M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, dans son rapport très complet et très argumenté, Michel Mercier a donné tous les faits, et dans votre intervention introductive, monsieur le ministre d’État, vous avez bien rappelé le contexte. Nous pouvons donc, je crois, concentrer notre débat et nos échanges sur la question de principe : voterons-nous en faveur de cette nouvelle et dernière prolongation de l’état d’urgence dans les conditions que nous connaissons ?
Nous en sommes à la fin d’une succession de renouvellements de l’état d’urgence, auxquels une large majorité du Sénat a consenti à chaque fois.
Je voudrais revenir sur l’épisode que nous avons vécu au sein de la commission des lois, en présence de M. le ministre d’État, alors sénateur, l’avant-veille du 14 juillet 2016. Nous étions alors tous convaincus que l’état d’urgence ne présentait plus d’avantage, de valeur ajoutée. Le Président de la République dit d’ailleurs la même chose dans son allocution du 14 juillet au matin. La semaine suivante, après le drame de Nice, nous avions tous changé de position. Quelle réflexion en tirer ?
Un rappel est nécessaire, surtout lorsque les drames s’éloignent dans le temps : celui de la permanence et de la violence de cette menace terroriste qui continue à peser sur notre pays et sur chacun de nos concitoyens. Nous devons donc faire l’effort d’accumuler le maximum d’outils de précaution et de prévention. C’est à cela que sert l’état d’urgence.
Au moment où le Gouvernement nous demande une dernière prolongation pour les trois prochains mois, ayons en mémoire les réflexions et les constats que nous avions faits non seulement lors de nos débats, lesquels ont été presque unanimes, mais aussi lors des auditions et des contacts qui nous ont permis de constater l’importance et la multiplicité des menaces face auxquelles l’État doit s’organiser.
Michel Mercier a bien montré, notamment dans son rapport écrit, quels ont été les outils conférés par l’état d’urgence, mais aussi combien ce dispositif a constitué un soutien très efficace au renseignement et à l’analyse des risques.
Les perquisitions ont fait débat. Certains collègues ont dit qu’elles n’avaient pas abouti à des centaines de mises en examen pour faits de terrorisme dans l’instant. Mais qui nous dit qu’une bonne partie de la détection des risques, d’embryons de réseaux et de préparatifs d’actes terroristes n’ont pas été découverts à partir de la chaîne de renseignement déclenchée par certaines de ces perquisitions ?
De même, s’agissant de l’assignation à résidence, je tiens à souligner que, face à la très lourde pression qui s’exerce sur nos services, et notamment sur le renseignement intérieur, cette mesure est un outil d’économies très importantes de ressources humaines de renseignement intérieur. Lorsque des individus sont identifiés, sous le contrôle du juge, comme des pivots, des organisateurs de réseaux, il est tout de même plus simple de les avoir à l’œil dans un espace géographique déterminé que d’engager des dizaines de fonctionnaires de police qualifiés pour vérifier où ils se trouvent et quels contacts ils ont.
Du point de vue de la gestion de la prévention du risque terroriste, il s’agit donc d’outils importants.
Nous pourrions dire la même chose à propos des zones de protection et de sécurité. Nous continuerons à organiser, et c’est heureux, de grands rassemblements et des événements festifs, tels que la fête des Lumières à Lyon, auxquels M. le ministre d’État fait allusion. Si l’État n’est pas doté d’outils administratifs, sous le contrôle du juge, pour assurer la prévention des risques exceptionnels qui pèsent sur ces événements, alors nous devrons choisir : soit augmenter le risque, soit supprimer des éléments fondamentaux du lien social et de la vie collective de notre nation.
Je rejoins les propos de notre rapporteur, qui a beaucoup travaillé sur le sujet, quant au développement du contrôle des juges.
Nous avons constaté au cours des deux dernières années une multiplication des décisions prises par les tribunaux administratifs, qui ont fort bien fait leur travail, puis par le Conseil d’État, lesquels ont précisé les conditions dans lesquelles pouvaient intervenir ces mesures administratives. Tout risque d’arbitraire a donc été écarté.
Jacques Bigot a évoqué le débat sur l’affaiblissement ou la remise en question de l’État de droit par l’application de ces mesures administratives. L’objectivité et l’analyse juridique scrupuleuse obligent à répondre que tel n’est pas le cas : le contrôle d’un juge indépendant permet de fixer de nombreux éléments de vigilance autour de ces mesures de précaution et de sûreté. Nous pouvons donc, en tant que chambre des libertés, approuver ces mesures avec la conscience tranquille.
Nous allons vers une nécessaire transition. Le président Philippe Bas a lancé le débat, avec beaucoup de prudence et d’ouverture, sans fermer aucune porte, relatif au projet de loi antiterroriste sur lequel nous allons délibérer dans quelques jours.
Je tiens à apporter le soutien déterminé de notre groupe au Gouvernement sur cette dernière prolongation. Il est nécessaire, bien sûr, que ces mesures administratives et celles qui leur succéderont soient entourées par un ensemble plus vaste : les mesures de déradicalisation et le renforcement du renseignement, en particulier de la capacité d’analyse.
En réaffirmant notre confiance au Gouvernement pour mener ces actions, je veux aussi l’appeler à veiller à assurer une gestion précautionneuse des ressources humaines de la police, de la gendarmerie et des forces armées, qui sont menacées de saturation et d’épuisement, et auxquelles nous souhaitons tous rendre hommage. Ce risque de saturation, je crois que le Gouvernement l’a bien perçu. (MM. François Patriat, Jean-Pierre Sueur, Jean-Marc Gabouty et Loïc Hervé applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Joissains.
Mme Sophie Joissains. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pour la sixième fois depuis le 20 novembre 2015, nous voici réunis afin d’examiner une demande de prorogation de l’état d’urgence.
La dernière fois que nous avons évoqué cette question dans l’hémicycle, c’était en décembre dernier. Depuis cette date, nous avons de nouveau été frappés par le terrorisme. Récemment, à deux reprises et en plein cœur de Paris, des policiers ont encore été pris pour cible par des individus armés. Xavier Jugelé l’a payé de sa vie. Nos voisins européens n’ont pas été épargnés : Berlin, Londres, Manchester, Saint-Pétersbourg ou encore Stockholm ont récemment été victimes de cette barbarie.
Malgré tout, cette nouvelle prolongation pourrait légitimement susciter des interrogations. Chacun sait ici qu’au cours des derniers mois nous avons déjà modifié un certain nombre de dispositions de droit commun renforçant sensiblement les moyens de la lutte antiterroriste afin de préparer une sortie de l’état d’urgence.
Cette perspective de sortie est d’ailleurs évoquée par le Conseil d’État dans chacun des avis qu’il a rendus depuis la première prorogation. Comme le Conseil, plusieurs d’entre nous ont remarqué, à juste titre, que l’état d’urgence n’avait pas vocation à être prolongé indéfiniment. Nous devons conserver à l’esprit cet impératif.
Mais la question la plus fondamentale, qui doit rester notre préoccupation immédiate, est la sécurité de nos concitoyens : l’état d’urgence est-il toujours justifié, étant donné le niveau de menace pesant sur le France ? Les moyens donnés par l’état d’urgence sont-ils toujours indispensables ?
Notre groupe, dans son ensemble, est convenu que la prévention mais aussi la résilience face au terrorisme sont plus que jamais d’actualité. Au regard de la persistance durable de la menace terroriste à un niveau très élevé sur notre territoire, la prolongation de l’état d’urgence s’avère être nécessaire. Mais cette sixième prorogation doit être la dernière. Le Président de la République l’a solennellement annoncé à Versailles ; nous espérons que cet engagement pourra être et sera tenu.
Des éléments figurant dans l’exposé des motifs du projet de loi que nous examinerons cet été nous incitent à le penser. Plusieurs mesures permanentes prévues dans ce texte renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme visent ainsi à prévenir de manière plus efficace les actes de terrorisme et devraient permettre – nous l’espérons très fort – « une sortie maîtrisée de l’état d’urgence ».
Par ailleurs, ce projet de loi est utile : il nous offre la possibilité de tirer les conséquences de la décision QPC du 9 juin 2017 du Conseil constitutionnel, par laquelle ce dernier a déclaré contraires à la Constitution les dispositions relatives à l’interdiction de séjour de la loi de 1955.
L’amendement du Gouvernement, adopté en commission, vise à rétablir la possibilité pour les préfets de prendre des mesures d’interdiction de séjour en respectant les prescriptions du Conseil constitutionnel. Sans cette modification, l’interdiction de séjour dans le cadre de l’état d’urgence aurait été abrogée le 15 juillet 2017, ce que nous ne pouvions bien évidemment nous permettre.
Je tiens à saluer le travail et l’implication de notre collègue Michel Mercier sur ce dossier. Cela fait presque deux ans maintenant que son analyse et sa parfaite connaissance du sujet nous permettent de voter de manière éclairée – du moins nous l’espérons fort.
Nous devons à nos concitoyens un discours de vérité : non, l’état d’urgence ne permet pas d’éviter les attentats et nous en avons eu la terrible démonstration au cours de ces derniers mois.
Non, l’état d’urgence n’est pas suffisant pour faire face à cette menace sans précédent. Pour autant, il demeure aujourd’hui absolument nécessaire. Cela ne doit pas nous faire perdre de vue que la voie judiciaire est l’outil premier et incontournable de la lutte antiterroriste et que, très vite, c’est dans un système hors urgence, pérenne, que notre pays devra s’inscrire et s’adapter à la menace.
Nous ne gagnerons la guerre contre le terrorisme qu’en réformant la justice, en préservant et en respectant les libertés individuelles, et donc aussi, comme l’a souligné hier le Président de la République, les juridictions de l’ordre judiciaire.
Nous ne gagnerons la guerre contre le terrorisme qu’en poursuivant et en accroissant au niveau européen, comme le fait déjà avec force Eurojust, une coordination étroite de nos systèmes d’information.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera la prorogation de l’état d’urgence, cadre encore indispensable pour lutter contre la menace terroriste qui pèse sur notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains ainsi que sur plusieurs travées du groupe La République en marche.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Gérard Collomb, ministre d'État. C'est toujours avec beaucoup d’attention que j’écoute les propos de Michel Mercier. Je sais par expérience que nous aboutissons toujours à faire converger les points de vue. Nous le ferons sur ce texte comme sur d’autres.
Lorsqu’on est ministre de l’intérieur, il y a un avant et un après. Vient le moment où l’on commence à connaître et à mesurer l’importance de la menace. Je crois qu’aujourd'hui elle est grande. On prend alors conscience qu’il faut effectivement faire évoluer les choses, ne pas être dans l’état d’urgence permanent. Cependant, dans le même temps, nos services doivent avoir les moyens de mener à bien leurs missions ; sinon, c'est la vie de nos concitoyens que nous exposerions.
Je l’ai dit dans mon intervention liminaire, nous avons évité depuis le 1er janvier dernier un certain nombre d’attentats. Je le rappelle, la tentative d’attentat sur les Champs-Élysées aurait pu faire de nombreuses victimes parmi les gendarmes présents ce jour-là. J’en suis certain, si cet attentat avait malheureusement eu lieu, nous n’aurions pas le même type de discussion que celle que nous avons aujourd'hui.
Vous avez relevé les dispositions déjà prises, en particulier par le Sénat. Je n’ai jamais été de ceux qui pensaient qu’il y avait un « avant » et un « après » qui changeait radicalement. Le Premier ministre l’a indiqué dans la déclaration de politique générale que je vous ai lue cet après-midi, il y a une continuité de notre République et de ses expériences. Chaque étape constitue un progrès. Il est vrai que le Sénat a été, sur ces problématiques, particulièrement à l’œuvre, en apportant de la matière à la réflexion du Gouvernement. Je ne doute pas qu’il continuera à le faire demain.
Néanmoins, notre réflexion doit intervenir davantage en amont. Vous l’avez dit, il est toujours possible de rétablir l’état d’urgence. La dernière fois que nous l’avons fait, c’était après les attentats. Chaque soir, j’ai peur d’être réveillé pendant la nuit, car je sais combien la menace est importante. Celui qui lit un certain nombre de fiches s’aperçoit que le danger est très grand.
J’écoutais Mme Assassi évoquer « l’urgence sociale ». Je suis d’accord, cette urgence sociale existe. La situation dans notre pays est extrêmement dégradée, ce qui fournit peut-être un soubassement à des dérives particulières. Nous devons traiter ces problèmes de fond. En tant que futur ex-maire de Lyon, j’estime que les problèmes ne se résolvent pas simplement par des mesures de sécurité : il faut aussi changer l’environnement. Mais si l’on a échoué à changer cet environnement, la sécurité s’impose alors.
Je me suis déplacé dans certaines communes de la première couronne de l’agglomération parisienne. J’y ai constaté le caractère dégradé des conditions de sécurité. Pour ma première visite en tant que ministre de l’intérieur, juste après la passation de pouvoirs, je me suis rendu dans une commune où un individu en avait tué un autre à la kalachnikov. J’ai vu comment les choses avaient pu s’enchaîner : misère sociale, trafic de stupéfiants, embrigadement. Dans ce cercle infernal, grand banditisme et terrorisme peuvent se mélanger.
C'est la raison pour laquelle nous vous proposons aujourd'hui de proroger l’état d’urgence. Demain, la commission des lois examinera le projet de loi dans lequel nous avons essayé de permettre à nos forces de sécurité de continuer leur action, mais avec de grandes précautions. (Mmes Stéphanie Riocreux et Sophie Joissains ainsi que M. Yves Détraigne applaudissent.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence
Article 1er
I. – Est prorogé, à compter du 16 juillet 2017, jusqu’au 1er novembre 2017, l’état d’urgence :
- déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et le décret n° 2015-1493 du 18 novembre 2015 portant application outre-mer de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
- et prorogé en dernier lieu par la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
II. – Il emporte, pour sa durée, application du I de l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
III. – Il peut y être mis fin par décret en conseil des ministres avant l’expiration du délai mentionné au I du présent article. En ce cas, il en est rendu compte au Parlement.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, j’ai entendu votre plaidoyer en faveur des perquisitions administratives, notamment dans les cas de terrorisme. Il est toujours possible de recourir à des perquisitions judiciaires et en flagrance, mais dans des conditions plus protectrices. C'est la raison pour laquelle il n’avait pas été prévu, dans la troisième prorogation de l’état d’urgence, de prévoir le recours aux perquisitions administratives.
J’ajoute que, comme l’a indiqué M. Mercier dans son rapport, lorsque les services publics coopèrent correctement entre eux, le nombre de perquisitions administratives peut tendre vers zéro.
Par conséquent, il ne me semble pas utile de prévoir un pouvoir spécifique, donc exceptionnel, de perquisition administrative si cela sert uniquement à pallier une organisation de l’État qui serait perfectible.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué que sécurité et liberté étaient intimement liées. Je partage votre avis. Comme vous l’avez dit, les mesures restrictives de liberté peuvent s’imposer dans l’urgence pour répondre à un risque. Toutefois, sur le long terme, ce type de mesures engendre des problèmes – exclusions, suppression de certaines libertés, injustices – qui constituent le terreau d’autres risques. Nous le constatons dans des pays qui ont choisi la voie sécuritaire, parfois initialement par nécessité, et qui finissent par s’enfoncer dans ce genre de situations.
Je pense aussi aux assignations à résidence – on en dénombre 35 d’une durée supérieure à six mois. Est-ce le type de surveillance qui permet d’obtenir des informations pour ouvrir une information judiciaire ? Je le redis, 35 personnes sont privées, de façon purement administrative, de liberté depuis plus de six mois, alors que nous n’avons pas d’information, au-delà du risque potentiel, permettant de justifier cette mesure. L’assignation à résidence est-elle la solution la mieux adaptée ?
Le Président de la République le disait hier, la France doit être une société de la liberté forte. L’état d’urgence dans notre pays n’a rien à voir avec celui qui est en vigueur en Turquie : au contrôle très fort de la justice administrative s’ajoutent un contrôle parlementaire et un contrôle constitutionnel.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Je termine, monsieur le président.
L’état d’urgence français est aujourd'hui un prétexte à des dérives dans d’autres pays. Nous devons changer cela. Je rappelle…
M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, monsieur Leconte !
Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?
M. Michel Mercier, rapporteur. L’avis est défavorable.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Je ne voterai pas cet amendement qui vise à supprimer la possibilité de recourir aux perquisitions administratives. Je veux dire à mon collègue et ami Jean-Yves Leconte que je ne comprends pas les deux motivations qu’il met en avant.
Premier argument invoqué, la troisième phase de l’état d’urgence n’avait pas été donné lieu à la reconduction des mesures de perquisitions administratives. Or on s’était rendu compte que ne pas proroger cette possibilité était une erreur. Dans les phases ultérieures, la mesure avait été reconduite.
Second argument, lors de l’examen du présent projet de loi en commission des lois, le rapporteur a précisé – il l’a d’ailleurs redit aujourd’hui – que « très peu de perquisitions ont été conduites à Paris, pour une raison fort simple : le préfet de police de Paris et le procureur de la République se réunissent régulièrement et travaillent fort bien ensemble », ce qui permet de judiciariser la procédure. Malheureusement, ce n’est pas le cas partout ! C’est justement pour que cette situation puisse exister ailleurs que la prorogation de cette mesure est prévue.
Il faut faire preuve de pragmatisme et faire en sorte, en attendant mieux, de donner les moyens à celles et ceux qui ont permis d’éviter, grâce aux perquisitions, des drames sinistres de continuer à recourir à de telles mesures.
Je le répète, je ne peux pas voter cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
L’article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « , dans le but de prévenir des troubles à la sécurité et à l’ordre publics » ;
2° Le 3° est ainsi rédigé :
« 3° D’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. L’arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s’applique, qui ne peut inclure le domicile de la personne intéressée. » ;
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Ces mesures tiennent compte de la vie familiale et professionnelle des personnes susceptibles d’être concernées. »
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le 3° de l’article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence est abrogé.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. J’ai déjà développé l’objet de cet amendement dans mon intervention lors de la discussion générale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3 (nouveau)
À l’article 15 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, la référence : « n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique » est remplacée par la référence : « n° … du … prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ». – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je comprends que notre ancien collègue et actuel ministre de l’intérieur ait des nuits agitées – il a de nombreuses raisons de se faire du souci – et qu’il veuille nous mettre dans les meilleures positions pour lutter contre le terrorisme. Mais ce n’est pas l’objet du texte que nous examinons aujourd'hui !
La question est de savoir si la poursuite de l’état d’urgence est de nature à nous apporter des outils différents, meilleurs que ceux dont nous disposons d’ordinaire.
Souvenez-vous, mes chers collègues, trois mois après le Bataclan, un rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale, présidée à l’époque par Jean-Jacques Urvoas, relevait que l’état d’urgence avait eu des effets très importants parce qu’il avait permis de mener des opérations auxquelles les terroristes ne s’attendaient pas, mais que son efficacité allait diminuer progressivement.
Je donnerai une interprétation subliminale des propos tenus aujourd'hui par le rapporteur et par le président de notre commission des lois : au vu de ce qui a déjà été fait, et parce qu’ils ont relevé que l’état d’urgence n’est pas nécessaire si les services sont bien organisés, ils n’ont pas semblé si convaincus de l’intérêt de prolonger la mesure.
Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : le seul argument qui porte, c’est que les Français ne comprendraient pas que l’on ne renouvelle pas l’état d’urgence ! Il est normal que le ministre de l’intérieur craigne qu’on ne dise qu’il n’a rien fait si la mesure n’était pas prorogée et qu’un problème survenait. Mais ce sont des problèmes de communication, et non d’efficacité !
Enfin, mais on reviendra sur la question à l’occasion du projet de loi dont nous débattrons prochainement : un traitement uniquement policier du terrorisme est-il suffisant ? À cette question, je réponds non.
Je ne voterai donc pas la reconduction de l’état d’urgence.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Comme je l’ai déjà indiqué, j’ai la conviction que, sur le long terme, l’état d’urgence n’est pas l’outil pour combattre le terrorisme. (M. Bruno Sido s’exclame.) J’y insiste, l’état d’urgence est, en France, sous le contrôle du juge administratif, du Parlement et du Conseil constitutionnel. Je tiens à le répéter car, lors de mes déplacements à l’étranger, je constate combien finalement la dérogation que nous sommes obligés de demander à la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’état d’urgence, en vertu de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme, fait croire que nous sortons totalement du droit.
Or je ne souhaite pas que la France continue à être ce prétexte, ce « mauvais exemple » (M. Roger Karoutchi s’exclame.) sur lequel d’autres États peuvent s’appuyer pour justifier des dérives de plus en plus inquiétantes.
Non, nous devons réaffirmer notre complet retour aux exigences de la CEDH.
C'est pourquoi je m’abstiendrai.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Je ne comprends même pas qu’il y ait débat ! De quoi s’agit-il ? En attendant un texte plus global, qui sera pérenne, il faut éviter de se retrouver dans un interstice : c'est la raison pour laquelle nous prolongeons l’état d’urgence pour trois mois. Voilà tout !
Mais on refait une discussion, surréaliste, pour savoir si, oui ou non, la CEDH est d’accord et si, oui ou non, les perquisitions aboutissent aux effets escomptés.
On sait bien que ce n’est pas l’état d’urgence qui empêche le terrorisme ! Mais, à l’inverse, que dit-on aux forces de l’ordre, que dit-on aux gendarmes, que dit-on aux policiers, que dit-on aux Français ? Que l’on va lever l’état d’urgence sans disposer encore de la loi renforçant la lutte contre le terrorisme, et que l’on verra bien ce qui se passera ?
Ce n’est même pas crédible !
L’action publique, l’action du Parlement, consiste aussi à rassurer les gens : peut-être que cela n’est pas merveilleux et que l’état d’urgence n’empêche pas l’acte terroriste, mais nous sommes là, et là pour suivre la situation et faire en sorte de rassurer.
Par pitié, que le Parlement rassure les Français ! Il est temps, si l’on veut resserrer les liens entre les parlementaires et les Français, d’affirmer que, oui, nous pouvons le faire ensemble ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Plusieurs sénateurs des groupes Union Centriste et La République en marche applaudissent également.)