M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je vous remercie de cette question.
Pour être tout à fait précise, le taux de démission parmi les enseignants s’élève à 0,15 %. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne cherche absolument pas à relativiser cette réalité. Je tiens simplement à ce que vous ayez ce chiffre à l’esprit.
Un certain nombre d’enseignants en début de carrière constatent effectivement que ce métier n’est pas fait pour eux. Ils décident donc de le quitter.
Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas cela !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Parallèlement, vous l’aurez sans doute noté, de plus en plus de personnes se tournent vers le métier d’enseignant après avoir suivi une autre carrière. Ainsi, près de 15 % des élèves inscrits en première année dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, sont en situation de reconversion professionnelle. Ce chiffre mérite d’être rapproché des 0, 15 % de démissions.
On constate tout simplement que nous vivons dans un monde où les salariés sont appelés à changer régulièrement de métier. Cette mobilité fait partie de l’évolution des cultures professionnelles.
Un sénateur du groupe Les Républicains. Tout va bien !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Pour notre part, ce qui nous importe – je vous le confirme –, c’est qu’une fois en exercice, les personnels enseignants soient bien formés, bien rémunérés, bien considérés et bien accompagnés.
L’atteinte de cet objectif passe par la recréation de la formation initiale ; elle passe également par les mesures que nous avons adoptées dans le cadre des parcours professionnels, carrières et rémunérations, les PPCR, qui nous conduisent à accompagner de manière beaucoup plus étroite les enseignants dans les premières années de leur carrière. Ainsi, nous sommes à même de répondre à leurs difficultés, de leur proposer les formations qui leur sont les plus utiles, et de ne jamais leur donner le sentiment d’être laissés à eux-mêmes.
Je tiens à vous rassurer : je ne fais pas partie de ceux qui estiment que tout va bien en matière de gestion des ressources humaines dans l’éducation nationale. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) À mon sens, nous pouvons encore nous améliorer. Mais le travail a déjà été bien entamé au cours de ce quinquennat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques-Bernard Magner. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour la réplique.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la ministre, votre réponse est convenue. Les résultats catastrophiques de la dernière enquête PISA impliquent de se poser les vraies questions. (Brouhaha sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Face à ces mauvais résultats, face à la désespérance des enseignants, plutôt que d’affronter les réalités, vous venez de nous expliquer qu’il convient de conforter et d’accentuer tous les mauvais choix qui ont conduit l’éducation nationale à cette situation préoccupante.
M. Jean-Pierre Sueur. On ne peut pas répondre avec des discours écrits à l’avance ! Il faut interdire les papiers lus !
Mme Patricia Morhet-Richaud. Vous me faites penser à cette citation de Bossuet : « Dieu rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Louis Carrère. Et bientôt, nous aurons des citations de Fillon ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
épidémie de grippe
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour le groupe Les Républicains.
M. Jérôme Bignon. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion.
Mes chers collègues, l’actualité de la France, ce n’est pas la primaire socialiste. L’actualité de la France, ce n’est pas l’intronisation de M. Trump. L’actualité de la France, aujourd’hui, c’est la grippe.
La grippe, c’est effectivement l’actualité de dizaines de milliers de parents inquiets de voir leurs enfants atteints par le virus.
La grippe, c’est l’actualité des 155 000 seniors déjà touchés et de tous ceux qui, isolés chez eux ou abandonnés dans un EHPAD, craignent d’être affectés.
La grippe, c’est l’actualité dramatique des familles endeuillées par ce fléau.
La grippe, c’est l’actualité des hôpitaux surchargés, des EHPAD déboussolés, des services d’urgences éreintés.
Mme Annie David. Il faudrait dire un mot des suppressions de postes !
M. Jérôme Bignon. La grippe, c’est l’actualité de tous ces personnels d’établissements hospitaliers et médico-sociaux où les lits font défaut, car ils sont fermés par décision gouvernementale.
La grippe, c’est l’actualité de médecins libéraux épuisés et pas assez nombreux.
La grippe, c’est l’actualité de ceux de nos compatriotes qui vivent dans des déserts médicaux.
La grippe, c’est l’actualité de ceux qui font la queue dans les cabinets médicaux, ou qui attendent parfois vingt-quatre heures pour être pris en charge dans un service d’urgences.
Pourtant, la grippe n’est pas un phénomène surprenant. Elle n’a rien d’invraisemblable. Elle est là chaque année, plus ou moins forte, mais elle est là, et avec de grands pics qui reviennent tous les cinq ans : leur occurrence est bien connue.
Madame la secrétaire d’État, nous sommes donc surpris par une impression générale d’imprécision. L’action du Gouvernement semble improvisée, très imprécise, très floue, très peu maîtrisée, voire très peu professionnelle.
Alors que nous sommes en pleine épidémie, le débat entre la direction générale de la santé, la DGS, qui réclame un retour obligatoire à la vaccination des professionnels, et le directeur général de l’Agence nationale de santé publique, l’ANSP, qui, lui, ne souhaite qu’un élargissement des mesures, paraît surréaliste.
Que pouvez-vous nous dire pour rassurer les parlementaires présents dans cet hémicycle et, plus généralement, nos compatriotes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bignon, je vous demande tout d’abord de bien vouloir excuser la ministre de la santé, Marisol Touraine, laquelle se trouve précisément dans un hôpital qui fait face à l’épidémie de grippe. (Elle l’a attrapée ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous avez raison, monsieur le sénateur, de rappeler que la grippe n’est pas une maladie bénigne, en particulier pour les personnes âgées et pour les autres sujets fragiles.
En matière de vaccination, on peut toujours faire mieux. En cette période propice, je forme le vœu que l’année prochaine à l’automne, au moment de la campagne de vaccination, il y ait autant de responsables politiques qui prennent la parole pour inciter à la vaccination, que de questions, au moment de l’épidémie, sur ce qui s’est passé ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Dès le 28 octobre, la ministre de la santé a transmis à l’ensemble des professionnels de santé et au grand public des messages de préparation à l’épidémie, dont on ne connaît jamais à l’avance l’ampleur. Cette année, il faut le reconnaître, elle est précoce et virulente.
Dès le 21 décembre, des mesures ont été prises au niveau des établissements de santé, en particulier des hôpitaux publics, et des dispositifs spécifiques ont été mis en œuvre, depuis ce que l’on appelle « hôpital en tension » jusqu’au plan blanc, qui permettent de rappeler des personnels, de rouvrir des lits ou encore de déprogrammer des activités non urgentes.
Le Président de la République a organisé ce matin une réunion à l’Élysée pour faire le point ; 192 hôpitaux et établissements de santé se sont déclarés en tension, ce qui a conduit à reporter certaines activités non urgentes.
Plus que jamais, cette épidémie nous rappelle que l’hôpital public est notre patrimoine commun ; à l’approche des échéances électorales, il faut alerter les Français : supprimer 500 000 fonctionnaires, et donc des dizaines de milliers de postes à l’hôpital public, cela emportera des conséquences funestes sur leur état de santé ! (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mardi 17 janvier, à seize heures quarante-cinq.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Candidature à deux commissions mixtes paritaires
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales a fait connaître à la présidence qu’elle propose la candidature de Mme Annie David pour siéger, en qualité de titulaire, au sein, d’une part, de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique et modifiant l’article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, et, d’autre part, de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et comportant diverses dispositions relatives aux produits de santé ; en remplacement de Mme Laurence Cohen, démissionnaire.
Cette candidature a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
4
« Faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? »
Débat organisé à la demande du groupe du RDSE
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du RDSE, sur le thème : « Faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? »
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, orateur du groupe auteur de la demande.
M. Pierre-Yves Collombat, au nom du groupe du RDSE. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues – venus nombreux participer à ce débat, dont le thème, sans doute, n’est pas important… –, on peut lire dans Le Bêtisier de Maastricht, rassemblé par Jean-Pierre Chevènement quelques années après le référendum de septembre 1992, cette tirade de Jacques Delors, en campagne à Quimper : « [Les partisans du non] sont des apprentis sorciers. […] Moi, je leur ferai un seul conseil : “Messieurs, ou vous changez d’attitude, ou vous abandonnez la politique. Il n’y a pas de place pour un tel discours, de tels comportements, dans une vraie démocratie qui respecte l’intelligence et le bon sens des citoyens”. »
En posant la question « faut-il réformer la zone euro ? », j’ai bien conscience de prendre le risque de me retrouver au rang des imbéciles, des manipulateurs – on dit aujourd’hui populistes –,…
M. André Gattolin. Pas vous !
M. Pierre-Yves Collombat. … des europhobes – forme la plus vicieuse des xénophobes –, autant dire des racistes.
Ce qui me rassure, à voir les résultats des urnes partout en Europe, à lire Stiglitz, Allais, Krugman, Galbraith, Sapir et bien d’autres économistes, c’est que je n’y serai pas tout seul !
Deux arguments principaux ont été mobilisés pour justifier la création de l’Union économique et monétaire et de la monnaie unique. L’argument économique : le traité, dira Michel Sapin, déjà ministre des finances, c’est « plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité » ; et l’argument de la souveraineté : moins de souveraineté au niveau européen c’est plus d’indépendance monétaire et financière vis-à-vis des États-Unis.
Les faits se chargeront de montrer, avant 2008 et plus encore après, qu’en matière de croissance et d’emploi la zone euro faisait moins bien que les États-Unis et même, à partir de 2003, moins bien que l’Union européenne à vingt-huit en matière de chômage. En mai 2016, le différentiel atteignait 1,5 %. À ce jeu, il n’y a que des perdants, et un seul gagnant : l’Allemagne, qui accumule les excédents.
Quant à l’Europe sociale, non seulement elle n’a pas progressé, mais elle régresse partout, même en Allemagne. Entre 2004 et 2014, la pauvreté touchera un million de personnes en plus en France. La situation est telle que l’inertie de l’Europe, à laquelle beaucoup prédisent l’avenir de stagnation d’un Japon, englouti sous la liquidité depuis plus de vingt ans, est de plus en plus dénoncée. Un autre signe de blocage est la baisse du commerce intraeuropéen.
Les dégâts de la crise montreront que la zone euro est toujours une province de l’Empire américain. Si le décalage dans la chronologie de la crise des subprimes a pu laisser croire un moment à un décrochage entre les systèmes financiers européen et américain, la suite montra qu’il n’en était rien.
Où les capitaux se réfugièrent-ils en 2008, alors que la crise battait son plein aux États-Unis ? À New York plutôt qu’à Francfort ou à Paris. Qui sanctionne les entreprises européennes accusées de contourner la réglementation étatsunienne à l’extérieur des États-Unis ? La justice des États-Unis ! Le rapport de nos collègues députés Karine Berger et Pierre Lellouche est édifiant : tout échange en dollar est susceptible de relever des justices des États-Unis.
Depuis 2008, on estime que des amendes d’un montant compris entre 20 milliards et 40 milliards d’euros ont été infligées à des banques et à des entreprises européennes en raison de manquements commis hors du territoire américain, ce qui n’a rien à voir avec le redressement fiscal imposé à Apple pour des faits qui se sont produits sur le territoire européen, dont il reste d’ailleurs à connaître l’issue.
Ce qui frappe, dans la gestion de cette crise venue des États-Unis, c’est le manque de réactivité et le dogmatisme des Européens. L’Europe s’avère « structurellement faible » par temps de crise, écrit Paul Krugman. C’est le moins que l’on puisse dire !
À la différence des États-Unis, qui ont réagi très vite et très puissamment, en ne séparant pas sauvetage du système financier et relance économique, en alliant une politique des taux directeurs, la mise en place de plan d’aide à la consommation et à la relance et une politique massive de quantitative easing. En 2011, la Banque centrale européenne, la BCE, luttait encore contre une inflation imaginaire et relevait son taux directeur.
Il faudra attendre l’arrivée du rusé Mario Draghi pour que la BCE utilise le quantitative easing dans un objectif de relance économique ainsi que le rachat de titres souverains sur le marché secondaire afin de couper les ailes à la spéculation, avec un succès mitigé.
Cerise sur le gâteau, la zone euro ne s’est pas contentée de subir la crise importée d’Amérique : à partir de 2010, elle en affronte une, et une bien européenne, la crise grecque, sur fond de crise des dettes souveraines, dont l’origine est d’abord le mode de construction de la monnaie unique. Il fallait tout de même oser retirer aux membres de la zone euro le pouvoir de battre monnaie, directement ou indirectement !
Pour sauver les meubles, faute d’une banque centrale habilitée à financer directement la dette publique et mettant ainsi les États à l’abri d’une spéculation mortelle, on a bricolé un système de financement collectif complexe, limitant un peu plus les marges budgétaires des États : Mécanisme européen de solidarité financière, ou MESF, Fonds européen de stabilité financière, ou FESF, Mécanisme de stabilité financière, ou MES, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’union économique et monétaire, ou TSCG.
Cinq ans auront donc été nécessaires pour ne pas régler au fond la situation de la Grèce, dont le PIB représente 3 % de celui de la zone euro, sans garantie que le dispositif mis en place fonctionnera au bénéfice de pays plus importants, tels que le Portugal, l’Espagne et surtout l’Italie, dont le système bancaire est au bord de l’implosion. Ce n’est pas véritablement une réussite !
En outre, tout cela a conduit à installer directement une austérité budgétaire et sociale mortifère en Grèce, dont le PIB en 2016 aura retrouvé le niveau qu’il avait en 2002, et à alimenter la stagnation économique du reste de la zone euro.
« C’est l’inflexibilité de l’euro, et non les dépenses publiques, qui se trouve au cœur de la crise » écrit Paul Krugman. Il ajoute que si certains gouvernements « ont été irresponsables », le problème fondamental fut l’orgueil, la croyance arrogante que l’Europe pouvait « adopter une monnaie unique bien avant que le continent n’y soit prêt ».
Cela nous amène au cœur du problème, qui est le mode de construction de la zone euro et les principes sur lesquels elle repose.
L’euro est une tentative inédite de créer une monnaie sans référence à l’étalon-or, sans pouvoir souverain pour la légitimer, l’administrer et la gouverner en cas de crise ; une monnaie sans garantie mutuelle permanente des dettes permettant l’émission d’euro-obligations ; non pas une monnaie unique, mais un système de parités fixes entre des monnaies zombies, sans mécanisme permettant de réduire les excédents et les déficits inéluctables entre des pays dont les productivités économiques sont très différentes.
Le résultat, c’est une monnaie sous-évaluée pour l’Allemagne, la seule bénéficiaire du système, et surévaluée pour tous les autres membres de la zone ! En cas de crise, faute de pouvoir dévaluer leur monnaie, les pays n’ont plus que le choix de la « dévaluation interne » par la baisse des salaires et de l’investissement, renforçant les facteurs de dépression localement et dans l’Europe tout entière.
Quand se conjuguent baisse des salaires et désendettement, il ne faut pas s’étonner de trouver la dépression au rendez-vous, d’autant plus que les contraintes budgétaires inscrites dans le traité interdisent de fait toute politique de relance, par la consommation comme par l’investissement.
Ce système, en refusant toute monétisation de la dette publique ou sociale, crée, au mieux, une rente perpétuelle pour les banques ou, au pire, expose les États, ainsi placés dans la main des marchés, au chantage spéculatif. Avant l’euro, le Trésor et les banques centrales nationales surveillaient le taux de change ; maintenant, ils surveillent le spread. Considérable progrès !
Le garant de cet ordre, c’est le respect de quelques règles budgétaires bricolées sur un coin de bureau, alors même qu’il n’est pas prévu de politique budgétaire ou économique commune par les États, sous la surveillance du haut clergé financier central. S’y ajoute un système de banque centrale, chargée de lutter contre l’inflation, mais pas contre la stagnation.
Faut-il donc réformer la zone euro ? Oui, sans conteste. Peut-on réformer la zone euro ? Très probablement non.
En échangeant son soutien à la réunification allemande contre la monnaie unique, la France pensait régler définitivement son problème de toujours : la parité entre le franc et le mark. Certes, elle risquait d’y perdre son industrie – ce qui arriva ! –, mais elle y gagnerait, pensait-elle, le leadership bancaire. C’était une sorte de partage des rôles.
La maîtrise d’œuvre de la zone euro ayant été abandonnée aux Allemands, le résultat fut toutefois un peu différent de ce qui avait été prévu. On ne voit donc pas pourquoi l’Allemagne accepterait de modifier un système qui lui réussit si bien et s’ouvrirait à des aménagements, même mineurs, qu’elle a toujours refusés.
Quant à la sortie par le haut, par le destin fédéral dont ont toujours rêvé les porteurs du projet européen, lesquels, certains que l’Europe se construirait à travers des crises surmontées, ont bâti cet énorme poumon d’acier, elle me semble bouchée et je crains que ses soutiens déchantent rapidement.
Philippe Séguin, qui avait prévu ce qui allait se passer, disait à la tribune de l’Assemblée nationale en mai 1992, lors du débat préalable à la ratification référendaire du traité de Maastricht : « Quand, du fait de l’application des accords de Maastricht, notamment en ce qui concerne la monnaie unique, le coût de la dénonciation sera devenu exorbitant, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui aura été fait.
« Craignons alors que, pour finir, les sentiments nationaux, à force d’être étouffés, ne s’exacerbent jusqu’à se muer en nationalismes et ne conduisent l’Europe, une fois encore, au bord de graves difficultés, car rien n’est plus dangereux qu’une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s’exprime sa liberté, c’est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin. »
Je me trompe peut-être, mais mon sentiment est que nous y sommes.
Descendant de quelques étages, je finirai par une prédiction nettement plus réconfortante de Bernard Kouchner, lors de la campagne référendaire de Maastricht : « Avec Maastricht, on rira beaucoup plus ! » Mes chers collègues, je compte sur vous pour lui donner raison. (MM. François Fortassin et Jean-Noël Guérini applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour le groupe UDI-UC.
M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, puisque nous en sommes encore à une période de vœux, le groupe UDI-UC souhaite ardemment qu’en 2017 nous parlions beaucoup de l’Europe, non pas pour la détruire, mais bien au contraire pour la construire et l’affirmer plus encore. Elle en a bien besoin, et les différentes échéances qui se présentent offriront l’occasion de consolider le débat européen et de confronter nos points de vue à ce sujet.
Je remercie le groupe RDSE d’avoir organisé ce débat sur le fonctionnement de la zone euro. C’est effectivement un sujet important. J’étais de ceux qui, en 1992, ont voté avec enthousiasme le traité de Maastricht constituant l’union économique et monétaire pour l’Europe. La majorité des Français l’avait approuvé.
J’ai été très heureux également quand, voilà quinze ans très précisément, dix-neuf pays de l’Europe ont mis en place cette nouvelle monnaie, l’euro, laquelle, à mon sens, a permis de favoriser les échanges et les déplacements des personnes et a ainsi affirmé plus encore le sentiment européen. On ne peut que s’en réjouir.
Je fais une lecture plutôt positive de la mise en place de l’euro, parce qu’il nous a permis de surmonter en 2008 une crise particulièrement grave. Les pays les plus fragiles, comme la Grèce, ont pu s’en sortir grâce à la solidarité des différents pays européens adhérant à la zone euro. Rien n’est pire que le repli sur soi. Si les Grecs n’avaient pas eu le soutien des Européens à cette occasion, nul doute qu’ils auraient connu les pires difficultés et perdu toute crédibilité sur la place internationale.
Le fait, au contraire, d’être partenaire des dix-huit autres pays de la zone euro a permis à la Grèce de s’en sortir comme, auparavant, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne ou l’Italie, qui ont connu des difficultés.
Cela signifie non pas que tout va bien avec l’euro, mais que nous avons pu surmonter un certain nombre de crises. Nous devons continuer à construire cette Europe et à confirmer l’euro comme étant une valeur importante. Le fait que le Royaume-Uni quitte l’Union ne change rien à cela : ils ont toujours été en dehors de l’euro.
Que faut-il faire pour continuer à progresser ? Il faut bien sûr inciter d’autres pays de l’Union européenne à adhérer au dispositif de l’euro, mais, d’abord, sur le plan institutionnel, il faut organiser plus de réunions régulières entre les responsables de la zone euro. L’article 12 du traité budgétaire prévoit aujourd’hui des réunions lorsque des circonstances exceptionnelles le nécessitent, comme ce fut le cas pour la Grèce, et au moins deux fois par an.
À mon sens, conformément aux conclusions d’un rapport sénatorial récent, ces réunions devraient être institutionnalisées au moins tous les deux mois, de façon à aborder régulièrement l’ensemble des problématiques de la zone euro.
Au nom du groupe UDI-UC, j’ajoute que nous devons encore plus construire l’Europe. Valéry Giscard d’Estaing disait que « l’Europe est une trajectoire et non un état stationnaire. » Effectivement ! Depuis la Seconde Guerre mondiale, nous avons construit une Europe fraternelle et ainsi supprimé les conflits sur son territoire. Nous devons continuer en ce sens, en affirmant encore plus notre regroupement au niveau économique.
Pour cela, un certain nombre de conditions s’imposent, d’abord concernant la fiscalité. Aujourd’hui, les dispositions fiscales sont particulièrement disparates dans les dix-neuf pays de la zone euro. Nous devrons certainement tendre vers une situation à la moyenne de la fiscalité de pays concernés. Si l’on veut que les conditions économiques de concurrence entre les différents pays soient identiques, il faut que les conditions fiscales le soient également.
Sans doute devrons-nous également continuer à affirmer cette Europe !
Telles sont les propositions que le groupe UDI-UC souhaitait mettre en avant. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? La question posée est pertinente, mon cher Pierre-Yves Collombat, et la réponse est évidemment oui. Reste à savoir comment faire…
La zone euro est en crise, même si nous avons franchi une période difficile en 2012, j’y reviendrai, parce que je diffère de mon excellent collègue Michel Canevet à propos de la solidarité des États, mais le constat est clair, notamment depuis 2008.
Nous avons alors assisté à une crise de la dette privée, avec l’effondrement de la banque Lehman Brothers, qui s’est rapidement muée en crise de la dette souveraine en 2010, puisque, globalement, les États ont renfloué les victimes de la crise financière au prix d’un accroissement impressionnant de leur dette publique et d’une augmentation très forte de leur déficit budgétaire afin de compenser les effets économiques et sociaux de cette crise.
On dit souvent que c’est le non-respect des critères qui a provoqué la crise, mais en réalité, c’est la crise qui a provoqué le non-respect des critères !
Nombre de pays de l’Union européenne se sont trouvés en situation de ne plus respecter deux des critères majeurs du traité de Maastricht énoncé dans l’article 121 qui fondaient les conditions de création de l’euro et de la zone qui lui était attachée : un déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB et un taux d’endettement public en dessous de 60 % du PIB. On oublie que le premier critère était une inflation limitée à 1,5 %. On n’en parle plus, parce que cela ne concerne pas beaucoup de pays de l’Union européenne aujourd’hui !
Si la zone euro est encore là et qu’elle a survécu à la grande crise qu’elle a connue en 2012 après la menace de défaut de la Grèce, mais aussi de plusieurs autres États membres, le constat d’échec demeure. Les performances économiques des pays de cette zone sont inférieures à celles d’autres pays de l’Union européenne qui n’en font pas partie et elles sont surtout inférieures à celles des États-Unis, pourtant à l’épicentre de la crise qui a frappé l’économie mondiale en 2008.
Les disparités financières et économiques se sont singulièrement accrues entre États de la zone euro et même l’Allemagne, qui s’en tire bien mieux que les autres, n’est pas en si bonne situation.
Les modèles de croissance fondés par les États membres considérés comme les plus vertueux au regard des critères de Maastricht se basent de plus en plus sur le chacun pour soi, leur succès s’obtient au détriment de leurs partenaires, si l’on peut encore utiliser ce terme. L’Allemagne bénéficie ainsi d’un excédent commercial excessif, d’autres, de pratiques fiscales relevant du dumping.
C’est le constat fait aujourd’hui par nombre d’économistes, dont Joseph Stiglitz. Je le fais mien, sans partager ses conclusions : la crise est là, et l’euro a échoué dans deux de ses principaux buts, à savoir la prospérité et l’intégration économique.
Ces dysfonctionnements, selon moi, trouvent leurs racines dans les vices cachés présents depuis la création de la zone euro.
Pour ma part, je suis favorable à une monnaie unique européenne. Pourtant, en 1992, au moment du référendum sur le traité de Maastricht, alors que j’étais l’un des responsables des jeunesses européennes fédéralistes, j’ai fait scandale en annonçant que je m’abstiendrai. En effet, j’étais certes pour l’euro, mais contre un euro sans gouvernance économique ni surtout politique pour l’encadrer.
Je ne vous cache pas que, pendant plus de dix ans, je suis passé pour un idiot. Puis, les crises ont montré que les choses ne tournaient pas d’elles-mêmes, et que le fonctionnement de la zone euro était fondé sur une large ambiguïté : l’article 125 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précisait qu’il n’y aurait pas de solidarité financière entre les États en cas de crise ; à la demande de l’Allemagne, ce même article réduisait la BCE aux acquêts, lui confiant la seule mission de juguler l’inflation, et l’empêchant de prêter aux États tiers ou aux États membres ; mais, lorsque cette gardienne de l’inflation s’est trouvée en échec et jusqu’à la veille de la crise de 2007-2008, les marchés ont cru à une solidarité qui n’était pourtant pas dans les textes.
On avait alors largement outrepassé les textes, puisque, en 2003, quand la Commission européenne a pris des mesures pour demander des sanctions contre la France et l’Allemagne pour déficit excessif, un compromis habile avait été trouvé, comme par miracle. Celui-ci avait également permis, au passage, d’effacer l’ardoise de la Grèce, qui avait déjà quelques difficultés flagrantes.
À l’issue de cette crise, l’Allemagne, qui se trouve dans une position relativement forte, réaffirme tout à coup des exigences anciennes : juguler l’inflation et maîtriser les dépenses, à un moment où nous avons besoin de ces dernières pour reconstruire l’investissement.
Nous devons trouver des solutions, mais la création un ministre des affaires économiques et financières de la zone euro que l’on nous propose aujourd'hui n’est qu’un gadget ! Nous voyons bien que Mme Frederica Mogherini, qui est l’équivalent d’un ministre européen des affaires étrangères, n’a aucun poids réel face à vingt-huit politiques étrangères différentes. Les choses se jouent désormais au niveau politique.
Il nous faut retrouver une solidarité financière entre les États européens. Sans cela, la zone euro n’a pas de sens, car une crise touchant la Grèce ou Chypre risque de menacer tout l’édifice, alors que ces pays ne représentent que quelques pour cent du PIB européen.
Nous devons repenser non seulement les fondements de la zone euro, mais également l’organisation globale et les fondations de l’Europe, même si je n’ai malheureusement pas le temps de développer mes idées sur ce point. (MM. Pierre-Yves Collombat et Jean Bizet applaudissent.)