M. Michel Bouvard. Ce problème vient évidemment du renouvellement des concessions hydrauliques. Je ne referai pas toute l’histoire, depuis le décret de 2011, sur lequel le Gouvernement est revenu lors de son arrivée au pouvoir, jusqu’au récent décret, en passant par la longue concertation pour aboutir au nouveau dispositif, le rapport de notre excellente collègue député Marie-Noëlle Battistel, les discussions qui n’ont toujours pas abouti avec l’Union européenne et le renouvellement toujours en attente des concessions hydrauliques…
La Cour des comptes a d’ailleurs souligné la perte de recettes induite tant pour l’État que pour les collectivités territoriales, qui se partagent les redevances domaniales.
Mon premier amendement tend à prévoir, dès lors qu’un système n’entre pas en vigueur, une compensation permettant aux collectivités de percevoir une ressource correspondant aux recettes tirées par l’exploitant de ces ouvrages dans l’attente du renouvellement des concessions. Cette compensation serait fixée par décret.
Mon second amendement vise les contingents d’énergie réservée qui continuent d’exister tant que la concession n’a pas été renouvelée. Il tend à prévoir que, à l’inverse, les contingents d’énergie réservée arrivent à leur terme à la fin de la concession. C’est notamment le cas de ceux qui étaient attribués par les préfets avant le vote de la loi de décentralisation transférant la gestion des contingents aux départements, intervenue dans la pratique en 1985.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Monsieur Bouvard, quand vous défendez une cause, vous le faites vraiment sur tous les textes qui vous passent sous la main ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Vous êtes redoutable, car, même quand vous obtenez de temps en temps en partie satisfaction, vous en rajoutez, si j’ose dire, pour obtenir un peu plus ! Vous voyez très bien à quoi je fais allusion, avec votre deuxième amendement…
M. Michel Bouvard. Oui !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Le premier amendement pose les mêmes problèmes que ceux que j’ai évoqués pour l’amendement n° 1. Je vous signale – vous en êtes sûrement conscient ! – que vous allez mettre en difficulté les titulaires des concessions actuelles, c’est-à-dire pas seulement les deux grands opérateurs – EDF et Engie –, mais aussi tous les autres exploitants.
Il est vrai que nous prenons du retard dans le renouvellement des concessions. C’est la faute du Sénat : par un amendement voté à l’unanimité, nous avons protégé nos installations hydrauliques et, par conséquent, les actuels exploitants.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Pierre Bosino. Exactement !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je vous rappelle, mes chers collègues, que le problème vient de ce que notre système, le système français, n’est pas le même que celui de nos voisins.
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Nos voisins – Espagne, Suède et, bien sûr, Suisse – regardent avec gourmandise nos barrages hydrauliques. Ils ont des chances, en effet, d’obtenir certaines de nos concessions hydrauliques si jamais elles font l’objet d’une ouverture de marché, alors que les entreprises françaises n’auront, elles, jamais aucune chance d’exploiter un barrage à l’étranger – aucun barrage, ou presque, n’ayant un statut public dans les pays voisins.
Le Sénat n’a pas été très libéral en la matière. L’amendement a été voté sur toutes les travées, assez logiquement par la gauche de l’hémicycle, mais par nous aussi, mes chers collègues de la majorité sénatoriale. Il ne faut pas le nier, nous avons protégé nos barrages hydrauliques…
M. Roland Courteau. Nous avons bien fait !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … et nous avons donc du retard. Néanmoins, je ne suis pas sûr que nous puissions tenir très longtemps notre position vis-à-vis de Bruxelles.
Monsieur Bouvard, votre combat est différent, car vous pensez aux collectivités territoriales et à ce qui leur est versé. Avec votre amendement, vous allez trop vite. Attendons de voir comment aboutissent les négociations.
Avec votre second amendement, vous exagérez ! Vous avez obtenu satisfaction dans la loi Montagne, en négociant avec le Gouvernement, qui a fait un pas vers vous. Vous avez obtenu un retour pour les collectivités locales à partir du 1er janvier 2018, et vous revenez aujourd’hui avec un amendement, pour essayer de gagner six mois supplémentaires, et mettre le dispositif en marche à partir du 15 juillet. (M. Michel Bouvard rit.)
Je suis ravi de voir que vous riez : c’est signe que vous prenez très bien ma position, qui consiste à vous demander très aimablement de bien vouloir retirer vos amendements !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. J’écoute toujours avec une grande attention les propos du rapporteur, qui sont particulièrement instructifs.
En ce qui concerne l’amendement n° 3, le Gouvernement est défavorable à l’introduction de cette nouvelle charge fiscale sur les concessions hydroélectriques exploitées sous le régime dit « des délais glissants ». Les départements bénéficient déjà d’une compensation financière pour l’énergie réservée non attribuée, qui perdure pendant la période de délai glissant et à laquelle s’ajouterait la nouvelle compensation prévue par l’amendement.
Rien ne permet pourtant d’attester de la réalité des pertes financières alléguées. Le montant des futures redevances résultera d’une procédure concurrentielle par nature incertaine, des caractéristiques propres de chaque concession, ainsi que des conditions de marché. On ne peut présupposer qu’il sera supérieur à l’énergie réservée actuelle, dispositif que la nouvelle redevance remplacera.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable sur l'amendement n° 3.
Par ailleurs, l’amendement à la loi Montagne dont le rapporteur vient de nous parler, voté avec l’avis favorable du Gouvernement, permet déjà aux conseils départementaux, à compter du 1er janvier 2018, d’abroger n’importe quelle ancienne décision d’attribution de l’énergie réservée, afin de réattribuer ou de bénéficier d’une compensation financière pour les volumes correspondants.
Les dispositions de l’amendement n° 2 n’apportent donc rien de plus, à part un caractère automatique et général contre-productif pour les bénéficiaires, qui seront dans l’incertitude d’une rétribution ou non de l’énergie réservée à leur profit par le conseil départemental.
Le Gouvernement émet donc également un avis défavorable sur l'amendement n° 2.
Mme la présidente. Monsieur Bouvard, les amendements nos 3 et 2 sont-ils maintenus ?
M. Michel Bouvard. Je vais retirer l’amendement n° 2, qui a été redéposé, peut-être avec insuffisamment d’attention, dans le paquet des amendements relatifs à ce texte.
Je retirerai aussi l’amendement n° 3, étant bien conscient du caractère imparfait de ma proposition. Je tenais à rappeler que la situation dans laquelle nous sommes n’est pas normale.
Je comprends parfaitement la nécessité de protéger les intérêts nationaux. Toutefois, un régime a été prévu pour le renouvellement des concessions hydrauliques : nous avons voté, voilà maintenant une dizaine d’années, un dispositif prévoyant une répartition de la redevance domaniale entre l’État et les collectivités. Depuis dix ans, aucune concession hydraulique n’est passée à ce régime, parce que tout le système est figé !
Ce faisant, je ne fais aussi que rappeler ce qui figure dans le référé délivré par la Cour des comptes, laquelle chiffre la perte à plusieurs centaines de millions d’euros pour le budget de l’État et pour les budgets des collectivités territoriales.
Je retire donc mes amendements, madame la présidente.
Mme la présidente. Les amendements nos 3 et 2 sont retirés.
L’amendement n° 13 rectifié bis, présenté par MM. Chasseing, B. Fournier, D. Laurent et Requier, Mmes Morhet-Richaud et Cayeux, MM. de Nicolaÿ, G. Bailly et Mandelli, Mme Deromedi, M. L. Hervé, Mme Joissains, MM. Chaize, Nougein, Laménie, P. Leroy, Perrin, Raison, Pointereau, Huré, de Raincourt, Mayet, Revet, Doligé, Kern, César, Maurey, Danesi et Longuet, Mme Lamure, MM. Détraigne, D. Dubois, Longeot, Guené, Pierre, Capo-Canellas, Masclet, Boulard et Émorine, Mme Billon et MM. Gabouty, Bas et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les anciens moulins à eau situés en milieu rural et équipés par leurs propriétaires, des tiers délégués ou des collectivités territoriales, pour produire de l’électricité ne sont plus soumis au classement par arrêté des préfets coordonnateurs.
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. L’avenir des moulins à eau en France semble aujourd’hui très compromis par l’actuelle réglementation sur la continuité écologique, issue en partie de la loi sur l’eau, mais aussi des lois Biodiversité et Création.
Les moulins à eau, bien qu’ils soient très anciens et parfaitement intégrés dans le paysage rural, font l’objet de l’hostilité de l’administration française, qui veut les « effacer » – c’est le terme employé –, au nom de la prétendue continuité écologique.
J’ai saisi, par une question écrite, en 2015, le ministère concerné. Il m’a été répondu, en 2016, que les moulins non adaptés aux contraintes écologiques, en fonction de leur classement par les préfets coordonnateurs, devraient être « effacés », c’est-à-dire détruits.
Cette réglementation semble excessive, pour ne pas dire arbitraire, comme l’a fort bien suggéré notre collègue Rémi Pointereau, au travers d’un amendement qu’il avait fait voter, naguère, par le Sénat.
En outre, les travaux récents des chercheurs démontrent que les seuils séculaires des moulins n’ont pas d’impact sur les populations de poissons, dont la disparition est en réalité imputable à la pollution chimique ou médicamenteuse.
Les moulins possédant encore un matériel en état de fonctionnement pourraient donc jouer un rôle non négligeable en matière d’énergie renouvelable si on leur laissait produire de l’électricité, dans la limite, définie par Mme la ministre, de 150 kilowattheures, et ce à un coût très bas et sans risque de pollution, puisque la plupart de ces ouvrages existent depuis le XVIIIe siècle et respectent parfaitement l’environnement. Au reste, c’est ce qu’a observé la commission de la culture du Sénat lorsqu’elle a adopté, sur l’initiative de son rapporteur, Mme Férat, à deux reprises une mesure « visant à faciliter la préservation des moulins à eau protégés pour leur intérêt patrimonial ».
Si cet amendement était adopté, les moulins équipés pour produire de l’électricité, que ce soit pour l’autoconsommation ou pour la vente d’énergie, échapperaient au classement des préfets coordonnateurs.
Selon les spécialistes, que j’ai consultés, l’équipement de 30 000 moulins hydroélectriques, ce qui serait possible, générerait 20 000 emplois de techniciens, de chaudronniers ou de maçons et 15 000 emplois relevant de l’économie sociale et solidaire.
Tel est l’objet de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. La commission considère avec beaucoup de sympathie cet amendement,…
Mme Sophie Primas. Ça commence mal… (Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … pour une raison simple : j’ai toujours défendu le petit hydraulique – il s’agit même ici de microhydraulique –, que ce soit dans cet hémicycle ou au sein de celui dans lequel je siégeais auparavant, puisque je présidais la commission de l’énergie à l’Assemblée nationale.
En réalité, madame la secrétaire d’État, c’est plutôt vous que les signataires de cet amendement visent…
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … ou, du moins, votre famille politique, qui a une position assez contradictoire.
M. Michel Bouvard. Oui !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. En effet, les écologistes devraient être des défenseurs de l’utilisation de l’eau pour produire de l’électricité. Or ils défendent bien davantage les petits poissons qui remontent les rivières. Ce n’est, du reste, pas le seul sujet sur lequel votre parti peut être pris en flagrant délit de contradiction… C’est dommage, parce que les moulins font partie du patrimoine français.
M. Michel Bouvard. Absolument !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. L’histoire nous montre qu’ils ont permis, voire qu’ils permettent encore de produire de l’énergie, même si c’est en petite quantité. Je ne mets toutefois pas dans le même sac la microélectricité produite par ces moulins et le petit hydraulique, présent, par exemple, en zone de montagne, où la solution est plus simple et l’enjeu économique plus crucial.
Cela étant, j’ai déjà demandé en commission à M. Chasseing de bien vouloir retirer son amendement. Il a gagné un combat tout récemment lors de l’examen de la loi Montagne, mais il reste inquiet.
Il a bien été acté dans ce texte que ce patrimoine doit être protégé et que l’administration doit faire preuve d’écoute quand les propriétaires de moulins souhaitent ne pas dépenser une fortune pour pouvoir garder leur ouvrage, puisque c’est de cela qu’il s’agit. En effet, quand un moulin doit être modernisé ou remis en marche et qu’une demande d’autorisation est déposée, bien souvent, l’administration n’oppose pas un refus, mais impose des exigences tellement coûteuses que cela décourage le propriétaire. Aussi, les mesures obtenues dans la loi Montagne sont, dans la lettre, positives, mais on attend tous leur application aux prochaines demandes d’autorisation.
Reste que je ne peux pas accepter ce qui est demandé au travers de cet amendement, à savoir la suppression de toute autorisation préfectorale. Cela va trop loin. Les parlementaires que nous sommes ne peuvent pas laisser faire n’importe quoi, n’importe comment sur notre territoire.
Pour ma part, je souhaite attendre de voir comment s’appliquera la loi Montagne, qui, je le rappelle, vaut pour l’ensemble du territoire et pas seulement pour les petits cours d’eau de montagne. Voyons si les propriétaires de petits moulins rencontrent les mêmes blocages administratifs et, si tel est le cas, il faudra alors mettre les points sur les « i ». Rassurez-vous, monsieur Chasseing, je défendrai alors fortement votre position.
Pour l’heure, je le répète, je ne peux pas accepter la mesure radicale proposée au travers de cet amendement, qui vise à supprimer purement et simplement toute autorisation administrative.
Pour toutes ces raisons, mon cher collègue, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. M. le rapporteur a prononcé des paroles de raison. Je veux moi aussi que l’on aborde cette question de manière raisonnable.
Le Gouvernement n’entend pas opposer la préservation, et même la reconquête, indispensable de notre biodiversité à la production d’énergie renouvelable ou à la défense de notre patrimoine culturel. J’ai été la première à insister pour que les journées du patrimoine intègrent, aux côtés du patrimoine culturel, le patrimoine naturel. Nous ne devons pas les opposer, mais faire en sorte d’atteindre tous ces objectifs.
Il serait absurde de vouloir empêcher, au nom des énergies renouvelables, la continuité écologique des cours d’eau. Il ne s’agit pas, monsieur le rapporteur, de laisser « quelques petits poissons » remonter les rivières. Ces « quelques petits poissons » font partie d’un écosystème global qui permet d’avoir une eau de qualité et de rendre bien des services. On se rend d’ailleurs de plus en plus compte que la nature nous rend des services gratuits que nous aurions tort de négliger ; pour les avoir trop négligés, on paie aujourd’hui une facture, y compris financière, importante.
Aussi, tout simplement, nous devons tenter de concilier, au cas par cas, ces impératifs. À certains endroits, il faudra effacer des obstacles…
M. Michel Bouvard. Ah !
Mme Barbara Pompili, secrétaire d’État. … et, à d’autres, ce ne sera pas nécessaire.
Laissons aux différents acteurs la possibilité de considérer la situation et de travailler ensemble pour trouver la meilleure solution. Tout dogmatisme sur cette question poserait problème.
Ne nous laissons pas entraîner par ceux qui, pour défendre des intérêts personnels, délaisseraient l’intérêt général. Essayons de rester les gardiens de cet intérêt général et de trouver les meilleures solutions. Je défends donc les moulins, qui constituent un magnifique patrimoine et qui peuvent contribuer à la solution, mais je suis évidemment, en tant que secrétaire d’État chargée de la biodiversité, gardienne de cet impératif de sauvegarde de l’environnement pour nos enfants.
Vous l’avez dit, vous avez obtenu, au travers de la loi Montagne, l’introduction dans le code de l’environnement d’une disposition relative aux moulins. Je la rappelle : « La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme. »
Par ailleurs, effectivement, nous devons mieux connaître les processus de la microhydraulique. Le ministère poursuit ainsi son action pour mieux concilier les enjeux du rétablissement de la continuité écologique et de la préservation des moulins. Le Conseil général de l’environnement et du développement durable rendra prochainement les résultats d’un travail sérieux et scientifique demandé par Ségolène Royal à ce sujet.
Pour toutes ces raisons, je vous demande, monsieur Chasseing, à l’instar du rapporteur, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable, car nous devons vraiment travailler en bonne intelligence sur ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Boulard, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Boulard. J’apporte mon soutien à cet amendement, qui constitue un message très fort : n’effaçons pas les barrages et les moulins susceptibles de produire de l’électricité hydraulique. Il constitue également un hommage à une révolution datant de 10 000 ans : durant la période du néolithique, les hommes ont eu l’idée de retenir l’eau pour l’utiliser quand ils en auraient besoin.
J’ajoute que, l’été dernier, lors de la sécheresse, l’État a demandé de fermer les vannes de barrages destinés à être « effacés », parce que l’on avait besoin de retenir l’eau. Il est donc temps que le Sénat affirme, très fortement, sa volonté de défendre les moulins et les barrages. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Dubois applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Je le précise d’emblée pour éviter toute ambiguïté, je suis tout à fait solidaire des propos du rapporteur. Je demande donc aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer.
Cela étant, cette discussion est extrêmement intéressante. On a le sentiment que le débat porte sur la création de moulins sur nos rivières.
M. Charles Revet. Il ne s’agit pas de cela !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. En effet, mais je réponds au Gouvernement.
L’amendement commence bien par la mention « Les anciens moulins » ; il s’agit principalement d’ouvrages remontant au XVIIIe siècle. Or, si l’on poussait le raisonnement jusqu’au bout – certains le souhaitent –, il faudrait les supprimer pour établir la continuité écologique.
M. Jackie Pierre. Ce serait une erreur !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. On bouleverserait ainsi, non seulement l’économie locale, au travers de la microhydraulique, mais encore les paysages et les usages.
Nous devons donc être extrêmement attentifs à cette question des anciens moulins, y compris du point de vue patrimonial, puisque ce sont souvent de petits monuments, qui peuvent être visités lors des journées du patrimoine. Il doit y avoir une réflexion à ce sujet pour ne pas conduire à ce que craint Jean-Claude Boulard, à savoir la disparition de ces petits monuments du génie français du XVIIIe siècle.
M. Michel Bouvard. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour explication de vote.
M. Michel Le Scouarnec. Cet amendement, certes très audacieux, mérite toute notre attention. J’ai eu l’occasion de rappeler, à plusieurs reprises, l’importance de l’hydroélectricité et son fort potentiel de développement.
M. Michel Bouvard. Très bien !
M. Michel Le Scouarnec. On recense, dans notre pays, 60 000 moulins et 100 000 seuils prêts à reprendre de l’activité. D’autres ont simplement besoin d’être équipés d’une petite turbine. Or certaines contraintes administratives freinent des projets d’hydroélectricité,…
M. Michel Bouvard. Eh oui !
M. Michel Le Scouarnec. … alors que les installations envisagées correspondent tout simplement à des remises en activité d’un patrimoine industriel existant, largement intégré dans nos paysages.
La continuité écologique est nécessaire, mais pourquoi détruire l’ensemble des seuils de moulins alors que, depuis 2006, des chercheurs ont démontré que ces seuils séculaires n’ont pas d’impact sur les migrations de poissons ? En faisant disparaître les seuils des moulins, on se prive d’un moyen important de lutte contre le réchauffement climatique via la production d’énergie renouvelable, l’hydroélectricité.
La conservation d’un seuil présente l’avantage de réduire la pollution de l’eau et ne nuira pas à la reconquête de la biodiversité aquatique, puisqu’il s’agit précisément d’espaces où elle est concentrée. Il faut donc adapter la philosophie de la continuité écologique à chaque site, selon les usages économiques, sociaux et, bien évidemment, environnementaux.
Par ailleurs, les moulins représentent des atouts importants pour l’activité touristique dans nos zones rurales ; les vingt-sept moulins à marée qui fonctionnaient jusqu’en 1960 dans le Morbihan en sont des exemples. Ils furent même au nombre de cent en Bretagne et de deux cents au Royaume-Uni. Ils sont assis tant sur la mer que sur la terre, en quelque sorte sur le trait de côte.
Les moulins à marée ne sont plus aujourd’hui que les témoins d’un passé disparu et les précurseurs des usines marémotrices ainsi que, dans une certaine mesure, des hydroliennes. Cette particularité très présente dans l’Ouest, notamment dans le Morbihan, démontre l’utilisation très ancienne de l’énergie d’origine naturelle.
Tout doit être fait pour utiliser mieux et davantage l’énergie, la force de l’eau, même si ce doit être mis en place dans un cadre bien défini et contrôlé par l’État. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. Ce débat me rappelle une discussion que nous avions eue à l’occasion d’un autre projet de loi ; c’était Mme Royal qui siégeait alors au banc du Gouvernement.
J’avais déposé un amendement dans le même esprit et, pour me convaincre de le retirer, Mme Royal avait affirmé que son cabinet organiserait une réunion avec tous les acteurs, y compris les parlementaires. J’ignore si cette réunion s’est tenue ; en tout cas, les parlementaires n’y ont pas été associés… Vous nous proposez presque la même chose aujourd’hui, madame la secrétaire d’État. Or je pense qu’il faut prendre une décision.
Je suis tout à fait d’accord avec le fait qu’une autorisation doit être nécessaire pour construire un nouveau moulin, je rejoins M. Lenoir à ce sujet, mais ceux qui existent depuis longtemps n’ont jamais empêché les poissons de remonter les cours d’eau. L’administration demande au propriétaire qui veut garder son moulin de construire une passe à poissons ; mais si les poissons remontaient autrefois, il n’y a pas de raison qu’ils n’y arrivent plus aujourd’hui. Ainsi, on exige du propriétaire des travaux que beaucoup d’amoureux des moulins ne peuvent assumer financièrement.
J’ai cosigné cet amendement, car il faut prendre des dispositions, quitte à les aménager par la suite. C’est tout de même magnifique, les moulins, c’est un patrimoine extraordinaire, vous venez de le dire ! En outre, s’ils ne broient plus du grain, ils permettent maintenant de produire de l’électricité. Certains organismes veulent les supprimer – je ne comprends toujours pas pourquoi –, alors qu’ils font partie de notre patrimoine et qu’ils n’ont jamais empêché les poissons de remonter les cours d’eau.
Je voterai donc cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je suis comme vous, mes chers collègues, une amoureuse des vieux moulins du XVIIIe siècle et de ce patrimoine. Néanmoins, je vous rappelle que la directive-cadre européenne sur l’eau a fixé la continuité halieutique comme principe. Nous devons donc garantir que les poissons puissent circuler normalement dans nos cours d’eau. Les ressources de poissons de rivière se sont appauvries en raison d’une mauvaise gestion de cette question.
Mme la secrétaire d’État ne dit pas que l’on va supprimer les moulins aveuglément, partout, pour assurer la continuité écologique. Elle indique qu’il doit y avoir, au cas par cas, un examen intelligent de la situation, d’où l’intérêt d’une autorisation administrative. On peut aménager le dispositif – par un changement d’horaire, une passe à poissons –, pour que les mécanismes garantissent une certaine continuité halieutique.
M. Michel Bouvard. Il y a un problème d’aval et d’amont… (Sourires.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Oui, mais l’Hamon va gagner, car on remonte toujours à la source… (Nouveaux sourires.)
Il s’agit d’une situation où la cécité, d’un côté comme de l’autre, ne peut constituer une stratégie. On ne peut laisser les choses se faire en prétendant que ces ouvrages ont toujours existé et qu’ils ne posent aucun problème, ni contredire le principe acté dans nos textes, au travers d’une directive européenne, de la continuité halieutique.
La stratégie proposée par le Gouvernement – la loi Montagne rappelle bien l’importance de ces moulins – me paraît pragmatique, mon cher Jean-Claude Boulard, vous qui êtes si attaché à cette notion. Cette position me semble équilibrée et juste.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. J’ai cosigné cet amendement, qui me semble plein de bon sens. Je ne parle pas d’amont ou d’aval (Mêmes mouvements.), mais je connais un peu les moulins, ma femme étant d’une famille de meuniers.
Il y a toujours eu des poissons dans les rivières. Aujourd’hui, ils sont plus menacés par la pollution que par les seuils. Je soutiens donc cet amendement, favorable à la ruralité. (MM. Michel Bouvard et Jackie Pierre applaudissent.)