M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Je ferai part tout d’abord d’un motif de satisfaction. Nos débats ont été, me semble-t-il, de qualité, toujours cordiaux et empreints de courtoisie. C’est l’honneur du Sénat de débattre de cette façon. Cela tranche avec la manière un peu moins sereine dont les choses se passent dans une autre assemblée…
Si je devais choisir trois mots pour traduire la façon dont je perçois nos débats et les conclusions auxquelles nous sommes parvenus, je retiendrais les suivants : trompe-l’œil, naïveté – ou malice, peut-être – et toxicité.
Trompe-l’œil, d’abord : vous connaissez ces peintures présentant des perspectives fuyant au loin, vers lesquelles vous vous précipitez pour finalement vous cogner la tête contre le mur… Lorsqu’on nous a présenté ce projet de loi, on a affiché de belles intentions avec des mots aimables, annoncé l’ambition de parvenir à un équilibre entre recherche de compétitivité dans un pays qui connaît de nouveau la croissance et sécurisation accrue des parcours des salariés. Il n’en a rien été : le texte offre plus de facilités, de liberté et de moyens aux entreprises, au détriment des salariés.
Naïveté ou malice, ensuite : vous avez essayé de nous faire croire que les négociations entre les patrons et les salariés pouvaient se dérouler de façon équilibrée sans que l'intermédiation des syndicats soit nécessaire. C’est un peu comme prétendre qu’un dialogue est possible entre le renard et la poule : en définitive, la poule a simplement le droit de demander à quelle sauce elle sera dévorée. C’est un peu la même chose dans l’entreprise.
Toxicité, enfin : on voit bien que de nombreuses mesures contenues dans le texte détérioreront encore la situation des salariés. Les conditions de travail se trouveront modifiées de façon extrêmement négative. Cela est tout à fait regrettable. Les apports de la commission sont encore venus aggraver les choses.
Madame la ministre, vous nous dites que vous voulez faire une révolution. Je vous rappelle qu’une révolution, c’est une rotation à 360 degrés, qui vous ramène à votre point de départ… Je crains que, emportée par votre élan, vous n’ayez raté le point de départ et que votre projet ne nous entraîne vers une aggravation de la situation.
Nous voterons contre le projet de loi qui nous est présenté. (Mme Catherine Génisson et M. Jean Desessard applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. J’ai le sentiment que le Sénat a fait correctement son travail. Je tiens à remercier l’ensemble de mes collègues de leur contribution. En commission comme en séance publique, il y a eu des avancées, parfois timides certes, vers des compromis positifs. Cela me semble de bonne méthode quand on veut réformer.
D’une certaine manière, le projet de loi d’habilitation amplifie, précise, sécurise toutes les réformes concernant le marché du travail qui ont déjà été mises en œuvre, particulièrement au cours de la seconde partie du quinquennat précédent.
La présente réforme et sa méthode, le recours aux ordonnances, ont été annoncées. Il y a urgence. On a suffisamment reproché au Premier ministre et au Président de la République précédents d’avoir attendu, de ne pas avoir mené de concertation. Pour votre part, madame la ministre, vous avez su conduire en même temps le processus parlementaire et des négociations avec les partenaires sociaux. Ce travail n’est pas achevé. Vous en rendrez compte dans les prochains jours. C’est vraiment là un tour de force, et la méthode est inédite. Nous nous sommes adaptés, par exemple en examinant des amendements parfois déposés tardivement par le Gouvernement.
Annoncée, engagée, cette quatrième réforme de fond est également assumée. Elle est de nature à redonner confiance aux acteurs économiques, aux chefs d’entreprise, mais aussi, au travers de cette concertation, à redonner aux syndicats leur rôle de partenaires dans le dialogue social à tous les étages. L’articulation entre branche et entreprise, qui manquait dans la loi El Khomri, permettra de surmonter les obstacles rencontrés lors du précédent quinquennat.
Cependant, le groupe La République en marche s’abstiendra, en raison du rejet par la majorité sénatoriale, à propos des articles 1er et 2, des accords majoritaires, alors que l’essentiel était réglé. Cela nous gêne et jette le doute sur votre sincérité, mes chers collègues. (M. Roger Karoutchi s’exclame.) En tout cas, nous ne sommes pas d’accord sur ce qu’est le dialogue social. Vous ne pouvez pas l’instaurer à tous les étages de la démocratie sociale si vous n’acceptez pas le principe de l’accord majoritaire.
Enfin, vous avez voulu à tout prix forcer la main du Gouvernement sur le périmètre national pour les licenciements, mais je pense que c’est la commission mixte paritaire qui réglera cette question. Concernant la composition de la CMP, ma vision des choses n’est pas aussi négative que celle de M. le rapporteur, même si je trouve un peu dommage que les règles habituelles de la démocratie parlementaire ne soient pas respectées. Au Sénat, nous les respectons !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Fidèles à la tradition et aux valeurs du groupe du RDSE, nous portons un regard différencié sur ce texte.
Traditionnellement, nous ne sommes pas favorables au recours aux ordonnances, même si elles font partie des outils à notre disposition. Nous y sommes encore moins favorables s’agissant d’un texte relatif au dialogue social dont l’examen se déroule alors même que des négociations sont en cours.
Par ailleurs, nous ne pensons pas que la fusion des instances représentatives du personnel soit de nature à améliorer le dialogue social.
De même, nous portons un regard différencié sur votre interprétation de la pénibilité.
Nous regrettons encore une fois le déséquilibre entre efforts salariaux et bénéfices patronaux. De notre point de vue, la performance d’une entreprise tient à son chef d’entreprise, à ses outils de production, à ses salariés.
Pour ma part, j’ai beaucoup appris sur un texte éminemment complexe. Je n’ai malheureusement guère été entouré par mes collègues du RDSE, pour des raisons diverses, mais j’ai tenu à assister à l’ensemble du débat afin que le jeune parlementaire que je suis puisse étoffer ses compétences en la matière.
Cela étant, il me sera difficile de présenter les mesures adoptées comme des avancées aux salariés de mon territoire, puisque le tissu économique et l’environnement ultramarins ne sont pas les mêmes qu’en métropole. Je suis donc inquiet pour la rentrée.
La majorité des membres du RDSE s’abstiendront sur ce texte. Ils ne voteront pas contre, car il est nécessaire d’avancer pour inverser durablement la courbe du chômage.
Madame la ministre, mes derniers mots seront pour vous : j’ose espérer que, à l’inverse de vos prédécesseurs, vous aurez trouvé les bonnes réponses ; pour les salariés, j’espère que vous avez raison.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 141 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 292 |
Pour l’adoption | 186 |
Contre | 106 |
Le Sénat a adopté.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour ces quatre journées passées ensemble. Nous aurons l’occasion de nous retrouver, notamment pour l’examen du projet de loi relatif à la sécurisation des parcours professionnels, qui sera présenté l’année prochaine.
J’ai apprécié que nos échanges soient axés sur le fond. Comme vous, nous voulons faire œuvre durable. Renforcer le dialogue social en s’appuyant sur notre histoire tout en le transformant pour l’adapter au monde d’aujourd’hui et à celui de demain est une tâche importante.
Je tiens à remercier les présidents de séance qui se sont succédé au plateau, l’excellent président-rapporteur de la commission, les membres de celle-ci, ainsi que l’ensemble des sénatrices et des sénateurs. J’ai beaucoup appris sur le fonctionnement du Sénat ! Merci de ces échanges, et à bientôt ! (Applaudissements.)
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 1er août 2017, à seize heures quarante-cinq :
Questions d’actualité au Gouvernement.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quinze.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD