvre de la loi n° 2016-10-88 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. N’en déplaise à notre excellent rapporteur, étant donné la faiblesse des études d’impact qui accompagnent les projets de loi et dans la mesure où nous sommes souvent bridés par l’article 40 de la Constitution pour formuler des propositions concrètes, notre seul recours est de demander un rapport…
En l’occurrence, nous souhaitons la remise d’un rapport tirant le bilan de la mise en place de la loi El Khomri, afin de voir si, à l’horizon de six mois, le bouleversement, pour ne pas dire la destruction, du code du travail en cours aura eu des effets significatifs sur la baisse du chômage. Nous sommes très curieux de le savoir !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 166 rectifié, présenté par MM. Yung et Leconte et Mmes Lepage et Conway-Mouret, est ainsi libellé :
Après l'article 8 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la situation, au regard de l'assurance chômage, des agents contractuels recrutés sur place dans les services de l'État à l'étranger.
Ce rapport explore les pistes susceptibles de permettre aux agents non titulaires de droit local de bénéficier d'une indemnisation au titre de l'assurance chômage lors de leur retour sur le territoire français. Il aborde notamment la possibilité de mettre en place un dispositif d'indemnisation dans le cadre de l'auto-assurance ou d'une convention de gestion ou, à défaut, d'autoriser les agents de droit local à adhérer à titre individuel au régime français d'assurance chômage. Il évalue également l'impact financier des différentes options envisageables.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, je n’ai pas d’autre solution que de vous demander un rapport sur la situation, au regard de l’assurance chômage, des agents non titulaires français recrutés localement par les administrations françaises à l’étranger.
Ces personnels représentent, par exemple, environ un tiers des 4 500 recrutés locaux du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Leur nombre va croissant à mesure que les postes d’expatrié sont supprimés.
À leur retour en France, les recrutés locaux –contrairement aux agents détachés à l’étranger ou expatriés – se voient refuser le bénéfice d’une allocation d’assurance chômage, qu’il s’agisse de l’allocation temporaire d’attente, l’ATA, ou de l’allocation d’aide au retour à l’emploi, l’ARE. Or, en vertu de l’article L. 5424-1 du code du travail, l’État et ses établissements publics administratifs ont l’obligation d’assurer leurs agents non fonctionnaires contre le risque de privation d’emploi.
Dans une décision du 27 février 2013, le Défenseur des droits considère que les recrutés locaux « subissent une différence de traitement qui n’apparaît pas justifiée tant au regard de la situation des agents non titulaires de l’État, que de celle des salariés du secteur privé placés dans une situation comparable ». Il recommande donc au Gouvernement de « prendre les mesures nécessaires en vue de permettre à ces agents […] de bénéficier des droits à indemnisation chômage à leur retour sur le territoire français ».
Force est malheureusement de constater qu’aucune suite positive n’a encore été donnée à cette recommandation, qui va dans le même sens qu’un télégramme diplomatique en date du 9 septembre 2009, selon lequel l’ouverture des droits à l’assurance chômage « s’applique […] aux ADL – agents de droit local – qui décideraient de venir résider en France dans les douze mois qui suivent la fin de leur contrat ».
En déposant cet amendement, nous souhaitons que le Gouvernement indique au Parlement comment il entend améliorer le régime de protection sociale des personnels de droit local, qui jouent un rôle central dans le fonctionnement des postes diplomatiques et consulaires, des instituts culturels et des établissements scolaires français. Toutes les pistes doivent être explorées, y compris l’auto-assurance, la conclusion d’une convention de gestion avec Pôle emploi et l’adhésion individuelle au régime français d’assurance chômage.
Madame la ministre, je doute de l’adoption de cet amendement, mais, compte tenu de vos fonctions précédentes, peut-être serez-vous en mesure de nous indiquer comment vous pensez pouvoir nous aider à avancer sur ce sujet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Il s’agit d’une question technique relative à la politique du ministère de l’Europe et des affaires étrangères envers les agents qu’il recrute à l’étranger sous l’empire du droit local. J’espère que la ministre pourra y apporter une réponse. Je lui en souffle une : je pense que si nous adoptions cet amendement, aucun rapport ne verrait jamais le jour !
Je vous propose, monsieur Leconte, de poser plutôt une question orale sur ce sujet au ministre concerné. Vous recevrez alors sans doute une réponse beaucoup plus précise que celle que vous pourrez obtenir ce soir.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement est défavorable à cette demande de rapport. Je pense que le mieux serait effectivement de saisir le ministre concerné.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Cher collègue, il fallait non pas demander un rapport, mais rédiger ainsi votre amendement : « Dans les conditions prévues à l’article, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toutes mesures relevant du domaine de la loi pour sécuriser la situation des agents non titulaires de droit local et leur permettre de bénéficier d’une indemnisation au titre de l’assurance chômage. »
Ainsi formulé, votre amendement passerait, du fait de la mention des ordonnances !
Si M. le rapporteur ou Mme la ministre jugent la question posée intéressante, je leur suggère de reprendre l’amendement sous cette forme…
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Si le Gouvernement demande à être habilité à légiférer par ordonnance sur ce sujet, je m’en réjouirai ! (Sourires.)
Certes, c’est le droit local qui prévaut pour les agents de recrutement local. J’attire cependant votre attention, monsieur le rapporteur, sur le fait que certaines personnes relevant du droit local sont parfois considérées, dans le pays où elles travaillent, comme des agents diplomatiques et, pour cette raison, ne bénéficient pas des prestations sociales locales. Il y a là une difficulté spécifique, qui s’ajoute à l’absence couverture par l’assurance chômage en cas de retour en France.
Si nous abordons cette question aujourd'hui, c’est parce que le ministère des affaires étrangères ne bouge pas, malgré les interpellations du Défenseur des droits.
Cela étant dit, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 166 rectifié est retiré.
Article 9 et article additionnel après l’article 9 (précédemment examinés)
M. le président. Je rappelle que l’article 9 et l’amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 9 ont été examinés par priorité.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Comme d’autres, je suis présent dans l’hémicycle depuis lundi après-midi. En cet instant, je m’exprimerai en mon nom personnel, mais aussi au nom d’un certain nombre de mes collègues.
Ayant soutenu et voté la loi Rebsamen et la loi El Khomri, j’ai adopté, en cohérence avec cette position, une approche favorable du projet de loi soumis à notre examen cette semaine. Depuis lundi, j’ai apporté à ce texte un soutien certain, mais aussi nuancé et vigilant – s’agissant notamment du travail de nuit, des prud’hommes ou de la pénibilité –, toujours guidé par la défense des convictions et des valeurs qui sont les miennes.
La procédure des ordonnances est conforme à nos institutions républicaines, cela ne fait pas débat. Elle a d’ailleurs été largement utilisée par les gouvernements de gauche depuis le début de la Ve République.
Sur le fond, la primauté des accords d’entreprise et de branche est de plus en plus régulièrement affirmée, et ce depuis une ordonnance Auroux de janvier 1982, ce qui est assez surprenant.
Je souhaite insister fortement, madame la ministre, sur la nécessité de conforter les moyens destinés à assurer la présence syndicale dans les entreprises. C’est selon moi un levier indispensable du renforcement du dialogue social. À cet égard, je me félicite de l’adoption hier de l’amendement tendant à créer, au sein de l’instance unique de représentation des salariés, une commission spécifique chargée de traiter des questions d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
D’une façon plus générale, je partage l’idée que les décisions que nous prenons doivent absolument pouvoir être mises en œuvre et fonctionner dans la réalité. Il y va de la crédibilité de l’action politique.
Entre certaines situations aujourd'hui insupportables, indignes pour les salariés ou défavorables au développement économique et le monde idéal dont nous avons tous une vision et dont nous rêvons, il existe – c’est ma conception de l’action politique – un champ de la réforme ambitieuse.
L’ambition peut être d’aller plus loin en matière de prise en compte des quatre derniers critères de pénibilité, comme nombre d’entre nous l’ont demandé cet après-midi. Nous souhaitons une réforme ambitieuse qui à la fois prévoie des protections nouvelles pour les salariés – à cet égard, nous attendons, madame la ministre, les textes relatifs à la sécurisation des salariés, c’est-à-dire portant sur la formation professionnelle et sur le chômage – et permette d’accroître notre efficacité économique, sans détruire notre système de protection sociale.
En conclusion, je serai amené à voter contre ce projet de loi, pour marquer mon opposition très forte aux modifications qui y ont été apportées par la majorité sénatoriale au fil du processus législatif. Nous formerons bien sûr notre jugement définitif lorsque nous connaîtrons le texte des ordonnances et nous l’exprimerons lors de l’examen du projet de loi de ratification. (Mme Catherine Tasca applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Nous arrivons donc au terme de la discussion de ce projet de loi. Durant quatre jours, les membres de notre groupe sont intervenus pour en critiquer les conséquences négatives. Nous avons démontré en quoi le postulat qui fonde ce projet de loi est faux : penser qu’une amélioration de la productivité des entreprises pourrait résulter de la réduction des droits des salariés relève d’un raisonnement indigent.
Nous avons dénoncé une rupture d’égalité des droits entre les salariés et souligné qu’il est dangereux de réduire le pouvoir de ceux-ci dans l’entreprise et leurs droits syndicaux.
Parmi les nombreux reculs que comporte le texte, nous citerons le plafonnement des indemnités de licenciement, la suppression du compte pénibilité, la réduction des délais de recours aux prud’hommes, la fusion des instances représentatives du personnel.
Non, mes chers collègues, il n’est pas difficile de licencier en France ! Non, les contraintes qui pèsent sur les entreprises ne sont pas trop rigides, notamment en matière de licenciement. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur les indicateurs publiés par l’OCDE qui permettent de comparer ce que l’on appellera, selon le point de vue où l’on se place, les rigidités imposées aux patrons ou les protections accordées aux salariés.
Ainsi, en matière de licenciements individuels, nous nous situons dans la moyenne des pays étudiés. En termes de délais de préavis, d’indemnités de licenciement, les dispositions de notre code du travail ne sont pas plus contraignantes, en moyenne, qu’elles ne le sont dans d’autres pays. L’OCDE, qu’on ne peut tout de même pas soupçonner de complaisance à l’égard de notre modèle social, rappelle même qu’il est plus facile de faire un plan social en France qu’en Irlande, en Hongrie, en Allemagne, en Suisse, en Italie, en Belgique, parmi d’autres pays.
Malgré ces éléments objectifs, le Gouvernement a choisi d’aligner son texte sur le cahier de revendications du MEDEF. Logiquement, vous avez refusé l’intégralité des amendements que nous avons proposés visant à renforcer les droits des salariés dans les entreprises. Vous avez également refusé l’ensemble de nos propositions alternatives, qu’il s’agisse de l’interdiction des licenciements boursiers, de l’instauration d’un droit de veto des représentants du personnel, de la réparation intégrale par les prud’hommes, des mesures de protection juridique des syndicalistes…
En réalité, outre que votre projet de renforcement du dialogue social réduira les protections des salariés, il sera contre-productif au regard de la santé de notre économie. C’est pourquoi nous voterons contre l’ensemble de ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Je voudrais remercier le président-rapporteur de la commission des affaires sociales, laquelle a introduit des ajouts peu nombreux, mais importants, précis et conformes à la philosophie du texte. Ils visent en effet à instaurer la flexibilité nécessaire pour fluidifier les parcours vers l’emploi tout en prévoyant un certain nombre de garanties en matière de protection des salariés.
Nous avons effectué un travail important en commission et serons attentifs à ce qu’en conservera la commission mixte paritaire. Comme nous l’avions annoncé, nous voterons ce projet de loi, un certain nombre de nos amendements ayant été adoptés. Nous nous retrouverons dès la semaine prochaine, madame la ministre, et suivrons avec une grande vigilance la suite du processus législatif.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Lorsque nous avons abordé l’examen de ce projet de loi, nous avions des craintes, des inquiétudes sur ses orientations, madame la ministre. Malheureusement, les débats et les réponses que vous nous avez apportées ne les ont pas dissipées, bien au contraire.
Vous avez trouvé dans l’hémicycle une majorité qui, non contente de soutenir votre projet, est même allée plus loin que ce que vous proposiez. C’est une mauvaise nouvelle pour les salariés et l’ensemble du monde du travail, mais ce n’est pas non plus, comme l’a dit mon collègue Dominique Watrin, une bonne nouvelle pour l’économie. La mise en œuvre de vos propositions ne va pas ouvrir la voie à un recul du chômage, bien au contraire. Le MEDEF se réjouit de cette réforme, contrairement aux grandes organisations syndicales.
Prétendument pour réduire le chômage, vous avez choisi de faciliter les licenciements, de limiter les recours pour les salariés, de plafonner les indemnités auxquelles ils peuvent prétendre, de fusionner les institutions représentatives du personnel, d’étendre à de nombreux domaines l’inversion de la hiérarchie des normes et la suppression du principe de faveur, avec toutes les inégalités que cela va engendrer, de rendre la loi supplétive, voire accessoire, de généraliser la précarité en créant des CDI de projet – j’ai dénoncé cet oxymore – qui sont en fait des CDD… Bref, vous allez créer une société de « mini-jobs », une société où l’on travaille encore plus le dimanche et la nuit, un monde du travail où l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes reste un simple objectif. Ce n’est vraiment pas une bonne nouvelle !
Quant à nous, nous nous félicitons tout de même d’avoir obtenu davantage de soutien de la part d’un certain nombre de nos collègues socialistes que lorsque nous nous sommes battus contre la loi El Khomri. C’est un point d’appui intéressant pour construire l’avenir et des propositions alternatives.
Vous avez pris pour cible, madame la ministre, les salariés, ceux qui n’ont pas la chance de bénéficier de stock-options, de parachutes dorés. Notre combat n’est pas terminé. Il se poursuivra ici, dans l’hémicycle, mais aussi dans la rue, au côté des salariés, le 12 septembre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur. Je prie les orateurs inscrits pour expliquer leur vote de bien vouloir m’excuser d’intervenir maintenant, mais je dois prendre le dernier TGV de la journée afin de pouvoir être à Avignon ce soir et profiter un peu de la Provence dès demain ! (Sourires.)
Je tiens à remercier les présidents de séance qui se sont succédé au plateau, ainsi que Mme la ministre et ses collaborateurs, avec qui nous avons réalisé un travail intéressant. Nous verrons dans quelques jours ce qu’il en adviendra. Enfin, je remercie les membres de la commission des affaires sociales, car, malgré nos divergences, nous sommes parvenus à travailler dans une ambiance sereine et même amicale, ce à quoi je tiens beaucoup.
Étant plutôt un spécialiste des questions de santé et de sécurité sociale, je dois avouer que je ne connaissais pas grand-chose au droit du travail. J’adresse donc des remerciements particuliers à nos collaborateurs de la commission des affaires sociales, qui m’ont beaucoup appris en moins de trois semaines. Leur aide m’aura permis, du moins je l’espère, de ne pas avoir l’air ridicule devant vous, mes chers collègues ! (On se récrie sur diverses travées.)
Mme Nicole Bricq. Ne soyez pas si modeste !
M. Alain Milon, rapporteur. Je tiens en outre à vous faire part de mon inquiétude sur la façon dont risque de se dérouler la CMP. J’en ai déjà parlé aux membres de mon groupe et à Mme la ministre. La représentation de l'Assemblée nationale à la CMP n’a pas été constituée d’une manière conforme à la tradition, qui veut que quatre de ses membres titulaires soient issus de la majorité et trois des groupes de l’opposition. En l’occurrence, elle comprendra cinq représentants de la majorité et deux de l’opposition. J’ignore si cela tient à un manque d’expérience ou à une volonté d’imposer quelque chose, mais en tout cas le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale a refusé mes invitations à échanger, madame la ministre… Je devrai donc arriver tôt à l'Assemblée nationale lundi afin de pouvoir discuter avec lui. Je ne mets pas en cause le Gouvernement dans cette affaire, mais nous devons être extrêmement vigilants sur les relations entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Le Sénat a un rôle important à jouer dans l’élaboration des lois, notamment parce qu’il apporte souvent une forme d’apaisement. J’espère que les choses se passeront mieux à l’avenir.
Je donne rendez-vous aux membres de la CMP lundi, à seize heures à l'Assemblée nationale, et à vous tous, mes chers collègues, jeudi 3 août, pour le vote du projet de loi d’habilitation tel qu’il résultera des travaux de la CMP. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Au cours de ces quatre jours de discussions, toutes les sensibilités ont pu s’exprimer. Comme vous avez pu le constater, madame la ministre, l’hémicycle du Sénat peut être le lieu de débats vifs et passionnés.
L’examen de la loi El Khomri avait lui aussi été l’occasion d’échanges parfois musclés. La raison en est simple : le travail structure nos vies et celles de nos concitoyens.
Deux visions s’opposent sur le droit du travail : d’aucuns le souhaitent centralisé, légal, exhaustif ; d’autres, dont je fais partie, veulent faire confiance à l’intelligence collective.
J’ai dit lors de la discussion générale que notre groupe souhaitait vous faire confiance, madame la ministre. La teneur des débats me permet de vous confirmer notre soutien.
Je remercie le président Milon de son action. Au long de ces trois dernières années, j’ai eu plaisir à apprendre le métier de sénateur au côté de mes collègues de la commission.
Madame la ministre, c’est maintenant à vous de jouer. La partie sera difficile. Soyez ferme face à ceux qui cherchent à vous déstabiliser. Ne reculez pas devant les dogmatismes et les vieilles lunes. Il y aura de nombreuses résistances, peut-être violentes, comme nous avons pu en voir l'an dernier. Accrochez-vous aux principes qui doivent guider votre réforme. Placez le dialogue social au plus près de l’entreprise, au plus près du terrain. Fluidifiez le dialogue social dans les entreprises, un dialogue direct, sans intermédiaires obligatoires. Simplifiez les règles applicables aux administrations et adaptez le rôle de celles-ci. Enfin, flexibilisez le marché du travail pour permettre aux entreprises de s’adapter.
Nous nous reverrons prochainement pour parler de formation professionnelle, d’assurance chômage, de retraites. Vous nous proposerez alors d’autres mesures visant à sécuriser les parcours, afin de permettre à la flexibilité de jouer pleinement son rôle dans l’économie. C’est alors que nous saurons si le gouvernement auquel vous appartenez a pris en compte les immenses attentes qui se sont exprimées. Vite, vite, vite : vous le devez, nous le devons aux entreprises, à celles et à ceux qui contribuent à leur réussite, ainsi qu’aux chômeurs qui souhaitent retrouver un emploi. Bon courage !
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Je voterai contre ce projet de loi.
Si le recours aux ordonnances n’est pas à condamner de façon générale, il me paraît tout à fait regrettable s’agissant d’un texte qui porte sur des sujets sensibles, qui divisent le pays, d’autant que la mise en œuvre de la loi El Khomri n’a encore fait l’objet d’aucune évaluation. Les débats l’ont montré, sur des points très importants, nos échanges se sont trouvés limités parce que nous ne connaissons pas le contenu des ordonnances. Je suis pourtant convaincu qu’elles sont déjà rédigées : je vous l’ai dit à plusieurs reprises, madame la ministre, et vous ne m’avez pas démenti !
Je voterai contre ce texte parce que, pour l’essentiel, ses dispositions renforcent la flexibilité et affaiblissent la sécurité. La flexibilité n’est absolument pas à rejeter. En effet, le monde du travail connaît des évolutions importantes, et personne n’imagine pouvoir exercer le même métier toute sa vie. Cela étant, le renforcement de la flexibilité ne doit pas s’opérer au détriment de la sécurité. La flexibilité doit s’inscrire dans un parcours de vie et de travail.
Dans le présent texte, malheureusement, ce renforcement s’accompagne d’un affaiblissement de la sécurité : je citerai la facilitation des licenciements, l’extension du CDI de chantier à de nouveaux secteurs, l’instauration de barèmes prud’homaux avec plafonnement des indemnités, l’affaiblissement de la représentation syndicale par la fusion des instances représentatives du personnel, l’abandon de la spécificité des CHSCT, sur lequel nous avons eu un beau débat…
Je voterai d’autant plus résolument contre ce texte qu’il a été aggravé par la commission et la majorité sénatoriale de droite, dont beaucoup d’amendements ont été acceptés par le Gouvernement, au contraire de la quasi-totalité des amendements émanant de la gauche.
Beaucoup de mes amis socialistes voteront également contre.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Les écologistes, que je représente ici, voteront contre ce projet de loi.
Sur le plan de la méthode, tout d’abord, ce n’est pas parce qu’il est possible et légal de recourir aux ordonnances qu’il est bien de le faire. Réformer le modèle social français nécessite un débat préalable avec les partenaires sociaux et les parlementaires. Nous aurions pu prendre le temps d’établir un constat, de conduire des études de cas afin d’être précis. On a manqué, dans ce débat, d’exemples concrets, d’études, de travail préparatoire. Ce n’est pas là pour le Parlement une bonne façon de travailler. On aurait aussi pu organiser des états généraux de l’économie et de l’emploi. Cela aurait permis de mobiliser les territoires et l’ensemble des acteurs économiques et syndicaux.
Sur le fond, s’il est beaucoup question de flexibilité dans ce texte, le volet relatif à la sécurité n’est pas suffisant, comme l’a dit M. Assouline. Ainsi, vous facilitez les licenciements sans garantir en contrepartie à ceux qui seront licenciés qu’ils seront indemnisés et qu’ils pourront ensuite de nouveau s’insérer dans la société. Certes, l’entreprise ne peut garantir l’emploi à vie, mais il revient à la société d’assurer à chacun les moyens de vivre. Or vous n’avez rien mis en place à cet égard.
Par ailleurs, vous dites vouloir renforcer le dialogue social dans l’entreprise, mais vous avez refusé tous nos amendements tendant à introduire des éléments de cogestion. Dans ces conditions, les employeurs indélicats pourront faire la loi dans leur entreprise. Le rapport de force est tout de même en faveur des employeurs !
En définitive, madame la ministre, quelle société voulez-vous mettre en place ? Vous appartenez à un gouvernement tout neuf, la population un nouveau contrat social. Au lieu de nous permettre d’y réfléchir ensemble, vous agissez dans la précipitation, vous contentant d’introduire quelques aménagements soufflés par le MEDEF et, sans doute, par d’autres forces politiques.
En conclusion, je constate avec tristesse que ce que j’avais annoncé lors des débats sur la loi El Khomri est en train de se produire. J’avais dit à Mme El Khomri que son texte nous plaçait au sommet d’un toboggan, qu’il enclenchait un processus de libéralisation dans les entreprises que d’autres se chargeraient ensuite de pousser encore plus loin. Nous y voilà ! La loi El Khomri n’existe plus : nous allons aujourd’hui vers une libéralisation accrue au sein des entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Je ferai part tout d’abord d’un motif de satisfaction. Nos débats ont été, me semble-t-il, de qualité, toujours cordiaux et empreints de courtoisie. C’est l’honneur du Sénat de débattre de cette façon. Cela tranche avec la manière un peu moins sereine dont les choses se passent dans une autre assemblée…
Si je devais choisir trois mots pour traduire la façon dont je perçois nos débats et les conclusions auxquelles nous sommes parvenus, je retiendrais les suivants : trompe-l’œil, naïveté – ou malice, peut-être – et toxicité.
Trompe-l’œil, d’abord : vous connaissez ces peintures présentant des perspectives fuyant au loin, vers lesquelles vous vous précipitez pour finalement vous cogner la tête contre le mur… Lorsqu’on nous a présenté ce projet de loi, on a affiché de belles intentions avec des mots aimables, annoncé l’ambition de parvenir à un équilibre entre recherche de compétitivité dans un pays qui connaît de nouveau la croissance et sécurisation accrue des parcours des salariés. Il n’en a rien été : le texte offre plus de facilités, de liberté et de moyens aux entreprises, au détriment des salariés.
Naïveté ou malice, ensuite : vous avez essayé de nous faire croire que les négociations entre les patrons et les salariés pouvaient se dérouler de façon équilibrée sans que l'intermédiation des syndicats soit nécessaire. C’est un peu comme prétendre qu’un dialogue est possible entre le renard et la poule : en définitive, la poule a simplement le droit de demander à quelle sauce elle sera dévorée. C’est un peu la même chose dans l’entreprise.
Toxicité, enfin : on voit bien que de nombreuses mesures contenues dans le texte détérioreront encore la situation des salariés. Les conditions de travail se trouveront modifiées de façon extrêmement négative. Cela est tout à fait regrettable. Les apports de la commission sont encore venus aggraver les choses.
Madame la ministre, vous nous dites que vous voulez faire une révolution. Je vous rappelle qu’une révolution, c’est une rotation à 360 degrés, qui vous ramène à votre point de départ… Je crains que, emportée par votre élan, vous n’ayez raté le point de départ et que votre projet ne nous entraîne vers une aggravation de la situation.
Nous voterons contre le projet de loi qui nous est présenté. (Mme Catherine Génisson et M. Jean Desessard applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. J’ai le sentiment que le Sénat a fait correctement son travail. Je tiens à remercier l’ensemble de mes collègues de leur contribution. En commission comme en séance publique, il y a eu des avancées, parfois timides certes, vers des compromis positifs. Cela me semble de bonne méthode quand on veut réformer.
D’une certaine manière, le projet de loi d’habilitation amplifie, précise, sécurise toutes les réformes concernant le marché du travail qui ont déjà été mises en œuvre, particulièrement au cours de la seconde partie du quinquennat précédent.
La présente réforme et sa méthode, le recours aux ordonnances, ont été annoncées. Il y a urgence. On a suffisamment reproché au Premier ministre et au Président de la République précédents d’avoir attendu, de ne pas avoir mené de concertation. Pour votre part, madame la ministre, vous avez su conduire en même temps le processus parlementaire et des négociations avec les partenaires sociaux. Ce travail n’est pas achevé. Vous en rendrez compte dans les prochains jours. C’est vraiment là un tour de force, et la méthode est inédite. Nous nous sommes adaptés, par exemple en examinant des amendements parfois déposés tardivement par le Gouvernement.
Annoncée, engagée, cette quatrième réforme de fond est également assumée. Elle est de nature à redonner confiance aux acteurs économiques, aux chefs d’entreprise, mais aussi, au travers de cette concertation, à redonner aux syndicats leur rôle de partenaires dans le dialogue social à tous les étages. L’articulation entre branche et entreprise, qui manquait dans la loi El Khomri, permettra de surmonter les obstacles rencontrés lors du précédent quinquennat.
Cependant, le groupe La République en marche s’abstiendra, en raison du rejet par la majorité sénatoriale, à propos des articles 1er et 2, des accords majoritaires, alors que l’essentiel était réglé. Cela nous gêne et jette le doute sur votre sincérité, mes chers collègues. (M. Roger Karoutchi s’exclame.) En tout cas, nous ne sommes pas d’accord sur ce qu’est le dialogue social. Vous ne pouvez pas l’instaurer à tous les étages de la démocratie sociale si vous n’acceptez pas le principe de l’accord majoritaire.
Enfin, vous avez voulu à tout prix forcer la main du Gouvernement sur le périmètre national pour les licenciements, mais je pense que c’est la commission mixte paritaire qui réglera cette question. Concernant la composition de la CMP, ma vision des choses n’est pas aussi négative que celle de M. le rapporteur, même si je trouve un peu dommage que les règles habituelles de la démocratie parlementaire ne soient pas respectées. Au Sénat, nous les respectons !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Fidèles à la tradition et aux valeurs du groupe du RDSE, nous portons un regard différencié sur ce texte.
Traditionnellement, nous ne sommes pas favorables au recours aux ordonnances, même si elles font partie des outils à notre disposition. Nous y sommes encore moins favorables s’agissant d’un texte relatif au dialogue social dont l’examen se déroule alors même que des négociations sont en cours.
Par ailleurs, nous ne pensons pas que la fusion des instances représentatives du personnel soit de nature à améliorer le dialogue social.
De même, nous portons un regard différencié sur votre interprétation de la pénibilité.
Nous regrettons encore une fois le déséquilibre entre efforts salariaux et bénéfices patronaux. De notre point de vue, la performance d’une entreprise tient à son chef d’entreprise, à ses outils de production, à ses salariés.
Pour ma part, j’ai beaucoup appris sur un texte éminemment complexe. Je n’ai malheureusement guère été entouré par mes collègues du RDSE, pour des raisons diverses, mais j’ai tenu à assister à l’ensemble du débat afin que le jeune parlementaire que je suis puisse étoffer ses compétences en la matière.
Cela étant, il me sera difficile de présenter les mesures adoptées comme des avancées aux salariés de mon territoire, puisque le tissu économique et l’environnement ultramarins ne sont pas les mêmes qu’en métropole. Je suis donc inquiet pour la rentrée.
La majorité des membres du RDSE s’abstiendront sur ce texte. Ils ne voteront pas contre, car il est nécessaire d’avancer pour inverser durablement la courbe du chômage.
Madame la ministre, mes derniers mots seront pour vous : j’ose espérer que, à l’inverse de vos prédécesseurs, vous aurez trouvé les bonnes réponses ; pour les salariés, j’espère que vous avez raison.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 141 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 292 |
Pour l’adoption | 186 |
Contre | 106 |
Le Sénat a adopté.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour ces quatre journées passées ensemble. Nous aurons l’occasion de nous retrouver, notamment pour l’examen du projet de loi relatif à la sécurisation des parcours professionnels, qui sera présenté l’année prochaine.
J’ai apprécié que nos échanges soient axés sur le fond. Comme vous, nous voulons faire œuvre durable. Renforcer le dialogue social en s’appuyant sur notre histoire tout en le transformant pour l’adapter au monde d’aujourd’hui et à celui de demain est une tâche importante.
Je tiens à remercier les présidents de séance qui se sont succédé au plateau, l’excellent président-rapporteur de la commission, les membres de celle-ci, ainsi que l’ensemble des sénatrices et des sénateurs. J’ai beaucoup appris sur le fonctionnement du Sénat ! Merci de ces échanges, et à bientôt ! (Applaudissements.)
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 1er août 2017, à seize heures quarante-cinq :
Questions d’actualité au Gouvernement.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quinze.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD