Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Caffet
Secrétaire :
M. Jackie Pierre.
2. Communication relative à une commission mixte paritaire
3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
4. Égalité et citoyenneté. – Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable
M. Jean-Pierre Sueur ; M. le président ; M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale.
Clôture de la discussion générale.
Motion n° 8 de la commission spéciale. – M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale ; M. Jacques-Bernard Magner ; M. Patrick Kanner, ministre ; Mme Emmanuelle Cosse, ministre ; Mme Christine Prunaud ; Mme Évelyne Yonnet. – Adoption, par scrutin public, de la motion entraînant le rejet du projet de loi.
Suspension et reprise de la séance
5. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
6. Communication du Conseil constitutionnel
7. Loi de finances pour 2017. – Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
Discussion générale :
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
Clôture de la discussion générale.
Motion n° I-2 de la commission. – M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances ; M. Richard Yung ; M. Christian Eckert, secrétaire d'État. – Adoption, par scrutin public, de la motion entraînant le rejet du projet de loi.
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
Secrétaire :
M. Jackie Pierre.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2016 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur du Sénat, Mme Jiko Luveni, présidente du Parlement des Îles Fidji, accompagnée par notre collègue Catherine Procaccia, présidente du groupe d’amitié France-Vanuatu-Îles du Pacifique. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre du logement et de l’habitat durable et M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, se lèvent.)
Se rendant à Londres pour la conférence de l’association parlementaire du Commonwealth, Mme Luveni a tenu à faire une étape à Paris, afin de répondre à l’invitation du groupe d’amitié, dont une délégation, conduite par sa présidente et composée de nos collègues Delphine Bataille, Jean-François Longeot et Robert Laufoaulu, s’était rendue dans son pays au mois de septembre dernier.
Porte-parole des petits États insulaires, particulièrement exposés aux conséquences du changement climatique comme la hausse du niveau des océans et l’accentuation de certains phénomènes météorologiques extrêmes, les Îles Fidji ont été choisies pour organiser la COP23, c’est-à-dire la vingt-troisième conférence de l’ONU sur le climat, laquelle se tiendra, pour des raisons logistiques, en Allemagne, en novembre 2017. Mme Luveni a ainsi été reçue tout à l’heure par M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à nos homologues du Parlement des Îles Fidji, ainsi qu’à leur délégation, la plus cordiale bienvenue et de fructueux échanges au Sénat de la République française. (Vifs applaudissements.)
4
Égalité et citoyenneté
Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'égalité et à la citoyenneté (projet n° 148, résultat des travaux de la commission n° 188, rapport n° 187).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà quelques semaines, je suis venu avec ma collègue Emmanuelle Cosse vous présenter le projet de loi Égalité et citoyenneté, après qu’il eut été voté à l’Assemblée nationale en première lecture.
Je l’ai fait sans sectarisme, avec la conviction qu’il s’agissait là d’un texte de progrès qui pouvait rassembler largement, par-delà nos sensibilités politiques. L’engagement, sous toutes ses formes, la condition des jeunes, la mixité sociale, la lutte contre les discriminations sont autant de sujets fondamentaux qui méritent d’être soutenus et promus sur toutes les travées de cette assemblée.
Le Sénat a fait son œuvre : il a précisé bon nombre de dispositions, affiné quelques rédactions imprécises et interrogé la pertinence de certains articles. Le travail de la navette parlementaire a été utile et justifie notre système bicaméral en tant que tel.
Il me faut néanmoins confesser un regret. En première lecture, la majorité sénatoriale avait détricoté – disons-le – bon nombre de dispositions du texte, sans pour autant apporter de réponses nouvelles, en particulier pour les jeunes. Vous n’aurez donc pas été surpris de voir l’Assemblée nationale les rétablir, et ce à raison. Elle ne l’a pas fait d’un bloc, niant ainsi tout apport du Sénat, mais en retenant les mesures qui font le plus sens.
Le Gouvernement proposait de créer un congé d’engagement pour celles et ceux qui ont des responsabilités associatives. Supprimé ici, nous l’avons rétabli.
Le Gouvernement proposait de donner des responsabilités nouvelles aux mineurs de seize ans et plus. Supprimées ici, nous les avons rétablies.
Le Gouvernement proposait de sanctionner les sites internet visant à installer la confusion dans l’esprit des femmes qui cherchent des informations fiables sur l’interruption volontaire de grossesse. Dommage que la droite ait écarté cette mesure ! Nous aurions pu gagner du temps parlementaire, puisque votre Haute Assemblée, malgré l’opposition de son groupe majoritaire, a voté cette disposition dans le cadre de la discussion d’une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale, ce dont je me félicite.
Le Gouvernement proposait de donner aux citoyens des quartiers prioritaires la possibilité d’interpeller directement le préfet, pour faire valoir d’éventuelles difficultés à l’échelon local. Supprimé ici, nous l’avons rétabli.
Le Gouvernement proposait d’inscrire dans la loi le principe de l’égal accès des enfants à la cantine, quelle que soit la condition sociale de leurs parents. Supprimé ici, nous l’avons également rétabli.
Ce texte pourrait donc encore donner lieu à un débat. C’est pourquoi je vous appelle à ne pas l’escamoter en adoptant la motion tendant à opposer la question préalable qui a été déposée par votre commission. Je ne comprendrais pas,…
M. Jean-Pierre Sueur. Personne ne comprend, monsieur le ministre !
M. Patrick Kanner, ministre. … alors que vous n’avez eu de cesse de regretter l’engagement de la procédure accélérée sur ce texte, que vous vous priviez de ce débat en nouvelle lecture !
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument. C’est incohérent et incompréhensible !
M. Patrick Kanner, ministre. Effectivement, il faut être cohérent ! Emmanuelle Cosse et moi-même aimerions que l’on puisse évoquer la suppression des emplois d’avenir, par exemple : cette mesure, proposée par le candidat de la majorité sénatoriale issu des primaires de la droite, aura en effet pour conséquence de priver brutalement d’emploi des dizaines de milliers de jeunes ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Ce n’est pas le sujet !
M. Philippe Dallier. Vous vous répétez !
M. Patrick Kanner, ministre. Nous souhaiterions également aborder la question de l’engagement, totalement absente du programme de votre candidat.
M. Alain Gournac. On l’a déjà entendu. C’est toujours le même disque rayé !
M. Patrick Kanner, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, nos concitoyens doivent pouvoir choisir en connaissance de cause.
M. Philippe Dallier. N’ayez crainte, ce sera le cas !
M. Patrick Kanner, ministre. L’échec de la commission mixte paritaire n’est pas anormal au regard de notre système politique. Il ne doit cependant pas conduire à l’escamotage des débats au Parlement, au détriment du fond et de la qualité de la loi, que je vous sais défendre avec ardeur.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Patrick Kanner, ministre. Avec Emmanuelle Cosse, je reviens devant vous dans le même état d’esprit que lors de la première lecture, prêt à tous les échanges et déterminé à défendre ce texte jusqu’à ce qu’il entre dans le quotidien des Français. Nous serons en effet jugés sur les avancées que contient ce projet de loi Égalité et citoyenneté ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Francis Delattre. C’est un texte de recentralisation !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de revenir devant vous pour l’examen en nouvelle lecture du titre II du projet de loi Égalité et citoyenneté.
À la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, le Gouvernement a souhaité, avec l’appui des députés, rétablir et améliorer les dispositions visant la mixité dans l’habitat et les territoires.
M. Philippe Dallier. Il y a encore du travail !
Mme Emmanuelle Cosse, ministre. En première lecture, les débats ont été vifs et nos désaccords nombreux. Le texte que vous avez adopté revenait sur les principales dispositions du projet de loi initial. Il impliquait moins de transparence et moins d’obligations pour les collectivités territoriales, en termes de mixité sociale ou de production de logements sociaux, et contenait des mesures très peu équilibrées concernant l’accueil et l’habitat des gens du voyage.
Pourtant, ce qui fonde ce projet de loi, c’est le renforcement des ressorts du vivre ensemble, grâce à des logiques de solidarité qui doivent s’imposer à tous les acteurs du logement, car elles profiteront, en définitive, à toutes et à tous. Il cherche également à établir un équilibre entre droit au logement et mixité sociale, entre l’objectif d’intérêt général et la nécessaire adaptation aux situations locales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en supprimant la référence au taux de 25 % pour les attributions de logements sociaux en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville, qui sont destinées aux 25 % des demandeurs les plus pauvres, vous avez fait disparaître le signal envoyé aux ménages les plus modestes.
En supprimant la possibilité laissée aux préfets d’attribuer certains logements de manière automatique si les collectivités territoriales, les bailleurs ou Action logement ne respectaient pas leurs objectifs en matière de mixité, vous avez limité la nécessaire pression nationale et la capacité d’intervention de l’État, qui en est l’indispensable moteur.
En supprimant enfin l’obligation faite aux bailleurs de publier leurs logements vacants, vous avez réduit la portée de l’objectif de transparence, qui visait à faire des candidats au logement social les acteurs de leur recherche de logement.
Finalement, à force de modifications portant sur l’article 55 de la loi SRU relative à la solidarité et au renouvellement urbains, c’est à sa disparition que vous avez œuvré.
Toutes ces suppressions montrent que nos deux visions, que ce soit sur les politiques du logement, les politiques de peuplement ou, plus généralement, le rôle du logement social, sont difficilement conciliables. Nous voulons ouvrir des portes et construire des ponts, alors que vous proposez de cloisonner les territoires.
Aussi, je comprends ce qui a poussé la commission spéciale du Sénat à déposer et à adopter le 6 décembre dernier une motion tendant à opposer la question préalable et ce qui la conduit, aujourd’hui, à déposer une nouvelle motion.
Pourtant, l’ambition du texte que nous examinons aujourd’hui est grande : il vise en effet une mobilisation générale pour le vivre ensemble, ce ciment indispensable du pacte républicain !
Nous devons tout faire pour redonner confiance à nos concitoyens. Nous avons l’immense responsabilité de ne pas nous laisser envahir par ce mouvement insidieux de défiance de tous à l’égard de tous, et de trouver des réponses pour renforcer la cohésion sociale dans notre pays.
Ce qui est au fondement de ce projet de loi et, en l’espèce, de son titre II, c’est la recherche de solutions face à cette tentation du repli et de l’entre-soi : la façon dont nous nous occupons et partageons espaces publics et logements symbolise tout particulièrement la manière dont nous faisons société.
Le défi qui nous est lancé est décisif. Le relever s’inscrit dans une perspective de reconquête, celle qui consiste à faire du logement social le pivot d’un nouveau pacte urbain. Je vous le rappelle, le logement social est destiné potentiellement à une grande majorité de Français : quelque 70 % d’entre eux ont un revenu inférieur au plafond de ressources requis pour y accéder.
Après la loi SRU, la loi Égalité et citoyenneté est une étape supplémentaire vers la constitution de bassins de vie équilibrés. Dans la lignée de la loi ALUR pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, qui a consacré la responsabilisation accrue des acteurs locaux, et de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public, le présent projet de loi vise à s’appuyer sur les points forts des territoires pour mettre en place des politiques de peuplement « en dentelle », fines et adaptées aux besoins spécifiques des habitants en fonction des besoins des collectivités.
Avec ce texte, le Gouvernement cherche à agir, non seulement sur l’offre de logements en veillant à leur bonne répartition spatiale et à leur diversité, mais aussi sur le parc social existant en réformant les modalités d’attribution des logements sociaux et en permettant aux bailleurs de mettre en œuvre de nouvelles politiques des loyers s’ils le jugent nécessaire.
Vous le savez, nous avons introduit un grand nombre de dispositions : c’est le cas à l’article 20 avec la réforme de l’attribution des logements sociaux, à l’article 26 au travers de la mise en place de la nouvelle politique des loyers, ou aux articles 30 et suivants qui renforcent la portée de loi SRU et en imposent une plus juste application – je pense notamment aux territoires qui ne font face à aucune demande en matière de logement social, aujourd’hui.
Je connais votre implication dans les territoires, mesdames, messieurs les sénateurs. Je connais également votre engagement en faveur des politiques du logement et sais combien vous vous battez pour des villes plus inclusives. C’est la raison pour laquelle, au-delà de nos différences, je tenais à vous remercier de la qualité des débats que nous avons eus ensemble, ainsi que du travail que vous avez réalisé, afin d’améliorer la rédaction d’un certain nombre de dispositions, notamment grâce à la rigueur de votre rapporteur, Mme Dominique Estrosi Sassone.
Je crois que nous partageons l’idée qu’il est de notre devoir d’insuffler un droit positif et un droit d’accès dans le logement social, et non un droit de séparation ou d’exclusion. Telle est la substance de ce titre II de ce texte. Nous ne pouvons pas renoncer au respect élémentaire du droit au logement. Nous devons favoriser la mixité sociale, afin qu’aucun ménage ne soit exclu. Avoir un chez-soi, au-delà d’un simple toit, c’est en effet une exigence pour des millions de concitoyens, auxquels nous devons toute notre mobilisation.
Comme Patrick Kanner l’a rappelé, je crois que nous pouvons consolider les valeurs républicaines d’égalité et d’émancipation malgré ce contexte difficile.
Aux exigences accrues en matière d’efficacité des politiques publiques, nous pouvons répondre par un pacte territorial renforcé entre l’État, les collectivités territoriales, les bailleurs et les usagers. En favorisant l’égal accès à un habitat mieux partagé, nous pouvons faire en sorte que les Françaises et les Français puissent retrouver à la fois confiance en l’autre et confiance en l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, rapporteur.
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, doté d’un objectif initial ambitieux, ce texte avait pour objet de renforcer la cohésion de la société française, dans un contexte de destruction parfois violente du lien social. Aussi visait-il à favoriser l’engagement civique, à améliorer l’insertion des jeunes et à combattre les discriminations.
En première lecture, l’Assemblée nationale a fait de ce texte un « Bon coin » législatif dénué de cohérence, en en quintuplant le volume et en y introduisant toutes sortes de dispositifs hétéroclites, de la portabilité du lundi de Pentecôte à l’interdiction de la fessée. Un véritable cabinet de curiosités !
En nouvelle lecture, nos collègues députés ont rayé d’un trait de plume les apports du Sénat les plus importants, exprimant ainsi leur refus de s’engager sur la voie d’un accord. Face à cette absence affirmée de volonté de dialogue, nous ne pouvons que réclamer l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable.
Je veux toutefois évoquer quelques points d’accord.
La réserve et le service civiques sont des mesures très justes et pertinentes, monsieur le ministre. Dès l’origine, elles ont fait l’objet d’un consensus, ce qui a conduit l’Assemblée nationale à intégrer plusieurs dispositions adoptées par le Sénat, telle que l’obligation de formation des tuteurs ou le principe de non non-substitution de la réserve civique à un emploi ou à un stage. Les députés ont également admis qu’il était irréaliste, malgré la justesse de l’intention, de rendre le service civique obligatoire.
Autre exemple de satisfaction : l’accord auquel nous nous sommes parvenus avec le Gouvernement pour avancer sur la question de la mobilité internationale des apprentis.
En revanche, les points de divergence sont nombreux et sérieux. J’en évoquerai six.
Première divergence : l’Assemblée nationale a fait fi des craintes émises par le Sénat sur la remise en cause de l’âge de la majorité légale à dix-huit ans, sous prétexte de donner de nouveaux droits aux mineurs âgés de seize ans, voire moins, avec pour conséquence de supprimer des dispositifs importants pour la protection des mineurs.
La deuxième divergence concerne la possibilité pour des associations de jeunes qui sont financées quasi exclusivement par des fonds publics de rémunérer pendant une durée qui peut atteindre six ans leurs dirigeants âgés de moins de trente ans au moment de leur élection. Je vois dans cette mesure un risque majeur de dévoiement et de détournement du sens de l’engagement.
Le troisième désaccord a trait à la question des congés : alors que le Gouvernement se félicitait il y a quelques mois d’avoir simplifié le droit du travail, l’Assemblée nationale l’a encore alourdi en créant le congé pour l’exercice de responsabilités associatives, qui s’ajoute aux seize autres congés spécifiques récemment revus par la loi Travail.
La quatrième divergence porte sur l’élargissement de l’accès à la fonction publique.
Nous y étions favorables initialement, mais nous opposons sur deux points majeurs, qui nous paraissent totalement extravagants, monsieur le ministre : en premier lieu, nous ne sommes pas d’accord avec le fichage de tous les candidats aux concours administratifs, fichage que vous organisez au moyen d’un recueil systématique des données personnelles relatives à leur environnement social ou professionnel ; en second lieu, nous sommes en désaccord avec l’obligation imposée aux collectivités territoriales de recruter au moins 20 % de leurs agents de catégorie C, via les contrats « parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale », les contrats PACTE.
M. Alain Gournac. Liberté aux maires !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Il s’agit en effet d’une mesure autoritaire et irréaliste, contraire à la libre administration des collectivités territoriales !
La quatrième divergence concerne les dispositions visant à modifier la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Que n’a-t-on pas entendu sur le sujet ! L’Assemblée nationale n’a pas estimé nécessaire d’analyser les corrections apportées par le Sénat, dont certaines avaient pourtant été acceptées par le Gouvernement, comme la possibilité pour le juge de requalifier les faits constitutifs de la plainte.
Toutefois, la plus grande des extravagances et des incongruités, le comble de la mauvaise foi, nous vous les devons, monsieur le ministre : c’est le double discours du Gouvernement à propos des abus d’expression sur internet !
En septembre dernier, vous aviez accusé le Sénat d’être liberticide à cause d’amendements qui visaient à enfin traiter les abus d’expression numérique. Or, au mois de décembre, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l’IVG, vous avez allégrement et gravement contrevenu à tous vos principes, allant même jusqu’à instituer une peine de prison pour un délit d’opinion. Tout ceci ne manque pas de saveur, monsieur le ministre !
M. Alain Gournac. Encore une contradiction !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. La cinquième dissonance touche à l’éducation, avec deux points de divergence majeurs.
S’agissant de l’instruction en famille, tout d’abord, les députés n’ont pas voulu du contrôle à domicile sur le lieu où l’instruction est dispensée, qui permettrait pourtant de détecter les dérives que nous souhaitons prévenir plus facilement. Concernant l’ouverture des établissements privés hors contrat, ensuite, l’Assemblée nationale a rétabli, dans un esprit dogmatique, un régime d’autorisation que nous jugeons contraire à la liberté d’enseigner.
Sixième et dernier désaccord : la création d’un droit d’accès à la restauration scolaire pour les enfants. Cette disposition créera une nouvelle charge pour les communes et correspond à une ingérence dans leur libre administration !
M. Éric Doligé. On en veut aux maires !
M. Alain Gournac. Ils n’en peuvent plus !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Il s’agit surtout d’une innovation juridique invraisemblable, dans la mesure où ce droit ne profite pas à tous les élèves et peut donc être considéré comme inégal ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Laissez l'orateur s'exprimer, mes chers collègues !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Ce ne sont là que quelques exemples. L’ensemble du texte nous a convaincus que le dialogue avec l’Assemblée nationale était désormais vain.
Pour conclure, monsieur le ministre, il est tout à la fois cocasse et tragique de constater qu’une loi en faveur de la cohésion sociale se fracasse dès la première étape du dialogue, celle du Parlement. Cabinet de curiosités, ce texte flatte sûrement l’ego de ceux qui pensent détenir la vérité, alors qu’ils ne font que confondre le « dire » et le « faire » : ceux-là ont cru imaginer Le Meilleur des mondes, mais ils n’ont écrit que La Grande Illusion, la leur ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Très bien !
M. Jacques-Bernard Magner. Nous ne sommes pas d’accord, madame la rapporteur !
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le processus législatif de coconstruction, qui aura été si souvent proposé par le Gouvernement au Sénat depuis 2014, aura finalement été soumis à rude épreuve, pour ne pas dire qu’il aura été complètement superflu, tant la prise en compte du travail du Sénat est réduite comme peau de chagrin.
Le projet de loi Égalité et citoyenneté et, tout particulièrement, le titre II relatif au logement, à la mixité sociale et à l’habitat dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteur, illustre malheureusement tout le mépris des députés et leur refus de conserver, autant que faire se peut, les dispositions destinées à répondre au diagnostic formulé par le Sénat.
Au cours de la réunion de la commission mixte paritaire, nous avons acté notre désaccord sur ce texte et l’impossibilité de trouver tout compromis avec les députés. Le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale à l’issue de la nouvelle lecture est donc sensiblement le même que celui qu’a examiné le Sénat au cours de l’été.
En effet, les députés ont jugé bon de ne pas entrer dans le détail de notre travail, préférant une approche dogmatique, balayant les apports du Sénat d’un revers de la main en les caricaturant grossièrement et agitant des chiffons rouges sur le logement social, par exemple.
Justement, confronté à de nouvelles mesures démagogiques en matière de logement social, le Sénat a proposé de nombreux assouplissements portant sur les lois SRU ou ALUR, notamment. Il a cherché à les adapter à la réalité de nos territoires, sans jamais imposer la suppression des dispositifs existants ni exiger l’exonération des sanctions.
Je déplore le manque de réflexion de l’Assemblée nationale à propos d’une mesure pragmatique et réaliste, celle du contrat d’objectifs et de moyens passé entre le maire et le préfet pour atteindre les objectifs de construction de logements sociaux. Cette disposition aurait permis de combattre les difficultés constatées en matière d’habitat dans les départements les plus tendus.
De plus, la création de ce contrat aurait contribué à envoyer un signal fort : il permet enfin de tenir compte des spécificités de chaque territoire, alors même que les obligations actuellement inscrites dans la loi sont intenables, ainsi qu’en témoignent régulièrement les maires. Du reste, ces derniers n’ont pas à être montrés du doigt au seul prétexte que quelques-uns d’entre eux, peu nombreux, s’affranchiraient de tout effort en matière de construction de logements sociaux.
Si nos positions sont irréconciliables, c’est que notre constat n’est pas le même. Le raisonnement du Sénat se distingue par un souci de réalisme. En effet, il nous semble temps de mettre fin à une politique du logement essentiellement comptable et bien trop idéologique, qui s’appuie sur l’obligation faite aux collectivités de respecter des quotas excessifs et contre-productifs !
Bien loin d’entretenir la défiance, notre conception se distingue par la volonté d’aider des élus courageux, qui se mobilisent face à toujours plus de sanctions, malgré un arsenal important d’obligations et de contraintes. À Nice, par exemple, nous avons construit plus de 4 200 logements sociaux entre 2010 et 2015, bien que l’objectif fixé par la loi SRU soit inatteignable sur notre territoire, et ce au regard des contraintes géographiques, du plan de prévention des risques d'inondation, de la loi Littoral, de la loi Montagne, de la zone antisismique…
Certes, compte tenu des efforts consentis ces dernières années, la ville et la métropole ne paient plus de pénalités. Toutefois, ce n’est en rien le résultat du triomphe de la contrainte ou de la menace, mais bien le fruit du volontarisme politique, de notre résolution à faire en sorte que chacun de nos concitoyens puisse avoir accès à un logement abordable sur tous les segments du marché du logement.
Contrairement au Sénat, qui a adopté un texte équilibré permettant de passer d’une logique de sanction où l’État demande aux élus locaux de pallier l’inefficacité des politiques publiques nationales en matière de logement à une logique contractuelle, programmatique et pragmatique, où l’État accompagnerait les élus pour les aider à atteindre des objectifs adaptés, l’Assemblée nationale a préféré voter un texte déconnecté, inapplicable et, une nouvelle fois, conçu et appréhendé depuis Paris, très loin de ce qu’il ambitionnait, c’est-à-dire refaire société à travers l’égalité des chances et la mixité sociale dans l’habitat !
Dès lors que le logement est l’un des premiers motifs d’inquiétude pour bon nombre de nos concitoyens, il ne nous paraît pas opportun de rigidifier davantage la loi ou de détourner les élus de leurs prérogatives, d’autant plus que les solutions les plus adaptées se trouvent très souvent au niveau de nos territoires et devraient s’articuler avec les décisions locales, que ce soit en matière d’urbanisme, de transports ou de services.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, je ne compte pas dresser la liste exhaustive de tous nos points de désaccord, car nos divergences sont bien trop nombreuses et trop profondes.
Il nous paraît désormais inutile de poursuivre un dialogue à sens unique. C’est pourquoi nous vous soumettons, M. le président de la commission spéciale, Mme la rapporteur Françoise Gatel et moi-même, une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jacques-Bernard Magner. Aïe, aïe, aïe !
M. Jean-Pierre Sueur. Je demande la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président !
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Éric Doligé. Sur le fondement de quel article ?
M. Jean-Pierre Sueur. Mon rappel au règlement se fonde sur les articles 42 à 44 du règlement et sur la notion de rapporteur, telle qu’elle figure dans ce règlement.
M. Philippe Dallier. Rien que ça !
M. Jean-Pierre Sueur. Comme vous le savez, monsieur le président, il est d’usage que le rapporteur rende compte de la position de la commission du Sénat. Or nos deux rapporteurs n’ont parlé que de l’Assemblée nationale, qualifiant les positions adoptées par celle-ci de « cocasses », « dogmatiques », « pathétiques », « tragiques », entre autres termes péjoratifs.
M. Philippe Dallier. M. Sueur se fait censeur…
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà quelques années que je siège au Parlement, ce qui j’ai fait d’abord comme député, puis comme sénateur. J’ai souvent été témoin de telles situations. Mais enfin, aujourd'hui, on ne nous a rien dit des positions du Sénat !
Je sors d’un procès avec l’une de nos collègues, et voilà trois quarts d’heure, monsieur le président, je ne pensais pas venir ici assister à un deuxième procès ! Assez de procès !
C’est la troisième fois en moins d’un mois que le Sénat renonce à exercer la mission qui est la sienne. Je rappelle que, en dernière lecture, l’Assemblée nationale peut reprendre ses propres rédactions ou celles du Sénat. Dans le cas présent, la dernière lecture à l’Assemblée nationale ne durera que quelques minutes. En effet, il n’y aura lieu de statuer sur aucune des rédactions nouvelles du Sénat, pour la bonne raison qu’il n’y en aura pas !
Nous assistons donc à un procès intenté à l’Assemblée nationale par la majorité sénatoriale, qui renonce à exercer les prérogatives qui sont les siennes en vertu de la Constitution.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et à citoyenneté ». Je ne voudrais pas retarder le cours de nos débats, mes chers collègues, mais, nos deux rapporteurs ayant été mises en cause, le président de la commission spéciale se doit de bondir devant le micro et de réfuter ces attaques, formulées dans des termes extrêmement peu délicats.
M. Jean-Pierre Sueur. Les attaques viennent de Mmes les rapporteurs !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Mmes Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone ont fait un rapport fidèle des travaux de la commission spéciale.
M. Jean-Pierre Sueur. C’était un procès !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Cette commission spéciale a constaté le décalage entre les mesures votées à l’Assemblée nationale et au Sénat, ce qui l’a conduit à envisager le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable, que je défendrai tout à l’heure.
Notre collègue Jean-Pierre Sueur serait-il impatient d’en arriver au terme de cette discussion ?
M. Jean-Pierre Sueur. Je suis très bien ici !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Je le dis très simplement, la parole est libre dans cet hémicycle. Les rapporteurs ont traduit de manière extrêmement fidèle et précise ce qui s’était dit au cours des travaux de la commission spéciale, et je tiens à réfuter ces attaques, voire à fustiger un tel comportement de la part d’un collègue de l’opposition. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Discussion générale (suite)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mesdames les rapporteurs, monsieur le président de la commission spéciale, je vais essayer de vous rendre compte, aussi fidèlement que possible, de la position du groupe du RDSE sur ce projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.
Malgré l’existence d’un secrétariat d’État à la simplification, nous sommes confrontés, encore et toujours, à une avalanche législative. En dépit des annonces-chocs sur la simplification des normes, ce quinquennat aura été marqué, comme les précédents, par la complexification et l’instabilité du droit, ce que le président Jacques Mézard a qualifié ici même de « bougisme ».
Nous avons connu des cavaliers législatifs en tout genre, des revirements sur des textes à peine promulgués, des non-applications de dispositions votées, des corrections incessantes des effets de l’acte III de la décentralisation, etc., et ce malgré les nombreuses mises en garde adressées par la Haute Assemblée.
Le présent projet de loi n’a pas échappé à ces mises en garde, dans la mesure où il est un exemple flagrant de ce qu’il est convenu d’appeler un « fourre-tout » législatif. Aussi, à défaut de pouvoir m’exprimer sur l’ensemble du projet de loi – exercice impossible, même avec trois fois plus de temps de parole –, je m’attarderai sur quelques sujets contenus dans cette ultime version qui nous revient de l’Assemblée nationale.
S’agissant des mesures relatives à l’éducation, nous jugeons acceptable la réintroduction de l’habilitation à procéder par voie d’ordonnances pour l’instauration d’un régime d’autorisation d’ouverture des établissements privés, bien qu’il eût été préférable, selon nous, de l’inscrire directement dans la loi.
Toutefois, nous considérons que l’article 14 bis portant sur l’instruction à domicile ne va pas assez loin pour garantir le droit de l’enfant à l’éducation et un respect véritable des valeurs de la République. Dans tous les cas, il demeure urgent de renforcer les moyens de l’inspection de l’éducation nationale, sans quoi le contrôle de ces modalités d’enseignement restera lettre morte. Il s’agit d’un impératif d’intérêt général, qui doit permettre des entorses raisonnables et contrôlées à la liberté d’enseignement.
S’agissant des dispositions relatives au logement, en particulier des obligations de mixité sociale, le groupe du RDSE avait proposé une voie intermédiaire – un « compromis radical », pourrait-on dire – dans le système de contractualisation entre le préfet et les collectivités instauré par le Sénat, en fixant un plancher de 15 % minimum d’attributions de logements sociaux aux ménages les plus défavorisés, en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville. La majorité sénatoriale a rejeté cette solution, préférant l’absence totale d’encadrement.
Pour l’application de la loi SRU, si nous soutenions la volonté d’adapter les obligations de construction de logements sociaux aux réalités locales, le dispositif voté au Sénat n’était en réalité qu’une manière d’exonérer au maximum les communes de leurs obligations. La volonté de gonfler artificiellement la liste des logements entrant dans le décompte de logements sociaux et la suppression de l’aggravation des sanctions à l’encontre des communes carencées le confirment.
L’Assemblée nationale est fort heureusement revenue sur ces dispositions. Toutefois, le rétablissement de la suppression de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, la DSU, pour les communes carencées est préoccupant, car il pénalisera doublement les communes n’ayant pas les moyens.
Quant à l’article 33 du projet de loi, nous sommes totalement opposés à la version adoptée par les députés, qui écarte tout droit d’opposition des communes au transfert à l’intercommunalité de la compétence en matière de plan local d’urbanisme, ou PLU, lors d’une fusion d’établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, mixtes.
Cette question, compliquée et sensible sur le terrain, concerne de nombreux élus : que la fusion soit voulue, soit, mais cela pose problème lorsque la fusion se réalise sous la contrainte. Cet article tire donc un trait sur le compromis de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ou loi ALUR, qui offrait la possibilité pour les communes de constituer une « minorité de blocage ». Le seuil fixé à 100 communes pour bénéficier du régime dérogatoire pour les EPCI dits « XXL » est bien trop élevé pour prendre en compte les réalités locales.
S’agissant du titre III, notamment des mesures proposées en matière de liberté de la presse, les députés n’ont pas retenu les adaptations de la loi du 29 juillet 1881. Le débat n’est pas clos et mérite de faire l’objet d’un examen ultérieur, afin de préserver efficacement l’équilibre entre droits de la victime et liberté d’expression à l’ère du numérique. Nous souhaitons que notre assemblée puisse étudier en profondeur cette question.
Enfin, nous regrettons l’adoption dans un texte fourre-tout de l’article 38 ter, tendant à créer un délit de négation, minoration ou banalisation des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, de réduction en esclavage ou des crimes de guerre.
Si notre sentiment sur ce présent projet de loi est plus que mitigé, à une exception près, les membres du groupe du RDSE voteront contre la motion tendant à opposer la question préalable, qui ne permet pas à notre Haute Assemblée d’exprimer sa position sur plusieurs points, bien loin d’être satisfaisants. (Mme Mireille Jouve applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, bien que nous sachions que cette discussion n’ira probablement pas bien loin.
Je souhaiterais néanmoins partager avec vous quelques motifs de satisfaction, car il y en a.
Dans le titre Ier, plus d’une soixantaine d’articles ont été adoptés conformes, alors même que la majorité sénatoriale avait profondément dénaturé le projet de loi. Rappelons en effet que 82 articles avaient purement et simplement été supprimés.
Vous avez aussi, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, utilisé des artifices de procédure pour éviter toute discussion sur des sujets qui risquaient de mettre à jour vos propres divergences. Je pense, en particulier, au délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, dont l’adoption récente vient confirmer cette analyse.
Sur la mobilité internationale des apprentis, cela a été rappelé, l’Assemblée nationale a suivi notre rapporteur, Mme Gatel, entérinant le compromis auquel vous êtes parvenus avec le Gouvernement pour faire progresser les conditions de départ à l’étranger des apprentis, s’agissant, en particulier, du maintien de leur rémunération. C’est un élément positif. L’article 14 bis A a ainsi pu être adopté conforme, et c’est incontestablement un sujet de satisfaction.
Je souhaite aussi évoquer le cœur du titre Ier, à savoir le service civique et la réserve civique, pour l’engagement de nos concitoyens, qui ont fait l’objet d’un très large consensus. Seules restent en discussion des modalités d’application, que je qualifierai de relativement mineures eu égard aux objectifs qui nous rassemblent.
L’Assemblée nationale a également décidé de reconnaître le droit de tout mineur d’adhérer librement à une association, droit qui était reconnu depuis 1965 par la jurisprudence, mais qui avait été remis en cause depuis 2011.
Mon collègue Jacques-Bernard Magner était intervenu sur ce sujet en première lecture, citant l’exemple des juniors associations, dans lesquelles la prémajorité associative s’expérimente avec succès depuis longtemps. Il s’agit là d’une avancée majeure pour l’engagement des plus jeunes, qui ont beaucoup d’appétence pour le bénévolat associatif.
Nous ne reviendrons pas, mes chers collègues, sur la création des mini-jobs à l’allemande réservés aux jeunes de 18 à 25 ans et rémunérés à hauteur du revenu de solidarité active, le RSA. Ces contrats, s’ils devaient exister, constitueraient une nouvelle « trappe à précarité » pour la jeunesse. Il est regrettable que la seule proposition « innovante » de la majorité sénatoriale pour la jeunesse ait consisté en une mesure catégorielle, aggravant les inégalités et les injustices générationnelles dont cette jeunesse pâtit déjà.
Les motifs de satisfaction que je vais maintenant évoquer concernent le titre II du projet de loi, qui traite du logement. De nombreux points d’accord entre le Sénat et l’Assemblée nationale peuvent en effet être signalés.
On peut citer plusieurs dispositions, proposées du reste par le groupe socialiste et républicain, qui améliorent l’information et la consultation directe des locataires, notamment dans le cadre des opérations de réhabilitation ou de démolition-reconstruction.
Le combat contre l’habitat indigne est également renforcé, avec la reprise de dispositions issues de la proposition de loi renforçant la lutte contre les « marchands de sommeil » et l’habitat indigne, un texte déposé par ma collègue Évelyne Yonnet, qui, avec le soutien de Jean-Pierre Sueur, poursuit ainsi le combat de Jacques Salvator.
Le renforcement du rôle de l’intercommunalité dans la lutte contre l’habitat indigne ou le fait de permettre aux associations de se constituer partie civile en ce qui concerne les infractions relatives à l’hébergement incompatible avec la dignité humaine représentent incontestablement des avancées importantes.
Ces mesures doivent être rapprochées des annonces récentes du Gouvernement sur la désignation d’un sous-préfet référent en matière de lutte contre l’habitat indigne, tout comme de la création d’une société publique en Île-de-France spécifiquement dédiée à la lutte contre les divisions pavillonnaires. Il s’agit là de signes forts d’une action offensive des pouvoirs publics dans le combat de notre collègue contre les marchands de sommeil.
Autre point positif en faveur de la production de logement : les règles de majorité ont été assouplies, pour favoriser la réunion de petits lots inférieurs à 9 mètres carrés et créer ainsi plus facilement des logements.
Je regrette en revanche que l’Assemblée nationale n’ait pas jugé opportun de reprendre les dispositions que nous avions adoptées à l’unanimité au sein de la commission spéciale pour simplifier les règles de constitution d’une association syndicale libre. Ces mesures avaient pour objectif d’améliorer la gestion des cœurs d’îlots dans les grands ensembles. Cette décision aura pour conséquence de laisser perdurer des verrues insalubres, particulièrement dans les centres des villes reconstruites.
Par ailleurs, des points d’accord ont été trouvés sur un sujet qui nous réunit ici, à savoir la simplification en matière d’urbanisme.
Des mesures de la proposition de loi présentée par nos collègues Marc Daunis et François Calvet ont été reprises dans le présent texte : la mise en place d’un mécanisme de caducité de l’instance, le renforcement des dispositions visant à lutter contre les recours abusifs, l’adaptation des conditions de déclenchement de l’élaboration d’un PLU à l’échelle d’une intercommunalité ou d’une commune nouvelle.
On peut citer également l’élargissement des pouvoirs du maire en matière de délégation du droit de préemption, ainsi que la possibilité pour le président d’un EPCI de déléguer son droit de priorité à des organismes d’habitations à loyer modéré – organismes HLM – ou à des sociétés d’économie mixte, sans que l’EPCI ait systématiquement à en délibérer. Les députés ont aussi acté le principe général de « grenellisation » des documents d’urbanisme, ce qui constitue une mesure d’assouplissement nécessaire.
Toutefois, ces mêmes députés n’ont pas repris le compromis trouvé en commission spéciale au Sénat, et soutenu par le Gouvernement, sur l’organisation du délai de report pour le transfert de la compétence PLU à l’intercommunalité en cas de fusion d’EPCI, à compter du 1er janvier 2017.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Comme quoi, ils étaient fermés au dialogue !
M. Yannick Vaugrenard. Avec la motion qui sera vraisemblablement adoptée dans l’après-midi, le Sénat, une nouvelle fois, ne pourra pas faire entendre sa voix sur cette question, ce qui, vous en conviendrez, mes chers collègues, est assez regrettable.
J’en viens maintenant à un point très important, et qui a vu naître, au sein de notre Haute Assemblée, des divergences irréconciliables. Je veux parler de votre volonté, chers collègues de la majorité sénatoriale, de supprimer l’une des mesures phares du projet de loi, tendant à réserver un quart des logements sociaux pour les ménages les plus modestes, hors des quartiers de la politique de la ville.
Au reste, vous avez posé vos premiers marqueurs. Ainsi l’une des rapporteurs a-t-elle pu dire : « Loger des personnes défavorisées dans des quartiers riches, ce n’est pas leur rendre service » !
Pourtant, les chiffres d’attribution de logements montrent une augmentation toujours constante des ménages les plus pauvres dans les quartiers les plus pauvres. Les ghettos de riches, comme les ghettos de pauvres, n’ont plus lieu d’être dans une société ouverte et apaisée, une ambition que tout le monde, me semble-t-il, devrait partager.
Le texte tend également à poser les bases d’une réflexion intercommunale des attributions, pour éviter les situations de blocage de certaines communes. Il implique tous les acteurs du logement, ainsi que les collectivités. Il donne à l’État des moyens forts et concrets pour que les objectifs de mixité soient appliqués par tous, et sur tous les territoires.
Votre refus de ces évolutions, chers collègues de la majorité sénatoriale, avait fait perdre au texte son ambition de progresser vers davantage de mixité sociale. Ces évolutions sont pourtant essentielles pour l’avenir, car elles agiront non seulement sur la mixité dans l’habitat et dans les quartiers, mais également sur d’autres leviers de mixité, comme l’école, le sport ou encore la culture.
Concernant l’effort de construction de logements sociaux, le projet de loi vise à recentrer le dispositif SRU dans les territoires enregistrant une forte pression sur la demande de logement social. Il répond ainsi à une exigence forte des élus.
En revanche, sur les territoires en tension, le projet de loi tend à organiser une contribution rigoureuse à l’effort de construction de logements sociaux. En supprimant le taux obligatoire de 25 % de réalisation de logements locatifs sociaux, le Sénat a considérablement réduit l’impact de la loi SRU, et vous avez donc, en première lecture, vidé cette loi de son objectif essentiel. La simple contractualisation entre l’État et les communes sur cet enjeu de solidarité nationale ne nous paraît pas à même de satisfaire aux demandes de logements à des prix abordables.
C’est la réponse que vous apportez aux 2 millions, ou presque, de demandeurs en attente ; ce n’est pas la nôtre ! Pour notre part, nous soutenons une application forte du dispositif de la loi SRU, qui permet depuis quinze ans la construction de logements sociaux sur tous les territoires. L’effort national de solidarité ne peut être à géométrie variable. Il doit être porté par tous, sans exception.
Il fallait renforcer les moyens opposables aux communes plus que récalcitrantes, et cela, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous l’avez refusé.
Dans chacune de nos régions, il existe malheureusement des quartiers enclavés, avec des habitants qui se considèrent comme les grands oubliés de notre République. L’« apartheid » qu’évoquait Manuel Valls après les attentats est malheureusement une triste réalité.
Pourtant, vous avez déposé, en première lecture, de nombreux amendements visant à réduire la part de logements sociaux prévus par la loi SRU, ou encore à rendre plus difficile la mise en place d’un certain nombre de dispositions. Globalement, donc, sur les questions de mixité sociale et de construction de logements sociaux, nous sommes très satisfaits que l’Assemblée nationale ait rétabli les mesures que vous aviez supprimées, ici, au Sénat.
Enfin, s’agissant du titre III, nous avons quelques motifs de satisfaction, que je livre rapidement. Je pense en particulier à l’accord que nos deux assemblées ont pu trouver sur la consécration, dans la loi, du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et sur la délivrance automatique du titre de séjour pour les femmes victimes de violences conjugales dont le mari a été condamné.
Il est heureux que sur ces sujets aussi sensibles et douloureux, l’esprit de responsabilité l’emporte, et ceci de manière transpartisane. Je regrette toutefois qu’aucun accord n’ait pu aboutir sur les dispositions tendant à améliorer la répression des délits de provocation, diffamation et injure racistes ou discriminatoires, ainsi que sur la généralisation des circonstances aggravantes de racisme, d’homophobie et de sexisme à tous les crimes et délits.
Avant de conclure, je voudrais remercier Mmes Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, malgré nos divergences, du travail qu’elles ont accompli, en outre durant la période estivale.
Je suis persuadé, mes chers collègues, que cette nouvelle lecture nous aurait permis d’améliorer encore ce projet de loi, grâce aux échanges et au respect dont chacun d’entre nous est capable ici. Je regrette donc le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable, qui nous privera de notre travail de parlementaire et qui affaiblira le Sénat le bicamérisme et d’une certaine manière, aussi, notre fonctionnement démocratique.
C’est, une fois de plus, un mauvais coup porté à nos pratiques institutionnelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. Quel dommage que M. Yannick Vaugrenard n’ait pas été rapporteur : lui nous a beaucoup parlé de la position du Sénat !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Vos propos sont complètement déplacés !
M. Philippe Dallier. Oui, complètement !
M. le président. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous revenons en seconde lecture sur ce projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.
Celui-ci a donné lieu à l’affrontement de deux visions de société, comme en témoignent l’échec de la commission mixte paritaire et le dépôt, par la commission spéciale du Sénat, d’une motion tendant à opposer la question préalable.
Force est de reconnaître que nous ne partageons aucune des deux visions qui nous ont été proposées. En effet, entre un projet dangereux porté par la droite au Sénat et un projet inefficace et insuffisant porté par le Gouvernement, nous pensons qu’il existe une autre voie.
La réécriture de ce projet de loi, ici au Sénat, avait été particulièrement rétrograde, témoignant d’une vision restrictive du vivre ensemble, d’une société du chacun pour soi incapable d’offrir à nos concitoyens de nouveaux droits.
Ainsi, la création d’un contrat dit « d’appoint » pour les jeunes nous avait-elle particulièrement choqués. Non, les jeunes de notre pays ne doivent pas être considérés simplement comme une main-d’œuvre à bas coût pour les entreprises, alors que même que ces dernières bénéficient de toujours plus de largesses fiscales, sans résultat tangible, d’ailleurs, en termes d’emploi.
Le « détricotage » de la loi SRU par la Haute Assemblée avait également laissé présager du pire. Alors que le mal-logement affecte près de 4 millions de nos concitoyens, lever les obligations de construction nous apparaissait particulièrement irresponsable politiquement et moralement.
Laisser des familles sans toit ou logées dans des conditions indignes, c’est les laisser dans des situations pouvant entraîner nombre d’entre nos concitoyens dans une spirale du déclin, avec, par exemple, l’aggravation de problèmes de santé ou de scolarité pour les enfants. Comment ne pas maintenir des exigences fortes sur les communes récalcitrantes, lorsque l’on sait que, si toutes communes respectaient la loi SRU, quelque 750 000 logements sortiraient de terre à l’horizon de 2025 ?
Soyons clairs : si la droite au Sénat souhaitait lever toute obligation en matière de constructions, le projet de loi sorti de l’Assemblée nationale porte également atteinte à la loi SRU, en laissant à certaines communes trop de souplesse dans son application. Les obligations liées à la loi SRU doivent, à nos yeux, être sanctuarisées et les sanctions renforcées lorsque l’absence de construction relève d’un choix délibéré.
En outre, de nouveaux droits doivent, selon nous, être octroyés en matière de logement. Ainsi, les expulsions sans relogement, qui constituent une pratique barbare, doivent enfin cesser. Il faut également en finir avec les surloyers et les politiques d’exclusion du parc social des catégories moyennes. Le logement public doit être le creuset de l’égalité républicaine et le plus grand nombre doit pouvoir y prétendre. L’aide personnalisée au logement, l’APL, doit être préservée, pour aider les plus modestes.
Pour autant, nous ne sous-estimons pas les difficultés, alors même que les baisses de dotations, conjuguées à la faiblesse des aides à la pierre, rendent l’acte de construction aujourd'hui difficile.
L’Assemblée nationale a rétabli son texte. Nous en prenons acte et c’est bien sûr préférable. Néanmoins, quelle sera l’efficacité concrète de ces mesures ? En quoi ce projet de loi répond-il à l’exigence, posée en janvier 2015 par le Premier ministre, de lutter contre l’apartheid social et territorial, de redonner du sens et produire de l’adhésion à notre modèle républicain ? Nous sommes très interrogatifs, alors que les récents chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, montrent cette année une nouvelle hausse de la pauvreté et des inégalités.
Ce projet de loi met en évidence les espoirs déçus de ce quinquennat et, je dirais même ses renoncements. Alors que le président Hollande avait annoncé et porté durant sa campagne le droit de vote aux élections locales pour les personnes étrangères, cet engagement a été sans cesse repoussé. Où est l’égalité ? Où est la citoyenneté ? Le seul acte posé concernant les étrangers durant ce mandat a été la tentative d’imposer la déchéance de nationalité, soit un acte de défiance et d’exclusion !
Nous croyons pour notre part en une République accueillante, fière de ses richesses et de ses cultures, plutôt qu’en une société repliée sur elle-même.
Alors que, en matière de lutte contre les discriminations, nous portons l’exigence de lutter contre les contrôles au faciès, rien n’a bougé en ce sens, et ce malgré la récente condamnation de l’État par la cour de cassation. Quelles perspectives et quel avenir en commun ouvrons-nous avec ce projet de loi ? Pas grand-chose, puisque la question essentielle n’a toujours pas été abordée !
La citoyenneté, c’est ce qui rassemble, ce qui « fait communauté » ; c’est donc ce qui relève de l’intérêt général et, à ce titre, doit être garanti pour tous : les services publics et les droits reconnus comme le ciment d’un imaginaire collectif, percevant la République comme la possibilité d’un progrès partagé, par et pour tous. Du fait de cette absence, ce projet de loi manque toujours autant de structure et d’ampleur. Il ne donne pas à voir une ambition transformatrice.
Certes, et nous nous en réjouissons, des mesures positives ont été rétablies à l’Assemblée nationale, notamment concernant les droits des gens du voyage, la possibilité de mener une action de groupe pour les locataires, la lutte contre l’habitat indigne, le droit d’accès pour tous à la cantine, etc. Pour autant ces mesures, par leur disparité, ne donnent pas à voir une vision nationale cohérente.
Mes chers collègues, comment articuler l’intitulé d’un texte autour des notions d’égalité et de citoyenneté, quand les politiques menées au quotidien contredisent tous les jours cette exigence ?
Les politiques d’austérité, de réduction des services publics, de baisse des dotations aux collectivités, de réduction du nombre de fonctionnaires et d’assèchement des crédits dans le cadre de la loi de finances sont autant d’armes contre le vivre ensemble et la citoyenneté, autant de mesures risquant de favoriser la montée de l’extrême droite et du populisme.
Pour donner sens à la notion de citoyenneté, c’est d’un tout autre projet dont nous avons besoin : une politique respectueuse des élus locaux, donc du choix démocratique ; une politique qui ne s’impose pas à coup de 49-3 ; une politique respectueuse des populations dans leur diversité, capable de promouvoir de nouveaux droits, de nouveaux modes d’intervention, une représentation du peuple par le peuple ; une politique qui rompt avec le dogme de la réduction de l’intervention publique.
L’argent public doit financer les besoins des populations, notamment en matière de logement. Nous ne combattrons le mal-logement que par une politique volontariste de constructions. Il faut donc augmenter les aides à la pierre et supprimer les niches fiscales.
Nous voulons, au fond, remettre les besoins humains au cœur de la politique et de la République – tel est le sens des propositions formulées par notre groupe. Seule cette démarche nous permettra de refonder les bases d’une citoyenneté moderne, généreuse et ouverte sur le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, que nous examinons en nouvelle lecture aujourd’hui, avait pour objectif initial de faire renaître, partout en France, un sentiment d’appartenance à la Nation, de recréer un lien à la citoyenneté parfois rompu et de répondre au malaise, voire au mal-être, traversant notre pays.
Pourquoi tant de citoyens français, pourquoi tant de jeunes, habitant souvent dans des quartiers défavorisés, n’ont plus ni le sentiment ni l’envie d’appartenir à la même nation et se sentent exclus de la société ? Notre devoir de législateurs et de responsables politiques est de proposer des solutions pour sortir de cette crise.
Je suis élu d’un département, la Seine-Saint-Denis, qui vit, souvent de manière encore accrue, les conséquences du creusement de ce fossé entre nos concitoyens. Voilà pourquoi, avec mes collègues du groupe UDI-UC, j’ai abordé ce projet de loi avec un grand sens des responsabilités et, pour tout dire, un a priori plutôt favorable.
Malheureusement, dès la première lecture du texte à l’Assemblée nationale, les objectifs initiaux du projet de loi se sont dilués dans des dizaines, voire des centaines de mesures. Tous les qualificatifs pour décrire cette inflation créatrice des députés ont été utilisés ! Or la loi n’est utile, efficace et comprise que si elle est claire et concise et que si elle répond à des objectifs cohérents.
Nos deux rapporteurs, Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, ont réalisé en première lecture un travail de proposition, mais aussi de relecture juridique, que je tiens à saluer à cet instant. Elles ont ainsi pris comme règle de conduite de ne conserver que des mesures directement en lien avec l’objectif visé, n’alourdissant pas le poids des normes sur les collectivités et efficaces pour nos concitoyens.
Nos deux rapporteurs ont rappelé quelques-unes des dispositions que le Sénat a adoptées en première lecture et qui symbolisent tout son travail, mais que l’Assemblée nationale a intégralement repoussées lors de la commission mixte paritaire, puis en nouvelle lecture.
En procédant, avec talent, à cet inventaire, elles ne se sont pas livrées à un procès, comme l’affirme Jean-Pierre Sueur ! Bien au contraire, elles ont établi un constat : celui du fossé existant entre les rédactions des deux assemblées. Or, tirer les conséquences de cette situation, c’est suivre la logique même du travail parlementaire et du bicamérisme.
Cessons de caricaturer nous-mêmes les positions des uns et des autres : agir ainsi ne fait qu’affaiblir la démocratie parlementaire. Je le répète, un fossé profond sépare les textes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Nos rapporteurs étaient dans leur rôle en formulant cette mise au point.
Tout d’abord, en matière d’éducation, qu’il s’agisse du contrôle de l’instruction à domicile ou de la législation applicable aux conditions d’ouverture des établissements privés d’enseignement scolaire, nos collègues députés n’ont pas du tout entendu les propositions sénatoriales. Nous nous étions pourtant efforcés de trouver un compromis. À mon sens, nous avions fait œuvre utile pour l’amélioration de ce projet de loi. L’Assemblée nationale n’en a, hélas, tenu aucun compte.
Ensuite, pour ce qui concerne la révision de la loi SRU, nous avions souhaité, sur l’initiative de Mme Estrosi Sassone, rapporteur, ménager plus de souplesse, en fonction des communes, quant au respect des quotas de construction. Il ne s’agissait pas d’abandonner ces objectifs, mais de les rendre réalistes au regard des réalités propres à chaque territoire. La loi doit être souple pour être bien appliquée dans des situations locales souvent très diverses.
L’instauration d’un contrat d’objectifs et de moyens entre le maire et le préfet permettait de respecter ces différentes volontés, pour définir, d’un côté, le taux de logements sociaux que la commune devait atteindre, et, de l’autre, l’échéance à laquelle elle devait y parvenir.
Madame la ministre, je ne puis évoquer ces dispositions sans revenir rapidement sur l’amendement que vous avez défendu à cet égard au nom du Gouvernement, et qui avait pour objet la création d’une foncière nationale solidaire.
Mes collègues Valérie Létard et Daniel Dubois ont exprimé toutes les craintes que ce projet leur inspirait : concurrence avec les politiques locales menées par les établissements publics fonciers locaux ; déstabilisation du marché immobilier ; mais, surtout, recentralisation de la décision, comme vous l’avez déjà fait au titre du 1 % logement.
Le Sénat a donc repoussé votre proposition, que l’on a ensuite vu revenir subrepticement dans le projet de loi sur le statut de Paris. Quelle est la logique consistant à proposer ce dispositif dans n’importe quel texte ? Le Conseil constitutionnel est ainsi prévenu que, d’une manière ou d’une autre, il constituera un cavalier législatif !
Enfin, j’évoquerai les mesures en faveur de l’égalité réelle. Il est difficile de faire des choix au milieu de tant d’articles, qui, comme l’a judicieusement indiqué ma collègue Françoise Gatel, constituent un « cabinet de curiosité ».
On peut noter nos désaccords profonds sur la question des concours de la fonction publique, en particulier sur la création d’un super-fichier collectant l’ensemble des données des candidats à un concours administratif tout en recensant leurs origines socioprofessionnelles, familiales et même géographiques. Nous ne pouvons qu’être sceptiques quant à la constitutionnalité d’un tel dispositif.
Au total, les désaccords persistants entre le Sénat et l’Assemblée nationale, les ajouts perpétuels, et souvent sans grand lien avec le texte initial, font de ce projet de loi Égalité et citoyenneté, au mieux une occasion manquée, au pis un faux alibi électoral. C’est pourquoi nos deux rapporteurs, suivies par la commission spéciale, ont proposé d’opposer une question préalable au présent texte au titre de cette nouvelle lecture.
Monsieur, madame les ministres, n’allez pas dire que le Sénat refuse d’imprimer sa marque sur ce projet de loi ou que la majorité sénatoriale rechigne à travailler. Les propositions et les débats ont eu lieu en première lecture, et ils ont précisément démontré le contraire.
On sent bien que la période électorale approchant a incité les députés et le Gouvernement à faire de ce texte le dernier marqueur politique qu’ils pouvaient sauver de ce quinquennat. Ce constat est regrettable, car nombre d’enjeux ici soulevés sont primordiaux pour les Français, en particulier pour ceux d’entre eux qui – je les évoquais en préambule – vivent dans des quartiers particulièrement difficiles et ont besoin de se sentir pleinement intégrés dans notre société. Je suis convaincu qu’il y avait mieux à faire.
En conclusion, les sénateurs du groupe UDI-UC suivront les préconisations des rapporteurs en votant la question préalable sur ce texte, lequel se résume à de bonnes intentions ou à des marqueurs idéologiques ne répondant pas aux attentes réelles de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, le 25 octobre dernier, nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi Égalité et citoyenneté.
Disons-le d’emblée : avec le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale, nous voilà, pour ainsi dire, revenus au point de départ !
Ce n’est pas vraiment une surprise : avant même notre premier débat en séance publique, le Premier ministre Manuel Valls avait annoncé qu’il ne tiendrait aucun compte de la réflexion du Sénat. Je regrette que notre collègue Jean-Pierre Sueur ne se soit pas alors emparé du micro pour rappeler à l’ordre, ou du moins au règlement, le chef du Gouvernement ! En effet, M. Valls mettait très gravement en cause le Sénat.
Force est de constater que, à l’Assemblée nationale, la majorité de gauche s’est consciencieusement appliquée à mettre en œuvre cette curieuse conception du débat parlementaire : elle a purement et simplement rétabli son texte initial, sans jamais chercher à s’engager sur la voie d’un compromis avec le Sénat.
Toutefois, après tout, rassembler la gauche derrière le Gouvernement, n’était-ce pas le véritable objectif de ce texte après l’épisode, ô combien douloureux pour cette majorité, de la loi El Khomri ?
M. Gérard Longuet. Eh oui !
M. Philippe Dallier. Annoncé après les attentats de 2015, le présent projet de loi avait pourtant permis au Gouvernement d’afficher de louables ambitions. « Réaffirmer et rassembler autour des valeurs de la République » : on ne pouvait que souscrire à cet objectif.
Néanmoins – nous avons eu l’occasion de le souligner à de nombreuses reprises en première lecture –, la traduction législative qui nous est proposée passe complètement à côté des enjeux. Elle n’apporte aucune réponse de fond aux tensions qui fracturent chaque jour un peu plus notre société. Elle constitue une entreprise avant tout idéologique, qui, au lieu de rassembler les Français autour d’une véritable réaffirmation du modèle républicain, tente d’abord de ressouder une famille politique décomposée et éclatée par l’exercice du pouvoir.
M. Jacques-Bernard Magner. Mais non !
M. Philippe Dallier. Par la force des choses, notre regard sur ce texte n’a donc pas changé depuis la première lecture. À nos yeux, il s’agit d’un fatras législatif, égrenant un nombre invraisemblable de mesures tantôt anecdotiques, tantôt purement incantatoires et surtout très disparates.
Du service civique aux langues régionales, de l’engagement associatif à l’alimentation locale et biologique, du logement social aux règles de vente au déballage, de la réserve citoyenne au bizutage en passant par la portabilité du lundi de Pentecôte, ce projet de loi est un véritable patchwork incohérent et inconsistant. Aussi n’emporte-t-il à aucun moment l’adhésion.
Nous sommes bien loin des recommandations par lesquelles le Conseil d’État appelle à contenir une profusion législative qui stérilise la vie politique. Selon le célèbre mot, « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite. » C’est particulièrement dommage à propos d’un texte qui traite précisément de la citoyenneté.
Le Sénat a tenté de faire œuvre utile, en recentrant ce projet de loi sur ses objectifs initiaux et en supprimant les dispositions purement déclamatoires, les mesures n’ayant aucun lien avec l’objet du texte ou encore les contraintes disproportionnées pesant sur les entreprises et les collectivités territoriales. À mon tour, je salue le travail accompli par nos deux rapporteurs.
Nous avons surtout cherché à introduire un peu de bon sens dans ce texte.
Tout d’abord, en matière de logement social, nous rejetons la logique disciplinaire et centralisatrice revenant à imposer aux communes des sanctions d’une incroyable sévérité. Celles d’entre elles qui n’atteindraient pas des objectifs manifestement irréalisables dans la plupart des cas, tout au moins dans les délais impartis, seraient pour ainsi dire mises sous tutelle par les préfets.
M. Yannick Vaugrenard. Et à Neuilly-sur-Seine ?
M. Philippe Dallier. Le Sénat a donc proposé de changer de paradigme. Il a voulu sortir de la logique d’incantation et de sanction, prônée par le Gouvernement, pour lui substituer une logique contractuelle, programmatique et pragmatique par laquelle l’État accompagne les élus dans l’atteinte d’objectifs adaptés à la situation.
Nous avons ainsi souhaité privilégier la souplesse, le dialogue et la confiance en proposant la création de contrats d’engagements et de moyens signés entre les maires et le préfet. Couvrant une période de six ans, ces contrats permettraient d’individualiser l’objectif, dans une fourchette de 15 % à 25 %, selon le foncier disponible et les moyens budgétaires de chaque commune.
Je rappelle que, parallèlement, nous avons maintenu les sanctions financières en cas de non-respect des objectifs ainsi définis.
Chers collègues de l’opposition, je dois vous le dire, je suis assez peiné de vous entendre caricaturer la proposition formulée par le Sénat. Nous le savons tous dans cet hémicycle : pour beaucoup de communes, l’objectif de 25 % de logement social en 2025 est intenable !
En définitive, nous n’aboutirons qu’à une inflation du nombre de communes carencées. À quoi cela servira-t-il ? À pointer du doigt les maires, même ceux qui, jusqu’à présent, ont respecté leurs objectifs ? À les désigner à la vindicte des populations, en déclarant que, si le nombre de logements sociaux reste insuffisant, c’est à cause de leur mauvaise volonté ? Encore faudrait-il que le foncier nécessaire soit disponible et, surtout – on en a peu parlé – que les maires aient les moyens financiers de construire les équipements publics ou d’acheter les terrains nécessaires.
M. Yannick Vaugrenard. Et à Neuilly-sur-Seine ?
M. Éric Doligé. C’est de la caricature, monsieur Vaugrenard !
M. Philippe Dallier. Cher collègue, voilà l’exemple même de la caricature dans laquelle vous versez ! Je ne suis pas maire de Neuilly-sur-Seine, voyez-vous, je suis à la tête d’une commune située au beau milieu de la Seine-Saint-Denis.
M. André Gattolin. Pas de chance ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. Philippe Dallier. Jusqu’à ce jour, j’ai toujours respecté mes objectifs triennaux.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Et vous avez du mérite !
M. Philippe Dallier. Eh bien, je vous le certifie, je serai incapable d’en faire de même au rythme que vous entendez imposer.
Bien des maires sont dans ma situation. Quelques autres ne veulent rien faire. D'ailleurs, je ne suis pas sûr que le maire actuel de Neuilly-sur-Seine soit de ceux-là. En voulant pointer du doigt les rares élus qui ne veulent pas agir, vous allez plonger tous les autres dans les plus grandes difficultés. Vous semblez penser que c’est une manière de traiter les problèmes. Tel n’est pas notre cas.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !
M. Philippe Dallier. L’Assemblée nationale n’a pas voulu de cette logique contractuelle, qui nous semble pourtant la seule à même de concilier des objectifs ambitieux, mais réalistes et, en définitive, efficaces, car applicables.
Pour conclure sur ce sujet, je vais vous dire une bonne chose : j’espère que la majorité changera l’année prochaine.
M. Yannick Vaugrenard. Bien sûr, au Sénat ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Philippe Dallier. Avec des dispositions comme celles que vous avez adoptées, vous encouragez ceux qui entendraient passer par pertes et profits la totalité des obligations laissées par le gouvernement actuel. Comme nombre de ceux qui siègent sur les travers de la majorité sénatoriale, je ne suis pas de ceux-là.
Néanmoins, à force de fixer des objectifs impossibles et des sanctions disproportionnées, vous allez décourager les bonnes volontés. Cela, je vous le reproche, et je vous le reprocherai : donnons-nous rendez-vous dans quelques années. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
Le titre II de ce projet de loi était idéologique,…
M. Jacques-Bernard Magner. Encore !
M. Philippe Dallier. … je pense l’avoir démontré, mais il avait au moins le mérite de la cohérence, du moins quant au sujet traité. Avec le titre Ier, et surtout le titre III, on constate à quel point ce texte est la voiture-balai d’un mandat au terme duquel le Gouvernement tente d’apaiser les frustrations de la gauche en faisant droit aux multiples revendications issues de ses diverses tendances.
M. Jacques-Bernard Magner. Vous donnez dans la psychanalyse…
M. Philippe Dallier. Néanmoins, nous avons tenté de faire preuve d’ouverture.
En première lecture, le Sénat a voté conforme 54 articles. Il a par exemple su reconnaître le bien-fondé des mesures en faveur de l’engagement de la jeunesse, qu’il s’agisse de l’extension du service civique ou de la création d’une réserve citoyenne généraliste et pérenne. Nous ne sommes cependant pas allés jusqu’à approuver les dérives conduisant à une certaine professionnalisation de l’engagement associatif.
Nous avons également dû mener, en première lecture, un travail important pour cantonner ce texte fourre-tout dans les limites du raisonnable. Le présent projet de loi comportait, en particulier, d’inquiétantes remises en cause des formes d’autorité, alors même que, en cette période troublée, notre société, et singulièrement la jeunesse, est en demande de repères.
Il s’agit, en premier lieu, de l’autorité parentale. Sous couvert d’émancipation des jeunes, ce texte affiche une irresponsabilité patente en matière d’éducation, associée à une ingérence éducative qui nous a paru dangereuse.
Nous nous opposons donc aux dispositions assez démagogiques affaiblissant l’autorité parentale et restreignant la liberté des parents en matière d’éducation. Je pense notamment aux mesures qui affaiblissent la protection des mineurs en tendant à établir la majorité à seize ans, ou aux propositions imposant des contraintes inutiles en matière de contrôle de l’instruction dispensée en famille. Bien sûr, il faut assurer un contrôle. Encore faut-il déterminer comment le faire.
Dans le même esprit, nous refusons de soumettre l’ouverture des établissements scolaires privés hors contrat à un régime d’autorisation qui serait contraire au principe constitutionnel de liberté de l’enseignement – nous attendrons de voir ce qu’en dira le Conseil constitutionnel. Nous avons préféré renforcer l’encadrement du dispositif déclaratif.
Il s’agit, en second lieu, de l’autorité municipale. J’ai déjà évoqué la remise en cause de la capacité de décision des maires en matière de logement social.
Alors que les maires sont la seule catégorie d’élus échappant encore peu ou prou à la défiance généralisée des Français vis-à-vis du politique, ils sont aujourd’hui mis en cause par les prérogatives accordées aux conseils citoyens. Nous ne pouvons que marquer notre ferme opposition à cette dilution de l’autorité et de la légitimité des élus locaux, qui demeurent la colonne vertébrale de notre démocratie représentative.
Il s’agit, troisièmement et enfin, de l’autorité policière. Ces derniers temps, les forces de l’ordre sont particulièrement sollicitées et éprouvées. Les messages de défiance adressés à leur encontre via les récépissés obligatoires sont on ne peut plus malvenus. À nos yeux, ils sont même inacceptables.
Ce projet de loi ne va pas non plus dans le sens de l’apaisement, tant le renforcement de la capacité des associations de toute nature à se porter partie civile risque de judiciariser à l’extrême les relations sociales.
La chasse aux discriminations est nécessaire. Mais faut-il la déployer sur tous les pans de la vie publique ? On va jusqu’à vouloir traquer les discriminations lors de la passation des marchés publics ou dans l’exercice du droit de préemption. Selon nous, cette attitude va trop loin.
Il nous a donc paru essentiel de supprimer les dispositifs proposés ou de les ramener à plus de mesure, pour contrer la menace de multiplication de contentieux sans réel fondement, qui ne font qu’attiser inutilement les tensions et créer un climat de suspicion délétère.
Malheureusement, sur ce point comme sur les précédents, il n’a pas été possible d’engager un réel dialogue avec l’Assemblée nationale. Les apports du Sénat ont, pour la plupart, été rayés d’un trait de plume.
Monsieur le ministre, madame la ministre, pour renforcer la République et ses valeurs, il faut avant tout être en prise directe avec le réel et comprendre la nature des fractures sociales et culturelles qui minent l’unité de notre pays. À l’inverse, c’est faire fausse route que vouloir régenter à tout prix les rapports sociaux.
Par ses travaux, la Haute Assemblée a, me semble-t-il, envoyé un message essentiel, en effaçant en partie le fossé qui existait entre la vision développée par ce projet de loi et la réalité vécue au quotidien par nos concitoyens.
La voix du Sénat n’a pas été entendue par la majorité socialiste et par le Gouvernement. Dans ces conditions, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront en faveur de la question préalable déposée sur ce projet de loi.
M. Jacques-Bernard Magner. Ils n’ont pas le choix !
M. Philippe Dallier. Le présent texte n’apportera aucune réponse crédible aux immenses défis auxquels la société française fait face. Il ne contribuera en rien, ou si peu, à retisser les liens de la communauté nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi par Mmes Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, au nom de la commission spéciale, d’une motion n° 8.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l’égalité et à la citoyenneté (n°148, 2016-2017).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le président de la commission spéciale, pour la motion.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, en vertu de l’article 44, alinéa 8 du règlement, j’ai l’honneur de défendre la question préalable sur le projet de loi qui, après son adoption par l’Assemblée nationale, nous est aujourd’hui soumis en nouvelle lecture.
Au préalable, je tiens à remercier tout particulièrement Dominique Estrosi Sassone et Françoise Gatel du travail considérable qu’elles ont accompli depuis qu’elles ont été désignées rapporteurs de ce texte. De nombreuses semaines, de nombreux mois ont été consacrés à l’examen de ce projet de loi. Je rappelle qu’elles ont mené, au total, 63 heures d’auditions.
M. Jean-Pierre Sueur. Raison de plus pour ne pas voter la question préalable !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. D’ailleurs, elles les poursuivent encore en cet instant, en écoutant les observations de notre collègue Jean-Pierre Sueur : quelques minutes vont donc venir s’ajouter à ces 63 heures ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Éric Doligé. M. Sueur s’excuse sans doute de ses précédents propos !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Parallèlement, la commission spéciale a totalisé 33 heures de réunions, auxquelles Jean-Pierre Sueur n’a d’ailleurs pas manqué de prendre part,…
M. Jean-Pierre Sueur. Et ce avec plaisir !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. … comme un certain nombre de nos collègues. Ce travail fut d’autant plus insolite qu’il a été mené pendant l’été, entre les deux sessions extraordinaires.
Enfin, le Sénat a dédié 45 heures à l’examen, en séance publique, de ce projet de loi intitulé « Égalité et citoyenneté ».
En vertu de la question préalable, ce travail va sans doute d’achever aujourd’hui. En première lecture, déjà, nous avions dénoncé les modifications considérables que nos collègues députés avaient infligées au texte du Gouvernement. Par une forme de surcharge pondérale, l’Assemblée nationale en avait beaucoup accru le volume. De plus, par diverses initiatives portant sur des domaines extrêmement variés, elle avait changé la nature de ses dispositions.
J’avais d’ailleurs été surpris que le Gouvernement n’oppose pas quelque garde-fou contre les initiatives prises par nos collègues députés. C’est lui qui avait enfanté ce texte. Or qui est prêt à voir des tiers modifier la physionomie, la taille et, a fortiori, le sexe de son enfant ?
Mme Annie Guillemot. Il y a tout de même des hermaphrodites…
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. En définitive, après son passage à l’Assemblée nationale, ce texte a, non doublé, mais quintuplé de volume !
Nos collègues députés ont déployé des initiatives dans de très nombreux domaines. Nos deux rapporteurs en ont fait état, je n’y reviendrai donc pas. Je signale simplement que ce projet de loi Égalité et citoyenneté permettra notamment à une personne de nationalité étrangère de devenir dirigeante d’une entreprise de pompes funèbres. Dieu merci, ce texte est arrivé à point nommé pour accorder une autorisation de cette importance ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. Yannick Vaugrenard. C’est petit…
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Et je ne parlerai pas d’autres dispositions, comme les règles nouvelles relatives à la vente au déballage.
Le présent texte a donné lieu à une forme de défoulement, de la part de députés aux yeux desquels le temps était sans doute venu d’inscrire dans la législation un certain nombre de leurs idées. En définitive, c’est un véritable bric-à-brac qui est parvenu au Sénat.
Que faire devant un tel texte ? Nous attendions que, au cours de la commission mixte paritaire, nos collègues députés se rendent à un certain nombre de nos arguments, et même de nos raisons. Malheureusement, nous avons très vite compris que cette tâche était vouée à l’échec.
Tout d’abord, il a été difficile de déterminer le moment où cette réunion pourrait avoir lieu, alors même que les délibérations étaient frappées d’une certaine urgence. En définitive, l’horaire a été choisi de telle sorte que mon homologue de l’Assemblée nationale m’a fait savoir qu’il serait courtois de notre part de ne pas retenir les députés trop longtemps : une heure et demie plus tard, ces derniers devaient se rendre au Palais-Bourbon pour prendre part à un vote obligatoire au titre du projet de loi de finances…
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Courtois, nous le sommes. Nous l’avons été d’autant plus que nous avions l’espoir d’aboutir à un accord. Dès le début de la réunion, nos rapporteurs ont exposé avec beaucoup de calme et de modération les points sur lesquels le Sénat entendait peser.
En réponse, nous n’avons reçu que des quolibets.
M. Yannick Vaugrenard. Vous allez loin !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. À l’égard de nos deux rapporteurs, la réponse des députés s’est révélée à la limite de l’insulte. En tant que président de la commission mixte paritaire, j’étais on ne peut mieux placé – si j’ose dire – pour entendre la voix des députés qui, d’une manière extrêmement discourtoise, exprimaient leur très mauvaise humeur.
À l’évidence, l’échec de la commission mixte paritaire incombe aux députés, et à eux seuls. (Exclamations.)
M. Jacques-Bernard Magner. Ben voyons !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. C’est vrai !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est évident !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Plusieurs d’entre eux nous ont d’ailleurs déclaré que, sur ce texte, ils ne comptaient pas perdre plus de temps qu’ils n’en avaient déjà consacré.
Je conçois que, pour certains députés tout au moins, le temps soit une denrée extrêmement précieuse.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Vous-même fûtes élu à l’Assemblée nationale ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Les intéressés souhaitaient probablement consacrer le temps qui leur reste à conduire d’autres travaux. Aussi ne souhaitaient-ils pas s’attarder sur ce projet de loi. Quel dommage !
Pour notre part, nous étions animés d’un esprit de dialogue et d’ouverture. Nous étions prêts à céder sur certains points, mais pas sur l’essentiel. Nous sommes restés sur le terrain des idées, tandis que la majorité des députés s’installaient sur celui de l’idéologie.
M. Jean-Pierre Sueur. Quel simplisme !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Rien n’est plus dommageable, d’autant que ce texte était de même à nous rassembler. Il s’agissait de tout faire pour renforcer la cohésion nationale, en développant l’engagement civique, en assurant l’accès de tous à un logement décent, ou encore en luttant contre les discriminations qui, hélas, sont encore trop répandues.
À l’opposé, nous avons entendu un certain nombre d’interventions dont le seul but était d’accélérer le cours des discussions pour aboutir, le plus vite possible, à un échec.
Encore fallait-il donner l’impression de ne pas expédier le débat… Pour les membres de l’Assemblée nationale, l’un des sports favoris consiste à bâcler une commission mixte paritaire en cinq minutes, avant de se répandre en explications devant les caméras de télévision. Dès lors, on répète que le fossé était tel qu’il rendait toute discussion impossible.
De notre côté, nous avons pris le temps d’exposer nos positions. Malgré ce qui a été dit, nous avons prêté une oreille attentive à un certain nombre d’interventions émanant des députés. Toutefois, je le répète, il n’était pas possible d’aboutir : nous avons donc pris la décision d’opposer la question préalable.
Mes chers collègues, il n’y a pas si longtemps, j’entendais celui qui était encore le chef du Gouvernement déclarer qu’il y avait deux gauches irréconciliables. Dès lors qu’un tel aveu est formulé, comment voulez-vous qu’une conciliation soit possible entre la majorité du Sénat et celle de l’Assemblée nationale ?
Ce texte, qui sera adopté dans la version de l’Assemblée nationale, car je gage que le Sénat adoptera la question préalable dans un instant, va encore aggraver le mécontentement des élus.
J’entends, car l’écho nous en vient, des élus du Nord, de Saint-Nazaire, d’Orléans, de l’Ardèche,…
M. Jacques-Bernard Magner. De l’ouest, du centre, du sud…
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. … nous déclarer à quel point leur est devenue insupportable l’étatisation imposée aux actes qu’ils accomplissent au profit de leurs administrés. Les excellents propos que Philippe Dallier a consacrés au logement social le prouvent clairement.
Nous refusons cette mise sous cloche des collectivités territoriales, ces empiétements de l’administration étatique, bref ce retour à la centralisation. Quitte à sortir quelque peu de mon rôle de président de la commission spéciale, je le déclare, à l’instar de Philippe Dallier : j’espère que le temps nous rapproche du moment où, conformément au souhait de l’immense majorité de nos élus et de nos concitoyens, le travail parlementaire et l’action publique locale se réconcilieront.
Mes chers collègues, je vous invite à voter la question préalable ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, contre la motion.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui en nouvelle lecture le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté. Je le rappelle à mon tour : la commission mixte paritaire ne pouvait parvenir à un accord.
En un sens, ce constat est plutôt rassurant. En effet, au cours de la première lecture, la majorité sénatoriale avait supprimé plusieurs dispositions tout à fait essentielles, même si je n’oublie pas que quarante et un articles ont été adoptés conforme, dont ceux qui étaient relatifs à deux dispositifs majeurs en faveur de l’engagement, à savoir le service civique et la réserve civique, lesquels ont fait l’unanimité.
Une fois de plus, la majorité sénatoriale a complètement dénaturé le texte présenté par le Gouvernement. À l’évidence, elle voit de l’idéologie là où il n’y a que du progrès social. (Mmes les rapporteurs s’esclaffent.)
La droite a rejeté tous les nouveaux droits que le Gouvernement voulait offrir à la jeunesse et qui confirmaient son émancipation. À cet égard, le présent texte se place dans la droite ligne de la loi pour la refondation de l’école de la République, que Vincent Peillon avait fait adopter en 2013,…
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Tiens, Vincent Peillon ! On l’avait oublié… (Rires sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Éric Doligé. Il était parti en Suisse !
M. Jacques-Bernard Magner. … et que la droite n’avait pas non plus voté.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, une fois de plus, vous tentez de faire échec aux mesures concrètes par lesquelles le Gouvernement entend rassembler tous les Français autour des valeurs de la République,…
M. Francis Delattre. Ah !
M. Jacques-Bernard Magner. … guérir les fractures mises en lumière par les attentats de 2015 et faire tomber progressivement les barrières auxquelles une partie de nos concitoyens se heurtent dans leur vie quotidienne.
Toutes ces idées généreuses sont passées à la moulinette, sur l’initiative des sénatrices et des sénateurs de la majorité sénatoriale, lesquels sont revenus sur toutes les mesures qui, pour nous, pour la jeunesse de ce pays, pour les habitants des zones urbaines fragiles, ont un caractère progressiste.
Les rares propositions présentées par la majorité sénatoriale se révèlent en outre tout simplement inacceptables. Je pense, bien évidemment, à la création d’un nouveau type de contrat aidé pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, le contrat d’emploi d’appoint jeunes, en réalité un sous-contrat précaire pour des « mini-jobs » sous-payés. Vous n’en avez d’ailleurs pas parlé aujourd’hui, me semble-t-il !
Je pense également aux bouleversements apportés à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui remettaient en cause l’exercice même de la liberté d’expression.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Ah !
M. Jacques-Bernard Magner. Je vous rappelle que le titre Ier du projet de loi crée les conditions de la généralisation d’une culture de l’engagement citoyen tout au long de la vie et renforce la priorité à la jeunesse portée par le Gouvernement depuis 2012.
M. Philippe Dallier. Et avec quels résultats !
M. Jacques-Bernard Magner. Il doit notamment mettre en œuvre le parcours citoyen généralisé, annoncé par le Président de la République, la généralisation du service civique et la réserve citoyenne tout au long de la vie.
Ainsi, mesdames et messieurs les sénateurs, si la question préalable qui vient de nous être présentée était adoptée, nous ne pourrions pas nous prononcer sur la création d’un congé d’engagement associatif pour les actifs bénévoles,…
M. Jean-Pierre Sueur. Hélas !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Tant mieux, plutôt !
M. Jacques-Bernard Magner. … alors que cette disposition est très attendue par le secteur associatif et les seize millions de bénévoles qui s’y investissent.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est ahurissant !
M. Jacques-Bernard Magner. Nous ne nous prononcerions pas non plus sur l’ouverture du service civique à de nouvelles structures, je pense en particulier aux centres dramatiques nationaux nouvellement introduits à l’Assemblée nationale.
Nous ne pourrions pas nous prononcer, encore, sur la rationalisation du pilotage des structures d’information des jeunes, ni sur la systématisation de l’information et de la prévention en matière de santé pour tous les jeunes.
De même, nous ne nous prononcerions pas sur une innovation de l’Assemblée nationale : la création d’un livret d’épargne supplémentaire pour le permis de conduire, dont la portée réelle pour les jeunes aurait au moins mérité une discussion.
Il en irait de même d’une nouvelle disposition d’importance : la reconnaissance du droit pour tout mineur d’adhérer librement à une association. Ce retour à la législation d’avant 2011, plus conforme à la convention internationale des droits de l’enfant, constitue pourtant une réelle avancée et une réponse concrète à l’engouement de la jeunesse pour l’engagement associatif.
Ces dernières années, la plus forte progression de l’engagement bénévole a été le fait des jeunes de quinze ans à trente-cinq ans. Pour nous, la participation des mineurs à la vie associative doit être reconnue comme un élément du processus d’apprentissage d’une citoyenneté active, que promeut ce projet de loi. Elle devra ainsi être un des éléments constitutifs et valorisables du parcours citoyen que le Gouvernement a souhaité mettre en place. Cette nouvelle disposition, qui sera votée par l’Assemblée nationale, y contribuera.
S’agissant du titre II de ce projet de loi, l’adoption de cette question préalable nous empêcherait d’examiner de belles avancées relatives à l’égalité, à la mixité sociale et à la solidarité dans le domaine du logement social.
Dans cette partie, le Gouvernement a voulu mettre en œuvre des outils opérationnels en faveur de la mixité dans les immeubles, dans les quartiers et à l’échelle des bassins de vie, en recentrant le dispositif SRU sur les territoires où la pression de la demande en logement social est importante, particulièrement sur les territoires bien desservis par les transports en commun.
Ainsi, nous ne pourrions pas nous prononcer sur l’une des mesures phares du projet de loi : l’octroi d’au moins 25 % de l’habitat social aux plus modestes dans les quartiers non prioritaires. Nous ne pourrions pas non plus adopter le renforcement de la loi SRU.
Nous ne pourrions pas voter en faveur de plus de souplesse pour les bailleurs sociaux dans la fixation des loyers, afin de favoriser l’accueil des locataires aux profils plus diversifiés au sein des immeubles, ni pour la publication des critères d’attribution des logements sociaux établis à l’échelle intercommunale.
Nous ne pourrions pas encourager la location choisie, qui permet aux locataires de connaître l’offre de logements sociaux vacants et de candidater pour y avoir accès.
Le titre III, intitulé « Pour l’égalité réelle », vise à faciliter la mise en œuvre des politiques publiques dans les quartiers prioritaires, en diversifiant l’accès à la fonction publique, en donnant la priorité à l’accès à la langue française, en luttant efficacement contre le racisme et les discriminations par une répression facilitée de tous les crimes et délits commis pour des raisons racistes ou discriminatoires fondées sur l’identité ou l’orientation sexuelle.
Défendre l’égalité réelle, c’est permettre à chacun de s’insérer pleinement dans la République, et ce titre III consacre et crée de nouveaux droits, au bénéfice de l’ensemble des citoyens.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, par le vote d’une question préalable, vous voudriez nous priver d’un débat sur l’extension du rôle des conseils citoyens, sur l’interdiction des discriminations dans l’accès à la restauration scolaire, sur le renforcement de la formation à la maîtrise du français tout au long de la vie, notamment dans le cadre de la formation professionnelle,…
M. Francis Delattre. Ce sont les dix plaies d’Égypte !
M. Jacques-Bernard Magner. … sur l’ouverture du financement du permis de conduire au compte personnel de formation, le CPF, sur l’élargissement de l’accès au troisième concours dans les trois fonctions publiques, afin de valoriser tous les types d’expérience professionnelle.
M. Philippe Dallier. Nous l’avons fait !
M. Jacques-Bernard Magner. Vous voudriez également nous priver d’un débat sur le durcissement de la répression des délits de provocation, de diffamation, d’injures et d’actes racistes, ainsi que sur la fin des discriminations en droit contre les gens du voyage.
M. Éric Doligé. Que ne l’avez-vous fait avant !
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le Président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, bien évidemment, les sénateurs du groupe socialiste et républicain voteront contre la motion tendant à opposer la question préalable qui vient de nous être brillamment présentée par le président de la commission spéciale.
Certes, cette procédure est prévue par notre règlement et c’est un outil comme un autre, mis à la disposition des assemblées, mais son utilisation par la majorité sénatoriale, aujourd’hui, nous prive de la discussion en nouvelle lecture d’un texte emblématique qui confère de nouveaux droits à la jeunesse de notre pays, d’un texte de progrès qui sera vecteur de changements dans la vie de nos concitoyens.
Cela montre bien nos différences, s’il en était encore besoin. La droite est frileuse,…
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Ah !
M. Jacques-Bernard Magner. … et elle n’a confiance ni dans la jeunesse ni en nos concitoyens. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Francis Delattre. C’est faux !
M. Éric Doligé. Vous n’avez pas le droit de dire cela ! Elle n’a simplement pas confiance dans les socialistes…
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, avec qui j’ai surtout travaillé, mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez l’adage latin : Errare humanum est,…
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Perseverare diabolicum !
M. Philippe Dallier. Parlez pour vous !
M. Gérard Longuet. De toute façon, vous avez supprimé le latin…
M. Patrick Kanner, ministre. Je vous le dis clairement, je regrette le ton avec lequel vous avez défendu votre question préalable. Vous m’avez accusé d’être un ministre de mauvaise foi…
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Moi ?
M. Patrick Kanner, ministre. Oui, madame ! (Sourires.) Vous avez évoqué La Grande Illusion, un excellent film, au demeurant.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. En effet, le film est bon, lui !
M. Patrick Kanner, ministre. Vous avez également comparé ce texte à un « cabinet de curiosités ». Notez que le Larousse relève que, au XVIe siècle, on parlait à ce sujet, et c’était mieux, de « chambre de merveilles » !
Je sais, madame Gatel, que vous avez beaucoup d’humour. S’il y avait un musée Grévin des sénateurs dépassés, je ne doute pas que certains qui siègent ici y auraient leur place ! (Mme François Gatel, rapporteur, rit.)
M. Éric Doligé. Tous les ministres actuels y seront dans six mois !
M. Patrick Kanner, ministre. Au moins n’avez-vous pas qualifié ce texte de « vide-grenier législatif » !
Vous avez été bien péremptoire et, permettez-moi de vous le dire, c’est vous qui vous payez de mots et de formules faciles.
L’éligibilité des formations du permis de conduire au CPF, la réserve civique, la montée en charge du service civique, le renforcement de la mobilité internationale, la lutte contre les discriminations, qui prend un nouvel élan, la fin des discriminations légales contre les gens du voyage – quelle belle avancée ! –,…
M. Jean-Pierre Sueur. En effet. Merci à Dominique Raimbourg !
M. Patrick Kanner, ministre. … l’ouverture d’emplois fermés, l’expérimentation des caméras-piétons, que vous n’avez d’ailleurs pas évoquée,…
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Nous avions soutenu cela !
M. Patrick Kanner, ministre. … vous qualifiez toutes ces mesures de « curiosités », alors que nous les considérons comme des progrès pour notre société et pour tous ceux qui en feront usage.
Quel que soit le nombre de ces mesures, si chacune d’entre elles est utile pour nos concitoyens, alors nous pouvons être satisfaits. La minorité sénatoriale ne manquera pas de l’être. C’est peut-être cela qui nous sépare : pour vous, le progrès s’est arrêté. Il ne doit plus rester qu’une forme de purge.
Quand on enlèvera au secteur public 110 ou 120 milliards d’euros de moyens et que l’on supprimera 500 000 emplois publics,… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Ça y est !
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Vous mélangez tout !
M. Philippe Dallier. Vous avez donc déjà perdu l’élection ?
M. Patrick Kanner, ministre. … alors nous passerons d’un État-providence à un État-pénitence, ce qui fera sans doute plaisir à certains candidats à la prochaine élection présidentielle. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
De votre côté, il est vrai que vous ne nous avez pas fait crouler sous les propositions innovantes. M. Magner les a rappelées. Tout d’abord, vous avez suggéré un contrat d’appoint pour les jeunes. Quelle honte que de proposer ce dispositif aux 800 000 jeunes qui y auraient été éligibles !
Mme Christiane Hummel. Ce sont des jeunes que vous avez mis au chômage !
M. Patrick Kanner, ministre. Heureusement, l’Assemblée nationale a supprimé ce sous-salariat pour les jeunes.
Je n’oublie pas non plus vos propositions de modification de la loi de 1881, qui auraient conduit à des remises en cause essentielles de la liberté d’expression. Je me félicite que nous soyons revenus, non pas sur ces curiosités, madame la rapporteur, mais sur ces incongruités ! Il est d’ailleurs cocasse de vous entendre affirmer que le Gouvernement ferait n’importe quoi en matière de liberté d’expression quand vous avez défendu des amendements dont l’adoption aurait rendus imprescriptibles tous les délits de presse.
Par ailleurs, multiplier les questions préalables, comme le fait la majorité sénatoriale depuis la rentrée parlementaire, participe d’une posture qui fait plus de mal que de bien à la chambre haute.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Le 49.3, c’est sans doute mieux !
M. Philippe Dallier. Qu’aviez-vous fait entre 2012 et 2014 ?
M. Patrick Kanner, ministre. Alors que plusieurs candidats à l’élection présidentielle attaquent la légitimité du Sénat, je trouve regrettable qu’une telle fiction soit alimentée par cette attitude, quand j’ai pu moi-même constater, à plusieurs reprises, la qualité du travail que nous pouvons réaliser ici. Ce ne sera malheureusement pas le cas ce soir, je le regrette sincèrement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous comprendrez que je regrette également cette question préalable, qui ne nous permettra pas de discuter du texte revenu de l’Assemblée nationale.
M. Philippe Dallier. C’est le même qu’en première lecture !
Mme Emmanuelle Cosse, ministre. Justement non, monsieur Dallier ! Par exemple, le titre II contenait treize ordonnances. Nous avons intégré dans le texte les dispositions de chacune d’entre elles, d’abord ici, avec Mme la rapporteur Dominique Estrosi Sassone, puis à l’Assemblée nationale, où nous avons poursuivi ce travail.
Nous avons continué à améliorer le texte en donnant des moyens à la lutte contre l’habitat insalubre, ce dont tous les territoires seront heureux. De même, des éléments importants ont été ajoutés, simplifiant le droit au profit de l’ensemble de ces communes qui sont en train de fusionner et de ces EPCI qui sont en cours de constitution, lesquels avaient besoin de réponses sur l’élaboration des SCOT, des PLUI et de la « grenellisation » des documents d’urbanisme.
Je regrette que nous ne prenions pas le temps de discuter ensemble de ces avancées, ne serait-ce que pour mener un travail législatif de qualité. Au-delà de nos désaccords, nous avons en effet considérablement amélioré ensemble la rédaction de ce texte et je trouve dommage que nous ne puissions pas poursuivre ce travail collectif.
Je voudrais répondre à quelques questions qui ont été évoquées. Nous avons une divergence de perception au sujet de l’article 55 de la loi SRU. L’Assemblée nationale, comme moi, ne partage pas votre volonté de réduire l’objectif de logements sociaux de 25 % à 15 %.
M. Philippe Dallier. Relisez donc le texte, ce n’est pas exact !
Mme Emmanuelle Cosse, ministre. C’est bien cela que vous proposiez : une négociation pour définir un chiffre entre 15 % et 25 % en fonction des territoires.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Ce n’est pas cela !
Mme Emmanuelle Cosse, ministre. Vous préférez cela à une obligation fixée à 25 %. Pourquoi 15 % ?
Vous affirmez à longueur de débats que ces logements ne peuvent être construits en raison de l’absence de foncier, mais les chiffres en la matière sont maintenant publics ; il vous est possible de les vérifier sur le site du ministère du logement. Si toutes les communes carencées au titre de la loi SRU manquaient vraiment de foncier, elles n’auraient pas construit autant de logements depuis le début des années 2000 ! (Mme Annie Guillemot applaudit.) Nombre d’entre elles en ont construit des centaines, mais sans un seul appartement social.
M. Philippe Dallier. Ce n’est pas le cas partout !
M. Francis Delattre. Vous deviez construire 500 000 logements par an !
Mme Emmanuelle Cosse, ministre. Aujourd’hui, ces maires, qui ne font pas de logements sociaux, me demandent de trouver des solutions sur les contingents préfectoraux pour loger les demandeurs ! (Mmes Annie Guillemot et Évelyne Yonnet applaudissent.)
Un certain nombre d’entre nous militent ensemble pour le logement, par-delà les différences idéologiques. Soit nous nous battons pour l’accès à un logement digne pour l’ensemble de nos concitoyens, et alors nous devons faire des efforts sur tous les territoires – c’est le cas pour beaucoup d’entre eux, heureusement ! –, soit on accepte la persistance d’une ségrégation territoriale, mais il ne faut pas s’étonner, dès lors, qu’un grand nombre de nos concitoyens, qui rencontrent les plus grandes difficultés pour se loger par manque de logements abordables dans ce pays, se sentent méprisés !
Oui, j’aurais aimé poursuivre ce débat avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, et continuer le travail législatif sur la question de la mixité sociale. Vous ne partagez pas ce souhait, c’est dommage.
Reste que ce texte de loi contient de grandes avancées. Concernant les gens du voyage, par exemple, nous avons mis fin ensemble au livret de circulation, cet héritage d’un droit ancien devenu inadmissible. Ce texte va renforcer la citoyenneté de bon nombre de nos concitoyens et nous permettre d’avancer vers l’égalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour explication de vote.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, en cette période si particulière de fin de mandat, pour le Président de la République comme pour les assemblées parlementaires, nous constatons que le recours aux motions de procédure se multiplie.
Une nouvelle fois, la question préalable est posée sur un texte qui est important pour la société, car il traite de l’épanouissement de la citoyenneté. L’utilisation de la question préalable nous conduit à un examen trop rapide de cette question essentielle, qui devait être une priorité pour le Gouvernement.
Aussi, nous rejoignons une partie des critiques émises dans cet hémicycle.
D’une part, le texte est arrivé, en première lecture, lourd de nombreux cavaliers, et nous avons eu du mal à en dégager un fil conducteur. Il est donc frustrant de constater que le travail collectif de fond de la commission spéciale en première lecture n’a servi à rien.
D’autre part, concernant les thématiques centrales du texte, les modifications de notre chambre ont été ignorées par l’Assemblée nationale, à de rares exceptions près. Même si nous étions en grand désaccord avec la majorité d’entre elles, cela pose question quant au fonctionnement du Parlement.
Le groupe CRC ne peut se satisfaire de voir le débat ainsi sabordé, alors même que nous gardons à l’esprit les envolées sur le bicamérisme de certains des auteurs de cette motion, quand nous-mêmes, à de rares occasions, avions eu recours à cette procédure : « Il faut laisser vivre le débat ! Il faut être à la hauteur de l’institution et montrer l’intérêt et l’utilité du Sénat ». En effet, c’est aujourd’hui bien visible pour nos concitoyens !
Pourtant, nous avons de nouveau à discuter d’une motion. Il est regrettable que, au moment où certaines et certains surfent sur un prétendu délitement citoyen, la moitié du Parlement refuse de débattre de ce sujet. Notre groupe ne votera donc pas cette question préalable.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Évelyne Yonnet. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté porte, à nos yeux, les ambitions de la démocratie et des valeurs de la République.
Il est l’occasion, pour le Gouvernement et pour nous, parlementaires, de légiférer sur une soixantaine de mesures d’intérêt général, de développement social comme sociétal. J’ai proposé plusieurs fois, par voie d’amendement, que les conseils des sages et les conseils consultatifs pour la citoyenneté des résidents étrangers soient davantage reconnus et encadrés. Il me semble en effet impératif de mettre en lumière ces outils importants de démocratie citoyenne et de rendre sa place à la démocratie sociale.
Reconnaître et valoriser les engagements, renforcer l’action de groupe, donner à chacun les outils de son émancipation citoyenne et les moyens de faire valoir ses droits, ce sont les valeurs de la gauche. Je les porte ici, au nom du groupe des sénateurs socialistes, pour plus d’égalité au quotidien.
Si l’on en croit votre motion, la politique doit n’être l’affaire que de l’élite ! Pour nous, sénateurs socialistes et républicains, amener le citoyen au centre du processus démocratique est une priorité ; mieux, une nécessité absolue !
Je constate votre manque d’intérêt alors qu’il s’agit de placer les citoyens au cœur de la République, notamment les jeunes, mais aussi les étrangers, les seniors, entre autres. Il vous reste à assumer votre conception de la politique et à la défendre devant les Français.
Choisir ce texte pour nous opposer une troisième question préalable en un mois nous semble dénoter un manque de respect à l’égard des Français. Pis encore, vous détournez leur attention de votre rôle de parlementaire dans l’attente des élections futures, en choisissant la passivité, comme si la République était en sommeil.
À ce titre, comme l’ont dit MM. Magner et Vaugrenard, vous ne vous êtes pas contenté de réécrire ou de modifier le projet de loi lors de la première lecture ; vous l’avez complètement dénaturé en étant à l’origine de la suppression de près de quatre-vingts articles.
Parlons peu, mais parlons bien, mes chers collègues, l’ensemble des dispositifs relatifs au droit associatif, concernant notamment les mineurs, a rencontré de votre part une opposition farouche.
S’agissant du logement, les législations à l’égard de l’habitat social ont été renforcées, mais vous avez tenté de les affaiblir ! Les politiques de la ville ont été réinventées en favorisant la diversité sociale dans le logement, mais vous ne voulez pas en entendre parler.
Enfin, face au fléau de l’habitat indigne, la politique de Mme la ministre visant à éradiquer les logements insalubres a été affermie par plusieurs avancées, notamment la mise en place d’un sous-préfet sur les territoires concernés.
Mes chers collègues, en guise de conclusion, je vous livre ces quelques mots d’Albert Camus, car ils sont justes et porteurs de sagesse : « La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. » Vous l’aurez compris, le groupe socialiste et républicain ne votera pas cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 8, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Que chacun prenne ses responsabilités et affiche ses choix !
M. le président. J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 81 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 154 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté est rejeté.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi portant adaptation du code minier au droit de l’environnement, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 23 novembre 2016.
6
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 19 décembre 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État lui avait adressé deux décisions de renvoi relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les articles L. 561-41 et L. 561-42 du code monétaire et financier dans leur rédaction issue respectivement de la loi du 12 mai 2009 et de l’ordonnance du 30 janvier 2009 (Principe d’impartialité des juridictions ; 2016–616 QPC et 2016–617 QPC).
Les textes de ces décisions de renvoi sont disponibles à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
7
Loi de finances pour 2017
Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, de finances pour 2017 (projet n° 239, texte de la commission n° 41, rapport n° 242).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen des textes financiers touche à son terme. Le projet de loi de finances de la sécurité sociale a été définitivement adopté, et vous vous apprêtez aujourd’hui à examiner en nouvelle lecture le projet de loi de finances pour 2017.
Ce texte, vous avez refusé d’en débattre en première lecture, en adoptant une motion tendant à opposer la question préalable. Est-il besoin de s’attarder sur ce fait d’armes, guère glorieux, qui n’a rien apporté au débat démocratique ?
Sans doute la cohérence de notre politique budgétaire jetait-elle le trouble parmi celles et ceux qui privilégient les effets d’annonce aux résultats. Sans doute y avait-il également quelques différences entre vous.
Aujourd’hui, je voudrais dissiper une dernière fois les accusations d’insincérité que certains n’ont eu de cesse de proférer à l’égard du projet de loi de finances pour 2017. Accusations faciles, sans fondement, formulées à l’emporte-pièce pour ne pas avoir à reconnaître que quand un gouvernement en a la volonté, il peut redresser les comptes publics tout en préservant le modèle social.
Nous prévoyons que le déficit public sera l’an prochain inférieur à 3 % : ce sera la première fois depuis 2007, et cet objectif a été validé par la Commission européenne.
Des modifications ont été apportées au projet initial. Je crois important de rappeler que chaque mesure nouvelle a été gagée et que nos objectifs de solde budgétaire ont été maintenus. C’est une preuve de plus de notre sérieux budgétaire – on mesure d’autant mieux l’inconsistance des reproches d’insincérité qui nous ont été adressés.
Car les résultats sont là. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Faut-il rappeler la situation alarmante dans laquelle se trouvaient nos comptes publics au début de ce quinquennat ? Je citerai quelques chiffres éloquents, que je ne me lasse pas de rappeler, car ils nous éclairent sur tout ce qui sépare une politique de gauche d’une politique de droite, quoi qu’en disent certains.
En 2017, notre déficit public repassera, pour la première fois depuis dix ans, sous la barre des 3 %, alors qu’il s’élevait à 6,8 % du PIB en 2010. En 2017, le déficit de la sécurité sociale sera proche de zéro et les comptes du régime général seront proches de l’équilibre, alors qu’ils présentaient en 2010 un déficit de 24 milliards d’euros.
Ce projet de loi de finances achève les grandes évolutions budgétaires et fiscales entamées en 2012 : la poursuite de l’allégement de la fiscalité sur la production et l’emploi, avec une hausse d’un point du CICE et une trajectoire progressive de baisse de l’impôt sur les sociétés ; de nouvelles réductions d’impôts pour les classes moyennes, avec une baisse d’un milliard d’euros de l’impôt sur le revenu, qui a été complétée par un allégement de CSG en faveur des retraités les plus modestes ; la réforme majeure, dont vous n’avez pas débattu, du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu ; des moyens supplémentaires en faveur de l’éducation, de la recherche et de la sécurité ; enfin, la poursuite d’une politique responsable, afin d’assurer une baisse continue du déficit, avec des mesures de trésorerie sur les grandes entreprises pour garantir le retour du déficit à 2,7 %.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, oui, nous pouvons être fiers de la politique menée durant ce quinquennat. Alors que certains, qui commencent à se dévoiler avant de reculer, voudraient saper les fondements de notre modèle social, nous avons travaillé à en renforcer les fondements.
Nous pouvons être satisfaits, parce que nous avons mené une politique juste ; une politique, qui, j’en conviens, a rendu l’impôt plus progressif, et qui a accru les effets redistributifs de notre système.
Je crois aussi que nous avons su garantir à nos jeunes une éducation de qualité, parce que nous avons réaffirmé que tous nos concitoyens avaient leur place sur le marché de l’emploi et parce que nous avons pérennisé la protection sociale que certains voudraient donner à l’assurance privée.
C’est bien cela une politique de gauche, une politique qui redonne foi en l’avenir, tandis que d’autres préfèrent pousser des cris d’orfraie pour mieux confisquer l’intérêt général au profit de quelques-uns !
Soyez rassurés, nous ne laisserons personne dilapider ces efforts, qui sont ceux de tous les Français, et nous continuerons à nous battre pour que vive cette République sociale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 13 décembre dernier n’étant pas parvenue à établir un texte commun sur le projet de loi de finances pour 2017 – il faut avouer que cela aurait été difficile –, nous voici réunis pour l’examen de ce texte en nouvelle lecture.
Le Sénat avait en effet rejeté l’ensemble du budget 2017 en adoptant une motion tendant à lui opposer la question préalable. Permettez-moi d’en rappeler les principaux motifs.
Nous avions tout d’abord considéré que la sincérité des hypothèses en recettes et dépenses était contestable, compte tenu, d’une part, du taux de croissance optimiste de 1,5 % retenu par le Gouvernement, dont découle la forte progression estimée des recettes fiscales, et, d’autre part, des économies que nous jugions irréalistes et des importantes sous-budgétisations.
Nous avions estimé que, du fait de ces hypothèses contestables, le retour à un déficit public à moins de 3 % du PIB, promis depuis 2013, apparaissait une fois de plus comme de pur affichage. La Banque de France, moins optimiste que la Commission européenne, s’attend désormais à un déficit d’au moins 3,1 % du PIB en 2017.
Le rejet du projet de loi de finances pour 2017 se justifiait aussi par des choix budgétaires et fiscaux que nous ne pouvions accepter.
Du point de vue fiscal, pour les entreprises, le projet de loi de finances remettait en cause le pacte de responsabilité tout en instaurant de nombreux prélèvements sur leur trésorerie pour boucler l’année 2017 par de purs artifices comptables. La nouvelle baisse d’impôt sur le revenu réduisait encore davantage son assiette, dans la lignée des mesures du quinquennat, sans répondre aux préoccupations que nous avions exprimées l’année dernière pour les ménages à revenus moyens et les familles.
Notre rejet marquait aussi notre claire désapprobation de l’abandon de la norme de dépense par l’État, alors que la baisse des dotations pour les collectivités locales se poursuivait. Nous ne pouvions en particulier souscrire à l’augmentation, suffisamment substantielle pour être notée, de 4 % de la masse salariale de l’État et à l’absence de toute mesure d’économies en matière de fonction publique.
Enfin, nous avions surtout rejeté un budget de campagne qui préemptait les exercices budgétaires futurs : si le projet de loi de finances ne permettait aucune baisse des prélèvements obligatoires en 2017 – leur taux reste inchangé –, quelque 7,7 milliards d’euros de baisse d’impôts étaient inscrits dès 2018, et 25 milliards d’euros de charges nouvelles étaient programmés d’ici à 2021, avec des mesures non financées, notamment pour les investissements d’avenir ou les établissements pénitentiaires. Cela nous est apparu contraire au principe d’annualité budgétaire et témoignait de la multiplication des promesses électorales non financées.
Quelles sont les améliorations apportées par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture et sont-elles de nature à modifier la position du Sénat ?
Il y a tout d’abord lieu de noter que l’Assemblée nationale est revenue en tout ou partie sur des dispositions auxquelles nous étions opposés. Ainsi, elle a heureusement renoncé à supprimer l’exonération d’imposition des plus-values immobilières pour la première cession d’un logement autre que la résidence principale lorsque tout ou partie du prix est réemployé pour l’acquisition d’une résidence principale.
De même, l’Assemblée nationale a supprimé en première partie l’extension de la taxe sur les transactions financières aux opérations intrajournalières et l’aménagement du régime fiscal et social applicable aux attributions d’actions gratuites, la première mesure ne pouvant s’appliquer dès 2017 et la seconde encourant la censure du Conseil constitutionnel du fait de son caractère rétroactif, comme la commission des finances l’avait souligné.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Toutefois, on ne peut vraiment s’en réjouir, puisque l’Assemblée nationale a adopté deux articles additionnels en seconde partie sur ces mêmes dispositifs.
Par ailleurs, le taux de la taxe sur les transactions financières sera relevé de 0,2 % à 0,3 % en 2017.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'État, dans un contexte de concurrence accrue des capitales à la suite du Brexit, je ne suis pas certain que cette mesure constitue un très bon signal en matière d’attractivité.
On remarquera également que de nouveaux ajustements ont été apportés aux plafonnements de taxes affectées, puisque les modifications portent sur plusieurs organismes, notamment sur les chambres de commerce et d’industrie pour lesquelles le plafond de taxe affectée est relevé de 60 millions d’euros.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous nous sommes exprimés sur le sujet lors de la discussion générale.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’Assemblée nationale a également apporté nombre de corrections, qui font écho à des observations techniques que nous avions faites sur de nombreux articles, dont vous trouverez mention dans le rapport de nouvelle lecture de la commission. Monsieur le secrétaire d'État, je vous rappelle que, même si nous n’avons pas débattu ce projet de loi de finances en séance publique, la commission des finances et toutes les commissions saisies pour avis l’ont examiné !
Toutefois, l’Assemblée nationale a conservé un très grand nombre de dispositions dont nous ne voulons pas, comme le mécanisme dit « anti-abus » concernant le plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, l’aménagement du régime d’imposition des indemnités de fonction des élus locaux, ou encore l’élargissement ou la création de plusieurs régimes d’acomptes pour les entreprises.
Sur le fameux article 38 relatif au prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, l’Assemblée nationale a adopté plus de vingt amendements, dont la moitié rédactionnelle ou de précision, et l’autre moitié plus substantielle. Cela témoigne encore une fois de la complexité de cette réforme dite « de simplification ».
En particulier, un amendement a été adopté sur l’initiative du Gouvernement, visant à instaurer un abattement égal à la moitié du montant mensuel du SMIC lorsque le montant de la retenue à la source est déterminé sur la base de la grille de taux par défaut pour les salaires versés au titre de CDD courts. L’introduction de cette dérogation montre la complexité de ce dispositif, pourtant censé faciliter la vie des contribuables modestes.
Par ailleurs, sur l’initiative de nos collègues députés, un amendement a été adopté afin de permettre à un employeur de demander à l’administration fiscale de « prendre formellement position sur le traitement fiscal applicable aux éléments de rémunération versés » au titre de l’année 2017.
Néanmoins, le principe du prélèvement à la source réalisé par les entreprises, ce que nous contestons, n’est pas remis en cause, et malgré tous les aménagements successifs apportés par l’Assemblée nationale, qui s’apparentent désormais à autant de rustines, ce dispositif ne peut être accepté.
L’Assemblée nationale a rétabli la suppression de la condition de ressources pour bénéficier du cumul du crédit d’impôt pour la transition énergétique et de l’écoprêt à taux zéro, ce qui va encore augmenter le coût de la dépense fiscale.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Elle a également confirmé les très nombreux élargissements de crédits ou réductions d’impôts concernant notamment le secteur culturel, ainsi que les nouveaux crédits d’impôt pour les associations et pour les inactifs recourant à des services à la personne.
Monsieur le secrétaire d'État, je note que toutes ces mesures ne pèseront quasiment pas sur les finances publiques en 2017, mais, comme par hasard, seulement à compter de 2018.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Étiez-vous contre ? Vous ne dites jamais si vous êtes pour ou contre les mesures que vous citez !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ces mesures ne sont pas financées, monsieur le secrétaire d'État.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Enfin, l’Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement visant à anticiper de septembre à janvier 2017 les effets de la réduction d’impôt sur le revenu en réduisant les montants des mensualités et des acomptes provisionnels dès le mois de janvier prochain.
C’est assez étonnant, bien que parfaitement compréhensible d’un point de vue électoral, car l’on va accorder le bénéfice de la réduction d’impôt alors même que les contribuables n’auront pas déclaré leurs revenus. Ceux dont les revenus augmentent auront une mauvaise surprise, mais, étrangement, celle-ci n’arrivera qu’après les élections.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je suis contre les mesures non financées, monsieur le secrétaire d'État.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Certes, ce n’est pas du budgétaire, mais c’est un mauvais cadeau fait aux contribuables dont les revenus augmentent, qui recevront un avis d’imposition ne tenant pas compte de leurs revenus de l’année et qui subiront un rattrapage par la suite.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Au total, à l’issue de cette nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, le déficit budgétaire est estimé à 69,3 milliards d’euros, soit un montant stable par rapport à la prévision associée au projet de loi de finances initiale.
Si l’on regarde plus en détail, les recettes fiscales nettes de l’État sont minorées de 406 millions d’euros par rapport au texte de première lecture, en raison notamment de la révision à la baisse de la croissance pour 2016 et des dispositions inscrites dans le projet de loi de finances rectificative.
Les prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales sont majorés, principalement en raison de la diminution de la minoration des variables d’ajustement, qui réduit de 100 millions d’euros l’effort demandé aux régions et de 60 millions d’euros celui du bloc communal. Le prélèvement sur recettes de l’État au profit de l’Union européenne est en revanche minoré de 400 millions d’euros, ce qui permet de ne pas dégrader le solde.
Les dépenses du budget de l’État demeurent donc stables par rapport au montant adopté en première lecture par l’Assemblée nationale.
Comme vous le constatez, chers collègues, la nouvelle lecture réalisée par l’Assemblée nationale, même si elle permet de répondre techniquement à nos préoccupations sur certaines dispositions votées en première lecture, ne modifie en rien les grands équilibres et les orientations du budget pour 2017.
Je vous propose donc de confirmer la position du Sénat, en adoptant une nouvelle motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, lors de la première lecture du projet de loi de finances pour 2017, j’avais défendu l’idée que ce projet de budget était déjà largement virtuel. Sur la base des analyses du Haut Conseil des finances publiques, j’estimais en effet, monsieur le secrétaire d'État, que l’atteinte de vos objectifs affichés en matière de réduction des dépenses était improbable, et qu’en matière de déficit public, elle était incertaine.
En trois semaines, ce projet de loi de finances est passé de virtuel à très difficilement soutenable. En effet, vous ne pouvez l’ignorer, deux instituts des plus sérieux ont révisé les prévisions de croissance pour 2016 et 2017. Selon l’INSEE, la croissance pour 2016 ne sera plus que de 1,2 %, confirmant ainsi le ralentissement de l’économie française cette année. Et selon les prévisions que la Banque de France vient de publier, la croissance de l’économie française ne dépassera pas les 1,3 % en 2017.
Ce ralentissement de l’économie française se confirme malheureusement avec la fin de la « conjoncture astrale d’alignement des planètes », dont vous n’avez pas su profiter comme vous auriez dû. En effet, les risques d’une remontée des taux d’intérêt, la hausse du prix du pétrole et un taux de change moins favorable pèseront lourdement sur notre économie et nos finances publiques, d’autant que nos comptes publics n’ont pas été suffisamment assainis durant la mandature actuelle.
Ces chiffres viennent confirmer, s’il le fallait, les analyses de la commission des finances du Sénat et de notre rapporteur général sur les prévisions plus qu’optimistes du Gouvernement, et donc sur la surestimation des recettes l’année prochaine. Ils contredisent les propos, assénés encore une fois avec force et talent dans cet hémicycle tout à l’heure par monsieur le secrétaire d'État – c’est son métier de le faire –, sur la sincérité de ce projet de budget construit avec une prévision de croissance de 1,5 %.
Forts de ces chiffres, nous pouvons l’affirmer sans crainte d’être contredits : la prévision de croissance sur laquelle est assise la construction de ce projet de loi de finances pour 2017 nous semble plus qu’improbable, et l’atteinte d’un déficit à 2,7 %, tel qu’il a été annoncé par le Gouvernement, n’est plus seulement incertaine ; elle devient impossible. Il est désormais établi que, sauf miracle, le déficit public ne repassera pas sous les 3 % du PIB en fin de mandat, alors qu’il devait y parvenir dès 2013, et que, contrairement à la promesse présidentielle qui avait été faite, les comptes publics ne seront pas revenus à l’équilibre en 2017.
Il est désormais quasiment acquis que le déficit public dépassera largement les 3 % l’année prochaine et qu’il sera certainement plus proche des 3,5 %, validant ainsi les calculs de notre rapporteur général, sur la base d’un budget truffé de surestimations de recettes, de sous-estimations de dépenses et de la surestimation de certaines économies, qui nous paraissent irréalistes, conduisant ainsi à environ 12 milliards d’euros de manque à gagner pour le budget de l’État en 2017.
L’insincérité de ce budget ou, à tout le moins, celle des prévisions sur lesquelles il est construit, n’est désormais plus à démontrer. Nous l’avions dit lors de la première lecture, cette construction budgétaire nous paraît faussée et fortement marquée par les échéances électorales. Notre rapporteur général a dénoncé, à raison, un « budget de campagne ».
Cela explique que ce projet de loi de finances se caractérise par l’absence d’économies significatives et le relâchement du Gouvernement dans les efforts de maîtrise des dépenses, alors que notre ratio de dépenses publiques est parmi les plus élevés au monde.
Pour l’année prochaine, le Gouvernement constate certes des baisses de dépenses, mais nous estimons qu’il n’en est guère responsable, pas plus que de la diminution de la charge de la dette ou des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne. Au contraire, on cherche en vain les baisses de dépenses et le fameux plan d’économies de 50 milliards d’euros qui avait été promis.
On additionne les cadeaux fiscaux distribués à diverses catégories de Français. C’est ainsi que s’explique notamment la hausse des dépenses de l’État, due principalement à celle de la masse salariale, liée aux créations de postes de fonctionnaires, aux mesures catégorielles et à l’augmentation du point d’indice.
Par ailleurs, toujours en matière de cadeaux fiscaux, ce projet de loi de finances présente une nouvelle baisse de l’impôt sur le revenu pour une partie des Français, afin de faire oublier, si possible, le matraquage fiscal du début de mandat. Cela ne suffira pas à leur faire oublier l’augmentation de la pression fiscale qu’ils ont subie tout le long du quinquennat, de l’ordre de 31 milliards d’euros entre 2012 et 2016 – un véritable choc fiscal pour les ménages !
Comme le confirme la commission des finances du Sénat, il n’y aura pas eu de baisse des prélèvements obligatoires sur le mandat, ceux-ci se situant – faut-il le rappeler ? –, à un niveau record.
Au contraire, notre système fiscal se sera encore complexifié à coups de réformes sectorielles et contradictoires, concentrant encore plus l’impôt sur les classes moyennes. Et je n’évoque pas ici la réforme du prélèvement à la source, véritable usine à gaz, que notre rapporteur général a déjà longuement disséquée en séance publique et en commission.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je vous invite à lire le rapport de la commission des finances, monsieur le secrétaire d'État !
M. Vincent Capo-Canellas. Le caractère électoraliste de ce projet de loi de finances s’apprécie également par les multiples annonces de dépenses nouvelles pluriannuelles, qui pèseront sur les exercices futurs, celui de 2018 et, plus curieusement, encore au-delà.
Il en va ainsi des nouvelles opérations de rénovation urbaine, du plan de lutte contre la surpopulation carcérale, du troisième programme d’investissements d’avenir, le PIA 3, du plan de sauvetage d’Alstom, qui s’ajoutent aux nouvelles mesures fiscales présentes dans ce projet de loi de finances pour 2017, mais dont les coûts budgétaires se prolongeront et s’alourdiront dans les prochaines années, laissant ainsi un lourd héritage.
Compte tenu de tous ces éléments, le groupe UDI-UC se voit conforté dans son choix de suivre la majorité du Sénat, et de voter la motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi de finances pour 2017, qui, comme je l’ai déjà souligné, est à plusieurs titres virtuel, irréalisable et, d’ores et déjà, caduc. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est malheureusement bien plus pour faire de la figuration que pour voter la loi que nous sommes réunis cet après-midi. En effet, les valeureux collègues présents en ce lundi de la fin décembre n’ont d’autre choix que de regarder passer une navette dans laquelle l’Assemblée nationale n’aura eu pour tâche que de discuter avec elle-même, sans que le moindre apport du Sénat soit venu alimenter le débat.
D’après la majorité sénatoriale, ce courageux acte d’automutilation institutionnelle s’imposerait en raison de l’électoralisme supposé du projet de loi de finances pour 2017. Je l’ai déjà dit, au risque de vous surprendre – mais comme je me répète, vous ne serez pas surpris : oui, ce budget présente certains aspects électoralistes, des prévisions optimistes et des mesures à financement décalé. Mais, en réalité, quoi de neuf sous le soleil de la politique en France ?
À la vérité, chers collègues de la majorité sénatoriale, votre virulente dénonciation de l’électoralisme, qui vous aura conduits à déclencher par deux fois la question préalable, pourrait avoir un semblant de crédibilité si vous ne vous étiez pas vous-mêmes, en d’autres temps, fourvoyés dans la même ornière. Je vous rappelle seulement que le dernier budget du gouvernement Fillon, à la fin de l’année 2011, affichait, pour un consensus des économistes équivalant à ce qu’il est aujourd’hui, soit 1,2 % de croissance pour l’année à venir, une prévision de croissance de 1,75 %, rien de moins ! À l’électoralisme des uns répond donc l’électoralisme et demi des autres…
Bien plus, à force de crier au loup si fort, ici, au début du mois, vous avez peut-être par votre exagération, chers collègues du groupe Les Républicains, incité le Gouvernement à en remettre une petite couche lors de la nouvelle lecture du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale. Ainsi, la soudaine et inédite anticipation de la baisse de l’impôt sur le revenu, désormais prévue pour janvier au lieu de septembre, ajoute un petit parfum d’élection à un budget qui, aux dires de certains, n’en avait déjà pas besoin…
M. Éric Doligé. Ce n’est pas gentil de dire ça !
M. André Gattolin. Tout cela fait penser à l’ultime effort du sprinter qui jette son torse en avant lors du franchissement de la ligne d’arrivée, histoire de grappiller quelques centièmes de seconde, sans se soucier de son équilibre, puisque sa course est terminée !
Toujours est-il que cette nouvelle et opportune mesure, qui s’inscrit bien plus dans le registre du dérisoire que du pathétique, ne doit pas occulter l’essentiel : contrairement à ce que la majorité sénatoriale s’efforce de faire accroire, ce gouvernement a amélioré les comptes publics. Le fait est incontestable : souvenons-nous que le déficit du dernier budget exécuté par le gouvernement de François Fillon, celui de 2011, s’élevait à 5,2 % du PIB ! Pour 2016, il est « réaliste », selon le Haut Conseil des finances publiques, de considérer que le déficit s’établira à 3,3 %. Chers collègues de la majorité sénatoriale, que voulez-vous de plus ?
Certes, pour 2017, il y a un doute ; mais c’était une raison supplémentaire de débattre du budget !
Au reste, chers collègues du groupe Les Républicains, c’est plutôt vous, à ce qu’on peut lire dans la presse, qui avez quelque chose à prouver en matière de finances publiques…
D’abord, parce que vos chiffres sur la réduction promise du nombre de fonctionnaires paraissent assez irréalistes, sauf à vouloir casser le statut de la fonction publique, mais alors il faudrait l’annoncer.
Ensuite, parce que, sur la sécurité sociale, constatant que même votre électorat a besoin de se soigner, votre candidat, qui affichait encore sa radicalité lors de la primaire du mois dernier, est déjà en train de rétropédaler.
Enfin, parce que, en matière de comptes publics, comment peut-on comprendre, avec un déficit certifié à 3,5 % en 2015, que vous prévoyiez une dégradation à 4,5 % en 2018 ? N’est-ce pas là la forme la plus aiguë de l’électoralisme : celle qui consiste à promettre ce que l’on sait pertinemment ne pas pouvoir tenir ? En période de crise profonde de notre modèle de développement, laisser penser que la croissance et le plein emploi pourront durablement revenir est bien davantage qu’un leurre : c’est une incitation au pire du populisme !
Depuis quatre ans, je conserve chez moi, près de mon téléviseur – en prévision des plages de publicité qui persistent sur nos chaînes publiques… –, un petit opuscule intitulé, fort poétiquement : « Le changement c’est maintenant ; Mes 60 engagements pour la France ». Je viens juste d’y ajouter une autre lecture : « Pour vous ; Fillon 2017 ». Aussi vif que soit le contraste de leurs titres, l’un très bavard, l’autre particulièrement elliptique, ces deux documents ont en commun d’être très instructifs.
Ainsi, les prévisions de croissance pour le quinquennat à venir – celui que vient de s’écouler et celui qui est devant nous – sont, à cinq ans d’écart, quasiment similaires : un pourcentage en hausse régulière, qui se stabilise, comme par miracle, au-dessus de 2 % les deux dernières années. Preuve que, même démenti par les faits, le retour d’une croissance durable reste la référence incontestée de la vieille pensée productiviste, qu’elle soit de droite ou de gauche. Au fond, c’est peut-être cela, la vraie foi…
En conclusion, mes chers collègues, nous ne vous donnerons pas notre avis sur ce projet de loi de finances, puisque, visiblement, cela n’intéresse pas le Sénat. Toujours est-il que nous voterons contre, résolument contre, le refus de débattre signifié par la motion tendant à opposer la question préalable !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis obligé de constater que la question préalable devient un mode essentiel de non-débat dans notre assemblée. Nous en sommes déjà à deux pour cet après-midi et, si je compte bien, à cinq en tout ces derniers temps ; et ce n’est peut-être pas terminé…
M. Éric Doligé. Et le 49.3 de M. Valls !
M. Richard Yung. Avouez que c’est tout de même un peu démoralisant.
Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous refusez de débattre du projet de loi de finances, en faisant valoir, principalement, qu’il serait insincère ;…
M. Francis Delattre. Oui !
M. Richard Yung. … c’est le mot qui revient le plus souvent…
M. Francis Delattre. Le mot juste !
M. Richard Yung. … dans vos interventions. L’argument est assez commode, puisqu’il vous dispense de prouver quoi que ce soit. (Mme Christiane Hummel s’exclame.) Savez-vous ce que cela me rappelle ? L’air de la calomnie, dans Le Barbier de Séville : un vent léger qui court, qui court et qui s’enfle et qui s’enfle…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’effet est encore meilleur quand on le chante, mon cher collègue ! (Sourires.)
M. Richard Yung. On ne peut pas répondre à cela.
Vous affirmez que le taux de croissance n’atteindra jamais le niveau prévu,…
M. Francis Delattre. Vous retenez un taux de 1,4 %, alors que l’INSEE prévoit une croissance de 1,2 % !
M. Richard Yung. … mais quelle preuve avancez-vous ? Les prévisions de l’INSEE, je les ai étudiées comme vous : 0,3 % et 0,4 % pour les deux premiers trimestres, ce qui fait 0,7 % ; n’y aura-t-il pas plus de 0,5 % de croissance au cours des deux trimestres suivants ? On peut en discuter.
M. Francis Delattre. Ah !
M. Richard Yung. Je n’ai pas d’opinion arrêtée sur le sujet, n’étant pas prévisionniste,…
M. Francis Delattre. Il ne s’agit pas d’opinions, mais de chiffres !
M. Richard Yung. … mais votre vision, chers collègues de la majorité sénatoriale, me semble tout de même singulièrement pessimiste.
M. Francis Delattre. Cela fait 4 milliards d’euros de ressources en moins !
M. Richard Yung. J’ajoute que, dans le même document, l’INSEE prévoit pour l’Allemagne, malheureusement, une croissance également en baisse.
M. Francis Delattre. Les Allemands ont un matelas, eux !
M. Richard Yung. En réalité, la tendance est générale dans la zone euro.
Pour parler franchement, je trouve que l’argument d’insincérité n’est pas…
M. André Gattolin. … sincère !
M. Richard Yung. … honnête !
En repoussant sans examen le projet de loi de finances, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous privez de notre responsabilité première de parlementaires : voter le budget. Ce faisant, vous affaiblissez notre assemblée à un moment difficile, où, comme vous le savez, différentes candidatures à l’élection présidentielle se fondent sur le thème d’une réforme de la position du Sénat dans le dispositif institutionnel, de la réduction du Sénat, voire de sa fusion avec telle ou telle autre institution. Ce n’est vraiment pas le moment de laisser accroire que le Sénat ne servirait à rien !
La vérité, c’est que vous n’étiez pas en mesure d’élaborer des propositions à mettre en regard de ce budget, sans doute parce que vous étiez partagés entre différentes sensibilités… (Mme Christiane Hummel s’exclame.) Pour qu’il y ait débat, il aurait fallu que vous ayez un projet à opposer à celui du Gouvernement !
En matière de déficits, par exemple, que suggérez-vous ? Des propositions différentes ont été avancées. On nous dit maintenant que la règle maastrichtienne des 3 % est bonne pour les enfants, qu’elle n’a pas d’importance et qu’un bon choc fiscal à 4,5 % remettra le pays en route. Je ne sais pas très bien ce qu’est un bon choc fiscal, mais passons.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Grâce à vous, nous savons ce qu’est un mauvais choc fiscal ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Richard Yung. Les 3 %, je me souviens de tout ce que vous en avez dit, avant de considérer aujourd’hui qu’il faudrait les jeter par-dessus bord…
En ce qui concerne la compétitivité des entreprises, vous critiquez le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – et proposez une hausse de la TVA de 1,5 point ou 2 points, ce que nous n’approuvons pas. Nous aurions pu en débattre, de même que de la réduction de dépenses de 100 milliards d’euros que vous projetez.
S’agissant du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, une question de première importance, je rappelle que, pour 80 % ou 85 % des contribuables français, qui sont de simples salariés, il représentera une grande simplification administrative. Bien sûr, il y a une série de cas compliqués, que vous mettez volontiers en avant ; mais, comme vous le savez, la France est le dernier grand pays qui n’ait pas adopté ce système. Votre attitude m’évoque un peu la France du passé,…
M. Francis Delattre. Nous avons aujourd’hui un système fiscal qui fait rentrer la ressource à 99 % !
M. Richard Yung. … le retour en arrière, le XIXe siècle. (M. le rapporteur général de la commission des finances s’exclame.) Ce projet de loi de finances, le dernier du quinquennat, est en cohérence avec l’action menée tout au long de celui-ci. Il est fidèle à nos grandes orientations : la justice sociale, la modernisation, la réduction des impôts.
Si vous nous aviez permis de l’examiner, nous aurions pu débattre de questions intéressantes, comme l’évolution de l’impôt sur le revenu, le régime fiscal des attributions gratuites d’actions, que l’Assemblée nationale a modifié ce week-end,…
M. Francis Delattre. Elle l’a remis en cause !
M. Richard Yung. … ou encore la taxe sur les transactions financières, la TTF. Cette taxe, vous l’avez critiquée à la fois sous l’angle de son taux et sous l’angle de son assiette, c’est-à-dire l’élargissement aux transactions intraday, autrement dit quotidiennes, décidé par l’Assemblée nationale, une mesure qui m’inspire un enthousiasme très mesuré. Nous aurions pu en débattre, de même que nous aurions pu débattre du prélèvement à la source et d’autres sujets encore. Cela vous aurait au moins permis de faire connaître vos intentions, comme l’on dit dans la marine…
Or tel n’est pas le cas. Aussi, vous l’aurez compris, nous ne pourrons pas vous suivre dans le vote de la motion tendant à opposer la question préalable.
M. Éric Doligé. Vos collègues du groupe socialiste et républicain ne vous ont pas écouté : ils ne vous ont pas applaudi !
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2017 s’apparente plus à une forme d’exercice imposé qu’à un véritable débat parlementaire.
La commission mixte paritaire a en effet matérialisé son échec dans la production d’un rapport dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est succinct, ce qui laisse le Gouvernement à sa conviction d’avoir agi au mieux sur le chemin de la réduction des déficits, et la majorité sénatoriale à la sienne d’avoir dépisté les traces de l’insincérité de données budgétaires et fiscales trop avantageusement présentées.
À la vérité, la querelle des gestionnaires au fil de l’eau et des comptables au moment « t » n’est, une fois encore, qu’un des aspects de la situation. La persistance d’un haut niveau de chômage dans notre pays et le développement d’une pauvreté multiforme touchant les villes comme les campagnes, qui conduit au déclassement social de plus en plus de salariés et d’employés, victimes, notamment, de la spéculation immobilière et de la modération salariale, tout cela atteste l’incapacité des politiques de rigueur et d’austérité à atteindre les objectifs assignés.
Puisque nous sommes quelque peu privés d’un véritable débat parlementaire sur le budget au moment où le débat politique national adopte son rythme présidentiel, permettez-moi de souligner à quel point les rendez-vous ont été manqués durant les quatre années et demie qui viennent de s’écouler.
En 2012, la légitimité politique existait pour renégocier le contenu et les objectifs du traité budgétaire européen comme pour mener en France une authentique réforme fiscale. Au lieu de quoi, nous avons accepté la férule du docteur Schaüble, et la réforme fiscale s’est noyée dans la mise en place du CICE, la hausse de la TVA et celle des impôts locaux, dès lors que les dotations aux collectivités territoriales étaient réduites.
Les perspectives offertes ne sont guère enthousiasmantes : nouvelle assiette de l’impôt sur les sociétés, qui devrait conduire à sa baisse, retenue à la source de l’impôt sur le revenu, qui devrait conduire à sa hausse, hausse de la fiscalité dite écologique, hausse probable de la CSG, hausse prévisible des impôts locaux.
Je passe sur la controverse des « petits risques » et des « grands risques », pour parler comme François Fillon, et sur celle des « dépenses médicales utiles », comme dit Emmanuel Macron : elles ne font honneur ni à l’un ni à l’autre, montrant, s’il en était besoin, qu’on parle parfois bien légèrement des questions de financement de la sécurité sociale.
Une fois que l’on aura compris que les allocations familiales comme les pensions et retraites constituent des revenus des familles, imposables à ce titre et essentiels à l’activité économique en général, et que l’on aura intégré que les dépenses de santé concernent, pour leur plus grande part, ceux de nos compatriotes qui sont frappés par des affections de longue durée nécessitant des traitements au coût significatif, je pense que tout ira beaucoup mieux.
Pour en revenir à ce projet de loi de finances, nous aurions préféré, bien entendu, que le débat ait lieu. Ne serait-ce que pour que, devant l’opinion, attentive à nos travaux, des positions soient prises sur les grandes questions relatives aux finances publiques.
La question préalable déposée pour la seconde fois par le rapporteur général présente au moins deux avantages. D’abord, elle dispense la majorité sénatoriale de s’expliquer sur ses orientations, maintenant que l’on sait que M. Fillon, candidat issu des primaires, portera ses couleurs au printemps et qu’il a le soutien indéfectible de la majorité du groupe Les Républicains. Ensuite, elle dispense le Gouvernement de s’expliquer sur ses priorités et d’établir, sur la foi des simples faits, le bilan de l’action menée depuis 2012. Mais il faudra bien, mes chers collègues, y arriver un jour.
De même, il faudra bien nous décider à changer notre impôt sur le revenu en élargissant son assiette et en améliorant très sensiblement sa progressivité, par l’ajout de tranches aujourd’hui manquantes. Par ailleurs, toujours en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, nous restons favorables à l’unification de la valeur des demi-parts, pour mettre un terme à la démarche qui a rendu imposables de très nombreux retraités modestes dont les revenus, pourtant, n’avaient pas connu la progression correspondante, tant s’en faut.
S’agissant de la fiscalité des entreprises comme des prélèvements sociaux les concernant, il est plus que temps de sortir de cette solidarité fiscale à l’envers qui fait payer plus les petites entreprises et moins les entreprises les plus importantes. De fait, ce sont les grands groupes qui tirent pleinement parti des effets du CICE, du régime des groupes, de la consolidation des résultats, de l’optimisation du crédit d’impôt recherche, du suramortissement des équipements et de toutes les mesures prises depuis des dizaines d’années au nom du soutien à l’emploi et à l’investissement – toutes mesures qui auront surtout soutenu les profits et les dividendes.
Les quinze premières années du siècle ont été marquées par un accroissement sensible des inégalités sociales, source de dépenses d’accompagnement et de pertes de recettes fiscales. (M. Francis Delattre s’exclame.) Comment pourrait-il en être autrement, puisque des mesures d’allégement ont été consenties sur la durée aux détenteurs de patrimoine – contribuables à l’ISF ou non, généreux donateurs – et qu’une partie des politiques sociales consiste dans notre pays à maintenir certaines populations dans l’assistanat, à travers des stages de formation à visée statistique et la distribution de prestations sociales sous conditions ?
Pendant ce temps-là, la fiscalité indirecte se porte au mieux, avec un niveau de TVA jamais atteint, des taxes sur les carburants de plus en plus lourdes, partagées pour financer des politiques sociales, et une fiscalité écologique qui commence à prendre du volume, utilisée qu’elle est en remplacement d’autres prélèvements fondés sur d’autres assiettes.
La réforme fiscale que nous appelons de nos vœux vise clairement à inverser l’ordre des priorités et à combiner justice sociale et efficacité économique.
Quand on voit l’inconséquence du CICE – 60 milliards d’euros de dette publique supplémentaire en quatre ans pour moins de 100 000 emplois maintenus ou créés – et qu’on évalue les effets de la réforme du crédit d’impôt recherche sur l’embauche des jeunes ingénieurs et chercheurs diplômés de nos universités et recrutés à l’étranger, on mesure qu’il y a mieux à faire avec l’argent public !
Du point de vue de la dépense publique, il convient aussi de cesser de ponctionner les collectivités territoriales.
Je m’arrête là, puisque mon temps de parole est écoulé. Il y a tant de chemin à faire sur la voie de la justice fiscale et, bien sûr, de l’efficience économique du budget que nous ne pouvons que réaffirmer notre double opposition au projet de loi de finances et à la motion tendant à opposer la question préalable présentée par le rapporteur général de la commission des finances ! (Mme Christine Prunaud applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, après le rejet sans examen du projet de loi de finances pour 2017 par la majorité sénatoriale et l’échec, prévisible, de la commission mixte paritaire du 13 décembre dernier, nous examinons en nouvelle lecture le dernier budget du quinquennat.
La politique économique menée depuis cinq ans par l’exécutif recueille chaque année le soutien de la majorité des membres du RDSE. L’effort de redressement des finances publiques a été réel et laissera au gouvernement suivant des comptes stabilisés. La tâche de la prochaine majorité, quelle qu’elle soit, sera de maintenir et de poursuivre cet effort sans céder à la tentation des cadeaux trop visiblement électoraux, mais sans prendre pour autant des mesures trop rigoureuses, qui risqueraient de rompre le fragile tissu social à l’heure où le pays a plus que jamais besoin de cohésion et de solidarité.
La réduction des déficits, constante depuis 2012, a été facilitée, il est vrai, par une conjoncture favorable caractérisée par des taux d’intérêt faibles ou nuls. Cette situation a permis de faire repasser le service de la dette derrière les budgets de l’éducation nationale et de la défense.
En outre, ce redressement opéré par l’État s’est traduit par une ponction historiquement élevée sur les dotations aux collectivités territoriales, ce qui n’est pas sans mettre en difficulté ces dernières, lesquelles réalisent tout de même 70 % de l’investissement public.
Sans les réduire en valeur absolue, le Gouvernement a fortement limité les dépenses. Pour la première fois depuis une décennie, le taux des prélèvements obligatoires s’est de nouveau réduit.
Le budget de 2017 porte la marque de cette politique, même si les prévisions de croissance demeurent un véritable sujet d’interrogation : le Gouvernement, qui tablait sur une croissance de 1,5 % l’année prochaine, a finalement ramené sa prévision à 1,4 %, ce qui reste plus optimiste que les prévisions de l’INSEE, de la Commission européenne et du FMI.
Après le vote favorable au Brexit et l’échec du référendum en Italie, à la veille de la prise de fonction de Donald Trump à la présidence des États-Unis et, surtout, à quelques mois d’une élection présidentielle à l’issue incertaine, les prévisions de croissance pourraient bien se révéler aussi hypothétiques que les sondages…
Nous devons garder à l’esprit que, en matière budgétaire, les marges de manœuvre sont extrêmement réduites. Elles le sont évidemment pour les parlementaires, qui ne peuvent, en raison de l’article 40 de la Constitution, ni réduire les recettes ni créer des dépenses, et qui sont contraints en nouvelle lecture par la règle de l’entonnoir législatif. Elles le sont aussi pour l’exécutif, qui ne peut se permettre une aggravation du coût de la dette et qui est chargé de faire respecter les engagements européens et internationaux de la France.
Malgré ce tableau quelque peu assombri, un certain nombre de mesures nouvelles vont être adoptées.
Ainsi, après la baisse de l’impôt sur le revenu de 2 milliards d’euros en 2016, le projet de loi de finances pour 2017 accentue les mesures fiscales en faveur des contribuables modestes, en prévoyant une nouvelle baisse de 1 milliard d’euros, applicable dès le 1er janvier prochain. Si cette mesure est une bonne nouvelle pour la redistribution, je regrette qu’elle conduise à rétrécir de nouveau la participation à l’impôt.
À l’heure où certains parlent d’instaurer un revenu universel et d’autres, d’augmenter le taux de la CSG, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que l’impôt sur le revenu devrait être lui aussi universel, et que chaque citoyen devrait y participer, même de façon très modeste. Ce ne serait qu’être fidèle à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et aux idées de Joseph Caillaux, cet éminent radical ! (Sourires.)
M. André Gattolin. Un grand homme !
M. Jean-Claude Requier. L’article 5, qui supprime le régime traditionnel d’imposition des indemnités des élus locaux, continue de poser problème. Cette réforme complexe et peu lisible fera sans doute des gagnants, mais risque de faire aussi des perdants, notamment parmi les élus des petites collectivités territoriales. C’est pourquoi mon groupe reste très réservé sur ce point.
Parmi les mesures notables votées par l’Assemblée nationale figure la hausse de la taxe sur les transactions financières. L’augmentation de son taux de 0,2 à 0,3 % finalement décidée par les députés devrait permettre de dégager 0,5 milliard d’euros de recettes nouvelles, qui financeront pour partie l’aide publique au développement. C’est une bonne nouvelle, à l’heure où la stabilité interne de nombreux pays du Sud est menacée par des troubles économiques, politiques et environnementaux. Miser sur le développement du Sud, c’est aussi assurer notre avenir !
Une autre mesure phare du projet de loi de finances est l’abaissement du taux d’impôt sur les bénéfices des sociétés à 28 %, soit en dessous de la moyenne de la zone euro. Si cette mesure est une conséquence directe du Brexit et peut contribuer à renforcer l’attractivité de la France, elle ne doit pas nous faire oublier que la priorité reste l’harmonisation fiscale par le haut au niveau européen.
En ce qui concerne le financement des chambres de commerce et d’industrie, le maintien de la taxe affectée à niveau constant devrait rassurer les acteurs économiques dans les territoires, alors que ce réseau est en pleine reconfiguration et que le rôle de ces chambres dans l’animation économique locale est menacé.
En revanche, le montant de la dotation globale de fonctionnement, qui avait été augmenté à 32 millions d’euros en première lecture, a été ramené au niveau initialement prévu, soit 30,86 milliards d’euros. Il y a là pour nous un vrai motif de regret, car la réévaluation de cette enveloppe aurait permis de minimiser la baisse des dotations.
Conscients de l’adoption probable par la majorité sénatoriale d’une nouvelle motion tendant à opposer la question préalable, le groupe du RDSE n’a pas jugé utile de déposer de nouveau des amendements. Comme en première lecture, au nom du débat et de la défense du Sénat, nous voterons contre la motion à l’unanimité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. Richard Yung. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, pour nous, les choses sont claires : sauf votre respect, monsieur le secrétaire d’État, le budget que vous présentez demeure insincère et irréaliste.
Le Gouvernement n’a cessé de nous dire que ses prévisions étaient réalistes, et, jusqu’au dernier moment, vous avez maintenu votre prévision de croissance de 1,5 % pour 2016. Que n’avions nous point entendu ! Que nous étions des oiseaux de mauvais augure, quand nous parlions de prévisions irréalistes pour 2016 et 2017…
Voilà tout juste un mois, dans le cadre du collectif budgétaire de fin d’année, vous avez consenti, au dernier moment, à abaisser votre prévision pour 2016 à 1,4 %. Las, l’INSEE a annoncé, voilà quatre jours, que nous serions vraisemblablement à 1,2 %. Vous, pourtant, continuez de prétendre que nous serons à 1,5 % en 2017.
Monsieur le secrétaire d’État, d’où viendra ce surplus de croissance permettant de passer de 1,2 à 1,5 % ? Et quelles mesures allez-vous prendre pour compenser le différentiel entre 1,4 et 1,2 % en 2016 ? Ce sont 4,4 milliards d’euros de moins qui vont se répercuter sur 2017 !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Non, ça ne fait que 2 milliards d’euros, monsieur le sénateur ! Vous confondez le PIB et les recettes de l’État.
M. Dominique de Legge. À moins que vous ne comptiez sur un nouveau gouvernement et une nouvelle politique pour répondre à cette question…
Insincère et irréaliste, ce budget l’est aussi du fait de dépenses fortement sous-estimées, ou dont le financement est reporté à 2018, quand ce n’est pas au-delà. Nous avons déjà longuement expliqué cela en première lecture.
Au fond, ce budget est à l’image de ce quinquennat : François Hollande a trompé les Français en ne cessant de leur tenir un discours mensonger.
Comme mon collègue Gattolin, j’ai de bonnes lectures… Ouvrons donc le programme de François Hollande en 2012 (L’orateur brandit un exemplaire de ce programme.), dont la lecture est des plus intéressantes.
M. Hollande a menti sur le passage sous la barre des 3 % de déficit public en 2013 et l’équilibre en 2017, qui étaient sa promesse n° 9. Le mensonge a été réitéré pour 2015. Nous voici avec une nouvelle promesse pour 2017… La vérité, c’est que nous serons l’année prochaine à plus de 3 % de déficit, alors qu’il avait promis l’équilibre !
Il a menti aussi sur l’emploi, sa promesse n° 3. On sait ce qu’il est advenu de la promesse de l’inversion de la courbe du chômage à la fin de l’année 2013. Promesse réitérée pour la fin de 2014, puis pour la fin de 2015 : encore et toujours des mensonges ! L’UNEDIC prévoit même une hausse du chômage en 2017…
Je rappelle que le nombre de chômeurs de catégorie A était de 2,9 millions en mai 2012 ; il est de 3,5 millions en septembre 2016, soit une hausse de près de 20 %.
Mensonge encore sur la pause fiscale à partir de 2014. Qu’à cela ne tienne, on la promet alors pour 2015.
Il a menti sur la baisse de la fiscalité à partir de 2016. Les taux de prélèvements obligatoires sont passés de 43,8 % du PIB en 2012 à 44,5 % en 2017. La fiscalité a singulièrement augmenté pour les ménages. L’impôt sur le revenu a progressé de 20 %, la collecte étant passée de 59,5 milliards d’euros en 2012 à 71,5 milliards d’euros en 2016.
Il a menti encore sur la baisse de la dépense publique à partir de 2015. Il a renoncé à son plan de 50 milliards d’euros d’économies promis en 2014 ; l’État dépensera 7,4 milliards d’euros nets de plus en 2017 qu’en 2016.
Il a menti sur la baisse de la dette à partir de 2014. La dette a augmenté de plus de 450 milliards d’euros entre la fin de l’année 2011 et la fin de 2016, malgré des taux d’intérêt historiquement bas. À la fin du deuxième trimestre de 2016, elle a atteint 98,4 % du PIB, soit plus de 2 170 milliards d’euros, avec un bond de près de 72 milliards d’euros au cours des six premiers mois de cette année.
Il a menti sur la promesse n° 54 : « Un pacte de confiance et de solidarité sera conclu entre l’État et les collectivités locales, garantissant le niveau des dotations à leur niveau actuel ». On sait ce qu’il en est advenu : moins 27 milliards d’euros sur toute la durée du quinquennat !
Monsieur le secrétaire d'État, dans ces conditions, comment vous croire encore au sujet de ce budget pour 2017 ?
Il y a un an, le Président de la République affirmait : « Ça va mieux ! »
Ça va tellement mieux qu’il nous a annoncé voilà peu, sans doute dans un élan de lucidité, qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat…
Même les candidats à la primaire du parti socialiste, ses anciens ministres, tentent de se démarquer de ce triste bilan, à commencer par celui qui a conduit cette politique pendant deux ans, en n’hésitant pas à recourir au 49.3, ce qui doit relativiser les critiques formulées à l’encontre du recours à la motion tendant à opposer la question préalable, monsieur Yung !
Comment, dès lors, voter un budget fondé sur des hypothèses insincères et dans un contexte politique de déliquescence du pouvoir ?
Le navire prend l’eau et les passagers quittent le navire !
Plus personne n’est à la barre : le capitaine, trahi et abandonné, a décidé de quitter son poste dans quelques mois, le Premier lieutenant s’est jeté dans le flot de la primaire pour tenter de sauver ce qui pourrait l’être, les voiles du bateau sont déchirées par les coups de sabre du « bosco » de Bercy qui, après avoir servi le capitaine, a monté son propre équipage, à la recherche de nouveaux rivages aux contours incertains, tandis que d’anciens matelots font le procès du capitaine.
Au fond, c’est notre collègue Jean Desessard qui a résumé le mieux la situation la semaine dernière : « une fin de quinquennat pour le moins difficile […], un testament d’une majorité qui, tout au long de son mandat, s’est fracturée faute d’une orientation et d’une action conforme à ses engagements initiaux, faute aussi du souffle nécessaire […] Cet échec du Président de la République est un échec de la gauche, qui ne s’est unie, en 2012, que par anti-sarkozysme ». Tout est dit, monsieur le secrétaire d’État !
Dans ces conditions, quel sens donner à ce budget ?
La réalité, mes chers collègues, c’est que dans l’esprit de tous, nous le savons bien, le vrai budget sera celui de juillet 2017 !
M. Philippe Dallier. Eh oui !
M. Dominique de Legge. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains rejettera ce projet de loi de finances en votant la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. de Montgolfier, au nom de la commission, d'une motion n° I–2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat,
Considérant que le Sénat a rejeté, en première lecture, l’ensemble du projet de loi de finances pour 2017, par l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable ;
Considérant que, par ce rejet, le Sénat a choisi de marquer son opposition à un budget dont la sincérité est contestable, dont les choix budgétaires et fiscaux sont inacceptables, qui est contraire au principe d’annualité budgétaire et qui obère les marges de manœuvre de la prochaine majorité gouvernementale ;
Considérant que, si la nouvelle lecture réalisée par l’Assemblée nationale a permis de remédier aux insuffisances ou incohérences de certaines mesures adoptées en première lecture, elle n’a pas remis en cause les dispositions que le Sénat entendait rejeter ;
Considérant que cette nouvelle lecture n’a en rien modifié les grands équilibres et les orientations du budget pour 2017 ;
Le Sénat s’oppose à l’ensemble du projet de loi de finances pour 2017, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur général, pour la motion.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La motion tendant à opposer la question préalable vient d’être examinée par la commission des finances, qui l’a adoptée.
Je ne reviendrai pas sur la lecture de ce texte qui vous a été distribué. La nouvelle lecture faite par l’Assemblée nationale n’a pas permis de remédier aux insuffisances ou aux incohérences de certaines mesures adoptées en première lecture. Surtout, elle n’a pas remis en cause les dispositions que le Sénat souhaitait rejeter.
À notre sens, cette nouvelle lecture n’a pas permis de modifier les grands équilibres et les orientations du budget pour 2017.
Par cette motion, nous souhaitons nous opposer de nouveau à l’ensemble du projet de loi de finances pour 2017.
M. le secrétaire d’État nous a reproché de n’avoir rien proposé. Je rappelle que la commission des finances s’est réunie, qu’elle a examiné l’ensemble du texte et la totalité des crédits des missions. Sur la question du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, nous n’avons pas rejeté le texte, nous avons fait une proposition alternative (M. le rapporteur général de la commission des finances brandit un exemplaire du rapport Le prélèvement à la source : un choc de complexité.), celle de l’imposition contemporaine, qui n’est pas compatible avec le texte proposé par le Gouvernement.
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous propose d’adopter cette motion.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, contre la motion.
M. Richard Yung. J’ai déjà avancé un certain nombre d’arguments dans la discussion générale.
Il me semble tout à fait normal que le prélèvement à la source soit fait par l’entreprise puisque le flux du salaire part d’elle. Par conséquent, qui mieux que l’entreprise sait ce qui doit être fiscalisé ?
Proposer de faire opérer le prélèvement à la source par les banques ou par d’autres institutions ne me paraît pas une idée raisonnable. Je ne comprends donc pas votre acharnement sur cette question, d’autant que tous les autres pays procèdent ainsi que nous le proposons.
Quant au fait que les grands équilibres soient maintenus, heureusement qu’ils le sont ! Qu’auriez-vous dit s’ils avaient été modifiés substantiellement ?
Bien évidemment, le groupe socialiste et républicain votera contre cette motion, pour les raisons que j’ai indiquées.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je formulerai une remarque générale, même si ce n’est pas à la fin de l’examen des textes que l’audience est la plus forte…
Ce qui me frappe, après cette troisième expérience personnelle en tant que secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics, c’est l’extraordinaire décalage entre nos décisions et leur mise en œuvre. Certes, la faute n’en incombe pas aux sénatrices et aux sénateurs ici présents.
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement présente son projet de loi de finances à la fin du mois de septembre ; généralement, d’ailleurs, ce texte inclut un certain nombre de mesures concrétisant des annonces formulées au préalable par le Président de la République ou par le Premier ministre, voire par des ministres. Cela signifie que, dès la fin du mois d’août, des informations circulent déjà sur ce qui se passera l’année suivante et qui est matérialisé par la présentation du projet de loi de finances à la fin du mois de septembre.
À partir du moment où le texte est présenté, les assemblées s’en saisissent et la navette commence. D’abord, l’Assemblée nationale examine le texte en commission, puis dans l’hémicycle. Idem au Sénat. Le texte retourne à l’Assemblée nationale et est de nouveau examiné en commission, puis dans l’hémicycle. Il est renvoyé au Sénat. Après cet examen, intervient la lecture définitive.
Durant ce laps de temps, un certain nombre de décisions sont inversées à plusieurs reprises. La commission rejette telle mesure, l’hémicycle l’accepte. Au Sénat, la commission va dans un sens, mais l’hémicycle va dans l’autre.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est la démocratie !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Au final, nos concitoyens ne s’y retrouvent pas. Pire, les textes que nous voterons avant Noël passeront devant le Conseil constitutionnel. Ils seront promulgués le 1er janvier. Un certain nombre de décisions, notamment fiscales, ne seront appliquées, au sens concret du terme, qu’aux mois d’août et de septembre suivants.
Vous rendez-vous compte qu’il se passe au minimum un an entre le moment où beaucoup de décisions sont annoncées à l’opinion et celui où elles sont finalement prises ?
Certains ont brocardé le fait que le Gouvernement ait anticipé la mise en œuvre de la baisse d’impôt au mois de février.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oui, parce qu’il va y avoir des élections !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Sans cela, les contribuables ne l’auraient vu qu’au mois d’août ou au mois de septembre !
L’impôt sur le revenu est systématiquement rétroactif. C’est là tout le sens du prélèvement à la source, monsieur le rapporteur général.
Certes, le Sénat votera contre, mais le Parlement, dans son ensemble, adoptera d’ici à quelques jours des modalités fiscales qui devront s’appliquer pour une année qui est terminée. Les contribuables seront alors peut-être étonnés de telle ou telle décision, sur laquelle ils n’auront absolument aucune prise puisque l’année est close.
Le prélèvement à la source aura cette principale vertu d’éviter ce travers. On appliquera dès le début de l’année suivante les modalités de l’impôt, mais aux revenus à venir et non aux revenus passés.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est aussi ce que nous proposons !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous me répondrez que c’est assez théorique.
Néanmoins, tous les avocats fiscalistes vous le diront : les particuliers quelquefois, mais plus souvent les entreprises, déplorent cette forme de rétroactivité fiscale. Nous pouvons comprendre ce reproche. Certes, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : nous avons été nous-mêmes contraints d’appliquer cette rétroactivité. Avec le prélèvement à la source, c’est sa principale vertu, cela ne sera plus possible.
Grâce à ce versement anticipé, les décisions prises seront plus rapidement actualisées, même si j’ai bien compris que le Sénat ce soir ne votera aucune décision budgétaire.
Pour conclure, et parce que nous avons en général l’habitude de discussions franches entre nous, vous avez eu tort de refuser le projet de loi de finances pour 2017 en présentant deux motions tendant à opposer la question préalable. La loi de finances est en effet l’occasion de prendre des positions politiques. Quelque part, vous avez regardé les choses passer. Vous avez formulé quelques commentaires – tiens, l’Assemblée nationale a voté telle mesure ; elle a supprimé ceci ou rétabli cela –, mais rarement vous avez dit si vous étiez favorables ou non aux différentes dispositions proposées.
Vous nous avez également rarement dit ce que vous auriez proposé à la place. Cela a été cruellement vrai lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale au cours de l’examen duquel j’ai souligné que vous n’avez pas eu la franchise de dire notamment ce que vous auriez fait sur l’ONDAM – objectif national de dépenses d’assurance maladie –, sur les tarifs, sur les consultations, sur le financement des actes à l’hôpital.
Voilà la remarque que je souhaitais formuler, après une intervention liminaire assez courte et convenue, car il n’y avait guère de doute sur l’issue du vote, à moins que l’avis défavorable du Gouvernement sur cette motion ne vous fasse changer d’avis… (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° I–2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances pour 2017.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 82 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Pour l’adoption | 183 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi de finances pour 2017 est rejeté.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 20 décembre 2016 :
À neuf heures trente : vingt-six questions orales.
À quatorze heures trente : éloge funèbre de Louis Pinton.
À quinze heures :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à une liaison ferroviaire entre Paris et l'aéroport Paris-Charles de Gaulle (n° 167, 2016–2017) ;
Rapport de M. Louis Nègre, rapporteur pour le Sénat, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 166, 2016-2017).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures et, éventuellement, le soir :
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires (n° 160, 2016-2017) ;
Rapport de Mme Catherine Troendlé, fait au nom de la commission des lois (n° 196, 2016–2017) ;
Texte de la commission (n° 197, 2016–2017).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD