M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Comme Mme Gillot l’a reconnu, son amendement est, sur la forme, contraire à la Constitution : il contrevient à l’article 38 de celle-ci en visant à élargir le champ de l’habilitation. Je lui demande donc de le retirer, étant entendu que, sur le principe, nous sommes évidemment tous favorables à sa proposition.
Au reste, nous avons adopté ce matin l’amendement n° 45 rectifié, qui visait les mêmes objectifs, mais pouvait être rattaché au projet de loi, dans la mesure où il se rapportait au télétravail.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je souscris évidemment à l’analyse juridique de M. le rapporteur.
Je tiens cependant à vous signaler, madame la sénatrice, que le troisième plan de santé au travail, approuvé par l’ensemble des partenaires sociaux, prévoit des actions spécifiques pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Devant le COCT, le Conseil d’orientation des conditions de travail, que j’ai réuni voilà quelques jours, j’ai souligné que ce plan était l’une de nos priorités communes.
Je pense que, aujourd’hui, c’est surtout sur le terrain que la bataille se joue. Il faut gagner la mobilisation des acteurs, et cela dépend de nous tous. Je prends ma part de cet effort, avec le ministère du travail.
M. le président. Madame Gillot, l’amendement n° 62 est-il maintenu ?
Mme Dominique Gillot. Non, monsieur le président, je vais le retirer ; il est inutile qu’il soit maintenu pour être rejeté.
Madame la ministre, j’apprécie beaucoup l’écoute dont vous faites preuve depuis le début de la discussion. Simplement, évoquer le troisième plan de santé au travail me paraît insuffisant, puisque c’est encore rattacher la politique du handicap à la santé, alors que le Président de la République a bien décidé de sortir cette politique de la tutelle de la santé, sans bien sûr que ce ministère doive pour autant se désintéresser de la santé des personnes handicapées.
De fait, le travail des personnes handicapées ne relève pas seulement de la santé : il y a des personnes en situation de handicap qui ne souffrent d’aucun problème de santé, mais d’autres problèmes qui doivent être réglés, dans le colloque du dialogue social, par l’ensemble des partenaires.
Puisque deux amendements du Gouvernement doivent être examinés après celui-ci, vous auriez pu, madame la ministre, reprendre une partie de ma proposition dans l’un ou dans l’autre. Cela aurait permis d’inscrire dans les ordonnances, en respectant le cadre constitutionnel, la question de l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés, à laquelle vous avez prêté un intérêt particulier.
Je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 62 est retiré.
L’amendement n° 220, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° De préciser les modalités du suivi médical exercé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration et les conditions de recrutement de ses personnels médicaux.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Permettez-moi, monsieur le président, de compléter ma réponse à Mme Gillot.
Je vous signale, madame la sénatrice, que l’emploi des personnes handicapées est explicitement prévu dans le champ de compétence des branches. De fait, le ministère du travail et les partenaires sociaux ont beaucoup à faire dans ce domaine !
L’amendement n° 220 porte sur le suivi médical exercé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, et les conditions de recrutement de ses personnels médicaux. Nous avons examiné de nombreuses questions de fond ; il s’agit, cette fois, d’un problème pratique et immédiat.
La visite médicale réalisée par l’OFII a pour objet d’offrir aux primoarrivants une première prise en charge à visée médicale, la prévention de l’introduction sur le territoire national de pathologies infectieuses en provenance de pays tiers relevant davantage du contrôle sanitaire aux frontières.
Il est donc proposé de remplacer l’expression « contrôle médical », qui qualifie de manière inadéquate cette activité de l’OFII, par l’expression, neutre, de « visite médicale », mieux à même d’accompagner l’évolution de cette mission.
Par ailleurs, parce que les médecins de l’OFII ont une compétence reconnue dans le domaine de la santé du public migrant, il serait souhaitable de pouvoir prolonger l’activité de ceux qui sont actuellement en poste et qui atteignent l’âge de la retraite. Je conviens, monsieur le rapporteur, que c’est un peu une rustine, mais nous en avons besoin !
En effet, comme dans la médecine du travail, les postes et les moyens existent, mais les candidats manquent. La poursuite d’activité, sur une base volontaire, des médecins atteignant l’âge de la retraite permettra, à court terme, d’éviter des files d’attente qui deviennent inhumaines – sans dispenser, bien sûr, de traiter par ailleurs la question à long terme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Au cours des campagnes présidentielle et législative qui viennent de s’achever, il a beaucoup été question de « dégagisme » et de mettre les vieux à la porte le plus vite possible… Je constate que l’on a de nouveau besoin des vieux ! (Sourires.)
La commission des affaires sociales avait supprimé cet alinéa inséré dans le projet de loi par l’Assemblée nationale. Le Gouvernement propose de le rétablir.
Il ne faudrait pas, madame la ministre, que le présent projet de loi, relatif au dialogue social, serve de véhicule à toutes les mesures que vous voudriez inscrire dans la loi.
Toutefois, nous sommes prêts à faire un geste de mansuétude : j’en appelle à la sagesse de notre assemblée…
M. le président. L’amendement n° 237, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° De sécuriser et de compléter l’article L. 1224-3-2 du code du travail, notamment en ce qui concerne son application dans le temps.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Merci de votre compréhension, monsieur le rapporteur, sur le précédent amendement. On en a éliminé beaucoup, mais celui-là est passablement urgent…
Certains secteurs très concurrentiels, notamment du nettoyage, ont mis en place avec les partenaires sociaux des modalités pour préserver l’emploi en organisant le transfert des personnels en cas de succession d’employeurs sur un même site ou à la suite de l’attribution d’un marché ou d’un changement de prestataire.
Ce système, qu’on appelle le transfert conventionnel, est destiné à éviter que, chaque fois qu’un marché change de mains, tous les salariés perdent leur emploi. Plus précisément, en cas de changement de titulaire d’un marché, les salariés voient leur contrat et ses principales conditions reprises par le nouveau prestataire.
La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a reconnu la légitimité de cette pratique et sécurisé le cadre de celle-ci, afin que la succession des entreprises sur un même site puisse s’effectuer dans le respect des règles propres à chaque site.
Toutefois, il est aujourd’hui impossible aux entreprises qui envisagent de répondre à un appel d’offres ou à une proposition de changement de prestataire, en même temps que de respecter les conditions de travail et les rémunérations propres au site en question, d’étendre ces conditions à l’ensemble de leurs salariés employés sur les autres sites. En somme, on ne peut pas envisager que les conditions maintenues aux salariés d’un site par l’entreprise qui reprend celui-ci soient étendues aux salariés de tous les sites de cette entreprise.
C’est pourquoi nous proposons de préciser le régime juridique applicable lorsqu’un accord de branche étendu prévoit la poursuite des contrats de travail entre deux entreprises prestataires se succédant sur un même site.
J’attire votre attention sur le fait que 500 000 salariés de 43 000 entreprises sont concernés, essentiellement dans le secteur de la propreté. Préserver leur emploi et les conditions qui leur sont faites est un enjeu d’intérêt général !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement du Gouvernement vise à sécuriser les transferts conventionnels, fréquents, notamment dans le domaine de la propreté.
Je rappelle que certaines conventions collectives contiennent des stipulations obligeant l’entreprise qui remporte un nouveau contrat avec un client à reprendre l’ensemble des salariés de l’entreprise évincée, dès lors qu’ils travaillaient sur le site du client.
La Cour de cassation a toutefois considéré, le 15 janvier 2014, que les transferts conventionnels ne constituaient pas une raison objective et pertinente justifiant une différence de rémunération entre salariés. C’est toute la construction des transferts conventionnels qui risquait de s’écrouler.
C’est pourquoi l’article 95 de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a prévu que, en cas de transfert conventionnel de salariés d’une entreprise vers une entreprise d’accueil à la suite de la perte d’un appel d’offres, les salariés de l’entreprise d’accueil employés sur d’autres sites ne sont pas fondés à invoquer les différences de rémunération résultant d’avantages obtenus avant le transfert.
Cette question, très technique, justifie l’extension du champ de l’habilitation demandée par le Gouvernement. La commission a donc émis un avis favorable sur l’amendement.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Évelyne Yonnet. Dans le temps, madame la ministre, il existait des fusions-absorptions d’entreprises. Pourquoi ne privilégie-t-on pas ce mécanisme, qui assure une meilleure protection aux salariés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame la sénatrice, les fusions-absorptions existent toujours, mais il s’agit d’une situation tout à fait différente.
Mme Nicole Bricq. Évidemment !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. En l’espèce, il s’agit d’appels d’offres relancés tous les ans ou tous les trois ans, notamment dans le secteur de la propreté. Il n’est donc pas question d’absorption : le transfert conventionnel permet aux salariés de l’entreprise évincée d’être repris par l’entreprise retenue, ce qui assure la préservation de l’emploi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la ministre, je ne comprends pas pourquoi vous restreignez l’application de ce dispositif aux entreprises de nettoyage. En réalité, tous les marchés sont concernés, notamment ceux qui sont conclus par les collectivités territoriales, qui portent sur des montants extrêmement importants, non seulement dans le domaine du nettoyage, mais aussi dans ceux du transport collectif, de la restauration collective, de la santé ou de la collecte et du retraitement des ordures ménagères.
Par ailleurs, je ne crois pas avoir vu écrites les conditions dans lesquelles ce transfert a lieu pour les salariés : conservent-ils leur statut et les avantages antérieurs ? Madame la ministre, rassurez-moi sur ce point.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de m’inviter à apporter une importante précision.
Le secteur de la propreté n’est qu’un exemple. Je précise que le système du transfert conventionnel suppose une convention de branche. Aujourd’hui, trois secteurs sont concernés : celui de la propreté, donc, ainsi que ceux de la manutention ferroviaire et de la prévention-sécurité.
Demain, d’autres secteurs pourront l’être aussi, si d’autres accords de branche sont conclus.
Par ailleurs, il est bel et bien prévu que les salariés transférés gardent toutes leurs conditions, sauf si celles qui sont proposées par l’entreprise d’accueil sont plus avantageuses. En somme, ce dispositif évite non seulement la perte d’emplois, mais aussi le dumping social. Il faut donc l’encourager !
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. J’appuie cet amendement qui, d’après les informations dont nous disposons, est très attendu par les fédérations professionnelles.
M. le président. L'amendement n° 247, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° De diminuer ou supprimer la durée d’ancienneté minimale, prévue à l’article L. 1234-9 du code du travail.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je vous dois d’abord des excuses, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour n’avoir déposé qu’aujourd'hui, et de plus tardivement, cet amendement. Relatif aux indemnités légales de licenciement, il amendement est un fruit récent de la concertation. Ayant conscience que ce n’est pas tout à fait le cas normal, je m’efforcerai d’être d’autant plus convaincante dans l’argumentaire…
Aujourd’hui, l’article L. 1234-9 du code du travail prévoit que le salarié en contrat à durée indéterminée a droit à une indemnité légale de licenciement dès lors qu’il compte, depuis la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, une année d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur.
Cette disposition exclut donc du bénéfice de l’indemnité de licenciement, quel que soit le niveau de celle-ci, une partie non négligeable des salariés, alors même qu’un licenciement marque toujours une rupture dans la vie professionnelle du salarié, qu’il intervienne au bout de quelques mois ou de plusieurs années. En outre, elle induit des effets de seuil très importants pour les salariés licenciés disposant d’un peu moins d’une année d’ancienneté.
Le présent amendement a pour objet de permettre au Gouvernement d’abaisser, voire de supprimer, la condition d’un an d’ancienneté nécessaire à l’ouverture de droits à l’indemnité de licenciement, étant entendu que l’ancienneté sera bien entendu toujours prise en compte pour le calcul du montant de l’indemnité : le salarié licencié au bout de trois mois ne percevra pas la même indemnité que celui licencié après un an. Il s’agit d’éviter le couperet à un an d’ancienneté en prenant en compte un certain nombre de situations dans lesquelles, actuellement, des salariés licenciés ne perçoivent pas d’indemnité légale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Madame la ministre, je ne peux que regretter le dépôt bien tardif de cet amendement, quelques minutes seulement avant son examen en séance. Vous aviez, il est vrai, annoncé votre intention à l’Assemblée nationale voilà deux semaines.
Sur le fond, l’amendement vise à permettre au Gouvernement de faire bénéficier de l’indemnité légale de licenciement des salariés ayant moins d’un an d’ancienneté. Il offre donc potentiellement de nouveaux droits aux salariés.
La commission n’a pas pu se réunir pour examiner cet amendement ; je m’en excuse auprès de ses membres. À titre personnel, j’émets un avis de sagesse positive, mais en demandant à Mme la ministre de veiller à ne pas alourdir excessivement les charges pesant sur les entreprises, surtout les petites, en augmentant de manière inappropriée le montant de l’indemnité légale par voie réglementaire.
Je lui demande aussi d’adopter une approche globale lorsqu’elle fixera les montants des barèmes obligatoires en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui sont cumulables avec les indemnités légales de licenciement.
M. le président. L'amendement n° 129 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le paragraphe 2 de la sous-section 1 de la section 4 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail est ainsi modifié :
1° À l’intitulé, les mots : « dix refus ou plus » sont remplacés par les mots : « plusieurs refus » ;
2° À l’article L. 1233-25, les mots : « Lorsqu’au moins dix » sont remplacés par les mots : « Lorsque plusieurs ».
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Actuellement, les entreprises ne sont pas dans l’obligation de présenter un plan de sauvegarde de l’emploi lors de licenciements économiques effectués à la suite d’un refus de modification du contrat de travail quand le nombre d’emplois concernés est inférieur à dix dans la durée d’un mois.
Or, dans de nombreux cas, les entreprises contournent l’obligation, par exemple en jouant sur la durée de trente jours consécutifs ou en contraignant les salariés à refuser une modification substantielle de leur contrat de travail, ce qui les conduits à être licenciés. Pourtant, le plan de sauvegarde de l’emploi représente souvent l’unique possibilité pour les salariés de retrouver un emploi à la suite d’un licenciement économique.
C’est pourquoi nous proposons de remplacer les mots « dix salariés » par les mots « plusieurs salariés ». Ainsi, il deviendra beaucoup plus difficile de déguiser un licenciement économique de plus de dix salariés en le fractionnant en plusieurs licenciements de différents types et en l’étalant sur la durée.
Il incombe au législateur de veiller au respect de l’esprit de la loi, surtout quand celle-ci offre aux salariés une seule et unique possibilité de ne pas se retrouver dans des situations dramatiques comme il y en a trop souvent lors de licenciements.
La loi prévoit que les règles du licenciement collectif s’appliquent au-delà de dix-huit licenciements économiques sur une année civile et au-delà de dix licenciements sur une période de trois mois consécutifs. Notre amendement vise à abaisser ce seuil de dix refus au-delà duquel on entre dans le périmètre du licenciement économique.
Madame la ministre, vous venez enfin de présenter un amendement positif pour les salariés… J’espère que vous continuerez dans cette voie en émettant un avis favorable sur notre amendement !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Pour les auteurs de l’amendement, le seuil de déclenchement d’un licenciement collectif doit être fixé à deux salariés. En effet, ma chère collègue, le mot « plusieurs », ici, signifie « à partir de deux ». (Sourires.)
L’amendement est contraire à la directive du Conseil du 20 juillet 1998, qui fixe a minima un seuil de dix salariés ou de 10 % des effectifs. En outre, il est contraire à l’habilitation demandée par le Gouvernement à l’article 3.
C’est pourquoi la commission demande à ses auteurs de bien vouloir retirer leur amendement ; à défaut, elle y sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à l’amendement.
Celui-ci pose un problème de cohérence par rapport au droit actuel, dans la mesure où le seuil des dix salariés refusant la modification d'un élément essentiel de leur contrat de travail est calqué sur le seuil des licenciements collectifs, dont le régime est prévu aux articles L. 1233-21 et suivants du code du travail, et qui prévoit le licenciement de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours.
Le mot « plusieurs » figurait dans le code du travail jusqu’à la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. À cette époque, il a été abandonné au profit de la référence au nombre « dix » pour que les employeurs ne soient pas contraints de respecter la procédure de licenciement pour motifs économiques, dès lors qu’ils envisageraient de procéder à un nombre infime de licenciements.
Pour la bonne information du Sénat, je rappelle à ce sujet que la directive européenne va au-delà de ce seuil de dix salariés. Pour le moment, la France conserve ce seuil, quelle que soit la taille des entreprises, alors que la directive européenne le fait varier en fonction de leur importance.
M. le président. L'amendement n° 133 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – L’article L. 1235-10 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 1235-10. – Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciements dont le motif doit être conforme à l’article L. 1233-3 concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, la procédure de licenciement est nulle tant que le plan de reclassement des salariés prévu à l’article L. 1233-61 et s’intégrant au plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas présenté par l’employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés.
« La réalité et le sérieux du motif économique sont appréciés au niveau de l’entreprise ou de l’unité économique et sociale ou du groupe.
« La validité du plan de sauvegarde de l’emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l’entreprise ou l’unité économique et sociale ou le groupe.
« Le respect des obligations en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que la nécessité d’informer le plus en amont possible les représentants du personnel doivent être également pris en compte.
« La nullité du licenciement peut être prononcée par le juge dès lors que l’information et la consultation ne revêtent pas un caractère loyal et sincère ou lorsqu’elles ne comprennent pas un effet utile lié à la consultation.
« Le premier alinéa n’est pas applicable aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaires. »
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. La loi El Khomri, dont vous amplifiez les dispositions au travers de ce texte, a facilité les licenciements économiques.
En effet, depuis l’entrée en vigueur de cette loi, les difficultés économiques d’une entreprise peuvent résulter soit d’une baisse de ses commandes ou de son chiffre d'affaires, soit de pertes d'exploitation, soit d’une dégradation de sa trésorerie. Le salarié devient donc clairement une variable d'ajustement.
Par ailleurs, le pouvoir d’appréciation du juge sur le fond du motif réel et sérieux d’un licenciement a été mis à mal. Pourtant, cette latitude laissée au juge est à l’origine d’une jurisprudence considérable qui, bien souvent, a contribué à la protection des salariés.
Puisque vous défendez un projet de loi qui entend promouvoir le dialogue social, madame la ministre, vous vous honoreriez de restaurer l’intervention du juge dans sa plénitude.
Avec cet amendement, le groupe CRC propose de donner la possibilité au juge d’intervenir sur le fond et non plus simplement sur la forme. Après avoir restauré de véritables motifs réels et sérieux de licenciement, nous précisons à cette fin que « la nullité du licenciement peut être prononcée par le juge dès lors que l’information et la consultation ne revêtent pas un caractère loyal et sincère ou lorsqu’elles ne comprennent pas un effet utile lié à la consultation. »
Vous l’avez compris, cet amendement s’inscrit dans la suite logique de l’amendement que j’ai défendu ici même hier, et qui visait à interdire les licenciements présentés comme économiques, alors qu’ils sont en réalité uniquement motivés par des intérêts particuliers, les intérêts exclusifs des actionnaires.
Tandis que certains se gavent de stock-options, de dividendes à la hausse, d’autres, les salariés, souffrent !
Dans une étude récente, l’INSEE relève que seuls 15 % des personnes qui sont jetées au chômage après un licenciement économique, une faillite ou une cessation d’activité ont retrouvé un emploi trois mois plus tard ; d’après la même étude, 37 % des personnes licenciées pour raisons économiques doivent accepter des baisses de salaire lorsqu’elles retrouvent un emploi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Sans revenir sur les travaux menés l’an dernier dans le cadre de la loi Travail, je tiens à redire à notre collègue Dominique Watrin que son amendement ne tient pas compte de la réforme du PSE, le plan de sauvegarde de l'emploi, qui a été conduite dans le cadre de la loi relative à la sécurisation de l'emploi en 2013.
Le législateur avait alors fait le pari de confier aux syndicats et aux employeurs le soin de fixer le contenu du PSE. Les résultats sont très positifs, puisque deux tiers des PSE dans les entreprises in bonis sont définis par accord majoritaire, contre un tiers de PSE décidés unilatéralement par l’employeur.
La commission est naturellement défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cet amendement créerait plus de difficultés qu’il n’en réglerait.
M. le rapporteur a rappelé la réforme menée en 2013 : le fait d’attribuer aux partenaires sociaux le pouvoir d’intervenir sur les PSE a contribué à faire baisser le nombre de contentieux. Grâce à cette clarification, le dispositif est aujourd'hui beaucoup plus simple.
Monsieur le sénateur, votre amendement vise à récrire l’article L. 1235-10 du code du travail. Il tend à sanctionner de nullité un licenciement en cas d’absence de décision d’une direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la concernant la validation ou l’homologation d’un PSE, en cas de décision négative de validation ou d’homologation émise par cette même DIRECCTE, ou en cas d’annulation par le juge administratif d’une décision de validation ou d’homologation du fait de l’insuffisance d’un PSE. Ces dispositions ne s’appliqueraient pas aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaire.
En outre, et en dehors de toute considération de nullité, vous mélangez plusieurs notions, notamment le régime du licenciement économique, avec des éléments de définition du motif économique.
Sans chercher à être exhaustive, j’ajoute que votre amendement aurait pour effet de cantonner la nullité d’un licenciement à la seule hypothèse d’une absence de présentation par l’employeur d’un plan de reclassement des salariés aux IRP, alors que le dispositif de l’article tel qu’il est rédigé est plus large.
Je vous prie de m’excuser d’être un peu technique, mais tout cela est compliqué.
Vous introduisez également des critères de définition du motif économique qui figurent aujourd'hui à l’article L. 1233-3 et non à l’article L. 1235-10 du code du travail, si bien que vous laissez un libre choix du périmètre d’appréciation qui est très insécurisant pour les parties.
Enfin, vous évoquez, mais trop vaguement, le périmètre à prendre en considération pour apprécier les moyens du PSE, alors qu’il est clairement défini. En effet, le PSE est apprécié au regard des moyens dont disposent les entreprises. Si l’entreprise appartient à un groupe, le PSE est apprécié au regard des moyens du groupe, tel qu’il est défini à l’article L. 233-1 du code de commerce.
Pour toutes ces raisons, monsieur le sénateur, votre amendement apporterait plus de confusion que de clarté dans un domaine qui a été simplifié et sécurisé ces dernières années. Le Gouvernement y est donc défavorable.