M. Philippe Bas. Merci !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis une vingtaine d’années, les procédures pénales dérogatoires au droit commun se sont étendues. Elles se sont construites, de façon morcelée, autour du terrorisme, du trafic de stupéfiants, du proxénétisme et, finalement, de la criminalité organisée. L’objectif affiché est le renforcement de l’efficacité répressive, mais il s’agit aussi d’éviter les manœuvres d’intimidation sur les jurés populaires constituant les cours d’assises qu’on qualifiera de traditionnelles.
Toutefois, cette extension continue des procédures dérogatoires soulève la question de la conciliation entre sécurité et liberté. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui n’échappe pas à cette règle et à ce questionnement.
Depuis 1986, la compétence de jugement des affaires de terrorisme est centralisée devant les juridictions parisiennes et les règles de composition et de fonctionnement des cours d’assises dérogent au droit commun, puisque ces affaires sont jugées par une cour d’assises spécialement composée de magistrats professionnels, sans jurés.
Mettant en avant l’ouverture en 2017 de deux grands procès, l’augmentation du nombre de journées d’audience en 2017 – cela a été rapporté précédemment par l’auteur de cette proposition de loi –, ainsi que, en général, une augmentation durable des affaires liées au terrorisme – M. le garde des sceaux l’a également rappelé –, ce texte prévoit donc de modifier la composition de la cour d’assises spéciale, afin d’améliorer le fonctionnement de la justice.
Dans les faits, il s’agit de réduire de deux membres le nombre d’assesseurs professionnels siégeant au sein de cette cour d’assises, qui passerait ainsi de six à quatre en premier ressort et de huit à six en appel. Cela permettrait, pour le rapporteur, d’audiencer un plus grand nombre d’affaires terroristes et d’améliorer le fonctionnement du tribunal de grande instance de Paris, qui serait substantiellement moins mobilisé pour composer les cours d’assises. Monsieur le rapporteur, vous avez même parlé d’ « embolie » à propos du tribunal de grande instance.
Nous ne pouvons nier que la composition de cours d’assises spéciales a une incidence réelle sur l’activité à venir du tribunal de grande instance de Paris, puisque les magistrats mobilisés à cette fin ne seront plus affectés « aux affaires courantes », ce qui, bien évidemment, pose de véritables questions en termes d’organisation de notre justice et de délais d’instruction.
Nous faisons tous le même constat : au regard de l’augmentation du contentieux terroriste, des moyens supplémentaires sont nécessaires à la bonne administration de notre justice.
Je n’ai cessé, comme l’ensemble des membres de mon groupe, de dénoncer ici la baisse du budget de la justice, la réduction des effectifs dans le cadre d’une refonte de la carte judiciaire, l’asphyxie des juridictions par l’absence de crédits suffisants de fonctionnement – permettez-moi d’avoir une pensée pour celles et ceux qui travaillent au tribunal de Nancy, dans des conditions climatiques difficiles –, l’engloutissement des moyens humains et financiers dans la priorité donnée à la machine pénale et l’inflation carcérale.
Pour reprendre les mots d’un ancien procureur général de Paris, le retard accumulé durant ces dix dernières années en termes budgétaires est gigantesque – nous sommes au même niveau que la Moldavie !
Les effectifs constituent l’un des points faibles de notre système judiciaire. En 2012, la France ne comptait que 10,7 juges professionnels pour 100 000 habitants, soit moitié moins que la moyenne des pays du Conseil de l’Europe, qui est de 21.
C’est pourquoi nous ne souscrivons pas à la solution proposée par cette proposition de loi, qui fait le choix d’adapter notre droit à la pénurie de magistrats, pénurie provoquée par les choix des gouvernements précédents, notamment celui qui fut dirigé par M. Fillon,… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Un excellent gouvernement !
Mme Cécile Cukierman. …qui a réduit les effectifs et les moyens de fonctionnement de la justice. Malgré la volonté du gouvernement actuel de corriger cette faiblesse des effectifs, il manque toujours des magistrats dans l’ensemble des juridictions.
Loin de la nécessité d’augmenter les moyens et les effectifs, opter en faveur de la réduction du nombre d’assesseurs, c’est faire le choix d’une atteinte indirecte au principe de collégialité, principe qui garantit les droits de la défense.
Oui, la montée en charge du tribunal de grande instance de Paris est sans précédent, mais, face aux conséquences de politiques pénales qui viennent inévitablement engorger cette juridiction, devons-nous vraiment adapter notre droit, plutôt que de répondre au problème des moyens ?
C’est plus de magistrats qu’il faut, et non moins de droits pour les justiciables, quelles que soient les poursuites engagées. En effet, il faut noter que cette cour d’assises spéciale est compétente en matière non seulement de terrorisme, mais aussi de crimes militaires commis en temps de paix, de crimes commis par les militaires dans l’exercice du service, y compris pour des infractions commises dans le service du maintien de l’ordre ou en matière de trafic de stupéfiants. La modification proposée s’appliquera donc également à ces affaires.
Enfin, comme le souligne le rapporteur, de nombreux syndicats sont opposés à la réforme proposée, qu’il s’agisse d’organisations représentant des magistrats ou des avocats. En effet, il faut garder à l’esprit qu’on parle des crimes les plus graves, de ceux qui troublent le plus gravement l’ordre public, et, par conséquent, de ceux pour lesquels les accusés encourent les peines les plus lourdes. Dès lors, le principe d’une collégialité étendu nous apparaît essentiel.
Une telle réforme aurait également un impact sur l’autorité de la décision. Comme le souligne le président de l’association des avocats pénalistes, « lorsqu’elle est rendue par un nombre important de personnes, symboliquement, on lui accorde une autorité plus grande ».
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi.
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, à la tribune d’honneur du Sénat, une délégation de cinq sénateurs japonais, conduite par M. Takuya Yanagimoto, président de la commission sur la Constitution de la Chambre des conseillers du Japon. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le garde des sceaux, ministre de la justice, se lèvent.)
La délégation japonaise est actuellement en Europe pour étudier trois sujets : le bicamérisme, la promotion de la participation des jeunes et des femmes à la vie politique, et les moyens de la démocratie participative. La France est la deuxième étape de son déplacement sur notre continent, après l’Italie, où elle s’est rendue hier, et la Suède, où elle sera demain.
La délégation s’est entretenue, notamment, avec M. Jean-Pierre Sueur, vice-président de la commission des lois et membre du groupe d’amitié France-Japon, que préside notre collègue David Assouline.
La délégation vient par ailleurs d’échanger avec MM. Henri Cabanel et Philippe Bonnecarrère, respectivement président et rapporteur de la mission d’information du Sénat constitué sur le thème : « Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017 ? »
Le Sénat français entretient d’excellentes relations d’amitié avec la Chambre des conseillers du Japon et se réjouit de recevoir cette délégation.
Mes chers collègues, permettez-moi de souhaiter à nos homologues du Parlement japonais, en votre nom à tous et en mon nom personnel, une cordiale bienvenue. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le garde des sceaux, applaudissent.)
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Composition de la cour d'assises spéciale
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi relative à la composition de la cour d’assises de l’article 698-6 du code de procédure pénale.
Discussion générale (suite)
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous avons encore l’illustration de la confrontation entre le principe de réalité et les objectifs que nous devrions tous avoir depuis longtemps pour promouvoir une justice efficace, si toutefois nous avions l’habitude de développer dans ce pays une approche suffisamment prospective.
M. Philippe Bas. Nous ne pouvions pas prévoir les attentats, cher collègue !
M. Jacques Mézard. En la matière, ce principe de réalité conduira les membres de notre groupe à voter unanimement en faveur de ce texte, tout en constatant que l’adaptation des institutions judiciaires à la demande immédiate n’est pas nécessairement la meilleure solution. En effet, elle ne fait qu’ajouter à la cacophonie et à l’incohérence qui règnent dans le fonctionnement de notre système pénal, caractérisé par une accumulation de textes compliquant la tâche des magistrats.
En l’occurrence, le principe de réalité, c’est l’augmentation considérable du nombre d’ouvertures d’informations judiciaires en matière de terrorisme et du nombre d’enquêtes préliminaires : elles ont crû respectivement de 93 % et de 70 % entre 2015 et 2016, portant le stock à 288 informations judiciaires et 287 enquêtes préliminaires.
Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, car vous l’avez dit nettement en prenant possession du merveilleux bureau que vous occupez à la Chancellerie, la bonne solution, la logique, le bon sens et l’efficacité commanderaient d’avoir le nombre de magistrats nécessaires pour bien faire fonctionner la justice.
Si, chaque fois que nous sommes confrontés à une augmentation du nombre de dossiers, nous choisissons de réduire le nombre des magistrats qui les traitent ou de sortir certaines affaires de la compétence judiciaire – nous en avons des exemples récents –, je ne suis pas persuadé que nous ferons avancer la justice dans ce pays. Pourtant, c’est bien ce qui se passe sous les majorités successives.
Il faudra bien, un jour, que nous ayons en France suffisamment de magistrats, en tout cas un nombre raisonnable au regard des pays comparables.
Nous avons constaté, voilà plusieurs années, qu’il fallait développer la collégialité. Les pôles d’instruction ont été créés, mais la loi n’a pas vraiment été appliquée. Aujourd’hui, une fois de plus, confrontés au principe de réalité, on réduit le nombre de magistrats composant une juridiction.
Comme Mme Cukierman l’a rappelé, les cours d’assises spéciales ne jugent pas que des affaires terroristes, et la juridiction parisienne ne sera pas la seule concernée, ce qui pose problème. Il serait temps de développer une vision prospective et de cesser de régler les difficultés de cette manière.
Cela étant, nous n’entendons pas faire obstacle à ce texte, qui répond à un véritable problème.
Je sais, monsieur le président de la commission des lois, que le Sénat réfléchit beaucoup au redressement de la justice, mais je ne pense pas que ce soit en accumulant les textes et en allant vers des systèmes sécuritaires que l’on résolve les problèmes. Ce n’est pas ce que vous avez en tête, monsieur le président de la commission, je le sais, et j’espère que nous pourrons trouver des solutions utiles.
Ces juridictions spéciales fonctionneront-elles mieux si le présent texte est adopté ? Ce dernier permettra de réduire le stock, en tout cas de réduire son accroissement, mais il pose le problème du bon exercice de la collégialité, que nous n’avons pas été capables de régler depuis nombre d’années.
Clemenceau disait : « Pour prendre une décision, il faut être un nombre impair de personnes, et trois c’est déjà trop ! » (Sourires.) Tout est dit ! Continuons ainsi, et le problème risque en effet d’être résolu de cette façon. Je ne crois pas pourtant que le développement du juge unique dans toutes les matières, souvent dénoncé par ailleurs, soit la panacée.
En conclusion, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voterons ce texte sans aucun enthousiasme, conformément au principe de réalité, lequel n’est toutefois pas le meilleur moyen de faire avancer la justice dans ce pays. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi vise à modifier la composition de la cour d’assises spéciale. Cette dernière est actuellement composée d’un président et de six assesseurs lorsqu’elle statue en première instance, et d’un président et de huit assesseurs quand elle statue en appel.
Cette organisation a fait la preuve de son efficacité depuis 1986. Aujourd’hui, elle est mise à l’épreuve par l’accroissement sans précédent du nombre de procédures ouvertes pour infraction terroriste. Au 1er décembre 2016, la section antiterroriste du parquet de Paris dénombrait 288 informations judiciaires et 287 enquêtes préliminaires, dont 160 informations judiciaires et 195 enquêtes préliminaires pour le seul contentieux syro-irakien.
Mes chers collègues, vous n’êtes pas sans savoir que le dispositif judiciaire antiterroriste français se caractérise par la centralisation parisienne et la spécialisation des magistrats. L’ensemble des infractions terroristes criminelles, pour lesquelles le parquet de Paris a retenu sa compétence antiterroriste, est jugé par la cour d’assises de Paris. Quel problème se pose, dès lors ?
Tout d’abord, la cour d’assises de Paris est susceptible d’être particulièrement sollicitée pour composer les cours d’assises spéciales. Il y aura ainsi, en 2017, quatre compositions de cours d’assises permanentes, dont une spécialement composée pour des affaires essentiellement terroristes.
À cette difficulté s’en ajoute une autre, amenée par le contexte de forte menace terroriste que nous connaissons, hélas, en France. Alors que la cour d’assises spécialement composée de Paris devra juger en 2017 au minimum sept dossiers, eu égard au respect du délai d’un an d’audiencement prévu par l’article 181 du code de procédure pénale, la situation de la cour d’assises de Paris est aggravée par l’augmentation très importante du nombre de procédures pour crimes terroristes. La cour d’assises de Paris apparaît donc aujourd’hui en très grande difficulté.
L’augmentation actuelle des procédures pour infractions terroristes aura un effet particulièrement chronophage pour les magistrats pouvant siéger à la cour d’assises spéciale, pour des dossiers qui peuvent réclamer entre six jours et plusieurs semaines d’audience.
Par conséquent, la réduction du nombre d’assesseurs de la cour d’assises spécialement composée est une nécessité pour l’efficacité de la justice pénale. C’est dans cette perspective que la proposition de loi vise à modifier la composition de la cour d’assises spéciale, en ramenant le nombre d’assesseurs de six à quatre en première instance et de huit à six en appel.
Une telle modification de la composition de la cour d’assises spéciale aurait vocation à s’appliquer à toutes les matières relevant de sa compétence et ne serait pas réservée au seul jugement des crimes terroristes.
Cette mesure contribuerait à réduire les délais de comparution pour améliorer l’effectivité du droit à être jugé dans un délai raisonnable, élément essentiel du droit à un procès équitable. Elle permettrait, d’une part, une plus grande efficacité de la justice antiterroriste et l’audiencement d’un plus grand nombre d’affaires, et, d’autre part, l’amélioration de l’activité des juridictions parisiennes, qui seront proportionnellement moins sollicitées pour composer la cour, dont les compétences dépassent la seule matière terroriste.
Certes, en tant que rapporteur pour avis du budget des services judiciaires, je préférerais que nous puissions augmenter les moyens consacrés à la justice, mais nous sommes confrontés à un principe de réalité. « Nécessité fait loi », en quelque sorte : nous devons trouver une solution en rapport avec les moyens dont nous disposons.
La grande majorité des magistrats entendus par notre rapporteur Michel Mercier, que je salue ici pour son excellent travail de fond, approuvent cette modification législative, dont ils espèrent l’entrée en vigueur prochaine. Cependant, les représentants des avocats se sont inquiétés d’un risque d’atteinte à la solennité et à l’autorité de la décision, en raison de la moindre collégialité de la cour et d’une possible atteinte à la qualité de la décision rendue.
Notre rapporteur considère que la réduction du nombre de magistrats professionnels de la cour d’assises spécialement composée serait probablement sans effet négatif sur la qualité des décisions rendues, mais aurait très probablement un effet significatif sur l’amélioration des conditions de travail de l’ensemble des juridictions susceptibles d’être sollicitées pour composer ces cours d’assises, au premier rang desquelles la juridiction parisienne compétente nationalement pour le terrorisme. Je partage cette opinion.
Enfin, notre rapporteur l’a très justement rappelé, cette mesure traduit également l’exigence de bonne administration de la justice, objectif à valeur constitutionnelle qui découle des articles XIV et XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Pour toutes ces raisons, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe UDI-UC, conforté par la position favorable de la commission, votera en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à la composition de la cour d'assises de l’article 698-6 du code de procédure pénale
Article unique
(Non modifié)
À la première phrase du premier alinéa de l’article 698-6 du code de procédure pénale, le mot : « six » est remplacé par le mot : « quatre » et le mot : « huit » est remplacé par le mot : « six ».
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
15
Autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes
Discussion en troisième lecture et adoption définitive d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion en troisième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes et de la proposition de loi organique, modifiée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes (textes de la commission nos 256 et 255, rapport n° 254).
Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui en troisième lecture la proposition de loi organique et la proposition de loi, déposées par les sénateurs Marie-Hélène Des Esgaulx, Jean-Léonce Dupont et Jacques Mézard, qui visent à instaurer un statut unique pour les autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes.
Nous avons eu, depuis plusieurs mois, de longs et passionnants débats sur les propositions issues du travail d’une commission sénatoriale. Et nous avons depuis lors fait un long chemin, qui a, je crois, permis d’entendre les différentes positions, et qui a surtout permis de trouver des conciliations prenant en compte des positions différentes, mais pas forcément opposées.
On le sait, le problème est loin d’être simple. Il avait déjà été soulevé par plusieurs rapports parlementaires. La commission d’enquête du Sénat, qui a précédé ces propositions, concluait : « La prolifération de ces autorités contribue de plus en plus fortement à l’illisibilité et au dysfonctionnement du système institutionnel, alors même que la volonté de simplification administrative doit constituer une ardente obligation, afin de redonner tout son sens et son efficacité à l’action publique. »
Cette conclusion sur la nécessité de simplifier et d’apporter une lisibilité est largement partagée sur les bancs du Parlement, et le débat autour de la création d’un statut général est un débat ancien et récurrent. L’initiative sénatoriale ne pouvait donc que susciter l’intérêt.
Il est vrai que, depuis la création en 1978 de la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, première autorité administrative indépendante, bien d’autres ont été créées, dans des domaines divers, avec des finalités diverses, et avec des modes de fonctionnement également très divers. Je me dois cependant de souligner que la création de ces autorités a répondu à des problématiques d’intérêt général, avec notamment l’objectif d’assurer de nécessaires régulations dans des secteurs où c’était indispensable et où ce type d’autorités constitue une réponse adaptée. Il est important de ne pas l’oublier.
Si la volonté de simplifier ne peut qu’être partagée, notamment par le secrétaire d’État en charge de la simplification, les difficultés apparaissent dès lors que l’on s’intéresse aux dispositions qui composeraient ce statut, puisqu’il s’adresse à des autorités fort différentes.
Je pense par exemple aux garanties offertes en matière de déontologie et d’indépendance ou à la rationalisation des modes de fonctionnement. Autant de questions sur lesquelles le Gouvernement avait d’ailleurs engagé un travail depuis plusieurs années, comme le processus de mise en commun de certaines fonctions supports des services du Premier ministre et des AAI visant à réduire les coûts et à développer un mode de fonctionnement collaboratif entre les services ou la mise en place par diverses lois de règles communes.
Les propositions de loi que nous examinons aujourd’hui visent à aller au-delà, en créant une liste limitative des autorités reconnues en tant qu’autorités administratives indépendantes, et en précisant les modes de fonctionnement et de nomination, mais également les modalités de contrôle et en unifiant le statut de leurs membres.
Le texte, tel qu’il a été présenté en première lecture au Sénat, a largement évolué. Les amendements, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, ont contribué à modifier, préciser, voire réévaluer certaines dispositions. Je veux d’ailleurs souligner, au-delà de nos divergences de vues sur certains points, la qualité du travail réalisé tant par les sénateurs que par les députés, notamment par les rapporteurs de ces textes. La tâche n’était pas simple !
La position du Gouvernement a d’ailleurs également évolué, puisque, dans sa version initiale, le texte n’avait pu recevoir notre assentiment. En effet, il n’allait pas dans le sens du travail gouvernemental très important engagé sur les AAI et pouvait même présenter des dispositions allant à l’encontre de décisions récentes prises par le législateur ou le Gouvernement, ou soulevant de réelles questions de constitutionnalité.
Je ne puis que constater, avec la plus grande satisfaction, que le texte que nous examinons aujourd’hui a pris en compte nombre des remarques formulées par le Gouvernement et a révisé des dispositions qui apparaissaient problématiques. De même, des équilibres ont été trouvés entre les assemblées, notamment sur la liste, les règles de fonctionnement, de déontologie et les incompatibilités.
Les rapporteurs ont très bien travaillé, et je souscris à nombre des compromis qui ont été trouvés.
Permettez-moi cependant d’exprimer quelques regrets sur des dispositions qui risquent d’être pénalisantes pour certaines de ces AAI. Je pense notamment aux règles d’incompatibilité avec des activités professionnelles, qui mettent en difficulté les recrutements dans les AAI relevant d’une technicité très importante. En effet, une trop grande restriction en amont et en aval de l’exercice de leurs membres engendrera de la complexité dans des secteurs où les experts et les talents viennent parfois à manquer. Je pense aussi à certaines autorités qui n’ont pas été intégrées dans la liste des autorités administratives indépendantes et qui semblaient pourtant répondre aux critères arrêtés par ce texte.
Toutefois, l’équilibre est parfois complexe à trouver, et le compromis est un signe de la bonne santé de notre démocratie.
En conclusion, je vous remercie une nouvelle fois, mesdames, messieurs les sénateurs, du travail de très grande qualité que vous avez réalisé sur ces textes et j’exprime, au nom du Gouvernement, un sentiment favorable à leur égard. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce dossier fut une longue marche, et je me réjouis de l’évolution de la position du Gouvernement. C’est la mode de changer, mais quand cela va dans le bon sens, on ne peut que s’en réjouir ! (Sourires.)
Avec les membres de mon groupe, j’ai voulu créer une commission d’enquête sur la question des autorités administratives indépendantes. Sous la présidence de Marie-Hélène Des Esgaulx, cette instance a beaucoup travaillé, auditionnant notamment les 42 présidents d’autorités administratives indépendantes.
Mon idée n’était pas de proposer la suppression des autorités administratives indépendantes, mais de faire en sorte qu’elles soient dotées d’un statut général et d’en diminuer le nombre, afin que cette appellation ne s’applique qu’à des organismes prenant effectivement des décisions administratives et réellement indépendantes, ce qui n’est pas toujours le cas.
Au début des travaux de la commission d’enquête, le secrétaire général du Gouvernement s’était montré hostile à l’idée d’un statut général. Nous voici, après un long combat, parvenus à la troisième lecture de ces textes devant notre assemblée.
Je suis de ceux qui considèrent que notre pays est doté d’une haute fonction publique compétente et de haut niveau, mais, dans une véritable démocratie, il est bon que celle-ci exerce sa mission sous l’autorité des élus, et non l’inverse.
Nous sommes donc appelés, aujourd’hui, à tirer le bilan de ce marathon législatif. Je renvoie à mes différents rapports pour exposer le contenu de ces textes. À ce stade et en me réjouissant que nous allions au bout du processus, je me bornerai à quelques observations générales.
Ce processus témoigne, tout d’abord, d’une parfaite articulation entre les deux missions du Parlement dans un régime représentatif : contrôler et légiférer. Monsieur le secrétaire d’État, le Parlement est capable, quand on le laisse travailler, d’exercer ces deux missions, et ce n’est pas en réduisant le nombre des parlementaires de moitié que l’on fera avancer les choses… (M. Patrick Abate applaudit.)
Je ne délivre pas là d'ailleurs un message subliminal, tant cette proposition est équitablement partagée dans différents groupes politiques… (Sourires.)
Les autorités administratives et publiques indépendantes sont un sujet de réflexion désormais ancien, et je souhaite rendre hommage aux travaux réalisés par notre ancien collègue, le doyen Gélard, sur lesquels nous nous sommes appuyés.
Je suis heureux de constater que, au terme des débats législatifs, huit des onze propositions de la commission d’enquête sont, au moins partiellement, mises en œuvre par ces textes. Il a fallu trouver un consensus entre les deux assemblées, ce qui n’a empêché ni le débat ni la confrontation.
Je dois remercier notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx, qui a présidé efficacement la commission d’enquête (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.), le questeur Jean-Léonce Dupont, qui s’est joint à nous pour le dépôt de ces propositions de loi (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.), et le ministre Alain Richard, qui a apporté son expertise et nous a permis d’avancer positivement. À l’Assemblée nationale, le rapporteur, le président Jean-Luc Warsmann, a également beaucoup contribué à ce que nous arrivions à trouver ensemble une solution.
Fixer un statut général à ces autorités n’était pas particulièrement facile ! À ce jour, il en existe quarante-deux. Pendant longtemps, nous avons assisté à une véritable prolifération, le Parlement y apportant d’ailleurs, dans la plupart des cas, sa validation. Les gouvernements successifs entendaient ainsi laisser à des autorités administratives indépendantes la responsabilité de certains domaines d’action.
Nous vous proposons aujourd’hui de passer de quarante-deux à vingt-six. Pour ceux qui ont particulièrement travaillé sur ces textes, comme Marie-Hélène Des Esgaulx et moi-même, c’est encore trop ! Nous avons dû faire des concessions, en particulier sur la Commission nationale du débat public, qui n’est pas une autorité, ou sur le Médiateur national de l’énergie, dont je salue la capacité de lobbying… (Sourires.)
Pendant des mois, nous avons pu constater que certaines autorités administratives indépendantes ont une capacité remarquable à pratiquer le lobbying et à considérer qu’elles sont non seulement indépendantes, mais, qui plus est, au-dessus de tout contrôle… C’est quelque chose d’absolument exceptionnel et qui n’a jamais cessé pour certaines d’entre elles !