Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens, dans un premier temps, à saluer l’engagement du Gouvernement, dont l’un des premiers actes est d’entreprendre la réforme du dialogue social, nécessaire au développement de l’emploi en France.
Je tiens également à féliciter notre rapporteur, Alain Milon, pour la qualité de ses travaux, sa mobilisation dans des délais extrêmement courts et la pertinence de son rapport.
Nos échanges avec l’ensemble des partenaires sociaux, en commission, ont été riches d’enseignements.
Nous entamons l’examen du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, texte qui introduira la première d’une longue série de réformes sociales annoncées par le Gouvernement.
En effet, tous les acteurs économiques et la grande majorité des partenaires sociaux s’accordent à dire qu’une plus grande souplesse du code du travail et le développement d’outils de dialogue dans l’entreprise peuvent permettre de sécuriser à la fois les salariés dans leur parcours professionnel et les entreprises dans leur phase de développement.
Même si cette simplification ne constituera pas, à elle seule, la réponse dans le combat collectif que nous devons mener contre le chômage, elle est un des atouts nécessaires à la relance économique et sociale que nous attendons tous.
D’autres mesures urgentes sont à mettre en place, qu’il s’agisse de la réforme de l’apprentissage, de la formation professionnelle ou de l’assurance chômage, ou encore de l’évolution de nos régimes de retraite.
Je tiens à souligner que je partage le sentiment de notre rapporteur quant à la méthode employée par le Gouvernement. Je peux comprendre que, eu égard à la situation économique de notre pays, le temps presse et qu’il faille aller vite, mais le fait de légiférer sur l’habilitation alors même que les négociations entre le Gouvernement et les partenaires sociaux sont en cours ne nous permet pas d’appréhender avec sérénité tous les enjeux dans le calendrier donné.
Le texte que nous allons voter doit permettre de moderniser le dialogue social dans l’ensemble des entreprises, notamment en prenant en considération les particularités des PME et des TPE. Nous disposons d’un vivier de petites entreprises, innovantes, imaginatives, combatives, qui se débattent au quotidien pour gagner des marchés, trouver du personnel compétent et motivé, s’adapter aux nouveaux besoins et faire face à la concurrence. Rappelons que, en France, 95 % des entreprises sont des TPE et des PME de moins de cinquante salariés, et que 55 % de l’emploi salarié se situe dans ces entreprises. Ce sont elles qui créent des emplois et peuvent en créer plus encore.
La commission des affaires sociales, sous l’impulsion de son rapporteur, a donc attaché une importance particulière à ce sujet, parmi d’autres.
Le texte dont nous entamons l’examen a été enrichi de dispositions adaptées aux plus petites entreprises, notamment à l’article 1er. En effet, beaucoup d’entre elles sont dépourvues de représentant du personnel ou de délégué syndical. Pour autant, le dialogue social existe en leur sein ; il ne reste qu’à le formaliser.
Ainsi, l’alinéa 12 de l’article 1er a été complété afin d’ouvrir la possibilité pour les employeurs, « dans les entreprises employant moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical, de conclure des accords collectifs directement avec les représentants du personnel ou, en leur absence, avec le personnel ».
La commission des affaires sociales a également tenu à permettre à l’employeur d’organiser une consultation des salariés pour valider un accord.
J’ai souhaité aller plus loin, en déposant un amendement tendant à permettre à l’employeur, dans les entreprises employant moins de onze salariés et dans les entreprises employant moins de cinquante salariés dépourvues de représentant du personnel, d’appliquer un accord type ou de prendre une décision unilatérale dans les domaines et les conditions prévus dans l’accord de branche. Il s’agit d’offrir à l’entreprise une souplesse suffisante pour pouvoir s’adapter à sa situation et à l’état de son activité.
La dérogation n’est pas synonyme de moins-value pour le salarié : elle permet une adaptation dans l’entreprise, pour que celle-ci puisse fonctionner dans de bonnes conditions.
Je m’attacherai aussi à la proposition d’étendre le contrat de chantier à d’autres secteurs que le bâtiment. Il s’agit, là encore, de se donner de la souplesse.
Rappelons qu’il s’agit d’un contrat à durée indéterminée par lequel un employeur engage un salarié pour la réalisation d’un ouvrage, de travaux ou d’opérations précis, mais dont la durée ne peut être préalablement définie avec certitude.
Le salarié bénéficiera de davantage de visibilité que s’il enchaîne des CDD ou des contrats d’intérim. En outre, sa vie personnelle se trouvera facilitée puisque, comme chacun sait et contrairement à certains propos tenus précédemment à la tribune, il est préférable de disposer d’un CDI pour trouver un logement ou conclure un prêt.
Pour aller plus loin, je soutiens l’idée de créer un contrat de croissance. Une entreprise confrontée à une croissance soudaine à la suite de la conclusion d’un nouveau marché qui lui apporte un surcroît de travail sur plusieurs mois, voire plusieurs années, pourrait conclure ce type de CDI afin de s’adjoindre les compétences dont elle a besoin. En cas de poursuite de la progression de l’activité, ce contrat de croissance aurait vocation à se transformer en CDI classique.
Ce qui fait hésiter les chefs d’entreprise à accepter des marchés nouveaux importants, et donc à recruter en conséquence, c’est le manque de visibilité. Ils sont réticents à recruter en CDI parce qu’ils craignent de ne pas pouvoir conserver les salariés au-delà de l’exécution du marché en question. Nous proposons que ce contrat soit prévu par un accord de branche, dans les limites d’un cadre fixé par la loi.
Afin de sécuriser les plus petites entreprises et les artisans qui ne sont pas dotés de service juridique, la commission a adopté, à l’article 3, un amendement tendant à permettre à l’employeur de « rectifier dans la lettre de licenciement les irrégularités de motivation si elles sont sans incidence sur la cause réelle et sérieuse du licenciement ».
Cet amendement introduit dans notre législation l’ébauche d’un droit à l’erreur, attendu par les PME et les TPE. Il est temps de créer ce droit à l’erreur pour les chefs de petite entreprise, souvent de bonne foi, qui se voient suspectés, sanctionnés pour une simple erreur matérielle.
Je salue également l’initiative du Premier ministre, qui a enfin proposé de simplifier le C3P, source de tracasseries administratives, véritable usine à gaz pour les entreprises, et de mettre en place un compte professionnel de prévention. À titre personnel, j’aurais préféré la suppression pure et simple de ce compte et la mise en place de mesures générales pour prendre en considération la pénibilité.
En complément, je tiens à vous faire part d’un message émanant de bon nombre des chefs d’entreprise que je rencontre chaque semaine, notamment dans mon département. Il concerne la nécessaire évolution des relations entre l’administration et les employeurs.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Philippe Mouiller. Même si ce n’est pas une vérité générale, ces relations ne sont pas apaisées. Elles sont souvent axées sur le contrôle, voire la sanction. Que l’État exerce sa mission régalienne dans ce domaine est nécessaire pour éviter les abus, mais les chefs d’entreprise ont surtout besoin de conseils, d’accompagnement, que ce soit pour leurs projets de développement ou en période de difficultés. Une relation de confiance doit être développée, encouragée. Elle sera elle-même source de croissance et de création d’emplois.
En conclusion, nous voterons ce projet de loi d’habilitation tel qu’il a été amélioré par le Sénat, mais serons particulièrement attentifs au contenu des futures ordonnances. Je formule le vœu que notre commission puisse être associée très en amont à la rédaction des textes et participer ainsi activement à la mise en place de mesures favorables au développement de l’emploi en France. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Jeansannetas.
M. Éric Jeansannetas. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, la discussion que nous menons aujourd’hui est évidemment source de frustration pour les parlementaires que nous sommes. Nous travaillons sur un texte d’habilitation portant sur des mesures dont nous ne connaissons pas la teneur précise, les discussions avec les syndicats venant de s’achever et la rédaction des ordonnances n’ayant pas commencé. Le Gouvernement a choisi d’œuvrer dans l’urgence, sans nous mettre réellement à contribution.
Pour autant, cela n’est en rien une surprise : le Président de la République avait annoncé ses intentions lors de la campagne, et les ordonnances sont un moyen constitutionnel de légiférer. Rappelons-nous, mes chers collègues, que c’est par voie d’ordonnances que nous avons instauré, en 1982, la semaine de 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, puis la retraite à 60 ans.
M. Martial Bourquin. Ces réformes allaient dans le bon sens. C’était différent !
M. Éric Jeansannetas. Si la méthode ne nous réjouit pas, nous respectons la démarche, en émettant, bien sûr, des réserves.
Nous partageons en partie le diagnostic : la situation du marché du travail n’est pas satisfaisante et il faut y remédier. Le rôle social du travail est essentiel et la lutte contre le chômage doit demeurer le cœur de nos priorités.
Nous sommes nombreux à être favorables à une refonte du droit du travail, afin de mieux l’adapter aux bouleversements liés, notamment, aux nouvelles technologies et au numérique.
Nous sortons toutefois d’un quinquennat riche en réformes dans ce domaine. Citons la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Certains de leurs dispositifs ne sont pas encore mis en œuvre que nous recommençons à légiférer. Veillons à ne pas être contre-productifs, en créant une instabilité juridique pour les entreprises !
Je tiens par ailleurs à souligner que les réformes menées par la précédente majorité commencent à porter leurs fruits. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, a récemment annoncé que 2 millions d’embauches ont été déclarées au deuxième trimestre de 2017, dont près de la moitié en CDI. Le dispositif « embauche PME » n’y est sans doute pas pour rien !
Il convient de s’interroger sur l’opportunité d’accumuler les réformes avant de connaître les effets réels de celles qui ont déjà été engagées. Je demande donc au nouveau gouvernement et à vous-même, madame la ministre, d’être intransigeants sur l’évaluation des dispositifs mis en place.
Le texte que nous étudions aujourd’hui vise seulement à déterminer le champ d’intervention des ordonnances à venir. Il est donc bien compliqué d’avoir un débat sur le fond, alors même que les négociations avec les organisations syndicales viennent de s’achever. Nous reconnaissons d’ailleurs la réalité du dialogue mis en place, que nous saluons. Nous demandons simplement, madame la ministre, que vous soyez extrêmement attentive aux revendications des syndicats de salariés.
En effet, nous souhaitons que vous aboutissiez à des textes équilibrés. Il est indispensable de renforcer les garanties accordées aux salariés et aux travailleurs indépendants. Sécuriser les employeurs ? D’accord, si cela peut favoriser les embauches, mais il doit y avoir des contreparties en termes de bien-être des salariés.
Nous serons donc particulièrement vigilants au moment d’examiner le contenu des ordonnances, s’agissant notamment du travail de nuit, qui doit rester exceptionnel. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale nous rappelle régulièrement, dans ses rapports, que le travail de nuit comporte des risques pour la santé. Il doit donc être particulièrement encadré.
Nous serons également prudents en ce qui concerne le champ du CDI de chantier. Pourquoi ne pas l’étendre à des missions précises, dès lors qu’elles sont limitées dans le temps, si cela peut favoriser l’embauche ? Cependant, ce type de contrat ne doit en aucun cas devenir la norme. Son utilisation doit rester circonscrite à des domaines spécifiques et clairement identifiés.
Nous serons aussi attentifs à l’éventuelle mise en place d’un barème obligatoire pour le calcul des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les syndicats de magistrats s’en inquiètent : selon eux, elle empiéterait sur le pouvoir d’appréciation des juges et déséquilibrerait le rapport de force entre employeurs et salariés. Par ailleurs, la réforme votée en 2015 créant un barème indicatif commence juste à entrer en vigueur : pourquoi ne pas procéder à une évaluation de cette mesure avant de se précipiter pour mettre en place un barème impératif ?
Enfin, nous sommes très attachés au compte personnel de prévention de la pénibilité. Madame la ministre, les propos que vous avez tenus lors de votre intervention liminaire nous ont quelque peu rassurés. Vous en avez appelé au pragmatisme et avez indiqué vouloir faire en sorte que le dispositif entre dans la réalité, afin que l’on n’en reste pas au stade des intentions.
Le texte que nous examinons aujourd’hui n’est toutefois pas exactement le même que celui qui est issu des travaux de l’Assemblée nationale. Nos collègues de la droite sénatoriale se sont chargés de le « personnaliser » en commission des affaires sociales… Par les modifications apportées, ils l’ont d’ores et déjà déséquilibré, en le durcissant. Ils ont explicitement ouvert la voie, à l’alinéa 13 de l’article 1er, au référendum d’entreprise sur l’initiative de l’employeur. Cela permettrait à ce dernier de court-circuiter les organisations représentatives du personnel et lui conférerait une marge de manœuvre bien trop importante, compte tenu de la relation de subordination existant entre lui et les salariés.
Les modifications apportées à l’article 3 ne nous conviennent guère plus. Nous ne souhaitons pas la réduction de moitié du délai de contestation d’un licenciement économique, qui est aujourd’hui d’un an. Nous n’approuvons pas davantage l’introduction de la possibilité, pour les entreprises de moins de 50 salariés dépourvues de délégué syndical, de « conclure des accords collectifs directement avec les représentants élus du personnel ». Accorder un droit à l’erreur à l’employeur en matière de rédaction des lettres de licenciement ne nous paraît pas non plus nécessaire.
Nous ne souscrivons pas davantage, à ce stade de la procédure législative, à la limitation à trois du nombre de mandats consécutifs pour les membres de la future « instance unique » de représentation des salariés.
Mes chers collègues, nous devrons patienter jusqu’à la discussion des textes de ratification des ordonnances pour débattre sur le fond. C’est à ce moment-là seulement que nous pourrons examiner des mesures concrètes.
En attendant, nous considérons que le texte adopté par la commission des affaires sociales du Sénat a été déséquilibré par la majorité sénatoriale : elle a donné au cadre que constitue cette loi d’habilitation la forme d’un trapèze penchant vers les intérêts du patronat et la flexibilité sans restriction. Nous nous y opposons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social. Ce texte comporte neuf articles, dont nous allons débattre au long de cette semaine.
La France, qui compte 5,864 millions de demandeurs d’emploi, ne parvient pas à enrayer le fléau du chômage, et que nous soyons amenés à « plancher » sur ce volet économique et social dès cette session extraordinaire constitue un bon signal.
Je déplore cependant, comme un certain nombre de mes collègues, les conditions d’examen de ce texte : des délais très contraints, une concertation avec les partenaires sociaux qui n’est pas terminée et le recours aux ordonnances, couvrant un champ immense.
Pour autant, en tant que membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, je me réjouis de l’orientation générale de ce texte, car nos entreprises devraient pouvoir gagner en simplification, et donc en compétitivité. L’emploi devrait, par voie de conséquence, en bénéficier.
Comme vous le savez, selon le critère du poids de la réglementation, le Forum économique mondial classe la France au 115e rang sur 138 pays. À cette surréglementation s’ajoutent l’instabilité du droit et l’insécurité juridique permanente due à la prolifération de règlements complexes, non différenciés en fonction de la taille de l’entreprise.
Dans ces conditions, si les objectifs du Gouvernement sont de redonner du sens au dialogue social, de rationaliser les institutions représentatives du personnel, de libérer l’embauche, nous ne pouvons que nous en féliciter !
Pour autant, si notre ambition est de promouvoir une société du travail, d’instaurer un climat de confiance avec les chefs d’entreprise pour créer des conditions favorables à l’embauche, nous devons aller plus loin. C’est pourquoi je tiens à saluer le travail effectué en commission des affaires sociales par Alain Milon et l’ensemble de mes collègues. Il prend en compte les spécificités des entreprises, en particulier celles des petites et très petites entreprises, et simplifie le droit du travail, au profit des salariés et des employeurs.
Il faut dire que la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a encore complexifié la législation, notamment pour les TPE-PME. Le droit actuel ne leur permet pas de s’adapter à la réalité des situations économiques, par exemple en zone de montagne, où elle se caractérise par le recours à l’emploi saisonnier.
L’article 1er doit permettre de sauvegarder le rôle essentiel de la branche professionnelle et de conclure des accords collectifs directement avec les représentants du personnel. J’estime qu’il ne faut pas accélérer la généralisation des accords majoritaires en cas de licenciements.
Tout ce qui va dans le sens de la rationalisation est bienvenu, et je suis favorable, à l’article 2, à la simplification des instances de représentation du personnel, avec la mise en place d’une instance unique, compétente en matière de négociation des accords d’entreprise.
Bien sûr, la sécurisation juridique des procédures de licenciement doit être mieux appréciée et les délais de contestation, comme les critères d’appréciation, doivent être davantage précisés à l’article 3.
S’agissant du compte personnel de prévention de la pénibilité, sa mise en œuvre sur le terrain a été un véritable échec et je suis favorable à sa transformation, comme proposé à l’article 5, en compte personnel de prévention, moins contraignant pour l’employeur, mais tout aussi favorable à l’employé.
Je voudrais m’exprimer plus en détail sur l’article 9, qui vise à reporter au 1er janvier 2019 le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. En effet, même si ce report est déjà une bonne chose, qu’il me soit permis de vous sensibiliser sur l’impact d’une telle mesure pour les entreprises.
Le 28 juin dernier, dans le cadre de la délégation sénatoriale aux entreprises, une étude d’impact réalisée par le cabinet Taj nous a été présentée. Outre la complexité des mécanismes du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, deux aspects importants ont été relevés : le coût que représente cette mesure pour les entreprises et le ressenti des employés et des employeurs.
Le coût administratif de la collecte, supporté par les seules entreprises, a été estimé à 1,2 milliard d’euros l’année de la mise en place du prélèvement à la source. Quant au coût récurrent, il est évalué à 100 millions d’euros par an. Cette réforme touchera en priorité les TPE, à hauteur de 70 %, puisqu’elles sont aujourd’hui en France au nombre de 1,6 million.
La réforme prévoit que les très petites entreprises, comptant moins de 10 salariés, pourront conserver pendant trois mois l’impôt dans leur trésorerie. Or cette mesure ne représente aucun gain financier pour les entreprises, eu égard au taux d’intérêt bancaire moyen.
Je me réjouis donc de l’adoption d’un amendement de notre collègue Albéric de Montgolfier instituant un prélèvement contemporain de l’impôt, fondé sur la transmission instantanée par les entreprises des informations sur les salaires, ce prélèvement étant effectué non plus par les entreprises, mais bien par l’administration fiscale.
En ce qui concerne les effets psychologiques de cette mesure, ils sont bien réels, même s’ils sont difficilement quantifiables, et leur impact pourrait dégrader le climat social au sein des entreprises, le salarié pouvant légitimement considérer que son employeur s’immisce dans sa vie privée.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, ce texte est loin d’être neutre. Il implique des changements importants en termes de rénovation de notre modèle social, des changements profonds du côté tant des employeurs que des employés. Pour échanger régulièrement avec les uns comme avec les autres, je sais que l’ensemble des acteurs, sur le terrain, sont prêts à se saisir de ces nouvelles opportunités.
Pour toutes ces raisons, je suis plutôt favorable à ce projet de loi, mais je serai très attentive aux différents amendements qui seront examinés en séance publique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Dassault.
Monsieur le doyen du Sénat, puisqu’il s’agit là de votre dernière intervention en séance publique, je ferai exceptionnellement preuve d’indulgence si, d’aventure, vous deviez légèrement dépasser votre temps de parole… (Sourires.)
M. Serge Dassault. Ne craignez rien, madame la présidente !
Avant d’être sénateur, j’ai été président de la société Dassault Aviation et j’ai dû, à ce titre, gérer directement plusieurs conflits sociaux. J’ai compris que le dialogue social ne devait pas être réservé aux seuls syndicats, mais être aussi ouvert aux salariés.
En effet, les syndicats, sous prétexte de défendre les salariés, ne se préoccupent jamais de l’avenir des entreprises. Certaines ont fait faillite faute d’avoir pu licencier le personnel surabondant qu’elles ne pouvaient plus payer. Les salariés ont intérêt à ce que leur entreprise aille bien et, quand elle ne va pas bien, ils ont intérêt à l’aider à aller mieux, ce dont les syndicats ne se soucient pas.
Mme Laurence Cohen. Quelle caricature !
M. Serge Dassault. Le facteur clé pour réduire le chômage est la flexibilité de l’emploi, et non les emplois aidés ou les primes d’activité, qui coûtent des milliards pour rien.
Pour sa part, l’Allemagne multiplie les embauches par le biais des contrats d’intérim en s’inspirant des contrats à durée déterminée reconductibles, des contrats de chantier ou de mission, qui lui ont permis de faire passer son taux de chômage de 10 % à 5 % en créant 2,5 millions d’emplois, pendant que nous en restions à 10 % de chômeurs avec nos CDI irrévocables…
C’est pourquoi je suis très heureux de voir que certaines de ces mesures figurent dans le présent projet de loi d’habilitation.
Permettez-moi cependant, madame la ministre, de vous mettre en garde contre d’éventuels désordres et manifestations de rue, comme nous en avons connu lors de l’examen de la loi El Khomri. Il faudra bien expliquer à l’opinion et aux salariés que la précarité est le fondement même de l’emploi. Rien n’est éternel : la vie, la santé, les mandats électoraux et l’emploi sont précaires. Seuls les emplois de fonctionnaire ne le sont pas, mais ils sont payés par l’État, qui a des moyens que les entreprises n’ont pas. (M. Philippe Mouiller rit.)
Que les syndicats cessent de croire que les chefs d’entreprise veulent licencier leur personnel sans raison. C’est stupide ! Cela n’existe pas : au contraire, tous les chefs d’entreprise ne rêvent que d’embaucher et de développer leur activité.
Madame la ministre, j’espère que vous pourrez convaincre, par une large campagne d’information, tous les salariés et les jeunes de ne pas suivre les éventuelles consignes de grève des syndicats, car cela les conduirait au chômage.
Car il s’agit bien de cela, pour les jeunes : manifester contre la précarité, ce serait manifester pour qu’ils ne trouvent aucun emploi et qu’ils restent au chômage.
Madame la ministre, je regrette par ailleurs que, dans le champ des ordonnances à venir, ne figure pas la nécessaire mise en place d’une véritable participation aux bénéfices pour tous les salariés, à l’instar de ce qu’avait voulu le général de Gaulle en 1967 avec l’association du capital et du travail.
Permettez-moi de retracer brièvement mon expérience personnelle dans ce domaine.
Quand j’ai pris le contrôle de Dassault Aviation, en 1986, il n’y avait pas assez de commandes et les caisses étaient vides. J’ai réuni le personnel – et pas les syndicats – et lui ai dit que, pour préparer l’avenir, il fallait que je dispose de moyens suffisants pour étudier et construire de nouveaux prototypes. Dans cette perspective, je leur ai annoncé que, pendant trois ans, je serais obligé de n’accorder aucune augmentation de salaire et ne distribuerais aucun dividende, mais que, quand je disposerais des moyens nécessaires, ils auraient une part substantielle des bénéfices. Ils ont accepté et j’ai tenu parole.
Au bout de trois ans, j’ai mis en place un accord de participation dérogatoire qui a permis que, après autofinancement, le bénéfice distribuable soit divisé en deux parts égales : une pour les actionnaires, l’autre pour les salariés. C’est ainsi que, depuis quelques années, les salariés reçoivent trois mois de salaire comme prime de participation, ce qui leur fait seize mois de salaire au total.
C’est la véritable égalité capital-travail dont rêvait le général de Gaulle, avec partage égal de l’enrichissement de l’entreprise entre les actionnaires et les salariés. Cela plaît tellement aux salariés qu’un délégué CGT m’a un jour tenu les propos suivants : « Ce qui est bien dans votre système, c’est que nous ne travaillons plus uniquement pour le patron, mais aussi pour nous. » Voilà la solution à la lutte des classes : travailler pour le bien commun dans la paix sociale. Je n’entends plus le slogan : « Dassault peut payer ! » Dassault ne peut rien payer du tout : les salariés l’ont compris et ils constatent que ce système marche.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, c’est la dernière fois, malheureusement, que je m’exprime dans cet hémicycle, car je ne me représenterai pas en septembre, à mon grand regret. En guise de dernier message, permettez-moi de vous rappeler qu’il faut tout faire pour annuler nos divisions gauche-droite, qui nuisent à notre développement économique et à notre paix sociale. Elles n’existent plus dans de nombreux pays et elles ne mènent à rien. N’oubliez pas, mes chers collègues, qu’il n’y a pas un peuple de gauche et un peuple de droite, mais un peuple de France, qui doit pouvoir travailler pour le bien de tous.
Le président Emmanuel Macron a dit qu’il n’était ni de gauche ni de droite ; il a raison, c’est la bonne voie. « La bonne politique n’est ni de gauche ni de droite, c’est celle qui marche », a dit Tony Blair, qui a sauvé l’Angleterre de la récession.
Mes chers collègues, permettez-moi de former un dernier vœu : travaillez tous ensemble pour que cela marche. Au revoir, et amitiés à tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe La République en marche et du RDSE. – M. Éric Jeansannetas applaudit également.)