Sommaire
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles.
2. Mise au point au sujet d’un vote
3. Obligations comptables des partis politiques. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Alain Anziani, auteur de la proposition de loi
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Articles additionnels avant l’article 1er
Amendement n° 8 rectifié quater de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 11 rectifié quater de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 16 rectifié quater de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 5 rectifié quater de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 12 rectifié quater de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 15 rectifié quater de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 1 rectifié de M. François Pillet. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 2
Amendement n° 14 rectifié bis de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 7 rectifié bis de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 17 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
4. Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. – Rejet en nouvelle lecture d’une proposition de loi
Discussion générale :
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
M. Didier Guillaume ; Mme la présidente ; Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois.
Motion n° 1 de la commission. – M. Christophe-André Frassa, rapporteur ; M. Didier Marie ; M. Christian Eckert, secrétaire d'État ; Mme Jacky Deromedi ; M. Jean-Pierre Sueur ; Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois ; M. Alain Bertrand ; Mme Corinne Bouchoux – Adoption, par scrutin public, de la motion entraînant le rejet de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
5. Communication d’un avis sur un projet de nomination
6. Communication relative à une commission mixte paritaire
7. Transport sanitaire héliporté. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi
M. Gilbert Barbier, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
8. Faut-il supprimer l’École nationale d’administration ? – Débat organisé à la demande du groupe du RDSE
M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE
Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique
compte rendu intégral
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac,
M. Bruno Gilles.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Lors du scrutin n° 92, qui s’est déroulé le 26 janvier dernier, sur le projet de loi visant à ratifier trois ordonnances relatives à l’instauration d’une collectivité unique en Corse, notre collègue Sophie Joissains a été inscrite comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’elle souhaitait voter pour.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
Obligations comptables des partis politiques
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste et républicain, la discussion de la proposition de loi, après engagement de la procédure accélérée, tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques, présentée par M. Alain Anziani et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 231, texte de la commission n° 334, rapport n° 333).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Anziani, auteur de la proposition de loi.
M. Alain Anziani, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales, mes chers collègues, l’origine de cette proposition de loi est simple, mais fracassante : il s’agit d’un emprunt russe contracté par le Front national. L’existence de cet emprunt, qui avait été révélée par la presse, a d’abord été contestée par le parti, puis reconnue par lui. Il a d’ailleurs eu tort de nier sa réalité puisqu’un tel emprunt n’est pas illégal en soi. Il pose cependant la question de la transparence des différents emprunts pouvant être souscrits par des candidats à une élection ou des partis politiques.
Lors de l’examen du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, présenté par Michel Sapin, notre collègue député Romain Colas avait déposé un amendement visant à améliorer la transparence des emprunts. Cet amendement avait été adopté à l’Assemblée nationale. Il avait néanmoins reçu un accueil moins favorable au Sénat, qui avait estimé qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.
Le Conseil constitutionnel a effectivement considéré que ce dispositif n’avait pas de lien avec l’objet du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et qu’il était donc contraire à l’article 45 de la Constitution. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé la présente proposition de loi, qui reprend substantiellement les dispositions adoptées dans le cadre de la loi Sapin II.
L’article 1er vise le candidat et le candidat tête de liste à une élection. L’article 2 vise les partis ou groupements politiques. Dans tous les cas, l’obligation est la même : publier toutes les informations relatives aux emprunts contractés, notamment l’identité et la nationalité du prêteur ainsi que les différentes modalités de l’emprunt.
Il ne s’agit pas là d’une révolution puisque, vous le savez, les partis politiques doivent chaque année transmettre leurs comptes à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, y compris les informations relatives aux emprunts souscrits, mais, pour ces dernières, il n’existe pas d’obligation de publication. La Commission nationale des comptes de campagne souhaite que lui soient transmises annuellement, sous forme d’une annexe à ces comptes, les informations nécessaires à cette publication. C’est ce que nous proposons aujourd’hui.
Le rapporteur de la commission des lois, Alain Vasselle, s’est longuement interrogé, ce dont je le remercie, sur la conformité d’une telle obligation à l’article 4 de la Constitution, qui garantit le libre exercice de leur activité aux partis politiques. Cette question avait déjà été soulevée à l’Assemblée nationale, notamment par Sandrine Mazetier, et au Sénat.
Après maintes réflexions et analyses, il est apparu que le fait de rendre obligatoire la publication des informations transmises à la Commission nationale des comptes de campagne n’entravait pas le fonctionnement des partis politiques. Il y a donc un consensus, de la part des plus hautes autorités qui ont été consultées, pour admettre la constitutionnalité de cette mesure.
La question s’est également posée de savoir si l’obligation, prévue à l’article 2, de rendre publics les flux financiers entre les partis politiques était ou non conforme à la Constitution. Le rapporteur de la commission des lois a considéré que ce point pouvait soulever un véritable problème de constitutionnalité. Je préfère m’en remettre à son avis pour éviter de fragiliser le texte. Je ne m’opposerai donc pas à l’amendement qui a été déposé par François Pillet sur ce point.
Notre collègue Jean-Pierre Grand a également déposé des amendements, dont plusieurs, inspirés par les travaux de la Commission nationale des comptes de campagne, sont très intéressants. Ils sont de nature à enrichir très utilement la proposition de loi que je vous invite à adopter.
La présente proposition de loi ne concerne pas l’élection présidentielle, dont les modalités ne peuvent être modifiées que par un projet ou une proposition de loi organique. Ce sera sans doute la prochaine étape de cette discussion, dont j’espère qu’elle ira à son terme à l’Assemblée nationale. En tout cas, je remercie le Gouvernement d’avoir engagé la procédure accélérée pour l’examen de ce texte. Je crois savoir que nos collègues députés l’adopteront avant la fin de la session. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre collègue Alain Anziani vient de présenter les grandes lignes de la proposition de loi soumise à l’examen de notre assemblée : ce texte reprend des dispositions introduites par l’Assemblée nationale sous forme d’amendement lors de l’examen en première lecture de la loi Sapin II. Notre collègue François Pillet, alors rapporteur de ce texte, les avait écartées, considérant qu’elles constituaient un « cavalier législatif ». Le Conseil constitutionnel lui a donné raison en les censurant, en application de l’article 45 de la Constitution.
Faute de temps pour analyser précisément ces dispositions, le débat lors de la loi Sapin II avait uniquement permis de faire état de doutes sur leur constitutionnalité, exprimés par les rapporteurs des deux assemblées. L’examen de cette proposition de loi nous offre des conditions plus favorables pour les examiner. Reste que l’engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement pourrait réduire la navette parlementaire, pourtant nécessaire pour aborder des questions aussi épineuses. C’est pourquoi la commission des lois s’est montrée ouverte aux seuls amendements qui ne concernaient pas des questions dont la complexité appelait des débats approfondis.
Sous réserve de précisions rédactionnelles et d’un report à 2018 de l’application de ces modifications, la commission des lois a suivi mes propositions et adopté le texte tel qu’il vous est présenté, en veillant particulièrement à sa conformité à la Constitution, comme vient de le rappeler Alain Anziani ; je le remercie d’ailleurs de sa compréhension et d’avoir accepté de s’en remettre à la sagesse de la commission s’agissant de l’amendement déposé par François Pillet sur ce point.
L’article 1er s’appliquerait aux candidats à une élection lorsqu’ils sont tenus d’établir un compte de campagne, à l’exception de l’élection présidentielle, dont les modalités relèvent, en application de l’article 6 de la Constitution, d’une loi organique.
L’article 2 est relatif aux partis ou groupements politiques et intervient dans un cadre constitutionnel un peu plus contraignant. L’article 4 de la Constitution prévoit en effet que les partis et groupements politiques « se forment et exercent leur activité librement », sans que soit évoqué, à la différence des dispositions relatives aux collectivités territoriales, l’encadrement de cette activité par la loi.
La jurisprudence constitutionnelle sur le sujet est très réduite, ce qui rend d’autant plus délicat l’exercice consistant à cerner les limites constitutionnelles au libre exercice de leur activité par les partis politiques. C’est l’une des raisons qui ont motivé notre prudence. Nous avons appliqué en quelque sorte le principe de précaution en matière législative. (Sourires.) Pour les amendements que nous serons appelés à examiner, la commission des lois a souhaité ne pas atteindre et franchir ces limites constitutionnelles.
La réelle innovation de cette proposition de loi est d’obliger les partis politiques à faire figurer en annexe de leurs comptes les informations relatives aux emprunts souscrits et consentis. Alain Anziani a ainsi fait référence à l’emprunt russe souscrit par un parti d’extrême droite. Ces informations seraient soumises à la certification des commissaires aux comptes chargés d’examiner actuellement les comptes déposés auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Cette dernière disposerait ainsi d’informations vérifiées sur ce point. Je rappelle que ce type d’informations est déjà transmis à la Commission nationale des comptes de campagne par les candidats, au travers de l’annexe n° 3 au compte de campagne. Aucune contrainte supplémentaire ne pèserait donc sur eux.
La Commission nationale des comptes de campagne serait chargée de rendre publiques l’ensemble de ces informations. Il s’agit en réalité de la généralisation d’une publicité qui est déjà possible sur demande d’un tiers, dès lors que les documents reçus par la Commission nationale des comptes de campagne sont considérés comme des documents administratifs, communicables à toute personne.
Le président de la Commission nationale des comptes de campagne m’a indiqué que le traitement des informations des comptes de campagne en vue de leur publication engendrerait probablement un surcroît de travail pour ses équipes, sans être en mesure de le chiffrer à ce stade. Je n’ai donc pas déposé d’amendements visant à contenir ou à prévenir ce surcroît.
Sur le plan constitutionnel, les craintes initiales semblent avoir été levées, notamment pour la protection du droit au respect de la vie privée. En effet, les informations relatives aux prêteurs personnes physiques ne seraient pas rendues publiques, ce qui, au regard de la jurisprudence constitutionnelle récente, paraît sage. Il reste un doute, que j’avais exprimé en commission la semaine dernière, sur l’étendue des informations à transmettre et publier en matière de flux financiers entre partis politiques : un amendement de François Pillet nous permettra de revenir précisément sur cette question.
Ce texte accompagne un effort de transparence financière, qui recueille un large assentiment. Qui pourrait s’y opposer ? Grâce aux amendements pertinents de notre collègue Jean-Pierre Grand, nous pourrons poursuivre le débat. Des amendements de précision et d’autres visant à introduire des éléments complémentaires viendront servir cet objectif de transparence ; nous ne pouvons qu’y être favorables.
La commission des lois vous appelle, mes chers collègues, à adopter la proposition de loi, sous réserve de l’adoption des amendements auxquels elle a donné un avis favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Estelle Grelier, secrétaire d'État auprès du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, chargée des collectivités territoriales. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques, présentée par les membres du groupe socialiste et républicain, vise à modifier le code électoral et la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique pour renforcer la transparence des relations financières existant entre les candidats aux élections politiques, les partis et les acteurs économiques et financiers. Je tiens à saluer l’auteur de ce texte, Alain Anziani, et la qualité de son travail.
La proposition de loi vise donc à enrichir les obligations comptables des partis s’agissant des emprunts qu’ils ont contractés, pour donner automatiquement les moyens à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de vérifier la légalité de ces financements.
Ce texte poursuit également l’objectif d’informer les citoyens pour leur permettre d’apprécier par eux-mêmes l’influence que ces relations pourraient avoir sur l’indépendance des formations et des candidats.
La proposition de loi vise, enfin, à étendre l’obligation de la communication et de la publication aux flux financiers entre les partis, et entre les partis et les candidats, puisqu’un parti peut lui-même souscrire un emprunt et en transférer le bénéfice du capital à son candidat.
En outre, ce texte répond à l’enjeu global de transparence financière de la vie politique sur lequel le Gouvernement s’est engagé, depuis 2012, à travers la mise en place de nouveaux mécanismes de publicité et de contrôle.
Il s’inscrit d’abord dans le prolongement des lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, qui ont marqué une avancée significative – chacun le reconnaît – en termes de respect de règles éthiques par les responsables publics, avec notamment l’obligation faite aux parlementaires et aux membres du Gouvernement de publier leurs déclarations d’intérêts et de patrimoine.
Il reprend ensuite les termes de l’article 30 de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin II, que le Conseil constitutionnel avait censuré pour des raisons de procédure législative.
Enfin, la proposition de loi contribue, de manière équilibrée, au respect de principes et d’objectifs de valeur constitutionnelle indispensables à la vie démocratique de notre nation.
Elle conforte le droit des acteurs politiques à recourir à l’emprunt. De surcroît, en ne s’imposant qu’aux partis politiques bénéficiaires de l’aide publique et qui choisissent donc librement de se soumettre aux dispositions de la loi de 1988, elle s’inscrit dans le respect du principe de liberté de formation et d’activité des partis politiques consacré par l’article 4 de notre loi fondamentale.
De plus, en fixant des critères clairs, objectifs et identiques pour l’ensemble des partis politiques, la proposition de loi assure le respect des principes d’égalité et de pluralisme des opinions, qui constituent le fondement de la démocratie.
Concernant son application, la commission des lois a opportunément adopté un amendement du rapporteur prévoyant une entrée en vigueur différée de ces dispositions, qui seront donc applicables aux élections se déroulant après le 1er janvier 2018 et aux comptes arrêtés au titre de l’exercice 2018. Cette entrée en vigueur différée est une mesure de bon sens ainsi qu’une manifestation du respect de la tradition républicaine selon laquelle on ne change pas les règles électorales juste avant les scrutins. Ainsi, les règles actuellement applicables aux candidats et aux partis qui devront déposer leurs comptes au titre de l’exercice 2016 ne seront pas modifiées.
Quant à l’application de cette proposition de loi aux élections présidentielles ultérieures, elle ne sera envisageable qu’à la condition de modifier l’article 4 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, modification qui n’est possible que par une loi organique.
Partant de ce constat, le Gouvernement est favorable au renforcement des obligations comptables des partis politiques. Il contribuera à réaliser le double impératif démocratique d’exemplarité des acteurs politiques et d’information des citoyens, essentiel pour retisser les liens de confiance qui doivent les unir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi d’Alain Anziani est particulièrement opportune. Ce n’est pas simplement une question de transparence ; c’est aussi une question d’indépendance nationale.
M. Alain Anziani. Absolument !
M. Jean-Yves Leconte. Lorsque je me suis rendu à Moscou, en avril 2014, en tant que sénateur des Français de l’étranger, j’ai rencontré plusieurs de nos collègues russes, siégeant soit au Conseil de la Fédération, soit à la Douma. Lors de ce déplacement, au moment de la crise ukrainienne, j’ai appris que Marine Le Pen était également dans la capitale russe. J’ai demandé à mes interlocuteurs pourquoi elle était si bien accueillie. La réponse a fusé : « L’Union européenne agit contre nos intérêts. Marine Le Pen veut la fin de l’Union européenne ; donc, nous l’aidons. »
En septembre 2014, la First Czech Russian Bank, soumise à la législation bancaire russe, offrait au Front national un crédit de 9 millions d’euros.
Cela pose tout d’abord une question de dépendance. Il est d’ailleurs étonnant, de la part d’un parti politique qui se prétend souverainiste, de servir ainsi des intérêts étrangers.
Cette affaire pose ensuite une question de soumission. En effet, la First Czech Russian Bank, comme nombre de petites banques russes, a subi les effets des sanctions, s’est retrouvée en difficulté, puis a été placée sous la tutelle de la Banque de Russie, avec laquelle, finalement, le Front national a directement affaire. C’est pourtant un parti français qui prétend défendre une vision française ! En réalité, ce n’est pas du tout le cas…
Il faut, dans ce domaine, que la transparence soit absolue. C’est une question d’indépendance !
Pour cette raison, et quels que soient les débats que nous pourrons avoir sur les amendements déposés par Jean-Pierre Grand ou sur celui relatif aux flux financiers entre partis politiques, il convient d’adopter le plus rapidement possible, même a minima, cette proposition de loi. Il y a en effet urgence à informer les Français des situations de dépendance financière dans lesquelles se trouvent les partis politiques, lesquels bénéficient, je le rappelle, de fonds publics et de dons.
« A minima », dis-je, car l’application des dispositions de la proposition de loi est reportée à 2018, ce que je regrette. On parle de sécurité juridique, mais il ne s’agit là que d’une photographie : le texte ne prévoit aucune interdiction, mais une simple description ; soit les choses sont avouables, soit elles ne le sont pas ! Pourquoi repousser l’application de ces dispositions ?
Par ailleurs, si l’on avait voulu mener une réflexion plus large, il aurait fallu se poser la question, non pas seulement des emprunts souscrits, mais aussi des garanties liées à ces emprunts.
Enfin, il convient de se demander qui peut financer la vie politique française. Aujourd’hui, toute personne physique, quelle que soit sa nationalité, peut le faire. Si l’on veut véritablement s’assurer de la traçabilité des fonds, il faudrait prévoir que les donateurs aient leur résidence fiscale en France, ou bien soient de nationalité française. En tant que sénateur des Français de l’étranger, je veux insister sur un point : puisque nos compatriotes qui vivent à l’étranger ont le droit de voter aux élections françaises, ils doivent aussi pouvoir participer au financement de la vie politique, même s’ils n’ont pas leur résidence fiscale dans notre pays.
Si aucun de ces deux liens n’existe, la possibilité de financer une activité politique en France pose un problème, non seulement d’indépendance et de transparence, mais aussi de traçabilité, puisque la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques n’est pas en mesure de tracer l’origine des fonds dont bénéficient les partis politiques dès lors qu’ils sont versés par des contributeurs étrangers.
Je regrette l’amendement de notre collègue François Pillet, qui reprend des réserves émises par notre rapporteur, visant à supprimer une partie de l’article 2, celle relative à l’obligation de transmission des informations relatives aux flux financiers entre partis politiques. Cette suppression serait justifiée par des motifs d’ordre constitutionnel. On nous rappelle les termes de l’article 4 de la Constitution : « Les partis et groupements politiques […] se forment et exercent leur activité librement ». Pourtant – et c’est heureux ! –, nous avons pu interdire, sans que cela soit contraire à la Constitution, le fait que des personnes morales puissent financer des partis politiques. Pourquoi le fait de rendre publics les flux financiers entre partis politiques serait-il inconstitutionnel ?
En 1993, le Conseil constitutionnel avait jugé que ce type de dispositions visait un objectif légitime d’information des citoyens et de transparence de la vie publique. Quoi de plus normal que de telles mesures lorsque les structures concernées vivent de cotisations, de dons et de dotations publiques ? Je regrette donc que la commission soit favorable à un tel amendement.
Pour ce qui concerne la question, soulevée par Jean-Pierre Grand, des commissaires aux comptes, je considère que peuvent effectivement se poser des problèmes de conflits d’intérêts. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dispose de moyens limités pour contrôler les documents qui lui sont transmis. Il faut donc absolument s’assurer de la validité de cette vérification des comptes. Prévoir une rotation des commissaires aux comptes tous les six ans ne me semble donc pas aberrant.
Sous réserve de ces remarques, et compte tenu de l’urgence, ainsi que du souhait de parvenir à un vote conforme sur ce texte avant la suspension de nos travaux, nous accepterons les évolutions suggérées par le rapporteur. Nous regrettons cependant de ne pas pouvoir aller plus loin. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, feutrée, discrète, sans envergure apparente, soulève à mon avis de grandes questions qui dépassent le cadre étroit d’aujourd’hui.
En premier lieu, se posent des questions de forme, d’opportunité : pourquoi ce texte vient-il en débat aujourd’hui ou, plutôt, pourquoi seulement aujourd’hui ? Pourquoi est-il porté par un parlementaire et un groupe ? Pourquoi le Gouvernement ne s’en est-il pas saisi ? Pourquoi le Conseil Constitutionnel a-t-il censuré une telle disposition qui, de toute évidence, avait sa place dans la loi Sapin II ? Quelle est la légitimité du Conseil constitutionnel à censurer à tour de bras des dispositions votées par les représentants du peuple, comme à l’occasion du dernier texte relatif à l’égalité et à la citoyenneté, dont 36 articles – pas moins ! – ont été balayés par les juges du Palais-Royal ?
Cette proposition de loi peut-elle répondre un seul instant à la grande attente de nos concitoyennes et concitoyens en matière de refondation politique ?
Mes chers collègues, avez-vous conscience que nous débattons aujourd’hui au Sénat d’un texte relatif aux obligations des partis et candidats en matière de financement, alors que notre pays est, une fois de plus, une fois de trop peut-être, traversé par une polémique de grande envergure sur des malversations supposées de la part de plusieurs personnes ou organisations de premier plan, à commencer par l’un des principaux candidats à la prochaine élection présidentielle ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Aucun rapport !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si personne ne voit le rapport, il y a un problème…
Mme Éliane Assassi. Cette proposition de loi, qui, de surcroît, ne serait pas d’application immédiate si elle était adoptée en l’état – nous y reviendrons –, répond-elle un seul instant aux interrogations, à la colère du peuple ?
Je le dis franchement, mes chers collègues, discuter de cette question fondamentale des rapports entre l’argent et la politique dans ces conditions, ici, au Sénat, ne relève-t-il pas d’une provocation ou, au minimum, d’une grande maladresse, sans doute involontaire, à l’égard du peuple ? Serions-nous, seriez-vous, à ce point coupés de la réalité pour ne pas voir cela ?
Nos concitoyens veulent une transparence totale quand l’argent public est mêlé à la vie politique. Ils veulent la probité, car leur vie est dure : depuis des années, des décennies, on leur demande de se serrer la ceinture, de payer des impôts pour régler les difficultés du pays. Ils ne supportent plus de constater les détournements d’argent public ou les pratiques frauduleuses commis par ceux qu’ils ont mandatés pour gouverner, pour les représenter.
Le texte qui nous est soumis concerne principalement la transparence, la publicité et l’inscription dans les comptes des emprunts contractés par des partis ou groupements politiques, ou par des candidats, même si l’intitulé du texte initial n’évoquait pas ces derniers.
Selon le rapporteur lui-même, cette proposition de loi a pour origine un amendement du groupe socialiste déposé à l’Assemblée nationale à l’occasion de l’examen du texte dit Sapin II relatif à la lutte contre la corruption, qui, je l’ai dit, fut retoqué par le Conseil constitutionnel comme étant un cavalier législatif ; motif qui, personnellement, m’échappe quelque peu…
Cette proposition de loi vise donc, selon M. le rapporteur, les emprunts russes contractés par le Front national, dont le montant pourrait être de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Il y a donc matière à légiférer, c’est une évidence, même si l’exclusion des emprunts auprès de personnes physiques est prévue, ce qui peut paraître dommageable lorsque l’on sait que certains candidats, pour ne pas en viser un plus précisément, organisent des repas à la City à plus de 7 000 euros le couvert… Ne faudrait-il pas une certaine publicité des dons ou emprunts concernant des personnes physiques au-delà d’un certain seuil ?
La volonté de transparence des auteurs de la proposition de loi les honore. Mais pourquoi donc avoir voté il y a quelques mois la loi organique du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle – nous l’avons vivement combattue pour notre part –, qui réduit d’un an à six mois la période de comptabilisation des dépenses de campagne ? Comment peut-on raisonnablement porter l’idée d’assainir les relations entre argent et politique en poussant objectivement à la hausse des dépenses de campagne, puisque le plafond de ces dernières n’a pas été réduit proportionnellement à la réduction d’un délai d’établissement des comptes de campagne ? Cet appel d’air à dépenser davantage est en contradiction avec l’esprit qui anime la présente proposition de loi. Notre groupe, quant à lui, porte l’idée d’une réduction forte du plafond de dépenses de campagne autorisé.
Je l’ai donc dit d’emblée, ce texte m’interroge, nous interroge au sein du groupe communiste républicain et citoyen, par son imprécision.
Nous l’avons bien compris, ce texte, du fait de l’absence de dispositions organiques validant a posteriori les dispositions ordinaires adoptées, ne pourra s’appliquer à l’élection présidentielle, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel – toujours lui ! Mais, alors, pourquoi évoquer comme source d’inspiration les emprunts russes du Front national, qui ont pour but de financer la campagne présidentielle de cette année ? Pourquoi ne pas avoir déposé une proposition de loi organique simultanément ?
La mesure adoptée en commission de reporter à 2018 l’application du texte est vraiment surprenante. Pourquoi cette précipitation pour un tel résultat, en rappelant que 2018 ne sera pas particulièrement une année électorale ?
Nous entendons bien les difficultés pratiques d’application aux élections de 2017, mais il ne fallait pas présenter ce texte pour renoncer à l’appliquer immédiatement. C’est notre sentiment, car l’opinion publique y verra une nouvelle fois des intentions inavouables, alors que – j’en suis persuadée – ce n’est pas le cas. Nous proposerons donc un amendement pour rétablir le texte d’origine sur la question des délais, car nous ne pouvons cautionner un coup d’épée dans l’eau.
Au regard de cet affichage et de l’absence de démarche audacieuse et globale en matière de transparence, au regard de l’adoption récente de la réduction du délai pris en compte pour l’établissement des comptes de campagne, le groupe CRC ne peut voter en l’état cette proposition de loi ; il s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ces dernières années, nous avons eu de multiples occasions de débattre des moyens de restaurer la confiance de nos concitoyens dans leurs institutions et de la nécessité de « moraliser » la vie publique.
Depuis 1988, la France s’est dotée d’un arsenal législatif parmi les plus rigoureux au monde au regard des critères érigés par l’OCDE. Durant ce quinquennat, une énergie considérable a été mobilisée pour ériger l’impératif de transparence à un rang quasi constitutionnel, s’imposant à la vie économique comme à la vie publique. Il faut faire attention toutefois aux effets pervers : trop de transparence ne peut-elle pas nuire à la transparence ou, du moins, à une vie démocratique sereine et apaisée ? Car on n’ira jamais assez loin dans la transparence et, dans ce cas, nous ne ferons qu’accroître la défiance envers les élus de la République !
Malgré toute l’énergie déployée ces dernières années, on constate que la construction de ces nouvelles normes n’a eu qu’un effet relatif sur la perception de la corruption par nos concitoyens. Si l’on analyse les travaux de l’organisation Transparency International, souvent présentée en référence par les défenseurs de la cause, cette perception s’est faiblement améliorée entre 2015 et 2016 et a stagné entre 2016 et 2017. Il faut donc s’interroger sur les effets réels de ces textes sur nos relations avec nos concitoyens.
Jusqu’à présent, le principe de transparence joue comme une présomption d’improbité contre ceux qui y sont soumis, dont la valeur serait supérieure à celle de la présomption d’innocence. Il en va de même pour la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui : la publication de l’identité et de la nationalité des établissements bancaires consentant des prêts aux formations politiques et aux candidats sans intermédiation d’un juge apportera-t-elle une information utile à nos concitoyens ? Quelle vérité révèle-t-elle de l’intention et de la sincérité d’une formation politique ?
Au contraire, cette proposition de loi méconnaît la réalité du financement de notre vie politique.
La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ainsi que le Conseil constitutionnel ont déjà accès à un nombre considérable de documents permettant de vérifier la provenance des financements des partis politiques et des candidats. En 1995, le Conseil constitutionnel avait par exemple requalifié un emprunt contracté par le candidat Balladur dans son compte de campagne. Ces éléments font également déjà l’objet d’une publication.
En raison des différentes règles encadrant déjà les moyens de financement des partis politiques, on sait que ceux-ci sont aujourd’hui principalement financés par l’aide publique qui leur est versée a posteriori, en fonction de leur poids aux élections et au Parlement. Nous le savons, ce mécanisme a pour effet de renforcer les grandes formations.
On sait également que l’apport personnel constitue une part déterminante du financement de la candidature à une élection. En 2012, une étude publiée dans les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel estimait que les parts respectives moyennes des sources de financement des candidats à l’élection présidentielle sont de 47 % pour l’apport personnel, contre 26 % pour les dons des personnes physiques et 25 % pour la contribution des partis. Il faut en déduire que le recours à l’emprunt est devenu incontournable pour financer la participation de candidats aux campagnes électorales, a fortiori pour les petites formations politiques ou pour les formations nouvelles qui ne disposent pas du concours des aides publiques.
En outre, comme cela a été largement médiatisé, le rejet des comptes de campagne du président sortant en 2012 a créé un précédent : les banques, qui prennent désormais en compte cet aléa moral, se montrent beaucoup plus réticentes à accorder des prêts aux candidats. Les présidents de la Société Générale, de LCL, du Crédit mutuel ou encore de HSBC se sont clairement positionnés sur le sujet.
Dans ce contexte, il est à craindre que ces nouvelles exigences de transparence constituent un nouveau facteur de découragement des établissements de crédit. À terme, cette proposition de loi pourrait empêcher les petites formations politiques et les formations nouvelles de présenter des candidats aux élections, et donc s’ériger comme un obstacle à la représentativité. C’est totalement contraire à ce que nous défendons et incarnons au sein de notre groupe : nous sommes pour la prise en compte de la diversité des sensibilités politiques, car elles font la richesse de notre vie démocratique ; nous sommes contre le dualisme partisan, toujours artificiel et résultant de règles institutionnelles avantageuses pour les deux grands partis.
Mes chers collègues, la défiance des Français envers notre vie politique vient aussi beaucoup de là : la bipolarisation accrue et le dualisme partisan, qui verrouille le débat et empêche la construction de majorités d’idées… Soyons modernes ! Dépassons le vieux clivage droite-gauche, devenu totalement inopérant !
Enfin, j’ajoute qu’au-delà de nos interrogations sur la pertinence à publier de manière indiscriminée des données à valeur informationnelle variable, dans le seul but de restaurer la confiance de nos concitoyens dans nos institutions démocratiques, cette proposition de loi pose également la question de l’équilibre à établir entre le principe de transparence et celui de représentativité. Quel intérêt y aurait-il à accroître la transparence du fonctionnement de notre démocratie représentative si le principe représentatif n’était pas matériellement garanti ?
En conséquence, les membres du groupe du RDSE n’approuveront pas cette proposition de loi, qui, une nouvelle fois, sous un intitulé séduisant, recèle un réel danger de régression pour la diversité de notre vie démocratique. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par M. Anziani est une nouvelle contribution au problème lancinant du financement de la vie politique. Ce problème doit cependant être envisagé dans sa globalité et ne peut être réduit au seul sujet abordé ici. Il faut aussi évoquer la liberté d’organisation et d’action des partis politiques. Il convient en effet de trouver un équilibre entre ce principe constitutionnel de liberté et l’exigence de transparence qui émane de l’opinion publique.
Cela étant, chacun essaye d’apporter sa pierre à la construction d’un édifice fragile et imparfait, dont nous savons qu’il ne sera jamais achevé.
La proposition de loi qui nous est soumise comporte deux axes : informer le plus possible sur les emprunts que les forces politiques sont amenées à contracter pour mener leur action politique ; veiller aux transferts entre partis politiques, ce qui constitue peut-être l’idée la plus nouvelle. J’ajoute que nombre de dispositions contenues dans ce texte ont été inspirées par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Concernant le financement de la vie politique, on peut comprendre l’obligation de publier la liste des prêteurs. Je veux tout de même appeler l’attention du Gouvernement et du Sénat sur le fait qu’il est de plus en plus difficile d’emprunter pour un parti politique.
Mme Corinne Bouchoux. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Absolument !
M. Michel Mercier. Il faut dire que, pour une banque, ce n’est pas une bonne publicité d’avoir des partis politiques comme clients. Ce n’est pas avec eux qu’elle va faire ses placements.
Nous sommes donc face à un véritable problème. Si l’on veut aller plus loin et agir de façon plus visible, il faudrait peut-être organiser un service public du financement de la vie publique. La Caisse des dépôts et consignations pourrait être chargée de financer de la même façon toutes les forces politiques républicaines reconnues par la loi. Cela constituerait un progrès ! Il faut savoir que les partis politiques sont forcés de trouver des prêteurs, sinon ils disparaissent. Or ce n’est pas la publication de l’identité du prêteur qui changera les choses. Je tenais à le dire : une loi peut être très belle, mais avoir peu de conséquences dans la pratique.
Le deuxième axe de la proposition de loi est relatif aux transferts entre les partis politiques. Ce texte vise non pas à les interdire, mais à les rendre publics. Cela part d’un bon sentiment.
Dans notre pays, certains partis politiques sont unitaires ; d’autres sont des agglomérats ou des fédérations de partis. Pour ma part, j’appartiens au centre ; le jour où il n’y aura plus qu’un seul parti centriste, tous les problèmes de la France seront résolus… (Sourires.) Il nous faudra un peu de temps avant d’y parvenir… Plusieurs partis coexistent donc forcément et doivent travailler ensemble. On ne peut pas les empêcher de se réunir ; le financement est bien évidemment un point essentiel.
Cette proposition de loi est donc intéressante ; elle apporte, je l’ai dit, une pierre à la construction de notre maison commune. Si le texte suscite de nombreuses réserves, celles-ci ne sont pas suffisantes pour que le groupe UDI-UC ne le vote pas dans les circonstances actuelles où les Français demandent de plus en plus de transparence. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont il est question aujourd’hui concerne l’information sur le financement des formations politiques et intervient en pleine période électorale.
L’histoire récente a pu montrer la nécessité d’adapter notre législation en la matière, ce que nous faisons de façon récurrente depuis vingt ans. Dans ce domaine, l’arsenal législatif est important, mais il doit être confronté à la pratique.
Ce texte reprend mot pour mot des dispositions de la loi dite Sapin II qui avaient été écartées par le Conseil constitutionnel en vertu de l’article 45 de la Constitution, comme étant des cavaliers législatifs. Comme Éliane Assassi, nous estimons que le Conseil s’est montré en l’espèce quelque peu « cavalier », surtout lorsqu’on voit d’autres dispositions passer…
Bien avant cela, ces dispositions ont pour origine des propositions formulées dans un excellent rapport de notre collègue député Romain Colas, paru en juillet 2015.
L’intention de l’auteur de la proposition de loi est louable, car elle est guidée par l’amélioration de la transparence des canaux de financement de la vie publique. Je pense notamment à un parti politique qui avait visiblement bénéficié des prêts importants venant de banques d’un pays étranger.
De plus, ces mesures viennent combler un vide juridique, ce qui va dans le bon sens. Il s’agit d’imposer davantage d’obligations comptables aux partis politiques et aux candidats concernant notamment leurs emprunts bancaires, mais également d’apporter à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques des données explicitant ces relations financières et de lui donner les moyens de vérifier leur légalité.
Par le passé et via ses rapports d’activité, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques avait appelé notre attention à plusieurs reprises sur les limites de son contrôle. Aujourd’hui, les prêts sont mentionnés dans les comptes, mais les détails de ces prêts ne sont pas fournis, sauf demandes expresses et recherches, ce qui peut laisser planer un doute sur la nature réelle du prêt : certains prêts ne sont-ils pas, par exemple, des dons déguisés ?
Je viens de le dire, les emprunts étrangers d’un parti politique français ont pu nous inquiéter.
Les mesures proposées semblent globalement légitimes. Elles sont d’ailleurs soutenues par la Commission nationale des comptes de campagne, et le ministère de l’intérieur voit ce texte d’un bon œil. Nous devons cependant rester vigilants sur la question des moyens de la Commission nationale des comptes de campagne. Pourra-t-elle mener un travail approfondi ? Je signale que ses moyens sont inférieurs à ceux dont disposent des organismes analogues dans d’autres pays démocratiques.
Si nous nous accordons tous ici pour appuyer l’effort de transparence, nous savons que cette transparence, même si elle est louable, ne sera de toute façon jamais suffisante.
Comme l’a rappelé de façon très éloquente le rapporteur, l’article 4 de la Constitution prévoit que les partis et groupements politiques « se forment et exercent leur activité librement ». C’est de cette liberté que nous débattons.
Jusqu’où faut-il aller dans le degré de transparence s’agissant des relations entre les différents partis et les candidats ? Nous estimons qu’au vu du contexte actuel, de la « lessiveuse » dans laquelle nous sommes, toute autre position que celle en faveur d’une transparence maximale serait mal interprétée par nos compatriotes. Nous devons donc nous astreindre à cette transparence.
Une bonne question a été posée quant à l’application des mesures proposées. Fallait-il les appliquer pour les élections de 2017 ou les reporter à 2018 ? Nous partageons la louable intention de la présidente Éliane Assassi : il eût été préférable de les voir s’appliquer dès cette année. Mais nous sommes déjà le 1er février… Nous estimons qu’il n’est pas d’usage de changer les règles d’une élection en cours de route. Nous nous résignons donc à considérer qu’une application satisfaisante de ces dispositions en 2018 est préférable à une mauvaise application en 2017.
Enfin, pour viser – sauf erreur de ma part – l’élection du Président de la République, une loi organique serait nécessaire, en application de l’article 6 de la Constitution. Or le texte proposé est une proposition de loi ordinaire.
Mes chers collègues, reste à savoir si ce nouveau texte sera suffisant pour enrayer la crise de confiance de nos concitoyens à l’égard de nos institutions et des élus de presque toutes les familles politiques. La lecture de la presse quotidienne et les discussions des voyageurs ce matin dans le bus 38 que j’ai emprunté pour me rendre au Sénat m’en font douter… La transparence – avec toute cette transparence, nous serons bientôt tout nus ! – ne suffira pas à résorber la crise de confiance démocratique. Cependant, restaurer la confiance implique une transparence totale.
Malgré les imperfections relevées par les différents orateurs, nous nous résoudrons à voter ce texte tel qu’il nous a été présenté. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats
Articles additionnels avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 9 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du quatrième alinéa de l’article L. 52-5 et au septième alinéa de l’article L. 52-6 du code électoral, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « six ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement vise à harmoniser le délai pour la dissolution de l’association de financement ou la cessation des fonctions du mandataire financier d’une campagne électorale sur celui applicable aux décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, qui est de six mois. Cela permettra notamment aux candidats de connaître le montant exact de l’éventuelle dévolution. Il s’agit là d’une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cet amendement est bienvenu, car il tend à apporter de la souplesse au dispositif. La commission l’a accepté sans aucun état d’âme.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l’article 1er.
L’amendement n° 10 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la troisième phrase du quatrième alinéa de l’article L. 52-5 et à la deuxième phrase du dernier alinéa de l’article L. 52-6 du code électoral, après le mot : « financement », sont insérés les mots : « ou à un mandataire financier ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement vise à permettre à un candidat d’effectuer une dévolution au profit d’un mandataire financier d’un parti politique, possibilité aujourd’hui uniquement réservée au profit des associations de financement des partis politiques. Il s’agit là également d’une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cet amendement met fin à une situation d’inégalité. Je remercie M. Grand d’avoir pris cette initiative.
La commission a bien entendu émis un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. J’ai répondu trop rapidement sur le premier amendement, sur lequel je voulais m’en remettre à la sagesse du Sénat. C’est également l’avis que j’émets sur le présent amendement.
Cet amendement reprend une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Même si le Gouvernement reconnaît le bien-fondé de cette recommandation, il souhaite en rester au strict champ d’application de la présente proposition de loi. Une réforme plus globale du droit applicable aux comptes de campagne nécessite un texte spécifique.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l’article 1er.
L’amendement n° 8 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article L. 52-8 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les partis ou groupements politiques, pour lesquels un manquement comptable a été constaté conformément aux dispositions de l’article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat. »
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement vise à interdire à un parti politique sanctionné pour non-respect de ses obligations comptables de participer au financement de la campagne électorale d’un candidat. En effet, en perdant le bénéfice de certaines dispositions de la loi du 11 mars 1988, un parti politique redevient une personne morale de droit commun. II s’agit là de codifier une jurisprudence du Conseil d’État.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je serai un peu plus disert sur cet amendement.
La commission comprend l’objectif recherché par notre collègue Grand, mais le fait d’interdire à un parti politique de financer un candidat lorsque ce parti a été sanctionné pour un manquement à ses obligations comptables nous a laissés quelque peu interrogatifs.
Actuellement, parmi les personnes morales, seul un parti politique peut soutenir financièrement un candidat. Si un parti ne respecte pas ses obligations comptables, il n’est plus considéré par le juge comme un parti politique. Il ne peut donc plus financer une campagne électorale. Cette idée est reprise dans l’amendement, mais elle est formulée sous forme d’une sanction frappant le parti politique, ce qui, aux yeux de la commission des lois, semble fragiliser la disposition.
Le droit actuel relève d’un pur constat et ne procède pas d’une logique punitive, qui induit une procédure quasi juridictionnelle pour la prononcer, ouvrant également des recours contre cette décision. Ces raisons ont conduit la commission à ne pas retenir cette proposition, qui risque d’aboutir à des effets sans doute paradoxaux par rapport aux intentions qui l’animent.
Si, je le répète, la commission comprend l’objectif poursuivi, elle estime que les difficultés et la complexité qui en découleront seront plus importantes que l’avantage qui pourrait en être retiré. C’est pourquoi elle demande à notre collègue de bien vouloir retirer son amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Je l’ai dit précédemment, le Gouvernement estime que cette proposition de loi n’a pas vocation à traiter l’ensemble des sujets liés au financement de la vie politique et des règles relatives aux comptes de campagne. Une telle réforme, j’y insiste, nécessite un travail parlementaire plus approfondi et un texte spécifique.
Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte, afin que le processus législatif aboutisse avant la fin, proche, de la session parlementaire. La discussion générale a montré que cette volonté était partagée par les orateurs des différents groupes. Aussi, il me semblerait utile, monsieur le sénateur, que vous envisagiez un retrait de votre amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 8 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 8 rectifié quater est retiré.
L’amendement n° 11 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code électoral est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 52-8-1, il est inséré un article L. 52-8-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 52-8-2. – Dans le cadre de leur participation au financement de la campagne électorale d’un candidat, les partis ou groupements politiques ne peuvent :
« 1° Fournir des biens ou des services à des prix supérieurs à leurs prix d’achat effectifs ;
« 2° Consentir des prêts ou avances remboursables à un taux supérieur au taux légal en vigueur trois mois avant le scrutin. » ;
2° L’article L. 113-1 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« … – Est puni d’une amende de 3 750 euros et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement, tout parti ou groupement politique qui a, pour le compte d’un candidat, d’un binôme de candidats ou d’un candidat tête de liste, fourni des biens ou des services, ou consenti des prêts ou avances remboursables en violation de l’article L. 52-8-2. »
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Afin d’éviter que certaines formations politiques ne contournent la loi, cet amendement vise à interdire la fourniture à un candidat par un parti politique, lors d’une campagne électorale, de prestations surfacturées ou de prêts à un taux supérieur au taux légal.
Une telle disposition figure dans la proposition de loi déposée en 2015 par M. Bruno Le Roux, devenu depuis lors ministre de l’intérieur, pour une législation sur le financement des campagnes électorales et des partis politiques rénovée. Vous avez vous-même cosigné ce texte lorsque vous étiez députée, madame la secrétaire d’État…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cet amendement intéressant méritait d’être examiné de près. Après l’avoir étudié, la commission a considéré qu’il valait mieux, par prudence, en solliciter le retrait, en raison du risque d’inconstitutionnalité qu’il présente.
D’aucuns ont pu profiter de la situation pour en tirer, à bon compte, un bénéfice financier aux dépens du candidat lui-même. La Commission nationale des comptes de campagne ne rembourse désormais les dépenses des candidats qu’à hauteur des prix constatés sur le marché. Néanmoins, je le disais, cette disposition nécessiterait une rédaction plus précise pour neutraliser le risque d’inconstitutionnalité.
Cela étant, je suis intéressé par l’avis du Gouvernement sur ce point, puisque Mme la secrétaire d’État a été cosignataire d’une proposition de loi allant dans ce sens. Comment va-t-elle s’en sortir ? (Sourires.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Merci de votre sollicitude à mon endroit, monsieur le rapporteur ; je l’apprécie à sa juste valeur. (Nouveaux sourires.)
Merci aussi, monsieur Grand, d’avoir bien documenté votre argumentation. Je partage votre objectif, mais, pour les mêmes raisons que celles que j’exposais précédemment – la nécessité que ce texte soit adopté avant la fin de la session –, j’aurai la même position que la commission.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’y serai défavorable. Toutefois, pour être claire, cela n’enlève en rien mon soutien sur le fond à la disposition contenue dans cet amendement.
Je vous rappelle en outre, mesdames, messieurs les sénateurs, que le texte que j’ai cosigné ne subissait pas, disons-nous les choses clairement, les mêmes contraintes que celui-ci. Eu égard aux délais et à l’environnement politique – la session parlementaire s’achève dans quelques jours –, ce texte doit aboutir vite.
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 11 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 11 rectifié quater est retiré.
L’amendement n° 4 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au second alinéa de l’article L. 52-9 du code électoral, les mots : « de l’article précédent » sont remplacés par les mots : « des articles L. 52-8 et L. 113-1 ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement vise à compléter les mentions obligatoires devant figurer sur les documents d’appel aux dons des candidats dans le cadre de leur campagne électorale, en y ajoutant le plafond maximal de 4 600 euros, l’interdiction du financement par les personnes morales et les sanctions encourues en cas de violation de ces dispositions.
Il tend également à corriger une erreur de renvoi dans le code électoral.
Il s’agit d’un droit légitime à l’information des donateurs, permettant notamment d’éviter les dépassements accidentels du plafond.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision utile, dont je remercie l’auteur. La commission des lois a donc émis un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Le Gouvernement considère comme particulièrement utile ce complément d’information des donateurs. Il a donc également émis un avis favorable.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l’article 1er.
L’amendement n° 16 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L. 52-11-1 du code électoral, le taux : « 47,5 % » est remplacé par le taux : « 45 % ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux candidats
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement vise à diminuer le taux de remboursement du plafond des dépenses de campagne de 47,5 % à 45 %, une première baisse de 5 % ayant déjà été votée en 2011. En effet, en l’état actuel de nos finances publiques, les candidats doivent faire preuve de modération.
Il conviendra d’adopter une loi organique pour appliquer cette baisse à l’élection présidentielle.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je vous rappelle, mes chers collègues, que nous avons déjà abaissé ce plafond en 2011, le faisant ainsi passer de 50 % à 47,5 %. Faut-il aujourd’hui aller plus loin et l’abaisser à 45 % ? Cela n’a pas provoqué, au sein de la commission des lois, un enthousiasme permettant de vous donner un avis favorable, monsieur Grand.
Nous sollicitons donc le retrait de votre amendement.
Nous verrons si les excès que vous dénoncez se poursuivent, auquel cas nous pourrons peut-être, le moment venu, prendre une mesure en ce sens.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. La mesure proposée est fondée, mais le Gouvernement considère qu’elle doit être examinée dans le cadre d’une procédure parlementaire normale, et non à l’occasion d’un amendement déposé sur un texte pour lequel la procédure accélérée a été engagée. Elle nécessite une discussion approfondie et sans doute au préalable une concertation avec les différents partis politiques.
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 16 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 16 rectifié quater est retiré.
Article 1er
Le quatrième alinéa de l’article L. 52-12 du code électoral est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elle indique notamment les montants consolidés des emprunts souscrits par le candidat ou le candidat tête de liste pour financer cette campagne, répartis par catégories de prêteurs, types de prêts et pays d’établissement ou de résidence des prêteurs, ainsi que l’identité des prêteurs personnes morales. » – (Adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l’article L. 308-1 du code électoral est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Il n’est pas procédé à une telle actualisation à compter de 2018 et jusqu’à l’année au titre de laquelle le déficit public des administrations publiques est nul. Ce déficit est constaté dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 3 du Règlement (CE) n° 479/2009 du Conseil du 25 mai 2009 relatif à l’application du protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs annexé au traité instituant la Communauté européenne. »
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement tend à geler l’actualisation annuelle par décret des plafonds de dépenses pour l’élection des sénateurs jusqu’au retour à l’équilibre des comptes publics, comme cela a été fait en 2011 pour les autres élections.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cet amendement est déjà satisfait par le droit en vigueur. En effet, l’article L. 308-1 du code électoral renvoie, sous réserve de dispositions spécifiques pour les élections sénatoriales, au chapitre V bis du titre Ier du livre Ier du code électoral. Au sein de ce chapitre, le dernier alinéa de l’article L. 52-11 prévoit depuis 2011 un gel temporaire des plafonds des dépenses électorales. Ce gel s’applique donc aux élections sénatoriales.
L’adoption de cet amendement pourrait d’ailleurs conduire à un raisonnement a contrario et à exempter ainsi nos collègues sénateurs représentant les Français établis hors de France de ce gel, car l’amendement ne vise pas à reproduire cette disposition au sein l’article 48 de la loi du 22 juillet 2013, qui s’applique à leur élection. Or je n’imagine pas un seul instant que vous ayez envisagé, mon cher collègue, que les sénateurs des Français établis hors de France et les sénateurs élus en France soient traités différemment.
La commission vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Le Gouvernement vous demande également de bien vouloir retirer votre amendement, monsieur le sénateur, car il est déjà satisfait par les dispositions que M. le rapporteur a citées.
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 5 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié quater est retiré.
L’amendement n° 12 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi modifiée :
1° Après le troisième alinéa de l’article 11-4, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« Dans le cadre d’une participation au financement d’un autre parti ou groupement politique, les partis ou groupements politiques ne peuvent :
« a) fournir des biens ou des services à des prix supérieurs à leurs prix d’achat effectifs ;
« b) consentir des prêts ou avances remboursables à un taux supérieur au taux légal en vigueur à la date du versement du capital. » ;
2° L’article 11-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les mêmes peines sont applicables à un groupement ou parti politique qui a, pour le compte d’un autre parti ou groupement, fourni des biens ou des services, ou consenti des prêts ou avances remboursables en violation des dispositions de l’article 11-4. »
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Afin d’éviter que certaines formations politiques ne contournent la loi, cet amendement vise à interdire la fourniture entre partis politiques de prestations surfacturées ou de prêts à un taux supérieur au taux légal.
Il s’agit, là encore, d’une des dispositions contenues dans la proposition de loi de M. Bruno Le Roux, cosignée, je le rappelle, par vous-même, madame la secrétaire d’État.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cet amendement est de même nature que celui que nous avons examiné précédemment, concernant les candidats, mais porte sur les partis politiques. En l’espèce, le risque d’inconstitutionnalité de cet amendement est avéré. C’est pourquoi nous en demandons le retrait.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 12 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 12 rectifié quater est retiré.
L’amendement n° 2 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’avant-dernier alinéa de l’article 11-4 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est complété par les mots : « et la mention des dispositions des premier et troisième alinéas du présent article et du premier alinéa de l’article 11-5 ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement a pour objet de compléter les mentions obligatoires devant figurer sur les documents d’appel aux dons des partis politiques en y ajoutant le plafond annuel maximal de 7 500 euros, l’interdiction du financement par les personnes morales et les sanctions encourues en cas de violation de ces dispositions.
Il s’agit d’un droit légitime à l’information des personnes physiques cotisantes ou donatrices et permettant notamment d’éviter les dépassements accidentels de plafond.
Il s’agit, là aussi, d’une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Il s’agit d’une précision utile à laquelle la commission des lois est favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Le Gouvernement est favorable à cet amendement de renforcement de l’information des personnes cotisantes ou donatrices, pour les mêmes motifs que pour l’amendement n° 4 rectifié quater.
Par ailleurs, pour clore le débat sur la proposition de loi que j’ai cosignée, lorsque j’étais députée, avec force et conviction, je vous signale que ce texte a été déposé en décembre 2015. Je pense que l’on peut tous convenir, dans cet hémicycle, que les délais et les enjeux ne sont plus les mêmes en février 2017. J’espère vous avoir convaincu, monsieur le sénateur.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.
L’amendement n° 3 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia et Huré, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l’article 11-4 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est supprimé.
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Pour ma part, madame la secrétaire d’État, j’avais déposé il y a six ans à l’Assemblée nationale un texte sur le revenu universel citoyen. Là encore, le temps passe… (Sourires.) Cela dit, le coût de ma mesure ne s’élevait pas à 200 milliards d’euros, mais à seulement 33 milliards d’euros ! (Nouveaux sourires.)
Le présent amendement vise à supprimer l’actualisation annuelle par décret de certains montants relatifs aux dons aux partis politiques.
En sus du gel actuel des actualisations, cette suppression permet de rétablir une peine contraventionnelle, accidentellement abrogée en 2011, prévue en cas de violation des obligations d’information.
Il s’agit, là encore, d’une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Notre collègue a le souci des deniers publics et de l’équilibre des comptes. (Mêmes mouvements.)
On peut s’interroger sur la question de savoir si la fixation du plafond annuel de don d’une personne physique aux partis politiques doit relever du décret ou de la loi.
Jusqu’à aujourd’hui, à ma connaissance, aucune initiative réglementaire n’a été prise par le Gouvernement pour procéder à une telle actualisation. En outre, est-il utile de maintenir une telle disposition ? Selon nous, si une actualisation devait avoir lieu, il vaudrait mieux qu’elle soit fixée par le Parlement, au travers de la loi.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Je veux tout d’abord rendre hommage à l’humour et au message d’espoir de M. le sénateur Grand. Si, il y a six ans, vous défendiez déjà ces thèses, rien n’est jamais désespéré… (Sourires.)
M. Jean-Pierre Grand. Mais il s’agissait, dans mon cas, d’une dépense de 33 milliards d’euros ! (Nouveaux sourires.)
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. En ce qui concerne la disposition contenue dans votre amendement, je considère qu’elle doit être débattue préalablement avec les partis politiques. C’est pourquoi je fais appel à votre grande sagesse, que j’ai pu mesurer au travers de votre propos introductif, et je vous demande de le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.
L’amendement n° 15 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia et Huré, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la seconde phrase du premier alinéa de l’article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, après les mots : « groupement politique », sont insérés les mots : « et de ses entités locales ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement vise à inclure les entités locales des partis politiques dans leur périmètre comptable. Il s’agit également d’une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je ne sais si la Commission nationale des comptes de campagne, lorsqu’elle a émis cet avis qu’a repris M. Grand, a bien mesuré la difficulté de l’exercice : il s’agirait de recueillir tous les budgets de toutes les entités locales. Cela nous paraît extrêmement difficile, sinon impossible, à réaliser en pratique.
Il nous paraît donc plus sage que cet amendement soit retiré.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Sur de tels sujets, il faudrait préalablement tenir une concertation avec les partis politiques. On peut discuter de l’opportunité de l’évolution du périmètre soumis aux dispositions de la loi de 1988, mais la présente proposition de loi vise exclusivement la publication, par les partis et par les candidats, d’informations relatives à leurs emprunts.
Cet amendement déborde du champ, et je ne suis pas sûre que cela bénéficie à ce texte. C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 15 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 15 rectifié quater est retiré.
L’amendement n° 13 rectifié quater, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia et Huré, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, la première occurrence du mot : « et » est remplacée par les mots : « , si les ressources annuelles du parti ou du groupement dépassent 230 000 euros, ou par un commissaire aux comptes. Ces comptes sont ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre II
Dispositions relatives aux partis politiques
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement vise à limiter l’exigence d’une certification par deux commissaires aux comptes aux seuls partis dont les comptes dépassent le seuil de 230 000 euros de ressources, comme c’est aujourd’hui le cas pour les syndicats professionnels.
En deçà de ce seuil, la certification par un seul commissaire aux comptes apporterait toujours des garanties suffisantes et permettrait d’alléger la charge financière pesant de fait sur ces partis de moindre envergure.
Il s’agit de nouveau d’une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. M. Grand ayant accepté de rectifier son amendement, qui paraît raisonnable, dans le sens demandé par la commission, celle-ci a émis un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Là encore, on s’engage dans une réforme du droit applicable aux comptes de campagne. Je serais donc tentée d’émettre un avis défavorable sur votre amendement.
Certes, je reconnais que limiter les cas pour lesquels on exige une certification par deux commissaires aux comptes peut constituer une mesure de simplification, mais je mets en garde la Haute Assemblée sur le fait que, plus le champ du texte est restreint et précis, moins ses chances d’aboutir sont obérées.
Aussi, après avoir présenté ces deux aspects, je m’en remets, en bonne Normande (Sourires.), à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.
Article 2
Après la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :
« Les partis ou groupements transmettent également, dans les annexes de ces comptes, les montants et les conditions d’octroi des emprunts souscrits ou consentis par eux, ainsi que l’identité des prêteurs, les flux financiers entre partis et entre les partis et les candidats tenus d’établir un compte de campagne en application de l’article L. 52-12 du code électoral. Lors de la publication des comptes, la commission indique les montants consolidés des emprunts souscrits répartis par catégories de prêteurs, types de prêts et par pays d’établissement ou de résidence des prêteurs, ainsi que l’identité des prêteurs personnes morales, les flux financiers nets entre partis et entre les partis et les candidats. »
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Pillet et Mmes Di Folco, Deromedi et Troendlé, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première et seconde phrases
Remplacer les mots :
entre partis et entre les partis et
par le mot :
avec
La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Mme Catherine Di Folco. Les auteurs de cet amendement pressentent dans les dispositions de l’article 2 un risque d’inconstitutionnalité…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je l’évoquais lors de la discussion générale, et l’auteur de la proposition de loi, M. Anziani, que je remercie de se rallier à la position de la commission des lois, s’en est fait l’écho, il s’agit d’un problème de sécurité juridique.
Compte tenu du risque d’inconstitutionnalité que poserait l’adoption de l’article 2 en l’état, la commission des lois a émis un avis favorable sur l’amendement présenté par Mme Di Folco et cosigné par M. Pillet, Mmes Deromedi et Troendlé.
J’invite donc le Sénat à adopter cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Un parti politique peut librement consentir un don ou un prêt à un autre parti politique, sans limitation de montant. La publication de cette information relève de la transparence de la vie politique que nous entendons accroître mais n’emporte pas de conséquences juridiques.
Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat pour estimer si la publication d’une telle information est nécessaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. On nous parle d’un risque d’inconstitutionnalité, mais, je l’indiquais au cours de la discussion générale, malgré l’article 4 de la Constitution, la loi a pu interdire la participation d’entreprises, donc de personnes morales, au financement de la vie politique. Or c’était autrement important que de simplement demander que les flux entre les partis politiques, qui vivent de dons, de cotisations et de fonds publics, soient transparents. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans sa décision relative à la loi Sapin I de 1993, le rappelle.
Que certains ne souhaitent pas cette transparence, soit, mais que l’on ne se cache pas derrière la Constitution, puisqu’il y a déjà une décision du Conseil constitutionnel qui porte sur ce point.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 2
Mme la présidente. L’amendement n° 14 rectifié bis, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :
« Le commissaire aux comptes, personne physique, et, dans les sociétés de commissaires aux comptes, les personnes mentionnées au premier alinéa de l’article L. 822-9 du code de commerce, ne peuvent réaliser cette mission de certification durant plus de six exercices consécutifs. Ils peuvent à nouveau participer à une mission de contrôle légal des comptes de ces partis ou groupements politiques à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de clôture du sixième exercice qu’ils ont certifié. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Le présent amendement vise à instaurer une obligation de rotation des commissaires aux comptes des partis politiques, en limitant leur mandat à six exercices consécutifs. Une telle obligation existe déjà dans le code de commerce pour les associations faisant appel public à la générosité. Là encore, il s’agit d’une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. L’intérêt de cette disposition pour l’indépendance des commissaires aux comptes n’a pas paru évident à la commission des lois. En outre, cette mesure représenterait une contrainte supplémentaire. La commission n’a donc pas jugé opportun de soutenir la proposition de notre collègue. Par conséquent, elle l’invite à retirer son amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 14 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 14 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 6 rectifié ter, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi rédigée :
« Si la commission constate un manquement aux obligations prévues au présent article, elle peut priver, pour une durée maximale de trois ans, un parti ou groupement politique du bénéfice des dispositions des articles 8 à 10 de la présente loi et de la réduction d’impôt prévue au 3 de l’article 200 du code général des impôts pour les dons et cotisations consentis à son profit, à compter de l’année suivante. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement prévoit de permettre à la Commission nationale des comptes de campagne de moduler les sanctions des partis politiques et leur durée en cas de manquement aux obligations comptables, pour garantir une plus grande proportionnalité entre les motifs du constat et ses conséquences juridiques.
Aujourd’hui, tout non-respect des obligations comptables entraîne la perte du bénéfice de certaines dispositions, les fractions des aides publiques par exemple, et de la possibilité de délivrer des reçus de dons pour déduction fiscale ; c’est « tout ou rien ».
Il s’agit de nouveau d’une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je remercie M. Grand d’avoir accepté de rectifier son amendement, permettant ainsi de limiter la sanction à trois ans.
La commission est donc favorable à cette disposition.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Le Gouvernement n’est pas opposé par principe à une réflexion de fond sur l’évolution des pouvoirs de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, afin notamment d’adapter, comme vous l’indiquez, les sanctions à la gravité des manquements. Néanmoins, là encore, ce n’est pas au cœur de la proposition de loi.
C’est pourquoi le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.
L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing et Chaize, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pendant la durée des sanctions, les partis ou groupements politiques ne peuvent contribuer au financement d’un parti ou groupement politique pour lequel la commission a constaté un manquement aux obligations prévues au présent article. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Sans remettre en cause la liberté constitutionnelle de création et d’organisation des partis politiques, je propose, au travers de cet amendement, d’interdire à un parti politique sanctionné pour non-respect de ses obligations comptables de recevoir des contributions financières d’autres partis politiques.
Une formation politique défaillante peut créer un parti politique frère dans l’unique but de se substituer à elle l’année suivante pour l’encaissement des dons et cotisations. Ensuite, en toute légalité, ce nouveau parti peut lui reverser les fonds, rendant ainsi inopérante la sanction prononcée.
Il s’agit d’une autre recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Par parallélisme, M. Grand a déposé, pour les partis politiques, un amendement similaire à celui qui concernait les candidats, que nous avons examiné précédemment.
Nous lui avions demandé de bien vouloir retirer cet amendement, nous réitérons cette demande en ce qui concerne le présent amendement. Ce sujet me paraît suffisamment épineux pour ne pas l’intégrer dans le texte que nous examinons aujourd’hui.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Cet amendement vise à engager une réforme importante du financement des partis politiques. Je vous demande donc de bien vouloir le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 7 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié bis est retiré.
Article 3 (nouveau)
I. – L’article 1er de la présente loi s’applique aux élections se déroulant après le 1er janvier 2018.
L’article 2 s’applique aux comptes arrêtés au titre de l’année 2018 et des années suivantes.
II. – Au premier alinéa de l’article L. 388 du code électoral, les mots : « en vigueur à la date de promulgation de la loi n° 2016-508 du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections » sont remplacés par les mots : « résultant de la loi n° … du … tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats ».
III. – La loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi modifiée :
1° Après les mots : « Journal officiel de la République française », la fin de l’article 11-9 est supprimée ;
2° L’article 19 est ainsi modifié :
a) Après les mots : « Polynésie française », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « et dans les îles Wallis et Futuna, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats » ;
b) Au deuxième alinéa, les mots : « , à Wallis-et-Futuna et à Mayotte » sont remplacés par les mots : « et dans les îles Wallis et Futuna ».
IV. – Le I du présent article est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Mme la présidente. L’amendement n° 17, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 1 et 2
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. J’ai déjà défendu longuement et de manière détaillée cet amendement lors de mon intervention dans la discussion générale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cet amendement tend à remettre en cause la date du 1er janvier 2018.
Je me suis, moi aussi, expliqué à ce sujet au cours de la discussion générale et, de même que d’autres orateurs, notamment Mme Bouchoux, j’ai considéré qu’il était pertinent, compte tenu des délais, de ne pas supprimer cette date.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Je l’indiquais dans mon intervention liminaire, il existe une tradition républicaine de stabilité des règles avant les échéances électorales. Nous soutenons donc le principe d’une application différée de ce texte.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. Alain Vasselle, rapporteur. Parfait !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre
Rejet en nouvelle lecture d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste et républicain, la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (proposition n° 159, résultat des travaux de la commission n° 290, rapport n° 289).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous apprêtez à examiner une proposition de loi dont l’initiative revient à votre collègue député, le Lorrain Dominique Potier. Ce texte poursuit plusieurs objectifs que partage le Gouvernement : il est fidèle aux valeurs humanistes qui fondent notre République ; il est le reflet de l’attention que les femmes et les hommes de progrès accordent à la protection des droits fondamentaux et de notre environnement. La mondialisation est une réalité. Il ne s’agit pas de la combattre, mais de l’encadrer, afin qu’elle ne tourne pas à l’exploitation sans retenue, hors de notre territoire, des personnes et de l’environnement.
Cette proposition de loi est tout sauf un texte de circonstance, rédigé à la hâte. Le texte qui vous est présenté aujourd’hui est le fruit d’une large concertation et d’échanges nourris avec la société civile, en particulier les ONG. Son ambition est de porter à un très haut niveau le devoir de vigilance des entreprises en matière de protection des personnes et de l’environnement. C’est pourquoi, depuis son examen en première lecture, le Gouvernement soutient cette proposition de loi fidèle aux valeurs qu’il a toujours défendues et cherché à promouvoir.
L’idée de responsabiliser les très grandes entreprises en raison de leurs activités à l’étranger n’est pas une nouveauté. Elle traverse le débat public depuis le début des années 2000, au niveau tant national qu’européen et international.
À l’échelle nationale, notre gouvernement, dans le sillage des engagements pris par le Président de la République, a œuvré en ce sens par l’adoption des lois du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale et du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, plus connue sous le nom de loi Sapin II.
Ce n’est qu’un début. Nous continuons de travailler en faveur de la transparence et d’une économie plus respectueuse des valeurs fondatrices de notre société dans le cadre de la transposition de la directive européenne du 22 octobre 2014 sur la responsabilité sociale et environnementale. Permettez-moi, à ce sujet, de rappeler que le texte qui vous est présenté aujourd’hui n’a pas vocation à transposer cette directive.
Mme Élisabeth Lamure. C’est dommage !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ses objectifs sont autres, bien qu’il s’inscrive dans le même mouvement de fond.
L’esprit de la proposition de loi n’est pas inconnu. Il relève des mêmes principes que ceux qui ont guidé et continuent de guider notre action en matière de prévention de la corruption dans le monde économique.
Pourtant, mesdames, messieurs les sénateurs, il semblerait, si je saisis bien les intentions de la majorité sénatoriale, que vous allez faire le choix de ne pas débattre de ce texte, auquel, par posture, vous aviez déjà réservé un fort mauvais accueil en première lecture. L’observateur attentif ne pourra que s’en étonner.
Tout d’abord, vous avez fait vôtre la philosophie de ce texte lors de l’examen de la loi Sapin II, sans que cela heurte votre sensibilité. La proposition de loi étend cette obligation de vigilance, selon des modalités différentes, mais dans un même esprit, aux atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales dans les domaines de la santé, de la sécurité des personnes et de la protection de l’environnement. Qu’y a-t-il de condamnable dans cette entreprise ?
Ensuite, le texte soumis à votre commission des lois a évolué positivement depuis le premier examen que vous en avez fait en 2015. La nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, en lien avec le Gouvernement, a permis d’en préciser la rédaction dans l’objectif d’accroître la sécurité juridique du dispositif.
Ainsi, l’article 1er a été amendé pour fixer la liste des mesures de vigilance qui devront être appliquées par les entreprises. Cet ajout permet de guider ces dernières dans la mise en œuvre des nouvelles obligations qui leur incombent.
Ont également été précisées par l’Assemblée nationale les conditions dans lesquelles la responsabilité civile des entreprises pourra être engagée en cas de manquement à l’une de leurs obligations de vigilance.
En outre, a été ajoutée l’obligation de mettre en demeure, préalablement à la saisine du juge, la société en cause afin qu’elle se mette en conformité avec ses devoirs de vigilance.
Enfin, la proposition de loi a été complétée par un article 4, lequel, inspiré par vos travaux lors de la deuxième lecture, prévoit l’application dans le temps du dispositif pour permettre aux entreprises de remplir convenablement leurs obligations après l’entrée en vigueur de la loi.
Toutes les conditions sont réunies pour poursuivre ce travail de précision rédactionnelle afin d’améliorer l’efficacité juridique du texte et de garantir sa mise en œuvre dans les meilleures conditions.
Il aurait été possible de trouver des solutions d’équilibre pour aboutir à un compromis dont chacun aurait pu être fier. Fier de soutenir une proposition de loi qui combat les dérives de la mondialisation. N’y a-t-il pas, en effet, une forme d’hypocrisie à considérer que nos entreprises n’ont à être vertueuses qu’à l’intérieur de nos frontières nationales ou européennes ?
Or je crains de devoir bientôt constater le rejet de ce texte par la majorité sénatoriale. L’occasion vous était pourtant donnée, mesdames, messieurs de l’opposition, d’en parfaire la rédaction.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous nous avez accoutumés à ces barouds d’honneur. Je ne reviendrai pas ici sur les entraves que vous avez posées au débat démocratique à l’automne dernier, lors de l’examen des textes financiers. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Alain Gournac. C’est notre liberté !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Aujourd’hui, vos intentions, tout comme l’échec récent de la commission mixte paritaire, pourraient laisser penser que les drames sur les sites de production à l’étranger ou que la dégradation de notre environnement vous laissent insensibles. Ces préoccupations devraient nous rassembler. Par-delà les clivages partisans, elles visent l’intérêt général, à l’échelle tant nationale que planétaire.
Vous faites le choix d’occulter la mobilisation de la société civile et le travail parlementaire considérable réalisé depuis de longs mois. Le Gouvernement, les organisations non gouvernementales, syndicales et patronales ont œuvré de concert pour bâtir ce texte. Et vous ne trouvez rien de mieux que de lui opposer une fin de non-recevoir !
Vous affirmez, sans le démontrer, que ce texte portera atteinte au développement et au dynamisme de notre tissu productif. Bien sûr, il n’en est rien !
Ce gouvernement n’a pourtant cessé d’œuvrer en faveur de la compétitivité de nos entreprises. Comment imaginer aujourd’hui qu’il veuille lui nuire ? Mais, comme il n’est pas indifférent à la régulation éthique de la sphère économique, le Gouvernement souhaite que cette proposition de loi soit adoptée par le Parlement et appliquée dans les meilleurs délais.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le travail parlementaire aurait pu, aurait dû, se poursuivre. Le Gouvernement avait exprimé, lors de l’examen à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, des réserves sur certains points du texte au regard de la Constitution. Il avait, à ce titre, insisté sur la nécessité de l’ajuster, notamment en matière de proportionnalité des sanctions. Cependant, votre lecture partisane de cette proposition de loi a bloqué toute possibilité d’approfondir le travail parlementaire. Cette posture a de quoi indigner nos concitoyens, qui attachent une grande importance à la défense des droits fondamentaux et à la protection de l’environnement.
Le temps est révolu où les multinationales pouvaient poursuivre leurs activités et réaliser des profits sans se soucier des conditions dans lesquelles elles travaillaient. Les scandales les plus récents l’ont montré : les entreprises coupables de mauvais comportements voient leur image ternie par de tels événements.
L’entrée en vigueur de ce texte préviendra de tels comportements dans l’intérêt de tous et évitera que les grands groupes n’abîment leur image par négligence – une négligence d’une autre époque que nous devons combattre sans relâche pour continuer de bâtir un monde plus juste et plus responsable. Ce sont nos concitoyens eux-mêmes qui l’exigent ! C’est pourquoi, aux côtés de ses auteurs, nous pensons que cette proposition de loi est utile et fidèle aux engagements du Gouvernement en faveur de la responsabilité des entreprises. Nous serions fiers, si vous nous y aidiez, de doter la France d’une législation de référence en ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes saisis en nouvelle lecture du texte de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, et ce, pour la troisième fois… Nous avions pourtant, en deuxième lecture, fait des pas vers nos collègues députés en proposant de transposer une partie des obligations en matière de vigilance prévues par la directive de 2014 sur la publication d’informations non financières par les grandes entreprises. Nous n’avons, hélas ! pas convaincu les députés, et la commission mixte paritaire a échoué.
En nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a réécrit son texte, mais en conservant son approche punitive de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Ce n’est pas la nôtre. Et cette nouvelle version du texte ne répond que très partiellement aux objections du Sénat !
En première lecture, tout en souscrivant à l’objectif qu’elle poursuit, le Sénat avait rejeté la proposition de loi en raison des incertitudes juridiques, notamment constitutionnelles, et des risques économiques d’atteinte disproportionnée à la compétitivité des entreprises françaises et à l’attractivité de la France. Il avait considéré que le niveau pertinent pour traiter d’une telle problématique était celui de l’Union européenne.
Contrairement à ce qui s’était passé en deuxième lecture, la position des députés en nouvelle lecture a évolué, mais pas suffisamment pour répondre à nos critiques économiques et juridiques. Les problèmes de nature économique et pratique soulevés par le principe même de cette proposition de loi demeurent entiers.
Une des difficultés constitutionnelles exprimées en première lecture a bien été prise en compte par nos collègues députés, au regard du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. L’Assemblée nationale a ainsi précisé le contenu du plan, c’est-à-dire le contenu de l’obligation sanctionnée par une amende civile et un régime spécifique de responsabilité.
Le Sénat avait relevé l’incertitude entourant les normes de référence sur la base desquelles le plan de vigilance devait être élaboré, rendant incertain le contenu même de l’obligation, alors que des sanctions seraient encourues en cas de manquement à cette même obligation. Une telle incertitude soulevait une difficulté réelle au regard du principe de légalité des délits et des peines.
Outre la finalité générale du plan de vigilance, la proposition de loi précise désormais la nature de ces mesures, même si un décret en Conseil d’État peut en compléter la liste, ce qui soulève à nouveau une difficulté au regard du principe de légalité des délits et des peines.
Le texte précise désormais – utilement – que les filiales et les sociétés contrôlées dépassant les seuils sont réputées remplir leur obligation de vigilance si la société mère met en place un plan de vigilance qui les englobe. Cela ne doit cependant pas conduire à une ingérence irrégulière de la société mère dans la direction et la gestion de ses filiales et sociétés contrôlées.
Dans un souci de simplification qui doit être salué, la prévention de la corruption n’est plus abordée dans le cadre du plan de vigilance, par coordination avec l’obligation de mettre en place des mesures destinées à prévenir et à détecter la commission de faits de corruption ou de trafic d’influence, déjà instaurée, pour un périmètre plus large de sociétés, par l’article 17 de la loi Sapin II. Toutefois, si la finalité préventive de ces deux dispositifs est comparable, je déplore le manque de cohérence entre eux, notamment sur le périmètre et les outils juridiques.
En outre, certaines imprécisions subsistent à l’article 1er. Je pense, par exemple, au champ exact des sous-traitants et fournisseurs devant être pris en compte dans le plan de vigilance. Les sous-traitants et fournisseurs de la société mère sont-ils seuls visés, ou ceux des sociétés contrôlées par la société mère le sont-ils également ? Dans le second cas, on ne peut exclure un risque d’incompétence négative du législateur ou d’atteinte au principe de clarté de la loi et à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.
Autre exemple faisant encourir le même risque : la rédaction ne précise pas qui pourrait mettre en demeure une société de respecter son obligation de vigilance avant une saisine du juge.
Dernier exemple d’imprécision : le texte énonce que « le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale ». Le plan doit-il être élaboré en association avec les parties prenantes de la société ? Si oui, lesquelles ? Ou s’agit-il simplement d’une faculté laissée à l’appréciation de la société ? Je m’interroge, au demeurant, sur la normativité de cette disposition, alors que le Conseil constitutionnel vient de rappeler son attachement au caractère normatif de la loi. Je l’avais déjà indiqué en première lecture, les imprécisions et ambiguïtés de la rédaction peuvent porter atteinte au principe de clarté de la loi.
Les autres difficultés constitutionnelles, soulignées dès la première lecture, relatives au régime de l’amende civile et au régime de responsabilité persistent, voire sont aggravées par la rédaction adoptée en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale.
D’une part, s’agissant de l’amende civile encourue par la société en cas de manquement à l’obligation d’établir, de rendre public et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance, la rédaction précise désormais que le montant de l’amende civile est fixé par le juge afin de se prémunir d’un risque constitutionnel au regard du principe d’individualisation des peines. Pour autant, le montant manifestement disproportionné de l’amende encourue soulève un problème sérieux de constitutionnalité. Il constitue en lui-même une atteinte aux principes constitutionnels de proportionnalité et de nécessité des peines. Une sanction ayant le caractère d’une punition doit respecter les principes du droit pénal. En l’espèce, même si elle est prononcée par le juge civil à l’occasion d’un litige entre personnes privées sur l’élaboration ou le contenu du plan de vigilance, cette amende n’en revêt pas moins le caractère d’une punition.
D’autre part, s’agissant du régime spécifique de responsabilité prévu par le texte en cas de dommage susceptible de résulter d’un manquement à l’obligation d’établir, de rendre public et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance, la rédaction retenue par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture aggrave le risque constitutionnel. Cette rédaction dispose que, dans les conditions prévues par le code civil, le manquement à ces obligations « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice que l’exécution de ces obligations aurait permis d’éviter ».
Une telle formulation soulève une difficulté constitutionnelle plus grande en raison de sa portée incertaine et ambiguë et de la rupture potentielle qu’elle représente avec le principe de responsabilité tel que l’a consacré le Conseil constitutionnel, en dénaturant le lien de causalité entre la faute et le dommage et en pouvant faire naître un régime de responsabilité du fait de la faute d’autrui.
Si l’on pouvait prétendre que la rédaction antérieure se bornait à appliquer le droit commun de la responsabilité – à tort selon moi, car il était possible d’en faire une interprétation extensive en raison de son ambiguïté –, cette nouvelle rédaction va plus loin.
Comme je l’ai dit en deuxième lecture, le texte peut être compris, dans son ambiguïté, comme instaurant implicitement un régime de responsabilité pour la faute d’autrui, lequel serait évidemment contraire au principe constitutionnel de responsabilité.
Le texte adopté en nouvelle lecture va plus loin et heurte davantage la conception traditionnelle et constitutionnelle du principe de responsabilité en allant au-delà de la simple responsabilité pour négligence, admise par le code civil.
En outre, la mise en demeure adressée à une société de remplir ses obligations en matière de plan de vigilance, si elle peut être adressée par une association, et l’engagement de l’action en responsabilité, dans la même hypothèse, a priori pour le compte de tiers victimes d’un préjudice, semblent heurter le principe juridique traditionnel selon lequel nul ne plaide par procureur, auquel le Conseil constitutionnel a reconnu une certaine valeur, en étant très rigoureux sur les conditions permettant à une organisation d’agir en justice pour le compte d’une autre personne, exigeant notamment le consentement de celle-ci.
Enfin, l’entrée en vigueur différée de ce nouveau dispositif, introduite par le Sénat en deuxième lecture, a été approuvée dans son principe par l’Assemblée nationale, selon des modalités différentes et dans une rédaction à l’interprétation délicate. En effet, l’obligation d’établir, de publier et de mettre en œuvre un plan de vigilance, assortie des sanctions afférentes et du régime de responsabilité, s’appliquerait « à compter du rapport […] portant sur le premier exercice ouvert après la publication de la présente loi », c’est-à-dire le rapport présenté à l’assemblée générale des actionnaires en 2019, lequel portera sur l’exercice 2018, premier exercice postérieur si la loi est publiée en 2017.
Mais que signifie une application « à compter d’un rapport » ? Serait-ce à compter de la publication de ce rapport ? Le Sénat avait retenu cette formulation en deuxième lecture, car il avait modifié le texte en prévoyant une obligation de publication sur les risques et les mesures de vigilance destinées à les prévenir dans le rapport du conseil. Cette formulation n’est plus adaptée au texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Ainsi, outre les objections de nature économique et pratique, toujours pleinement valables, les dispositions essentielles de la présente proposition de loi demeurent affectées par de sérieux problèmes constitutionnels que nos collègues députés n’ont pas voulu prendre en compte. L’ambition généreuse qui anime les auteurs de cette proposition de loi ne saurait conduire le législateur à méconnaître les exigences du droit.
Si les grandes entreprises françaises doivent évidemment veiller aux conséquences sociales et environnementales de leur activité économique, les obligations qui peuvent leur être imposées doivent être raisonnables et proportionnées. Elles ne sauraient se substituer à des législations étrangères insuffisantes ou à des États défaillants pour protéger leur population.
En tout état de cause, il est peu probable qu’une telle législation, si elle était adoptée par la France, conduise à une amélioration de la situation sociale et environnementale des pays en développement, où sont installés nombre de sous-traitants de multinationales occidentales, ou fasse évoluer la législation de ces pays. En revanche, elle ne manquerait pas de perturber profondément le tissu économique français.
Puisque les députés ont voulu conserver leur approche punitive, il est vain de persister dans notre approche de conciliation en tentant d’apporter au texte des améliorations et des clarifications. En conséquence, eu égard aux graves risques constitutionnels que recèle toujours le texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, je proposerai au Sénat l’adoption d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne suis en cet instant que le porte-voix d’Évelyne Didier, retenue par les travaux d’une commission d’enquête.
Mme Éliane Assassi. En 2011, plus de 2 400 travailleurs se sont évanouis d’épuisement du fait de leurs conditions de travail et faute d’un salaire suffisant pour se nourrir correctement dans les usines de confection au Cambodge.
Pour donner un aspect usé à leurs pantalons, certaines marques ont recours à la technique – extrêmement nocive pour les ouvriers travaillant sans protection – du sablage : des centaines de travailleurs sont ainsi décédés en Turquie de la silicose, maladie respiratoire incurable ; près d’un millier d’autres pourraient être également touchés.
Ces exemples cités par le collectif Éthique sur l’étiquette, auxquels j’ajoute l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en 2013, suffisent pour justifier, si besoin était, la nécessité de légiférer.
Aujourd’hui, la complexité des chaînes d’approvisionnement et l’impossibilité de tenir les multinationales pour responsables des agissements de leurs sous-traitants permettent ces dérives.
La France aurait pu devenir un des premiers pays à combler cette faille juridique avec la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Toutefois, après deux lectures à l’Assemblée nationale et deux lectures au Sénat qui l’ont vidée de sa substance et une commission mixte paritaire infructueuse, la commission des lois du Sénat a fait le choix de déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, qui ne permettra pas une troisième lecture. C’est infiniment regrettable.
En effet, comme nous l’avions indiqué, la multiplication des crises environnementales ou sociales impliquant des acteurs liés par leur activité économique impose de penser de nouvelles modalités d’encadrement, de régulation du pouvoir au sein de chaînes de valeur toujours plus complexes. Trop souvent, les multinationales, en plus de ne pas se soumettre à l’impôt, refusent tout simplement d’assumer la responsabilité civile et pénale de leurs activités. Elles créent donc des filiales toujours plus nombreuses et opaques, ont recours à une cascade de sous-traitants et se cachent derrière l’autonomie de la personne juridique quand une catastrophe humaine ou environnementale survient.
Remonter la chaîne des sous-traitants et des fournisseurs dans les approvisionnements, « responsabiliser » les sociétés mères, à l’abri derrière leurs montages juridiques, tel était l’objet de la proposition de loi dont nous aurions dû débattre aujourd’hui. Nous regrettons profondément l’« entêtement » du Sénat et du rapporteur sur ces enjeux majeurs. Comment peut-on encore penser, en 2017, que faire valoir les droits humains et environnementaux est une atteinte à la compétitivité de la France ? Comment peut-on considérer que le business justifie tout ?
Nous comprenons d’autant moins cette position de la commission que, comme cela a déjà été souligné lors des précédentes lectures, ce texte est au service de la compétitivité des entreprises. Loin de les fragiliser, il permettra de valoriser les efforts des sociétés vertueuses appliquant déjà des procédures d’identification et de réduction des risques. Il rétablira des conditions de concurrence plus juste en sanctionnant le dumping social et environnemental.
Comme nous le soulignons souvent, les entreprises ont tout à gagner à une plus grande transparence dans un jeu concurrentiel non faussé. Il est de leur intérêt de mettre en avant leurs valeurs comme atout dans cette compétition.
Le libéralisme sans règle, c’est la jungle. Contrairement à ceux qui méconnaissent le sujet, il ne s’agit pas de gérer les entreprises, mais de leur donner un moyen compétitif supplémentaire.
De nombreuses entreprises ont fait le choix du mieux-disant social et environnemental, et ce texte est là pour les encourager. Cette démarche ne fera pas fuir les investisseurs. Au contraire, elle est de nature à les rassurer.
Enfin, cette proposition de loi constitue un pas supplémentaire dans la lutte contre les paradis fiscaux et la fraude fiscale, car elle impose plus de transparence. Toutefois, la démarche choisie par le rapporteur nous prive d’un débat constructif. C'est la raison pour laquelle, comme lors de la dernière lecture, nous laissons le soin à nos collègues députés, lors de la prochaine navette, de porter nos amendements et de faire preuve d’audace et de modernité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette nouvelle lecture de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères devrait, selon toute probabilité, faire long feu, puisque le rapporteur a déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Il est vrai qu’à l’issue des deux premières lectures les positions des uns et des autres, qui ont été clairement exprimées et arrêtées, semblent difficilement conciliables : d’une part, les députés de la majorité persistent dans une position forte visant à mettre les grandes entreprises face à leurs responsabilités sociales et environnementales ; d’autre part, la majorité sénatoriale demeure opposée à un texte qu’elle considère comme une entrave supplémentaire à la liberté des entreprises, dans une logique jugée punitive et antiéconomique.
L’instauration du « devoir de vigilance » obligera toutes les entreprises de plus de 5 000 salariés en France et de plus de 10 000 salariés dans le monde à mettre en place un reporting extrafinancier sur les activités de leurs sous-traitants et exécutants à l’étranger afin – c’est l’objectif affiché – de prévenir des accidents liés notamment aux mauvaises conditions de travail, comme celui survenu en 2013 au Rana Plaza, au Bangladesh, et qui a suscité une indignation internationale.
En cas de manquement dans la mise en œuvre de ce plan, l’article 2 de la proposition de loi prévoit un régime de sanction spécifique, avec possibilité de mise en demeure, capacité de toute personne ayant intérêt à agir à déposer un recours en justice, réparations et amende civile pouvant atteindre désormais 30 millions d’euros.
C’est donc une réforme ambitieuse, au moins sur le papier. Pour mémoire, la directive européenne de 2014 n’affiche pas le même niveau d’exigence. Un doute subsiste toutefois sur l’effectivité de cette proposition de loi. Si personne ne peut contester son bien-fondé moral, je serai pour ma part un peu plus réservé sur sa portée.
En l’état actuel, de nombreuses entreprises, soucieuses de leur image, ont depuis longtemps mis en place des politiques internes en matière de RSE. Pour celles-ci, l’instauration du plan de vigilance n’apportera pas de changement majeur, si ce n’est de standardiser des pratiques qui peuvent être diverses en fonction de chaque entreprise.
Pour ce qui concerne les autres entreprises, la proposition de loi apportera une nouveauté, qui sera plus ou moins bien accueillie en fonction des ressources humaines et matérielles qui pourront être mobilisées en interne pour se mettre en conformité avec la loi.
Rappelons qu’en France la jurisprudence Erika reconnaît la compétence des juridictions françaises à juger des faits survenus en dehors du territoire français et sanctionne la négligence de la société mère pour les agissements de ses filiales. Des catastrophes comme l’effondrement du Rana Plaza en avril 2013 ou des pratiques moins visibles, mais malheureusement plus courantes, comme le travail des enfants, la pollution de l’environnement et, plus largement, les pratiques qui bafouent les droits élémentaires des travailleurs, devraient donc en principe être déjà condamnables en justice.
Le talon d’Achille de ce texte, semble-t-il, est la territorialité du droit applicable. Car nous légiférons naturellement en droit français, pour des personnes morales légalement établies en France. Toutefois, le texte va plus loin, puisqu’il permettrait également de condamner des pratiques constatées dans des pays extérieurs à l’Union européenne. Cela revient donc à instituer l’extraterritorialité du droit français, un peu comme le font les Américains, lorsqu’ils appliquent des sanctions, parfois importantes, contre des entreprises étrangères, notamment européennes, implantées sur leur sol, mais pour des activités réalisées ailleurs dans le monde.
On le voit, la mondialisation, depuis une quarantaine d’années, a profondément bouleversé la notion de territoire. Les droits nationaux, européen et international s’entremêlent, en même temps que prolifèrent des zones de non-droit. Face à cette complexité inouïe, la présente proposition de loi paraît somme toute modeste. Si je ne peux que souscrire à l’intention originelle de nos collègues députés et du Gouvernement, je suis également conscient de ses limites.
Face à cette complexité, le rapporteur de la commission des lois a décidé de présenter sur cette proposition de loi une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Certains arguments avancés, comme le risque d’un nombre excessif de contentieux et la perte de compétitivité des entreprises françaises, peuvent être entendus dans le contexte économique actuel, au moment où nos entreprises restent confrontées à d’importantes difficultés. D’autres arguments, invoquant notamment l’inconstitutionnalité, devraient en revanche être maniés avec plus de prudence.
Quoi qu’il en soit, la position de la majorité des membres du RDSE sera conforme à celle qu’ils ont déjà exprimée lors des précédentes lectures, puisqu’ils s’abstiendront. S’agissant de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, nous nous prononcerons majoritairement contre. (Mme Corinne Bouchoux applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons pour la troisième fois la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères. Je regrette, à titre personnel, que l’Assemblée nationale n’ait pas choisi de rebondir sur la version adoptée par le Sénat en deuxième lecture. En restant figés sur leur texte, en ignorant les propositions du Sénat, nos collègues députés ont exclu d’avoir un débat démocratique et constructif.
Pourtant, en deuxième lecture, la majorité sénatoriale avait opté pour une approche plus consensuelle visant à transposer la directive européenne d’octobre 2014. Elle avait ainsi modifié le champ du texte initial, en retenant le périmètre des sociétés visées par la directive, c'est-à-dire les sociétés cotées dont le bilan est supérieur à 20 millions d’euros et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 40 millions d’euros.
Elle avait également élargi le périmètre du texte, en considérant les entreprises de plus de 500 salariés et non plus de 5 000 salariés.
Elle avait aussi prévu la publication d’un rapport annuel sur les principaux risques. Quant aux mesures de vigilance, elles devaient également être publiées et soumises à un organisme vérificateur tiers indépendant. Était également prévu le recours de toute personne intéressée devant le TGI en cas de manquement à ces obligations. Tous les éléments essentiels du texte étaient donc repris.
Certes, nous avions supprimé l’amende civile et le régime spécifique de responsabilité, jugés excessifs et portant atteinte aux principes constitutionnels de proportionnalité et de nécessité des peines.
La rédaction retenue par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture ignore ces propositions et leur visée européenne. Elle aggrave encore le risque constitutionnel. En effet, en matière de responsabilité, alors que la rédaction antérieure précisait que le non-respect des obligations concernant le plan de vigilance « engageait la responsabilité de son auteur » dans les conditions prévues par le code civil, il est désormais prévu que ce non-respect « l’oblige à réparer le préjudice que l’exécution de ces obligations aurait permis d’éviter ».
Cette formulation nouvelle soulève une difficulté constitutionnelle plus grande, en raison de sa portée incertaine et ambiguë. Elle revient à dénaturer le lien de causalité entre la faute et le dommage, en ouvrant ainsi un nouveau risque lié à la remise en cause du principe de responsabilité du fait d’autrui.
Concernant l’amende, la nouvelle version du texte prévoit que, dans le cadre d’une action en responsabilité, le montant de l’amende au titre du manquement aux obligations de vigilance passe de 10 millions à 30 millions d’euros. Sachant qu’il s’agit de réprimer les imperfections d’un plan de vigilance, une telle disposition risque de remettre en cause la nécessaire proportionnalité des peines.
Enfin, s’agissant du contenu de ce plan et des dispositions relatives à l’entrée en vigueur du texte, les principes de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi sont également mis à mal.
Pourtant, mes chers collègues, je suis persuadée que nous aurions pu trouver un accord, en partant notamment de la transcription de la directive européenne. Transposer la directive, c’était s’engager dans une approche responsable et pédagogique du rôle et de l’intérêt de l’Union européenne ; c’était promouvoir une démarche incitative reposant sur la transparence ; c’était adapter les modalités de la directive aux réalités des entreprises françaises, que nous voulons exemplaires, en évitant de les pénaliser excessivement et de créer des handicaps concurrentiels supplémentaires sur le marché international, tout en maintenant un objectif de vigilance.
Malheureusement, cette vision responsable et pragmatique n’a pas trouvé l’écho qu’elle méritait auprès de l’Assemblée nationale, qui s’est arc-boutée sur un traitement partisan du dossier, quitte à faire peser sur les entreprises françaises des contraintes supplémentaires non seulement excessives, mais aussi exclusives.
Le groupe UDI-UC adhère à l’objectif de vigilance porté par la directive européenne, mais s’oppose, vous l’avez compris, aux mesures excessives et pénalisantes, pour nos entreprises, de cette proposition de loi. Il regrette l’absence de débat et de recherche d’un consensus au sein du Parlement. En conséquence, la majorité de ses membres votera la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues – je salue également les internautes –, nous devons nous prononcer cet après-midi en peu de temps sur un sujet digne d’intérêt et très important, fort bien résumé par mes collègues.
Le groupe écologiste est contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, essentiellement parce qu’il est pour l’existence du Sénat. Dans le contexte actuel, il est important de témoigner de l’utilité des deux chambres, qui doivent travailler ensemble jusqu’au bout, malgré leurs oppositions. Ce n’est pas parce que le texte concerné soulève un certain nombre de questions que nous devons nous dérober à ce travail parlementaire. C’est la première raison pour laquelle nous ne sommes pas favorables à cette motion. Le Sénat a son utilité, le bicamérisme est important. Quel que soit le texte, qui va trop loin pour certains et pas assez pour d’autres, notre travail parlementaire a un sens.
Selon M. le rapporteur, le texte qui nous est soumis soulève des incertitudes juridiques et risque la censure du Conseil constitutionnel. Pourtant, il nous est souvent arrivé, quelle que soit notre appartenance politique, de tenir profondément à une mesure qui nous semblait importante, sans nous préoccuper vraiment de sa constitutionnalité. Certes, ce n’est pas bien – heureusement que le président de la commission des lois veille –, mais, en l’espèce, nous pensons que le risque d’inconstitutionnalité n’est pas aussi évident qu’il y paraît. Peut-être la cause défendue mérite-t-elle de prendre ce risque, quitte à procéder ensuite à la saisine du Conseil constitutionnel, afin de vérifier la pertinence d’une telle interprétation.
Le deuxième argument mis en avant pour défendre la motion soulève un problème plus grave. Avec une franchise tout à fait étonnante, plusieurs de nos collègues ont insisté sur le risque majeur que ferait courir ce texte à nos entreprises, en pénalisant leur compétitivité. Face aux images de cadavres d’enfants qu’on a pu voir après les différents accidents auxquels a mené l’affranchissement des normes – les entreprises s’installent dans des pays où les normes sont soit inappliquées, soit inexistantes –, est-il raisonnable de pousser à ce point le raisonnement de la compétitivité ?
Le groupe écologiste estime – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre collègue Joël Labbé s’est battu pied à pied pour ce texte – qu’il n’est pas possible d’invoquer la compétitivité concernant des entreprises qui sont parfois de très grands groupes internationaux, aux structures parfois extrêmement opaques, ayant tendance à déjouer, ma collègue Éliane Assassi l’a rappelé, les règles fiscales, ici et là-bas. L’argument de la compétitivité, s’il a le mérite intangible de la franchise, ne peut pas recueillir notre assentiment.
Pour cette raison, nous n’acceptons pas cette dérobade au débat, même si celui-ci est inconfortable, puisqu’il révèle un attachement à une compétitivité où l’être humain est un capital productif, qu’on peut laisser mourir en ne respectant pas des normes élémentaires de sécurité ou sanitaires. Nous ne sommes pas en accord avec une telle logique.
Pour certains d’entre nous, ce texte constitue un carcan inacceptable pour la compétitivité des entreprises. Qu’il crée des périls juridiques, c’est possible, mais nous ne le pensons pas. Nous croyons que les entreprises sont capables de tenir les contraintes fixées. Pour toutes ces raisons, il est selon nous regrettable de ne pas discuter de cette proposition de loi.
Monsieur le secrétaire d’État, ce texte est selon vous le reflet d’un équilibre raisonnable. Pour notre part, nous aurions préféré des dispositions plus ambitieuses. Quoi qu’il en soit, lorsque des vies humaines sont en jeu, nous préférons une ambition modeste à un renoncement justifié par la compétitivité.
Je le répète, nous sommes farouchement opposés à la motion. Nous regrettons vivement que le Sénat n’ait pas montré sa capacité à travailler de façon constructive, comme il l’a fait voilà moins d’une heure, sur un sujet qui n’est pas moins important, à savoir le financement des partis politiques. Alors que nous travaillons paisiblement sur des questions nous concernant au plus près, je suis consternée par notre incapacité à appréhender une réalité lointaine.
Nous sommes attristés par la tournure prise par ce débat. Nous aurions aimé, malgré ses graves imperfections, voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Marie. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous arrivons, après deux ans de bataille, au terme d’un parcours législatif engagé en 2015. Je veux avant tout remercier Dominique Potier, qui est à l’origine de cette proposition de loi, et saluer l’action des ONG et des syndicats qui plaident sans relâche, depuis plusieurs années, en faveur du devoir de vigilance, pour ne plus jamais avoir à connaître de drame semblable à celui du Rana Plaza.
Monsieur le rapporteur, je veux saluer votre opiniâtreté. Après un départ en fanfare avec une motion préjudicielle, heureusement retirée, puis la suppression de tous les articles en première lecture, vous revenez en troisième lecture avec une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, fidèle à votre stratégie d’obstruction, à laquelle nous nous opposerons.
Nous avions eu une petite lueur d’espoir en deuxième lecture, lorsque vous avez abandonné cette stratégie de blocage et réécrit l’article 1er de ce texte en transposant partiellement la directive sur le reporting extrafinancier.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. J’ai essayé de voir si les députés avaient un peu d’intelligence !
M. Didier Marie. Certes, nous étions loin du compte, mais vous reconnaissiez enfin que les grandes entreprises avaient une responsabilité plus large que celle de réaliser des profits et que leur action pouvait avoir des conséquences sur la bonne marche du monde.
Las, vous revenez en troisième lecture à vos premiers penchants, une obsession de l’entrave, qui nous interroge sur les puissants intérêts que protège votre groupe.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ah là là…
M. Didier Marie. Cette proposition de loi trouve pourtant ses origines dans des principes internationaux auxquels la France a souscrit, quelle que soit la couleur politique de nos gouvernements. Ces textes partent du constat que les chaînes de production, de plus en plus mondialisées, engendrent une extrême fragmentation des chaînes de décision, cloisonnent les responsabilités et organisent une forme d’impunité.
Permettez-moi de le rappeler pour mémoire : les principes directeurs de l’OCDE proclament que les entreprises multinationales doivent respecter les droits de l’homme et parer aux incidences négatives de leur activité ; la déclaration de principe de l’Organisation internationale du travail et le pacte mondial des Nations unies incitent les entreprises à promouvoir les droits de l’homme dans leur sphère d’influence. Les 31 principes de Ruggie, adoptés à l’unanimité par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, affirment que la responsabilité d’une entreprise dépasse les conséquences de ses activités pour embrasser celles de ses partenaires économiques, confirmant ainsi le lien entre maison mère, sous-traitants et fournisseurs.
Cette proposition de loi s’inscrit dans une logique de transparence et d’éthique engagée en France avec la loi de 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, sous le gouvernement Jospin, le Grenelle II, sur l’initiative de M. Borloo, plus récemment la loi pour la reconquête de la biodiversité, qui établit le préjudice écologique dans le code civil, et la loi Sapin II sur la transparence financière et la lutte contre l’évasion fiscale.
Ce texte, enfin, accompagne et généralise un mouvement volontariste du monde des entreprises, lesquelles, ayant compris que le respect de leur responsabilité sociale et environnementale est une composante de leur compétitivité, se dotent d’outils de prévention.
Vous nous dites que ce texte est punitif, stigmatisant pour nos entreprises et contraire à la compétitivité. C’est faux !
Tout d’abord, il vise à mettre en œuvre une obligation de moyen et non pas de résultat : il n’y a pas d’inversion de la charge de la preuve. Les entreprises concernées, qui auront établi et mis en œuvre leur plan, verront leur responsabilité dégagée en cas de dommage. Ce texte n’est aucunement punitif, il est incitatif et préventif.
Ensuite, il tend à sécuriser les entreprises en favorisant un meilleur contrôle de la chaîne de valeur, ce qui permettra d’éviter des coûts de réparation et de dédommagement en cas d’accident. Avouez qu’il est tout de même plus intelligent de consacrer des ressources à élaborer des dispositifs de prévention que de provisionner un éventuel sinistre.
Enfin, nos entreprises ont compris que la mise en œuvre de leur responsabilité sociétale est un plus en termes de compétitivité. La majorité d’entre elles s’est engagée à instaurer de bonnes pratiques, et il est regrettable que ces bons élèves soient défavorisés au regard de concurrents moins vertueux.
Chers collègues, nous ne sommes plus dans le monde de Milton Friedman, qui considérait que la responsabilité sociale de l’entreprise est de faire du profit. Les entreprises vivent et prospèrent désormais dans un environnement social dont elles tiennent compte. Avoir une bonne réputation est un argument de compétitivité. L’inverse peut coûter cher.
Vous nous dites également que ce texte n’est pas sûr juridiquement. Nous avons pris en compte vos remarques. C’est d’ailleurs tout l’intérêt du bicamérisme et de la navette : ils permettent d’améliorer les textes en confrontant les différents arguments.
Aussi, vous l’aurez remarqué, ce texte a été sensiblement amélioré au fur et à mesure des différentes lectures, grâce à un dialogue constructif entre la société civile, le Parlement et le Gouvernement. Je voudrais à cet égard remercier les ministres concernés de leur investissement personnel et de celui de leurs services, qui nous ont permis d’aboutir à cette ultime version.
Permettez-moi, pour lever toute ambiguïté, de revenir sur quelques-unes des objections que vous formulez.
Vous regrettiez le flou du champ d’application des obligations de vigilance. Il a été précisé, sur le modèle de la loi Sapin II, par une liste détaillée des mesures qui devraient nécessairement faire partie du plan de vigilance. Vous contestez le renvoi à un décret pour de plus amples précisions. C’est méconnaître l’émergence de nouveaux risques à prendre en compte. Je pense notamment aux entreprises agissant dans des zones de guerre soumises au terrorisme, qui devront adapter et compléter leurs mesures de vigilance, pour prévenir toute mise en cause similaire à celle, récente, d’un grand groupe français du BTP.
Vous pointez du doigt des incertitudes s’agissant de la définition du champ exact des fournisseurs et sous-traitants. La condition de l’existence d’une « relation commerciale établie » permet de limiter le périmètre aux « partenariats dont chacun peut raisonnablement anticiper la poursuite pour l’avenir », tels que définis par la jurisprudence.
Vous contestez les modalités d’élaboration du plan en association avec les parties prenantes, au nom du principe de clarté et d’intelligibilité de la loi. C’est méconnaître ce qu’est une démarche RSE, qui implique tous les acteurs de la société, au premier rang desquels les partenaires sociaux, démarche aujourd’hui maîtrisée et partagée par toutes les entreprises s’engageant dans cette voie.
Vous remettez en cause le principe de proportionnalité des peines et considérez que l’amende civile de 10 millions d’euros a le caractère d’une punition. C’est éluder ce qui est écrit.
L’amende encourue en cas de manquement est désormais modulée en proportion de la gravité des faits, en considération des circonstances de leur commission et en fonction de la personnalité de son auteur. Une somme de 10 millions d’euros est un montant maximum en cas de défaut de plan et en l’absence de dommage. Il est donc parfaitement cohérent qu’elle puisse être portée à un maximum de 30 millions d’euros si le risque n’a pas été pris en compte et qu’une catastrophe survient.
Enfin, vous considérez que le texte méconnaît le principe de responsabilité, puisqu’il permet d’engager la responsabilité d’une société du fait de la faute d’un tiers dont le lien de causalité n’est pas clairement démontré.
D’une part, l’article 2 a été complété, puisqu’il est précisé que peut être engagée la responsabilité civile d’une société dont le manquement à son obligation a eu pour conséquence la survenue d’un dommage, alors que sa satisfaction aurait permis de le prévenir.
D’autre part, il est désormais prévu que la procédure de sanction ne pourra être engagée qu’à l’égard d’une société préalablement mise en demeure et n’ayant pas respecté ses obligations.
Cette responsabilité pourra être recherchée par toute personne ayant un intérêt à agir, comme il est d’usage en droit des sociétés.
Votre dernière objection à ce texte, c’est qu’il est de portée nationale, ce qui exposerait nos entreprises à une distorsion de concurrence.
Outre ce que j’ai dit précédemment sur l’intérêt pour leur réputation qu’elles peuvent tirer d’une démarche exemplaire, l’histoire montre que toutes les avancées sociales et sociétales se sont faites par la volonté politique, par la loi qui affranchit. La France, souvent en pointe en la matière, a ouvert la voie à une généralisation des bonnes pratiques. Je le rappelais en première lecture, ce fut le cas avec l’abolition de l’esclavage, avec la protection des ouvriers face aux accidents du travail, avec l’introduction de l’obligation d’une comptabilité transparente. Il en fut de même, plus récemment, avec le reporting non financier, initié par la loi NRE, qui a abouti à une directive.
Chaque fois, au nom de la compétitivité, une partie plus ou moins importante du patronat, relayée par une partie des conservateurs, s’est opposée à ces évolutions. Chaque fois, ces mesures se sont traduites non seulement par un plus grand respect des droits humains et une amélioration des conditions de travail des salariés, mais aussi par une amélioration des performances des sociétés.
Nous ne partageons pas l’idée selon laquelle les droits des ouvriers, fussent-ils au bout du monde, entraveraient la prospérité des entreprises. Nous n’acceptons pas que des enfants travaillent, que des êtres humains soient exploités, sans protection sociale ni salaire correct.
Ne pas vouloir imposer ce devoir de vigilance, c’est pénaliser les entreprises vertueuses ; c’est peser à la baisse sur nos standards nationaux en matière de protection sociale, de droits des salariés, de protection de l’environnement, de lutte contre la corruption ; c’est inciter aux délocalisations. C’est finalement donner une prime aux mauvaises pratiques et considérer qu’elles seraient une condition de la compétitivité, ce qui n’est ni vrai ni acceptable. L’éthique est non pas un supplément d’âme, mais la raison même de l’action économique, qui fournit des biens et services dans une société qui les souhaite mais veut qu’ils soient produits en respectant les droits de l’homme et en protégeant notre planète pour les générations futures.
Ce texte n’est pas un texte politique ou idéologique, contrairement à ce que vous dites. C’est un texte humaniste, au sens universel. Il aurait dû nous rassembler, mais vous avez fait le choix de l’entraver.
Oui, la France est en pointe ! Oui, nous œuvrons pour que cette loi soit suivie d’une directive européenne ! Oui, ce texte honore notre pays et rappelle notre histoire ! Oui, mes chers collègues, ce texte rappelle que nous sommes le pays de la Déclaration universelle des droits de l’homme et que nous nous inscrivons pleinement dans cette filiation !
Vous l’aurez compris, nous ne voterons pas la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes propos ne seront guère différents de ceux que j’ai déjà tenus à plusieurs reprises sur ce texte. J’indiquais notamment combien il était malaisé d’analyser les initiatives ayant l’apparence de la supériorité morale. Les meilleures volontés, nous le savons bien, peuvent être à l’origine d’un véritable cauchemar, surtout lorsqu’elles se manifestent dans un domaine saturé d’émotion. Or l’émotion était vive lors du drame du Rana Plaza !
Aussi noble que soit ce texte, il n’aurait pas empêché un tel drame : une réponse franco-française est totalement inadaptée, surtout quand les choses évoluent continuellement aux plans européen et international. C’est pourquoi une réponse européenne et internationale est nécessaire. C’est le cas avec les principes directeurs de l’OCDE, relayés par les points de contact nationaux, les PCN, qui aident les entreprises et leurs parties prenantes à adopter une conduite responsable dans la chaîne d’approvisionnement. Le drame du Rana Plaza avait d’ailleurs donné lieu à la saisine du PCN français. Celui-ci avait rendu son rapport dès décembre 2013. Il comprenait des recommandations et des propositions pour faire évoluer les pratiques des entreprises françaises, sur la base d’un dialogue et d’un consensus entre les différentes parties : syndicat, administration, entreprise.
Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi la France ne transpose-t-elle pas la directive européenne du 22 octobre 2014 relative à la publication d’informations extrafinancières ? Celle-ci prévoit la promotion de plans de vigilance fondés sur le principe « appliquer ou expliquer » : les sociétés ne mettant pas en œuvre de politique dans un ou plusieurs des domaines visés – informations environnementales, sociales, de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption – devront s’en justifier publiquement. C’est là un mécanisme à la fois responsable et incitatif.
En anticipant sur la publication de cette directive et en élargissant le champ d’application des dispositifs prévus, les auteurs de ce texte infligent aux entreprises françaises des obligations qui n’existent nulle part ailleurs en Europe, plaçant ainsi celles-ci dans une position non concurrentielle.
Une réponse franco-française à la question posée n’est pas adaptée. C’est bien là l’erreur majeure du présent texte !
Je rappelle d’ailleurs que les entreprises françaises ont d’excellents résultats en matière de RSE, ou responsabilité sociétale des entreprises. Une étude du mois de mars 2015, menée par EcoVadis et la médiation interentreprises, montre que la France fait figure de leader mondial en la matière : « 47 % des entreprises françaises ont un système de management de la RSE considéré comme performant et exemplaire » ; cette proportion est de 40 % en moyenne dans l’OCDE et de 15 % seulement dans le groupe des BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.
Le dispositif proposé aurait un effet pervers sur les entreprises françaises, tant pour les multinationales que pour les PME. Il entraînerait pour elles un désavantage compétitif supplémentaire, et ferait courir le risque, à terme, d’une suppression d’emplois en France. La situation de l’emploi est-elle si florissante ? Les entreprises françaises sont-elles en si bonne santé ?
Le cabinet ATEXO, que la délégation aux entreprises a chargé d’une étude sur la portée économique de cette proposition de loi, a estimé que cette dernière concernerait entre 146 et 243 entreprises, auxquelles il faudrait ajouter leurs filiales, directes ou indirectes. Le chiffre peut paraître faible, mais ces 243 entreprises représentent en réalité plus de 4 millions de salariés, plus de 33 % de la valeur ajoutée produite en France et plus de 50 % du chiffre d’affaires à l’export ! Il est donc aisé de comprendre que la proposition de loi aurait un effet sur de très larges pans de l’économie française.
En outre, sur le plan pratique, les entreprises seraient confrontées à l’impossibilité de mettre en œuvre cette obligation de vigilance sur toute leur chaîne de sous-traitants et de fournisseurs. Telle est la réalité, en particulier, pour les TPE et PME françaises. Ces entreprises seraient contraintes de demander des garanties et des plans de vigilance en cascade, créant un poids administratif et financier supplémentaire. Serait ainsi soulevée une chaîne de responsabilités complexes ouvrant la perspective de nombreux contentieux – l’apparition d’un dommage dans la chaîne de sous-traitance serait en effet la preuve de l’insuffisance de l’entreprise, qui n’aurait pas été en mesure de le prévenir.
Or les entreprises françaises ne cessent d’attirer notre attention sur le poids du fardeau administratif, qu’elles nous demandent avec insistance d’alléger.
Par ailleurs, les fragilités juridiques du texte sont nombreuses. Nous les avons soulignées au fil des débats. Nous avons également mis en exergue les principes constitutionnels que cette proposition de loi heurtait.
Quoi qu’il en soit, le groupe Les Républicains du Sénat ne peut soutenir un texte qui promeut une vision idéologique de l’entreprise. Évitons la caricature d’un chef d’entreprise irresponsable et irrespectueux du droit de la protection des salariés et de l’environnement !
Nous partageons tous le constat du manque de compétitivité des entreprises françaises ; ne leur mettons pas au pied, avec un tel texte, des boulets supplémentaires ! Ce qu’elles nous demandent, comme nous le constatons à longueur de visites de la délégation aux entreprises, c’est de les laisser travailler en toute responsabilité.
De grâce, écoutons-les ! Ce sont elles qui, dans nos territoires, créent la richesse et l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. Didier Guillaume. Madame la présidente, mes chers collègues, tous les groupes de cette assemblée ont conclu un gentlemen’s agreement en vertu duquel, lorsqu’une proposition de loi est déposée, aucune motion de procédure – question préalable, exception d’irrecevabilité ou autre – ne vient entraver le débat démocratique. À défaut d’un tel accord, l’opposition ne pourrait jamais déposer une seule proposition de loi !
Mme Éliane Assassi. Bien entendu !
M. Didier Guillaume. Hier, nous avons examiné la proposition de loi de MM. Retailleau et Buffet tendant à renforcer l’efficacité de la justice pénale. Le groupe socialiste et républicain avait déposé une motion tendant à opposer la question préalable ; après en avoir discuté avec le président du Sénat, et à sa demande ainsi qu’à celle du président Retailleau, notre groupe a défendu, mais ensuite retiré cette motion, afin de laisser le débat avoir lieu.
Aussi, je m’étonne qu’une motion de cette nature ait été déposée sur le texte que nous examinons cet après-midi, au mépris de nos usages constants, des méthodes que nous avons souhaité adopter afin de travailler en toute sérénité, au mépris, aussi, du respect de la minorité et de l’opposition. Les textes doivent pouvoir être discutés !
Je prends acte du dépôt de cette motion ; je souhaite néanmoins que le président du Sénat puisse intervenir, à l’occasion d’une prochaine séance, afin que nous tirions les choses au clair une fois pour toutes.
Certes, l’usage auquel je fais référence ne figure pas dans le règlement du Sénat ; mais nous l’avions évoqué, voilà plusieurs mois, lors de la discussion, quelque peu tendue, d’une motion. Si des motions tendant à opposer la question préalable ou l’exception d’irrecevabilité sont systématiquement déposées sur les propositions de loi présentées, le droit des parlementaires de proposer, de légiférer et le droit des groupes politiques de s’exprimer sont battus en brèche.
Mme Éliane Assassi. Absolument !
M. Didier Guillaume. Cela me semble assez grave !
Nous comprenons votre position sur le présent texte, chers collègues de la majorité sénatoriale ; en revanche, au nom de notre groupe et peut-être aussi d’autres groupes, …
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Didier Guillaume. … nous demandons qu’une explication soit donnée par le président du Sénat. Si tel n’était pas le cas, chacun prendrait ses responsabilités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme la présidente. Mon cher collègue, acte vous est donné de ce rappel au règlement, que je transmettrai, bien entendu, au président du Sénat.
La parole est à Mme la vice-présidente de la commission des lois.
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur Guillaume, je voudrais préciser la teneur du gentlemen’s agreement que vous évoquez : il s’applique aux propositions de loi d’initiative sénatoriale, et seulement en première lecture !
Si l’on se réfère à ce dont il a été pris acte en conférence des présidents, rien n’interdit, aujourd’hui, sur le présent texte, le dépôt d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Cette proposition de loi n’est pas d’initiative sénatoriale.
M. Didier Guillaume. Pas de motion au cours des espaces réservés : c’est ce dont nous étions convenus !
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Votre rappel au règlement, monsieur Guillaume, est inutile : il n’entre absolument pas dans le cadre du règlement !
M. Didier Guillaume. Il s’agit non pas du règlement, mais d’un gentlemen’s agreement concernant les espaces réservés aux groupes politiques !
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Le gentlemen’s agreement ne s’applique qu’en première lecture aux propositions de loi d’initiative sénatoriale. La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui émane de l’Assemblée nationale !
Je souhaite qu’il soit inscrit au compte rendu que ce rappel au règlement, monsieur Guillaume, est injustifié !
M. Didier Guillaume. Madame Troendlé, ce que vous dites est erroné ! L’accord portait sur les espaces réservés !
Mme la présidente. Mes chers collègues, le président du Sénat sera informé de ce débat.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Frassa, au nom de la commission, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 159, 2016-2017).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, contre la motion.
M. Didier Marie. S’agissant de la constitutionnalité de la proposition de loi que nous examinons, tout me semble avoir été dit. Le texte qui nous arrive de l’Assemblée nationale, que nous avons inscrit dans notre espace réservé et qui aurait dû être discuté dans le respect des traditions de la Haute Assemblée, répond à l’ensemble des demandes formulées par M. le rapporteur.
Je reprends un argument déjà évoqué : si vous considérez, monsieur le rapporteur, que ce texte n’est pas conforme à la Constitution, rien ne vous empêche, à l’issue de son adoption, en lecture définitive, par l’Assemblée nationale, de saisir le Conseil constitutionnel,…
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. N’ayez crainte !
M. Didier Marie. … qui, dans sa grande sagesse, statuera. Nous ne comprenons pas que vous ne vous saisissiez pas plutôt de cette possibilité.
De notre point de vue, toutes les garanties ont été apportées. Je les ai rappelées une à une en intervenant dans la discussion générale. Ces précisions ont été préparées et discutées avec le Gouvernement, qui a donc pleinement participé à l’introduction dans le texte des éléments complémentaires dont vous souhaitiez la mention, chers collègues de la majorité sénatoriale.
Votre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité n’est qu’un paravent de procédure visant à masquer une posture idéologique que nous dénonçons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous l’avez compris : le Gouvernement est défavorable à cette motion.
Quelle que soit la légitimité des interrogations soulevées sur quelques points juridiques – nous avons nous-mêmes formulé un certain nombre d’observations lors des travaux parlementaires –, nous estimons que la cause et les objectifs poursuivis méritent qu’un tel texte soit discuté. Le signe qui serait ainsi adressé, en direction tant des ONG que des entreprises, en France, mais aussi à l’échelon européen, voire mondial, est essentiel.
Le Gouvernement aurait donc souhaité que ce texte puisse être examiné, voire amélioré par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour explication de vote.
Mme Jacky Deromedi. Dès la première lecture de la présente proposition de loi au Sénat, le groupe Les Républicains avait émis de sérieux doutes sur la constitutionnalité de ce texte. Les débats qui se sont déroulés, tant à l’Assemblée nationale que dans cette enceinte même, ne font que nous conforter dans la certitude de l’inconstitutionnalité de celui-ci.
Cette proposition de loi est bien contraire à la Constitution, pour quatre motifs essentiels.
Elle méconnaît d’abord les principes d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Aucune entreprise n’a les moyens de savoir ni ce que doit comporter le plan de vigilance ni quelles sont les mesures de « vigilance raisonnable » qui doivent être mises en œuvre.
Le renvoi à un décret ne règle pas cette question ; il constitue au contraire, et manifestement, un cas d’incompétence négative du législateur. Le Conseil constitutionnel a récemment censuré, pour ce motif, une disposition renvoyant à un décret.
L’article 34 de la Constitution dispose que la loi détermine les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales. Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale tombe sous le coup du grief d’incompétence né de l’article 34 de la Constitution.
En outre, la proposition de loi viole les exigences constitutionnelles applicables en matière de sanctions : le Conseil constitutionnel a rappelé à plusieurs reprises que le principe de légalité des délits et des peines s’applique aux amendes civiles lorsqu’elles ont la nature de sanctions ayant le caractère d’une punition. Il a décidé que les principes découlant des articles VIII et IX de la Déclaration de 1789 sont applicables à ces amendes.
L’amende civile prévue par le texte de l’Assemblée nationale, laquelle peut aller jusqu’à 10 millions d’euros, constitue une sanction ; elle doit donc respecter le principe de légalité pénale. Une telle obligation implique un impératif de précision, que le texte ne respecte pas, ni en matière de définition du champ d’application ni en matière de qualification juridique de l’infraction et du référentiel applicable.
De la même façon, le texte ignore le principe constitutionnel d’égalité. En effet, seules les entreprises dont le siège est domicilié en France seront affectées par ce texte. Celles de leurs concurrentes dont les sièges sociaux sont établis hors de France pourront continuer à vendre sur le territoire français des produits ne répondant pas aux mêmes exigences.
Enfin, la proposition de loi se heurte à la garantie des droits. Lorsqu’un dommage surviendra du fait d’une filiale ou d’un sous-traitant, les sociétés mères seront considérées comme coupables de ne pas avoir conçu ou mis en œuvre un plan de vigilance suffisant. Mais elles ne disposeront d’aucune possibilité de dégager leur responsabilité en démontrant leur absence d’implication ou de faute.
Je ne développerai pas davantage mon propos ; mon collègue Christophe-André Frassa l’a très bien fait.
Vous l’aurez compris : le groupe Les Républicains votera pour la motion. (M. le rapporteur applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Mon groupe votera bien entendu contre cette motion.
Les arguments que vous avez donnés, madame la vice-présidente de la commission des lois, ne nous paraissent absolument pas pertinents. Il s’agit d’une proposition de loi d’initiative parlementaire inscrite à l’ordre du jour d’un espace réservé. Que le texte vienne de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ce temps est réservé ! Si nous nous mettons à déposer des motions de procédure – il en est de trois types – dans le cadre de ces créneaux réservés, autant dire que les groupes minoritaires et d’opposition se verront systématiquement barrer la route lorsqu’ils proposeront l’examen d’un texte, quel qu’il soit.
Quoi qu’il en soit de la lettre, madame la vice-présidente de la commission, cette pratique nous semble tout à fait contraire à l’esprit de notre règlement et inacceptable, au nom des relations démocratiques, justes et respectueuses entre les groupes politiques du Sénat, d’autant plus que, comme l’a fait remarquer Didier Guillaume, nous avons nous-mêmes retiré, hier, notre motion tendant à opposer la question préalable, afin de respecter, précisément, ces règles de bonne conduite entre nous. J’y insiste avec beaucoup de force !
Pour ce qui est du texte lui-même, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion de le dire : il est essentiel ! Il a pour objet la responsabilité des entreprises à l’égard de nombreux êtres humains vivant dans la misère. Nous ne pouvons, de ce point de vue, oublier ce qui s’est passé au Bangladesh ni occulter, de manière plus générale, la réalité de l’exploitation.
Lorsque Victor Schœlcher, qui siégeait dans cet hémicycle, présenta un décret pour abolir l’esclavage, on lui répondit qu’un tel décret pénaliserait les entreprises françaises. Naturellement, dès lors qu’il restait possible partout, sauf en France, de recourir à l’esclavage, un problème de compétitivité économique se posait.
Notre position est une position éthique, de justice ; nous considérons que la France, sur un tel sujet, doit montrer la voie, ouvrir un chemin. C’est pourquoi nous sommes très attachés à ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission des lois.
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Madame la présidente, mes chers collègues, je me permets de vous lire le compte rendu de la réunion de la conférence des présidents du mois de mars 2016. Monsieur Guillaume, vous y avez siégé !
« Pour les propositions de loi sénatoriales inscrites en première lecture dans les espaces réservés et sauf accord du groupe auteur de la demande d’inscription :
« La commission ne peut modifier le texte de la proposition de loi (et, à défaut, elle ne peut que le rejeter pour permettre son examen article par article en séance publique).
« La commission et les sénateurs s’abstiennent de déposer :
« l’exception d’irrecevabilité même si, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, doit être préservée la possibilité effective, pour les parlementaires, de contester la conformité à la Constitution des dispositions d’un texte ;
« la question préalable ;
« la motion de renvoi en commission ou la motion préjudicielle, qui ont pour effet de suspendre la navette et pourraient être considérées comme contradictoires avec le droit des groupes à voir discuter en séance les sujets qu’ils proposent dans leur espace réservé.
« Pour permettre le débat en séance publique, le texte est examiné article par article.
« Pour tous les autres textes inscrits dans les espaces réservés :
« Commissions et sénateurs peuvent exercer la plénitude de leur droit d’amendement.
« Exception d’irrecevabilité et question préalable sont recevables à chaque stade de la procédure. Elles peuvent être discutées après la discussion générale si le groupe auteur de la demande d’inscription le souhaite.
« La commission et les sénateurs s’abstiennent, sauf accord du groupe auteur de la demande d’inscription, de déposer la motion de renvoi en commission ou la motion préjudicielle, qui ont pour effet de suspendre la navette et pourraient être considérées comme contradictoires avec le droit des groupes à voir discuter en séance les sujets qu’ils proposent dans leur espace réservé. »
Voici le compte rendu, mot pour mot, de la réunion de la conférence des présidents. Monsieur Guillaume, je vous rappelle que vous y étiez !
M. Didier Guillaume. Empêcher l’opposition de débattre, cela s’appelle du sectarisme !
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. C’est ce qui est écrit !
Mme la présidente. Restons-en là pour l’instant, mes chers collègues. Nous reviendrons ultérieurement sur le sujet.
Dans la suite des explications de vote sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, la parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Le RDSE, qui est un très grand groupe, est particulièrement attaché au maintien des espaces réservés, au respect du droit pour les parlementaires de présenter des propositions de loi, et au « gentlemen-and-women’s agreement », que j’évoque dans un anglais parfait ! (Rires.)
N’oublions pas que la France fut, historiquement, l’un des premiers pays industriels au monde, avec l’Angleterre et quelques autres, ce qui nous confère une responsabilité particulière. Nous aurions très bien pu examiner ce texte, en débattre, et trancher par un vote. La Haute Assemblée a suffisamment de hauteur de vues pour cela !
En tout cas, le RDSE est très largement favorable à la présente proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Je n’entrerai pas dans le débat sur le gentlemen’s agreement. Je souhaite simplement dire de nouveau que le présent texte, s’il n’est pas sans lacune ni sans imperfection, va néanmoins dans le bon sens. Si nous avions pu en discuter posément, nous l’aurions soutenu.
Mes chers collègues, je sais que cette remarque va faire sourire certains d’entre vous et en agacer d’autres, mais nous ne sommes plus entre nous : des centaines, voire des milliers d’internautes – la direction de la communication du Sénat saurait nous le dire – suivent nos débats en direct sur le site de notre assemblée. À l’avenir, il serait donc préférable que nous discutions de tous les textes présentés.
Vous nous prêtez des positions caricaturales sur l’entreprise ? Nous vous reprochons de manquer d’ambition sur les droits humains ? Soit ! La présente proposition de loi est un texte politique ; évidemment, son examen ne va pas sans postures ! Évidemment, il existe entre nous des désaccords très profonds. Nous l’assumons totalement !
Mais nous avons été élus pour cela, mes chers collègues : pour écrire des lois servant l’intérêt général, pour tenter de définir entre nous une ligne de conduite commune.
Je visitais récemment un établissement scolaire, et je retourne demain dans un lycée – j’en profite pour saluer les élèves du lycée Renoir d’Angers. Les enseignants organisent régulièrement des débats sur l’élaboration de la loi, sur le rôle du Sénat, sur l’utilité des parlementaires. Au regard des événements qui saturent les chaînes d’actualité depuis une semaine – je le dis très posément, sans donner de leçons à quiconque –, pouvons-nous vraiment nous payer le luxe de conclure, s’agissant d’un texte aussi important : « Circulez, il n’y a rien à voir, un risque d’inconstitutionnalité se pose, et, de toute façon, ce n’est pas ″top″ pour la santé des entreprises » ?
Nous n’en sommes plus là ! Et je regrette sincèrement, mes chers collègues, d’avoir échoué à vous convaincre que nous aurions dû, au moins, en discuter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d'irrecevabilité et dont l’adoption entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 93 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre est rejetée.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis défavorable - 10 voix pour, 16 voix contre, 2 bulletins blancs - à la nomination de M. Philippe Martin aux fonctions de président du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité.
6
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables est parvenue à un texte commun.
7
Transport sanitaire héliporté
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du RDSE, de la proposition de loi visant à mettre en place une stratégie nationale d’utilisation du transport sanitaire héliporté (proposition n° 233, texte de la commission n° 324, rapport n° 323).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi.
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce dont nous allons parler est très simple, mais très important. La présente proposition de loi vise en effet à ce que la stratégie nationale d’utilisation du transport sanitaire héliporté n’oublie aucun territoire. On pense d’emblée, bien sûr, aux territoires ruraux ou aux territoires de montagne. Mais ce texte concerne aussi la ville.
Interrogé sur le sujet en 2012, l’éminent géographe Emmanuel Vigneron estimait que plus de 6 millions de Français de métropole n’avaient pas d’accès rapide – c’est-à-dire dans un laps de temps inférieur à trente minutes – aux urgences. Il n’incluait pas, donc, les habitants des outre-mer.
Tous les départements de France sont concernés, pour au moins une partie de leur territoire. Parmi les plus touchés, pour n’en citer que quelques-uns, dont les noms nous replongeront, dans ces temps mouvementés, dans la politique des territoires : les Ardennes, la Moselle, le Doubs, la Haute-Savoie, la Savoie, les Alpes-Maritimes, les deux départements de la Corse, les Landes, la Loire-Atlantique, les Pyrénées-Orientales, la Lozère et même, tout près de Paris, l’Oise et la Seine-Maritime.
Nous avions adopté à l’occasion de l’examen du projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, dite loi Montagne, un dispositif qui prévoyait l’élaboration par l’État, sous l’égide des agences régionales de santé, les ARS, d’un contrat de mission santé qui s’imposait à l’ensemble des prestataires et des intervenants du transport sanitaire héliporté, et dont la finalité était double.
Il devait, premièrement, garantir la prise en charge médicale adaptée en trente minutes sur toute partie du territoire français par transport sanitaire héliporté, quand il était indispensable de le faire et si jamais les autres moyens ne suffisaient pas.
Il devait, deuxièmement, optimiser l’utilisation des moyens médicaux, aussi bien ceux qui sont destinés à effectuer la mission que ceux de l’hôpital.
Tout cela était de bon sens. Hélas, la commission mixte paritaire n’a pas retenu l’article 8 quaterdecies de la loi Montagne qui contenait ces dispositions.
C’est ce qui a poussé l’ensemble du groupe du RDSE à déposer la proposition de la loi soumise aujourd'hui à notre examen. Nous pensons qu’il y a un véritable problème et que nous défendons une cause juste.
Pour faire ce constat, nous nous appuyons sur plusieurs travaux, en premier lieu sur le rapport d’information de Pierre-Yves Collombat et Catherine Troendlé sur l’évolution de l’activité des services départementaux d’incendie et de secours en matière de secours à personne, datant du mois d’octobre 2016.
Selon ces collègues, « la politique d’emploi des hélicoptères n’est ni claire ni logique. Les moyens héliportés soulèvent un double problème : celui de leur implantation et celui de leur utilisation », deux enjeux essentiels, en effet. Au cœur de leur constatation : les relations entre la flotte des Héli-SMUR et celle de la sécurité civile.
Je rappelle les chiffres ; ils sont importants. Il y a actuellement une flotte de 45 Héli-SMUR – des hélicoptères blancs –, contre 35 hélicoptères de la sécurité civile – les hélicoptères rouges – et 56 de la gendarmerie nationale – les hélicoptères bleus. Les moyens sont donc considérables, puisqu’il y a au total 136 hélicoptères, dont 80 n’appartiennent pas à la gendarmerie, ce qui n’est pas rien.
Pierre-Yves Collombat et Catherine Troendlé remarquaient dans leur rapport qu’« une part de l’activité du groupement des hélicoptères de la sécurité civile relève de la décision des seuls SAMU, sans aucun droit de regard sur le bien-fondé de leur demande. » Ils réclamaient donc l’établissement d’une doctrine d’emploi claire et rationnelle des moyens héliportés pour le secours à personne, et proposaient une mutualisation des hélicoptères de la sécurité civile et de ceux de la santé dans un service unifié placé sous l’autorité du Premier ministre.
Je n’oublie pas non plus le rapport du Conseil national de l’urgence hospitalière qui a dressé une liste de recommandations visant à obtenir un maillage territorial uniforme. Les auteurs de ce document demandaient une véritable stratégie nationale prévoyant une organisation, un schéma et un type de fonctionnement adapté dans chaque région, et qui serait partagée par l’ensemble des acteurs du transport sanitaire héliporté. Tout cela est de bon sens.
Fort de l’appui de ces deux rapports pertinents, précieux et circonstanciés, je démontrerai que notre demande de réforme de la gestion des moyens héliportés est fondée et juste.
Afin de parler clairement et utilement, je dois dire avant toutes choses, au vu de l’avis de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, Gilbert Barbier,…
M. Jean-Claude Requier. Excellent rapporteur !
M. Alain Bertrand. … un élu local chevronné, un élu de la montagne, mais aussi médecin et chirurgien, que je me rallie à l’amendement de ce dernier adopté en commission, lequel visait à une nouvelle rédaction de l’article unique du présent texte pour rendre possible et plus efficace la gestion mutualisée des hélicoptères.
Notre demande de mettre en place une nouvelle stratégie nationale d’utilisation du transport sanitaire héliporté est-elle donc fondée ? Cela revient à poser cette question : devons-nous adopter cette proposition de loi ? La réponse est oui, à plusieurs titres.
Il n’y a d’abord aucune raison de maltraiter une partie de notre territoire. Je le répète, tous les territoires, 6 millions de nos concitoyens sont concernés.
Chacun sait, en outre, que selon l’environnement ou le contexte géographique et démographique, le gros problème médical français vient de la disparité de la qualité de la prise en charge, notamment pour ce qui est de la médecine spécialisée : les accidents vasculaires cérébraux, les AVC, l’accidentologie routière, par exemple. Cette disparité n’est pas justifiée.
J’ajoute que les moyens mis en œuvre par la France sont importants. J’ai évoqué voilà un instant les flottes d’hélicoptères disponibles. La mobilisation de ces moyens est un impératif national. Nous dépensons beaucoup d’argent : autant bien l’utiliser !
De nombreux territoires sont, de surcroît, concernés. Il s’agit donc non pas d’une mesure spécifique destinée à certains territoires, voire au mien seul, mais d’une mesure pour tout le pays, d’une proposition de loi de portée nationale.
Bien sûr, notre demande est aussi fondée sur les principes d’équité et d’égalité républicaine, qui nous sont chers à tous.
Enfin, les carences et les dépassements de tous les protocoles, dans certains territoires, entraînent des séquelles, des invalidités, des infirmités, pour un coût très élevé.
Pour mieux vous expliquer encore l’importance de cette proposition de loi, je prendrai un exemple que je connais bien, et qui concerne le centre hospitalier de Mende, que je préside.
J’ai demandé aux médecins de l’hôpital de rédiger une note sur le sujet qui nous intéresse. Ils y relèvent qu’une seule équipe de structure mobile d’urgence et de réanimation, ou SMUR, basée à Mende, est affectée pour la totalité du territoire de santé. Cette situation entraîne des délais d’intervention déjà très longs en intervention primaire qui deviennent intolérables en cas d’intervention secondaire dans le cas d’un transfert direct vers le CHU de Montpellier, par exemple, lequel peut dépasser cinq heures aller-retour. Tous les protocoles normalement prévus se trouvent donc mis à mal !
Hors les filières de prise en charge actuelles, qu’il s’agisse du syndrome coronarien aigu, des traumatismes sévères ou de l’AVC, nous sommes face à des impossibilités de réponse optimisée, dès lors que nous devons dépendre d’un vecteur héliporté d’un autre département, dont l’engagement peut être aléatoire et les délais de mise en route et d’acheminement longs. La situation est encore pire lorsque le transfert doit être réalisé par la route vers les CHU avoisinants. Il s’agit clairement, en l’espèce, d’une perte de chance pour le patient. Je n’évoque même pas la double peine qu’il pourrait éprouver si la seule équipe SMUR du département devait être mobilisée par une autre urgence vitale, survenant lors de son transfert vers le CHU.
Pour la majorité des cas de transport primaire, les temps de trajet aller-retour dépassent les deux heures. La situation est encore pire en cas de transport secondaire.
Je conclurai par deux remarques, mes chers collègues.
Avec ce texte, nous parlons de rendre plus efficients les moyens existants, afin de parvenir, pour le patient, à plus de chances de survie, à moins de souffrance, à moins de séquelles, à moins d’infirmités. C’est donc un sujet grave, majeur, transversal, qui peut et doit faire l’unanimité.
Ensemble, nous pouvons soit choisir d’apporter une réponse à ce problème, soit convenir du moyen de ne rien faire, prenant prétexte de quelque argutie administrative, légale ou fonctionnelle. Ce ne serait pas à l’honneur de la Haute Assemblée ni à la hauteur de chacun d’entre nous.
Je demande par conséquent l’unanimité sur cette proposition de loi indispensable à tout notre pays.
J’en termine en citant le rapporteur Gilbert Barbier, selon lequel il n’y a pas de honte à demander ce qui est juste. C’est ce que nous faisons ce soir ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gilbert Barbier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après la verve de l’orateur précédent, je vais essayer de trouver les arguments pour faire avancer la présente proposition de loi.
De manière un peu poétique, mais aussi très pratique, le professeur Pierre Carli, médecin-chef du SAMU de Paris, m’a confié lors de son audition que chaque hélicoptère du SAMU avait son histoire.
Nous le savons, dans nos collectivités, le financement par les hôpitaux de rattachement des SMUR, qui sont les équipes d’intervention des SAMU, permet rarement la location d’un hélicoptère dédié. Ce sont donc les collectivités territoriales – les villes, les départements, les régions –, parfois plusieurs d’entre elles, parfois une seule, car un maire ou un président est particulièrement impliqué, qui permettent de mettre en place le financement nécessaire pour que l’équipe d’urgence dispose de moyens héliportés.
Cela a été dit, en France, à l’heure actuelle, 45 hélicoptères sont affectés aux SAMU. Ils interviennent pour deux types de missions. Les missions dites de soins primaires, d’abord, qui impliquent de se rendre sur le lieu de la prise en charge des personnes malades ou blessées pour assurer le transport de celles-ci vers les services d’urgence. Les missions dites secondaires, ou plus exactement de second temps, ensuite, à savoir le transport des patients entre hôpitaux pour permettre la prise en charge la plus adéquate. Ces transports secondaires ne sont pas nécessairement urgents ; ils peuvent être programmés.
La distinction entre ces deux missions doit être relativisée, car certains patients sont d’abord dirigés vers l’hôpital le plus proche pour y être stabilisés, diagnostiqués, avant d’être éventuellement orientés par hélicoptère, en fonction de l’urgence, vers l’établissement disposant du plateau technique adapté à leur état.
Incontestablement, le double impératif de qualité optimale des soins prodigués et de sécurité entraîne la concentration des plateaux techniques très spécialisés sur quelques hôpitaux universitaires ou généraux, et par là même renforce le besoin en moyens de transport médicalisés et rapides. L’attractivité de l’hélicoptère est donc forte.
Les moyens en hélicoptères sont cependant mal répartis et le mode de financement des Héli-SMUR rend la gestion de ces derniers complexe. Les appareils sont loués à des entreprises qui assurent l’entretien technique et emploient les pilotes. Les possibilités techniques de ces appareils ainsi que le niveau d’habilitation des pilotes restreignent souvent l’usage qui peut en être fait.
Les médecins régulateurs des SAMU, les seuls à pouvoir décider d’une intervention médicale d’urgence, ont donc régulièrement recours aux autres hélicoptères de secours disponibles, essentiellement ceux de la sécurité civile. Les hélicoptères de la gendarmerie n’interviennent en effet pour les secours à personne que dans le cadre historiquement délimité du secours en haute montagne.
La question qui se pose est donc essentiellement celle de l’articulation entre les Héli-SMUR et les hélicoptères de la sécurité civile. On estime effectivement que près de la moitié des hélicoptères de la sécurité civile sont en pratique employés pour des activités de transport sanitaire. Ce sont des appareils plus polyvalents, dont les pilotes sont hautement entraînés et habilités notamment au vol de nuit, ce qui n’est pas le cas des Héli-SMUR.
M. Gilbert Barbier, rapporteur. Si le SAMU peut faire appel aux hélicoptères de la sécurité civile, il ne peut cependant en disposer à sa guise. Les appareils ne sont pas forcément basés à proximité des hôpitaux. Surtout, ils sont prioritairement affectés aux missions de sécurité civile pour lesquelles ils ont été créés, et ne sont donc pas toujours disponibles.
Logiquement, du côté tant des SMUR que de la sécurité civile, on appelle à une rationalisation de l’implantation et de l’emploi des hélicoptères en matière sanitaire. L’important travail sur l’aide à la personne que Catherine Troendlé et Pierre-Yves Collombat ont fait pour la commission des lois plaide en ce sens.
C’est aussi l’objet de la proposition de loi déposée par Alain Bertrand, Jacques Mézard et les membres du groupe du RDSE, dont nous sommes saisis aujourd’hui.
La commission des affaires sociales a estimé que ce texte posait une vraie question et appelait une réponse du législateur. Elle a cependant considéré qu’il était nécessaire de se garder de plusieurs risques.
En effet, il ne faut pas céder à la tentation d’un « hélicentrisme » exagéré. Tous les acteurs en sont d’accord, l’hélicoptère n’est qu’un moyen parmi d’autres pour le transport sanitaire et, même dans les cas d’urgence, il n’est pas toujours le plus approprié. Accessoirement, il est relativement coûteux.
Entre le moment où le médecin régulateur des urgences reçoit l’appel et celui où l’hélicoptère peut arriver sur les lieux, plusieurs retards peuvent se cumuler. Il faut d’abord savoir où se trouve l’hélicoptère du SAMU ou celui de la sécurité civile, calculer le temps qu’il lui faudra pour embarquer une équipe SMUR, et vérifier que les conditions météorologiques et la situation géographique lui permettront de voler et de se poser.
Par rapport aux véhicules terrestres, l’avantage n’est donc pas toujours établi. De nuit, quand les routes sont dégagées, le transport par un véhicule du SMUR peut aller plus vite que le transport par un hélicoptère pas forcément disponible immédiatement.
Il faut donc utiliser l’hélicoptère quand il présente un avantage évident. On ne peut l’envisager indépendamment des transports sanitaires terrestres. Inversement, si l’engagement pris de permettre partout sur le territoire l’accès aux soins urgents en moins d’une demi-heure fait sens en termes sanitaires, il n’est pas pertinent pour tous les déplacements programmés entre hôpitaux.
Comment parvenir à la gestion optimale des moyens héliportés ? La solution préconisée par le texte initial de la proposition de loi, la gestion des transports sanitaires héliportés par les agences régionales de santé dans le cadre d’un contrat national, aboutissait de fait à transférer une part importante des hélicoptères de la sécurité civile aux SAMU. Cette solution avait certes le mérite de la cohérence sur le plan sanitaire, mais elle a paru à la commission difficilement applicable sur le terrain.
Par conséquent, la commission a adopté, sur mon initiative, un amendement tendant à reprendre la solution préconisée par Catherine Troendlé et Pierre-Yves Collombat dans leur rapport. Il s’agit de prévoir la mutualisation de tous les hélicoptères par un service rattaché au Premier ministre, un service ne dépendant donc ni du ministère de l’intérieur ni de celui de la santé.
M. Jean-François Longeot. Très bien !
M. Gilbert Barbier, rapporteur. Ce service serait chargé de l’implantation des appareils. La gestion de ceux-ci serait faite à l’échelon le plus adéquat, peut-être la région. Les objectifs assignés à ce service seraient ainsi d’assurer le maillage territorial et de garantir l’accès aux urgences en moins de trente minutes.
Il me semble que cette mesure, qui n’entrave pas les solutions déjà trouvées sur le terrain et ne préjuge pas du mode de gestion territorial le plus adéquat, peut être un point d’équilibre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui aborde une question essentiellement opérationnelle : l’aide médicale urgente réalisée par Héli-SMUR et les interventions réalisées par les hélicoptères d’État de la sécurité civile, notamment dans le cadre du secours à personne. Elle a pour objet de demander la mise en place d’une gestion mutualisée de ces deux flottes d’appareils.
En ce qu’ils contribuent à garantir l’accès aux soins urgents de la population en moins de trente minutes, comme s’y était engagé le Président de la République en 2012, les hélicoptères d’État et les hélicoptères des établissements de santé représentent un enjeu majeur pour l’accès aux soins urgents sur le territoire national.
Il est en effet nécessaire d’optimiser l’utilisation du vecteur héliporté, afin d’améliorer la complémentarité, la cohérence et l’efficacité du recours aux différentes flottes.
Cette initiative parlementaire du groupe du RDSE rejoint une ambition de l’État : donner au service public héliporté un cadre toujours plus adapté aux enjeux actuels.
Avant toutes choses, je souhaite rappeler que le secours à personne et l’aide médicale urgente recouvrent des champs distincts, mais complémentaires.
L’aide médicale urgente et le secours à personne sont en effet des missions de service public différentes par leur objet ; néanmoins, elles se complètent dans leur finalité : le service des mêmes usagers, patients ou victimes.
L’aide médicale urgente, mission de service public hospitalier, a pour objet d’assurer aux malades, blessés ou parturientes, en quelque endroit qu’ils se trouvent, les soins d’urgence appropriés à leur état.
Le secours à personne, quant à lui, est l’une des missions de sécurité civile assurée principalement par les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires des services départementaux d’incendie et de secours. Il vise notamment à assurer la mise en sécurité des victimes, à pratiquer les gestes de secourisme en équipe et à réaliser l’évacuation éventuelle de la victime vers un lieu d’accueil approprié.
Si les Héli-SMUR sont entièrement dédiés à l’aide médicale urgente, les missions remplies par les hélicoptères de la sécurité civile ne se bornent pas aux missions de secours à personne et d’aide médicale urgente. Elles englobent le champ plus vaste de la protection des personnes et des biens, avec des missions complémentaires telles que la lutte contre les feux de forêt, la projection d’équipes spécialisées, ou la participation à des missions de sécurité publique. La structure de commandement de ces moyens et leur cartographie d’implantation découlent d’ailleurs de cette pluralité de missions.
Je l’ai dit en introduction, nous partageons largement l’objectif de complémentarité des moyens héliportés ; c’est le sens du travail interministériel déjà engagé.
Si l’aide médicale urgente relève de la compétence du ministère de la santé, et si les missions de sécurité civile relèvent de celle du ministère de l’intérieur, la coordination des interventions, la complémentarité des moyens et, plus généralement, la coopération des services constituent un impératif. Cette coopération se réalise déjà au quotidien, à travers, notamment, la participation quotidienne des hélicoptères de la sécurité civile aux missions d’aide médicale urgente. Il est toutefois possible d’aller plus loin.
Le travail interministériel qui a déjà été engagé sur les Héli-SMUR et les hélicoptères de la sécurité civile traduit la volonté de renforcer la complémentarité de ces moyens. En effet, l’axe 2 de la feuille de route santé-intérieur de 2014 a fixé comme objectif de « renforcer les outils permettant d’assurer la complémentarité des moyens humains et matériels, tant terrestres qu’héliportés. » Dans cette optique, un comité de pilotage interministériel dédié précisément à la complémentarité des moyens héliportés utilisés dans le cadre du secours à personne et de l’aide médicale urgente a été mis en place.
La direction générale de l’offre de soins, la DGOS, et la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, la DGSCGC, finalisent actuellement une instruction interministérielle relative à la complémentarité des Héli-SMUR et des hélicoptères d’État.
Ce document identifiera des principes partagés de complémentarité, de cohérence, d’efficience, de transparence, ainsi que des indicateurs communs d’activité des moyens héliportés.
Il détaillera également les modalités d’implantation et de fonctionnement des bases, ainsi que les principes de mise en œuvre opérationnelle des moyens, c’est-à-dire, concrètement, l’emploi de l’hélicoptère le plus adapté à la mission et disponible dans les délais compatibles avec l’état du patient.
Enfin, cette instruction interministérielle posera les principes de gouvernance à l’échelon national comme territorial.
Mais, sur le terrain, les avancées sont d'ores et déjà notables dans plusieurs régions, avec un engagement fort des directeurs généraux des agences régionales de santé et des préfets, dans la droite ligne de la feuille de route santé-intérieur. En plus de l’interconnexion déjà existante entre le 15 et le 18, l’objectif de complémentarité des moyens héliportés est retenu, en vue de la couverture de l’accès aux soins d’urgence en moins de trente minutes et de l’élaboration d’une doctrine d’emploi d’une ressource en réalité rare et précieuse.
Dans certaines régions, l’articulation des deux flottes Héli-SMUR et sécurité civile est déjà active pour la période nocturne, ce qui permet la couverture d’anciennes zones blanches.
Pour aller encore plus loin sur ce sujet, le Gouvernement a également souhaité qu’une revue des dépenses soit conduite au mois de mai 2016 sur le thème des hélicoptères de service public, par une mission inter-inspections réunissant l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale des affaires sociales et le contrôleur général des armées.
La mission a salué le travail interministériel conduit par les ministères de la santé et de l’intérieur pour améliorer la cohérence d’emploi des hélicoptères, ainsi que la complémentarité de l’utilisation des moyens.
Si les recommandations de la mission font actuellement l’objet d’une réflexion approfondie et partagée entre les administrations, il est intéressant de relever qu’elles comprennent non pas la mutualisation des flottes, mais l’amélioration de la coordination des moyens.
J’en viens maintenant au contenu de la proposition de loi que nous examinons.
Tout d’abord, je tiens à saluer la cohérence de la commission des affaires sociales, dont le Gouvernement souscrit pleinement à l’analyse concernant le contenu de la version initiale du présent texte.
En effet, le Gouvernement l’avait déjà exprimé lors des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 ou à l’occasion de l’examen de la loi Montagne, le dispositif contenu dans la proposition de loi initiale relevait essentiellement du domaine réglementaire, ce qui n’était pas sans poser certaines difficultés.
En réécrivant l’article unique de ce texte, la commission des affaires sociales, par la voix de son rapporteur, a proposé la création d’un service placé auprès du Premier ministre, service qui serait chargé de la gestion mutualisée des hélicoptères.
Cette proposition pose, selon nous, d’autres difficultés. Davantage qu’une nouvelle structure qui viendrait se superposer aux structures ministérielles existantes, mieux vaudrait mettre en place des instances de coordination et de concertation à l’échelon tant national que territorial qui sont à notre avis nécessaires pour renforcer la cohérence et l’efficience du système.
C’est la direction préconisée par les travaux menés conjointement par la DGOS et par la DGSCGC, et sur lesquels la revue de dépenses s’est en partie fondée.
Par ailleurs, vous avez vous-même soulevé lors de l’examen en commission le risque d’« hélicentrisme », puisque la proposition de loi que nous examinons semble inciter à faire reposer l’accès aux soins d’urgence prioritairement sur le vecteur héliporté, sans aborder la complémentarité avec les autres vecteurs terrestres et maritimes.
Actuellement, si l’accès aux soins urgents en moins de trente minutes est assuré pour quasiment 100 % de la population – 98,5 % exactement –, c’est parce que nous prenons en compte l’ensemble des services d’urgence, SMUR, médecins correspondants du SAMU, Héli-SMUR et hélicoptères de la sécurité civile. Ce résultat montre bien que les hélicoptères sont des vecteurs complémentaires des vecteurs terrestres de l’aide médicale urgente.
Il ne faut pas oublier que ces derniers ont leurs propres contraintes, notamment le respect des conditions minimales de vol et de la réglementation aérienne. J’ajoute que le texte que nous examinons, en prévoyant une gestion mutualisée des Héli-SMUR et des hélicoptères de la sécurité civile sous l’angle unique de l’accès aux soins d’urgence, apporte une réponse incomplète à la problématique globale des hélicoptères de service public.
En effet, les hélicoptères de la sécurité civile ne sont pas les seuls hélicoptères d’État à participer aux missions de secours à personne et d’aide médicale urgente. C’est aussi le cas d’une partie de la flotte de la gendarmerie nationale, notamment en zone de montagne et en outre-mer, mais aussi d’une partie de la flotte de la marine nationale et de l’armée de l’air.
Ces flottes ont en commun d’avoir des missions qui ne sont pas limitées au secours à personne et à l’aide médicale urgente. Leur localisation et leurs chaînes de commandement répondent à la diversité de ces missions, dans des logiques d’articulation avec d’autres moyens qui sont propres à chaque service.
Enfin, une régulation de l’offre des vecteurs héliportés, telle qu’elle est inscrite dans la proposition de loi à un niveau central, serait en décalage avec les missions déléguées aux ARS dans l’organisation et la régulation de l’offre de soins, je pense en particulier à l’attribution et au renouvellement des autorisations d’activité des structures d’urgence.
Le principe de subsidiarité en faveur des représentants de l’État en région – les préfets et les directeurs généraux des ARS – doit prévaloir avec l’appui de chaque ministère.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le travail de coordination que vous appelez de vos vœux avance et va se poursuivre, avec la publication prochaine de l’instruction interministérielle que j’ai annoncée.
Si le Gouvernement partage la volonté de mieux coordonner encore les moyens aériens pour mieux couvrir nos territoires, les outils législatifs ou réglementaires qui seraient nécessaires ne peuvent précéder la fin des travaux actuellement menés entre les acteurs opérationnels.
Vous l’aurez donc compris, le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de cette proposition de loi qui pourrait compromettre l’ensemble des travaux engagés par le ministère de la santé et par le ministère de l’intérieur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour le groupe CRC.
Mme Annie David. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi initiale présentée par les membres du groupe du RDSE visait à améliorer les transports sanitaires héliportés en mettant en place une instance régionale, la commission régionale des transports héliportés, chargée d’établir un schéma d’implantation des hélicoptères avec pour objectif un accès aux soins en trente minutes maximum.
En effet, le transport sanitaire héliporté est parfois la solution la plus rapide pour les malades d’accéder aux soins urgents dans nos territoires ruraux et de montagne.
Lorsque l’hôpital le plus proche se situe au-delà d’une heure de trajet, seul l’hélicoptère permet une évacuation rapide des personnes malades ou blessées. Or, on le sait bien, les chances de survie du patient ou la gravité des séquelles sont strictement corrélées au temps de transfert. Il est donc nécessaire de prévoir une prise en charge la plus rapide possible.
Comme l’a rappelé Mme la secrétaire d’État, au travers de cette proposition de loi, le groupe du RDSE offre l’occasion au Gouvernement de répondre à une promesse du Président de la République, François Hollande,…
M. Jacques Mézard. Ça en fera au moins une !
Mme Annie David.… qui s’était engagé en 2012 à ce que toute personne puisse accéder aux soins urgents en moins d’une demi-heure.
Ainsi, la proposition de loi initiale prévoyait de mettre en place une stratégie nationale d’utilisation du transport sanitaire héliporté, déclinée à l’échelon régional par des contrats de mission santé entre l’État et les prestataires, afin de garantir une prise en charge en trente minutes.
L’objectif étant d’optimiser les moyens et l’implantation des transports sanitaires héliportés pour améliorer le fonctionnement et la qualité de soins, cette organisation était censée être pilotée par l’ARS grâce à la création d’une commission régionale des transports héliportés pour établir ce schéma d’implantation des hélicoptères. Il s’agissait de permettre également une meilleure collaboration entre les hélicoptères rouges, les hélicoptères bleus et les hélicoptères blancs, comme l’a parfaitement rappelé Alain Bertrand.
Néanmoins, en commission, le rapporteur, Gilbert Barbier, lui aussi membre du groupe du RDSE, a complètement réécrit cette proposition de loi. La nouvelle rédaction convient à Alain Bertrand et aux membres de son groupe. C’est donc de cette nouvelle version que nous allons débattre.
Le texte prévoit désormais que la gestion des hélicoptères pour le transport sanitaire d’urgence sera mutualisée et sera réalisée à l’échelon national, par un service placé auprès du Premier ministre. L’emploi des appareils, quant à lui, sera maintenu à l’échelle territoriale, qui est le niveau le plus adapté, comme M. le rapporteur l’a souligné, dans le respect de la compétence du médecin régulateur.
On peut voir là la volonté de M. Barbier d’aboutir à une proposition de loi plus rassembleuse permettant de donner satisfaction à son groupe, comme il l’a d’ailleurs lui-même indiqué. Quant à M. Alain Bertrand, force est de reconnaître sa persévérance, puisqu’il a déjà par deux fois proposé ces modifications dans la réglementation du transport sanitaire héliporté, mais hélas sans succès !
Cependant, vous le savez, mes chers collègues, au travers de cette proposition de loi, c’est bien la question de l’accès aux soins d’urgence qui est posée et non pas seulement celle d’une meilleure organisation des transports sanitaires héliportés.
De fait, une meilleure articulation entre les Héli-SMUR et les hélicoptères de la sécurité civile constitue un remède aux économies réalisées sur la santé et la sécurité sociale.
Avec la réduction de l’offre de soins, les fermetures des établissements de santé et les groupements hospitaliers de territoire, les GHT, la distance entre les habitants et les hôpitaux s’est allongée au détriment de la bonne santé des individus.
Comme le dénonçait Laurence Cohen lors du débat en séance publique, organisé à la demande de mon groupe, sur la situation des hôpitaux dans cette enceinte même le 12 janvier dernier « depuis le 1er juillet dernier, les 1 100 hôpitaux existants sur notre territoire ont été rassemblés sans aucune concertation dans quelque 150 GHT. […] Aussi, loin de régler la problématique des déserts médicaux, ces GHT vont accentuer les inégalités en matière de densité médicale et paramédicale dans les régions ». Cela risque, par conséquent, d’accentuer les inégalités d’accès aux services d’urgence.
Si nous saluons l’avancée essentielle que constitue le présent texte, à savoir graver dans le marbre l’objectif d’accéder aux services d’urgence en moins de trente minutes, nous regrettons qu’elle ne soit accompagnée d’aucune stratégie nationale en matière d’investissement de la part de l’État dans la flotte d’hélicoptères.
Au contraire, les collectivités territoriales, qui subissent le désengagement financier de l’État, doivent toujours se débrouiller seules pour trouver les fonds nécessaires à l’acquisition et à la maintenance des flottes aériennes.
En conclusion, malgré ces critiques sur les limites de ce texte, qui tend à améliorer l’organisation du transport héliporté, mais ne remet pas en question le désinvestissement de l’État dans le financement de nos hôpitaux, nous voterons en faveur de cette proposition de loi, dont l’adoption permettra une prise en charge sanitaire héliportée plus homogène sur l’ensemble du territoire et un transfert au lieu de soins adapté en trente minutes maximum.
J’ai bien entendu, madame la secrétaire d’État, que des négociations et des travaux étaient en cours entre le ministère de la santé et celui de l’intérieur. Néanmoins, l’adoption de cette proposition de loi serait de nature à « booster » le processus de développement des transports héliportés, pour mieux atteindre les services d’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, sur certaines travées du groupe socialiste et républicain, sur les travées du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe de l’UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Olivier Cigolotti. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le transport sanitaire héliporté fait partie de notre système de soins d’urgence. Il est indéniable qu’il permet de par sa rapidité une amélioration de la qualité et de la sécurité des soins d’urgence.
Deux typologies de transport doivent être distinguées : le transport primaire, qui permet l’évacuation d’un accidenté ou d’une victime vers un lieu de prise en charge adapté ; le transport secondaire, qui permet d’assurer dans les plus brefs délais le transfert d’un patient d’un établissement vers un autre.
Deux organisations de moyens héliportés cohabitent également dans notre dispositif de secours et d’intervention. L’une basée sur l’utilisation d’hélicoptères privés mis à disposition et adaptés aux missions des équipes des SAMU et des SMUR : les Héli-SMUR. L’autre fondée sur l’utilisation d’hélicoptères d’État, agencée autour de la notion de secours à personne, et gérée par la sécurité civile.
Chaque système comporte des avantages et des inconvénients.
Pour ce qui concerne les Héli-SMUR, la disponibilité des appareils étant permanente, l’équipe SMUR n’étant mobilisée que pour la durée de la mission, elle peut participer à d’autres tâches hospitalières ; le matériel médical, quant à lui, est à poste fixe dans l’hélicoptère, ce qui réduit les délais de préparation.
L’Héli-SMUR s’adapte parfaitement au fonctionnement du système de soins. En revanche, son statut privé lui impose de se conformer strictement à la réglementation aérienne civile.
Le type d’appareil utilisé par Héli-SMUR ne permet pas de missions en milieu périlleux ou en cas de visibilité diminuée.
Concernant les hélicoptères d’État, leur principal avantage réside dans leur statut dérogatoire et leur potentiel. Des inconvénients doivent cependant aussi être évoqués.
Tout d’abord, l’exercice non exclusif et non prioritaire de la mission sanitaire est un réel problème. En effet, les hélicoptères sont partagés entre sécurité civile, gendarmerie, marine nationale et armée de l’air, et sont placés sous contrôle du préfet de la zone de défense. Aussi, leur positionnement a été réalisé pour répondre à ces diverses missions.
Par ailleurs, l’entourage technique et l’absence de régulation médicale compliquent leur utilisation.
Enfin, leur financement est totalement pris en charge par le ministère d’origine ; cette apparente gratuité ne permet pas d’afficher le coût réel des interventions sanitaires et donc de budgéter leur financement. Cependant le coût d’un hélicoptère de la sécurité civile est évalué à environ 3 500 euros par heure de vol, hors coût de l’équipe médicale.
L’exercice qui nous est proposé aujourd’hui par nos collègues du groupe du RDSE porte sur la pertinence et sur l’optimisation des moyens. Comme le mettent en évidence les auteurs de cette proposition de loi, il n’existe actuellement aucune stratégie nationale clairement définie. C’est cette absence de stratégie nationale qui explique les disparités régionales d’implantation des Héli-SMUR, mais également l’absence de complémentarité avec les hélicoptères de la sécurité civile.
À ce jour, l’implantation des appareils n’est pas optimisée ; elle est même insuffisante dans certaines régions.
Nos collègues, auteurs de la présente proposition de loi, partent du constat que dans de nombreux territoires, souvent ruraux et de montagne, mais pas seulement, peu d’hôpitaux et de maternités sont en mesure d’offrir tous les types de soins appropriés à toutes les urgences. Il faut donc transférer les patients dans des hôpitaux plus grands. Dans ces conditions, les transferts sanitaires peuvent être très longs, et durer entre une heure et une heure trente. Le transport héliporté se pose alors en alternative, ce moyen permettant de relier le grand hôpital le plus proche en moins de trente minutes.
L’amélioration du système actuel impose une évolution de l’organisation et de la réglementation.
L’article unique de cette proposition de loi vise à créer notamment à l’échelon national un contrat de mission santé élaboré par l’État, et qui s’imposera à l’ensemble des prestataires et des intervenants dans le cadre du transport sanitaire héliporté, donnant ainsi priorité à la mission sanitaire.
Le Conseil national de l’urgence hospitalière énumère parfaitement les principaux points du contrat de mission santé : tout d’abord, l’hélicoptère de la mission santé est dédié spécifiquement à cette tâche et à un positionnement hospitalier ; de plus, la régulation médicale des transports sanitaires est effectuée par le SAMU ; ensuite, la médicalisation de l’hélicoptère sanitaire est assurée par une équipe SMUR ou garantissant le même niveau de soins ; enfin, l’équipe SMUR est à tout moment disponible pour médicaliser l’hélicoptère, mais elle n’est pas exclusivement dédiée à cette tâche pour garantir l’efficience de l’usage du temps médical.
Par ailleurs, confier aux agences régionales de santé l’organisation du transport sanitaire à l’échelon régional devrait avoir pour objectif de garantir l’essentiel du contrat de mission.
Il semble indispensable de regrouper acteurs et utilisateurs à l’échelle territoriale.
Les ARS devront par conséquent entreprendre un programme de recensement, d’amélioration et, si nécessaire, de création de zones à poser.
Elles pourront établir une cartographie précise de la couverture optimale de la région et un schéma d’implantation des hélicoptères répondant mieux aux besoins des différents territoires en termes de population, d’infrastructures, de risques particuliers, ou encore de saisonnalité des besoins.
Un autre point doit également être abordé, mes chers collègues : le financement, non évoqué dans cette proposition de loi. En effet, le transport sanitaire héliporté peut paraître très onéreux.
En moyenne, le budget global pour un Héli-SMUR H24 est d’environ 1,65 million d’euros par an, équipe médicale comprise. Ce coût est inférieur à celui d’un hélicoptère de la sécurité civile avec une moyenne de 1,75 million d’euros par an hors coût de l’équipe médicale.
Concernant les Héli-SMUR, le budget régional consacré aux hélicoptères est très variable d’une région à une autre, allant de 300 000 euros à plus de 8 millions d’euros.
Aussi, nous devons travailler à la pérennisation et à l’uniformisation du financement des hélicoptères sanitaires. Le constat partagé que nous faisons, mes chers collègues, porte sur l’utilisation des hélicoptères sanitaires et sur l’existence de disparités importantes en matière de couverture du territoire, les modalités d’utilisation de l’hélicoptère étant tributaires de son statut et non de sa mission sanitaire !
Cette nouvelle organisation nécessitera une adaptation des services existants très bien définie par le Conseil national de l’urgence hospitalière.
Premièrement, pour les hélicoptères d’État, le contrat mission santé va impliquer un effort en termes d’organisation et de répartition des moyens héliportés. La mission sanitaire, jusque-là complémentaire, deviendrait une mission principale pour ces hélicoptères, qui seraient intégrés dans le dispositif des transports sanitaires héliportés.
Le repositionnement des hélicoptères d’État et des infrastructures nécessaires devra donc être envisagé pour améliorer la couverture de certaines régions, et ainsi pour qu’ils soient complémentaires des moyens existants.
Deuxièmement, pour les Héli-SMUR, la dimension régionale, la mutualisation et la transparence des missions doivent être développées ou améliorées. Les prestations de services, quant à elles, doivent être standardisées.
Une stratégie nationale de couverture du territoire est essentielle et elle doit passer par deux axes : remettre le patient au centre du système, avec la mise en place du contrat de mission santé ; confier aux ARS l’organisation des transports sanitaires héliportés comme pour tout dispositif de soins. Cela se traduit, bien sûr, par une organisation régionale partagée par différents acteurs et intervenants.
Je veux saluer la clairvoyance et l’initiative tout à fait intéressante du rapporteur, Gilbert Barbier, qui, par le dépôt d’un amendement, a souhaité mutualiser les différents dispositifs en les positionnant sous la tutelle d’une seule autorité administrative.
L’ensemble du groupe UDI-UC votera en faveur de cette proposition de loi telle que modifiée pour améliorer le fonctionnement actuel des transports sanitaires héliportés. Nous espérons ainsi, cher Alain Bertrand, corriger le tir par rapport à ce qui aurait pu ou aurait dû être prévu dans la loi Montagne. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’accès aux services sanitaires, en particulier hospitaliers d’urgence, est certes une réalité pour les habitants des grandes agglomérations, dont je suis un représentant, mais elle demeure une attente très mal satisfaite pour les autres. Cette disparité profonde ne date pas d’aujourd’hui.
Elle a pris forme dès 1958 avec la création des centres hospitaliers et universitaires. Elle s’est renforcée avec les restructurations hospitalières qui ont commencé dès 1975. Ce processus s’est ensuite accéléré dans les années quatre-vingt-dix avec la loi portant réforme hospitalière de 1991 et l’élaboration des premiers schémas régionaux d’organisation sanitaire à partir de 1994.
Je ne veux pas entrer dans le débat de savoir s’il était utile ou pas de regrouper des établissements hospitaliers et de rationaliser le nombre de lits d’hospitalisation, afin de réaliser des économies d’échelle.
Mme Annie David. C’est pourtant un débat que nous pourrions avoir, mon cher collègue !
M. André Gattolin. Bien évidemment, dans la mesure où le pronostic vital des personnes concernées est engagé, les soins d’urgence sont coûteux, parfois même extrêmement coûteux, sans même que soit intégré dans ce calcul le coût d’acheminement rapide des accidentés graves et des grands malades vers les centres hospitaliers compétents.
Il faut un personnel médical extrêmement qualifié et disponible, il faut aussi un outillage médical et chirurgical de pointe.
Ces exigences peuvent en partie justifier le fait d’avoir opéré certains regroupements de structures hospitalières. C’est parfois aussi l’argument qui est avancé pour légitimer une logique purement comptable au détriment de l’égalité de chacun face à la souffrance, de l’égalité des territoires et de l’égalité de traitement qui doit fonder l’existence d’un service public.
En effet, la contrepartie bien visible de ce long processus de regroupement a été de créer, voire de renforcer, ces fameuses zones blanches sans lieu d’accueil médical.
Face à cette inégalité flagrante de traitement, Alain Bertrand et les membres du groupe du RDSE nous proposent de rationaliser le transport sanitaire héliporté, afin de permettre à toutes les personnes en état d’urgence de bénéficier de soins. Nous ne pouvons que les remercier de cette juste initiative, que nous saluons !
On parle de nouveau et de plus en plus, notamment grâce au Sénat, de « déserts médicaux ». Il s’agit d’une terrible réalité qui touche bien sûr les espaces les plus ruraux et les plus montagneux de l’Hexagone. Pierre Bernard-Reymond, ancien sénateur des Hautes-Alpes, m’avait invité en tant qu’élu d’Île-de-France à lui rendre visite à Gap pour que je puisse toucher du doigt la réalité à laquelle il se trouvait confronté – j’ai alors compris ce qu’était l’enclavement territorial. Il m’a avoué que, en quarante ans de carrière politique, l’une de ses plus belles actions a été la création d’un centre hospitalier pour répondre aux besoins dans les zones de montagne et à proximité. Il ne lui semblait pas possible qu’une préfecture comme Gap ne dispose pas d’un tel centre !
Cette réalité est celle du monde rural et des espaces de montagne en métropole, mais pas seulement. Je veux rappeler les situations extrêmes qui, en la matière, règnent dans certains de nos départements et certaines de nos régions d’outre-mer. Un accidenté grave en Guyane a encore moins de chance de pouvoir être pris en charge qu’en France métropolitaine.
J’ai bien conscience que l’usage d’un hélicoptère même rationalisé pour des raisons médicales pose des questions en termes d’organisation. Pour autant, nous nous entendons trop souvent répondre, comme l’a fait encore à l’instant Mme la secrétaire d’État, que nos initiatives perturbent le long travail de concertation engagé par le Gouvernement avec les différents acteurs. C’est un discours que j’ai du mal à accepter, car c’est le rôle du politique de donner des orientations. Si nous ne prenons en considération que les acteurs administratifs ou non administratifs privés, nous ne déciderons jamais de rien !
Compte tenu de ces remarques et de l’ensemble des arguments qu’ont très bien développés les orateurs qui m’ont précédé, l’ensemble du groupe écologiste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Michelle Meunier et M. Olivier Cigolotti applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Catherine Génisson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi de MM. Alain Bertrand et Jacques Mézard, et des membres du groupe du RDSE, visant à mettre en place une stratégie nationale d’utilisation du transport sanitaire héliporté.
Je veux remercier tout d’abord Gilbert Barbier de son rapport approfondi et mesuré.
L’objet de cette proposition de loi est donc de mettre en place une stratégie nationale d’utilisation du transport sanitaire héliporté. Dans la version initiale de ce texte, l’organisation en revenait aux agences régionales de santé, l’objectif étant de permettre un transfert primaire – prise en charge de patients du domicile ou de la voie publique et conduite vers les services d’urgence en moins de trente minutes – ou secondaire – transfert de patients d’hôpital à hôpital.
Selon les auteurs de cette proposition de loi, qui met particulièrement l’accent sur le transport primaire, il s’agit d’optimiser le recours aux hélicoptères sanitaires entre Héli-SMUR et sécurité civile, afin de permettre une prise en charge homogène de l’urgence sanitaire et de garantir une égalité des chances dans l’accès aux soins à tous nos concitoyens sur l’ensemble du territoire. Mon groupe ne peut que souscrire aux objectifs de mes collègues.
Reprenant les propos du professeur Pierre Carli, médecin-chef du SAMU de Paris, M. le rapporteur indiquait que chaque hélicoptère du SAMU à son histoire.
Permettez-moi une rapide incursion au sein du SAMU 62 : il dispose depuis plus de vingt-cinq ans d’un hélicoptère sanitaire, financé au départ par l’État et le conseil général du Pas-de-Calais. À ce jour, il n’existe plus que des crédits d’État déconcentrés à l’échelon de l’agence régionale de santé.
Dès son implantation, cet hélicoptère a surtout concerné le transport secondaire, le Pas-de-Calais, département de 1,5 million d’habitants ne disposant pas de centre hospitalo-universitaire, mais bénéficiant de sept SMUR implantés dans ses sept hôpitaux généraux. Cela permet une bonne couverture pour le transport primaire quand, par ailleurs, les relations entre le SAMU et les sapeurs-pompiers sont excellentes.
Ainsi, en 2014, cet appareil a effectué 703 heures de vol, 1 heure par mission, 75 % de transports secondaires, 25 % de transports primaires, 83 % de vols de jour et 17 % de vols de nuit, uniquement du transport secondaire.
Par ailleurs, cet hélicoptère, loué à une société belge, répond totalement aux normes de sécurité européennes, puisqu’une personne de surveillance des fonctions techniques se trouve aux côtés du pilote.
Cet exemple n’illustre pas forcément le sujet que nous traitons aujourd'hui, à savoir le transport primaire, qui est le focus de cette proposition de loi, mais il permet de mettre en évidence certaines obligations, rappelées à juste titre par M. le rapporteur.
La prescription d’un transport héliporté relève de la décision du médecin régulateur du SAMU qui doit s’assurer que l’autorisation de vol, relevant de la responsabilité du pilote, a été donnée.
Par ailleurs, le recours à un transport héliporté doit être manié avec discernement, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, au regard d’importantes contraintes, je pense en particulier aux conditions météorologiques.
Au SAMU 62, à la suite d’un grave accident d’hélicoptère, deux personnes se sont retrouvées paraplégiques : le pilote et un membre du personnel du SAMU.
Si mon groupe adhère à l’objet de cette proposition de loi, il s’interroge sur le bien-fondé du dispositif régional, à savoir la mise en place de la commission régionale des transports héliportés autour des agences régionales de santé. L’ARS peut-elle avoir autorité sur ce qui relève de la responsabilité du ministère de l’intérieur, notamment sur les hélicoptères de la protection civile ?
Nos travaux en commission ont permis d’améliorer le texte sous l’impulsion du rapporteur, qui a proposé un amendement de réécriture globale de l’article unique de cette proposition de loi.
L’article unique modifié prévoit une gestion mutualisée par un service placé auprès du Premier ministre des hélicoptères susceptibles d’assurer le transport sanitaire, afin de garantir la répartition de ceux-ci sur le territoire. La gestion des hélicoptères serait faite à l’échelon territorial le plus adapté, en coordination avec les possibilités de transports terrestres. Elle préserverait la compétence du médecin régulateur pour décider de la nécessité d’un transport héliporté, ce que nous approuvons.
Cependant, Mme Bricq nous a alertés sur un point. On peut en effet s’interroger sur l’efficacité d’une délégation interministérielle placée auprès du Premier ministre entre les agences régionales de santé et les préfets de département pour assurer une coordination de l’utilisation des transports héliportés. N’avons-nous pas toujours considéré que les délégations interministérielles ne fonctionnent pas ?
À l’heure actuelle, comme Mme la secrétaire d’État l’a rappelé, un travail interministériel est mené sur les Héli-SMUR et les hélicoptères de la sécurité civile dans une volonté de recherche de la complémentarité des moyens entre les deux ministères de la santé et de l’intérieur. Cela n’est pas à négliger.
C’est l’objectif de l’axe 2 de la feuille de route santé-intérieur de 2014, à savoir « renforcer les outils permettant d’assurer la complémentarité des moyens humains et matériels, tant terrestres qu’héliportés. »
La direction générale de l’offre de soins et la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises ont mis en place un comité de pilotage interministériel dédié à la complémentarité des moyens héliportés utilisés dans le cadre du secours à personne et de l’aide médicale urgente, le SAP-AMU, les Héli-SMUR et les hélicoptères de la sécurité civile. Cette structure est le lieu de concertation interministérielle sur ces questions d’intérêt commun.
Les deux directions viennent de s’accorder sur un texte conjoint relatif à la complémentarité des moyens héliportés qui sont utilisés dans le cadre du SAP-AMU, Héli-SMUR et hélicoptères d’État.
Le comité de pilotage du 30 juin 2016 a entériné cet accord dans un document qui comporte les éléments suivants : les principes généraux, à savoir complémentarité, cohérence, efficience et transparence ; les principes d’organisation applicables aux modalités d’implantation et de fonctionnement des bases, ainsi qu’aux partenariats locaux ; les principes de mise en œuvre opérationnelle des moyens, c’est-à-dire la coordination dans l’intérêt de la personne à prendre en charge, l’emploi de l’hélicoptère le plus adapté à la mission et disponible dans les délais compatibles avec l’état du patient ; les principes de gouvernance à l’échelon national et territorial.
Par ailleurs, des indicateurs d’activité sont testés en région Provence-Alpes-Côte d’Azur dans le cadre d’une expérimentation. Cela doit permettre d’objectiver et de suivre conjointement l’activité réalisée, ainsi que les éventuelles incidences de modifications des cartes d’implantation.
La mission inter-inspections a salué le travail engagé par les deux directions et n’a pas recommandé la mutualisation des flottes, mais elle a soutenu l’amélioration de la coordination des moyens. Au regard de ce constat, nous sollicitons avec force le Gouvernement pour que les conclusions de l’expérimentation aboutissent le plus rapidement possible à la définition précise des principes de gouvernance à l’échelon tant national que territorial.
Cela étant, la majorité de mon groupe s’abstiendra sur ce texte. Néanmoins, certains d’entre nous le voteront, afin de souligner la nécessité de prendre rapidement des décisions. L’égalité d’accès aux soins pour l’ensemble de nos concitoyens est une priorité, que nous espérons tous voir se concrétiser. Et le transport héliporté est un vrai sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains.
M. Cyril Pellevat. Ainsi que cela a été rappelé, y compris par Mme la secrétaire d’État, en 2012, parmi les nombreuses promesses de campagne du candidat François Hollande figurait celle-ci : l’accès à la santé étant un droit fondamental, personne en France ne doit se trouver à plus de trente minutes d’un service d’urgence. M. Hollande a été élu, et les cinq années de son mandat sont bientôt écoulées : force est de constater que cette promesse n’a pas été tenue.
La proposition de loi que nous examinons ce jour est inspirée de cette promesse.
La problématique des déserts médicaux est, certes, cruciale, mais elle n’est pas nouvelle. Nous savons qu’il faut garantir un accès aux soins de qualité pour l’ensemble de la population, sur tout le territoire. Les enjeux sont la garantie d’un droit fondamental à la santé pour tous, mais aussi la garantie du principe de continuité du service public et du principe de l’égalité devant le service public de santé, sans oublier l’enjeu de la vitalité des territoires, notamment en zones de montagne ou rurales.
À plusieurs reprises dans cet hémicycle, au cours de différents débats, nous avons souligné le manque de médecins en milieu rural. Nous nous penchons aujourd’hui sur l’aspect logistique et sur la question des transports, notamment par voie aérienne, via l’hélicoptère.
Nous devons toujours le garder à l’esprit : ce n’est pas au milieu rural de s’adapter à l’offre de soins ; c’est à l’offre de soins de s’adapter au milieu rural et aux besoins des populations ; c’est à l’offre de soins de s’adapter à nos montagnes. Pour cela, l’hélicoptère constitue un atout évident, une nécessité ; c’est un Haut-Savoyard qui vous le dit, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues !
Une meilleure organisation des transferts via l’hélicoptère est nécessaire. C’est l’objet de cette proposition de loi. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette volonté. L’implantation des moyens aériens pour le transport sanitaire peut être améliorée.
Le texte initial d’Alain Bertrand, de Jacques Mézard et des membres du groupe du RDSE visait à mettre en place une stratégie nationale d’utilisation du transport sanitaire héliporté, déclinée à l’échelon régional par les agences régionales de santé.
Il synthétisait le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, de 2016 sur les revues de dépenses des hélicoptères de service public. Ce document préconisait des pistes d’optimisation et de mutualisation des appareils, après un état des flottes d’hélicoptères dédiées aux missions de service public. L’objectif était de déterminer le budget annuel des hélicoptères étatiques et privés, afin de rationaliser le maillage sur le territoire, mais également de réduire les coûts.
Comme l’ont mentionné les orateurs précédents, il convient de distinguer le transfert primaire, qui consiste en la prise en charge des personnes pour les transporter vers les services d’urgence, du transfert secondaire, soit un transfert programmé entre établissements de santé pour une prise en charge adéquate du patient.
L’objet de la proposition de loi initiale était de permettre le transfert primaire ou secondaire au centre hospitalier universitaire, ou CHU, en moins de trente minutes.
La commission, sur une initiative de M. le rapporteur, Gilbert Barbier, a réécrit l’article unique de ce texte en reprenant une disposition que nous avions adoptée dans le cadre du texte sur la montagne, avec une distinction entre le transfert primaire et le transfert secondaire, pour lequel la durée du temps de parcours n’est pas pertinente.
La rédaction initiale de la proposition de loi, qui prévoyait la gestion des transports sanitaires héliportés par les agences régionales de santé, conduisait à transférer une part importante des hélicoptères de la sécurité civile aux SAMU ; selon le rapporteur, c’était difficilement acceptable sur le terrain.
Ce texte ne répondait pas à l’objectif des trente minutes et semblait trop contraignant par rapport à la régionalisation. Il aurait impliqué la mutualisation des hélicoptères des SAMU et des appareils de la sécurité civile gérés par les ARS et dont l’utilisation est déclenchée par le médecin régulateur.
Or il convient de s’interroger sur les moyens pour l’ARS d’avoir autorité sur les appareils de la sécurité civile lorsque ceux-ci concourraient à des missions de police ou à des entraînements, soit 25 % de leurs vols. Qu’adviendrait-il de la continuité du service public durant ces périodes d’absence ?
Le nouvel article unique, adopté en commission, prévoit donc deux principes : d’une part, une gestion mutualisée des hélicoptères susceptibles d’assurer le transport sanitaire, par un service placé auprès du Premier ministre, afin de garantir leur répartition équitable sur le territoire ; d’autre part, une gestion territoriale coordonnée avec celle des transports sanitaires terrestres, ainsi que la compétence du médecin régulateur pour décider de la nécessité d’un transport sanitaire héliporté.
Le groupe Les Républicains est favorable au texte ainsi rédigé. Ses membres voteront donc en faveur de cette proposition de loi.
Toutefois, j’aimerais mentionner certains sujets sur lesquels m’ont alerté des professionnels de mon département, sujets qui n’ont pas été abordés dans cet hémicycle et qui devront être pris en compte dans la stratégie nationale d’utilisation du transport sanitaire héliporté. Je pense ainsi à la possibilité d’augmenter la capacité opérationnelle des hélicoptères du SAMU.
En effet, dans le service privé, il n’est aujourd'hui pas possible d’avoir recours à des moyens utiles, comme les jumelles de vision nocturne ou encore le treuillage. Ces moyens sont uniquement utilisés dans le service public, la gendarmerie et la sécurité civile. Avec le développement actuel et l’opérationnalité des services, il serait bien de fournir ces moyens au secteur privé ; cela simplifierait de nombreux secours. Ce sont des savoir-faire que les sociétés maîtrisent du fait des qualifications de leurs pilotes et des missions de secours à personne en montagne. De tels outils sont mis à leur disposition dans des pays voisins, comme la Suisse, depuis 1990, ainsi que l’Italie ou l’Autriche. Il est regrettable qu’ils ne soient pas exploités en France. En Haute-Savoie, alors que nous avons des domaines franco-suisses, notamment les Portes du Soleil, nous n’avons pas la même qualité de services de part et d’autre de la frontière ; c’est tout de même dommage.
L’importance du transport sanitaire héliporté pour les territoires de montagne, dont fait partie mon département, la Haute-Savoie, est incontestable.
Je saisis enfin l’occasion pour saluer tous les professionnels des secours en montagne, qui sont très fortement sollicités pendant la saison hivernale sur tous les domaines skiables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour le groupe du RDSE.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’aurais mauvaise grâce à ne pas remercier le rapporteur et, plus largement, la commission des affaires sociales, qui l’a suivi. Ses propositions s’inscrivent en effet directement dans la logique du rapport que Catherine Troendlé et moi-même avons commis voilà quelques mois. Son intitulé, Secours à personne : propositions pour une réforme en souffrance, dit assez clairement que beaucoup reste à faire si l’on entend vraiment déployer au mieux les potentialités de notre service public du secours à personne, lequel ne manque pas d’atouts.
Les maux dont il souffre sont d’abord l’imparfaite coordination des responsabilités entre des acteurs multiples, aux moyens financiers divers et, surtout, encore trop enfermés dans des logiques institutionnelles trop souvent élevées au rang de « culture ». D’ailleurs, à en juger par l’intervention de Mme la secrétaire d’État, ces acteurs ont de solides appuis au plus haut niveau…
Constatons notamment l’absence de liens institutionnels forts – les concertations ne sont pas des « liens institutionnels forts » – entre les trois principaux acteurs : le ministère de la santé qui a ses propres exigences, souvent d’ailleurs guidées par un souci d’économies, les services départementaux d’incendie et de secours, ou SDIS, et la sécurité civile. Pour couronner le tout, l’organisation théorique et réglementaire ne correspond que de loin à la réalité des rôles effectifs de chacun sur le terrain. Je reste à la disposition de ceux qui en douteraient.
On comprend donc que la proposition de confier la gestion des secours héliportés à un « service placé auprès du Premier ministre » intégrant l’ensemble des parties prenantes ne pouvait que nous satisfaire. Elle rejoint en effet, sur une question particulière, notre proposition générale d’instituer auprès du Premier ministre une « autorité responsable de l’application du référentiel portant sur l’organisation du secours à personne et de l’aide médicale urgente ».
Même à propos des seuls moyens héliportés, confier cette tâche au seul ministère de la santé à travers les ARS n’aurait été ni possible ni souhaitable vu le nombre d’acteurs à intervenir et, surtout, l’importance du rôle de la sécurité civile.
En effet, à ce jour, les SAMU et la sécurité civile, pour ne rien dire de la gendarmerie et des douanes, disposent chacun de moyens d’intervention héliportés propres, implantés et utilisés selon une logique leur appartenant.
Pour les Héli-SMUR, notons 45 appareils loués auprès d’opérateurs privés ; cela a été évoqué.
Pour la sécurité civile, relevons 35 hélicoptères EC145 équipés pour assurer des soins d’urgence. Ils sont capables d’intervenir en milieu difficile et la nuit, ainsi que de réaliser des hélitreuillages, ce qui est rarement le cas des appareils des Héli-SMUR.
Le secours à personne représente 80 % des missions de la sécurité civile. Cela donne une idée de la place qu’il occupe pour la sécurité civile ; ce n’est pas un passe-temps annexe. Cela se retrouve également pour les SDIS, bras terrestres du dispositif.
Comme cela a été rappelé, nous devons à l’Histoire le fait que les interventions de secours en haute montagne, qui font largement appel à l’hélicoptère, soient assurées par la gendarmerie.
Mettre en place une coordination entre les intervenants potentiels par une autorité extérieure aux intérêts et routines des acteurs, mais tenant compte des réalités de terrain et des solutions mises au point localement est d’autant plus nécessaire que cette autorité pourra alors décliner une doctrine globale du déploiement du service public du secours à personne garantissant qu’aucun point du territoire ne sera oublié.
C’est en tout cas ainsi que j’interprète le deuxième alinéa de l’article unique de la proposition de loi : « Ce service établit les règles d’implantation des appareils afin de garantir une couverture optimale du territoire et un accès aux services d’urgence en moins de trente minutes. »
Une autre disposition de la proposition de loi rejoint les préoccupations figurant dans notre rapport : considérer les moyens d’intervention dont on dispose, terrestres et aériens, comme un tout, en laissant – en tout cas, je l’interprète ainsi – le soin à la régulation de décider quel est le vecteur le mieux approprié dans chaque situation particulière.
Ainsi avons-nous proposé la généralisation, sur l’ensemble du territoire, de plateformes communes d’appel 15-18. Sans confondre les compétences et les responsabilités de chacun des acteurs, notamment celles des médecins régulateurs en matière de diagnostic et de soins, cela permettrait l’élaboration d’une culture commune en matière d’urgence et, surtout, l’utilisation au mieux des moyens disponibles.
J’en viens aux moyens héliportés. À nos yeux, compte tenu de son expérience et de sa capacité à mobiliser des moyens extérieurs en cas de catastrophe, l’échelon territorial de mutualisation et d’emploi « le plus adapté », pour reprendre les termes de la proposition de loi, est la zone de défense.
Autant dire que cette proposition de loi, dont j’espère qu’elle pourra continuer sa route, vient à point pour rappeler que, dans les territoires ruraux et les îles bretonnes, l’hélicoptère reste le seul moyen permettant de répondre aux cas les plus graves, ceux pour lesquels les délais d’acheminement jusqu’au centre où ils pourront être traités sont décisifs. C’est aussi cela, « l’égalité réelle ».
La concentration des moyens médicaux dans les villes, au nom de la qualité des plateaux techniques et de l’efficacité des soins, serait une tromperie si seuls les citadins pouvaient en bénéficier. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Yves Roux. Je remercie très sincèrement Alain Bertrand et les membres du groupe du RDSE, auteurs de la présente proposition de loi, d’avoir mis en lumière le quotidien de nombreux ruraux et montagnards : le transport sanitaire héliporté.
Comme l’ont très justement fait remarquer les précédents orateurs, cette proposition de loi répond à deux enjeux majeurs, auxquels je ne peux qu’être sensible : faire progresser l’accès réel à un hôpital à moins de trente minutes du lieu de prise en charge de l’urgence sanitaire ; améliorer la coordination des transports sanitaires héliportés.
L’accès de la population à des soins de premiers secours en moins de trente minutes était et demeure une priorité du Gouvernement. Il s’agissait de l’un des engagements du pacte territoire-santé 1, lequel a, à ce titre, été reconduit dans le cadre du deuxième pacte territoire-santé. Je suis heureux que cet objectif, indispensable à une politique d’aménagement du territoire efficace, ait commencé à se traduire dans les faits. Je suis pour autant très attentif à ce que cet objectif puisse reposer sur un diagnostic plus précis, prenant en compte la topographie des territoires, les variations de populations, mais aussi la totalité des acteurs du transport sanitaire héliporté, disponible et formé.
Le transport sanitaire héliporté revêt ainsi une signification toute particulière en montagne, en milieu rural et dans les îles. Je crois utile de le rappeler, en montagne, la distance moyenne pour accéder à un SAMU ou un SMUR est de vingt-sept kilomètres, soit trente à quarante-cinq minutes par la route, contre quinze à trente-cinq minutes par hélicoptère.
Certains départements, comme le mien, les Alpes-de-Haute-Provence, sont particulièrement concernés. La prise en charge de l’urgence sanitaire et l’objectif d’accessibilité à moins de trente minutes passent donc nécessairement par l’hélicoptère.
Nous disposons à ce jour de nouveaux outils législatifs et réglementaires pour prendre en compte les spécificités territoriales et affiner les implantations de moyens en conséquence.
L’instruction du 24 novembre 2016 relative à l’actualisation du diagnostic des populations situées à plus de trente minutes d’un accès aux soins urgents a donné aux ARS la mission d’« actualiser le diagnostic pour 2015 et 2016 des populations situées à plus de trente minutes d’un accès aux soins urgents et de mesurer les progrès effectués. » Le diagnostic final est attendu pour la fin du premier semestre de cette année.
En parallèle, la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne a introduit la possibilité pour les ARS de compléter plus précisément cette évaluation. L’article 1434-3 du code de la santé publique précise que le schéma régional de santé « comporte, le cas échéant, un volet consacré aux besoins de santé spécifiques des populations des zones de montagne, notamment en termes d’accès aux soins urgents et d’évacuation des blessés, et tenant compte des spécificités géographiques, démographiques et saisonnières de ces territoires. »
À n’en pas douter, la stratégie nationale de transport sanitaire héliporté que les auteurs de la présente proposition de loi appellent de leurs vœux devrait tirer le plus grand bénéfice de ces diagnostics réactualisés.
J’en viens à la coordination des moyens mis en œuvre. Je crois effectivement efficace de privilégier non une mutualisation, mais une véritable coordination, permettant d’agir en complémentarité des savoir-faire comme des équipements.
À ce titre, l’ARS ne me paraît pas le seul échelon pertinent pour aboutir, en temps normal comme en temps de crise sanitaire grave, à la mise en place d’une stratégie de transport héliporté pleinement opérationnelle.
Vous me permettrez, mes chers collègues, de regretter ainsi que le rôle des acteurs de la sécurité civile ne soit pas mieux identifié et n’ait pas fait l’objet d’auditions plus poussées.
La sécurité civile, dont il faut louer la très grande technicité et la parfaite connaissance des territoires, est en effet indispensable à la mise en œuvre de stratégies territoriales de transport sanitaire par hélicoptère pleinement efficientes.
Les hélicoptères de la sécurité civile peuvent très bien réaliser des missions de secours à personne. Mais, inversement, les hélicoptères SAMU ne peuvent pas effectuer de missions de secours, à plus forte raison de secours complexe : durant la nuit, pendant des périodes d’intempéries météorologiques, par exemple.
En effet, même si ces missions ne sont pas les plus nombreuses « quantitativement », elles sont fondamentales. Seuls les hélicoptères de la sécurité civile et de la gendarmerie peuvent les réaliser.
De la même manière, la sécurité civile et l’armée sont en première ligne en cas de drame sanitaire de grande ampleur. Mon département a malheureusement été le théâtre du crash de la Germanwings qui a mobilisé, durant de nombreux jours, tous les acteurs de secours en montagne, à une très grande échelle, bouleversant aussi le recours plus quotidien au transport sanitaire héliporté.
Il y a donc, je le crois, nécessité de mieux prendre en compte ces savoir-faire, comme la spécificité des flottes utilisées, dans la mise en œuvre des futurs schémas d’implantation territoriale de transport sanitaire par hélicoptère.
La coordination de deux directions, l’une relevant de l’organisation des soins, l’autre de la sécurité civile, avec, en cas de besoin, un commandement bicéphale, me paraît dans ce contexte plus pertinente.
Enfin, une plus grande efficacité de la coordination du transport sanitaire héliporté passera aussi nécessairement par un accès suffisant et itinérant à la téléphonie mobile, y compris dans les territoires les plus isolés. C’est une bataille que nous devrons mener en parallèle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Républicains.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons ce soir, sur l’initiative d’Alain Bertrand, de Jacques Mézard et des membres du groupe du RDSE, concerne un aspect important du dispositif sanitaire en France.
L’objet de ce texte est de mettre en place une stratégie nationale d’utilisation du transport sanitaire héliporté, ce qui doit permettre une prise en charge homogène, sur tout le territoire, de l’urgence sanitaire en moins de trente minutes.
Permettez-moi de vous rappeler le fonctionnement de la prise en charge de l’urgence ; certes, vous devez bien le connaître à présent. (Sourires.)
Le service d’aide médicale urgente, ou SAMU, est le centre de régulation où sont gérés les appels du 15, provenant d’un proche, du médecin traitant, des pompiers ou de l’ambulancier. C’est le médecin régulateur qui va, selon la gestion de l’appel, mettre en place les moyens pour prendre en charge l’urgence de la façon la plus adéquate possible pour la survie du patient. Le médecin régulateur, avec le médecin traitant ou les pompiers, dira, en fonction de certains critères – tension artérielle, état de la conscience, oxygénation du sang, glycémie… –, s’il est possible de transporter la personne concernée par ambulance ou véhicule de secours aux asphyxiés et aux blessés, le VSAB, quitte à appeler en cas de problème, ou s’il faut ordonner un Héli-SMUR.
Le service mobile d’urgence et de réanimation, ou SMUR, est une équipe composée d’une voiture avec pilote, d’un médecin urgentiste et d’une infirmière urgentiste. Cette équipe intervient au domicile du malade ou du blessé ou va à la rencontre de l’ambulance ou du VSAB des pompiers à un endroit du trajet défini préalablement.
Si le blessé ou le malade est dans un état très grave, avec des présomptions de dégradation des fonctions vitales rapide, en fonction des critères transmis, le médecin régulateur décidera d’envoyer un Héli-SMUR, service mobile d’urgence et de réanimation par hélicoptère. Dans ce cas, en milieu rural notamment, mais pas seulement, cela représente 25 % des transports en hélicoptère ; c’est la mission primaire. Les 75 % restants sont faits entre un hôpital secondaire et un CHU pour assurer la prise en charge d’un malade dans un service spécialisé.
Le transport en hélicoptère est donc bien géré par le médecin régulateur. Ce mode de transport peut être capital en zone rurale ou hyper-rurale, c’est-à-dire dans les territoires isolés, d’accès difficile, pour des blessés ou des personnes souffrant de maladies graves.
Pour un AVC, une intervention en neurologie doit avoir lieu dans les trois heures. En cas de polytraumatisme, la vie du malade est en jeu, avec une hémorragie interne. Je pourrais également évoquer les cas d’infarctus ou de décompression cardio-respiratoire. Quelquefois, il peut s’agir d’un choc anaphylactique dû à une piqure de guêpe, de la simple ingestion de médicaments ou d’un aliment, ou encore d’une septicémie. Si le SAMU ou l’hélicoptère arrivent, le malade va être sauvé par une simple injection d’adrénaline.
L’utilisation de l’hélicoptère peut permettre de sauver une personne. Les trente minutes peuvent effectivement être un objectif, mais c’est surtout en fonction de la difficulté de la route, de la gravité extrême du cas en cause et de la décompensation rapide pouvant entraîner le décès que les actions lourdes, comme le recours à l’hélicoptère, vont être engagées.
J’ai évoqué l’emploi de l’Héli-SMUR en zone hyper-rurale, mais le cas peut aussi se présenter dans les grandes métropoles.
Comment mettre en place ce transport par hélicoptère sur tout le territoire ?
Dans son article unique, le texte initial de la proposition de loi prévoyait que l’ARS contrôlait « les transports sanitaires héliportés au même titre que tous les autres moyens de la santé notamment en termes d’implantation, de fonctionnement, de financement et de qualité des soins. » C’est la préconisation du professeur Pierre Carli. Il s’agit effectivement d’une solution pour que tous les territoires de la République soient desservis.
Mais, dans son rapport adopté par la commission des affaires sociales, le rapporteur, Gilbert Barbier, homme sage et d’expérience, indique : « On estime en effet que près de la moitié des hélicoptères de la sécurité civile sont en pratique employés pour des activités de transport sanitaire. Ce sont des appareils plus polyvalents avec des pilotes hautement entraînés et habilités notamment au vol de nuit. »
Par conséquent, comme cela a été dit par de nombreux orateurs, la solution d’une gestion des Héli-SMUR par les ARS aboutirait à transférer une part importante des hélicoptères de la sécurité civile aux SAMU. C’est cohérent sur le plan sanitaire, mais très difficile à mettre en place sur le terrain. Gilbert Barbier préconise la solution proposée par Catherine Troendlé et Pierre-Yves Collombat dans leur rapport d’information fait au nom de la commission des lois : mutualiser tous les hélicoptères de la sécurité civile et ceux de la santé au moyen d’un service unique rattaché au Premier ministre. La gestion serait effectuée à l’échelon régional.
L’objectif est le même que celui de la proposition de loi initiale : assurer un maillage territorial et garantir l’accès des malades aux urgences le plus rapide possible. J’ai donc voté en faveur de l’amendement proposé par Gilbert Barbier et adopté majoritairement par la commission.
Mes chers collègues, les Français doivent être égaux en matière de soins comme ils le sont en droit, quel que soit le territoire sur lequel ils demeurent. Je voterai évidemment pour l’article unique de cette proposition de loi, amendé par la commission. L’objectif est de garantir le plus vite possible la répartition équitable du transport sanitaire héliporté sur l’ensemble du territoire de la République.
C’est un maillon essentiel de la prise en charge de l’urgence, certes, en milieu urbain, mais aussi, et surtout, en milieu rural. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à mettre en place une stratégie nationale d'utilisation du transport sanitaire héliporté
Article unique
Les hélicoptères affectés aux structures mobiles d’urgence et de réanimation et ceux affectés aux missions de sécurité civile font l’objet d’une gestion mutualisée par un service placé auprès du Premier ministre.
Ce service établit les règles d’implantation des appareils afin de garantir une couverture optimale du territoire et un accès aux services d’urgence en moins de trente minutes.
L’emploi des appareils est décidé au niveau territorial le plus adapté en coordination avec les possibilités de transports terrestres, en fonction des règles et contraintes de sécurité de la circulation aérienne et dans le respect des compétences des médecins régulateurs des services d’aide médicale urgente.
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à mettre en place une stratégie nationale d’utilisation du transport sanitaire héliporté.
(La proposition de loi est adoptée. – Applaudissements.)
M. Alain Bertrand. Merci à toutes et à tous !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Faut-il supprimer l’École nationale d’administration ?
Débat organisé à la demande du groupe du RDSE
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du RDSE, sur le thème : faut-il supprimer l’École nationale d’administration ?
La parole est à M. Jacques Mézard, orateur du groupe auteur de la demande.
M. Jacques Mézard, au nom du groupe du RDSE. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat dont nous avons demandé l’inscription à l’ordre du jour du Sénat pourrait être considéré comme un « marronnier », comme on dit dans le jargon journalistique. Je pense pour ma part qu’il est de ces débats particulièrement utiles, même si nous ne sommes pas très nombreux ce soir. La qualité pallie la quantité !
En 1936, un projet de loi défendu par Jean Zay prévoyait la création d’une nouvelle école nationale d’administration,…
M. Jean-Pierre Sueur. C’est bien de parler de Jean Zay !
M. Jacques Mézard. Mon cher collègue, si un radical ne le faisait pas, ce serait à désespérer !
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut lui rendre hommage !
M. Jacques Mézard. Il s’agissait pour lui de mettre fin à une situation obligeant l’État « à recruter ses principaux serviteurs dans une classe privilégiée restreinte dont les intérêts et les sentiments peuvent ne pas coïncider avec ceux de l’ensemble de la nation ».
La question du recrutement d’une élite administrative est légitime. Elle intéresse le Parlement autant que le Gouvernement, compte tenu de la part importante que représente le recrutement dans les dépenses publiques et surtout de l’influence de ses modalités sur la conduite de la politique de la Nation.
Cette question n’a d’ailleurs cessé de jalonner les débats parlementaires, y compris sous la IIIe République. Dès le début du XXe siècle, alors que le recrutement par concours s’impose progressivement, on s’interroge sur la possibilité d’en finir une bonne fois pour toutes avec l’impression de cooptation que donnaient certaines pratiques de recrutement opaques. Il s’agit de doter la République d’un système de recrutement sur concours, sanctionnant uniquement le mérite du candidat, en rupture avec les réseaux de recrutement hérités des précédents régimes et du Second Empire.
À la Libération, l’ENA est créée sous l’impulsion de Michel Debré. Elle a depuis formé nombre de personnalités éminentes de la République, dont trois Présidents de la République et de nombreux ministres.
Mme Corinne Bouchoux. Et des sénateurs !
M. Jacques Mézard. Bien évidemment !
Aujourd’hui, plus de soixante-dix ans après sa création, il est assez déstabilisant de remarquer que plusieurs des critiques de l’ancien régime de recrutement des hauts fonctionnaires demeurent malheureusement d’actualité.
Les critiques ont surgi très tôt puisque, dès 1967, Jacques Mandrin – alias Jean-Pierre Chevènement, Didier Motchane et Alain Gomez –, dans un ouvrage intitulé L’Énarchie ou les mandarins de la société bourgeoise, écrivaient : « L’activité inlassable et gourmée de tant d’anciens bons élèves munis d’autorité commence cependant d’effrayer. Le pays avait eu, il y a trente ans, le cauchemar de la Synarchie, mais elle n’existait pas. Il découvre l’Énarchie, elle existe bel et bien. Il en ressent l’effroi d’un honnête homme qui se réveille ficelé par des brigands. » Nous reconnaissons là le tempérament de notre ancien collègue Jean-Pierre Chevènement…
Mes chers collègues, vous le savez, il ne s’agit pas de faire un procès aux grandes écoles françaises, qui sont pour la plupart aussi prestigieuses que performantes dans la production de nos élites – je pense à l’École polytechnique ou à l’École normale supérieure, pour ne citer qu’elles. Il faut en effet se souvenir que la guerre de 1914-1918 a été gagnée par des généraux polytechniciens…
L’absence de diversité dans le recrutement de l’ENA ne fait plus de doutes, même s’il y a bien sûr d’heureuses exceptions. Elle pose un sérieux problème de légitimité et d’acceptation de la décision produite par notre administration. L’ENA jouit d’un quasi-monopole pour la formation des cadres supérieurs de la fonction publique étatique, mais ses élèves ne sont pas assez représentatifs de l’ensemble de la Nation. On estime ainsi que près de 28 % des membres des grands corps de l’État auraient au moins un parent énarque. Cela fait tout de même beaucoup ! Comme en attestent les rapports annuels consacrés aux concours de recrutement de l’école, les grandes écoles parisiennes y sont surreprésentées, au premier rang desquelles Sciences Po Paris. La reproduction sociale fonctionne ici à plein régime…
Il semble au contraire demeurer une défiance envers le monde universitaire, qui s’étend du recrutement de la catégorie A+ à celui de la catégorie A. La possibilité d’offrir aux titulaires d’un doctorat une voie d’accès au concours interne sur titre a finalement été abandonnée en mars 2013 sous l’effet d’un certain nombre de pressions.
Il existe donc une lente éviction sociale et territoriale qui commence de plus en plus tôt, puisque les formations préparatoires plébiscitées par le jury de l’ENA recrutent majoritairement dans le bassin parisien, pour ne pas dire dans quelques arrondissements parisiens bien précis. Certains parents choisissent même leur logement en fonction de la proximité des lycées les plus prestigieux, Saint-Louis ou Henri-IV.
La formation dispensée à l’ENA pose également un certain nombre de problèmes : elle fabrique trop de hauts fonctionnaires stéréotypés, sur la forme et sur le fond. Lors de leur arrivée sur le terrain, ces derniers éprouvent souvent, à tort ou à raison, un sentiment de distorsion et d’inadaptation de leur formation à la réalité de leurs tâches quotidiennes. Le pire, c’est quand eux-mêmes ne se rendent pas compte de cette distorsion.
Les critiques énumérées par les anciens élèves de l’École rappellent évidemment celles qui ont été rapportées par l’historien et résistant Marc Bloch dans L’Étrange défaite : « Par deux fois, dans deux campagnes différentes, à plus de vingt ans d’intervalle, j’ai entendu des officiers brevetés dire de l’enseignement qu’ils avaient reçu : “L’École de Guerre nous a trompés.” »
La trop forte porosité entre la sphère publique et les sphères économique et financière est également problématique : c’est la question du « pantouflage ». Cette porosité est encouragée par les dispositions normatives actuelles, destinées à permettre une meilleure « respiration » de la haute fonction publique, dont les membres peuvent se mettre en disponibilité. Plusieurs enquêtes de la direction générale de l’administration et de la fonction publique, la DGAFP, font état de la grande mobilité des fonctionnaires de la catégorie A+, qui est plus importante que celle des autres fonctionnaires.
Quant aux anciens élèves de l’école qui se lancent dans des carrières politiques, ils devraient eux aussi être soumis à l’obligation de rembourser leurs frais de scolarité. Un délai de carence devrait leur être imposé avant de pouvoir se présenter à des élections. Les anciens élèves entrés en politique partagent d’ailleurs une méfiance héréditaire envers le parlementarisme. On remarque en effet qu’ils sont souvent les plus prompts à proposer de restreindre drastiquement les pouvoirs du Parlement et, en particulier, à faire le procès du bicamérisme.
Il est regrettable que des dispositions néfastes à la démocratie représentative soient souvent instillées par la haute administration. Les hauts fonctionnaires veulent souvent diminuer le nombre de parlementaires, mais rarement les effectifs des directions ministérielles ! Actuellement, les règles concernant le contenu de l’engagement décennal et le remboursement éventuel des frais de scolarité font défaut. Qui en assure le contrôle ?
L’engagement décennal doit-il être considéré comme ayant été respecté lorsqu’un énarque est engagé prématurément dans un cabinet ministériel, par une administration européenne ou internationale, ou s’il se réoriente vers une carrière universitaire ? Puisque de nombreux énarques sont également d’anciens élèves de l’École normale supérieure, l’ENS, ou de l’École polytechnique, comment est calculée, madame la ministre, la durée totale d’engagement attendue ? Enfin, dans quels délais ces remboursements sont-ils effectués ?
La haute fonction publique devrait se recentrer sur sa raison d’être : exécuter les décisions des élus de la Nation. Or on observe de plus en plus l’inverse !
Enfin, le poids des grands corps, en particulier du Conseil d’État, a des conséquences plus indirectes sur la vie de notre nation, comme j’ai eu l’occasion de le constater en ma qualité de rapporteur de la commission d’enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes. J’ai été frappé par le mépris affiché par certains présidents, certes, minoritaires, vis-à-vis de la représentation parlementaire.
L’inflation constante des directions centrales des ministères, la multiplication des autorités, agences et hauts conseils est une autre conséquence du poids des membres de ces grands corps, pour lesquels il faut parfois inventer des distinctions afin d’assurer leur avancement.
Enfin, et surtout, il en résulte une véritable « diarrhée réglementaire », au point qu’on a parfois le sentiment que la machine administrative a inventé le mouvement perpétuel.
Il est clair que, plus que pour toute autre, la pérennité de cette école repose sur sa capacité à intégrer ces critiques et à se réformer. Nous considérons qu’une telle réforme doit porter à la fois sur le recrutement, la formation et le cursus professionnel du haut fonctionnaire énarque.
Plusieurs pistes peuvent être explorées. En matière de recrutement, la possibilité d’aménager des passerelles avec le milieu universitaire pourrait être étudiée, car elle pourrait apporter un peu de diversité. La refondation des épreuves pourrait être approfondie en veillant à évaluer la capacité des candidats à répondre à une commande politique et en accordant moins de poids à l’épreuve de culture générale.
J’ai souvenance de questions ayant été posées à un certain nombre de mes amis de l’Université : « Quelle est la hauteur de la Seine à Paris ? » La réponse attendue est : « Sous quel pont ? » Ou encore : « Madame, pouvez-vous nous expliquer la différence entre pudeur, pudibonderie et pruderie ? » Ce moyen de sélection a atteint ses limites. Il engendre le plus de réponses stéréotypées et avantage très nettement les candidats « bien nés » disposant d’un fort capital culturel.
Pour conclure, madame la ministre, il faut rendre obligatoire le remboursement des frais de scolarité de ceux qui ne respectent pas leur engagement décennal, clarifier les règles de remboursement et fixer des délais précis. Il s’agit de s’assurer que la devise de l’École demeure « Servir sans s’asservir » – et non « se servir ». Le diplôme de l’ENA ne doit plus être considéré par quelques jeunes étudiants aussi brillants qu’ambitieux comme un ticket d’entrée dans une carrière politique accélérée, ou encore comme un moyen de parvenir au sommet de la direction d’une grande entreprise du CAC 40.
Faire l’ENA, c’est d’abord être animé par le sens de l’État, c’est vouloir servir son pays en assistant le pouvoir politique, le seul qui bénéficie de la légitimité démocratique de l’élection, celle-là même qui lui permet de décider et d’assumer en responsabilité.
Il s’agit donc, madame la ministre, non de supprimer l’ENA, mais de la réformer. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mes collègues du groupe du RDSE et leur président, M. Jacques Mézard, d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour du Sénat.
Le thème de ce débat – « Faut-il supprimer l’École nationale d’administration ? » – pose en fait deux questions distinctes.
La première porte sur la pertinence d’un cadre commun de formation de nos hauts fonctionnaires. Pour répondre à cette question, il faut en revenir aux origines de l’ENA et à ses fondateurs, Michel Debré, mais aussi Maurice Thorez.
À la source de la réflexion de ces deux hommes se trouvent les projets non aboutis d’Hippolyte Carnot et de Jean Zay qui, pour harmoniser et unifier les procédures de recrutement des différentes administrations, d’une part, et pour lutter contre le corporatisme inhérent à des cercles fermés, d’autre part, avaient eu l’idée de créer une procédure de recrutement et de formation unique. La démission pour l’un, le rejet du Sénat pour l’autre ont conduit au maintien d’un système dans lequel chaque corps s’organisait librement.
Outre ces enjeux, se posait la question de la démocratisation de la haute fonction publique, sur la base d’une méritocratie républicaine et d’une égalité de fait entre classes dominantes et classes populaires. Au fond, c’était l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’il s’agissait de mettre en œuvre.
Par ailleurs, il faut aussi se rappeler le contexte de la création de l’ENA : notre pays était alors ravagé tant matériellement que moralement, notre administration avait failli à sa tâche et renoncé à ses valeurs supposées en détournant sciemment le principe de neutralité de la fonction publique pour se dédouaner des actes inhumains commis par le régime de Vichy et les forces d’occupation.
La création de l’ENA devait clairement permettre de faire émerger une nouvelle génération de hauts fonctionnaires, issus de tous les horizons, et pour qui les valeurs républicaines n’étaient pas juste un prétexte pour se dédouaner. Cette mission, c’est Thorez et Debré qui l’acteront, mais c’est tout le Conseil national de la Résistance qui l’initiera.
La seconde question qui est posée est celle de l’accomplissement de cette mission par l’ENA aujourd’hui. À cette question, la réponse est forcément négative, et ce pour plusieurs raisons.
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, dès les années soixante, avaient constaté que le projet émancipateur de l’ENA avait été biaisé et ne servait finalement qu’à la perpétuation des élites. Plus qu’une catégorie ou une classe, le monde de l’énarchie est devenu une caste se perpétuant de génération en génération. Ainsi, les « camarades de classe à l’école » deviennent « copains de promo à l’ENA » pour reprendre les termes des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Cette reproduction sociale repose sur deux éléments.
Le projet de Thorez et Debré devait, pour fonctionner, s’appuyer sur une école républicaine égalitaire, l’institution scolaire devant gommer les inégalités de capitaux au lieu de les creuser. Or, comme le rappelait le Conseil national d’évaluation du système scolaire en septembre dernier, la France reste la championne des inégalités à l’école parmi les pays de l’OCDE. De fait, la mise à mal de l’égalité républicaine dans le domaine scolaire, couplée au concours particulièrement ardu de l’ENA, permet à la seule élite d’y accéder, car elle y est mieux préparée depuis la maternelle. Pour ma part, j’ai essayé, mais j’ai échoué…
Par ailleurs, et c’est le second élément, le vivier de recrutement de l’ENA se limite peu ou prou à deux écoles elles-mêmes particulièrement élitistes, Polytechnique et Sciences Po. Même si cette dernière a, par le biais des conventions d’éducation prioritaire, tenté d’ouvrir plus largement ses portes, il n’en demeure pas moins que le nombre de boursiers du 27 rue Saint-Guillaume n’atteint pas le tiers des élèves et que 65 % des étudiants sont issus des catégories socioprofessionnelles les plus élevées. Ces derniers représentent 82 % des nouvelles entrées à l’ENA…
La situation s’est aggravée du fait de la suppression, en 1990, de la troisième voie, ouverte aux dirigeants associatifs et syndicaux, créée par Anicet Le Pors en 1983. Il s’agissait pour ce dernier de créer ce qu’il appelle « l’élitisme de masse ». La troisième voie devait permettre le strict respect du principe d’égale admission aux emplois publics de tous les citoyens. La pleine signification du projet d’Anicet Le Pors était la promotion aux plus hauts niveaux de l’administration de citoyennes et de citoyens de qualité, ayant fait la preuve de leur attachement au service public dans des activités qualifiées antérieures, issus pour la plupart des couches populaires. Croyez-moi, j’en connais qui ont réussi l’ENA grâce à cette troisième voie.
La situation de l’ENA aujourd’hui, mélange d’homogénéité et de reproduction sociale, a des conséquences qui, en définitive, rejaillissent sur l’ensemble de l’administration et sur l’État.
Tout d’abord, comme le montre Luc Rouban dans son étude sur les profils et trajectoires des énarques, les lignes entre le politique et l’administratif se sont brouillées depuis le début des années quatre-vingt. Il y a plusieurs raisons à cela, plutôt logiques d’ailleurs.
D’une part, il ne faut pas oublier qu’une partie des énarques se sont lancés en parallèle en politique. De fait, leur pouvoir de nomination leur a permis de s’appuyer sur des gens de confiance pour mener leur action. Et qui d’autre que les fameux « copains de promo » pour le faire ?
D’autre part, la technocratisation progressive de la politique a permis dans bon nombre de cas le renforcement de liens sur des fondements techniques et non idéologiques. Cette logique pouvait s’entendre lorsque les sphères politiques et administratives étaient étanches. Or il y a bien longtemps que la haute administration fait de la politique. Qui peut dire aujourd’hui que les rapports d’éminents technocrates ne sont pas politiques ?
Il est d’ailleurs à noter que les nouveaux énarques semblent souffrir des mêmes maux, comme le relevaient les membres du jury d’admission à l’ENA en 2015 : « absence de sens critique », « incapacité de prise de hauteur » et « conformisme idéologique ». Et le profil des élèves admis à l’ENA, qui ont plutôt fait des écoles de commerce que des études de droit, ne peut qu’aggraver le problème. On se retrouve bien souvent avec des hauts fonctionnaires ayant un profil de gestionnaires privés bien plus que de cadres attachés au service public.
Enfin, j’aborderai la question du pantouflage.
Il est regrettable que le Conseil constitutionnel, composé pour moitié d’énarques, ait censuré le transfert à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique du contrôle des départs vers le secteur privé des très hauts fonctionnaires et membres de cabinet. C’est en effet aujourd’hui une constante : les dix ans d’engagement au service de l’État et de l’intérêt général exigés des énarques en contrepartie de la gratuité de la formation ne sont que rarement accomplis. À titre d’exemple, Bruno Bézard, mais il est loin d’être le seul, a quitté la direction générale du Trésor pour rejoindre un fonds d’investissement franco-chinois, Cathay Capital.
Il s’agit là d’une bataille démocratique d’importance dans laquelle le groupe CRC est profondément engagé, comme en attestent nos multiples interventions lors de l’examen de la loi Sapin II, ainsi que les amendements que nous avons déposés sur ce texte.
Reproduction des élites et homogénéité idéologique ont donc conduit à l’appauvrissement de la haute fonction publique, et donc des serviteurs de l’intérêt général, d’une part, et à des pratiques particulièrement douteuses de copinage entre les membres de cette caste, d’autre part.
Certes, il est indispensable d’avoir une école pour former les hauts fonctionnaires, mais il est essentiel de revenir aux fondements de l’ENA et de mener une réforme particulièrement profonde pour permettre sa démocratisation. Il s’agit de faire de cette école un outil d’émancipation et de formation des plus hauts serviteurs de l’État, et donc des services publics. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’écrivait Marc Bloch, dont la loyauté à la République est indiscutable : « À une monarchie, il faut du personnel monarchique. Une démocratie tombe en faiblesse, pour le plus grand mal des intérêts communs, si les hauts fonctionnaires formés à la mépriser […] ne la servent qu’à contrecœur ».
Le sens de l’État est la première qualité du fonctionnaire. Dans une démocratie, le président Mézard l’évoquait, le sens de l’État implique de respecter le principe démocratique et de se mettre au service du pouvoir élu. Malheureusement, cette qualité est l’une des plus difficiles à déceler au moment d’un concours. Elle ne se révèle en réalité qu’au cours d’une carrière, au travers des choix individuels du fonctionnaire, et se mesure à l’aune de sa propension à faire primer le bon fonctionnement de son service et de l’administration sur son destin personnel.
On peut toutefois considérer que le fonctionnement actuel de l’ENA et le statut spécifique de la catégorie A+ présentent des défauts susceptibles d’affaiblir le sens de l’État de certains anciens élèves de cette école, comme celui des fonctionnaires d’autres catégories.
Dans la continuité des constatations faites par Jacques Mézard, j’évoquerai la question des modalités d’affectation des énarques dans les différents corps, puis les difficultés managériales liées à l’imperméabilité de ces corps.
En premier lieu, l’opacité qui entoure l’affectation de sortie des énarques dans les différents corps de l’administration est un facteur initial de frustration. Actuellement, tous les candidats d’une même voie – interne, externe, troisième voie – sont soumis aux mêmes épreuves, ce qui permet de recruter de bons généralistes. Chaque élève reçoit la même formation, malgré la différence des postes accessibles à la sortie de l’école : conseiller de tribunal administratif, administrateur civil au ministère de l’agriculture, conseiller des affaires étrangères ou inspecteur général de l’administration…
La cérémonie de l’« amphi-garnison » qui clôture la scolarité à l’école, au cours de laquelle les élèves choisissent leur affectation successivement en fonction de leur rang de sortie, ne permet pas d’aiguiller les élèves vers les carrières les plus adaptées à leurs compétences. Un individu ayant une formation d’économiste pourra ainsi être nommé au Conseil d’État.
Surtout, la performance de l’élève au cours de ses deux années d’école et son classement final auront un impact très fort sur le déroulement de toute sa carrière. Cela explique pourquoi le classement est très contesté : il repose sur l’attribution d’une seule note, établie à partir des évaluations des maîtres de stage et des résultats aux épreuves de management subies lors du cursus.
Jusqu’à présent, la réforme de ce système de classement, qui ne fonctionne pas toujours très bien, n’a jamais abouti. On pourrait pourtant imaginer différentes solutions : les candidats pourraient choisir une épreuve majeure en fonction du corps qu’ils souhaitent intégrer lors du concours d’entrée ou l’affectation par classement pourrait se faire dès l’entrée à l’École, sur la base des notes obtenues au concours. La formation des élèves pourrait ainsi être calibrée en fonction de leur future affectation.
Saluons néanmoins l’ouverture accrue de l’École aux entreprises. Cela étant dit, peut-être ne serait-il pas inutile que les futurs administrateurs civils et magistrats puissent effectuer un stage au sein du Parlement ?
En second lieu, l’existence d’une catégorie A+ implicite et rigide cause de nombreuses difficultés managériales.
Tout d’abord, cette catégorie s’est imposée hors de tout cadre législatif, puisque la loi du 11 janvier 1984 ne prévoit que trois catégories distinctes : A, B et C. Elle a seulement été définie dans le rapport annuel 2009-2010 de la DGAFP.
Il s’agit d’un frein considérable à la promotion de la performance au sein de la fonction publique, puisque, à travail égal ou supérieur, un cadre de catégorie A ne pourra jamais parvenir à un niveau d’intéressement égal à celui d’un cadre de catégorie A+, sauf à repasser des concours internes.
Pourtant, en raison du maintien de concours d’accès parallèles pour des fonctions nécessitant une certaine spécialisation, on constate l’existence de différences de traitement substantielles entre un énarque et un autre fonctionnaire à des postes similaires. C’est notamment le cas au ministère des affaires étrangères, dans les tribunaux administratifs et les chambres régionales des comptes. Un alignement des grilles de traitement doit être envisagé, dans un souci d’équité.
De façon plus ambitieuse enfin, la différenciation de la catégorie A et de la catégorie A+ pourrait être repensée. Il faudrait dynamiser les outils de promotion interne qui doivent être fondés non seulement sur l’expérience, mais aussi sur la performance. Il faut approfondir le travail accompli dans ce sens depuis la remise du rapport Diefenbacher.
Ainsi, l’existence même de l’accès direct aux grands corps pourrait être remise en cause en s’inspirant du fonctionnement de l’ordre judiciaire. Il serait peut-être bon de réserver en partie l’accès au Conseil d’État, à la Cour des comptes et à l’Inspection générale des finances aux fonctionnaires ayant fait preuve de leurs mérites dans le long terme, et non pas seulement lors du concours initial.
En conclusion, cette refondation doit être conçue en parallèle d’une réflexion sur la lutte contre le pantouflage. La création de commissions de déontologie ne semble pas suffisante.
Vous l’aurez compris, il s’agit dans tous les cas de valoriser la carrière des hauts fonctionnaires démontrant sur le long terme leur sens de l’État, la première et la plus indispensable des qualités que le jury devrait s’employer à rechercher en priorité chez tous les candidats admissibles à l’ENA. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le thème de notre débat – « Faut-il supprimer l’École nationale d’administration ? » –donne l’occasion à la représentation nationale de se pencher sur une école dont tout le monde a entendu parler, et dont beaucoup de parents, souvent issus eux-mêmes de la fonction publique, rêvent pour leurs enfants, parce qu’elle est dans leur esprit synonyme de réussite.
Il suffit, en effet, de se pencher sur le parcours de certains des responsables politiques ou cadres supérieurs de diverses entreprises en vue pour constater que l’ENA fait partie des écoles dont sont issus, depuis la fin de la guerre, un certain nombre de dirigeants de notre pays.
À l’inverse - et c’est sans doute la contrepartie des rêves que l’ENA a pu susciter dans certaines familles ou certains milieux -, l’ENA est aussi l’une des écoles, voire l’école qui suscite le plus de regrets ou de déceptions : déception de ne pas avoir réussi le concours, regret de ne pas être sorti avec un classement permettant d’accéder directement à un grand corps, sentiment que les candidats issus de certains milieux socioprofessionnels ont plus de chances que d’autres d’y accéder, etc. Il y a toujours une bonne excuse à faire valoir.
Comme disait ma grand-mère : « il vaut mieux faire envie que pitié ». Il est donc tout à fait naturel que cette école, dont beaucoup de parents rêvent pour leurs enfants, fasse l’objet d’autant de critiques que de louanges.
Faut-il pour autant supprimer l’ENA ?
Si oui, par quoi la remplacer ? Plusieurs des orateurs précédents ont soulevé la question en ne souhaitant pas le retour au système antérieur.
Si non, comment l’améliorer et gommer les reproches qui lui sont adressés, avec lesquels je suis parfaitement d’accord ?
Quels sont donc les reproches que l’on entend le plus souvent ?
D’abord, celui de ne plus jouer le même rôle de démocratisation de l’accès à la haute fonction publique qu’à ses débuts. Alors qu’avant 1945 chaque filière de la fonction publique organisait son propre recrutement et avait naturellement tendance à puiser dans le même milieu socioprofessionnel de génération en génération, force est de constater que la création d’une école unique d’accès aux diverses responsabilités de la « haute fonction publique » a constitué un vrai rempart au népotisme qui prévalait parfois, et une vraie prime au travail et aux qualités personnelles des candidats par rapport à leur origine sociale ou politique.
Il n’y a pas que des fils de préfets ou de conseillers d’État qui entrent à l’ENA, et je crois pouvoir dire que j’en suis un des nombreux exemples, moi qui suis le fils d’un couple de petits agriculteurs n’ayant chacun que leur certificat d’études. J’étais d’ailleurs le seul fils d’agriculteur dans ma promotion. Peut-être était-ce un alibi pour l’ENA ? Je n’en sais rien.
Alors oui, si la création de l’ENA a constitué une sorte de rempart au népotisme et, de manière générale, à la politisation de l’administration publique qui existait à l’époque, force est cependant de constater un paradoxe, celui de la faible diversification de son recrutement.
Si l’on se réfère à une étude menée par deux chercheurs de l’École des hautes études en sciences sociales sur les années 1985 à 2009, on constate que les enfants de cadres représentent de l’ordre de 72 % des élèves de chaque promotion de l’ENA, suivis par 12 % d’élèves issus de la catégorie des professions intermédiaires, 9 % de familles d’agriculteurs ou artisans, et seulement 6 % de familles d’employés et d’ouvriers.
Il faut aussi constater que l’on observe peu ou prou les mêmes répartitions d’origines socioprofessionnelles à Sciences Po, à l’École normale supérieure ou à l’École polytechnique. Sans doute n’est-ce pas tout à fait ce que l’on attend de l’accession par concours à une école, quelle qu’elle soit. Cependant, le système du concours pour accéder à une formation ou à un poste reste, me semble-t-il, quelles que soient ses limites, le moins mauvais que l’on ait trouvé,…
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà !
M. Yves Détraigne. … d’autant plus que le nombre de postes ouverts au concours interne s’est rapproché de celui du concours externe, ce qui n’était pas du tout le cas à l’époque où j’ai passé le concours externe.
Alors, quelle solution face à cette sorte de « reproduction des élites » ? J’avoue ne pas avoir la réponse.
Un autre reproche est souvent adressé aux énarques, celui de peupler les cabinets ministériels et d’avoir une forte – certains diraient trop forte – influence sur les politiques qui sont menées par les divers gouvernements dans certains domaines, quelle que soit leur couleur politique.
Il est vrai que l’on fait parfois le même reproche à certains professionnels de l’éducation nationale s’agissant de la politique scolaire. Nul n’ignore que le ministère de l’éducation nationale est truffé d’enseignants et que, s’il est une branche dans la fonction publique où les syndicats, qui ne sont sans doute pas composés d’énarques, font la pluie et le beau temps ou presque, c’est bien l’éducation. Nous le savons tous, du moins tant que nous avons encore les pieds sur le terrain, ce qui sera sans doute moins le cas lorsque nous ne serons plus que sénateurs.
On touche là directement, je crois, à la responsabilité du politique. Suffit-il de remplacer un énarque par un autre dans un cabinet ou de remplacer un énarque par un non-énarque pour mieux régler ou régler différemment un problème ? Ce serait tellement simple si cela suffisait ! Et cela se saurait…
En tout état de cause, s’il est clair qu’un membre du Gouvernement est d’abord un politique, il est non moins clair qu’il a besoin de travailler avec des collaborateurs connaissant les rouages de l’administration. Et force est de reconnaître que, dans certains ministères, ce sont souvent des énarques qui occupent des postes à responsabilités parce que, précisément, les administrateurs issus de cette école sont ceux qui connaissent le mieux le fonctionnement interne et les moyens dont dispose l’État.
Dans certains ministères, les postes à responsabilités sont tenus par des magistrats ou des membres de l’éducation nationale, pour ne citer que ces deux exemples. Même problème, même solution ! Ces ministères sont-ils mieux gérés que ceux qui sont peuplés d’énarques et les politiques qu’ils mènent sont-elles plus efficaces ? Je ne me permettrai pas de répondre ni de dire ce que j’en pense.
Alors, quelles solutions, si l’on considère que l’ENA pose problème pour notre pays ? Supprimer cette école n’arrangerait rien. Nous avons besoin d’une haute fonction publique formée et préparée aux responsabilités. On peut toutefois penser à des améliorations, comme le fait de rendre plus professionnel et moins théorique l’accès au concours de l’ENA à partir d’un certain niveau de responsabilités et de donner peut-être une plus grande part, dans le choix de certains responsables, aux qualités managériales.
Peut-être convient-il également de renforcer les aspects pratiques de la formation à l’ENA, même si des avancées ont été faites, avec plus de missions concrètes et de séjours dans diverses entités déconcentrées ou décentralisées, dans des entreprises, des collectivités ou autres structures, dont les élèves seront éventuellement appelés ultérieurement à réglementer ou à superviser les activités ?
Peut-être aussi faut-il que les politiques fassent preuve d’une plus grande implication dans la préparation et la mise en œuvre des décisions relevant de leurs ministères et dont ils sont à l’origine ? Là, on rejoint le service après-vente – ou après vote, mais c’est la même chose –, expression que l’on entend parfois ici. Faisons-nous bien notre travail si nous votons, dans une loi, une décision de principe et si nous ne regardons pas la manière dont les administrations centrales la mettent en œuvre ? Là aussi, il y a quelque chose à faire sans qu’il soit nécessairement besoin de taper sur l’ENA.
Voilà, mes chers collègues, ce que je voulais vous dire, sans doute trop longuement, à propos de l’ENA, en osant, pour conclure, parce que le problème n’est pas simple à régler, paraphraser Churchill : l’ENA est pour l’administration publique la pire des formations, à l’exception de toutes les autres. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une scolarité déconnectée de la réalité, l’inadaptation du contenu des enseignements aux nouveaux enjeux du monde contemporain, l’obsession du classement, la responsabilité des élites dans la défiance envers les institutions politiques et administratives, les griefs formulés ici même à l’encontre de l’École nationale d’administration sont nombreux et nous interrogent. Je remercie donc très vivement le groupe du RDSE et son président, Jacques Mézard, d’avoir fait inscrire à notre ordre du jour ce débat sur la nécessité de supprimer ou non l’ENA.
Si la manière dont sont recrutés et formés les hauts fonctionnaires, et plus généralement même l’existence des grands corps de l’État, ne nous donne pas satisfaction, ces questions doivent être réglées.
Le recrutement des énarques pose la question de savoir qui sont nos élites. Le constat est édifiant, cela a été dit par tous les orateurs : ces dernières sont majoritairement masculines, alors que les filles réussissent plutôt mieux à l’école, issues des mêmes milieux sociaux et des mêmes écoles. Cette absence totale de diversité n’est absolument pas en adéquation avec les besoins de notre société : nous avons besoin de hauts fonctionnaires qui doutent, à même d’innover, de préparer l’avenir. Le fait de réussir brillamment un concours très difficile à l’âge de 21 ans ne prédispose pas forcément au doute ni à l’innovation.
Le système actuel comprend tout de même des moyens de diversifier la haute fonction publique, avec le troisième concours s’adressant aux actifs du secteur privé, aux élus et aux responsables associatifs. Il faudrait développer cette troisième voie et mettre en place un réel statut de l’élu. Ainsi, l’ENA pourrait être une voie permettant de diminuer le nombre de mandats et la durée de vie en politique ; elle serait ainsi plus vertueuse.
Un autre levier pourrait être trouvé en privilégiant davantage le concours interne, destiné aux fonctionnaires. Il faudrait recruter plus de fonctionnaires expérimentés, avec une plus grande diversité. En plus de diversifier le profil des lauréats, même si cela ne répond pas à la question de l’hypermasculinité de l’école, cela permettrait de favoriser les retours d’expérience et les échanges.
Développer la diversification, cela passe aussi par l’éducation pour lutter contre l’autocensure, évoquée par la présidente Assassi, qui explique aussi que les jeunes issus de milieux modestes ou les femmes tentent moins d’entrer à l’ENA. La promotion qui a effectué sa rentrée au mois de janvier 2016 illustre cette absence de diversité. Parmi les lauréats, on ne compte qu’un quart de femmes, ce qui est un défi intellectuel, celles-ci réussissant beaucoup mieux que les hommes dans toutes les filières du supérieur,…
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Corinne Bouchoux. … et 70 % des admis du concours externe sont issus de Sciences Po Paris.
L’évolution de notre haute fonction publique passe également par la formation initiale et continue des énarques. Le mouvement enclenché en 2016 est encourageant : il était temps ! Des changements importants ont été engagés depuis cinq ans, afin d’axer davantage la scolarité sur les relations humaines, d’offrir plus de stages dans des milieux variés.
Demain, les hauts fonctionnaires auront vocation à exercer des missions extrêmement difficiles, à répondre à des questions essentielles, et il est nécessaire de développer plus encore la prévention des conflits d’intérêts, la formation à la gestion des conflits dans une société toujours plus conflictuelle, mais aussi l’intelligence émotionnelle, qui n’est pas enseignée à l’ENA, ce qui explique sans doute une partie des problèmes rencontrés. Autrement dit, il faudrait apprendre à nos énarques à mieux connaître leurs émotions et celles des autres, afin d’améliorer leurs capacités relationnelles.
Surtout, il nous paraît primordial d’ancrer l’École nationale d’administration à l’université.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est juste !
Mme Corinne Bouchoux. Nous défendons l’idée selon laquelle les énarques doivent s’initier à la recherche, être formés à l’université avec les élites scientifiques. Nous sommes le seul pays au monde à compter si peu de docteurs parmi nos élites, ce qui est incompréhensible aujourd’hui. Les énarques sont brillants, mais ils doivent aussi se confronter aux sciences dures et à la recherche. Face aux évolutions technologiques de notre société, il n’est plus possible que nos élites s’affranchissent de la formation par la recherche et à la recherche.
Pour illustrer mon propos, j’évoquerai la question de l’open data, qui fut très bien comprise, lors de la préparation de la loi Lemaire, par quelques jeunes énarques issus de la génération geek. L’exercice s’est avéré un véritable calvaire pour les autres et, du coup, pour les rédacteurs de la loi, faute de partager le même langage, malgré la bonne volonté de tous.
Bien évidemment, ce nouveau rôle de l’université dans la formation des énarques ne devrait pas se faire au détriment des moyens alloués à l’université. Les énarques, principalement issus de milieux privilégiés, pourraient percevoir un traitement légèrement minoré, les crédits correspondants étant attribués à l’université. Par ailleurs, l’université de Strasbourg, proche de l’Allemagne, formerait plus de bilingues ; tout cela irait dans le bon sens.
Nous ne proposons donc pas de supprimer l’ENA, dont les travers ont été signalés. Celle-ci forme des têtes bien faites, des personnes à haut potentiel qu’il convient d’intégrer à l’université, de confronter à la recherche et de mélanger aux élites scientifiques de notre pays.
Enfin se pose la question du pantouflage. Il faut que les énarques connaissent l’entreprise privée, son fonctionnement, ce qu’est la compétitivité. Pour autant, des abus ont été constatés depuis dix ans, choquant nos concitoyens, en dépit de toutes les commissions qui s’efforcent d’être vertueuses.
Vous l’aurez compris, plus qu’une suppression pure et simple, qui n’aurait pas vraiment de sens, un pays ayant besoin d’élites, nous proposons une réforme d’envergure : l’ENA à l’université, avec l’université. Que tout le monde essaie de parler l’allemand, regarde ce qui se passe en Allemagne et cela n’ira pas plus mal ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord rendre hommage aux très nombreux anciens élèves de l’École nationale d’administration que j’ai pu rencontrer dans des préfectures, des ministères, des établissements publics et qui m’ont souvent frappé par leur haut sens de l’intérêt public et du service public. Il y a tellement de « marronniers », comme l’a dit Jacques Mézard, consistant à imputer à cette école quelques-uns des maux de la société qu’il faut aussi rendre hommage à ceux qui ont créé cette école, inspirée de la Résistance et du gaullisme social, afin de donner à notre pays les cadres de la fonction publique qui lui étaient nécessaires.
Je ne voudrais pas que l’on fasse finalement une erreur de raisonnement, qui serait sanctionnée dans beaucoup de concours, consistant à créer des rapports de causes à effets sans jamais les prouver. Par exemple, notre excellent collègue Jacques Mézard nous dit que les énarques sont vraiment méprisants à l’égard du Parlement…
M. Jacques Mézard. Certains !
M. Jean-Pierre Sueur. … et n’aiment pas le bicamérisme. Je me demande ce qui autorise une telle affirmation. Est-elle fondée sur une étude statistique, une enquête ? Certes, il existe un antiparlementarisme dans notre pays, mais je ne crois pas qu’on puisse l’imputer aux énarques plus qu’à d’autres. D’ailleurs, au sein du Parlement, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, un certain nombre d’énarques contribuent utilement à notre travail.
Il faut faire attention à ces corrélations. Par exemple, beaucoup de choses qui ont été dites ici à juste titre de l’ENA valent pour toutes les grandes écoles. Tout comme Yves Détraigne, je n’étais pas prédestiné : j’ai appris l’existence des classes préparatoires par un collègue moniteur de colonie de vacances. J’ai posé ma candidature et beaucoup travaillé pour intégrer une grande école. Cela fait aussi partie d’un itinéraire relevant de la méritocratie républicaine ; il ne faut pas le dénigrer.
La vérité, c’est que la démocratisation de l’enseignement est sans doute, dans certains de ses aspects, en régression. Les chiffres que l’on donne quant à l’origine sociale des élèves valent pour l’ENA aussi bien que pour l’École polytechnique, HEC et beaucoup de grandes écoles de ce pays.
Je vois la source de ce problème dans la manière dont on traite l’enseignement élémentaire. Je sais que beaucoup de choses ont été faites, mais, si l’on veut régler cette question, il faut beaucoup de temps scolaire, se concentrer sur les savoirs fondamentaux dès l’école, être très exigeant et n’accepter jamais qu’un élève arrive en sixième sans savoir lire, écrire. Or nous en sommes très loin.
Notre école est à refonder autour de l’idée d’une école de l’exigence. Cela a été réalisé dans l’histoire, à une époque où beaucoup moins de jeunes faisaient des études jusqu’au baccalauréat. Cependant, je crois que la source du problème est beaucoup plus profonde, elle se trouve dans l’ensemble de notre conception de l’enseignement dès le départ.
De même, je partage les constats de Corinne Bouchoux sur la singularité française que sont les grandes écoles. Celles-ci sont certainement très remarquables, mais je crois qu’il est nécessaire de les intégrer aux universités, en tout cas de créer des liens beaucoup plus forts qu’ils ne le sont aujourd’hui. Il est étrange, en effet, que les professeurs des classes préparatoires aux grandes écoles n’aient aucune obligation de recherche, contrairement aux enseignants de l’université, dont j’ai fait partie, lesquels ne manquent pas d’être heureux de voir leurs enfants être admis dans des classes préparatoires aux grandes écoles où exercent d’excellents enseignants qui ne sont pas tenus à des activités de recherche…
J’en viens à la question de la formation dispensée à l’ENA, qui serait critiquée pour être trop générale. Pour ma part, je suis un adepte de la formation générale : apprendre à raisonner, à penser, à s’exprimer, à analyser est primordial, et je ne suis pas forcément convaincu par les discours qui, à l’école élémentaire comme à l’ENA, vantent une grande dispersion des séquences de formation. On veut ouvrir l’école sur tout : c’est très bien, mais il faut d’abord assurer le fondamental.
Je dirai la même chose pour l’École nationale d’administration. Les stages, que ce soit dans une administration ou une collectivité locale, dans une ambassade à l’étranger ou dans une entreprise, sont très précieux et bénéfiques, mais il faut aussi que le reste de la formation soit substantiel.
Une ancienne élève de l’ENA, magistrate de la Cour des comptes, a écrit, dans un article publié par le quotidien Le Monde : « Ce qui manque est connu depuis des décennies : c’est un programme, une pédagogie, un corps enseignant ».
Savez-vous qu’il n’existe pas de corps enseignant à l’ENA ? Cela a de bons côtés, puisque d’éminents administrateurs de nombreux ministères, et même du Sénat ou de l’Assemblée nationale, ne manquent pas de faire des cours à l’ENA, et ils le font très bien. Mais ne faudrait-il pas réfléchir à une structure permanente plus forte, avec une pédagogie et des programmes mieux définis ? Le fait de disposer de programmes mieux définis n’est pas antinomique du fait de donner à l’enseignement le caractère général qui me paraît nécessaire, étant entendu, bien sûr, qu’un enseignement général qui n’a pas d’ouverture sur les réalités professionnelles est un enseignement à la généralité duquel il manque quelque chose.
Enfin, je voudrais aborder la question de l’affectation des étudiants issus de l’ENA. Voilà quelques années, on avait tenté d’en finir avec le classement de sortie, qui est en effet problématique, car il induit une hiérarchie des ministères absolument contraire à l’esprit républicain.
Une ancienne ministre avec qui j’ai eu l’occasion de travailler, qui est actuellement maire d’une ville importante du département du Nord, capitale de la région des Hauts-de-France, a choisi, en sortant de l’ENA, de rejoindre le ministère du travail. Ce choix est apparu incongru à certains. Si vous êtes dans les premiers du classement, vous choisissez en principe le Conseil d’État, l’Inspection des finances, la Cour des comptes, puis le Quai d’Orsay… Le ministère des affaires sociales et le ministère du travail arrivent en dernier, comme s’il existait une sorte de hiérarchie et qu’il était plus noble d’être affecté à Bercy qu’au ministère des affaires sociales. Or nous avons besoin de grands administrateurs pour gérer le ministère du travail et la sécurité sociale, tout autant qu’à Bercy !
On me reprochera peut-être ma franchise, mais, entre les moyens de certaines directions de Bercy et ceux de la direction de l’administration pénitentiaire au ministère de la justice, il y a plus que des nuances, je vous l’assure. L’idée même d’une telle hiérarchie me paraît devoir être contestée.
Par ailleurs, pour mettre fin à la pratique de l’« amphi-garnison » qui voit les quinze premiers choisir les grands corps et les autres prendre ce qui reste, un énarque issu d’une promotion dont on a quelque peu parlé, Jean-Pierre Jouyet, avait imaginé un système qui, par un processus itératif jalonné de moult commissions et entretiens, cherchait à faire correspondre les souhaits des élèves et les besoins des administrations.
Avec notre collègue Catherine Tasca – je me souviens encore de nos entretiens à ce propos au ministère chargé de la fonction publique –, je me suis opposé à ce système. Certes, le système actuel doit être amélioré, mais si c’est pour le remplacer par un processus qui risque de remettre au goût du jour les connivences en mettant fin à tout anonymat, ce serait incontestablement une régression.
Je souhaite que des réformes interviennent, notamment dans la formation interne et les affectations, mais à condition que l’on sache concilier le nécessaire esprit de réforme avec le souci rigoureux de l’égalité et de la justice. Je préfère le concours anonyme aux passe-droits, parce que c’est précisément contre le système des connivences qu’a été créée l’ENA, selon un acte profondément républicain.
Pour conclure, comme l’a excellemment dit Jacques Mézard, il ne faut pas supprimer l’ENA ; il faut la réformer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans les prochains mois, trois élections majeures se succéderont : deux élections parlementaires et une élection présidentielle.
Comme à chaque grand renouvellement, nous assisterons à la valse des cabinets ministériels, qui verra des énarques, directeurs de cabinet ou conseillers, être remplacés par d’autres, avec le même profil. Dans le reste du système, des directeurs d’administration centrale changeront, des préfets, des ambassadeurs. Tous, ou presque, seront remplacés par le même modèle.
Corps de direction des administrations, corps préfectoral, corps diplomatique, corps des magistrats, corps d’inspection générale… et combien de ministres et de parlementaires : tous sont passés sur les bancs de l’École nationale d’administration.
C’est vrai, les énarques sont partout, car ils sont formés pour le service de l’État au plus haut niveau. Leur concours est difficile, leur formation rigoureuse. L’école demeure prestigieuse en France et constitue toujours un modèle à l’étranger – du moins, nous l’espérons !
Tout semble normal, voire excellent. Pourtant, la défiance vis-à-vis de l’ENA et des hauts fonctionnaires qu’elle forme ne fait qu’augmenter.
De tous les bords politiques, les « modernistes », en tout cas ceux qui se revendiquent comme tels, proposent de réformer, voire de supprimer l’ENA. La plupart du temps, ils en sont eux-mêmes issus et ne l’ont critiquée qu’après avoir tiré profit du statut de haut fonctionnaire et du réseau des anciens élèves. Un ancien ministre du redressement productif tirait encore récemment à boulets rouges sur l’école, avant que la presse ne lui rappelle l’influence qu’il avait laissée aux énarques de son cabinet, lui qui avait raté le concours…
Supprimer l’ENA ? La réponse la plus tentante serait de répondre par l’affirmative, car cette école n’a pas toujours bonne presse dans l’opinion publique. Mais est-ce vraiment elle qui exaspère ou l’attitude de certains de ceux qui en sortent ? Est-ce le statut protecteur de la fonction publique, le pantouflage ou le poids excessif des grands corps qui irrite ? Sans doute les causes du désamour sont-elles multiples.
Il est vrai que, de cadre de formation des grands serviteurs de l’État, l’ENA est devenue l’antichambre du pouvoir. Pour ce qui me concerne, je ne suis pas favorable à la confusion des genres, et c’est pourquoi une claire séparation entre élus et hauts fonctionnaires me semble nécessaire. Les énarques devraient démissionner de leurs fonctions pour faire de la politique. La politique, c’est une vocation et un risque, et non pas une ligne à ajouter à son CV !
Mes chers collègues, avec la fin du cumul des mandats cette année, il existe bien un danger de voir les élus de terrain progressivement remplacés par des apparatchiks ou des hauts fonctionnaires, catégories moins exposées que les autres.
De plus, la vocation du service public n’est plus ce qu’elle était. Ainsi, en cinquante ans, on est passé du cadre supérieur au service de l’État, finissant chef de service, au dirigeant « multicarte » migrant d’un service à un cabinet, puis à un établissement public, pour aller en entreprise et revenir, avant de repartir pour finir comme président d’une banque d’affaires.
Par ailleurs, je regrette le manque relatif de culture européenne des élèves, bien que leur établissement fût symboliquement déplacé à Strasbourg et leurs cours sur l’Union renforcés. J’aimerais ainsi que davantage de ces jeunes gens, avec leur niveau d’études, se présentent prioritairement aux concours de la fonction publique européenne afin d’y occuper des postes à responsabilité. Selon un récent rapport parlementaire, les résultats obtenus par nos compatriotes dans ces concours sont très décevants et c’est « principalement la faiblesse du nombre de candidats qui explique les mauvais résultats de la France à ces concours ».
Enfin, l’ENA est souvent perçue comme un creuset de reproduction sociale des élites. Comme le confirmait une étude du CEVIPOF en 2015, « le recrutement ne s’est pas démocratisé durant soixante-dix ans et l’ENA n’a pas réalisé le brassage social espéré par Michel Debré en 1945 ». Il reste donc beaucoup à faire.
On peut regretter également l’excès de conformisme des candidats et des anciens élèves, qui pèse beaucoup sur la capacité d’initiative, mais je ne veux pas accabler la seule ENA dans la mesure où les élèves arrivent déjà bien formatés par la préparation.
Par conséquent, je ne pense pas qu’il faille fermer l’ENA. Il faut au contraire l’ouvrir encore plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous rassemble ce soir n’est pas nouveau.
Faut-il supprimer l’ENA, une école jugée trop élitiste, conformiste, coupée des réalités ? C’est une question récurrente, qui réapparaît sur le devant de la scène politique et médiatique assez régulièrement. Cette récurrence traduit d’ailleurs le questionnement légitime de bon nombre de nos concitoyens sur la place et l’efficacité de cette école qui forme des fonctionnaires. Ce débat est souvent considéré, à tort, comme accessoire ou secondaire. L’ENA alimente pourtant de trop nombreux fantasmes.
Si la défiance vis-à-vis des élites trouve une résonance dans ce débat, il est de notre devoir, en tant que parlementaires, de nous en saisir tout en le dépassionnant.
Avant toute chose, il convient de revenir à la genèse de l’ENA, à ses fondements, à la volonté initiale de deux hommes, Michel Debré et le général de Gaulle, de créer cette grande école de l’administration française.
L’unité de l’État, son indivisibilité : voilà peut-être la première motivation du général de Gaulle quand il accepte la proposition de son conseiller, Michel Debré, de créer une grande école permettant de doter les ministères de fonctionnaires formés à l’exercice pragmatique du pouvoir. Tous deux ont en mémoire la récente débâcle de 1940 et l’effondrement de l’appareil de l’État. Tous deux pensent que l’unité d’une nation passe par une certaine homogénéité intellectuelle de ceux qui la servent.
En 1945, la création de l’ENA s’inscrira donc pleinement dans la grande réforme administrative du général de Gaulle, qui doit jeter les bases de l’État nouveau. Pourquoi, en près de quatre-vingts ans, l’ENA est-elle passée de ce statut d’école dépositaire de l’unité de la République à celui d’une école perçue comme endogame et totalement étanche au monde qui l’entoure ?
Il apparaît assez évident que l’ENA souffre, au minimum, d’un problème d’image. Elle est perçue par une partie de la population comme une machine à reproduire des élites, présidents de la République et ministres de préférence.
Critiquer les élites est facile, voire populiste. En revanche, s’interroger sur leur sélection et leur formation est utile.
L’ENA concentre le rejet d’une certaine caste, celle des gens qui savent, qui dirigent, qui servent tout en se servant. Cette rhétorique anti-élite, de plus en plus puissante, et entretenue parfois maladroitement, trouve dans l’ENA un catalyseur de premier choix.
Ce n’est pas la suppression de l’ENA qui estompera le décalage entre les politiques et la population. Pis encore, avec la suppression de l’ENA, nous pourrions imaginer une distribution de postes de la haute fonction publique en fonction des réseaux et du copinage. Finalement, parlons vrai : dans un pays comme la France, l’ENA est le seul moyen pour que les préfets, les ambassadeurs et les directeurs d’administration centrale soient désignés par le mérite intellectuel, et non par le piston ou les think tanks des partis politiques récompensant les plus fidèles soldats.
Supprimer l’ENA, ce serait détruire l’un des piliers de la République, ce serait affaiblir l’État !
Balayer d’un revers de main le débat que suscite cette école n’est pas la bonne réponse à cette défiance. Il semble néanmoins assez légitime que nos concitoyens se posent la question de savoir comment sont sélectionnés et formés ceux qui ont vocation, tôt ou tard, à diriger le pays.
Ne pas la supprimer ne veut pas dire, en revanche, ne pas la réformer.
Depuis plusieurs années, consciente de son image à redorer, l’ENA a entrepris d’ouvrir ses portes à des profils plus diversifiés, aux origines sociales différentes.
Par son concours interne, elle s’est ouverte aux fonctionnaires déjà en poste, qui peuvent désormais tenter leur chance. C’est, là aussi, un gage de diversité. Au-delà du débat médiatique sur la suppression ou non de l’ENA, je crois que la solution se trouve dans sa refonte profonde.
Cette ouverture souhaitée par différents gouvernements aux sensibilités politiques parfois éloignées a répondu, en partie, à l’exigence de plus en plus profonde de nos concitoyens d’avoir une classe dirigeante qui leur ressemble, moins fermée, plus en phase avec une certaine réalité quotidienne qui donne le sentiment d’être parfois méconnue.
Je crois cependant qu’un dernier blocage important n’a toujours pas été levé : « la botte » du classement de sortie de l’ENA, qui dirige, pour une vie entière, les meilleurs vers les grands corps de l’État. Elle est extrêmement mal perçue par la population comme par les élèves eux-mêmes. C’est une affectation à vie qui véhicule cette image de caste déconnectée de la réalité, bien au chaud sous les ors de la République.
L’ENA est une richesse française ; la question de sa suppression revient à poser un faux problème, ou plutôt à éviter d’en poser un vrai, celui de la fonction publique de demain, de son rôle et de son périmètre. L’ENA a su évoluer, incontestablement.
Pour conclure, mes chers collègues, je crois en l’ENA, je crois, à l’instar de Michel Debré et du général de Gaulle, en la nécessité impérieuse pour un pays de former correctement ses hauts fonctionnaires dans l’unité et l’amour du service de l’État.
Je ne crois pas en la suppression de l’ENA, qui ne ferait que déplacer le problème. Je crois en sa réforme, en son ouverture sur le monde et la société civile.
Je crois, surtout, à l’unité de notre nation, difficile équilibre qu’il convient de préserver en conservant un État fort et compétent, compris et accepté dans son fonctionnement et sa composition par nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, faut-il supprimer l’ENA ? La question est incongrue. Nous sommes-nous déjà demandé s’il fallait supprimer Polytechnique, créée en 1794, HEC, créée en 1881, ou Normale Sup, créée en 1826 ? Dès lors, pourquoi poser de façon récurrente la question de la suppression d’une école beaucoup plus récente, créée en 1945 par Michel Debré, dont l’objet était de doter la France de hauts fonctionnaires serviteurs de l’État – peut-être ces derniers sont-ils d’ailleurs trop serviteurs, et pas assez managers ?
Citoyens, politiques, ministres, et même anciens énarques s’accordent parfois pour demander sa suppression. Est-ce par opportunisme politique, par populisme ou par souhait de faire plaisir aux Français éloignés des élites et qui sont parfois en opposition avec l’establishment ? Est-ce parce que nos concitoyens jugent ceux qui les gouvernent responsables de leurs malheurs, et que les énarques font partie du paysage ?
Le terme occidental de mandarin était déjà employé pour désigner, dans la Chine antique, un haut fonctionnaire qui avait réussi ses examens impériaux. Nos énarques seraient-ils des mandarins intouchables, qui ne répondraient de leurs actes qu’à leurs pairs et ne seraient sensibles qu’à leur classement et à leur rang, une sorte de noblesse d’État identifiée par Bourdieu ? Je n’ose y croire.
En faisant un léger détour en Europe, on observe que certains pays tels que la Bulgarie, l’Estonie, la Grèce, l’Islande, les Pays-Bas, la Slovénie ou encore la Roumanie ont simplement un comité ad hoc de recrutement de leurs hauts fonctionnaires. La France, à l’instar de la Pologne, de l’Italie et de l’Espagne, a confié à une école le soin de les recruter, cherchant même à dupliquer ce modèle en Asie centrale.
On peut s’interroger sur le recrutement dès lors que, sur les 40 lauréats d’un concours récent, 33 provenaient de Sciences Po Paris, aucun d’un autre institut d'études politiques et quelques-uns de prestigieuses écoles de commerce comme HEC.
Chez nos voisins anglais, le fast stream permet à des docteurs en mathématiques ou en sciences sociales d’accéder aux postes de la haute fonction publique d’État ; en Allemagne, le recrutement des hauts fonctionnaires s’effectue à partir de l’université. Les résultats économiques de ces pays et de leurs hauts fonctionnaires n’ont pourtant rien à envier à ceux de la France.
Je ne peux passer sous silence l’ouvrage d’Adeline Baldacchino, La Ferme des énarques, qui dresse un tableau sombre de son ancienne école, en soulignant son inadaptation aux enjeux du monde contemporain. Elle souligne combien les énarques sont en décalage avec le monde qui est le nôtre. Leur formatage les rendrait-il incapables d’inventer l’avenir de notre pays ? Les énarques manqueraient-ils de courage, prompts à glisser sous le tapis tout ce qui implique une prise de risques ? Où se trouve la réflexion critique de ces candidats à l’ENA, nécessaire pour accompagner un changement politique favorable pour nos concitoyens ? Car leur fonction future est bien de servir la France, et non de gérer leur quotidien et leur avenir.
I have a dream, celui d’une école où la consanguinité et la cooptation n’existeraient plus, d’une école où le classement de la botte, système archaïque, serait supprimé afin de ne plus permettre à un lauréat d’orienter toute sa vie professionnelle à partir de son rang de sortie, d’une école dont les élèves auraient plus de facilité à se reconvertir dans le privé – on leur préfère en effet souvent des candidats issus d’autres formations, plus stratèges, plus créatifs, plus managers –, d’une école où la culture d’équipe existerait, où les risques et les résultats primeraient les compétences, d’une école qui favoriserait l’optimisme de ses étudiants, leur foi en l’avenir et les préparerait à la réalité contemporaine, d’une école, enfin, qui répartirait mieux ses lauréats. En effet, sur les 4 300 énarques en activité, plus de 3 500 exercent dans les ministères, les inspections, les collectivités locales ou les organismes internationaux.
En résumé, faut-il supprimer l’ENA ? Non ! Faut-il la transformer ? Certainement !
En bon énarque que je ne suis pas, j’organiserai ma conclusion en trois points : il faut, premièrement, améliorer les conditions d’accès à cette école en diversifiant les profils, deuxièmement, revoir la formation pour la rendre plus professionnelle, plus opérationnelle, plus culturelle et moins déconnectée du terrain, troisièmement, éviter l’omniprésence de ses diplômés dans les cercles de pouvoir en les orientant différemment. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, faut-il supprimer l’École nationale d’administration ? Voilà une question qui revient régulièrement dans le débat public et qui transcende les clivages politiques.
Depuis sa création en 1945 par le général de Gaulle, cette grande école créée pour former les hauts cadres chargés de reconstruire la France au lendemain de la guerre n’a cessé d’être contestée.
L’École nationale d’administration a connu une trentaine de réformes, mais les plus audacieuses ont toujours été abandonnées, au nom de l’intérêt de l’État. Encore récemment, Bruno Le Maire proposait de la faire disparaître. Délocalisée à Strasbourg, l’ENA a résisté à tous les assauts ; elle est toujours là.
Dans un sondage paru dans Le Figaro le 1er septembre dernier, 82 % des 47 753 personnes interrogées se disaient favorables à sa disparition.
À ce jour, les énarques sont à 70 % dans les grandes administrations d’État, 23 % dans les collectivités territoriales, 7 % dans les grandes entreprises privées. Cette élite de la fonction publique, recrutée dès l’âge de 25 ans, et classée à la sortie de l’école entre « super-élite » et « élite », accède au statut « à vie » de haut fonctionnaire.
La « super élite » intègre les grands corps de l’État grâce à des procédures de recrutement spécifiques vers des postes clés qui sont systématiquement occupés par des personnes issues de la même filière.
Leurs compétences sont-elles remises en cause ? Certainement pas, mais la question de l’absence d’expérience et de la diversité des profils se pose, même si l’ENA se revendique aujourd’hui comme une école d’application. L’État ne devrait-il pas être exemplaire dans le recrutement de ses hauts fonctionnaires ?
On peut se demander si cette école n’est pas, en fait, un bouc émissaire facile. En effet, l’ENA a permis à des personnes issues de milieux divers de s’élever au sein de la fonction publique, à force de travail. Qu’en est-il aujourd’hui ? L’école favorise-t-elle la mixité sociale ? À en croire les chiffres, tel n’est pas le cas.
Par exemple, la proportion de femmes est largement inférieure à celle des hommes. En 2012, la nomination de Nathalie Loiseau à la tête de l’ENA avait pourtant suscité l’espoir d’une ère nouvelle, plus favorable aux candidates. La nouvelle directrice avait clairement exprimé son souhait de « corriger » au concours ce qui relève « implicitement d’une discrimination positive en faveur des hommes ». Statistiques à l’appui, il est prouvé que les femmes obtiennent de bons résultats aux écrits du concours, mais qu’elles sont plus souvent éliminées que les hommes aux épreuves orales.
De nombreuses propositions de loi visant à supprimer l’ENA ont été déposées. Faut-il y voir de la part de nos collègues une défiance à l’égard de la haute fonction publique française ? Je ne le crois pas.
Chacun s’accorde à reconnaître les grandes qualités professionnelles et le dévouement au service de la Nation de ces hauts fonctionnaires, mais le mode de formation et de recrutement des élites administratives, de même que la place dominante qu’elles détiennent dans les rouages administratifs et politiques, ne compteraient-ils pas parmi les principaux obstacles à la modernisation de notre pays ? Le système « énarchique », la structuration en grands corps ont-ils toujours leur utilité à l’heure de la mondialisation ?
Les énarques détiennent tous les leviers de commande de la haute administration et ont, peu à peu, investi la vie politique. Notre pays détient le record absolu du nombre de fonctionnaires passés de l’administration à des fonctions électives ou gouvernementales. On peut donc légitimement s’interroger sur la capacité d’un haut fonctionnaire devenu ministre à réformer son administration d’origine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – M. Jacques Mézard et Mme Corinne Bouchoux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre de la fonction publique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, tout d’abord, de remercier le groupe du RDSE, qui a inscrit ce débat à l’ordre du jour de votre Haute Assemblée. Je remercie également le président Jacques Mézard et les orateurs des différents groupes pour leur participation à cette discussion passionnante.
À la question : faut-il supprimer l’ENA ?, j’ai déjà répondu non, et je persiste, sans fébrilité ni tergiversations.
Depuis sa création, cette école est en butte aux critiques. C’est un grand classique, surtout à l’approche des échéances électorales… Il est vrai que le modèle sur lequel elle s’est fondée et développée a fait son temps et je crois qu’il faut aujourd’hui réformer l’ENA.
Votre débat n’a pas tant porté sur l’ENA que sur la haute fonction publique dans son ensemble. Il concerne en effet les anciens élèves de l’ENA, mais aussi ceux de Polytechnique et de ses écoles d’application. En définitive, l’une des dimensions centrales de la discussion est la relation, parfois trop étroite, entre l’administration et le politique.
Ma réponse portera donc sur ces deux dimensions. Elle s’appuiera sur mon action depuis un an en tant que ministre de la fonction publique et sur celle du Gouvernement depuis 2012, mais aussi sur mes convictions de femme politique.
Je veux d’abord dire que les débats autour de la fonction publique, majeurs et importants pour nos choix de société, ne sauraient se résumer à l’ENA.
Pendant ces quelques mois au sein du Gouvernement, je me suis attachée à promouvoir une fonction publique plus diverse dans ses recrutements, qui fasse une place plus grande aux jeunes et qui soit exemplaire en ce qui concerne le traitement des valeurs, en premier lieu de la laïcité.
À cet égard, l’ENA a répondu à notre appel.
C’est le cas en ce qui concerne la diversité, puisque, depuis 2014, la majorité des élèves – 47 sur 90 – est issue du concours interne et du troisième concours.
C’est aussi le cas en ce qui concerne la jeunesse. L’ENA est souvent critiquée, car elle donnerait trop tôt des responsabilités à de jeunes gens, qui n’ont pour seul mérite que d’avoir réussi un concours et une scolarité difficiles. Mais il faut rappeler que, dans une époque marquée par la transformation numérique et un rythme effréné des innovations, cette jeunesse représente aussi pour notre administration une chance de disposer de cadres bien formés et prêts à innover et s’impliquer.
Dans le cadre du cycle de consultations « Ma fonction publique se réinvente », que j’ai lancé en septembre 2016, j’ai pu rencontrer de nombreux jeunes. Ils sont l’avenir de notre service public ; leur enthousiasme, autant que leur engagement, fait plaisir à voir et est rassurant si l’on pense aux défis que nous devons relever en ce début de XXIe siècle. À Strasbourg, j’ai aussi dialogué avec les élèves de l’ENA et de l’Institut national des études territoriales, l’INET, qui se tenaient côte à côte, rassemblés par le même engagement au service des Français.
J’en reviens au cœur de mon propos. Nous avons besoin de l’ENA, parce que la haute fonction publique doit être formée et que l’école qui exerce cette mission doit être un outil d’excellence. Je rappelle qu’elle est une école d’application, c’est-à-dire qu’elle ne délivre pas de diplôme, mais forme les futurs hauts fonctionnaires.
Plus que jamais, nous avons besoin de hauts fonctionnaires qui sachent s’adapter aux défis de demain. La gestion publique requiert des savoir-faire, mais aussi des savoir-être spécifiques. Cette école d’application permet aux élèves externes de faire des stages au plus près des réalités de la vie professionnelle et de celle des Français, que ce soit derrière le guichet d’accueil d’une préfecture ou au sein d’une PME ou d’une association.
Rappelons que la haute fonction publique française est reconnue, voire enviée, à l’étranger. Je l’ai moi-même observé en tant que secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie : j’ai pu voir combien la fonction publique française et l’ENA sont admirées.
L’ENA a d’ailleurs tissé des partenariats avec plusieurs écoles ou universités étrangères. Elle accueille chaque année des élèves d’autres pays ; ils sont autant de relais d’influence dans le monde entier. L’école a récemment accueilli dans ses murs la communauté des ambassadeurs étrangers en poste à Paris, parmi lesquels plusieurs de ses anciens élèves – leurs pays d’origine allaient du Japon à l’Afghanistan ! Cela participe du rayonnement de la France dans le monde.
Contrairement à ce que l’on dit souvent, l’ENA se réforme, mais il est vrai qu’elle est encore trop élitiste. Il faut donc poursuivre et amplifier ces réformes.
En matière de recrutement, un reproche est souvent formulé à l’encontre de la haute fonction publique, et de l’ENA en particulier, celui de la reproduction des élites et du recrutement en fonction de profils bien déterminés : plutôt parisiens, issus des classes aisées, enfants de hauts fonctionnaires…
S’ajoute à cette critique la nature même de la formation, qui est perçue comme un moule bien établi, dans lequel seuls certains peuvent se fondre.
Ces deux critiques relèvent de la même tonalité : l’ENA favoriserait « l’entre soi » et l’endogamie. Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, le souligne : « Si les élèves recrutés via le concours externe, très sélectif, sont incontestablement brillants, leur profil social est très homogène ».
Une partie de cette situation reflète l’inégalité des chances d’accès à l’enseignement supérieur et les difficultés de notre système scolaire à assurer l’égalité des chances. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail de recherche précis que mène l’école, année après année, sur des cohortes d’élèves. Il a permis à la mission confiée à Olivier Rousselle de dégager une vision très précise de la situation ; de ce fait, son rapport, qui nous sera prochainement remis, comprendra un certain nombre de recommandations utiles.
Toutefois, il faut effectivement prendre garde à ce que l’excellence d’une formation, qui permet de disposer des meilleures compétences, ne débouche pas sur une réduction, voire un assèchement, des profils recherchés.
Plusieurs réformes ont été conduites ces dernières années. Je voudrais en remercier Nathalie Loiseau, qui n’a pas ménagé ses efforts depuis sa nomination à la tête de l’école en 2012. Permettez-moi de rappeler que cette nomination était un symbole d’ouverture et de modernisation, puisqu’il s’agit d’une femme – la deuxième à diriger l’ENA –, non-énarque, diplomate – elle a été directeur des ressources humaines de son ministère – et très engagée sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes.
Parmi les réformes conduites, je citerai tout d’abord le concours d’entrée, qui a été modifié et qui ne s’appuie plus seulement sur la vérification des connaissances, mais aussi sur l’évaluation du parcours, de la motivation et du potentiel des candidats.
Une reconnaissance des acquis de l’expérience a été introduite durant l’entretien avec le jury et une épreuve orale collective permet de mesurer les capacités d’interaction des candidats. Je vous informe à cet égard que l’arrêté permettant de reconnaître le doctorat dans les acquis de l’expérience est en cours de finalisation.
Mais il faut aller plus loin. Pour cela, il est important de promouvoir, comme nous l’avons fait, les classes préparatoires intégrées, les CPI, notamment celles qui permettent de préparer le concours d’entrée à l’ENA. Ce dispositif est soumis à condition de ressources et permet aux candidats de bénéficier d’une allocation ; ceux-ci peuvent ainsi préparer des concours qui, autrement, leur seraient fermés. Sur l’initiative du Président de la République, nous avons doublé le nombre de places en CPI pour qu’il atteigne 1 000 et je tiens à saluer l’engagement de l’ENA, qui a devancé l’appel en augmentant, dès 2015, le nombre des places en CP’ENA, sa classe préparatoire visant à favoriser l’égalité des chances.
Il faut aussi permettre la formation par l’école de personnes en situation de handicap et leur intégration dans les corps recrutant à la sortie de l’ENA. Ce sera chose faite avec la publication du décret dans quelques jours.
De manière générale et comme je l’ai mentionné à l’instant, nous examinerons avec une grande attention les recommandations formulées par Olivier Rousselle dans son rapport. Sa prochaine présentation permettra d’ouvrir un débat sur l’ensemble de ces questions.
Par ailleurs, il nous faut certainement aménager le concours externe, en valorisant davantage l’expérience des candidats en fonction de leur engagement dans la société civile. Nous pourrions, par exemple, évaluer l’idée d’inclure, comme critère d’entrée, l’expérience que représente une année de service civique ou de volontariat international ; cette idée a déjà été mise en œuvre dans plusieurs pays.
Nous devons également – c’est le sens de la mesure adoptée par le Parlement dans la loi Égalité et citoyenneté – renforcer le troisième concours, qui est ouvert aux personnes disposant d’une expérience professionnelle.
Je souhaite maintenant évoquer la scolarité qui, comme le concours, a été récemment revue.
L’enseignement a été réformé ces dernières années. Au-delà du cursus, qui fait la part belle à la gestion publique dans ses composantes budgétaires et financières, au management, à l’éthique et à la déontologie, à la négociation ou encore au dialogue social, le programme permet également aux élèves de travailler sur l’innovation publique : le rôle et la place du numérique ou les nouvelles méthodes de conception, de mise en œuvre et d’évaluation de l’action publique. La dimension européenne et internationale des enseignements a également été renforcée.
Là aussi, allons plus loin ! En particulier, il faut rapprocher l’ENA du monde universitaire. Ces dernières années, ils ont déjà approfondi leurs liens, l’école délivrant par exemple des masters en coopération avec des universités partenaires. L’école doit continuer de s’inscrire pleinement dans le paysage de l’enseignement supérieur, qui est en profonde mutation. Le contrat d’objectifs et de performance signé par l’ENA et sa tutelle offre de nouvelles perspectives pour approfondir ces partenariats, par exemple avec la création de chaires associant des établissements de recherche. Je dois dire que le premier projet de chaire – il porte sur l’innovation publique et associe l’ENA à l’École nationale supérieure de création industrielle, l’ENSCI, qui est une école de design – est très prometteur.
Le contrat prévoit également d’engager une réflexion sur le changement de statut de l’école pour adopter celui d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel. Cela autoriserait l’ENA à délivrer seule des diplômes, tant pour ses formations continues qu’initiales, et il pourrait être de nature à faciliter la mise en place d’une fondation. L’école, la DGAFP et les services de mon collègue Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui partage pleinement cette orientation, travailleront sur ce changement de statut.
En outre, il faut probablement resserrer la scolarité, davantage encore, sur les disciplines les plus professionnalisantes, en écartant les cours académiques.
Pour éviter « l’entre soi », il faut certainement changer la composition du conseil d’administration de l’ENA, presque exclusivement composé, aujourd’hui, d’anciens énarques.
Il faut aussi rapprocher davantage l’ENA, l’INET et l’École des hautes études en santé publique, ces deux dernières écoles formant les hauts fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Nous pourrions réfléchir à la mise en place d’un grand établissement.
Un autre sujet évoqué ce soir concerne le parcours des anciens élèves. La critique de l’ENA est en fait, vous l’avez dit, celle d’une haute fonction publique coupée de la réalité, en connivence avec le monde économique et ayant infiltré le monde politique… Il s’agit bien sûr d’une caricature, à laquelle vous avez échappé.
Selon une étude confiée à deux chercheurs, seuls 5 % d’énarques s’engagent en politique et 8 % des fonctionnaires issus de l’ENA pantouflent. Il faut rappeler ces chiffres pour éviter les stéréotypes. Pour autant, j’ai souhaité m’emparer du sujet du pantouflage dans le privé, car je l’estime beaucoup trop rapide. C’est pour moi une question de principe.
À plus long terme, il nous faudra réfléchir aux parcours dans les grands corps de l’État : Inspection générale des finances, Conseil d’État, Cour des comptes, corps des Mines ou des Ponts…
Aujourd’hui, l’engagement de servir à l’issue de la scolarité n’est pas suffisamment exigeant. L’ENA n’est pas une école de commerce, pas plus que Polytechnique. Aujourd’hui, les anciens élèves ne doivent rembourser la « pantoufle » qu’après une disponibilité de dix ans, s’ils quittent définitivement la fonction publique.
C’est tout à fait insuffisant : un énarque ou un ancien élève de l’École des mines représente un investissement important pour la collectivité. Or, il ne remboursera sa « pantoufle » que quatorze ans après avoir quitté l’école et en n’ayant éventuellement servi que quatre ans. La Nation leur a payé une formation d’excellence, qui a un coût. Aujourd’hui, le coût annuel est de 83 000 euros pour un élève de l’ENA, il est même supérieur pour un ingénieur des Mines ou des Ponts.
C’est pourquoi je propose un principe simple : un ancien élève devra consacrer les dix premières années de sa vie professionnelle au service des Français. Un fonctionnaire qui choisirait de partir avant cette date devra démissionner et rembourser les frais supportés par l’État pour assurer sa formation. J’ai saisi le Président de la République et le Premier ministre de cette question et je leur ai soumis un projet de décret. J’espère que cette mesure sera adoptée rapidement.
Autre question qui doit être examinée, celle des grands corps.
Souvent, les élèves qui en sont issus se retrouvent très rapidement à la tête des grandes administrations de ce pays, alors qu’ils ne disposent pas d’une véritable expérience de terrain, pourtant indispensable aux managers. Par exemple, la DGAFP a eu pendant très longtemps un conseiller d’État pour patron. C’était une tradition, une place acquise. Ce n’est plus le cas depuis quinze ans, car il a été jugé indispensable de nommer à ce poste des personnes qui ont un parcours de manager et connaissent bien les questions liées à la gestion des ressources humaines.
Par ailleurs, les comités d’audition, créés en mai dernier, concourent à la diversification des recrutements et à la professionnalisation. La sélection des cadres supérieurs de l’État va donc progressivement changer. Dès 2012, nous avons aussi mis en place ce qu’on peut appeler un vivier de cadres dirigeants pour ouvrir l’accès à la haute fonction publique et la diversifier. Je crois que ce vivier, qui intègre encore peu de fonctionnaires territoriaux ou hospitaliers, doit rassembler les trois versants de la fonction publique.
La sortie de l’ENA dans les grands corps constitue aussi une question récurrente.
En 2015, Marylise Lebranchu a confié une mission sur ce sujet à cinq personnalités, dont les conclusions ont été rendues à l’automne de la même année. Cette mission n’a pas recommandé de supprimer la sortie directe dans les grands corps. Elle s’était plutôt orientée vers la fusion des corps. J’ai jugé que ce dossier n’était pas mûr, d’autant que de telles fusions auraient exigé, pour le Conseil d’État et la Cour des comptes, un vecteur législatif, alors même que nous ne disposions plus, dans ce quinquennat, du temps nécessaire.
Toutefois, je suis convaincue, comme beaucoup d’entre vous, qu’il faudra réformer ce système. Il me paraîtrait sain que le pouvoir politique, grâce à une mission parlementaire par exemple, se penche sur cette question et fasse des propositions de réforme, à la fois innovantes et susceptibles de se traduire ensuite dans la loi.
En réalité, s’interroger sur la réforme de l’ENA, c’est s’interroger sur la modernisation de l’État, car l’ENA – je l’ai dit en commençant ce propos – n’est qu’une partie d’un tout. Cette école forme des hauts fonctionnaires qui seront amenés à diriger des administrations.
Moderniser l’ENA, c’est donc s’inscrire dans le cadre plus général de la modernisation de l’État, qui est un processus nécessaire et continu. Il s’agit d’adapter nos administrations à l’évolution des techniques et aux attentes des usagers, mais aussi à celles des fonctionnaires. C’est aussi, plus largement, nous interroger sur notre conception de l’action publique, qui doit être à même de relever les défis du monde de demain, qu’ils soient économiques, numériques, démographiques ou liés aux questions de sécurité. Il nous faut engager un grand débat démocratique autour de ces thèmes. Cela nous permettra de mieux appréhender les évolutions et les changements profonds que notre pays doit affronter.
En conclusion, je crois que la question plus large de nos institutions est posée et doit être au cœur de nos prochains débats. Nous devons avoir la capacité de nous projeter vers l’avenir et de relever l’ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés. Pour cela, nous devons être prêts à changer le système dont nous sommes issus. (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat, organisé à la demande du groupe du RDSE, sur le thème : faut-il supprimer l’École nationale d’administration ?
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 2 février 2017, à dix heures trente :
Débat sur le thème : violences sexuelles, aider les victimes à parler.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quinze.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD